Un petit avis rapide pour conforter la bonne côte de cet album. Mon ressenti serait plus proche du 3,5 mais je bonifie de bon cœur tant l’exercice m’a semblé réussi.
Je suis un grand amateur de whisky, Masataka Taketsuru ne m’était pas inconnu et je connaissais dans les grandes lignes son histoire … et malgré tout ça, j’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir cette bd.
La partie graphique m’a d’emblée convenu, on y remarque bien quelques imperfections mais elle sied parfaitement au récit, lui ajoutant même une belle plus-value. On dévore facilement les plus de 100 pages. Sympa.
Mais la vrai surprise, vraiment agréable qui plus est, va vraiment pour la façon de raconter le parcours de notre rêveur japonais. L’histoire est belle mais elle est ici sublimée façon fresque romanesque (mais sans en faire trop). Malgré de nombreux bons temporels, ça reste fluide et les périodes explorées sont judicieuses et intéressantes (je minorais pas mal d’obstacles rencontrés). J’ai aimé connaître la rivalité entre les 2 grandes maisons du whisky japonais par ex. Non vraiment bien construit, on ressent même ce petit moment d’émotions à la toute fin lors de la reconnaissance.
Finalement, le seul gros défaut décelé est de donner envie de boire un de ces breuvages maltés de l’île du soleil levant … et si je leurs reconnais de grandes qualités, ils ont malheureusement été victimes de leurs immense succès, leurs prix sont maintenant tout simplement excessifs. Petit coup de gueule perso !! mais ça n’enlève en rien à la lecture ;)
La Cité des secrets, c'est une agréable série d'aventure jeunesse en deux tomes.
Le premier tome se déroule à Oskars, une gigantesque ville construite sur plusieurs étages et où chaque strate catégorise une tranche différente de la population, les plus fortuné-e-s se trouvant bien évidemment dans les étages supérieurs. On y suit Ever, un jeune orphelin protégeant un secret et fuyant d'étranges personnes souhaitant sa mort, ainsi que Hannah, une riche jeune fille du dernier étage dont la curiosité va faire croiser la route d'Ever. Ensemble, iels vont essayer de percer les mystères de cette étrange cité, en tentant tant bien que mal de survivre face aux affrontements d'une organisation secrète et d'un syndicat d'assassins.
Ce premier album part sur une base simple mais arrive à donner une fraîcheur et un charme très sympathique à son résultat. Cette gigantesque ville mécanique dans laquelle sont dissimulés de nombreux leviers et boutons secrets est fascinante et donne sincèrement envie d'être explorée. Le mystère est prenant, le tension marche, il y a un petit côté "Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire" avec ces organisations secrètes aux signes étranges tirant les ficelles dans l'ombre et se tirant des bâtons dans les roues, ... Mais cet album brille surtout à mes yeux pour son découpage de l'action et sa représentation des mouvements. La ville bouge sans cesse, par ses mécanismes activant et déplaçant des plateformes, à l'horizontale comme à la verticale, les personnages qui s'affrontent le font avec une aisance et une grâce qui me ferait presque penser à de la danse, … Bref, ça bouge beaucoup et surtout ça bouge bien. Pour être honnête, je pense même qu'il y a ici un bon matériau de base pour une adaptation en film ou série animé-e.
Malheureusement, le second tome m'a un peu moins emballée. Cette fois-ci plus classique, plus rapide sur sa conclusion aussi, il m'a moins plu. La qualité est toujours là, le dessin de Victoria Ying est toujours aussi beau, et cette nouvelle ville d'Alexios a son esthétique qui la différencie un peu d'Oskars, mais les éléments s'enchaînent un peu trop vite, on nous introduit certaines choses un peu trop sans explications. Par exemple, là ou le premier album tenait à nous préciser qu'il n'y avait pas de magie (même si une ambiance très fantastique avec ces vestiges mécaniques), cette fois-ci on nous explique qu'il en existe en fait une. Et elle est très importante apparemment, parce que tout l'acte final tourne autour. Nos protagonistes brillent un peu moins par leur perspicacité, semblent moins entreprenants, mais il faut dire aussi que cette fois-ci iels ne jouent plus à domicile, devant survivre dans une ville qui leur est inconnue (ou presque, Hannah la connait un peu). Mais la morale de fin de cette série semblant être la paix et l'harmonie, on peut comprendre qu'Ever et Hannah soient légèrement mis en retrait, afin d'aussi mettre en avant d'autres personnages avec qui il faudra bien sûr s'allier. Le message de fin sur l'harmonie est d'ailleurs un peu trop "sucré" sur la forme je pense, mais il reste louable.
La série reste bien, même si le deuxième tome ne m'a pas semblé à la hauteur du premier.
Bonne aventure jeunesse.
(Note réelle 3,5)
Je n'ai rien à ajouter à l'avis de Grogro : Vous devez lire cette BD pour deux raisons :
- ça vous tire les larmes
- c'est d'utilité publique.
Comment le désir irrationnel de profit peut-il mettre à bas les petits vies pauvres et paisibles de centaines de milliers de personnes et de millions d'animaux, sans parler des écosystèmes tout entiers ? On voit le costard de René Dumont agronome, qui soutient dans la première partie de sa vie l'augmentation attendue de la productivité et se rend compte qu'il n'obtient que la mort des sols et donc de la potabilité de l'eau....et se présent aux élections en 1974.
Toutes ces femmes restées seules après la guerre qui se font rouler dans la farine, voient leurs fils se faire tabasser par la gendarmerie, les méandres de leurs rivières rectifiées à coup de tractopelles, leurs pommiers arrachés... Les voisins qui se déchirent (les uns pour et les autres contre) pour le profit des actionnaires...
Apparemment il y a peu de publications sur ce sujet , pourtant c'est vraiment le nœud de l'agriculture paysanne qui a été tranché pour fabriquer du gluten, des protéines animales, et végétales, et l'industrie agro-alimentaire, et mettre tout le monde en ville... Et maintenant quoi ? ce système performant n'est pas résiliant : en arrière toute !
Il faut peut-être un peu de temps pour entrer dans le récit, mais le trait dynamique de N. Gobbi, et surtout l'humour du scénario de S. Laliberté font de ce roman graphique un voyage très intéressant dans la tête des archéologues. J'ai vraiment beaucoup aimé voir comment se faisait la construction du savoir et de la recherche dans cette discipline dont on entend souvent parler, mais dont on ne sait pas vraiment comment les archéologues travaillent ! Non, vraiment très sympa, et on découvre aussi à quoi servait les cerfs volants (franchement c'est étonnant et assez fascinant), et puis il y a les histoire de plans d'architecture à l'échelle les plus anciens, ça c'est assez fou quand même ! Voilà, une bédé que je recommande chaudement !
Allez, je fais remonter la moyenne de cet album. Comme je l’explique déjà dans mon avis sur Histoire de la Grande Chartreuse en BD, j’ai grandi au pied de la Chartreuse, et la liqueur verte au cœur de cette histoire occupe une place importante dans ma vie, et ce depuis mon enfance : « Mal au cœur ? Quelques gouttes de Chartreuse sur un sucre te feront du bien ». Ah, c’était une autre époque. Elle se trouve aussi dans certains chocolats produits localement, se rajoute dans le chocolat chaud pour se réchauffer les pieds après le ski… bref, elle est partout !
Le scenario de Laurent Bidot raconte parfaitement l’histoire compliquée et la longue gestation du fameux digestif, dont la recette a été perdue, retrouvée, et adaptée moultes fois au cours des siècles… passionnant pour le régional que je suis.
Par contre comme le dit canarde dans son avis, l’auteur a choisi de greffer à son récit une enquête moderne pas vraiment palpitante… j’aurais à titre personnel préféré que les pages soient utilisées pour développer l’aspect historique. Bon, rien de grave, ça n’a pas gâché ma lecture.
La mise en image est un peu académique, mais sert parfaitement le récit. La Grande-Chartreuse et ses alentours sont superbement représentés.
Une note un peu généreuse, mais qui représente vraiment mon engouement pour cette boisson, et les moines et montagnes qui lui sont associés.
L’histoire de Lanfeust de Troy m’a vraiment transporté. Dès les premières pages, on entre dans un monde incroyable, plein de magie, d’aventures et d’humour. L’intrigue est très bien pensée, avec des moments de tension, des surprises et un rythme qui ne faiblit jamais. J’ai pris un vrai plaisir à suivre Lanfeust dans ses aventures, et je voulais toujours savoir ce qui allait lui arriver ensuite. Tout s’enchaîne naturellement, et chaque chapitre m’a laissé avec l’envie d’en lire plus.
Ce que j’ai adoré dans cette bande dessinée, c’est la façon dont elle mélange des thèmes légers et des sujets plus profonds. Il y a beaucoup de magie, d’amitié et de quête héroïque, mais aussi des réflexions sur le pouvoir, la responsabilité et même la nature humaine. C’est un univers riche où tout le monde peut trouver quelque chose qui lui parle. J’ai aimé la façon dont ces thèmes sont abordés avec humour et légèreté, sans jamais être trop sérieux.
Les personnages sont vraiment le coeur de cette BD. Lanfeust est drôle et attachant, et ses compagnons sont tous uniques. Cixi, Hébus, Nicolède… chacun a sa personnalité, ses forces et ses faiblesses. J’ai beaucoup ri avec eux, et parfois, j’ai même eu un pincement au coeur en voyant ce qu’ils traversaient. Ce que j’ai préféré, c’est que les personnages évoluent au fil de l’histoire. On s’attache à eux parce qu’ils sont humains, avec leurs bons côtés comme leurs défauts.
Les illustrations sont tout simplement magnifiques. Chaque page est un vrai plaisir à regarder. Les décors sont riches en détails, et le monde de Troy prend vie sous nos yeux. Les personnages sont expressifs, et les scènes d’action sont dynamiques et claires. Les couleurs ajoutent une ambiance unique, que ce soit dans les moments légers ou dans les scènes plus intenses. Tout est soigné, et on sent que chaque dessin a été pensé avec soin.
Entre l’histoire pleine de rebondissements, les thèmes intéressants, les personnages attachants et les dessins superbes, j’ai adoré chaque moment passé avec cette BD. Je la recommande à tous ceux qui aiment les aventures pleines d’imagination et de magie.
Difficile d'être parfaitement objectif sur cette bande dessinée... L'histoire des carmélites de Compiègne est bien connue depuis que Bernanos en a tiré sa célèbre pièce de théâtre Le Dialogue des Carmélites, adapté à l'opéra (par Poulenc) et au cinéma. C'est surtout un des récits les plus poignants que je connaisse, et quel que soit le média par lequel je redécouvre cette histoire, j'en ressors toujours sous le coup d'une émotion difficilement contrôlable.
Il est donc évident que cette bande dessinée a pas mal de défauts. Le principal est pour moi à trouver au niveau de la narration. Non que les auteurs aient mal synthétisé cette histoire, ils s'en sortent plutôt honorablement (même si j'aurais parfois fait certains choix différents), mais on trouve régulièrement des phylactères qui chevauchent la case du dessus, comme s'il n'y avait pas assez de place dans cette bande dessinée pour y mettre tous les dialogues. Le problème est que parfois, on ne sait plus si on doit lire le phylactère au moment où on lit le strip du dessus ou du dessous. C'est un peu du détail, mais ça gêne régulièrement la fluidité de lecture.
L'autre petit reproche que je ferai sur la forme à cette bande dessinée, c'est qu'elle a tendance à multiplier inutilement les astérisques. C'est souvent intéressant, car cela apporte une information sur les sources historiques ou le contexte de l'époque, mais il y aurait souvent eu moyen de caser l'information délivrée dans une ligne supplémentaire de dialogue.
Sur le fond, à titre personnel, je n'aurais pas grand-chose à redire. Toutefois, il est probablement utile de préciser qu'on est face à une bande dessinée catholique adressée en priorité à un public catholique, les éditions Plein Vent semblant être spécialisées dans ce type de créneau qu'occupent également les Éditions du Triomphe (pas uniquement des oeuvres religieuses, donc, mais on perçoit bien leur ligne éditoriale). Rien de gravissime, ça ne signifie pas qu'un lecteur non catholique restera sur le carreau, mais il trouvera sans doute peu d'intérêt dans la plupart des dialogues, qui tournent essentiellement autour de la notion de sacrifice (d'holocauste, au sens religieux du terme, exactement), des persécutions de la Terreur envers l'Église, et de la fidélité à ses vœux religieux.
La portée du récit va toutefois bien au-delà de son aspect religieux, et ce qui me saisit le plus à chaque fois, personnellement, c'est le courage et la force incroyables de ces seize femmes résistant à l'oppression révolutionnaire. Je suis toujours fasciné par cet esprit de douceur et d'humilité qu'elles opposèrent à la brutalité de ces hommes qui voulaient leur enlever leur liberté au nom de... la liberté, justement. On comprend que la vocation religieuse et le fait d'aller s'enfermer dans un cloître loin du monde puisse étonner voire choquer la conscience d'hommes non religieux. Mais il est odieux de penser qu'on ait pu vouloir interdire à des femmes ayant fait ce choix librement et sans contrainte de continuer à vivre comme elles l'entendaient. Alors imaginer qu'on ait pu aller jusqu'au meurtre, et les exécuter en place publique uniquement pour cette raison est quelque chose qui dépasse mon entendement. Encore une de ces innombrables contradictions de cette Révolution française, dont les actes furent rarement accordés au discours...
Bref, on comprendra donc que mon attachement à cette bande dessinée porte probablement davantage au sujet dont elle traite qu'aux qualités intrinsèques de l'album. J'apprécie toutefois la rigueur historique dont font preuve les auteurs en plaçant le plus souvent possible dans la bouche de leurs personnages des dialogues qu'on sait authentiques et en citant leurs sources (l'épisode étant fort bien documenté, ce qui laisse peu de place au doute et à l'interprétation).
Malgré ses défauts de narration, j'ai tout de même été particulièrement séduit par le dessin de Fabrizio Russo, qui est vraiment magnifique. On est habitué au style réaliste toujours un peu maladroit de ces bandes dessinées biographiques typiques des éditions catholiques comme le Triomphe ou Plein Vent, mais ici, Russo sait lui insuffler une âme supplémentaire, qui change beaucoup de choses. C'est très vivant, souvent trop coloré, mais on s'y croit. Et certains passages de la narration visuelle confinent à l'excellence. Mention spéciale à cette mise en parallèle de deux cases : l'une où la religieuse est allongée les bras en croix par terre le jour de ses voeux religieux (symbole de sa mort au monde pour renaître à la vie religieuse) et l'autre où elle est allongée la tête sous la guillotine... Magnifique.
Voilà donc une lecture que je ne recommande pas à tout le monde, au vu de la portée religieuse de son sujet et de sa manière de le raconter, il est nécessaire d'avoir quelque appétence pour ce genre de récit. Pour ma part, j'ai tout de même ressenti la même émotion qu'à la lecture/vision de chacune des oeuvres traitant des carmélites de Compiègne, et je trouve toujours louable qu'on continue encore aujourd'hui à raconter l'histoire de ces femmes qui surent préserver leur foi et leur liberté jusque dans la mort. Les injustices terribles qu'elles ont subies leur méritent de ne pas sombrer dans l'oubli.
J’ai trouvé que l’histoire de Cours Particuliers était vraiment décalée et pleine d’humour. Ce n’est clairement pas un manga à prendre au sérieux, mais plutôt une suite de situations absurdes et provocantes. Les deux profs, Mayumi et Miki, s’amusent à explorer des scénarios complètement fous où elles enseignent des “cours particuliers” très spéciaux. C’est osé, parfois choquant, mais toujours raconté avec un ton léger. Même si ça ne brille pas par une intrigue profonde, j’ai bien rigolé en suivant leurs péripéties.
Ce manga joue clairement avec des fantasmes exagérés, mais il apporte aussi une touche d’humour qui m’a surpris. Les scènes sont très explicites, parfois extrêmes, et montrent une sexualité sans filtre. Ce qui m’a plu, c’est l’idée que les femmes prennent le contrôle tout au long des histoires. On est loin des clichés où elles sont soumises, et ça change agréablement. Par contre, certaines scènes vont très loin et peuvent mettre mal à l’aise, mais elles restent dans l’esprit volontairement provocateur du manga.
Mayumi et Miki sont complètement déjantées. Ce sont des profs qui n’ont aucun filtre et qui adorent dominer leurs élèves d’une manière plutôt originale. Ce duo est à la fois drôle et dérangeant, mais elles sont bien écrites pour ce type de manga. Les élèves sont un peu des victimes consentantes et certains moments avec le jeune homme “très bien équipé” m’ont vraiment fait sourire. Les personnages secondaires sont peu développés, mais ce n’est pas gênant pour ce genre d’histoire.
Le style de dessin est assez old school, mais ça fonctionne bien. Les personnages féminins sont exagérés, avec des formes très généreuses et un style qui attire l’attention. Les scènes sont très détaillées, ce qui est un point fort pour ce type de manga. Par contre, les décors sont presque absents, ce qui peut être un peu répétitif. Malgré ça, j’ai trouvé que les expressions des personnages et certaines mises en page pleine page rendaient le tout très vivant.
Il a pris en photo des fantômes…
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Ce tome contient une histoire complète, qui libère plus de saveurs pour le lecteur familier de la série Comanche, de Greg (Michel Regnier, 1931-1999) & Hermann (Hermann Huppen). Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Romain Renard, pour le scénario, les dessins, les nuances de gris, et les références musicales. Il comprend cent-quarante-huit pages de bande dessinée.
En Californie, un cavalier fait avancer son cheval au pas, dans le bord de l’océan, sur une plage déserte. Une voiture emprunte la route sinueuse de la côte. En traversant une ville, la conductrice arrête son véhicule à la station-service Texaco. Elle pénètre dans la boutique et elle demande si les pompes sont ouvertes, tout en se massant délicatement son ventre bien arrondi. Le pompiste sort à l’extérieur pour lui faire le plein, alors que les deux clients se remettent au comptoir pour finir leur consommation. Tout en faisant le plein, le pompiste indique que c’est rare de voir des automobilistes étrangers par ici, et des dames dans son état. Elle explique qu’elle est ici pour le travail : elle cherche un certain Cole Hupp. Il lui demande si elle est de la famille, ou peut-être de la police. Elle explicite qu’elle cherche juste à le joindre pour son travail. À sa demande, elle sort une carte et il indique le chemin à suivre : faut descendre la route 1 le long de la côte, puis prendre l’embranchement à Tinder Cove, là il y a une petite route qui s’enfonce dans les bois, et la maison se trouve au bout du chemin. Arrivée sur place, Vivienne Bosch descend de voiture et demande à l‘homme en train de couper du bois si elle est bien chez monsieur Hupp, ou peut-être Red Dust.
Vivienne Bosch se présente et elle explique qu’elle travaille pour la bibliothèque du Congrès. Elle est historienne, elle collecte les témoignages des dernières personnes vivantes ayant connu l’âge du Wild West. Elle aimerait l’interviewer, et tout en discutant elle sort une photographie d’un dossier, qu’elle laisse tomber à terre dans un faux mouvement. Elle le ramasse, alors que son interlocuteur lui dit qu’elle se trompe de bonhomme. Elle lui montre le cliché, il date de l’époque du ranch Triple 6. Il répond que ce n’est pas lui, et qu’elle ferait mieux de s’adresser directement aux gens qu’elle cherche plutôt que de venir le déranger. Avec un petit sourire en coin, elle lui demande s’il ne veut pas savoir ce qu’est devenue Comanche. Il la chasse de chez lui en la menaçant avec sa hache. Elle repart. Il rentre dans sa cabane, tout en se demandant pourquoi ils ne répondent pas au ranch. Derrière lui, le spectre d’un cowboy avec son arme à la main lui fait observer que c’est bizarre qu’ils ne répondent pas, et lui demande s’il y a des souvenirs qui remontent. Le lendemain, l’homme se rend en ville et entre dans la boutique Texaco pour demander un appel téléphonique au ranch Triple 6. Personne ne décroche à l’autre bout. Il demande alors un livre avec les horaires de train, et il commence à l’étudier. En ressortant, il tombe sur Vivienne Bosch en train de mettre sa valise dans son coffre. Il aide cette femme enceinte.
Le titre promet de revoir Comanche, le personnage principal de la série du même nom, quinze tomes de 1972 à 2002, avec un scénario de Greg (avec Rodolphe pour la fin du tome 15), et des dessins d’Hermann (tomes 1 à 10), puis de Michel Rouge (tomes 11 à 15). En effet, le lecteur retrouve l’un des personnages principaux : Red Dust, qui a pris le nom de Cole Hupp et qui a vieilli puisque la présente histoire se déroule 1930 (comme en atteste une pierre tombale en page cent-onze). Avec l’impulsion de la bibliothécaire, il entreprend un voyage qui va le mener de la côte californienne au Wyoming, où se trouve le ranch Triple 6. Il sera question de Comanche (Verna Fremont), et aussi Clem Ryan, de Toby et de Tache-de-Lune, un de ces personnages jouant un rôle dans le récit. Le lecteur familier de la série reprend ainsi contact avec un des personnages principaux, et il lui tarde de retrouver les autres, de savoir ce qu’ils sont devenus. L’auteur a également pensé au lecteur néophyte : l’histoire se suffit à elle-même, y compris pour celui qui n’a jamais ouvert un tome de la série initiale ou qui n’en a jamais entendu parler. Le fil directeur s’avère d’une remarquable clarté : un voyage pour rallier le ranch Triple 6 où personne ne répond au téléphone. La jeune bibliothécaire enceinte essaye de faire œuvre de mémoire en recueillant des informations auprès d’une personne qui a vécu cette époque, alors que Cole Hupp / Red Dust est un vieil homme mutique et peu commode.
La couverture promet un récit de vengeance ou de règlement de compte, avec usage d’armes à feu. La première planche impressionne d’entrée de jeu : une illustration en pleine page, avec une impression de photographie. Celle-ci provient de la texture de la plage, de la légère brume, de l’exactitude de la silhouette des arbres. Régulièrement, le lecteur jurerait que l’artiste s’est servi d’une photographie comme fond de sa case, ou même comme support de composition de tout un dessin : la forêt autour de la cabane avec la texture d’écorce des très hauts arbres, les voitures dans la grand rue, les poteaux télégraphiques, une carte routière, une vue aérienne de la route serpentant dans la vallée, un pistolet, des images d’un film du genre Western, la file ininterrompue de voitures sur une route (des paysans fuyant l’ouragan qui approche), le nuage de poussière soulevé par un cyclone, la très surprenante pièce transformée en musée dans le ranch Triple 6, etc. Dans le même temps, le lecteur voit bien que ces images à l’allure photographique s’intègrent trop parfaitement dans le récit pour n’être que le réemploi de clichés existants, et qu’il ne peut s’agir que de constructions graphiques fort sophistiquées. Le lecteur retrouve tout ce qui fait la spécificité de cet artiste, par exemple dans sa série Melvile (trois tomes et un hors-série, 2013-2022).
L’artiste a choisi de faire ressortir les personnages par rapport aux décors, en les détourant d’un trait fin et simple, accentuant ainsi le contraste avec des arrière-plans évoquant régulièrement la photographie. Cela confère plus de vie aux personnages, tout en les rendant également plus fragiles, en particulier le vieil homme Red Dust, et la jeune femme enceinte. Le lecteur constate rapidement que le dessinateur tire parti du fait qu’il soit l’auteur complet de cette bande dessinée. Il peut ainsi moduler le ratio entre informations portées par les dialogues et informations portées exclusivement par les cases. Ainsi, il réalise quarante-deux pages totalement dépourvues de texte, laissant les images raconter l’histoire, instaurant des temps de silence entre les personnages perdus dans leurs pensées, dans leurs réminiscences. Le lecteur voit bien que Cole Hupp n’est pas très causant, et Vivienne Bosch se heurte à son caractère de solitaire. De son côté, le lecteur s’interroge sur ce à quoi ils peuvent penser chacun de leur côté durant ces longs trajets en voiture. Cette forme de narration a également pour effet de donner à voir le paysage, la manière dont il affecte les pensées des personnages, de ce qui vivent dans ces environnements.
Le scénariste a choisi une construction de récit très simple et linéaire : le voyage de la Californie jusqu’au ranch Triple 6 dans le Wyoming. Les deux voyageurs sont amenés à s’arrêter de temps à autre : pour manger, pour faire le plein, pour faire face à une panne, pour aller saluer un ancien ami. Chaque arrêt permet de voir comment se comporte Red Dust : retrouvant la superbe de sa jeunesse devant deux jeunes hommes essayant de draguer Vivienne dans un bar, discutant du bon vieux temps avec un ancien du ranch Triple, assistant pour la première fois de sa vie à la projection d’un film (The big trail, 1930, La piste des géants, de Raoul Walsh, avec John Wayne), partageant le repas d’un couple de rednecks, découvrant qui se trouve au ranch Triple 6. Et bien sûr l’évolution de sa relation avec sa conductrice Vivienne Bosch au fur et à mesure des jours qui passent. Bien sûr, la perspective de l’enfant à naître s’oppose avec la vieillesse de Red Dust, une époque qui disparaît et qui doit laisser la place à une nouvelle génération.
Le lecteur peut anticiper quelques-uns des thèmes qui vont être abordés : la nostalgie d’une époque révolue, une nouvelle ère qui n’a que faire de la précédente et de ses survivants devenus des reliques d’un autre temps, une partie de la mythologie de l’Ouest américain. Tout cela est bien présent, et bien plus encore, avec une sensibilité remarquable, dont l’auteur avait déjà fait preuve en s’associant avec la poétesse Kateri Lemmens pour Passer l’hiver (2022). Le passé est révolu et un Amérindien le constate avec violence alors qu’un photographe lui demande de revêtir sa tenue traditionnelle, et cet ancien du ranch Triple 6 éprouve la sensation que l’autre a pris en photo des fantômes. Red Dust le constate avec amertume : que ce soit les paysans abandonnant leur terre devenue stérile à force d’avoir été exploitées, ou les incendies qui ravagent la Californie, les ouragans qui ravagent le Wyoming, l’absence de bétail dans le ranch, etc. L’auteur va plus loin : lors de ce voyage, il est évoqué un pays ravagé par les catastrophes naturelles, une facette du rêve américain (le mythe de se faire tout seul, d’abord évoqué par Vivienne Bosch, puis par le propriétaire du ranch Triple 6), la réalité historique du Wild West (des hommes essayant de trouver des emplois rémunérés, des propriétaires terriens derrière leur bureau), la misère, et le cercle de la violence. Celle-ci est mise en scène et évoquée par la citation du verset quinze du livre L’Ecclésiaste : Ce qui a déjà été, et ce qui est à venir est déjà arrivé, et Dieu ramène ce qui est passé. D’une manière très délicate, l’auteur aborde également le regret associé à ce qui aurait pu être, ainsi que la souffrance engendrée par le manque de culture, par le biais d’un extrait d’un sonnet (CXLV-71) de Shakespeare, appris par cœur.
Le dernier chapitre d’une série débutée dans les années 1970, par un autre auteur, dans un registre différent. L’auteur parvient à réaliser un récit qui parle aussi bien au lecteur de la série initiale Comanche, qu’à celui qui n’en a jamais entendu parler. La narration visuelle apparaît immédiatement très personnelle, mêlant apparences quasi photographiques et des détourages classiques avec un trait fin, faisant la part belle à une narration portée uniquement par les dessins. Ce voyage en voiture fait se côtoyer un vieil homme, ancien porte-flingue, et une jeune bibliothécaire, ramenant à la surface de vieux souvenirs, le constat du temps qui passe, d’une époque révolue, de regrets, de régions sinistrées, de l’importance vitale de la poésie. Inoubliable.
Ce manga a été à l'origine publié sur internet par petits chapitres (bon, techniquement il est toujours sur la toile et est toujours en cours), et est rapidement devenu un véritable phénomène. Je suivais sa publication à l'origine sur le compte twitter de l'artiste et n'arrivais à comprendre que grâce à la générosité et le travail de traducteur-ice-s amateur-ice-s (un grand merci à toutes ces personnes, d'ailleurs). Alors quand j'ai vu que ce manga allait être publié dans nos vertes contrées l'année dernière, j'ai bondi sur l'occasion de me l'acheter.
Bon, en vrai non, je ne l'ai pas acheté tout de suite, j'avais bien trop peur d'un petit phénomène auquel j'ai trop souvent fait face dans ma vie : les traductions hasardeuses. Pour une raison inconnue j'ai souvent constaté que les yuris ne recevaient pas les meilleurs soins au niveau de leurs traductions, et j'ai souvent fini avec des dialogues comiques qui sonnaient poussifs et des langages et expressions courants traduits dans un patois qui, sans aucune doute, avaient dû être écrit par un-e quadragénaire un peu coupée des us et coutumes du langage moderne (je parle dans ce cas précis de personnages censés être jeunes dans le texte).
Fort heureusement, ici, mes peurs étaient infondées, la traduction est bonne. Le texte respecte bien les émotions, l'intensité de certaines scènes et le langage semble bien en accord avec ces jeunes lycéennes. Le tout fait vivant, c'est tout ce que j'attendais.
Je parle de techniques et d'erreurs (ou plutôt d'absence d'erreur dans le cas présent), mais quid du récit ?
Il est bon, là aussi. Au début, le sel de l'histoire est qu'Aya, jeune lycéenne populaire et extravertie, développe un crush sur le beau disquaire du magasin de musique qu'elle fréquente après les cours, sans savoir que ce beau gosse est en réalité sa voisine de classe, Mitsuki, jeune fille aux tendances malheureusement asociales. Sauf qu'en réalité ce quiproquo ne dure pas si longtemps que ça, le récit muant et se centrant davantage sur la relation de ces deux jeunes filles, devenant rapidement amies (même si Aya, ayant toujours le béguin, et même chaque jour davantage, aimerait sans doute quelque chose de plus) et se rejoignant malgré toutes leurs différences apparentes sur leur passion commune : le rock ! Eh oui, ici pas que du sentiment et de la romance, on nous parle aussi d'amour de la musique. Foo Fighters, Red Hot Chilli Peppers, Nirvana, ... L'auteur-ice se fait plaisir à parler de son genre musical préféré et l'engouement des personnages est contagieux.
L'oncle de Mitsuki, tenant de la boutique de disque, est lui aussi un personnage assez touchant. La scène où lui et ses ami-e-s se revoient dans leur jeunesse en écoutant Aya et Mitsuki parler est très belle.
Un mot également sur le dessin, très joli et marqué avec cette belle bichromie noire et verte. Le dessin de Sumiko Arai est très beau (et iel se permet plusieurs fois des gros plans, des poses et des compositions de cases assez chiadées) et je le trouve ici encore mieux travaillé que dans ses précédentes créations, mais c'est vraiment cette bichromie si identifiable qui marque la forme de cette œuvre.
Vraiment une bonne série, chaudement recommandée de mon côté (et en plus la VF est bien !).
Un succès amplement mérité selon moi.
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Whisky San
Un petit avis rapide pour conforter la bonne côte de cet album. Mon ressenti serait plus proche du 3,5 mais je bonifie de bon cœur tant l’exercice m’a semblé réussi. Je suis un grand amateur de whisky, Masataka Taketsuru ne m’était pas inconnu et je connaissais dans les grandes lignes son histoire … et malgré tout ça, j’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir cette bd. La partie graphique m’a d’emblée convenu, on y remarque bien quelques imperfections mais elle sied parfaitement au récit, lui ajoutant même une belle plus-value. On dévore facilement les plus de 100 pages. Sympa. Mais la vrai surprise, vraiment agréable qui plus est, va vraiment pour la façon de raconter le parcours de notre rêveur japonais. L’histoire est belle mais elle est ici sublimée façon fresque romanesque (mais sans en faire trop). Malgré de nombreux bons temporels, ça reste fluide et les périodes explorées sont judicieuses et intéressantes (je minorais pas mal d’obstacles rencontrés). J’ai aimé connaître la rivalité entre les 2 grandes maisons du whisky japonais par ex. Non vraiment bien construit, on ressent même ce petit moment d’émotions à la toute fin lors de la reconnaissance. Finalement, le seul gros défaut décelé est de donner envie de boire un de ces breuvages maltés de l’île du soleil levant … et si je leurs reconnais de grandes qualités, ils ont malheureusement été victimes de leurs immense succès, leurs prix sont maintenant tout simplement excessifs. Petit coup de gueule perso !! mais ça n’enlève en rien à la lecture ;)
La Cité des secrets (Ying)
La Cité des secrets, c'est une agréable série d'aventure jeunesse en deux tomes. Le premier tome se déroule à Oskars, une gigantesque ville construite sur plusieurs étages et où chaque strate catégorise une tranche différente de la population, les plus fortuné-e-s se trouvant bien évidemment dans les étages supérieurs. On y suit Ever, un jeune orphelin protégeant un secret et fuyant d'étranges personnes souhaitant sa mort, ainsi que Hannah, une riche jeune fille du dernier étage dont la curiosité va faire croiser la route d'Ever. Ensemble, iels vont essayer de percer les mystères de cette étrange cité, en tentant tant bien que mal de survivre face aux affrontements d'une organisation secrète et d'un syndicat d'assassins. Ce premier album part sur une base simple mais arrive à donner une fraîcheur et un charme très sympathique à son résultat. Cette gigantesque ville mécanique dans laquelle sont dissimulés de nombreux leviers et boutons secrets est fascinante et donne sincèrement envie d'être explorée. Le mystère est prenant, le tension marche, il y a un petit côté "Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire" avec ces organisations secrètes aux signes étranges tirant les ficelles dans l'ombre et se tirant des bâtons dans les roues, ... Mais cet album brille surtout à mes yeux pour son découpage de l'action et sa représentation des mouvements. La ville bouge sans cesse, par ses mécanismes activant et déplaçant des plateformes, à l'horizontale comme à la verticale, les personnages qui s'affrontent le font avec une aisance et une grâce qui me ferait presque penser à de la danse, … Bref, ça bouge beaucoup et surtout ça bouge bien. Pour être honnête, je pense même qu'il y a ici un bon matériau de base pour une adaptation en film ou série animé-e. Malheureusement, le second tome m'a un peu moins emballée. Cette fois-ci plus classique, plus rapide sur sa conclusion aussi, il m'a moins plu. La qualité est toujours là, le dessin de Victoria Ying est toujours aussi beau, et cette nouvelle ville d'Alexios a son esthétique qui la différencie un peu d'Oskars, mais les éléments s'enchaînent un peu trop vite, on nous introduit certaines choses un peu trop sans explications. Par exemple, là ou le premier album tenait à nous préciser qu'il n'y avait pas de magie (même si une ambiance très fantastique avec ces vestiges mécaniques), cette fois-ci on nous explique qu'il en existe en fait une. Et elle est très importante apparemment, parce que tout l'acte final tourne autour. Nos protagonistes brillent un peu moins par leur perspicacité, semblent moins entreprenants, mais il faut dire aussi que cette fois-ci iels ne jouent plus à domicile, devant survivre dans une ville qui leur est inconnue (ou presque, Hannah la connait un peu). Mais la morale de fin de cette série semblant être la paix et l'harmonie, on peut comprendre qu'Ever et Hannah soient légèrement mis en retrait, afin d'aussi mettre en avant d'autres personnages avec qui il faudra bien sûr s'allier. Le message de fin sur l'harmonie est d'ailleurs un peu trop "sucré" sur la forme je pense, mais il reste louable. La série reste bien, même si le deuxième tome ne m'a pas semblé à la hauteur du premier. Bonne aventure jeunesse. (Note réelle 3,5)
Champs de Bataille - L'histoire enfouie du remembrement
Je n'ai rien à ajouter à l'avis de Grogro : Vous devez lire cette BD pour deux raisons : - ça vous tire les larmes - c'est d'utilité publique. Comment le désir irrationnel de profit peut-il mettre à bas les petits vies pauvres et paisibles de centaines de milliers de personnes et de millions d'animaux, sans parler des écosystèmes tout entiers ? On voit le costard de René Dumont agronome, qui soutient dans la première partie de sa vie l'augmentation attendue de la productivité et se rend compte qu'il n'obtient que la mort des sols et donc de la potabilité de l'eau....et se présent aux élections en 1974. Toutes ces femmes restées seules après la guerre qui se font rouler dans la farine, voient leurs fils se faire tabasser par la gendarmerie, les méandres de leurs rivières rectifiées à coup de tractopelles, leurs pommiers arrachés... Les voisins qui se déchirent (les uns pour et les autres contre) pour le profit des actionnaires... Apparemment il y a peu de publications sur ce sujet , pourtant c'est vraiment le nœud de l'agriculture paysanne qui a été tranché pour fabriquer du gluten, des protéines animales, et végétales, et l'industrie agro-alimentaire, et mettre tout le monde en ville... Et maintenant quoi ? ce système performant n'est pas résiliant : en arrière toute !
Sur les traces des archéologues
Il faut peut-être un peu de temps pour entrer dans le récit, mais le trait dynamique de N. Gobbi, et surtout l'humour du scénario de S. Laliberté font de ce roman graphique un voyage très intéressant dans la tête des archéologues. J'ai vraiment beaucoup aimé voir comment se faisait la construction du savoir et de la recherche dans cette discipline dont on entend souvent parler, mais dont on ne sait pas vraiment comment les archéologues travaillent ! Non, vraiment très sympa, et on découvre aussi à quoi servait les cerfs volants (franchement c'est étonnant et assez fascinant), et puis il y a les histoire de plans d'architecture à l'échelle les plus anciens, ça c'est assez fou quand même ! Voilà, une bédé que je recommande chaudement !
Le Secret de la Chartreuse
Allez, je fais remonter la moyenne de cet album. Comme je l’explique déjà dans mon avis sur Histoire de la Grande Chartreuse en BD, j’ai grandi au pied de la Chartreuse, et la liqueur verte au cœur de cette histoire occupe une place importante dans ma vie, et ce depuis mon enfance : « Mal au cœur ? Quelques gouttes de Chartreuse sur un sucre te feront du bien ». Ah, c’était une autre époque. Elle se trouve aussi dans certains chocolats produits localement, se rajoute dans le chocolat chaud pour se réchauffer les pieds après le ski… bref, elle est partout ! Le scenario de Laurent Bidot raconte parfaitement l’histoire compliquée et la longue gestation du fameux digestif, dont la recette a été perdue, retrouvée, et adaptée moultes fois au cours des siècles… passionnant pour le régional que je suis. Par contre comme le dit canarde dans son avis, l’auteur a choisi de greffer à son récit une enquête moderne pas vraiment palpitante… j’aurais à titre personnel préféré que les pages soient utilisées pour développer l’aspect historique. Bon, rien de grave, ça n’a pas gâché ma lecture. La mise en image est un peu académique, mais sert parfaitement le récit. La Grande-Chartreuse et ses alentours sont superbement représentés. Une note un peu généreuse, mais qui représente vraiment mon engouement pour cette boisson, et les moines et montagnes qui lui sont associés.
Lanfeust de Troy
L’histoire de Lanfeust de Troy m’a vraiment transporté. Dès les premières pages, on entre dans un monde incroyable, plein de magie, d’aventures et d’humour. L’intrigue est très bien pensée, avec des moments de tension, des surprises et un rythme qui ne faiblit jamais. J’ai pris un vrai plaisir à suivre Lanfeust dans ses aventures, et je voulais toujours savoir ce qui allait lui arriver ensuite. Tout s’enchaîne naturellement, et chaque chapitre m’a laissé avec l’envie d’en lire plus. Ce que j’ai adoré dans cette bande dessinée, c’est la façon dont elle mélange des thèmes légers et des sujets plus profonds. Il y a beaucoup de magie, d’amitié et de quête héroïque, mais aussi des réflexions sur le pouvoir, la responsabilité et même la nature humaine. C’est un univers riche où tout le monde peut trouver quelque chose qui lui parle. J’ai aimé la façon dont ces thèmes sont abordés avec humour et légèreté, sans jamais être trop sérieux. Les personnages sont vraiment le coeur de cette BD. Lanfeust est drôle et attachant, et ses compagnons sont tous uniques. Cixi, Hébus, Nicolède… chacun a sa personnalité, ses forces et ses faiblesses. J’ai beaucoup ri avec eux, et parfois, j’ai même eu un pincement au coeur en voyant ce qu’ils traversaient. Ce que j’ai préféré, c’est que les personnages évoluent au fil de l’histoire. On s’attache à eux parce qu’ils sont humains, avec leurs bons côtés comme leurs défauts. Les illustrations sont tout simplement magnifiques. Chaque page est un vrai plaisir à regarder. Les décors sont riches en détails, et le monde de Troy prend vie sous nos yeux. Les personnages sont expressifs, et les scènes d’action sont dynamiques et claires. Les couleurs ajoutent une ambiance unique, que ce soit dans les moments légers ou dans les scènes plus intenses. Tout est soigné, et on sent que chaque dessin a été pensé avec soin. Entre l’histoire pleine de rebondissements, les thèmes intéressants, les personnages attachants et les dessins superbes, j’ai adoré chaque moment passé avec cette BD. Je la recommande à tous ceux qui aiment les aventures pleines d’imagination et de magie.
Les Carmélites de Compiègne
Difficile d'être parfaitement objectif sur cette bande dessinée... L'histoire des carmélites de Compiègne est bien connue depuis que Bernanos en a tiré sa célèbre pièce de théâtre Le Dialogue des Carmélites, adapté à l'opéra (par Poulenc) et au cinéma. C'est surtout un des récits les plus poignants que je connaisse, et quel que soit le média par lequel je redécouvre cette histoire, j'en ressors toujours sous le coup d'une émotion difficilement contrôlable. Il est donc évident que cette bande dessinée a pas mal de défauts. Le principal est pour moi à trouver au niveau de la narration. Non que les auteurs aient mal synthétisé cette histoire, ils s'en sortent plutôt honorablement (même si j'aurais parfois fait certains choix différents), mais on trouve régulièrement des phylactères qui chevauchent la case du dessus, comme s'il n'y avait pas assez de place dans cette bande dessinée pour y mettre tous les dialogues. Le problème est que parfois, on ne sait plus si on doit lire le phylactère au moment où on lit le strip du dessus ou du dessous. C'est un peu du détail, mais ça gêne régulièrement la fluidité de lecture. L'autre petit reproche que je ferai sur la forme à cette bande dessinée, c'est qu'elle a tendance à multiplier inutilement les astérisques. C'est souvent intéressant, car cela apporte une information sur les sources historiques ou le contexte de l'époque, mais il y aurait souvent eu moyen de caser l'information délivrée dans une ligne supplémentaire de dialogue. Sur le fond, à titre personnel, je n'aurais pas grand-chose à redire. Toutefois, il est probablement utile de préciser qu'on est face à une bande dessinée catholique adressée en priorité à un public catholique, les éditions Plein Vent semblant être spécialisées dans ce type de créneau qu'occupent également les Éditions du Triomphe (pas uniquement des oeuvres religieuses, donc, mais on perçoit bien leur ligne éditoriale). Rien de gravissime, ça ne signifie pas qu'un lecteur non catholique restera sur le carreau, mais il trouvera sans doute peu d'intérêt dans la plupart des dialogues, qui tournent essentiellement autour de la notion de sacrifice (d'holocauste, au sens religieux du terme, exactement), des persécutions de la Terreur envers l'Église, et de la fidélité à ses vœux religieux. La portée du récit va toutefois bien au-delà de son aspect religieux, et ce qui me saisit le plus à chaque fois, personnellement, c'est le courage et la force incroyables de ces seize femmes résistant à l'oppression révolutionnaire. Je suis toujours fasciné par cet esprit de douceur et d'humilité qu'elles opposèrent à la brutalité de ces hommes qui voulaient leur enlever leur liberté au nom de... la liberté, justement. On comprend que la vocation religieuse et le fait d'aller s'enfermer dans un cloître loin du monde puisse étonner voire choquer la conscience d'hommes non religieux. Mais il est odieux de penser qu'on ait pu vouloir interdire à des femmes ayant fait ce choix librement et sans contrainte de continuer à vivre comme elles l'entendaient. Alors imaginer qu'on ait pu aller jusqu'au meurtre, et les exécuter en place publique uniquement pour cette raison est quelque chose qui dépasse mon entendement. Encore une de ces innombrables contradictions de cette Révolution française, dont les actes furent rarement accordés au discours... Bref, on comprendra donc que mon attachement à cette bande dessinée porte probablement davantage au sujet dont elle traite qu'aux qualités intrinsèques de l'album. J'apprécie toutefois la rigueur historique dont font preuve les auteurs en plaçant le plus souvent possible dans la bouche de leurs personnages des dialogues qu'on sait authentiques et en citant leurs sources (l'épisode étant fort bien documenté, ce qui laisse peu de place au doute et à l'interprétation). Malgré ses défauts de narration, j'ai tout de même été particulièrement séduit par le dessin de Fabrizio Russo, qui est vraiment magnifique. On est habitué au style réaliste toujours un peu maladroit de ces bandes dessinées biographiques typiques des éditions catholiques comme le Triomphe ou Plein Vent, mais ici, Russo sait lui insuffler une âme supplémentaire, qui change beaucoup de choses. C'est très vivant, souvent trop coloré, mais on s'y croit. Et certains passages de la narration visuelle confinent à l'excellence. Mention spéciale à cette mise en parallèle de deux cases : l'une où la religieuse est allongée les bras en croix par terre le jour de ses voeux religieux (symbole de sa mort au monde pour renaître à la vie religieuse) et l'autre où elle est allongée la tête sous la guillotine... Magnifique. Voilà donc une lecture que je ne recommande pas à tout le monde, au vu de la portée religieuse de son sujet et de sa manière de le raconter, il est nécessaire d'avoir quelque appétence pour ce genre de récit. Pour ma part, j'ai tout de même ressenti la même émotion qu'à la lecture/vision de chacune des oeuvres traitant des carmélites de Compiègne, et je trouve toujours louable qu'on continue encore aujourd'hui à raconter l'histoire de ces femmes qui surent préserver leur foi et leur liberté jusque dans la mort. Les injustices terribles qu'elles ont subies leur méritent de ne pas sombrer dans l'oubli.
Cours Particuliers
J’ai trouvé que l’histoire de Cours Particuliers était vraiment décalée et pleine d’humour. Ce n’est clairement pas un manga à prendre au sérieux, mais plutôt une suite de situations absurdes et provocantes. Les deux profs, Mayumi et Miki, s’amusent à explorer des scénarios complètement fous où elles enseignent des “cours particuliers” très spéciaux. C’est osé, parfois choquant, mais toujours raconté avec un ton léger. Même si ça ne brille pas par une intrigue profonde, j’ai bien rigolé en suivant leurs péripéties. Ce manga joue clairement avec des fantasmes exagérés, mais il apporte aussi une touche d’humour qui m’a surpris. Les scènes sont très explicites, parfois extrêmes, et montrent une sexualité sans filtre. Ce qui m’a plu, c’est l’idée que les femmes prennent le contrôle tout au long des histoires. On est loin des clichés où elles sont soumises, et ça change agréablement. Par contre, certaines scènes vont très loin et peuvent mettre mal à l’aise, mais elles restent dans l’esprit volontairement provocateur du manga. Mayumi et Miki sont complètement déjantées. Ce sont des profs qui n’ont aucun filtre et qui adorent dominer leurs élèves d’une manière plutôt originale. Ce duo est à la fois drôle et dérangeant, mais elles sont bien écrites pour ce type de manga. Les élèves sont un peu des victimes consentantes et certains moments avec le jeune homme “très bien équipé” m’ont vraiment fait sourire. Les personnages secondaires sont peu développés, mais ce n’est pas gênant pour ce genre d’histoire. Le style de dessin est assez old school, mais ça fonctionne bien. Les personnages féminins sont exagérés, avec des formes très généreuses et un style qui attire l’attention. Les scènes sont très détaillées, ce qui est un point fort pour ce type de manga. Par contre, les décors sont presque absents, ce qui peut être un peu répétitif. Malgré ça, j’ai trouvé que les expressions des personnages et certaines mises en page pleine page rendaient le tout très vivant.
Revoir Comanche
Il a pris en photo des fantômes… - Ce tome contient une histoire complète, qui libère plus de saveurs pour le lecteur familier de la série Comanche, de Greg (Michel Regnier, 1931-1999) & Hermann (Hermann Huppen). Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Romain Renard, pour le scénario, les dessins, les nuances de gris, et les références musicales. Il comprend cent-quarante-huit pages de bande dessinée. En Californie, un cavalier fait avancer son cheval au pas, dans le bord de l’océan, sur une plage déserte. Une voiture emprunte la route sinueuse de la côte. En traversant une ville, la conductrice arrête son véhicule à la station-service Texaco. Elle pénètre dans la boutique et elle demande si les pompes sont ouvertes, tout en se massant délicatement son ventre bien arrondi. Le pompiste sort à l’extérieur pour lui faire le plein, alors que les deux clients se remettent au comptoir pour finir leur consommation. Tout en faisant le plein, le pompiste indique que c’est rare de voir des automobilistes étrangers par ici, et des dames dans son état. Elle explique qu’elle est ici pour le travail : elle cherche un certain Cole Hupp. Il lui demande si elle est de la famille, ou peut-être de la police. Elle explicite qu’elle cherche juste à le joindre pour son travail. À sa demande, elle sort une carte et il indique le chemin à suivre : faut descendre la route 1 le long de la côte, puis prendre l’embranchement à Tinder Cove, là il y a une petite route qui s’enfonce dans les bois, et la maison se trouve au bout du chemin. Arrivée sur place, Vivienne Bosch descend de voiture et demande à l‘homme en train de couper du bois si elle est bien chez monsieur Hupp, ou peut-être Red Dust. Vivienne Bosch se présente et elle explique qu’elle travaille pour la bibliothèque du Congrès. Elle est historienne, elle collecte les témoignages des dernières personnes vivantes ayant connu l’âge du Wild West. Elle aimerait l’interviewer, et tout en discutant elle sort une photographie d’un dossier, qu’elle laisse tomber à terre dans un faux mouvement. Elle le ramasse, alors que son interlocuteur lui dit qu’elle se trompe de bonhomme. Elle lui montre le cliché, il date de l’époque du ranch Triple 6. Il répond que ce n’est pas lui, et qu’elle ferait mieux de s’adresser directement aux gens qu’elle cherche plutôt que de venir le déranger. Avec un petit sourire en coin, elle lui demande s’il ne veut pas savoir ce qu’est devenue Comanche. Il la chasse de chez lui en la menaçant avec sa hache. Elle repart. Il rentre dans sa cabane, tout en se demandant pourquoi ils ne répondent pas au ranch. Derrière lui, le spectre d’un cowboy avec son arme à la main lui fait observer que c’est bizarre qu’ils ne répondent pas, et lui demande s’il y a des souvenirs qui remontent. Le lendemain, l’homme se rend en ville et entre dans la boutique Texaco pour demander un appel téléphonique au ranch Triple 6. Personne ne décroche à l’autre bout. Il demande alors un livre avec les horaires de train, et il commence à l’étudier. En ressortant, il tombe sur Vivienne Bosch en train de mettre sa valise dans son coffre. Il aide cette femme enceinte. Le titre promet de revoir Comanche, le personnage principal de la série du même nom, quinze tomes de 1972 à 2002, avec un scénario de Greg (avec Rodolphe pour la fin du tome 15), et des dessins d’Hermann (tomes 1 à 10), puis de Michel Rouge (tomes 11 à 15). En effet, le lecteur retrouve l’un des personnages principaux : Red Dust, qui a pris le nom de Cole Hupp et qui a vieilli puisque la présente histoire se déroule 1930 (comme en atteste une pierre tombale en page cent-onze). Avec l’impulsion de la bibliothécaire, il entreprend un voyage qui va le mener de la côte californienne au Wyoming, où se trouve le ranch Triple 6. Il sera question de Comanche (Verna Fremont), et aussi Clem Ryan, de Toby et de Tache-de-Lune, un de ces personnages jouant un rôle dans le récit. Le lecteur familier de la série reprend ainsi contact avec un des personnages principaux, et il lui tarde de retrouver les autres, de savoir ce qu’ils sont devenus. L’auteur a également pensé au lecteur néophyte : l’histoire se suffit à elle-même, y compris pour celui qui n’a jamais ouvert un tome de la série initiale ou qui n’en a jamais entendu parler. Le fil directeur s’avère d’une remarquable clarté : un voyage pour rallier le ranch Triple 6 où personne ne répond au téléphone. La jeune bibliothécaire enceinte essaye de faire œuvre de mémoire en recueillant des informations auprès d’une personne qui a vécu cette époque, alors que Cole Hupp / Red Dust est un vieil homme mutique et peu commode. La couverture promet un récit de vengeance ou de règlement de compte, avec usage d’armes à feu. La première planche impressionne d’entrée de jeu : une illustration en pleine page, avec une impression de photographie. Celle-ci provient de la texture de la plage, de la légère brume, de l’exactitude de la silhouette des arbres. Régulièrement, le lecteur jurerait que l’artiste s’est servi d’une photographie comme fond de sa case, ou même comme support de composition de tout un dessin : la forêt autour de la cabane avec la texture d’écorce des très hauts arbres, les voitures dans la grand rue, les poteaux télégraphiques, une carte routière, une vue aérienne de la route serpentant dans la vallée, un pistolet, des images d’un film du genre Western, la file ininterrompue de voitures sur une route (des paysans fuyant l’ouragan qui approche), le nuage de poussière soulevé par un cyclone, la très surprenante pièce transformée en musée dans le ranch Triple 6, etc. Dans le même temps, le lecteur voit bien que ces images à l’allure photographique s’intègrent trop parfaitement dans le récit pour n’être que le réemploi de clichés existants, et qu’il ne peut s’agir que de constructions graphiques fort sophistiquées. Le lecteur retrouve tout ce qui fait la spécificité de cet artiste, par exemple dans sa série Melvile (trois tomes et un hors-série, 2013-2022). L’artiste a choisi de faire ressortir les personnages par rapport aux décors, en les détourant d’un trait fin et simple, accentuant ainsi le contraste avec des arrière-plans évoquant régulièrement la photographie. Cela confère plus de vie aux personnages, tout en les rendant également plus fragiles, en particulier le vieil homme Red Dust, et la jeune femme enceinte. Le lecteur constate rapidement que le dessinateur tire parti du fait qu’il soit l’auteur complet de cette bande dessinée. Il peut ainsi moduler le ratio entre informations portées par les dialogues et informations portées exclusivement par les cases. Ainsi, il réalise quarante-deux pages totalement dépourvues de texte, laissant les images raconter l’histoire, instaurant des temps de silence entre les personnages perdus dans leurs pensées, dans leurs réminiscences. Le lecteur voit bien que Cole Hupp n’est pas très causant, et Vivienne Bosch se heurte à son caractère de solitaire. De son côté, le lecteur s’interroge sur ce à quoi ils peuvent penser chacun de leur côté durant ces longs trajets en voiture. Cette forme de narration a également pour effet de donner à voir le paysage, la manière dont il affecte les pensées des personnages, de ce qui vivent dans ces environnements. Le scénariste a choisi une construction de récit très simple et linéaire : le voyage de la Californie jusqu’au ranch Triple 6 dans le Wyoming. Les deux voyageurs sont amenés à s’arrêter de temps à autre : pour manger, pour faire le plein, pour faire face à une panne, pour aller saluer un ancien ami. Chaque arrêt permet de voir comment se comporte Red Dust : retrouvant la superbe de sa jeunesse devant deux jeunes hommes essayant de draguer Vivienne dans un bar, discutant du bon vieux temps avec un ancien du ranch Triple, assistant pour la première fois de sa vie à la projection d’un film (The big trail, 1930, La piste des géants, de Raoul Walsh, avec John Wayne), partageant le repas d’un couple de rednecks, découvrant qui se trouve au ranch Triple 6. Et bien sûr l’évolution de sa relation avec sa conductrice Vivienne Bosch au fur et à mesure des jours qui passent. Bien sûr, la perspective de l’enfant à naître s’oppose avec la vieillesse de Red Dust, une époque qui disparaît et qui doit laisser la place à une nouvelle génération. Le lecteur peut anticiper quelques-uns des thèmes qui vont être abordés : la nostalgie d’une époque révolue, une nouvelle ère qui n’a que faire de la précédente et de ses survivants devenus des reliques d’un autre temps, une partie de la mythologie de l’Ouest américain. Tout cela est bien présent, et bien plus encore, avec une sensibilité remarquable, dont l’auteur avait déjà fait preuve en s’associant avec la poétesse Kateri Lemmens pour Passer l’hiver (2022). Le passé est révolu et un Amérindien le constate avec violence alors qu’un photographe lui demande de revêtir sa tenue traditionnelle, et cet ancien du ranch Triple 6 éprouve la sensation que l’autre a pris en photo des fantômes. Red Dust le constate avec amertume : que ce soit les paysans abandonnant leur terre devenue stérile à force d’avoir été exploitées, ou les incendies qui ravagent la Californie, les ouragans qui ravagent le Wyoming, l’absence de bétail dans le ranch, etc. L’auteur va plus loin : lors de ce voyage, il est évoqué un pays ravagé par les catastrophes naturelles, une facette du rêve américain (le mythe de se faire tout seul, d’abord évoqué par Vivienne Bosch, puis par le propriétaire du ranch Triple 6), la réalité historique du Wild West (des hommes essayant de trouver des emplois rémunérés, des propriétaires terriens derrière leur bureau), la misère, et le cercle de la violence. Celle-ci est mise en scène et évoquée par la citation du verset quinze du livre L’Ecclésiaste : Ce qui a déjà été, et ce qui est à venir est déjà arrivé, et Dieu ramène ce qui est passé. D’une manière très délicate, l’auteur aborde également le regret associé à ce qui aurait pu être, ainsi que la souffrance engendrée par le manque de culture, par le biais d’un extrait d’un sonnet (CXLV-71) de Shakespeare, appris par cœur. Le dernier chapitre d’une série débutée dans les années 1970, par un autre auteur, dans un registre différent. L’auteur parvient à réaliser un récit qui parle aussi bien au lecteur de la série initiale Comanche, qu’à celui qui n’en a jamais entendu parler. La narration visuelle apparaît immédiatement très personnelle, mêlant apparences quasi photographiques et des détourages classiques avec un trait fin, faisant la part belle à une narration portée uniquement par les dessins. Ce voyage en voiture fait se côtoyer un vieil homme, ancien porte-flingue, et une jeune bibliothécaire, ramenant à la surface de vieux souvenirs, le constat du temps qui passe, d’une époque révolue, de regrets, de régions sinistrées, de l’importance vitale de la poésie. Inoubliable.
She Wasn't a Guy
Ce manga a été à l'origine publié sur internet par petits chapitres (bon, techniquement il est toujours sur la toile et est toujours en cours), et est rapidement devenu un véritable phénomène. Je suivais sa publication à l'origine sur le compte twitter de l'artiste et n'arrivais à comprendre que grâce à la générosité et le travail de traducteur-ice-s amateur-ice-s (un grand merci à toutes ces personnes, d'ailleurs). Alors quand j'ai vu que ce manga allait être publié dans nos vertes contrées l'année dernière, j'ai bondi sur l'occasion de me l'acheter. Bon, en vrai non, je ne l'ai pas acheté tout de suite, j'avais bien trop peur d'un petit phénomène auquel j'ai trop souvent fait face dans ma vie : les traductions hasardeuses. Pour une raison inconnue j'ai souvent constaté que les yuris ne recevaient pas les meilleurs soins au niveau de leurs traductions, et j'ai souvent fini avec des dialogues comiques qui sonnaient poussifs et des langages et expressions courants traduits dans un patois qui, sans aucune doute, avaient dû être écrit par un-e quadragénaire un peu coupée des us et coutumes du langage moderne (je parle dans ce cas précis de personnages censés être jeunes dans le texte). Fort heureusement, ici, mes peurs étaient infondées, la traduction est bonne. Le texte respecte bien les émotions, l'intensité de certaines scènes et le langage semble bien en accord avec ces jeunes lycéennes. Le tout fait vivant, c'est tout ce que j'attendais. Je parle de techniques et d'erreurs (ou plutôt d'absence d'erreur dans le cas présent), mais quid du récit ? Il est bon, là aussi. Au début, le sel de l'histoire est qu'Aya, jeune lycéenne populaire et extravertie, développe un crush sur le beau disquaire du magasin de musique qu'elle fréquente après les cours, sans savoir que ce beau gosse est en réalité sa voisine de classe, Mitsuki, jeune fille aux tendances malheureusement asociales. Sauf qu'en réalité ce quiproquo ne dure pas si longtemps que ça, le récit muant et se centrant davantage sur la relation de ces deux jeunes filles, devenant rapidement amies (même si Aya, ayant toujours le béguin, et même chaque jour davantage, aimerait sans doute quelque chose de plus) et se rejoignant malgré toutes leurs différences apparentes sur leur passion commune : le rock ! Eh oui, ici pas que du sentiment et de la romance, on nous parle aussi d'amour de la musique. Foo Fighters, Red Hot Chilli Peppers, Nirvana, ... L'auteur-ice se fait plaisir à parler de son genre musical préféré et l'engouement des personnages est contagieux. L'oncle de Mitsuki, tenant de la boutique de disque, est lui aussi un personnage assez touchant. La scène où lui et ses ami-e-s se revoient dans leur jeunesse en écoutant Aya et Mitsuki parler est très belle. Un mot également sur le dessin, très joli et marqué avec cette belle bichromie noire et verte. Le dessin de Sumiko Arai est très beau (et iel se permet plusieurs fois des gros plans, des poses et des compositions de cases assez chiadées) et je le trouve ici encore mieux travaillé que dans ses précédentes créations, mais c'est vraiment cette bichromie si identifiable qui marque la forme de cette œuvre. Vraiment une bonne série, chaudement recommandée de mon côté (et en plus la VF est bien !). Un succès amplement mérité selon moi.