Ah mais qu’est-ce qu’elle est bien cette BD ! Tout est bon, scénar, dessins, personnages, ambiance… et tout cela sans souffrir de faiblesse majeure.
Le dessin apparait dans la « simple » expression du noir et blanc. Il est très maitrisé, retranscrit parfaitement les postures, traduit bien les expressions. On aimera (ou pas) la manière dont il représente les scènes nocturnes, mais en ce qui me concerne, j’ai trouvé ça bien vu. Les rares cases colorisées le sont avec des couleurs choisies qui s’accordent ensemble de manière à nous plonger dans les années 60.
Le scénario file droit et s’ancre fortement dans le réel, ce qui permet à Nicolas Spitz de créer des personnages forts et empathiques, et d’assoir la crédibilité de l’ensemble. Certes, il s’agit d’une adaptation littéraire, mais à tout le moins, le travail est réussi. Le lecteur est réellement aux côtés des personnages, dans une petite ville minable des Etats-Unis à la fin des années 60. C’est aussi réussi que dans le génial film de Rob Reiner Stand By Me. J'ajoute qu'il est largement fait mention de Jean-Jacques Audibon, or j'adore justement son travail sur les oiseaux. Le travail d'une vie !
Les personnages sont travaillés. La plupart du temps, ils échappent à ce manichéisme souvent si préjudiciable dans les histoires, à part peut-être le personnage du père qui concentre toute la détestation que le lecteur pourra ressentir.
Quant à l’aspect historique, c’est encore une fois quelque chose de soigné. En outre, le choix d’avoir arc-bouté cette histoire entre la désillusion du Viêt-Nam et l’espoir qu’a pu représenté le premier pas sur la Lune est tout à fait judicieux.
Sans nécessairement être un coup de cœur, Jusqu’ici tout va bien est une excellente BD, solide et sans défaut, qui plaira aux ados comme aux adultes, car il serait dommage de la cantonner à un jeune public. Ça ne l'empêchera pas de figurer dans ma liste des meilleures titres de l'année.
L’événement deviendra célèbre en tant qu’exposition du vide.
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Ce tome contient une biographie d’Yves Klein (1928-1962), artiste plasticien, qui ne nécessite pas de connaissance préalable de son œuvre. L’édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Julian Voloj pour le scénario, par Wagner Willian pour les dessins et les couleurs, la traduction étant de Laure Picard-Philippon. Il comprend cent-vingt-cinq pages de bande dessinées, en noir & blanc, avec des touches de couleur, essentiellement de bleu. Il se termine par un dossier de dix pages, une chronologie consacrée à l’artiste.
Un homme en costume noir marche résolument à travers la double page blanche. Il traverse la page de gauche, puis celle de droite. Arrivé au bord extrême droit, il le saisit à deux mains et déchire la feuille. Derrière apparaît du bleu. Il continue de déchirer la page en s’y prenant à deux mains. Il déchire entièrement la page et se tient devant ainsi devant le bleu mis à nu en s’exclamant qu’il doit libérer la prison de la ligne. Nice, France. Yves Klein naît le 28 avril 1928. Ses parents, Fred et Marie, sont tous deux peintres. Sa mère, Marie Raymond, est une figure de proue du mouvement de l’Art Informel. Elle crée des œuvres abstraites et est célèbre pour sa méthode d’improvisation et sa technique hautement gestuelle. Son père, Fred Klein, peint des personnages et des paysages caractéristiques du postimpressionnisme. Bien qu’Yves grandisse au sein d’une famille très créative, il ne reçoit pas vraiment d’enseignement artistique. Le petit Yves plonge les mains dans la peinture et barbouille le mur, sous le regard amusé de ses parents. Ils déménagent à Paris alors qu’Yves est encore très jeune. Ils y vivent une vie de bohème, en esprits libres. La famille passe les mois d’été avec des amis artistes à Cagnes-sur-Mer, où Yves est laissé à la garde de sa tante Rose, la sœur de Marie. Tante Rose, divorcée et sans enfant, est une fervente catholique. Elle l’inscrit dans une école privée pour essayer de lui apporter un cadre.
Paradoxalement, la seconde guerre mondiale apporte un semblant d’équilibre dans l’existence d’Yves. Ses parents s’installent dans le sud de la France, où ils vivent une vraie vie de famille pendant la plus grande partie de la guerre. Ils jouent aux pirates avec ses copains. À l’adolescence, Yves se découvre une passion pour le Judo. Au club de judo, il rencontre Claude Pascal, un poète, et Armand Fernandez, qui deviendra plus tard le célèbre peintre Arman. Après une séance d’entraînement, les trois jeunes hommes discutent entre eux : ils décident d’aller à la plage. Assis sur le sable, regardant la mer, ils décident de se partager le monde : l’un prend l’air qu’on respire, l’autre régnera sur la Terre et ses richesses. Yves décide que le ciel et son infini lui reviennent. Ils s’allongent sur le sable : Yves contemple le ciel et il s’imagine écrire son prénom sur le bleu du ciel, avec le blanc des nuages. Mais voilà qu’un vol de mouettes vient tout déchirer et mélanger. Yves se lamente à haute voix que les oiseaux détruisent son chef d’œuvre, et il agite les bras pour les faire fuir, sous les rires de ses deux amis.
Le lecteur apprécie de suite le mode narratif choisi par les auteurs : des dessins avec un degré de simplification qui les rend immédiatement lisibles pour l’œil. Des formes discrètement arrondies, une densité d’informations visuelles très mesurée par case, régulièrement des pages avec deux ou trois cases, des dessins en pleine page ou en double page, beaucoup place laissée au blanc de la feuille : une lecture aérée et aisée, jolie et agréable. Le narrateur omniscient égraine un à un les faits marquants de la vie de l’artiste, en toute simplicité et avec toute l’évidence de l’effet rétroactif généré par la connaissance de ce qu’il est advenu de Klein, jusqu’à sa mort. Les auteurs conservent une forme de distance par rapport à leur sujet : peu de moments d’intimité, peu de dialogues, pas de monologue explicatif, pas de flux de pensées. Les dessins respectent également cette forme de distance : une belle silhouette sans forme de romantisme, une expressivité de type naturaliste avec une petite poignée d’exagération pour un effet discrètement comique. Entre les nuances de gris, il y a l’usage ponctuel de la couleur. Le lecteur se focalise sur les nuances de bleu, leur apparition, leur fonction dans la narration, figurative pour la mer ou le ciel ou conceptuelle pour une œuvre d’art. L’effet de surprise est ainsi maximalisé quand une autre couleur surgit au détour d’une page tournée, soit pour une autre expérience de l’artiste, soit pour un effet comme celui d’un baiser entre Yves et son épouse Rotraut Uecker.
Une entrée en la matière qui brise le quatrième mur et une convention majeure de la bande dessinée : Yves Klein se retourne vers le lecteur pour expliciter son intention (Libérer la couleur de la ligne) et le personnage déchire la page pour montrer ce qu’il y a derrière. Puis tout rentre en ordre : des cases rectangulaires alignées, un commentaire explicatif, des phylactères, des personnages, la représentation des lieux. Dès la page suivante, la notion de case a disparu au profit de deux dessins juxtaposés en décalage, chacun agrémenté d’une reproduction de l’artiste correspondant, la mère, puis le père. Le lecteur se retrouve en alerte, enclin à relever l’usage de dispositifs bédéiques qui sortent d’une mise en forme académique. En effet, page vingt-huit, la tête d’Yves dépasse de la case pour déborder sur celle du dessus, et il en va de même pour son corps en pleine prise de judo qui déborde sur la rangée supérieure. La mise en page est pensée sur les planches en vis-à-vis, trente-quatre & trente-cinq, avec deux cases de la hauteur de la page, et le doigt d’Yves qui dessine directement avec le blanc des nuages sur le bleu du ciel. Page trente-huit et trente-neuf, c’est une portée qui se déploie en arabesque d’une page à l’autre en vis-à-vis, et Yves qui intervient directement pour en resserrer les lignes en un endroit, y écrire une note (mais en lettres) à un autre. D’ailleurs en page quarante, il tient à bout de bras les mots Ré majeur, entre ses mains. Page quarante-trois, il applique des taches de peinture, et c’est la planche elle-même qui est tachée, par-dessus les dessins dans les cases. Page quarante-sept, des lettres flottent entre les invités d’un vernissage, formant l’expression : Le fils de Marie, comme une rumeur circulant d’un invité à l’autre. Page quatre-vingt-cinq, une petite silhouette d’Yves marche à la surface d’une mappemonde, bleue forcément. Le dessinateur joue également avec la couleur bleue qui s’invite dans des formes significatives ou révélatrices, qui remplit progressivement une silhouette au fil des cases, etc.
Les auteurs savent donc utiliser les possibilités graphiques de la bande dessinée pour montrer des concepts ou des émotions, plutôt que de les expliciter par les mots en commentaire ou dans des dialogues. En cela, ils adoptent une démarche similaire à celle de l’artiste : conceptuelle. Pour autant, ils exposent bien les principaux événements de sa vie, en respectant scrupuleusement un ordre chronologique. 1928 : naissance d’Yves Klein, puis son enfance avec ses parents, et les séjours au bord de la mer chez sa tante Rose. Jeux sur la plage avec ses amis. Apprentissage du judo. 1948 : création de sa symphonie monotone silence. Apprentissage du métier chez l’encadreur Robert Savage. 22 août 1952 : départ pour la Japon. Retour en France, et choix d’un métier. Invention du bleu plus bleu avec l’aide des laboratoires Rhône-Poulenc, et dépôt de sa marque IKB. Avril 1958 : exposition à la galerie Iris Clert, et inauguration avec l’illumination en bleu de l’obélisque de la place de la Concorde, surnommée l’Exposition du vide. Rencontre avec Rotraut Uecker. Etc. La forme de l’autobiographie est respectée à la lettre.
Quant à l’esprit, il appartient aux auteurs de choisir un point de vue : il peut être factuel avec un degré de précision plus ou moins maniaque en fonction du niveau de détail et de la pagination, ou il peut être orienté, c’est-à-dire à partir d’un point de vue politique, social ou artistique. Les auteurs adoptent une narration très C’est comme ça : Yves Klein suit sa trajectoire de vie, implacable, sans surprise, sans écart, sans doute. Il ne s’agit pas tant d’une destinée à accomplir ou prophétisée, que plutôt d’une vie toute tracée. Le lecteur remarque que l’artiste bénéficie d’une aisance matérielle tout du long de sa vie, grâce à ses parents, puis par l’argent de sa tante, puis par les revenus générés par ses productions artistiques. Ce qui intéresse les auteurs et ce qu’ils mettent en scène s’apparentent à une recherche et une explication de la démarche d’artiste d’Yves Klein et de ce qui l’a nourrie. En fonction du doigté des auteurs, cela peut apparaître très mécanique, faisant fi des complexités de l’être humain, et de l’intrication de la ramure de l’arbre des causes, ou plus élégant avec uniquement des pistes plutôt que des certitudes. La démarche de Voloj & Willian correspond à la deuxième manière de faire. Ils rapprochent des similitudes, laissant le lecteur se faire sa propre opinion quant au degré de force dans la relation de cause à effet. Par exemple, ils évoquent le fait que Klein est un judoka ceinture noire 2e dan. L’atteinte de ce niveau induit une pratique régulière et rigoureuse des katas, un mouvement chorégraphié qui doit être mémorisé et parfaitement réalisé par le judoka. Cette pratique fait partie de la vie d’Yves Klein : elle a donc eu une incidence sur sa façon de penser, sur ses habitudes physiques et intellectuelles. Le lecteur reste libre de choisir ce qu’il estime être raisonnable comme conséquence sur la conception et la pratique de l’art développée par Yves Klein.
Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’IKB ? les auteurs réalisent une bande dessinée très accessible, à la lecture facile et simple. L’artiste combine une lecture évidente avec des effets de bande dessinée travaillés, lui offrant toute la liberté nécessaire à mettre en scène la démarche artistique conceptuelle d’Yves Klein. Le scénariste déroule linéairement la vie de l’artiste, notant en passant des influences culturelles propices à sa démarche. Une fois la dernière page tournée, le lecteur en ressort avec une idée claire des œuvres de l’artiste et de leur caractère innovant, ainsi qu’avec des pistes de réflexion sur ce qui a nourri sa démarche si singulière. Mission accomplie.
J’ai beaucoup aimé l’histoire d’Axel et de son groupe, Perkeros. Ce mélange de musique, d’amitié et de magie est vraiment original. L’idée que la musique peut avoir des pouvoirs surnaturels m’a tout de suite intrigué. L’intrigue avance bien, avec des moments drôles, émouvants et parfois surprenants. On suit Axel dans sa lutte contre ses doutes, mais aussi dans sa quête pour unir son groupe. La touche fantastique, avec les pouvoirs magiques de la musique, donne une belle profondeur au récit. On se sent transporté dans cet univers où tout peut arriver.
Perkeros parle de musique, bien sûr, mais aussi d’amitié, de confiance en soi et de dépassement de ses peurs. J’ai trouvé le sujet du bégaiement d’Axel très bien traité : on sent à quel point cela le freine, mais aussi comment il apprend à en faire une force grâce à son amour pour la musique. Les liens entre les membres du groupe montrent bien les hauts et les bas qu’on peut rencontrer en travaillant en équipe. Et le mélange entre le quotidien (comme les répétitions, les relations de couple ou la recherche de succès) et le surnaturel (avec la magie de la musique) rend le tout encore plus passionnant.
Chaque personnage est unique et apporte quelque chose de spécial. Axel, avec ses doutes et son évolution, est un héros attachant. J’ai adoré Lily, la claviériste débrouillarde, et Kervinen, le bassiste complètement perché. Et que dire d’Aydin, avec sa voix incroyable et son histoire touchante ? Même le batteur-ours, complètement absurde, m’a fait sourire. Ces personnages sont tous différents, mais on sent une vraie énergie et une belle dynamique entre eux. Ça donne envie de faire partie du groupe, même avec tous leurs problèmes.
Les illustrations sont magnifiques. Elles sont pleines d’énergie et donnent vraiment vie à la musique et à l’univers du groupe. Les scènes où la magie et la musique se rencontrent sont impressionnantes : on ressent presque le son à travers les pages ! Le style est à mi-chemin entre le comics et la BD franco-belge, ce qui est très original. Les couleurs, les expressions des personnages, les décors… tout est soigné et agréable à regarder.
Etrange album, que je croyais au départ réservé à un jeune, voire très jeune public, mais qui passe la barrière de l’âge (même si cela cible prioritairement je pense les adolescents).
J’ai trouvé le récit original, et globalement intéressant, sur le fond comme sur la forme.
C’est une sorte de huis-clos, l’essentiel de l’action se déroulant dans et autour du sous-marin du capitaine Nemo (mais dans un lointain futur !). Outre Nemo, plusieurs robots, et surtout Arona, une gamine – qui devient une jeune femme à la fin – recueillie par Nemo. Elle serait la dernière survivante de l’humanité, qui a sombré – dans tous les sens du terme.
Nemo recueille, éduque Arona, pour qui il se prend d’affection, au point d’envisager qu’elle prenne sa succession à la tête du Nautilus. Les discussions entre Nemo et Arona sont l’occasion de questionnements philosophiques parfois, en particulier à propos de la fin des civilisations. C’est aussi l’occasion d’évoquer des problèmes contemporains (la soif de puissance, la pollution, etc.).
Malgré l’absence d’action, on ne s’ennuie pas, la narration est fluide et agréable.
Mais c’est aussi que le travail graphique de Juni Ba (auteur que je découvre avec cet album) est très sympathique. Le style est assez épuré, presque stylisé parfois, avec une colorisation que j’ai elle aussi appréciée.
Bref, un album tout public, avant surtout destiné aux ados, mais que j’ai trouvé plaisant à lire.
Note réelle 3,5/5.
J'ai bien apprécié cette biographie "à valeur universelle" comme le voulait Robert Badinter. Ce récit mêle intimisme et histoire comme c'est souvent le cas pour les histoire de migrants. A travers cette lecture centrée sur la grand-mère, Idiss, je me suis attaché à cette famille juive d'origine Moldave, qui a connu les grands tourments du siècle dernier. A travers la vie d'Idiss les auteurs suivent les hauts et les bas de beaucoup de familles de migrants d'hier et d'aujourd'hui: pauvreté, pogroms, rêve républicain d'une égalité en droits, ascension sociale puis chute pour cause de racisme assassin. C'est la difficile partition vécue par de nombreuses familles que nous suivons dans un scénario clair et bien construit. La lecture est aisée avec une ambiance souvent optimiste et positive portée par le caractère d'Idiss. La fin est brutale comme si la disparition de la grand-mère en 1942 avait laissé ouverte la porte des malheurs.
Les auteurs ont terminé leur série en rappelant en annexes les ordonnances scélérates du régime de Vichy.
Le graphisme est très coloré et dynamique donnant un ton enjoué à l'ensemble du récit. Les visages se sont éloignés d'un réalisme photographique pour souligner le côté universel du récit. On a même par moment l'impression d'être dans une série jeunesse comme pour rappeler tous les bons moments de cette riche vie.
Une lecture plaisante qui m'a souvent touché. 3.5
Ça s’appelle l’égrégore. C’est hautement magique.
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Ce tome est le second d’un diptyque : il fait suite à Tu n’as rien à craindre de moi (2016). Sa première édition date également de 2016. Il a été réalisé par Joann Sfar pour le scénario et les dessins, et par Brigitte Findakly pour les couleurs. Il comprend quatre-vingt-dix pages de bande dessinée. Il commence par une page d’introduction rédigée par l’auteur sur l’importance de Salvador Dalí pour lui.
Deux individus sont en train de regarder et de commenter un tirage du tarot de Marseille. Ils échangent sur la fixation de l’un à propos des jumelles, sur les systèmes de pensée, sur le pouvoir des Américains, des Saoudiens ou des Qataris dans l’art contemporain, sur Romain Gary, sur les entretiens de Salvador Dalí avec Louis Pauwels, sur la façon dont Platon défendait le Logos par un recours paradoxal au mythe, etc. Sur une plage paradisiaque de sable blanc, Lior, une très belle femme, s’adresse à l’artiste pictural Seabearstein. Elle lui dit que ce qui le fait retourner en France n’a aucune logique. Lui-même entretient des doutes quant à sa décision de rentrer. Elle l’aide à faire son nœud de cravate. Il s’en va, et elle se rend compte qu’il lui manque… au bout de onze secondes. Elle croit qu’elle est vraiment amoureuse. Lui est arrivé à l’aéroport international de La Cucaracha, tirant sa valise à roulettes derrière lui, tout en fumant un cigare. Il prend place dans l’avion, et il sirote des cocktails. Il explique à l’hôtesse de l’air qu’aujourd’hui, pour une fois, un héros qui n’est pas américain va peut-être sauver la planète. Ce n’est pas lui, c’est Salvador Dalí. Derrière lui, deux autres voyageurs papotent en anglais, et évoquent des champignons hallucinogènes. L’artiste s’approche et ils lui en offrent un petit paquet.
Seabearstein sort de l’avion à Paris, sous la pluie. Il se parle à lui-même : ce truc qui le saisit lorsqu’on revient en France. Ce sentiment que son pays vit une sorte de malédiction depuis trente ans. L’imaginaire en panne, incapables d’aimer le monde actuel, ni d’être aimés par lui. Ne plus comprendre ni les échanges économiques ni les mouvements de population. Ne plus comprendre l’amour non plus. Comme si à force d’être coincés entre Nord et Sud, on était devenus complètement idiots. Voilà ce vide où est la France aujourd’hui. Par manque de génie. On manque de génie. Il évoque Jean Gabin dans le film Le président, avec l’agent de la douane, lui faisant observer qu’avec un tribun comme lui, le Front National n’aurait aucune chance, ce dont son interlocuteur n’a cure. Il prend un taxi-moto pour se rendre l’aéroport à Paris, et il discute religion avec le motard. Ce dernier estime que la religion donne des réponses à toutes les questions. L’artiste rétorque qu’il veut devenir chrétien apostolique et romain, épouser Gala une deuxième fois, selon le rite copte. Il décide de descendre de moto et de terminer le trajet à pied sous la pluie. Il rejoint le Centre Dalinien pour le Futur dont les bureaux se situent place Vendôme, abrités par la maison Schiaparelli. Il discute avec Farida Khela, et il écoute le projet qu’elle lui propose : ressusciter ou réveiller Dali qui est cryogénisé par une expérience consistant à passer quatre nuits dans un hôtel particulier avec quatre modèles nues.
Le lecteur retrouve Seabearstein, exilé dans une île paradisiaque à la fin du tom précédent, en compagnie de la magnifique Lior. Il rentre à Paris et il se voit confier une mission : réveiller Salvador Dalí (1904-1989) ou participer à sa résurrection en fonction du point de vue, en réalisant une session de dessins très particulière. L’enjeu est de sauver le monde, ou au moins la France d’un obscurantisme grandissant, par le retour de Dali en prophète non-religieux. Par contraste avec le tome précédent, celui-ci repose donc sur une intrigue, avec une mission dont l’objectif est défini, même si les modalités peuvent paraître floues. Le lecteur continue de voir en Seabearstein, un avatar de l’auteur dont le patronyme évoque une forme orthographique déformée de Cyber-stein. En effet les quatre modèles évoluent nues la plupart du temps, sauf Christel qui a choisi de porter un string avec l’accord de l’artiste. Il s’agit de quatre mannequins travaillant pour la haute couture, des maisons comme Yves Saint-Laurent ou Schiaparelli. En vis-à-vis de la page d’introduction de l’auteur, se trouve une photographie du peintre prise par Jean Gaumy, avec en arrière-plan quatre jeunes femmes nues. Alors que Seabearstein se trouve à assister à la préparation d’un défilé, il se fait la remarque qu’il n’y a aucune de ces modèles qu’il ait envie de voir nue. Il ne parvient pas à comprendre comment Farida Khelfa effectue ses castings : les filles trop sexy sont tout de suite éliminées. La haute couture, c’est l’anti-Pirelli. Il croit qu’elle garde les œuvres d’art sur pattes : des filles aux cartilages originaux, à la démarche inexplicable. Sfar les représente avec cette même vision : de grandes jeunes femmes, avec des os protubérants, parfois tout juste la peau sur les os, souples, conscientes de leur beauté, de très beaux yeux, des jambes interminables, des bras fins, de beaux cheveux. Le lecteur voit cette beauté plastique, sans pour autant qu’elle ne dégage d’érotisme.
Le lecteur fait connaissance avec les quatre mannequins dès la couverture, un moment qui se situe vers la fin du récit : la blonde Christel, les jumelles nommées uniquement par leur surnom Tweedle Dee & Tweedle Dum, et au centre Seabearstein avec Ylva derrière lui. L’auteur donne rapidement un soupçon de personnalité aux jumelles qui restent toutefois interchangeables, remplissant leur fonction d’incarnation vivante de la beauté. Ylva bénéficie d’une discussion en tête à tête avec Seabearstein le temps de deux pages (34 & 35), évoquant son habitude d’être en retard à elle, le songe de Jacob (épisode biblique du Livre de la Genèse). Ces éléments ne joueront pas de rôle significatif par la suite ; en revanche le dessinateur retranscrit avec justesse et amour les différents gestes et postures du mannequin, très sensuels. Le cas de Christel s’avère un peu différent : elle et lui ont été dans une relation amoureuse précédemment. Elle assure sa fonction de muse dénudée, avec un soupçon de résistance symbolique au processus en conservant son string, et en ayant un enjeu émotionnel vis-à-vis de l’artiste. Son rôle n’est pas cantonné à une fonction : elle porte un regard personnel sur l’artiste qui les représente.
Comme pour l’album précédent, le dessinateur fait preuve d’un degré élevé d’implication pour représenter les environnements, présents dans 95% des cases. Les caractéristiques de dessin restent les mêmes : des traits de contour très fins, un peu tremblés comme mal assurés, donnant une apparence parfois malhabile aux personnages et aux décors, voire froissée, tout en conservant un regard adulte dépourvu de naïveté. En dehors de l’hôtel particulier, l’artiste emmène le lecteur sur une plage paradisiaque, avec bungalow sur le sable, faire du surf sur les vagues, devant l’aéroport La Cucaracha, au guichet d’embarquement, dans les rangées de sièges de l’avion, dans un immeuble de la place Vendôme, dans ses sous-sols pour voir Dalí dans sa chambre de cryogénisation, dans les coulisses d’un défilé pour la maison Schiaparelli, dans les rues de Paris et dans le muséum d’Histoire naturelle. Il apporte également un grand soin à représenter les différentes pièces de l’hôtel particulier et leur décoration : la terrasse, le grand escalier avec ses tentures rouge et sa rambarde de bois, les parquets, les œuvres d’art, la chambre de Seabearstein, l’ascenseur, le jardin avec sa piscine, le salon avec ses canapés et ses fauteuils, la salle à manger. Sous des dehors griffonnés à la va-vite, Sfar représente cette habitation avec la même attention et la même affection qu’il porte aux modèles.
Dans son introduction, Joan Sfar explicite son intention. Il commence par indiquer que ce livre n’est que la retranscription d’une expérience réelle, vécue à Paris l’an dernier par quatre modèles et un dessinateur. Il n’indique pas si l’expérience menée était exactement identique à celle racontée. Le lecteur peut penser que la forme littéraire l’emporte sur la réalité : Seabearstein semble bien fonctionner comme un avatar de l’auteur, tout en n’étant pas exactement lui, puisqu’il est possible d’assimiler l’un des passagers de l’avion à un autre avatar plus proche physiquement de l’auteur. Dans le même temps, la référence à la pratique du dessin en tant qu’étudiant d’art lors de dissection de cadavres correspond bien à une expérience personnelle de Sfar. Ensuite, l’expérience qui doit participer au réveil de Dalí s’avère très compréhensible : reproduire ses tableaux par les poses des mannequins. Sfar indique que c’est par ce processus qu’il a pu saisir l’esprit de Dalí au-delà des simples images que constituent ses tableaux. L’objectif devient : ranimer l’esprit de Salvador Dalí chez l’artiste pour retrouver sa flamme, ses visions, son génie. Cette interprétation de la présente bande dessinée se trouve confortée par l’introduction de Sfar, et le tirage des cartes du tarot de Marseille, au début et à la fin de l’ouvrage. L’auteur écrit que : L’envie de sacré ne le prend pas tous les jours. Il a peu d’enthousiasme pour les rituels des religions consacrée ; il ressent le besoin de se barder de la mystique de grands artistes. Il s’agit pour lui de défendre les arts et la liberté qu’on attaque de plus en plus. Face au mur des Pleurnichations, à la Pierre noire et à Saint Pierre, un urinoir, ça va pas suffire. Il incombe aux arts de kidnapper la fonction sacrée. Dans la deuxième partie du tirage de cartes, l’un des deux personnages mentionne la Kabbale, une tradition ésotérique du judaïsme. L’enjeu pour l’auteur est bel et bien d’effectuer une expérience mystique lui permettant de faire l’expérience d’une révélation spirituelle sur l’ordre des choses, le sens de la vie. A-t-il réussi ?
Après lecture, il s’avère que le texte de quatrième de couverture synthétise bien la nature de cet ouvrage : Et si l’art était la seule alternative à la violence et à l’obscurantisme contemporain ? Et si seul Salvador Dalí, en prophète surréaliste pouvait en montrer le chemin ? Pour répondre à cette question, Joann Sfar raconte son étude des œuvres du peintre, par le biais d’une expérience entre réalité et fiction (dans une proportion impossible à déterminer) : un rituel entre spiritisme et reconstitution des œuvres du maître. Le lecteur ressort de cette bande dessinée avec l’envie irrépressible de découvrir l’œuvre de Salvador Dalí, avec ses propres moyens, un rituel d’acculturation à sa manière en fonction de ses moyens.
Du travail bien fait, efficace, dynamique, hyper rythmé. Les amateurs de polars musclés misant avant tout – et quasi uniquement sur l’action – seront sans aucun doute satisfaits de découvrir cette série, qui ne s’embarrasse pas de psychologie, mais qui réussit son pari de tenir en haleine le lecteur.
Le principe est assez simple sur le papier. Et en y réfléchissant, pas toujours crédible. Mais là on oublie aisément ce détail. De riches personnes, parient des sommes énormes durant un jeu particulier. Chaque parieur/joueur dispose d’un pion, un homme/tueur, qui doit survivre à un duel, et éliminer le pion/tueur de son adversaire (si nécessaire en apportant un « marqueur », c’est-à-dire un doigt). Harry, le héros, ancien militaire devenu « pion » presque par hasard, va se révéler excellent, le meilleur de tous. Mais aussi sans pitié, ne se contentant pas de prélever un doigt, et tuant le plus souvent les « perdants ».
Lorsqu’il veut quitter le jeu, il doit alors faire face à la volonté des « joueurs » de l’éliminer, dans une partie où les enjeux financiers ont décuplé.
C’est violent, de l’action pure, avec un dernier tome qui m’a fait penser à certains passages de la chasse de Zaroff. C’est une série assez typée, qui manque certes de profondeur. Mais dans le genre thriller/polar cynique et violent, elle se situe dans le haut du panier, c’est très bien réalisé. Avec un dessin réaliste agréable (seule la colorisation m’est parfois apparu inégale). Une belle réussite du genre, critiquable, mais si c’est votre came, c’est du tout bon.
Je commence à découvrir les BD de Lax, qui m'intéresse décidément beaucoup. Avec "L'université des chèvres" il parle d'un thème déjà évoqué dans Un certain Cervantès, à savoir l'éducation et la culture.
Son récit est surprenant, tellement que j'ai longtemps cru que c'était une réelle histoire avant de découvrir que non, c'était un récit inventé sur un canevas réel. Et c'est franchement surprenant ! Le suivi est logique et permet d'établir la continuité du message, à savoir une lutte constante contre l'obscurantisme et pour le développement intellectuel des enfants. L'accès à la littérature et aux livres, l'apprentissage de la lecture et la transmission des savoirs dans des sociétés qui rejettent cette source d'émancipation. Que ce soit le curé, l'imam ou le chef du village, c'est une querelle de compromis, de vision du monde et de volonté religieuse qui s'organise.
Le trait de Lax est excellent, avec un sens de la couleur et de la lumière remarquable. Que les environnement soient le désert américain, les Alpes, les montagnes Afghanes, j'ai apprécié l'utilisation de la couleur pour faire ressortir la lumière. Le dessin transmet beaucoup et permet de s'immerger rapidement dans le récit, mais aussi de marquer la continuité entre les époques et les thématiques.
Ce qui m'a beaucoup plu, également, c'est que la BD passe par différents moments qu'il joint thématiquement même s'ils nous semblent éloignés dans les faits. Par exemple les pensionnats indiens, le trumpisme ou l'école coranique, qui participent pourtant au même débat. Et la question liée du racisme, du colonialisme, de la question éducative, des femmes ... Ces éternels sujets qu'il faut sans cesse ressasser en espérant qu'un jour, enfin, il n'y ai plus besoin de les défendre ...
Une BD éducative sur l'éducation, qui m'a personnellement beaucoup plu. Les personnages fictifs sont attachants et le récit porte des questionnements que je trouve très actuels. Une lecture plaisante et recommandée !
J'ai bien évidemment acheté la BD dès que je pouvais me précipiter chez le libraire qui le mettait en devanture, puisque Lou Lubie et Solen Guivre passaient en dédicace dans ma ville et que j'ai pu avoir un joli Pygmalion et Orphée sur la page de garde ! Mais j'ai mis du temps à la lire puisque ma copine avait préséance, étant donné que c'est elle qui avait fait la dédicace (on ne vole pas la première lecture aux autres !).
Bref, j'ai enfin pu le lire et oui, c'est du très bon ! Même si à titre personnel, j'ai un léger souci, pas bien méchant, mais qui m'a titillé en fermant la lecture : la sensation que la BD était trop courte. En tout cas, si les deux autrices veulent remettre le couvert pour d'autres mythes grecs c'est un grand OUI pour ma part !
Parce que la mythologie grec, j'en raffole, que je lis et dévore tout ce qui y traite et que, bien qu'appréciant les mythes d'origine, je suis carrément avec les relectures de mythes pour en faire une histoire adapté à notre temps et nos enjeux. Tirésias, Le Feu de Thésée, La Gloire d'Héra ou encore Médée, Le Dieu vagabond me semblent d'excellentes idées : la reprise de thèmes classiques souvent connus par le grand nombre pour en refaire sortir une morale, une idée, une clé de lecture du monde mais contemporain. Et c'est tout ce que j'apprécie dans les mythes : cette possibilité d'être repris et refait à toutes les sauces, pour nous parler encore et toujours de nous.
Je digresse mais c'est un point essentiel pour moi, puisque la BD est à la fois une adaptation du mythe d'Orphée, mais aussi une relecture de celui-ci intégrant divers sujets bien d'actualités. La question du mensonge religieux, la représentation des corps, la technologie (avec Galatée et Pygmalion), les travailleurs et les artistes ... Des questionnements bien contemporains que j'ai trouvé traités élégamment, chacun ayant droit à sa touche sans forcément de réponse claire, nous laissant avec les conclusions que l'on veut. Mais c'est assez pertinent sur bien des points, et le cahier graphique avec les sources d'inspirations à la fin est une excellente idée pour nous en révéler quelque unes qui peuvent passer inaperçu (je n'avais pas remarqué comment avait été dessiné Galatée par rapport aux autres femmes par exemple) mais aussi pour montrer les sources d'influences diverses, à la croisée de bien des civilisations !
L'histoire et le découpage sont précis, mais le dessin de Solène Guivre, que je découvre, est formidable ! Que ce soit dans les corps (et la danse), où l'on sent le poids de la chair, du mouvement, la sueur et l'effort, où le monde de papier et de pierre qui oscille entre un fantasme de beauté blanche et pure et une réalité dure et colorée, on sent le travail derrière. Et je dirais que niveau jeux de couleurs, c'est tout aussi prenant, que ce soit la représentation synesthésique de la musique où les contrastes du désert.
Une relecture mythologique qui flirte avec le féminisme, la lutte des classes et les luttes de pouvoir, forcément ça allait me parler. Assez limpide pour qu'on y rattache ce qu'on veut comme métaphore (j'y ai personnellement vu la question des IA), mais assez cryptique pour qu'on ne puisse pas limiter l'histoire à une seule vision. Le mythe d'Orphée est encore une fois repris, preuve de son intemporalité, pour s'inscrire dans notre temporalité, et je ne peux que vous encourager à le découvrir !
J’ai lu la série dans l’intégrale. Ça m’a occupé plusieurs soirées, mais ça a été un réel plaisir de m’endormir avec dans la tête l’histoire de ces quelques individus, sur une cinquantaine d’années.
L’un des rares bémols concerne le deuxième tome. J’ai vraiment eu du mal avec le saut temporel. C’était le premier de la série (chaque tome se déroule durant une décennie), surtout parce que beaucoup de personnages se sont joints à ceux que nous suivions déjà. Si par la suite j’ai réussi à les assimiler, j’ai trouvé cette transition un peu ardue.
Mais pour le reste, c’est clairement une très belle, très chouette série. Avec un dessin à la fois simple et expressif, efficace et fluide : agréable. Comment réussit parfaitement à faire « vieillir » ses personnages, et à donner à chacun (et pourtant le casting est vraiment imposant) une personnalité physique reconnaissable.
Mais c’est aussi que l’intrigue développée par Rebetez, elle aussi d’une grande simplicité dans le déroulé et les dialogues, se révèle aussi d’une grande richesse, et d’une grande justesse. Comme nous suivons l’évolution des personnages sur toute leur vie, on prend vraiment le temps de découvrir ces personnalités.
Mais c’est aussi l’évolution de la société qui est mise en avant. Les « époques » successives, rythmées par l’évolution physiques des personnages, par les chansons qui accompagnent de nombreux passages, enrichissent le récit.
Récit qui fait presque œuvre de sociologie, avec les utopies soixante-huitardes, peu à peu mises au rencard, jusqu’à la vente vers la fin de la ferme des Indociles. Au passage, quel joli titre, tellement évocateur de la personnalité de Lulu, dont la personnalité est au centre du récit. Tous les personnages exposent forces et fêlures (Lulu qui met plus de quarante ans à consommer avec Chiara un amour de jeunesse ; Jo qui n’a jamais pu assumer totalement avec tous son homosexualité, etc.).
Au sortir de cette lecture, et face à la complexe simplicité du récit et des personnalités qui l’ont animé, on a clairement le sentiment d’avoir traversé une belle histoire. Triste, douloureuse. Mais belle. Et originale.
Une lecture des plus recommandables en tout cas !
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Jusqu'ici tout va bien (Pitz)
Ah mais qu’est-ce qu’elle est bien cette BD ! Tout est bon, scénar, dessins, personnages, ambiance… et tout cela sans souffrir de faiblesse majeure. Le dessin apparait dans la « simple » expression du noir et blanc. Il est très maitrisé, retranscrit parfaitement les postures, traduit bien les expressions. On aimera (ou pas) la manière dont il représente les scènes nocturnes, mais en ce qui me concerne, j’ai trouvé ça bien vu. Les rares cases colorisées le sont avec des couleurs choisies qui s’accordent ensemble de manière à nous plonger dans les années 60. Le scénario file droit et s’ancre fortement dans le réel, ce qui permet à Nicolas Spitz de créer des personnages forts et empathiques, et d’assoir la crédibilité de l’ensemble. Certes, il s’agit d’une adaptation littéraire, mais à tout le moins, le travail est réussi. Le lecteur est réellement aux côtés des personnages, dans une petite ville minable des Etats-Unis à la fin des années 60. C’est aussi réussi que dans le génial film de Rob Reiner Stand By Me. J'ajoute qu'il est largement fait mention de Jean-Jacques Audibon, or j'adore justement son travail sur les oiseaux. Le travail d'une vie ! Les personnages sont travaillés. La plupart du temps, ils échappent à ce manichéisme souvent si préjudiciable dans les histoires, à part peut-être le personnage du père qui concentre toute la détestation que le lecteur pourra ressentir. Quant à l’aspect historique, c’est encore une fois quelque chose de soigné. En outre, le choix d’avoir arc-bouté cette histoire entre la désillusion du Viêt-Nam et l’espoir qu’a pu représenté le premier pas sur la Lune est tout à fait judicieux. Sans nécessairement être un coup de cœur, Jusqu’ici tout va bien est une excellente BD, solide et sans défaut, qui plaira aux ados comme aux adultes, car il serait dommage de la cantonner à un jeune public. Ça ne l'empêchera pas de figurer dans ma liste des meilleures titres de l'année.
Yves Klein - Immersion
L’événement deviendra célèbre en tant qu’exposition du vide. - Ce tome contient une biographie d’Yves Klein (1928-1962), artiste plasticien, qui ne nécessite pas de connaissance préalable de son œuvre. L’édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Julian Voloj pour le scénario, par Wagner Willian pour les dessins et les couleurs, la traduction étant de Laure Picard-Philippon. Il comprend cent-vingt-cinq pages de bande dessinées, en noir & blanc, avec des touches de couleur, essentiellement de bleu. Il se termine par un dossier de dix pages, une chronologie consacrée à l’artiste. Un homme en costume noir marche résolument à travers la double page blanche. Il traverse la page de gauche, puis celle de droite. Arrivé au bord extrême droit, il le saisit à deux mains et déchire la feuille. Derrière apparaît du bleu. Il continue de déchirer la page en s’y prenant à deux mains. Il déchire entièrement la page et se tient devant ainsi devant le bleu mis à nu en s’exclamant qu’il doit libérer la prison de la ligne. Nice, France. Yves Klein naît le 28 avril 1928. Ses parents, Fred et Marie, sont tous deux peintres. Sa mère, Marie Raymond, est une figure de proue du mouvement de l’Art Informel. Elle crée des œuvres abstraites et est célèbre pour sa méthode d’improvisation et sa technique hautement gestuelle. Son père, Fred Klein, peint des personnages et des paysages caractéristiques du postimpressionnisme. Bien qu’Yves grandisse au sein d’une famille très créative, il ne reçoit pas vraiment d’enseignement artistique. Le petit Yves plonge les mains dans la peinture et barbouille le mur, sous le regard amusé de ses parents. Ils déménagent à Paris alors qu’Yves est encore très jeune. Ils y vivent une vie de bohème, en esprits libres. La famille passe les mois d’été avec des amis artistes à Cagnes-sur-Mer, où Yves est laissé à la garde de sa tante Rose, la sœur de Marie. Tante Rose, divorcée et sans enfant, est une fervente catholique. Elle l’inscrit dans une école privée pour essayer de lui apporter un cadre. Paradoxalement, la seconde guerre mondiale apporte un semblant d’équilibre dans l’existence d’Yves. Ses parents s’installent dans le sud de la France, où ils vivent une vraie vie de famille pendant la plus grande partie de la guerre. Ils jouent aux pirates avec ses copains. À l’adolescence, Yves se découvre une passion pour le Judo. Au club de judo, il rencontre Claude Pascal, un poète, et Armand Fernandez, qui deviendra plus tard le célèbre peintre Arman. Après une séance d’entraînement, les trois jeunes hommes discutent entre eux : ils décident d’aller à la plage. Assis sur le sable, regardant la mer, ils décident de se partager le monde : l’un prend l’air qu’on respire, l’autre régnera sur la Terre et ses richesses. Yves décide que le ciel et son infini lui reviennent. Ils s’allongent sur le sable : Yves contemple le ciel et il s’imagine écrire son prénom sur le bleu du ciel, avec le blanc des nuages. Mais voilà qu’un vol de mouettes vient tout déchirer et mélanger. Yves se lamente à haute voix que les oiseaux détruisent son chef d’œuvre, et il agite les bras pour les faire fuir, sous les rires de ses deux amis. Le lecteur apprécie de suite le mode narratif choisi par les auteurs : des dessins avec un degré de simplification qui les rend immédiatement lisibles pour l’œil. Des formes discrètement arrondies, une densité d’informations visuelles très mesurée par case, régulièrement des pages avec deux ou trois cases, des dessins en pleine page ou en double page, beaucoup place laissée au blanc de la feuille : une lecture aérée et aisée, jolie et agréable. Le narrateur omniscient égraine un à un les faits marquants de la vie de l’artiste, en toute simplicité et avec toute l’évidence de l’effet rétroactif généré par la connaissance de ce qu’il est advenu de Klein, jusqu’à sa mort. Les auteurs conservent une forme de distance par rapport à leur sujet : peu de moments d’intimité, peu de dialogues, pas de monologue explicatif, pas de flux de pensées. Les dessins respectent également cette forme de distance : une belle silhouette sans forme de romantisme, une expressivité de type naturaliste avec une petite poignée d’exagération pour un effet discrètement comique. Entre les nuances de gris, il y a l’usage ponctuel de la couleur. Le lecteur se focalise sur les nuances de bleu, leur apparition, leur fonction dans la narration, figurative pour la mer ou le ciel ou conceptuelle pour une œuvre d’art. L’effet de surprise est ainsi maximalisé quand une autre couleur surgit au détour d’une page tournée, soit pour une autre expérience de l’artiste, soit pour un effet comme celui d’un baiser entre Yves et son épouse Rotraut Uecker. Une entrée en la matière qui brise le quatrième mur et une convention majeure de la bande dessinée : Yves Klein se retourne vers le lecteur pour expliciter son intention (Libérer la couleur de la ligne) et le personnage déchire la page pour montrer ce qu’il y a derrière. Puis tout rentre en ordre : des cases rectangulaires alignées, un commentaire explicatif, des phylactères, des personnages, la représentation des lieux. Dès la page suivante, la notion de case a disparu au profit de deux dessins juxtaposés en décalage, chacun agrémenté d’une reproduction de l’artiste correspondant, la mère, puis le père. Le lecteur se retrouve en alerte, enclin à relever l’usage de dispositifs bédéiques qui sortent d’une mise en forme académique. En effet, page vingt-huit, la tête d’Yves dépasse de la case pour déborder sur celle du dessus, et il en va de même pour son corps en pleine prise de judo qui déborde sur la rangée supérieure. La mise en page est pensée sur les planches en vis-à-vis, trente-quatre & trente-cinq, avec deux cases de la hauteur de la page, et le doigt d’Yves qui dessine directement avec le blanc des nuages sur le bleu du ciel. Page trente-huit et trente-neuf, c’est une portée qui se déploie en arabesque d’une page à l’autre en vis-à-vis, et Yves qui intervient directement pour en resserrer les lignes en un endroit, y écrire une note (mais en lettres) à un autre. D’ailleurs en page quarante, il tient à bout de bras les mots Ré majeur, entre ses mains. Page quarante-trois, il applique des taches de peinture, et c’est la planche elle-même qui est tachée, par-dessus les dessins dans les cases. Page quarante-sept, des lettres flottent entre les invités d’un vernissage, formant l’expression : Le fils de Marie, comme une rumeur circulant d’un invité à l’autre. Page quatre-vingt-cinq, une petite silhouette d’Yves marche à la surface d’une mappemonde, bleue forcément. Le dessinateur joue également avec la couleur bleue qui s’invite dans des formes significatives ou révélatrices, qui remplit progressivement une silhouette au fil des cases, etc. Les auteurs savent donc utiliser les possibilités graphiques de la bande dessinée pour montrer des concepts ou des émotions, plutôt que de les expliciter par les mots en commentaire ou dans des dialogues. En cela, ils adoptent une démarche similaire à celle de l’artiste : conceptuelle. Pour autant, ils exposent bien les principaux événements de sa vie, en respectant scrupuleusement un ordre chronologique. 1928 : naissance d’Yves Klein, puis son enfance avec ses parents, et les séjours au bord de la mer chez sa tante Rose. Jeux sur la plage avec ses amis. Apprentissage du judo. 1948 : création de sa symphonie monotone silence. Apprentissage du métier chez l’encadreur Robert Savage. 22 août 1952 : départ pour la Japon. Retour en France, et choix d’un métier. Invention du bleu plus bleu avec l’aide des laboratoires Rhône-Poulenc, et dépôt de sa marque IKB. Avril 1958 : exposition à la galerie Iris Clert, et inauguration avec l’illumination en bleu de l’obélisque de la place de la Concorde, surnommée l’Exposition du vide. Rencontre avec Rotraut Uecker. Etc. La forme de l’autobiographie est respectée à la lettre. Quant à l’esprit, il appartient aux auteurs de choisir un point de vue : il peut être factuel avec un degré de précision plus ou moins maniaque en fonction du niveau de détail et de la pagination, ou il peut être orienté, c’est-à-dire à partir d’un point de vue politique, social ou artistique. Les auteurs adoptent une narration très C’est comme ça : Yves Klein suit sa trajectoire de vie, implacable, sans surprise, sans écart, sans doute. Il ne s’agit pas tant d’une destinée à accomplir ou prophétisée, que plutôt d’une vie toute tracée. Le lecteur remarque que l’artiste bénéficie d’une aisance matérielle tout du long de sa vie, grâce à ses parents, puis par l’argent de sa tante, puis par les revenus générés par ses productions artistiques. Ce qui intéresse les auteurs et ce qu’ils mettent en scène s’apparentent à une recherche et une explication de la démarche d’artiste d’Yves Klein et de ce qui l’a nourrie. En fonction du doigté des auteurs, cela peut apparaître très mécanique, faisant fi des complexités de l’être humain, et de l’intrication de la ramure de l’arbre des causes, ou plus élégant avec uniquement des pistes plutôt que des certitudes. La démarche de Voloj & Willian correspond à la deuxième manière de faire. Ils rapprochent des similitudes, laissant le lecteur se faire sa propre opinion quant au degré de force dans la relation de cause à effet. Par exemple, ils évoquent le fait que Klein est un judoka ceinture noire 2e dan. L’atteinte de ce niveau induit une pratique régulière et rigoureuse des katas, un mouvement chorégraphié qui doit être mémorisé et parfaitement réalisé par le judoka. Cette pratique fait partie de la vie d’Yves Klein : elle a donc eu une incidence sur sa façon de penser, sur ses habitudes physiques et intellectuelles. Le lecteur reste libre de choisir ce qu’il estime être raisonnable comme conséquence sur la conception et la pratique de l’art développée par Yves Klein. Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’IKB ? les auteurs réalisent une bande dessinée très accessible, à la lecture facile et simple. L’artiste combine une lecture évidente avec des effets de bande dessinée travaillés, lui offrant toute la liberté nécessaire à mettre en scène la démarche artistique conceptuelle d’Yves Klein. Le scénariste déroule linéairement la vie de l’artiste, notant en passant des influences culturelles propices à sa démarche. Une fois la dernière page tournée, le lecteur en ressort avec une idée claire des œuvres de l’artiste et de leur caractère innovant, ainsi qu’avec des pistes de réflexion sur ce qui a nourri sa démarche si singulière. Mission accomplie.
Perkeros - Les Notes fantômes
J’ai beaucoup aimé l’histoire d’Axel et de son groupe, Perkeros. Ce mélange de musique, d’amitié et de magie est vraiment original. L’idée que la musique peut avoir des pouvoirs surnaturels m’a tout de suite intrigué. L’intrigue avance bien, avec des moments drôles, émouvants et parfois surprenants. On suit Axel dans sa lutte contre ses doutes, mais aussi dans sa quête pour unir son groupe. La touche fantastique, avec les pouvoirs magiques de la musique, donne une belle profondeur au récit. On se sent transporté dans cet univers où tout peut arriver. Perkeros parle de musique, bien sûr, mais aussi d’amitié, de confiance en soi et de dépassement de ses peurs. J’ai trouvé le sujet du bégaiement d’Axel très bien traité : on sent à quel point cela le freine, mais aussi comment il apprend à en faire une force grâce à son amour pour la musique. Les liens entre les membres du groupe montrent bien les hauts et les bas qu’on peut rencontrer en travaillant en équipe. Et le mélange entre le quotidien (comme les répétitions, les relations de couple ou la recherche de succès) et le surnaturel (avec la magie de la musique) rend le tout encore plus passionnant. Chaque personnage est unique et apporte quelque chose de spécial. Axel, avec ses doutes et son évolution, est un héros attachant. J’ai adoré Lily, la claviériste débrouillarde, et Kervinen, le bassiste complètement perché. Et que dire d’Aydin, avec sa voix incroyable et son histoire touchante ? Même le batteur-ours, complètement absurde, m’a fait sourire. Ces personnages sont tous différents, mais on sent une vraie énergie et une belle dynamique entre eux. Ça donne envie de faire partie du groupe, même avec tous leurs problèmes. Les illustrations sont magnifiques. Elles sont pleines d’énergie et donnent vraiment vie à la musique et à l’univers du groupe. Les scènes où la magie et la musique se rencontrent sont impressionnantes : on ressent presque le son à travers les pages ! Le style est à mi-chemin entre le comics et la BD franco-belge, ce qui est très original. Les couleurs, les expressions des personnages, les décors… tout est soigné et agréable à regarder.
Mobilis - Ma vie avec le Capitaine Nemo
Etrange album, que je croyais au départ réservé à un jeune, voire très jeune public, mais qui passe la barrière de l’âge (même si cela cible prioritairement je pense les adolescents). J’ai trouvé le récit original, et globalement intéressant, sur le fond comme sur la forme. C’est une sorte de huis-clos, l’essentiel de l’action se déroulant dans et autour du sous-marin du capitaine Nemo (mais dans un lointain futur !). Outre Nemo, plusieurs robots, et surtout Arona, une gamine – qui devient une jeune femme à la fin – recueillie par Nemo. Elle serait la dernière survivante de l’humanité, qui a sombré – dans tous les sens du terme. Nemo recueille, éduque Arona, pour qui il se prend d’affection, au point d’envisager qu’elle prenne sa succession à la tête du Nautilus. Les discussions entre Nemo et Arona sont l’occasion de questionnements philosophiques parfois, en particulier à propos de la fin des civilisations. C’est aussi l’occasion d’évoquer des problèmes contemporains (la soif de puissance, la pollution, etc.). Malgré l’absence d’action, on ne s’ennuie pas, la narration est fluide et agréable. Mais c’est aussi que le travail graphique de Juni Ba (auteur que je découvre avec cet album) est très sympathique. Le style est assez épuré, presque stylisé parfois, avec une colorisation que j’ai elle aussi appréciée. Bref, un album tout public, avant surtout destiné aux ados, mais que j’ai trouvé plaisant à lire. Note réelle 3,5/5.
Idiss
J'ai bien apprécié cette biographie "à valeur universelle" comme le voulait Robert Badinter. Ce récit mêle intimisme et histoire comme c'est souvent le cas pour les histoire de migrants. A travers cette lecture centrée sur la grand-mère, Idiss, je me suis attaché à cette famille juive d'origine Moldave, qui a connu les grands tourments du siècle dernier. A travers la vie d'Idiss les auteurs suivent les hauts et les bas de beaucoup de familles de migrants d'hier et d'aujourd'hui: pauvreté, pogroms, rêve républicain d'une égalité en droits, ascension sociale puis chute pour cause de racisme assassin. C'est la difficile partition vécue par de nombreuses familles que nous suivons dans un scénario clair et bien construit. La lecture est aisée avec une ambiance souvent optimiste et positive portée par le caractère d'Idiss. La fin est brutale comme si la disparition de la grand-mère en 1942 avait laissé ouverte la porte des malheurs. Les auteurs ont terminé leur série en rappelant en annexes les ordonnances scélérates du régime de Vichy. Le graphisme est très coloré et dynamique donnant un ton enjoué à l'ensemble du récit. Les visages se sont éloignés d'un réalisme photographique pour souligner le côté universel du récit. On a même par moment l'impression d'être dans une série jeunesse comme pour rappeler tous les bons moments de cette riche vie. Une lecture plaisante qui m'a souvent touché. 3.5
Fin de la parenthèse
Ça s’appelle l’égrégore. C’est hautement magique. - Ce tome est le second d’un diptyque : il fait suite à Tu n’as rien à craindre de moi (2016). Sa première édition date également de 2016. Il a été réalisé par Joann Sfar pour le scénario et les dessins, et par Brigitte Findakly pour les couleurs. Il comprend quatre-vingt-dix pages de bande dessinée. Il commence par une page d’introduction rédigée par l’auteur sur l’importance de Salvador Dalí pour lui. Deux individus sont en train de regarder et de commenter un tirage du tarot de Marseille. Ils échangent sur la fixation de l’un à propos des jumelles, sur les systèmes de pensée, sur le pouvoir des Américains, des Saoudiens ou des Qataris dans l’art contemporain, sur Romain Gary, sur les entretiens de Salvador Dalí avec Louis Pauwels, sur la façon dont Platon défendait le Logos par un recours paradoxal au mythe, etc. Sur une plage paradisiaque de sable blanc, Lior, une très belle femme, s’adresse à l’artiste pictural Seabearstein. Elle lui dit que ce qui le fait retourner en France n’a aucune logique. Lui-même entretient des doutes quant à sa décision de rentrer. Elle l’aide à faire son nœud de cravate. Il s’en va, et elle se rend compte qu’il lui manque… au bout de onze secondes. Elle croit qu’elle est vraiment amoureuse. Lui est arrivé à l’aéroport international de La Cucaracha, tirant sa valise à roulettes derrière lui, tout en fumant un cigare. Il prend place dans l’avion, et il sirote des cocktails. Il explique à l’hôtesse de l’air qu’aujourd’hui, pour une fois, un héros qui n’est pas américain va peut-être sauver la planète. Ce n’est pas lui, c’est Salvador Dalí. Derrière lui, deux autres voyageurs papotent en anglais, et évoquent des champignons hallucinogènes. L’artiste s’approche et ils lui en offrent un petit paquet. Seabearstein sort de l’avion à Paris, sous la pluie. Il se parle à lui-même : ce truc qui le saisit lorsqu’on revient en France. Ce sentiment que son pays vit une sorte de malédiction depuis trente ans. L’imaginaire en panne, incapables d’aimer le monde actuel, ni d’être aimés par lui. Ne plus comprendre ni les échanges économiques ni les mouvements de population. Ne plus comprendre l’amour non plus. Comme si à force d’être coincés entre Nord et Sud, on était devenus complètement idiots. Voilà ce vide où est la France aujourd’hui. Par manque de génie. On manque de génie. Il évoque Jean Gabin dans le film Le président, avec l’agent de la douane, lui faisant observer qu’avec un tribun comme lui, le Front National n’aurait aucune chance, ce dont son interlocuteur n’a cure. Il prend un taxi-moto pour se rendre l’aéroport à Paris, et il discute religion avec le motard. Ce dernier estime que la religion donne des réponses à toutes les questions. L’artiste rétorque qu’il veut devenir chrétien apostolique et romain, épouser Gala une deuxième fois, selon le rite copte. Il décide de descendre de moto et de terminer le trajet à pied sous la pluie. Il rejoint le Centre Dalinien pour le Futur dont les bureaux se situent place Vendôme, abrités par la maison Schiaparelli. Il discute avec Farida Khela, et il écoute le projet qu’elle lui propose : ressusciter ou réveiller Dali qui est cryogénisé par une expérience consistant à passer quatre nuits dans un hôtel particulier avec quatre modèles nues. Le lecteur retrouve Seabearstein, exilé dans une île paradisiaque à la fin du tom précédent, en compagnie de la magnifique Lior. Il rentre à Paris et il se voit confier une mission : réveiller Salvador Dalí (1904-1989) ou participer à sa résurrection en fonction du point de vue, en réalisant une session de dessins très particulière. L’enjeu est de sauver le monde, ou au moins la France d’un obscurantisme grandissant, par le retour de Dali en prophète non-religieux. Par contraste avec le tome précédent, celui-ci repose donc sur une intrigue, avec une mission dont l’objectif est défini, même si les modalités peuvent paraître floues. Le lecteur continue de voir en Seabearstein, un avatar de l’auteur dont le patronyme évoque une forme orthographique déformée de Cyber-stein. En effet les quatre modèles évoluent nues la plupart du temps, sauf Christel qui a choisi de porter un string avec l’accord de l’artiste. Il s’agit de quatre mannequins travaillant pour la haute couture, des maisons comme Yves Saint-Laurent ou Schiaparelli. En vis-à-vis de la page d’introduction de l’auteur, se trouve une photographie du peintre prise par Jean Gaumy, avec en arrière-plan quatre jeunes femmes nues. Alors que Seabearstein se trouve à assister à la préparation d’un défilé, il se fait la remarque qu’il n’y a aucune de ces modèles qu’il ait envie de voir nue. Il ne parvient pas à comprendre comment Farida Khelfa effectue ses castings : les filles trop sexy sont tout de suite éliminées. La haute couture, c’est l’anti-Pirelli. Il croit qu’elle garde les œuvres d’art sur pattes : des filles aux cartilages originaux, à la démarche inexplicable. Sfar les représente avec cette même vision : de grandes jeunes femmes, avec des os protubérants, parfois tout juste la peau sur les os, souples, conscientes de leur beauté, de très beaux yeux, des jambes interminables, des bras fins, de beaux cheveux. Le lecteur voit cette beauté plastique, sans pour autant qu’elle ne dégage d’érotisme. Le lecteur fait connaissance avec les quatre mannequins dès la couverture, un moment qui se situe vers la fin du récit : la blonde Christel, les jumelles nommées uniquement par leur surnom Tweedle Dee & Tweedle Dum, et au centre Seabearstein avec Ylva derrière lui. L’auteur donne rapidement un soupçon de personnalité aux jumelles qui restent toutefois interchangeables, remplissant leur fonction d’incarnation vivante de la beauté. Ylva bénéficie d’une discussion en tête à tête avec Seabearstein le temps de deux pages (34 & 35), évoquant son habitude d’être en retard à elle, le songe de Jacob (épisode biblique du Livre de la Genèse). Ces éléments ne joueront pas de rôle significatif par la suite ; en revanche le dessinateur retranscrit avec justesse et amour les différents gestes et postures du mannequin, très sensuels. Le cas de Christel s’avère un peu différent : elle et lui ont été dans une relation amoureuse précédemment. Elle assure sa fonction de muse dénudée, avec un soupçon de résistance symbolique au processus en conservant son string, et en ayant un enjeu émotionnel vis-à-vis de l’artiste. Son rôle n’est pas cantonné à une fonction : elle porte un regard personnel sur l’artiste qui les représente. Comme pour l’album précédent, le dessinateur fait preuve d’un degré élevé d’implication pour représenter les environnements, présents dans 95% des cases. Les caractéristiques de dessin restent les mêmes : des traits de contour très fins, un peu tremblés comme mal assurés, donnant une apparence parfois malhabile aux personnages et aux décors, voire froissée, tout en conservant un regard adulte dépourvu de naïveté. En dehors de l’hôtel particulier, l’artiste emmène le lecteur sur une plage paradisiaque, avec bungalow sur le sable, faire du surf sur les vagues, devant l’aéroport La Cucaracha, au guichet d’embarquement, dans les rangées de sièges de l’avion, dans un immeuble de la place Vendôme, dans ses sous-sols pour voir Dalí dans sa chambre de cryogénisation, dans les coulisses d’un défilé pour la maison Schiaparelli, dans les rues de Paris et dans le muséum d’Histoire naturelle. Il apporte également un grand soin à représenter les différentes pièces de l’hôtel particulier et leur décoration : la terrasse, le grand escalier avec ses tentures rouge et sa rambarde de bois, les parquets, les œuvres d’art, la chambre de Seabearstein, l’ascenseur, le jardin avec sa piscine, le salon avec ses canapés et ses fauteuils, la salle à manger. Sous des dehors griffonnés à la va-vite, Sfar représente cette habitation avec la même attention et la même affection qu’il porte aux modèles. Dans son introduction, Joan Sfar explicite son intention. Il commence par indiquer que ce livre n’est que la retranscription d’une expérience réelle, vécue à Paris l’an dernier par quatre modèles et un dessinateur. Il n’indique pas si l’expérience menée était exactement identique à celle racontée. Le lecteur peut penser que la forme littéraire l’emporte sur la réalité : Seabearstein semble bien fonctionner comme un avatar de l’auteur, tout en n’étant pas exactement lui, puisqu’il est possible d’assimiler l’un des passagers de l’avion à un autre avatar plus proche physiquement de l’auteur. Dans le même temps, la référence à la pratique du dessin en tant qu’étudiant d’art lors de dissection de cadavres correspond bien à une expérience personnelle de Sfar. Ensuite, l’expérience qui doit participer au réveil de Dalí s’avère très compréhensible : reproduire ses tableaux par les poses des mannequins. Sfar indique que c’est par ce processus qu’il a pu saisir l’esprit de Dalí au-delà des simples images que constituent ses tableaux. L’objectif devient : ranimer l’esprit de Salvador Dalí chez l’artiste pour retrouver sa flamme, ses visions, son génie. Cette interprétation de la présente bande dessinée se trouve confortée par l’introduction de Sfar, et le tirage des cartes du tarot de Marseille, au début et à la fin de l’ouvrage. L’auteur écrit que : L’envie de sacré ne le prend pas tous les jours. Il a peu d’enthousiasme pour les rituels des religions consacrée ; il ressent le besoin de se barder de la mystique de grands artistes. Il s’agit pour lui de défendre les arts et la liberté qu’on attaque de plus en plus. Face au mur des Pleurnichations, à la Pierre noire et à Saint Pierre, un urinoir, ça va pas suffire. Il incombe aux arts de kidnapper la fonction sacrée. Dans la deuxième partie du tirage de cartes, l’un des deux personnages mentionne la Kabbale, une tradition ésotérique du judaïsme. L’enjeu pour l’auteur est bel et bien d’effectuer une expérience mystique lui permettant de faire l’expérience d’une révélation spirituelle sur l’ordre des choses, le sens de la vie. A-t-il réussi ? Après lecture, il s’avère que le texte de quatrième de couverture synthétise bien la nature de cet ouvrage : Et si l’art était la seule alternative à la violence et à l’obscurantisme contemporain ? Et si seul Salvador Dalí, en prophète surréaliste pouvait en montrer le chemin ? Pour répondre à cette question, Joann Sfar raconte son étude des œuvres du peintre, par le biais d’une expérience entre réalité et fiction (dans une proportion impossible à déterminer) : un rituel entre spiritisme et reconstitution des œuvres du maître. Le lecteur ressort de cette bande dessinée avec l’envie irrépressible de découvrir l’œuvre de Salvador Dalí, avec ses propres moyens, un rituel d’acculturation à sa manière en fonction de ses moyens.
L'Executeur
Du travail bien fait, efficace, dynamique, hyper rythmé. Les amateurs de polars musclés misant avant tout – et quasi uniquement sur l’action – seront sans aucun doute satisfaits de découvrir cette série, qui ne s’embarrasse pas de psychologie, mais qui réussit son pari de tenir en haleine le lecteur. Le principe est assez simple sur le papier. Et en y réfléchissant, pas toujours crédible. Mais là on oublie aisément ce détail. De riches personnes, parient des sommes énormes durant un jeu particulier. Chaque parieur/joueur dispose d’un pion, un homme/tueur, qui doit survivre à un duel, et éliminer le pion/tueur de son adversaire (si nécessaire en apportant un « marqueur », c’est-à-dire un doigt). Harry, le héros, ancien militaire devenu « pion » presque par hasard, va se révéler excellent, le meilleur de tous. Mais aussi sans pitié, ne se contentant pas de prélever un doigt, et tuant le plus souvent les « perdants ». Lorsqu’il veut quitter le jeu, il doit alors faire face à la volonté des « joueurs » de l’éliminer, dans une partie où les enjeux financiers ont décuplé. C’est violent, de l’action pure, avec un dernier tome qui m’a fait penser à certains passages de la chasse de Zaroff. C’est une série assez typée, qui manque certes de profondeur. Mais dans le genre thriller/polar cynique et violent, elle se situe dans le haut du panier, c’est très bien réalisé. Avec un dessin réaliste agréable (seule la colorisation m’est parfois apparu inégale). Une belle réussite du genre, critiquable, mais si c’est votre came, c’est du tout bon.
L'Université des Chèvres
Je commence à découvrir les BD de Lax, qui m'intéresse décidément beaucoup. Avec "L'université des chèvres" il parle d'un thème déjà évoqué dans Un certain Cervantès, à savoir l'éducation et la culture. Son récit est surprenant, tellement que j'ai longtemps cru que c'était une réelle histoire avant de découvrir que non, c'était un récit inventé sur un canevas réel. Et c'est franchement surprenant ! Le suivi est logique et permet d'établir la continuité du message, à savoir une lutte constante contre l'obscurantisme et pour le développement intellectuel des enfants. L'accès à la littérature et aux livres, l'apprentissage de la lecture et la transmission des savoirs dans des sociétés qui rejettent cette source d'émancipation. Que ce soit le curé, l'imam ou le chef du village, c'est une querelle de compromis, de vision du monde et de volonté religieuse qui s'organise. Le trait de Lax est excellent, avec un sens de la couleur et de la lumière remarquable. Que les environnement soient le désert américain, les Alpes, les montagnes Afghanes, j'ai apprécié l'utilisation de la couleur pour faire ressortir la lumière. Le dessin transmet beaucoup et permet de s'immerger rapidement dans le récit, mais aussi de marquer la continuité entre les époques et les thématiques. Ce qui m'a beaucoup plu, également, c'est que la BD passe par différents moments qu'il joint thématiquement même s'ils nous semblent éloignés dans les faits. Par exemple les pensionnats indiens, le trumpisme ou l'école coranique, qui participent pourtant au même débat. Et la question liée du racisme, du colonialisme, de la question éducative, des femmes ... Ces éternels sujets qu'il faut sans cesse ressasser en espérant qu'un jour, enfin, il n'y ai plus besoin de les défendre ... Une BD éducative sur l'éducation, qui m'a personnellement beaucoup plu. Les personnages fictifs sont attachants et le récit porte des questionnements que je trouve très actuels. Une lecture plaisante et recommandée !
Eurydice
J'ai bien évidemment acheté la BD dès que je pouvais me précipiter chez le libraire qui le mettait en devanture, puisque Lou Lubie et Solen Guivre passaient en dédicace dans ma ville et que j'ai pu avoir un joli Pygmalion et Orphée sur la page de garde ! Mais j'ai mis du temps à la lire puisque ma copine avait préséance, étant donné que c'est elle qui avait fait la dédicace (on ne vole pas la première lecture aux autres !). Bref, j'ai enfin pu le lire et oui, c'est du très bon ! Même si à titre personnel, j'ai un léger souci, pas bien méchant, mais qui m'a titillé en fermant la lecture : la sensation que la BD était trop courte. En tout cas, si les deux autrices veulent remettre le couvert pour d'autres mythes grecs c'est un grand OUI pour ma part ! Parce que la mythologie grec, j'en raffole, que je lis et dévore tout ce qui y traite et que, bien qu'appréciant les mythes d'origine, je suis carrément avec les relectures de mythes pour en faire une histoire adapté à notre temps et nos enjeux. Tirésias, Le Feu de Thésée, La Gloire d'Héra ou encore Médée, Le Dieu vagabond me semblent d'excellentes idées : la reprise de thèmes classiques souvent connus par le grand nombre pour en refaire sortir une morale, une idée, une clé de lecture du monde mais contemporain. Et c'est tout ce que j'apprécie dans les mythes : cette possibilité d'être repris et refait à toutes les sauces, pour nous parler encore et toujours de nous. Je digresse mais c'est un point essentiel pour moi, puisque la BD est à la fois une adaptation du mythe d'Orphée, mais aussi une relecture de celui-ci intégrant divers sujets bien d'actualités. La question du mensonge religieux, la représentation des corps, la technologie (avec Galatée et Pygmalion), les travailleurs et les artistes ... Des questionnements bien contemporains que j'ai trouvé traités élégamment, chacun ayant droit à sa touche sans forcément de réponse claire, nous laissant avec les conclusions que l'on veut. Mais c'est assez pertinent sur bien des points, et le cahier graphique avec les sources d'inspirations à la fin est une excellente idée pour nous en révéler quelque unes qui peuvent passer inaperçu (je n'avais pas remarqué comment avait été dessiné Galatée par rapport aux autres femmes par exemple) mais aussi pour montrer les sources d'influences diverses, à la croisée de bien des civilisations ! L'histoire et le découpage sont précis, mais le dessin de Solène Guivre, que je découvre, est formidable ! Que ce soit dans les corps (et la danse), où l'on sent le poids de la chair, du mouvement, la sueur et l'effort, où le monde de papier et de pierre qui oscille entre un fantasme de beauté blanche et pure et une réalité dure et colorée, on sent le travail derrière. Et je dirais que niveau jeux de couleurs, c'est tout aussi prenant, que ce soit la représentation synesthésique de la musique où les contrastes du désert. Une relecture mythologique qui flirte avec le féminisme, la lutte des classes et les luttes de pouvoir, forcément ça allait me parler. Assez limpide pour qu'on y rattache ce qu'on veut comme métaphore (j'y ai personnellement vu la question des IA), mais assez cryptique pour qu'on ne puisse pas limiter l'histoire à une seule vision. Le mythe d'Orphée est encore une fois repris, preuve de son intemporalité, pour s'inscrire dans notre temporalité, et je ne peux que vous encourager à le découvrir !
Les Indociles
J’ai lu la série dans l’intégrale. Ça m’a occupé plusieurs soirées, mais ça a été un réel plaisir de m’endormir avec dans la tête l’histoire de ces quelques individus, sur une cinquantaine d’années. L’un des rares bémols concerne le deuxième tome. J’ai vraiment eu du mal avec le saut temporel. C’était le premier de la série (chaque tome se déroule durant une décennie), surtout parce que beaucoup de personnages se sont joints à ceux que nous suivions déjà. Si par la suite j’ai réussi à les assimiler, j’ai trouvé cette transition un peu ardue. Mais pour le reste, c’est clairement une très belle, très chouette série. Avec un dessin à la fois simple et expressif, efficace et fluide : agréable. Comment réussit parfaitement à faire « vieillir » ses personnages, et à donner à chacun (et pourtant le casting est vraiment imposant) une personnalité physique reconnaissable. Mais c’est aussi que l’intrigue développée par Rebetez, elle aussi d’une grande simplicité dans le déroulé et les dialogues, se révèle aussi d’une grande richesse, et d’une grande justesse. Comme nous suivons l’évolution des personnages sur toute leur vie, on prend vraiment le temps de découvrir ces personnalités. Mais c’est aussi l’évolution de la société qui est mise en avant. Les « époques » successives, rythmées par l’évolution physiques des personnages, par les chansons qui accompagnent de nombreux passages, enrichissent le récit. Récit qui fait presque œuvre de sociologie, avec les utopies soixante-huitardes, peu à peu mises au rencard, jusqu’à la vente vers la fin de la ferme des Indociles. Au passage, quel joli titre, tellement évocateur de la personnalité de Lulu, dont la personnalité est au centre du récit. Tous les personnages exposent forces et fêlures (Lulu qui met plus de quarante ans à consommer avec Chiara un amour de jeunesse ; Jo qui n’a jamais pu assumer totalement avec tous son homosexualité, etc.). Au sortir de cette lecture, et face à la complexe simplicité du récit et des personnalités qui l’ont animé, on a clairement le sentiment d’avoir traversé une belle histoire. Triste, douloureuse. Mais belle. Et originale. Une lecture des plus recommandables en tout cas !