Aller de l'avant, c'est aussi prendre des risques.
-
Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition date de 2019. Il a été écrit, dessiné et encré par Vincent Vanoli, auteur de bande dessinée ayant commencé sa carrière en 1989, ayant déjà réalisé plus de 35 histoires complètes en 1 tome, dont la précédente est La Femme d'argile parue en 2018. Ce tome comprend 60 pages de bande dessinée en noir & blanc, avec des nuances de gris.
En 1853; en Russie, Simirniakov se lève et ouvre les rideaux de sa grande chambre au premier étage de sa riche demeure de propriétaire terrien. Il regarde les gens s'affairer en bas : étendre le linge, s'apprêter à aller travailler aux champs. Il part faire le tour de ses terres, sur son cheval Vladimir. Toujours en selle, il écoute les informations d'Oboïeski, celui qui administre son domaine : le risque de l'abolition du servage, la possibilité de l'anticiper en créant une forme de représentativité au sein des moujiks, les travaux de réparation de clôture à programmer. Simirniakov continue son chemin et croise des paysans qui lui disent qu'il faut construire une digue pour éviter les inondations. Ils se mettent à faire des mines pour se conformer à l'allure de moujiks que le propriétaire attend, et il demande à Kolia de faire son numéro de vol dans les airs (ce qu'il fait). Simirniakov promet de demander à Oboïeski de faire construire une digue et il poursuit son chemin. Le lendemain matin, Simirniakov s'est assis sur le bord de son lit et il observe l'extérieur à travers la fenêtre. Sa femme toque à la porte pour l'exhorter à se lever et à s'occuper de son domaine qui en a bien besoin, Oboïeski ne pouvant pas s'occuper de tout.
Simirniakov finit par sortir faire un tour à cheval et passer au milieu des champs où travaillent les moujiks, mais sans s'arrêter. Il rentre chez lui où il est attendu par son personnel de maison et sa femme, car il a des invités pour le repas. Au milieu des banalités échangées, sa femme lui rappelle que ses filles reviennent à la maison le lendemain, et qu'elle partira en voyage en Europe avec elles en septembre. Sitôt le repas terminé, son fils Nounourskine indique qu'il sort faire la fête ce soir même. Il sort sur le pas de la porte et appelle le cocher André pour qu'il amène le tarantass. Arrivé au village, Nounourskine demande à André d'aller chercher des tziganes pour qu'ils jouent de la musique, et il retrouve son ami Sarvoskine pour faire la fête dans une auberge, avec leurs potes. Déjà bien éméchés, ils décident de poursuivre leurs libations dans les bois. L'un d'entre eux trouve une bonne idée de mettre le feu à l'isba qu'ils viennent de quitter, ce que fait Nournourskine. Le lendemain, Siminiakov fait l'effort de se lever et d'aller jusqu'à son balcon. Il se fait héler par sa femme qui lui dit que son cheva Vladimir ne veut pas être attelé. Elle prend un autre cheval. Une fois prêt, Simirniakov sort et harnache Vladimir pour aller se promener jusqu'à la Cabane aux Corbeaux. Chemin faisant, ils discutent sur la langueur qui s'empare souvent de Simirniakov.
En choisissant cette bande dessinée, le lecteur ne sait pas trop à quel genre de récit s'attendre, si ce n'est qu'il sera raconté de manière très personnelle par l'auteur. Il comprend rapidement qu'il s'agit d'une sorte de roman mettant en scène un riche propriétaire terrien, et ses relations avec sa famille, ainsi que ses états d'âme sur son existence. En termes de narration personnelle, il est servi dès la première page. Sur le plan de l'histoire, Vincent Vanoli utilise les outils classiques du roman. En termes de narration visuelle, le lecteur est tout de suite frappé par les idiosyncrasies. Il voit que l'artiste a choisi un rendu global plutôt dense, qui peut aller jusqu'à donner une impression générale de fouillis par endroit. La première case est de la largeur de la page, et il n'y a quasiment aucune surface blanche, du fait de nuances de gris appliquées sur presque toutes le surfaces pour apporter une impression de texture aux murs, au sol et aux meubles. L'avantage est que la cellule de texte à fond blanc ressort bien. La quatrième case occupe plus d'un tiers de la page et comporte elle aussi de nombreuses informations visuelles : la façade de la demeure à étage où toutes les poutres sont dessinées avec leur nervure, les 2 femmes en train d'étendre le linge, et un groupe de 8 paysans avec 2 chevaux en train de se houspiller.
Le lecteur s'immerge donc dans un monde étrange. Les personnages sont affublés de nez difformes au-delà de toute plausibilité morphologique. Il suffit de regarder les nez pour s'en rendre compte. Celui de Simirniakov mesure bien 15 centimètres de long avec une extrémité enroulé comme un escargot. C'est le modèle arboré par la plupart des personnages. Le lecteur peut aussi trouver des nez bien droits dont la longueur ferait rougir Pinocchio, et des nez bien ronds empruntés à Obélix et compagnie. S'il se livre au même examen pour les visages, il découvre des formes possibles d'un point de vue morphologique, des ronds parfaits, des oreilles aussi grandes que la tête, des visages trop étroits au niveau de la mâchoire supérieure, des sourcils qui ressemblent parfois à des bouts de coton collés au-dessus des yeux, des implantations capillaires impossibles, des barbes défiant la gravité, des vêtements souvent informes (sorte de grande robe unisexe très évasée vers le bas). Le lecteur sent que le dessinateur s'amuse bien à donner une apparence incongrue à ses personnages, avec un degré d'investissement incroyable au vu du nombre de personnages qu'il dessine, étant tous différents.
Avec les deux premières scènes, le lecteur s'immerge dans une forme de conte : l'enjeu n'est pas une reconstitution historique visuellement authentique (même si l'année est précisée : 1853) et il y a quelques remarques qui introduisent des éléments anachroniques. Il s'agit donc plus d'un regard décalé sur l'histoire d'un riche propriétaire terrien lassé de jouer son rôle. L'auteur promène le lecteur dans différents endroits : la demeure de Simirniakov, les champs, un bar, les écuries, le monastère du starets, une gare, un quartier populaire urbain, une maison servant de salle de réunion pour l'agitateur. À chaque fois, l'artiste effectue des représentations minutieuses pas forcément exactes, bourrées de détails, et s'amuse même avec un effet fish-eye. Dans un entretien, Vincent Vanoli a indiqué qu'il s'était inspiré des tableaux de Pieter Brueghel l'Ancien (1529-1565) pour la composition de certaines pages. Un peu dérouté au départ, le lecteur s'adapte rapidement aux idiosyncrasies visuelles de la narration, et n'en fait qu'à sa guise : consacrant plus de temps à telle case ou telle page pour en apprécier les facéties visuelles, passant moins de temps sur d'autres trop accaparé par l'intrigue ou la comédie.
Vincent Vanoli introduit également des références littéraires explicites, un personnage nommant Ivan Tourgueniev (1818-1883), Anton Tchekov (1860-1904), Léon (Lev Nikolaïevitch) Tolstoï (19828-1910), immédiatement suivi par une touche de dérision : mon préféré Tostoïevski. De la même manière, l'auteur incorpore également des références à de vrais faits historiques comme la guerre de Crimée (1853-1856). Certains personnages font également référence à des événements pas encore survenus comme l'abolition du servage en Russie en 1861, ou encore la révolution russe en 1917. D'autres se mettent à fredonner des chansons des Beatles. Le lecteur comprend que l'intention de l'auteur est de composer une histoire à la manière d'un roman russe, tout en y incorporant une bonne dose d'absurde et des facéties tant visuelles que dialoguées, ramenant au principe d'un conte haut en couleurs, à la vraisemblance malmenée, mais à la logique interne rigoureuse. Effectivement, cette bande dessinée peut se lire comme un roman russe (ou une parodie de roman russe) : une riche famille, un père à l'âme tourmentée par une remise en question, des paysans sous le joug du servage, une épouse uniquement préoccupée par ses obligations sociales, un fils aîné uniquement préoccupé de jouir de la vie sans égard pour les conséquences de ses actes, trois filles dont la présence réchauffe le cœur du père… et un cheval qui parle pour permettre au père d'énoncer tout haut ses états d'âme et à l'auteur de rabrouer son personnage principal par la voix de son cheval.
Vincent Vanoli réalise également le portrait d'une société, ou d'un système économique avec un regard moqueur : le riche propriétaire qui souhaite se libérer du fardeau de diriger son exploitation, le régisseur qui qui fait son travail consciencieusement et pallie les manquements de son maître sans chercher à le supplanter, les moujiks conscients de la forme d'exploitation qu'ils subissent sans chercher à se révolter pour autant. Au travers de ces 3 positions sociales, l'auteur en profite pour évoquer l'âme russe, en tournant en dérision ce mélange de résignation et d'envie de changement. Vincent Vanoli ne s'en tient pas à une simple fable caustique sur un système social : à plusieurs reprises, il pousse la réflexion plus loin que le simple constat. Le lecteur se rend compte que l'évocation anachronique des bouleversements sociaux à venir fait ressortir avec force l'obsolescence du modèle en place, mais aussi le manque de discernement des protagonistes persuadés de l'immuabilité de ce modèle et de sa pérennité. Avec un regard pénétrant, Vanoli décortique aussi bien l'avantage pour les patrons de mettre en place la libre concurrence entre les individus qui s'écharpent entre eux pour des miettes plutôt que de s'unir contre les patrons, que la docilité et la tiédeur des ouvriers qui préfèrent la sécurité d'un système de classes éprouvé plutôt que l'incertitude de l'inconnu, l'arnaque sans nom de la théorie du ruissellement (passage très savoureux), le lyrisme romantique de Simirniakov à l'abri du besoin matériel, ou encore discrètement la religion en tant qu'opium du peuple, tout ça avec une verve sarcastique piquante, sans être cynique.
S'il connaît déjà cet auteur, le lecteur est assuré de découvrir une bande dessinée atypique, et ce n'est rien de le dire. Sous des dehors de roman russe, Vincent Vanoli effectue la description d'une société de manière facétieuse que ce soit par les dessins comprenant diverses exagérations et déformations tout en conservant la priorité à la narration visuelle, ou par l'usage d'anachronismes choisis avec soin pour leur capacité révélatrice. Le tout forme un récit cohérent et savoureux, drôle et critique, intelligent atypique.
Un autre documentaire intéressant tiré de La Revue dessinée.
Ici, on parle d'un sujet politique et c'est un domaine qui m'intéresse. Le sujet est un historique sur le nationalisme corse. L'action commence dans le milieu des années 2010 lorsque les indépendantistes ont enfin obtenu le pouvoir politique en Corse après que les clans corses qui ont régné pendant des décennies ont fini complètement discrédité.
Pour expliquer comment le nationalisme corse a fini par s'imposer comme première force politique sur l'ile, on retourne aux années 70 et on va voir l'évolution politique de la Corse jusqu'à la victoire des indépendantistes dans les années 2010. On va voir que si les premières revendications des nationalistes pouvaient être justes (L’État français avait distribué des terres agricoles et privilégié les pieds noirs par rapport aux jeunes corses), cela va vite dégénérer lorsque le FLNC va se former et prendre les armes. Ce mouvement va finir par se déchirer et tomber dans le grand banditisme.
Si on connait déjà l'histoire de la Corse, je pense que les événements décrits dans la BD ne vont pas trop surprendre. Moi qui connait la Corse sur certains aspects (les attentats politiques et les règlements de compte), j'ai tout de même appris des choses et notamment sur les différents mouvements indépendantistes qui existent ou on existé en Corse. On peut regretter que certains aspects ne soient qu'effleurés, comme la mafia corse, qui a prospéré parce que la police était trop occupée avec le FLNC. Un truc que j'ai bien aimé est qu'on suit tout le long de l'album la statue de Pascal Paoli qui se promène à toutes les époques et fait des remarques intéressantes.
Le dessin est sympathique.
Je ne connais la légende d'Ys que de très loin (en tout cas suffisamment pour reconnaître des points clés), mais je dois dire que cet album m'a vraiment plu.
Déjà, le dessin est beau. Il colle parfaitement au cadre celte du récit, le côté très "crayonné" donne un cachet à l'aspect "légende ancienne".
Ensuite, il y a l'histoire. Simple dans sa forme, complexe dans ses enjeux (comme le sont souvent les mythes et légendes). La séparation des sœurs, leur lien qui les unis malgré tout, ce père autrefois aimant qui se révèle cruel, un sordide secret, des pouvoirs et des contrats, le tout prenant rapidement des aspects de tragédie. L'histoire est prenante, la narration vive et agréable, les personnages plus complexes qu'il n'y paraît, …
C'est du bon, vraiment.
L'album était rangé au rayon enfants de ma bibliothèque, j'avoue que je conseillerais quand même la lecture à des pré-ados au minimum.
Après cela, évidemment, j'invite toute personne de tout âge à tenter la lecture.
(Note réelle 3,5)
Voilà un prix Jeunesse bien mérité à mes yeux. Jeunesse et plus d'ailleurs car j'ai personnellement été pris par cette épopée d'Osamu et d'Akiko à travers les zones hautement contaminées de Fukushima pour honorer leur grand-mère et réunir tous leurs ancêtres. Laurent Galandon propose ainsi un récit à hauteur d'enfants sur les risques du nucléaire bien plus percutant et touchant que nombre de documentaires. Même si on reste dans une pure fiction sa narration et sa galerie de personnages est si crédible que j'y ai trouvé un petit côté documentaire à la Emmanuel Lepage dans Un printemps à Tchernobyl. En effet de nombreuses thématiques; sur la forêt, les animaux, les populations ou travailleurs autochtones se retrouvent .Dans les deux cas cela conduit à un récit chargé d'émotion où la vie veut vaincre la peur.
De façon très ingénieuse l'auteur introduit des sujets sensibles aux enfants: les animaux, les apparitions fantastiques dans un cadre moderne avec les tutos d'Akiko. C'est aussi une façon intelligente de faire connaître aux enfants urbains occidentaux ce Japon aux deux visages si moderne et si proche de la nature et de ses traditions ancestrales.
J'ai beaucoup apprécié le côté réaliste du parcours des deux enfants. Le capitaine de police Tamura n'est pas un gros incapable qui se laisse berner par deux super enfants à la mode James Bond. Les situations de fuite sont toutes bien trouvées même si certaines sont assez connues. Le beau personnage providentiel ( il en faut bien un) de Natsuo apporte beaucoup au récit à travers une séquence drôle et imprévue et introduit un final ouvert avec une forte charge émotionnelle.
Le graphisme avec une connotation Manga forte fait corps avec l'ambiance du récit. Cela convient parfaitement et plaira sûrement à un lectorat habitué à ce genre. C'est surtout vrai pour les personnages enfants, les adultes étant à mes yeux plus réalistes. Crouzat reste sobre dans l'expressivité de ses créatures en n'utilisant pas de SD plus ou moins humoristiques. J'y ai trouvé une raison de plus pour rester coller à ma lecture.
Une très belle lecture pour tous les âges (8 +) qui ne joue pas sur la peur ou l'anxiété malgré sa lucidité.
Ouh, j'ai beaucoup beaucoup apprécié cette lecture ! Je n'ai jamais lu l'original des trois mousquetaires, mais j'ai les grandes lignes du roman et j'ai déjà tenté de le lire une première fois (j'ai abandonné à un moment, frisant l'indigestion). Le récit ici me semble encore une fois aller dans un certain sens, la relecture d'histoires faisant partie de notre patrimoine pour en tirer de nouvelles visions et lectures (je pense à Eurydice, Le Feu de Thésée et autres réappropriations de contes et mythes).
Les auteurs décident de présenter ici le point de vue de l'une des rares femmes présentes dans le livre d'origine, en commençant avec un épisode que je me rappelle avoir lu dans le livre et qui est, rétrospectivement, bien violent ! Le personnage est présenté comme une intrigante pour le compte de Cardinal, mais cette fois-ci c'est franchement bien plus les mousquetaires qui deviennent des personnages détestables. D'Artagnan devient un petit con prétentieux et ses camarades ne font pas forcément meilleure figure. Il est intéressant de noter ce que le récit accorde comme place à la femme à l'origine, lorsqu'on remet bout-à-bout tout ce qu'il contient en essence. D'ailleurs j'ai trouvé que la façon de l'arranger finit par clairement faire ressortir ce qu'elle est : une femme qui tente de s'en sortir, intelligente et sachant user de ses charmes. La façon dont elle s'oppose aux mousquetaires devient finalement bien plus une opposition logique (et provoquée par leurs bêtises répétées aussi).
C'est le genre de BD qui est intéressante dès lors qu'on connait l'histoire des Mousquetaires. Servie par un dessin qui fonctionne très bien, on sent que les auteurs sont un peu à charge sur certains aspects du récit (la pauvre fille s'est quand même pris pas mal dans la figure dès le premier chapitre), tandis que l'introduction et la conclusion éclairent à la fois les motivations et la façon dont l'arrangement est rendu possible. C'est original et bien trouvé, je recommande la lecture !
Voila une excellente reprise qui apporte un intérêt certain au personnage lisse et trop propre sur lui de Lucky Luke. S'inscrivant dans la time-line de la série-mère entre le moment où Lucky Luke fume et le moment où il arrête, le premier tome est un hommage clair et assumé à l'homme qui tire plus vite que son ombre.
J'avais souvenir de l'avoir lu une première fois mais la relecture n'a rien perdu de son charme : l'histoire se dévoile petit à petit, entre foule excitée, coupables idéaux, méchants assez vite caractérisés ... Et puis tout change un peu, va plus loin que ce qui était supposé : Luke n'a plus de tabac est se sent irritable. La ville n'est pas idéal, et puis les méchants ne le sont peut-être pas tant que ça. L'histoire se tourne vers une critique sociale légère mais bien tenue. Et je suis assez surpris à la relecture du ton mélancolique et triste de la fin. C'est bien senti, inattendu mais franchement une bonne utilisation du personnage.
Le dessin de Mathieu Bonhomme convient tout à fait au récit, avec la part belle aux paysages magnifiques et retranscrivant la boue, la crasse, les personnages longilignes qui contrastent avec les décors. C'est parfaitement maitrisé, dans la couleur et dans le traitement. Je lirais le second volume dès qu'il me tombera sous la main, c'est de l'excellent travail !
Le deuxième tome m'a légèrement moins convaincu. Je dirais qu'il est un peu trop rapide et facile dans certaines exécutions. Luke est toujours dans sa situation de non-fumeur, rencontre trois femmes qui semblent très intéressées par lui tout en ayant des ennuis. L’exécution de l'histoire tourne autour de quelques figures mythiques des albums du cow-boy, mais j'ai trouvé sa résolution plus simple et facile avec l'arrivé de la cavalerie. Il manque cette petite part de retournement final bien tenu qui apporte une réflexion plus large. La dernière page par contre propose quelque chose de bien intéressant en terme de développement de personnage. Dommage, j'aurais voulu plus apprécier !
Avec pas moins de cinq albums sortis la même année pour adapter en BD le chef d’œuvre d’Orwell, aucun éditeur n’a semble-t-il voulu rater l’opportunité de profiter de l’arrivée dans le « domaine public » du roman. Ça fait donc un sacré embouteillage – et cela a sans doute dû poser quelques soucis de rentabilité à la plupart des albums !
Des trois que j’ai lus pour le moment, c’est avec le Nesti celle qui m’a le plus plu. Essentiellement par ses partis pris graphiques. En effet, Coste – qui utilise différentes bichromies – et, avec un dessin très sombre (parfois à la limite du lisible – sans franchir cette limite toutefois), il parvient à « montrer », autant que faire se peut, l’horreur du roman. Même si, il faut bien la reconnaitre, aucune adaptation ne donnera autant de force aux mots d’Orwell que lorsqu’ils sont jetés bruts pour nourrir l’imagination et les cauchemars des lecteurs.
En tout cas, dans les limites du médium BD, Coste s’en sort bien. Pour mettre en place ce système totalitaire froid et implacable, puis pour décrire ce qui arrive à Winston une fois celui-ci arrêté.
En lisant ce type d’œuvre, on ne peut que frémir en pensant à l’évolution des sociétés actuelles, qui se rapprochent par plusieurs aspects de celles qui avaient servi de « modèle » à Orwell (les dizaines de milliers de pages effacées des serveurs de certaines administrations américaines sou l’impulsion de Trump et de Musk récemment m’y ont fait penser.
En tout cas, pour revenir à l’adaptation de Coste, par-delà le texte lui-même, forcément réduit et moins impactant que le roman, j’ai trouvé que sa force visuelle compensait en partie cette infériorité du médium, et qu’elle méritait à elle seule de lire cet album, plutôt réussi.
Mon avis concerne l'opus Après la pluie de cette série un peu bancale avec deux albums très distants dans le temps, dans le scénario et dans les personnages.
Juillard propose un thriller au scénario bien ficelé à base de manipulation et avec une belle fausse piste qui provoque un final réaliste, intéressant mais un peu expéditif. Le personnages d'Abel est très attachant et très bien travaillé dans sa personnalité . J'ai aussi apprécié le personnage de Eve qui m'a renvoyé quelques années en arrière avec le personnage d'Elsa dans "Marathon Man".
Le trait de Juillard est toujours aussi précis et réaliste. Ses personnages sont bien dans leur rôle avec des expressions adéquates même si je pourrais reprocher une certaine fixité voire rigidité comportementale. Les extérieurs et paysages sont précis et très travaillés.Le rythme est assez lent mais cela convient bien au personnage d'Abel réfléchi et raisonnable.
La narration graphique est fluide avec un réalisme parfois brutal mais non voyeur dans la scène du viol.
Une lecture détente bien agréable dans un thriller au final classique mais bien construit. 3.5
Comment elle gagne sa vie déjà ?
-
Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. La première parution date de 2019. Le récit a été écrit par François Vignolle et Julien Dumond, il a été dessiné, encré et mis en couleurs par Grégory Mardon. Cet ouvrage comprend 144 pages de bandes dessinées.
Au Raincy, dans la banlieue nord de Paris, Yanis Habbache est en train de réparer un faux contact dans le moteur d'une voiture stationnée dans la rue. Son fils sort de l'immeuble et lui suggère de laisser tomber, car il juge la voiture bonne pour la casse. Le 28 septembre 2016, un jet privé atterrit à l'aéroport du Bourget. Il en descend Kim Kardashian, accompagnée par Simone son amie styliste, et escortée par son garde du corps. Les photographes la mitraillent depuis l'autre côté du grillage. Bien installée sur la banquette arrière d'une limousine, Kim Kardashian commence à twitter pour informer ses fans : elle est arrivée à Paris, une ville si romantique. Rue de Bretagne dans le troisième arrondissement, Aomar Ait Kacem pénètre dans le café Le Paparazzi. Il parle affaires avec le barman. Ce dernier lui montre une vidéo sur son portable : Vitali Sediuk un ancien journaliste de la télé ukrainienne s'est approché de Kardashian plaçant sa tête à côté de son postérieur. Il a rapidement été maîtrisé par le garde du corps de Kardashian. Aomar Ait Kacem (dit Le Vieux) indique au barman qu'il ne lui reste plus qu'à convaincre un vieil ami et il pourra accomplir le coup : cueillir Cendrillon.
Le lendemain, Kim Kardashian participe au défilé Balmain à l'Hôtel Potocki. Elle y croise Carla Bruni. Les photographes n'arrêtent pas de la mitrailler. Son compte Twitter s'affole. Le dimanche 2 octobre 2016, Yanis Habbache remonte dans son appartement, et informe sa femme qu'il a fini le boulot sur la voiture : ça devrait lui rapporter 50 euros. On frappe à la porte : c'est Aomar Ait Kacem qui vient lui rendre visite. La femme de Yanis lui fait les gros yeux, pas contente de cette visite. Habbache vient lui proposer de participer à un gros coup. Aomar Ait Kacem lui indique qu'il va bientôt se faire opérer du cœur, et qu'il faut que ce soit un coup tranquille. Il en obtient l'assurance d'Habbache. Pendant la Fashion Week, Kim Kardashian est de tous les défilés, embrasant tous les réseaux sociaux : Twitter, Instagram, Snapchat. Enfin, le dimanche soir, elle va pouvoir passer une nuit tranquille, seule dans sa suite. À 02h10, trois clampins en blouson noir, avec un brassard Police et le visage masqué se présentent à la réception de l'hôtel No Adress, braquent le réceptionniste et se font ouvrir les portes.
En face ce de la première page de bande dessinée, les auteurs indiquent qu'ils ont eu accès au dossier de l'enquête judiciaire et qu'ils ont rencontré plusieurs protagonistes de l'affaire. Pour autant certaines scènes relèvent de la fiction. Les faits sont simples : le 03 octobre 2016, Kim Kardashian se fait braquer dans sa suite de l'hôtel Pourtalès (dans le huitième arrondissement) et est victime d'un vol de bijoux pour un montant d'environ 10 millions d'euros. Le 09 janvier 2017, la police arrête les auteurs présumés du vol qui devraient être jugés en 2020. Au fil du récit, le lecteur fait connaissance avec 2 des braqueurs (Yanis Habbache, Aomar Ait Kacem, dont les noms ont été changés du fait que le procès n'ait pas encore eu lieu). Il se retrouve aux côtés de Kim Kardashian quand elle descend de son jet privé, dans sa suite à l'hôtel, chez elle à Los Angeles. Il participe aux investigations des principaux inspecteurs de police, Anton Molko, Justine Paquej et Loïc Libra dont les noms ont également été changés. La lecture donne une impression de reportage, comme si les auteurs avaient pu être présents dans les moments clé, avec un choix de séquences et un montage intelligents, sans donner dans le sensationnalisme. Grégory Mardon réalise des planches en phase avec cette approche. Ses dessins se situent entre des instantanés pris sur le vif (la coiffure d'Anton Molko) et des représentations avec une bonne densité descriptive pour que le lecteur puisse voir chaque lieu (rue du Raincy, intérieur de l'hôtel Potocki, appartement modeste d'Aomar Ait Kacem, suite luxueuse de l'hôtel Pourtalès, bureaux de la Brigade de Répression du Banditisme (BRB), quartier de Créteil, rue du dix-neuvième arrondissement, cellule du centre de détention de Fresnes.
Les auteurs ont pris le parti d'effectuer une reconstitution naturaliste, sans exagération spectaculaire ou racoleuse. Les personnages ne sont pas représentés de manière romantique, ni embellis. Le lecteur peut voir les marques de l'âge sur les braqueurs. Grégory Mardon n'en rajoute pas sur la plastique de Kim Kardashian, simplifiant ses traits de visage, en marquant essentiellement ses grands yeux et ses lèvres charnues. Lors du braquage dans sa chambre, il ne la transforme pas en objet du désir même si elle ne porte qu'une robe de chambre, montrant plutôt sa vulnérabilité face aux voleurs qui eux -mêmes ne prêtent pas attention à son corps. Bien que le métier de cette personne soit de mettre en scène sa vie pour rentabiliser sa personne et son style de vie en tant que produit, elle apparaît comme un être humain, avec sa vulnérabilité, sans rien occulter de son mode de vie. Le talent de l'artiste va plus loin qu'humaniser une personne ayant un talent extraordinaire pour façonner son image, il sait faire exister sur le même plan, deux niveaux de vie séparés à l'extrême, de la banlieue ordinaire et banale, aux palaces des défilés de mode et aux fastes de la Fashion Week. Ainsi le récit est ancré dans le réel, sans misérabilisme pour le regard jeté sur les quartiers populaires, sans étoiles dans les yeux en regardant les signes ostentatoires de richesse, les paillettes et le luxe
Les coscénaristes ont construit leur récit sur la base de séquences qui se focalisent sur les faits : le lieu de vie d'Aomar Ait Kacem, les prises de contact de Yanis Habbache, l'arrivée de Kim Kardashian à Paris, le braquage et la fuite (20 pages), l'arrivée de la police, la déclaration de la victime, les différentes phases de l'enquête. Pourtant le lecteur ressent des émotions, perçoit que les auteurs ne se contentent pas d'être factuels. Il lui faut un peu de temps pour se rendre compte que ces émotions sont essentiellement générées par les dessins. En effet il perçoit la concentration du garde du corps dans son visage fermé et tendu, l'indifférence blasée de Yanis Habbache faisant affaire avec le barman (étrange qu'il puisse fumer dans un café), les sourires professionnels de façade des people aux défilés, l'hostilité de la compagne de Kacem en voyant arriver Habbache, la terreur de Kim Kardashian se retrouvant à la merci d'individus cagoulés et armés, le calme né de l'expérience d'Anton Molko quand il prend connaissance des faits. De temps à autre, Grégory Mardon accentue une expression de visage pour marquer l'intensité de l'émotion, par exemple quand Anton Molko se rend compte que tout le monde donne son avis sur le braquage, sur les réseaux sociaux (Karl Lagerfeld, Mathieu Kassovitz). Il s'agit donc d'une histoire incarnée, où interagissent des individus adultes habités par des convictions et des valeurs.
Le lecteur se demande bien quel parti pris vont adopter les auteurs pour raconter leur histoire : plutôt défense de la victime, ou plutôt Robin des Bois ? Voire moqueur en jouant sur le décalage sur la vie de célébrité de Kim Kardashian et le braquage effectué par des individus du troisième âge se déplaçant à bicyclette ? Bien sûr ce décalage est mis en scène : l'appartement modeste d'Aomar Ait Kacem contraste avec le luxe de la suite de Kim Kardashian, le déplacement à vélo avec gilet jaune est aux antipodes des déplacements en jet privé, les 50 euros de réparation à rapporter aux revenus de Kim Kardashian. Mais le récit ne vire pas à la dénonciation, à la critique sociale. Le style de vie de Kim Kardashian n'est montré comme enviable, ou comme un statut social à atteindre ; le style de vie de Kacem et Habbache n'est pas paré d'un vernis romantique, ni pointé du doigt. Kim Kardashian aspire à un moment de détente, à arrêter d'être en représentation pour une soirée ; les braqueurs ont déjà fait de la tôle, y passant plusieurs années de leur vie. Les auteurs ne se rangent donc ni du côté de Karl Lagerfeld réconfortant la star, ni de Mathieu Kassovitz voyant là un acte symbolique de revanche du peuple contre une profiteuse vaniteuse de la société du spectacle. Ils ne cherchent pas non plus à présenter une version originale ou différente de l'enquête, encore moins conspirationniste (ce braquage aurait été mis en scène comme tout le reste de la vie de Kim Kardashian…). Mais quand même…
Au travers de cette reconstitution un peu romancée, le lecteur touche du doigt le spectacle factice monté de toutes pièces de la vie de Kim Kardashian, une sorte de quart d'heure de célébrité prophétisé par Andy Warhol (1928-1987), étiré à l'échelle d'une vie dans une société du spectacle théorisée par Guy Debord (1931-1994). Il contemple l'inégalité de la répartition des richesses. Il assiste à l'efficacité de la police dans son enquête, sans diabolisation (pas de sous-entendu sur un outil d'oppression), sans non plus d'angélisme sur ce corps de métier. Dans le même temps, cette bande dessinée retrace un fait divers, sous l'angle d'un fait de société en faisant apparaître les différentes composantes, les différents angles de vue pour le considérer, rendant compte d'une réalité complexe, habitée par des êtres humains complexes et divers, où la vie d'une célébrité se mettant en scène croise celle de banlieusards du troisième âge.
François Vignolle, Julien Dumond et Grégory Mardon reconstituent le déroulement d'un fait divers sortant de l'ordinaire : le braquage d'une célébrité mondiale par un groupe de prolétaires âgés. Ils jouent le jeu du reportage objectif, trouvant le juste équilibre entre braqueurs et victimes, sans parti pris affiché pour les uns ou contre les autres. Le lecteur voit alors apparaître une radiographie partielle de la société sous un angle original et révélateur.
Lorsque j'ai ouvert le premier tome de ce manga d’épouvante à huis-clos, au vu de la phrase d'accroche au verso ("Monstre ou humain.... qui sommeille au cœur des ténèbres ?"), je m'attendais à une histoire classique à la Alien, avec un monstre voire un extra-terrestre, décimant l'ensemble des membres du vaisseau. Il n'en est en fait rien : il s'agit ici d'un manga de style Battle Royale où l'ensemble des protagonistes, pour la plupart enfants, bloqués dans un vaisseau spatiale, vont être amenés à s'entretuer pour espérer intégrer la capsule monoplace de survie. Tout comme Highlander, il ne peut en rester qu'un... :)
Le manga entre très vite dans le sujet et laisse une large place à l'action. Si la réaction des passagers du vaisseau restent peu crédibles à mon goût (aucune tentative dans un premier temps de se sortir de la situation en coopérant), le premier tome instille ce qu'il faut de suspense pour que le lecteur ait envie de connaitre la suite. L'idée de dérouler l'histoire au travers de différentes périodes et du journal intime- et donc très subjectif - d'un des passagers est ainsi plutôt bien pensé. J'ai en revanche été moins conquis par le deuxième tome centré quasi exclusivement sur la guerre intestine se jouant entre tous les survivants. Malgré tout, le troisième tome achève de manière très honorable le triptyque avec plusieurs retournements de situation et une fin inattendue, mais bienvenue. Le fait de concentrer l'intrigue sur 3 tomes seulement est également à saluer, permettant d'avoir une histoire dense et rythmée, évitant ainsi le piège de la série à rallonge.
Côté graphisme, j'ai plutôt apprécié le trait de Shiro Kuroi malgré quelques expressions de visage ou postures parfois étranges. Les nombreux personnages présentent des styles et des morphologies relativement différentes permettant de les discerner les uns des autres en étant un peu concentré. Une mention spéciale également à l'édition soignée du manga avec des couvertures sombres du plus bel effet, des tranches noircies et des bonus intéressants à la fin de chaque tome (portraits des personnages, cahiers graphiques et interview).
Au final, malgré un tome 2 un peu en deçà, je ressors plutôt satisfait de ma lecture et je conseille tout de même l'achat aux aficionados du genre.
Histoire, originalité : 7/10
Dessin, Mise en couleurs : 7,5/10
NOTE GLOBALE : 14,5/20
En France, les livres sont au même prix partout. C'est la loi !
Avec BDfugue, vous payez donc le même prix qu'avec les géants de la vente en ligne mais pour un meilleur service :
des promotions et des goodies en permanence
des réceptions en super état grâce à des cartons super robustes
une équipe joignable en cas de besoin
2. C'est plus avantageux pour nous
Si BDthèque est gratuit, il a un coût.
Pour financer le service et le faire évoluer, nous dépendons notamment des achats que vous effectuez depuis le site. En effet, à chaque fois que vous commencez vos achats depuis BDthèque, nous touchons une commission. Or, BDfugue est plus généreux que les géants de la vente en ligne !
3. C'est plus avantageux pour votre communauté
En choisissant BDfugue plutôt que de grandes plateformes de vente en ligne, vous faites la promotion du commerce local, spécialisé, éthique et indépendant.
Meilleur pour les emplois, meilleur pour les impôts, la librairie indépendante promeut l'émergence des nouvelles séries et donc nos futurs coups de cœur.
Chaque commande effectuée génère aussi un don à l'association Enfance & Partage qui défend et protège les enfants maltraités. Plus d'informations sur bdfugue.com
Pourquoi Cultura ?
Indépendante depuis sa création en 1998, Cultura se donne pour mission de faire vivre et aimer la culture.
La création de Cultura repose sur une vision de la culture, accessible et contributive. Nous avons ainsi considéré depuis toujours notre responsabilité sociétale, et par conviction, développé les pratiques durables et sociales. C’est maintenant au sein de notre stratégie de création de valeur et en accord avec les Objectifs de Développement Durable que nous déployons nos actions. Nous traitons avec lucidité l’impact de nos activités, avec une vision de long terme. Mais agir en responsabilité implique d’aller bien plus loin, en contribuant positivement à trois grands enjeux de développement durable.
Nos enjeux environnementaux
Nous sommes résolument engagés dans la réduction de notre empreinte carbone, pour prendre notre part dans la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la planète.
Nos enjeux culturels et sociétaux
La mission de Cultura est de faire vivre et aimer la culture. Pour cela, nous souhaitons stimuler la diversité des pratiques culturelles, sources d’éveil et d’émancipation.
Nos enjeux sociaux
Nous accordons une attention particulière au bien-être de nos collaborateurs à la diversité, l’inclusion et l’égalité des chances, mais aussi à leur épanouissement, en encourageant l’expression des talents artistiques.
Votre vote
Simirniakov
Aller de l'avant, c'est aussi prendre des risques. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition date de 2019. Il a été écrit, dessiné et encré par Vincent Vanoli, auteur de bande dessinée ayant commencé sa carrière en 1989, ayant déjà réalisé plus de 35 histoires complètes en 1 tome, dont la précédente est La Femme d'argile parue en 2018. Ce tome comprend 60 pages de bande dessinée en noir & blanc, avec des nuances de gris. En 1853; en Russie, Simirniakov se lève et ouvre les rideaux de sa grande chambre au premier étage de sa riche demeure de propriétaire terrien. Il regarde les gens s'affairer en bas : étendre le linge, s'apprêter à aller travailler aux champs. Il part faire le tour de ses terres, sur son cheval Vladimir. Toujours en selle, il écoute les informations d'Oboïeski, celui qui administre son domaine : le risque de l'abolition du servage, la possibilité de l'anticiper en créant une forme de représentativité au sein des moujiks, les travaux de réparation de clôture à programmer. Simirniakov continue son chemin et croise des paysans qui lui disent qu'il faut construire une digue pour éviter les inondations. Ils se mettent à faire des mines pour se conformer à l'allure de moujiks que le propriétaire attend, et il demande à Kolia de faire son numéro de vol dans les airs (ce qu'il fait). Simirniakov promet de demander à Oboïeski de faire construire une digue et il poursuit son chemin. Le lendemain matin, Simirniakov s'est assis sur le bord de son lit et il observe l'extérieur à travers la fenêtre. Sa femme toque à la porte pour l'exhorter à se lever et à s'occuper de son domaine qui en a bien besoin, Oboïeski ne pouvant pas s'occuper de tout. Simirniakov finit par sortir faire un tour à cheval et passer au milieu des champs où travaillent les moujiks, mais sans s'arrêter. Il rentre chez lui où il est attendu par son personnel de maison et sa femme, car il a des invités pour le repas. Au milieu des banalités échangées, sa femme lui rappelle que ses filles reviennent à la maison le lendemain, et qu'elle partira en voyage en Europe avec elles en septembre. Sitôt le repas terminé, son fils Nounourskine indique qu'il sort faire la fête ce soir même. Il sort sur le pas de la porte et appelle le cocher André pour qu'il amène le tarantass. Arrivé au village, Nounourskine demande à André d'aller chercher des tziganes pour qu'ils jouent de la musique, et il retrouve son ami Sarvoskine pour faire la fête dans une auberge, avec leurs potes. Déjà bien éméchés, ils décident de poursuivre leurs libations dans les bois. L'un d'entre eux trouve une bonne idée de mettre le feu à l'isba qu'ils viennent de quitter, ce que fait Nournourskine. Le lendemain, Siminiakov fait l'effort de se lever et d'aller jusqu'à son balcon. Il se fait héler par sa femme qui lui dit que son cheva Vladimir ne veut pas être attelé. Elle prend un autre cheval. Une fois prêt, Simirniakov sort et harnache Vladimir pour aller se promener jusqu'à la Cabane aux Corbeaux. Chemin faisant, ils discutent sur la langueur qui s'empare souvent de Simirniakov. En choisissant cette bande dessinée, le lecteur ne sait pas trop à quel genre de récit s'attendre, si ce n'est qu'il sera raconté de manière très personnelle par l'auteur. Il comprend rapidement qu'il s'agit d'une sorte de roman mettant en scène un riche propriétaire terrien, et ses relations avec sa famille, ainsi que ses états d'âme sur son existence. En termes de narration personnelle, il est servi dès la première page. Sur le plan de l'histoire, Vincent Vanoli utilise les outils classiques du roman. En termes de narration visuelle, le lecteur est tout de suite frappé par les idiosyncrasies. Il voit que l'artiste a choisi un rendu global plutôt dense, qui peut aller jusqu'à donner une impression générale de fouillis par endroit. La première case est de la largeur de la page, et il n'y a quasiment aucune surface blanche, du fait de nuances de gris appliquées sur presque toutes le surfaces pour apporter une impression de texture aux murs, au sol et aux meubles. L'avantage est que la cellule de texte à fond blanc ressort bien. La quatrième case occupe plus d'un tiers de la page et comporte elle aussi de nombreuses informations visuelles : la façade de la demeure à étage où toutes les poutres sont dessinées avec leur nervure, les 2 femmes en train d'étendre le linge, et un groupe de 8 paysans avec 2 chevaux en train de se houspiller. Le lecteur s'immerge donc dans un monde étrange. Les personnages sont affublés de nez difformes au-delà de toute plausibilité morphologique. Il suffit de regarder les nez pour s'en rendre compte. Celui de Simirniakov mesure bien 15 centimètres de long avec une extrémité enroulé comme un escargot. C'est le modèle arboré par la plupart des personnages. Le lecteur peut aussi trouver des nez bien droits dont la longueur ferait rougir Pinocchio, et des nez bien ronds empruntés à Obélix et compagnie. S'il se livre au même examen pour les visages, il découvre des formes possibles d'un point de vue morphologique, des ronds parfaits, des oreilles aussi grandes que la tête, des visages trop étroits au niveau de la mâchoire supérieure, des sourcils qui ressemblent parfois à des bouts de coton collés au-dessus des yeux, des implantations capillaires impossibles, des barbes défiant la gravité, des vêtements souvent informes (sorte de grande robe unisexe très évasée vers le bas). Le lecteur sent que le dessinateur s'amuse bien à donner une apparence incongrue à ses personnages, avec un degré d'investissement incroyable au vu du nombre de personnages qu'il dessine, étant tous différents. Avec les deux premières scènes, le lecteur s'immerge dans une forme de conte : l'enjeu n'est pas une reconstitution historique visuellement authentique (même si l'année est précisée : 1853) et il y a quelques remarques qui introduisent des éléments anachroniques. Il s'agit donc plus d'un regard décalé sur l'histoire d'un riche propriétaire terrien lassé de jouer son rôle. L'auteur promène le lecteur dans différents endroits : la demeure de Simirniakov, les champs, un bar, les écuries, le monastère du starets, une gare, un quartier populaire urbain, une maison servant de salle de réunion pour l'agitateur. À chaque fois, l'artiste effectue des représentations minutieuses pas forcément exactes, bourrées de détails, et s'amuse même avec un effet fish-eye. Dans un entretien, Vincent Vanoli a indiqué qu'il s'était inspiré des tableaux de Pieter Brueghel l'Ancien (1529-1565) pour la composition de certaines pages. Un peu dérouté au départ, le lecteur s'adapte rapidement aux idiosyncrasies visuelles de la narration, et n'en fait qu'à sa guise : consacrant plus de temps à telle case ou telle page pour en apprécier les facéties visuelles, passant moins de temps sur d'autres trop accaparé par l'intrigue ou la comédie. Vincent Vanoli introduit également des références littéraires explicites, un personnage nommant Ivan Tourgueniev (1818-1883), Anton Tchekov (1860-1904), Léon (Lev Nikolaïevitch) Tolstoï (19828-1910), immédiatement suivi par une touche de dérision : mon préféré Tostoïevski. De la même manière, l'auteur incorpore également des références à de vrais faits historiques comme la guerre de Crimée (1853-1856). Certains personnages font également référence à des événements pas encore survenus comme l'abolition du servage en Russie en 1861, ou encore la révolution russe en 1917. D'autres se mettent à fredonner des chansons des Beatles. Le lecteur comprend que l'intention de l'auteur est de composer une histoire à la manière d'un roman russe, tout en y incorporant une bonne dose d'absurde et des facéties tant visuelles que dialoguées, ramenant au principe d'un conte haut en couleurs, à la vraisemblance malmenée, mais à la logique interne rigoureuse. Effectivement, cette bande dessinée peut se lire comme un roman russe (ou une parodie de roman russe) : une riche famille, un père à l'âme tourmentée par une remise en question, des paysans sous le joug du servage, une épouse uniquement préoccupée par ses obligations sociales, un fils aîné uniquement préoccupé de jouir de la vie sans égard pour les conséquences de ses actes, trois filles dont la présence réchauffe le cœur du père… et un cheval qui parle pour permettre au père d'énoncer tout haut ses états d'âme et à l'auteur de rabrouer son personnage principal par la voix de son cheval. Vincent Vanoli réalise également le portrait d'une société, ou d'un système économique avec un regard moqueur : le riche propriétaire qui souhaite se libérer du fardeau de diriger son exploitation, le régisseur qui qui fait son travail consciencieusement et pallie les manquements de son maître sans chercher à le supplanter, les moujiks conscients de la forme d'exploitation qu'ils subissent sans chercher à se révolter pour autant. Au travers de ces 3 positions sociales, l'auteur en profite pour évoquer l'âme russe, en tournant en dérision ce mélange de résignation et d'envie de changement. Vincent Vanoli ne s'en tient pas à une simple fable caustique sur un système social : à plusieurs reprises, il pousse la réflexion plus loin que le simple constat. Le lecteur se rend compte que l'évocation anachronique des bouleversements sociaux à venir fait ressortir avec force l'obsolescence du modèle en place, mais aussi le manque de discernement des protagonistes persuadés de l'immuabilité de ce modèle et de sa pérennité. Avec un regard pénétrant, Vanoli décortique aussi bien l'avantage pour les patrons de mettre en place la libre concurrence entre les individus qui s'écharpent entre eux pour des miettes plutôt que de s'unir contre les patrons, que la docilité et la tiédeur des ouvriers qui préfèrent la sécurité d'un système de classes éprouvé plutôt que l'incertitude de l'inconnu, l'arnaque sans nom de la théorie du ruissellement (passage très savoureux), le lyrisme romantique de Simirniakov à l'abri du besoin matériel, ou encore discrètement la religion en tant qu'opium du peuple, tout ça avec une verve sarcastique piquante, sans être cynique. S'il connaît déjà cet auteur, le lecteur est assuré de découvrir une bande dessinée atypique, et ce n'est rien de le dire. Sous des dehors de roman russe, Vincent Vanoli effectue la description d'une société de manière facétieuse que ce soit par les dessins comprenant diverses exagérations et déformations tout en conservant la priorité à la narration visuelle, ou par l'usage d'anachronismes choisis avec soin pour leur capacité révélatrice. Le tout forme un récit cohérent et savoureux, drôle et critique, intelligent atypique.
Une histoire du nationalisme Corse
Un autre documentaire intéressant tiré de La Revue dessinée. Ici, on parle d'un sujet politique et c'est un domaine qui m'intéresse. Le sujet est un historique sur le nationalisme corse. L'action commence dans le milieu des années 2010 lorsque les indépendantistes ont enfin obtenu le pouvoir politique en Corse après que les clans corses qui ont régné pendant des décennies ont fini complètement discrédité. Pour expliquer comment le nationalisme corse a fini par s'imposer comme première force politique sur l'ile, on retourne aux années 70 et on va voir l'évolution politique de la Corse jusqu'à la victoire des indépendantistes dans les années 2010. On va voir que si les premières revendications des nationalistes pouvaient être justes (L’État français avait distribué des terres agricoles et privilégié les pieds noirs par rapport aux jeunes corses), cela va vite dégénérer lorsque le FLNC va se former et prendre les armes. Ce mouvement va finir par se déchirer et tomber dans le grand banditisme. Si on connait déjà l'histoire de la Corse, je pense que les événements décrits dans la BD ne vont pas trop surprendre. Moi qui connait la Corse sur certains aspects (les attentats politiques et les règlements de compte), j'ai tout de même appris des choses et notamment sur les différents mouvements indépendantistes qui existent ou on existé en Corse. On peut regretter que certains aspects ne soient qu'effleurés, comme la mafia corse, qui a prospéré parce que la police était trop occupée avec le FLNC. Un truc que j'ai bien aimé est qu'on suit tout le long de l'album la statue de Pascal Paoli qui se promène à toutes les époques et fait des remarques intéressantes. Le dessin est sympathique.
Soeurs d'Ys - La malédiction du royaume englouti
Je ne connais la légende d'Ys que de très loin (en tout cas suffisamment pour reconnaître des points clés), mais je dois dire que cet album m'a vraiment plu. Déjà, le dessin est beau. Il colle parfaitement au cadre celte du récit, le côté très "crayonné" donne un cachet à l'aspect "légende ancienne". Ensuite, il y a l'histoire. Simple dans sa forme, complexe dans ses enjeux (comme le sont souvent les mythes et légendes). La séparation des sœurs, leur lien qui les unis malgré tout, ce père autrefois aimant qui se révèle cruel, un sordide secret, des pouvoirs et des contrats, le tout prenant rapidement des aspects de tragédie. L'histoire est prenante, la narration vive et agréable, les personnages plus complexes qu'il n'y paraît, … C'est du bon, vraiment. L'album était rangé au rayon enfants de ma bibliothèque, j'avoue que je conseillerais quand même la lecture à des pré-ados au minimum. Après cela, évidemment, j'invite toute personne de tout âge à tenter la lecture. (Note réelle 3,5)
Retour à Tomioka
Voilà un prix Jeunesse bien mérité à mes yeux. Jeunesse et plus d'ailleurs car j'ai personnellement été pris par cette épopée d'Osamu et d'Akiko à travers les zones hautement contaminées de Fukushima pour honorer leur grand-mère et réunir tous leurs ancêtres. Laurent Galandon propose ainsi un récit à hauteur d'enfants sur les risques du nucléaire bien plus percutant et touchant que nombre de documentaires. Même si on reste dans une pure fiction sa narration et sa galerie de personnages est si crédible que j'y ai trouvé un petit côté documentaire à la Emmanuel Lepage dans Un printemps à Tchernobyl. En effet de nombreuses thématiques; sur la forêt, les animaux, les populations ou travailleurs autochtones se retrouvent .Dans les deux cas cela conduit à un récit chargé d'émotion où la vie veut vaincre la peur. De façon très ingénieuse l'auteur introduit des sujets sensibles aux enfants: les animaux, les apparitions fantastiques dans un cadre moderne avec les tutos d'Akiko. C'est aussi une façon intelligente de faire connaître aux enfants urbains occidentaux ce Japon aux deux visages si moderne et si proche de la nature et de ses traditions ancestrales. J'ai beaucoup apprécié le côté réaliste du parcours des deux enfants. Le capitaine de police Tamura n'est pas un gros incapable qui se laisse berner par deux super enfants à la mode James Bond. Les situations de fuite sont toutes bien trouvées même si certaines sont assez connues. Le beau personnage providentiel ( il en faut bien un) de Natsuo apporte beaucoup au récit à travers une séquence drôle et imprévue et introduit un final ouvert avec une forte charge émotionnelle. Le graphisme avec une connotation Manga forte fait corps avec l'ambiance du récit. Cela convient parfaitement et plaira sûrement à un lectorat habitué à ce genre. C'est surtout vrai pour les personnages enfants, les adultes étant à mes yeux plus réalistes. Crouzat reste sobre dans l'expressivité de ses créatures en n'utilisant pas de SD plus ou moins humoristiques. J'y ai trouvé une raison de plus pour rester coller à ma lecture. Une très belle lecture pour tous les âges (8 +) qui ne joue pas sur la peur ou l'anxiété malgré sa lucidité.
Milady ou Le Mystère des Mousquetaires
Ouh, j'ai beaucoup beaucoup apprécié cette lecture ! Je n'ai jamais lu l'original des trois mousquetaires, mais j'ai les grandes lignes du roman et j'ai déjà tenté de le lire une première fois (j'ai abandonné à un moment, frisant l'indigestion). Le récit ici me semble encore une fois aller dans un certain sens, la relecture d'histoires faisant partie de notre patrimoine pour en tirer de nouvelles visions et lectures (je pense à Eurydice, Le Feu de Thésée et autres réappropriations de contes et mythes). Les auteurs décident de présenter ici le point de vue de l'une des rares femmes présentes dans le livre d'origine, en commençant avec un épisode que je me rappelle avoir lu dans le livre et qui est, rétrospectivement, bien violent ! Le personnage est présenté comme une intrigante pour le compte de Cardinal, mais cette fois-ci c'est franchement bien plus les mousquetaires qui deviennent des personnages détestables. D'Artagnan devient un petit con prétentieux et ses camarades ne font pas forcément meilleure figure. Il est intéressant de noter ce que le récit accorde comme place à la femme à l'origine, lorsqu'on remet bout-à-bout tout ce qu'il contient en essence. D'ailleurs j'ai trouvé que la façon de l'arranger finit par clairement faire ressortir ce qu'elle est : une femme qui tente de s'en sortir, intelligente et sachant user de ses charmes. La façon dont elle s'oppose aux mousquetaires devient finalement bien plus une opposition logique (et provoquée par leurs bêtises répétées aussi). C'est le genre de BD qui est intéressante dès lors qu'on connait l'histoire des Mousquetaires. Servie par un dessin qui fonctionne très bien, on sent que les auteurs sont un peu à charge sur certains aspects du récit (la pauvre fille s'est quand même pris pas mal dans la figure dès le premier chapitre), tandis que l'introduction et la conclusion éclairent à la fois les motivations et la façon dont l'arrangement est rendu possible. C'est original et bien trouvé, je recommande la lecture !
Lucky Luke vu par Mathieu Bonhomme (L'Homme qui tua Lucky Luke / Wanted Lucky Luke)
Voila une excellente reprise qui apporte un intérêt certain au personnage lisse et trop propre sur lui de Lucky Luke. S'inscrivant dans la time-line de la série-mère entre le moment où Lucky Luke fume et le moment où il arrête, le premier tome est un hommage clair et assumé à l'homme qui tire plus vite que son ombre. J'avais souvenir de l'avoir lu une première fois mais la relecture n'a rien perdu de son charme : l'histoire se dévoile petit à petit, entre foule excitée, coupables idéaux, méchants assez vite caractérisés ... Et puis tout change un peu, va plus loin que ce qui était supposé : Luke n'a plus de tabac est se sent irritable. La ville n'est pas idéal, et puis les méchants ne le sont peut-être pas tant que ça. L'histoire se tourne vers une critique sociale légère mais bien tenue. Et je suis assez surpris à la relecture du ton mélancolique et triste de la fin. C'est bien senti, inattendu mais franchement une bonne utilisation du personnage. Le dessin de Mathieu Bonhomme convient tout à fait au récit, avec la part belle aux paysages magnifiques et retranscrivant la boue, la crasse, les personnages longilignes qui contrastent avec les décors. C'est parfaitement maitrisé, dans la couleur et dans le traitement. Je lirais le second volume dès qu'il me tombera sous la main, c'est de l'excellent travail ! Le deuxième tome m'a légèrement moins convaincu. Je dirais qu'il est un peu trop rapide et facile dans certaines exécutions. Luke est toujours dans sa situation de non-fumeur, rencontre trois femmes qui semblent très intéressées par lui tout en ayant des ennuis. L’exécution de l'histoire tourne autour de quelques figures mythiques des albums du cow-boy, mais j'ai trouvé sa résolution plus simple et facile avec l'arrivé de la cavalerie. Il manque cette petite part de retournement final bien tenu qui apporte une réflexion plus large. La dernière page par contre propose quelque chose de bien intéressant en terme de développement de personnage. Dommage, j'aurais voulu plus apprécier !
1984 (Coste)
Avec pas moins de cinq albums sortis la même année pour adapter en BD le chef d’œuvre d’Orwell, aucun éditeur n’a semble-t-il voulu rater l’opportunité de profiter de l’arrivée dans le « domaine public » du roman. Ça fait donc un sacré embouteillage – et cela a sans doute dû poser quelques soucis de rentabilité à la plupart des albums ! Des trois que j’ai lus pour le moment, c’est avec le Nesti celle qui m’a le plus plu. Essentiellement par ses partis pris graphiques. En effet, Coste – qui utilise différentes bichromies – et, avec un dessin très sombre (parfois à la limite du lisible – sans franchir cette limite toutefois), il parvient à « montrer », autant que faire se peut, l’horreur du roman. Même si, il faut bien la reconnaitre, aucune adaptation ne donnera autant de force aux mots d’Orwell que lorsqu’ils sont jetés bruts pour nourrir l’imagination et les cauchemars des lecteurs. En tout cas, dans les limites du médium BD, Coste s’en sort bien. Pour mettre en place ce système totalitaire froid et implacable, puis pour décrire ce qui arrive à Winston une fois celui-ci arrêté. En lisant ce type d’œuvre, on ne peut que frémir en pensant à l’évolution des sociétés actuelles, qui se rapprochent par plusieurs aspects de celles qui avaient servi de « modèle » à Orwell (les dizaines de milliers de pages effacées des serveurs de certaines administrations américaines sou l’impulsion de Trump et de Musk récemment m’y ont fait penser. En tout cas, pour revenir à l’adaptation de Coste, par-delà le texte lui-même, forcément réduit et moins impactant que le roman, j’ai trouvé que sa force visuelle compensait en partie cette infériorité du médium, et qu’elle méritait à elle seule de lire cet album, plutôt réussi.
Le Cahier bleu
Mon avis concerne l'opus Après la pluie de cette série un peu bancale avec deux albums très distants dans le temps, dans le scénario et dans les personnages. Juillard propose un thriller au scénario bien ficelé à base de manipulation et avec une belle fausse piste qui provoque un final réaliste, intéressant mais un peu expéditif. Le personnages d'Abel est très attachant et très bien travaillé dans sa personnalité . J'ai aussi apprécié le personnage de Eve qui m'a renvoyé quelques années en arrière avec le personnage d'Elsa dans "Marathon Man". Le trait de Juillard est toujours aussi précis et réaliste. Ses personnages sont bien dans leur rôle avec des expressions adéquates même si je pourrais reprocher une certaine fixité voire rigidité comportementale. Les extérieurs et paysages sont précis et très travaillés.Le rythme est assez lent mais cela convient bien au personnage d'Abel réfléchi et raisonnable. La narration graphique est fluide avec un réalisme parfois brutal mais non voyeur dans la scène du viol. Une lecture détente bien agréable dans un thriller au final classique mais bien construit. 3.5
Les Bijoux de la Kardashian
Comment elle gagne sa vie déjà ? - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. La première parution date de 2019. Le récit a été écrit par François Vignolle et Julien Dumond, il a été dessiné, encré et mis en couleurs par Grégory Mardon. Cet ouvrage comprend 144 pages de bandes dessinées. Au Raincy, dans la banlieue nord de Paris, Yanis Habbache est en train de réparer un faux contact dans le moteur d'une voiture stationnée dans la rue. Son fils sort de l'immeuble et lui suggère de laisser tomber, car il juge la voiture bonne pour la casse. Le 28 septembre 2016, un jet privé atterrit à l'aéroport du Bourget. Il en descend Kim Kardashian, accompagnée par Simone son amie styliste, et escortée par son garde du corps. Les photographes la mitraillent depuis l'autre côté du grillage. Bien installée sur la banquette arrière d'une limousine, Kim Kardashian commence à twitter pour informer ses fans : elle est arrivée à Paris, une ville si romantique. Rue de Bretagne dans le troisième arrondissement, Aomar Ait Kacem pénètre dans le café Le Paparazzi. Il parle affaires avec le barman. Ce dernier lui montre une vidéo sur son portable : Vitali Sediuk un ancien journaliste de la télé ukrainienne s'est approché de Kardashian plaçant sa tête à côté de son postérieur. Il a rapidement été maîtrisé par le garde du corps de Kardashian. Aomar Ait Kacem (dit Le Vieux) indique au barman qu'il ne lui reste plus qu'à convaincre un vieil ami et il pourra accomplir le coup : cueillir Cendrillon. Le lendemain, Kim Kardashian participe au défilé Balmain à l'Hôtel Potocki. Elle y croise Carla Bruni. Les photographes n'arrêtent pas de la mitrailler. Son compte Twitter s'affole. Le dimanche 2 octobre 2016, Yanis Habbache remonte dans son appartement, et informe sa femme qu'il a fini le boulot sur la voiture : ça devrait lui rapporter 50 euros. On frappe à la porte : c'est Aomar Ait Kacem qui vient lui rendre visite. La femme de Yanis lui fait les gros yeux, pas contente de cette visite. Habbache vient lui proposer de participer à un gros coup. Aomar Ait Kacem lui indique qu'il va bientôt se faire opérer du cœur, et qu'il faut que ce soit un coup tranquille. Il en obtient l'assurance d'Habbache. Pendant la Fashion Week, Kim Kardashian est de tous les défilés, embrasant tous les réseaux sociaux : Twitter, Instagram, Snapchat. Enfin, le dimanche soir, elle va pouvoir passer une nuit tranquille, seule dans sa suite. À 02h10, trois clampins en blouson noir, avec un brassard Police et le visage masqué se présentent à la réception de l'hôtel No Adress, braquent le réceptionniste et se font ouvrir les portes. En face ce de la première page de bande dessinée, les auteurs indiquent qu'ils ont eu accès au dossier de l'enquête judiciaire et qu'ils ont rencontré plusieurs protagonistes de l'affaire. Pour autant certaines scènes relèvent de la fiction. Les faits sont simples : le 03 octobre 2016, Kim Kardashian se fait braquer dans sa suite de l'hôtel Pourtalès (dans le huitième arrondissement) et est victime d'un vol de bijoux pour un montant d'environ 10 millions d'euros. Le 09 janvier 2017, la police arrête les auteurs présumés du vol qui devraient être jugés en 2020. Au fil du récit, le lecteur fait connaissance avec 2 des braqueurs (Yanis Habbache, Aomar Ait Kacem, dont les noms ont été changés du fait que le procès n'ait pas encore eu lieu). Il se retrouve aux côtés de Kim Kardashian quand elle descend de son jet privé, dans sa suite à l'hôtel, chez elle à Los Angeles. Il participe aux investigations des principaux inspecteurs de police, Anton Molko, Justine Paquej et Loïc Libra dont les noms ont également été changés. La lecture donne une impression de reportage, comme si les auteurs avaient pu être présents dans les moments clé, avec un choix de séquences et un montage intelligents, sans donner dans le sensationnalisme. Grégory Mardon réalise des planches en phase avec cette approche. Ses dessins se situent entre des instantanés pris sur le vif (la coiffure d'Anton Molko) et des représentations avec une bonne densité descriptive pour que le lecteur puisse voir chaque lieu (rue du Raincy, intérieur de l'hôtel Potocki, appartement modeste d'Aomar Ait Kacem, suite luxueuse de l'hôtel Pourtalès, bureaux de la Brigade de Répression du Banditisme (BRB), quartier de Créteil, rue du dix-neuvième arrondissement, cellule du centre de détention de Fresnes. Les auteurs ont pris le parti d'effectuer une reconstitution naturaliste, sans exagération spectaculaire ou racoleuse. Les personnages ne sont pas représentés de manière romantique, ni embellis. Le lecteur peut voir les marques de l'âge sur les braqueurs. Grégory Mardon n'en rajoute pas sur la plastique de Kim Kardashian, simplifiant ses traits de visage, en marquant essentiellement ses grands yeux et ses lèvres charnues. Lors du braquage dans sa chambre, il ne la transforme pas en objet du désir même si elle ne porte qu'une robe de chambre, montrant plutôt sa vulnérabilité face aux voleurs qui eux -mêmes ne prêtent pas attention à son corps. Bien que le métier de cette personne soit de mettre en scène sa vie pour rentabiliser sa personne et son style de vie en tant que produit, elle apparaît comme un être humain, avec sa vulnérabilité, sans rien occulter de son mode de vie. Le talent de l'artiste va plus loin qu'humaniser une personne ayant un talent extraordinaire pour façonner son image, il sait faire exister sur le même plan, deux niveaux de vie séparés à l'extrême, de la banlieue ordinaire et banale, aux palaces des défilés de mode et aux fastes de la Fashion Week. Ainsi le récit est ancré dans le réel, sans misérabilisme pour le regard jeté sur les quartiers populaires, sans étoiles dans les yeux en regardant les signes ostentatoires de richesse, les paillettes et le luxe Les coscénaristes ont construit leur récit sur la base de séquences qui se focalisent sur les faits : le lieu de vie d'Aomar Ait Kacem, les prises de contact de Yanis Habbache, l'arrivée de Kim Kardashian à Paris, le braquage et la fuite (20 pages), l'arrivée de la police, la déclaration de la victime, les différentes phases de l'enquête. Pourtant le lecteur ressent des émotions, perçoit que les auteurs ne se contentent pas d'être factuels. Il lui faut un peu de temps pour se rendre compte que ces émotions sont essentiellement générées par les dessins. En effet il perçoit la concentration du garde du corps dans son visage fermé et tendu, l'indifférence blasée de Yanis Habbache faisant affaire avec le barman (étrange qu'il puisse fumer dans un café), les sourires professionnels de façade des people aux défilés, l'hostilité de la compagne de Kacem en voyant arriver Habbache, la terreur de Kim Kardashian se retrouvant à la merci d'individus cagoulés et armés, le calme né de l'expérience d'Anton Molko quand il prend connaissance des faits. De temps à autre, Grégory Mardon accentue une expression de visage pour marquer l'intensité de l'émotion, par exemple quand Anton Molko se rend compte que tout le monde donne son avis sur le braquage, sur les réseaux sociaux (Karl Lagerfeld, Mathieu Kassovitz). Il s'agit donc d'une histoire incarnée, où interagissent des individus adultes habités par des convictions et des valeurs. Le lecteur se demande bien quel parti pris vont adopter les auteurs pour raconter leur histoire : plutôt défense de la victime, ou plutôt Robin des Bois ? Voire moqueur en jouant sur le décalage sur la vie de célébrité de Kim Kardashian et le braquage effectué par des individus du troisième âge se déplaçant à bicyclette ? Bien sûr ce décalage est mis en scène : l'appartement modeste d'Aomar Ait Kacem contraste avec le luxe de la suite de Kim Kardashian, le déplacement à vélo avec gilet jaune est aux antipodes des déplacements en jet privé, les 50 euros de réparation à rapporter aux revenus de Kim Kardashian. Mais le récit ne vire pas à la dénonciation, à la critique sociale. Le style de vie de Kim Kardashian n'est montré comme enviable, ou comme un statut social à atteindre ; le style de vie de Kacem et Habbache n'est pas paré d'un vernis romantique, ni pointé du doigt. Kim Kardashian aspire à un moment de détente, à arrêter d'être en représentation pour une soirée ; les braqueurs ont déjà fait de la tôle, y passant plusieurs années de leur vie. Les auteurs ne se rangent donc ni du côté de Karl Lagerfeld réconfortant la star, ni de Mathieu Kassovitz voyant là un acte symbolique de revanche du peuple contre une profiteuse vaniteuse de la société du spectacle. Ils ne cherchent pas non plus à présenter une version originale ou différente de l'enquête, encore moins conspirationniste (ce braquage aurait été mis en scène comme tout le reste de la vie de Kim Kardashian…). Mais quand même… Au travers de cette reconstitution un peu romancée, le lecteur touche du doigt le spectacle factice monté de toutes pièces de la vie de Kim Kardashian, une sorte de quart d'heure de célébrité prophétisé par Andy Warhol (1928-1987), étiré à l'échelle d'une vie dans une société du spectacle théorisée par Guy Debord (1931-1994). Il contemple l'inégalité de la répartition des richesses. Il assiste à l'efficacité de la police dans son enquête, sans diabolisation (pas de sous-entendu sur un outil d'oppression), sans non plus d'angélisme sur ce corps de métier. Dans le même temps, cette bande dessinée retrace un fait divers, sous l'angle d'un fait de société en faisant apparaître les différentes composantes, les différents angles de vue pour le considérer, rendant compte d'une réalité complexe, habitée par des êtres humains complexes et divers, où la vie d'une célébrité se mettant en scène croise celle de banlieusards du troisième âge. François Vignolle, Julien Dumond et Grégory Mardon reconstituent le déroulement d'un fait divers sortant de l'ordinaire : le braquage d'une célébrité mondiale par un groupe de prolétaires âgés. Ils jouent le jeu du reportage objectif, trouvant le juste équilibre entre braqueurs et victimes, sans parti pris affiché pour les uns ou contre les autres. Le lecteur voit alors apparaître une radiographie partielle de la société sous un angle original et révélateur.
Léviathan (Ki-oon)
Lorsque j'ai ouvert le premier tome de ce manga d’épouvante à huis-clos, au vu de la phrase d'accroche au verso ("Monstre ou humain.... qui sommeille au cœur des ténèbres ?"), je m'attendais à une histoire classique à la Alien, avec un monstre voire un extra-terrestre, décimant l'ensemble des membres du vaisseau. Il n'en est en fait rien : il s'agit ici d'un manga de style Battle Royale où l'ensemble des protagonistes, pour la plupart enfants, bloqués dans un vaisseau spatiale, vont être amenés à s'entretuer pour espérer intégrer la capsule monoplace de survie. Tout comme Highlander, il ne peut en rester qu'un... :) Le manga entre très vite dans le sujet et laisse une large place à l'action. Si la réaction des passagers du vaisseau restent peu crédibles à mon goût (aucune tentative dans un premier temps de se sortir de la situation en coopérant), le premier tome instille ce qu'il faut de suspense pour que le lecteur ait envie de connaitre la suite. L'idée de dérouler l'histoire au travers de différentes périodes et du journal intime- et donc très subjectif - d'un des passagers est ainsi plutôt bien pensé. J'ai en revanche été moins conquis par le deuxième tome centré quasi exclusivement sur la guerre intestine se jouant entre tous les survivants. Malgré tout, le troisième tome achève de manière très honorable le triptyque avec plusieurs retournements de situation et une fin inattendue, mais bienvenue. Le fait de concentrer l'intrigue sur 3 tomes seulement est également à saluer, permettant d'avoir une histoire dense et rythmée, évitant ainsi le piège de la série à rallonge. Côté graphisme, j'ai plutôt apprécié le trait de Shiro Kuroi malgré quelques expressions de visage ou postures parfois étranges. Les nombreux personnages présentent des styles et des morphologies relativement différentes permettant de les discerner les uns des autres en étant un peu concentré. Une mention spéciale également à l'édition soignée du manga avec des couvertures sombres du plus bel effet, des tranches noircies et des bonus intéressants à la fin de chaque tome (portraits des personnages, cahiers graphiques et interview). Au final, malgré un tome 2 un peu en deçà, je ressors plutôt satisfait de ma lecture et je conseille tout de même l'achat aux aficionados du genre. Histoire, originalité : 7/10 Dessin, Mise en couleurs : 7,5/10 NOTE GLOBALE : 14,5/20