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Couverture de la série Idiss
Idiss

J'ai bien apprécié cette biographie "à valeur universelle" comme le voulait Robert Badinter. Ce récit mêle intimisme et histoire comme c'est souvent le cas pour les histoire de migrants. A travers cette lecture centrée sur la grand-mère, Idiss, je me suis attaché à cette famille juive d'origine Moldave, qui a connu les grands tourments du siècle dernier. A travers la vie d'Idiss les auteurs suivent les hauts et les bas de beaucoup de familles de migrants d'hier et d'aujourd'hui: pauvreté, pogroms, rêve républicain d'une égalité en droits, ascension sociale puis chute pour cause de racisme assassin. C'est la difficile partition vécue par de nombreuses familles que nous suivons dans un scénario clair et bien construit. La lecture est aisée avec une ambiance souvent optimiste et positive portée par le caractère d'Idiss. La fin est brutale comme si la disparition de la grand-mère en 1942 avait laissé ouverte la porte des malheurs. Les auteurs ont terminé leur série en rappelant en annexes les ordonnances scélérates du régime de Vichy. Le graphisme est très coloré et dynamique donnant un ton enjoué à l'ensemble du récit. Les visages se sont éloignés d'un réalisme photographique pour souligner le côté universel du récit. On a même par moment l'impression d'être dans une série jeunesse comme pour rappeler tous les bons moments de cette riche vie. Une lecture plaisante qui m'a souvent touché. 3.5

16/12/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Fin de la parenthèse
Fin de la parenthèse

Ça s’appelle l’égrégore. C’est hautement magique. - Ce tome est le second d’un diptyque : il fait suite à Tu n’as rien à craindre de moi (2016). Sa première édition date également de 2016. Il a été réalisé par Joann Sfar pour le scénario et les dessins, et par Brigitte Findakly pour les couleurs. Il comprend quatre-vingt-dix pages de bande dessinée. Il commence par une page d’introduction rédigée par l’auteur sur l’importance de Salvador Dalí pour lui. Deux individus sont en train de regarder et de commenter un tirage du tarot de Marseille. Ils échangent sur la fixation de l’un à propos des jumelles, sur les systèmes de pensée, sur le pouvoir des Américains, des Saoudiens ou des Qataris dans l’art contemporain, sur Romain Gary, sur les entretiens de Salvador Dalí avec Louis Pauwels, sur la façon dont Platon défendait le Logos par un recours paradoxal au mythe, etc. Sur une plage paradisiaque de sable blanc, Lior, une très belle femme, s’adresse à l’artiste pictural Seabearstein. Elle lui dit que ce qui le fait retourner en France n’a aucune logique. Lui-même entretient des doutes quant à sa décision de rentrer. Elle l’aide à faire son nœud de cravate. Il s’en va, et elle se rend compte qu’il lui manque… au bout de onze secondes. Elle croit qu’elle est vraiment amoureuse. Lui est arrivé à l’aéroport international de La Cucaracha, tirant sa valise à roulettes derrière lui, tout en fumant un cigare. Il prend place dans l’avion, et il sirote des cocktails. Il explique à l’hôtesse de l’air qu’aujourd’hui, pour une fois, un héros qui n’est pas américain va peut-être sauver la planète. Ce n’est pas lui, c’est Salvador Dalí. Derrière lui, deux autres voyageurs papotent en anglais, et évoquent des champignons hallucinogènes. L’artiste s’approche et ils lui en offrent un petit paquet. Seabearstein sort de l’avion à Paris, sous la pluie. Il se parle à lui-même : ce truc qui le saisit lorsqu’on revient en France. Ce sentiment que son pays vit une sorte de malédiction depuis trente ans. L’imaginaire en panne, incapables d’aimer le monde actuel, ni d’être aimés par lui. Ne plus comprendre ni les échanges économiques ni les mouvements de population. Ne plus comprendre l’amour non plus. Comme si à force d’être coincés entre Nord et Sud, on était devenus complètement idiots. Voilà ce vide où est la France aujourd’hui. Par manque de génie. On manque de génie. Il évoque Jean Gabin dans le film Le président, avec l’agent de la douane, lui faisant observer qu’avec un tribun comme lui, le Front National n’aurait aucune chance, ce dont son interlocuteur n’a cure. Il prend un taxi-moto pour se rendre l’aéroport à Paris, et il discute religion avec le motard. Ce dernier estime que la religion donne des réponses à toutes les questions. L’artiste rétorque qu’il veut devenir chrétien apostolique et romain, épouser Gala une deuxième fois, selon le rite copte. Il décide de descendre de moto et de terminer le trajet à pied sous la pluie. Il rejoint le Centre Dalinien pour le Futur dont les bureaux se situent place Vendôme, abrités par la maison Schiaparelli. Il discute avec Farida Khela, et il écoute le projet qu’elle lui propose : ressusciter ou réveiller Dali qui est cryogénisé par une expérience consistant à passer quatre nuits dans un hôtel particulier avec quatre modèles nues. Le lecteur retrouve Seabearstein, exilé dans une île paradisiaque à la fin du tom précédent, en compagnie de la magnifique Lior. Il rentre à Paris et il se voit confier une mission : réveiller Salvador Dalí (1904-1989) ou participer à sa résurrection en fonction du point de vue, en réalisant une session de dessins très particulière. L’enjeu est de sauver le monde, ou au moins la France d’un obscurantisme grandissant, par le retour de Dali en prophète non-religieux. Par contraste avec le tome précédent, celui-ci repose donc sur une intrigue, avec une mission dont l’objectif est défini, même si les modalités peuvent paraître floues. Le lecteur continue de voir en Seabearstein, un avatar de l’auteur dont le patronyme évoque une forme orthographique déformée de Cyber-stein. En effet les quatre modèles évoluent nues la plupart du temps, sauf Christel qui a choisi de porter un string avec l’accord de l’artiste. Il s’agit de quatre mannequins travaillant pour la haute couture, des maisons comme Yves Saint-Laurent ou Schiaparelli. En vis-à-vis de la page d’introduction de l’auteur, se trouve une photographie du peintre prise par Jean Gaumy, avec en arrière-plan quatre jeunes femmes nues. Alors que Seabearstein se trouve à assister à la préparation d’un défilé, il se fait la remarque qu’il n’y a aucune de ces modèles qu’il ait envie de voir nue. Il ne parvient pas à comprendre comment Farida Khelfa effectue ses castings : les filles trop sexy sont tout de suite éliminées. La haute couture, c’est l’anti-Pirelli. Il croit qu’elle garde les œuvres d’art sur pattes : des filles aux cartilages originaux, à la démarche inexplicable. Sfar les représente avec cette même vision : de grandes jeunes femmes, avec des os protubérants, parfois tout juste la peau sur les os, souples, conscientes de leur beauté, de très beaux yeux, des jambes interminables, des bras fins, de beaux cheveux. Le lecteur voit cette beauté plastique, sans pour autant qu’elle ne dégage d’érotisme. Le lecteur fait connaissance avec les quatre mannequins dès la couverture, un moment qui se situe vers la fin du récit : la blonde Christel, les jumelles nommées uniquement par leur surnom Tweedle Dee & Tweedle Dum, et au centre Seabearstein avec Ylva derrière lui. L’auteur donne rapidement un soupçon de personnalité aux jumelles qui restent toutefois interchangeables, remplissant leur fonction d’incarnation vivante de la beauté. Ylva bénéficie d’une discussion en tête à tête avec Seabearstein le temps de deux pages (34 & 35), évoquant son habitude d’être en retard à elle, le songe de Jacob (épisode biblique du Livre de la Genèse). Ces éléments ne joueront pas de rôle significatif par la suite ; en revanche le dessinateur retranscrit avec justesse et amour les différents gestes et postures du mannequin, très sensuels. Le cas de Christel s’avère un peu différent : elle et lui ont été dans une relation amoureuse précédemment. Elle assure sa fonction de muse dénudée, avec un soupçon de résistance symbolique au processus en conservant son string, et en ayant un enjeu émotionnel vis-à-vis de l’artiste. Son rôle n’est pas cantonné à une fonction : elle porte un regard personnel sur l’artiste qui les représente. Comme pour l’album précédent, le dessinateur fait preuve d’un degré élevé d’implication pour représenter les environnements, présents dans 95% des cases. Les caractéristiques de dessin restent les mêmes : des traits de contour très fins, un peu tremblés comme mal assurés, donnant une apparence parfois malhabile aux personnages et aux décors, voire froissée, tout en conservant un regard adulte dépourvu de naïveté. En dehors de l’hôtel particulier, l’artiste emmène le lecteur sur une plage paradisiaque, avec bungalow sur le sable, faire du surf sur les vagues, devant l’aéroport La Cucaracha, au guichet d’embarquement, dans les rangées de sièges de l’avion, dans un immeuble de la place Vendôme, dans ses sous-sols pour voir Dalí dans sa chambre de cryogénisation, dans les coulisses d’un défilé pour la maison Schiaparelli, dans les rues de Paris et dans le muséum d’Histoire naturelle. Il apporte également un grand soin à représenter les différentes pièces de l’hôtel particulier et leur décoration : la terrasse, le grand escalier avec ses tentures rouge et sa rambarde de bois, les parquets, les œuvres d’art, la chambre de Seabearstein, l’ascenseur, le jardin avec sa piscine, le salon avec ses canapés et ses fauteuils, la salle à manger. Sous des dehors griffonnés à la va-vite, Sfar représente cette habitation avec la même attention et la même affection qu’il porte aux modèles. Dans son introduction, Joan Sfar explicite son intention. Il commence par indiquer que ce livre n’est que la retranscription d’une expérience réelle, vécue à Paris l’an dernier par quatre modèles et un dessinateur. Il n’indique pas si l’expérience menée était exactement identique à celle racontée. Le lecteur peut penser que la forme littéraire l’emporte sur la réalité : Seabearstein semble bien fonctionner comme un avatar de l’auteur, tout en n’étant pas exactement lui, puisqu’il est possible d’assimiler l’un des passagers de l’avion à un autre avatar plus proche physiquement de l’auteur. Dans le même temps, la référence à la pratique du dessin en tant qu’étudiant d’art lors de dissection de cadavres correspond bien à une expérience personnelle de Sfar. Ensuite, l’expérience qui doit participer au réveil de Dalí s’avère très compréhensible : reproduire ses tableaux par les poses des mannequins. Sfar indique que c’est par ce processus qu’il a pu saisir l’esprit de Dalí au-delà des simples images que constituent ses tableaux. L’objectif devient : ranimer l’esprit de Salvador Dalí chez l’artiste pour retrouver sa flamme, ses visions, son génie. Cette interprétation de la présente bande dessinée se trouve confortée par l’introduction de Sfar, et le tirage des cartes du tarot de Marseille, au début et à la fin de l’ouvrage. L’auteur écrit que : L’envie de sacré ne le prend pas tous les jours. Il a peu d’enthousiasme pour les rituels des religions consacrée ; il ressent le besoin de se barder de la mystique de grands artistes. Il s’agit pour lui de défendre les arts et la liberté qu’on attaque de plus en plus. Face au mur des Pleurnichations, à la Pierre noire et à Saint Pierre, un urinoir, ça va pas suffire. Il incombe aux arts de kidnapper la fonction sacrée. Dans la deuxième partie du tirage de cartes, l’un des deux personnages mentionne la Kabbale, une tradition ésotérique du judaïsme. L’enjeu pour l’auteur est bel et bien d’effectuer une expérience mystique lui permettant de faire l’expérience d’une révélation spirituelle sur l’ordre des choses, le sens de la vie. A-t-il réussi ? Après lecture, il s’avère que le texte de quatrième de couverture synthétise bien la nature de cet ouvrage : Et si l’art était la seule alternative à la violence et à l’obscurantisme contemporain ? Et si seul Salvador Dalí, en prophète surréaliste pouvait en montrer le chemin ? Pour répondre à cette question, Joann Sfar raconte son étude des œuvres du peintre, par le biais d’une expérience entre réalité et fiction (dans une proportion impossible à déterminer) : un rituel entre spiritisme et reconstitution des œuvres du maître. Le lecteur ressort de cette bande dessinée avec l’envie irrépressible de découvrir l’œuvre de Salvador Dalí, avec ses propres moyens, un rituel d’acculturation à sa manière en fonction de ses moyens.

16/12/2024 (modifier)
Couverture de la série L'Executeur
L'Executeur

Du travail bien fait, efficace, dynamique, hyper rythmé. Les amateurs de polars musclés misant avant tout – et quasi uniquement sur l’action – seront sans aucun doute satisfaits de découvrir cette série, qui ne s’embarrasse pas de psychologie, mais qui réussit son pari de tenir en haleine le lecteur. Le principe est assez simple sur le papier. Et en y réfléchissant, pas toujours crédible. Mais là on oublie aisément ce détail. De riches personnes, parient des sommes énormes durant un jeu particulier. Chaque parieur/joueur dispose d’un pion, un homme/tueur, qui doit survivre à un duel, et éliminer le pion/tueur de son adversaire (si nécessaire en apportant un « marqueur », c’est-à-dire un doigt). Harry, le héros, ancien militaire devenu « pion » presque par hasard, va se révéler excellent, le meilleur de tous. Mais aussi sans pitié, ne se contentant pas de prélever un doigt, et tuant le plus souvent les « perdants ». Lorsqu’il veut quitter le jeu, il doit alors faire face à la volonté des « joueurs » de l’éliminer, dans une partie où les enjeux financiers ont décuplé. C’est violent, de l’action pure, avec un dernier tome qui m’a fait penser à certains passages de la chasse de Zaroff. C’est une série assez typée, qui manque certes de profondeur. Mais dans le genre thriller/polar cynique et violent, elle se situe dans le haut du panier, c’est très bien réalisé. Avec un dessin réaliste agréable (seule la colorisation m’est parfois apparu inégale). Une belle réussite du genre, critiquable, mais si c’est votre came, c’est du tout bon.

15/12/2024 (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5
Couverture de la série L'Université des Chèvres
L'Université des Chèvres

Je commence à découvrir les BD de Lax, qui m'intéresse décidément beaucoup. Avec "L'université des chèvres" il parle d'un thème déjà évoqué dans Un certain Cervantès, à savoir l'éducation et la culture. Son récit est surprenant, tellement que j'ai longtemps cru que c'était une réelle histoire avant de découvrir que non, c'était un récit inventé sur un canevas réel. Et c'est franchement surprenant ! Le suivi est logique et permet d'établir la continuité du message, à savoir une lutte constante contre l'obscurantisme et pour le développement intellectuel des enfants. L'accès à la littérature et aux livres, l'apprentissage de la lecture et la transmission des savoirs dans des sociétés qui rejettent cette source d'émancipation. Que ce soit le curé, l'imam ou le chef du village, c'est une querelle de compromis, de vision du monde et de volonté religieuse qui s'organise. Le trait de Lax est excellent, avec un sens de la couleur et de la lumière remarquable. Que les environnement soient le désert américain, les Alpes, les montagnes Afghanes, j'ai apprécié l'utilisation de la couleur pour faire ressortir la lumière. Le dessin transmet beaucoup et permet de s'immerger rapidement dans le récit, mais aussi de marquer la continuité entre les époques et les thématiques. Ce qui m'a beaucoup plu, également, c'est que la BD passe par différents moments qu'il joint thématiquement même s'ils nous semblent éloignés dans les faits. Par exemple les pensionnats indiens, le trumpisme ou l'école coranique, qui participent pourtant au même débat. Et la question liée du racisme, du colonialisme, de la question éducative, des femmes ... Ces éternels sujets qu'il faut sans cesse ressasser en espérant qu'un jour, enfin, il n'y ai plus besoin de les défendre ... Une BD éducative sur l'éducation, qui m'a personnellement beaucoup plu. Les personnages fictifs sont attachants et le récit porte des questionnements que je trouve très actuels. Une lecture plaisante et recommandée !

15/12/2024 (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5
Couverture de la série Eurydice
Eurydice

J'ai bien évidemment acheté la BD dès que je pouvais me précipiter chez le libraire qui le mettait en devanture, puisque Lou Lubie et Solen Guivre passaient en dédicace dans ma ville et que j'ai pu avoir un joli Pygmalion et Orphée sur la page de garde ! Mais j'ai mis du temps à la lire puisque ma copine avait préséance, étant donné que c'est elle qui avait fait la dédicace (on ne vole pas la première lecture aux autres !). Bref, j'ai enfin pu le lire et oui, c'est du très bon ! Même si à titre personnel, j'ai un léger souci, pas bien méchant, mais qui m'a titillé en fermant la lecture : la sensation que la BD était trop courte. En tout cas, si les deux autrices veulent remettre le couvert pour d'autres mythes grecs c'est un grand OUI pour ma part ! Parce que la mythologie grec, j'en raffole, que je lis et dévore tout ce qui y traite et que, bien qu'appréciant les mythes d'origine, je suis carrément avec les relectures de mythes pour en faire une histoire adapté à notre temps et nos enjeux. Tirésias, Le Feu de Thésée, La Gloire d'Héra ou encore Médée, Le Dieu vagabond me semblent d'excellentes idées : la reprise de thèmes classiques souvent connus par le grand nombre pour en refaire sortir une morale, une idée, une clé de lecture du monde mais contemporain. Et c'est tout ce que j'apprécie dans les mythes : cette possibilité d'être repris et refait à toutes les sauces, pour nous parler encore et toujours de nous. Je digresse mais c'est un point essentiel pour moi, puisque la BD est à la fois une adaptation du mythe d'Orphée, mais aussi une relecture de celui-ci intégrant divers sujets bien d'actualités. La question du mensonge religieux, la représentation des corps, la technologie (avec Galatée et Pygmalion), les travailleurs et les artistes ... Des questionnements bien contemporains que j'ai trouvé traités élégamment, chacun ayant droit à sa touche sans forcément de réponse claire, nous laissant avec les conclusions que l'on veut. Mais c'est assez pertinent sur bien des points, et le cahier graphique avec les sources d'inspirations à la fin est une excellente idée pour nous en révéler quelque unes qui peuvent passer inaperçu (je n'avais pas remarqué comment avait été dessiné Galatée par rapport aux autres femmes par exemple) mais aussi pour montrer les sources d'influences diverses, à la croisée de bien des civilisations ! L'histoire et le découpage sont précis, mais le dessin de Solène Guivre, que je découvre, est formidable ! Que ce soit dans les corps (et la danse), où l'on sent le poids de la chair, du mouvement, la sueur et l'effort, où le monde de papier et de pierre qui oscille entre un fantasme de beauté blanche et pure et une réalité dure et colorée, on sent le travail derrière. Et je dirais que niveau jeux de couleurs, c'est tout aussi prenant, que ce soit la représentation synesthésique de la musique où les contrastes du désert. Une relecture mythologique qui flirte avec le féminisme, la lutte des classes et les luttes de pouvoir, forcément ça allait me parler. Assez limpide pour qu'on y rattache ce qu'on veut comme métaphore (j'y ai personnellement vu la question des IA), mais assez cryptique pour qu'on ne puisse pas limiter l'histoire à une seule vision. Le mythe d'Orphée est encore une fois repris, preuve de son intemporalité, pour s'inscrire dans notre temporalité, et je ne peux que vous encourager à le découvrir !

15/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Les Indociles
Les Indociles

J’ai lu la série dans l’intégrale. Ça m’a occupé plusieurs soirées, mais ça a été un réel plaisir de m’endormir avec dans la tête l’histoire de ces quelques individus, sur une cinquantaine d’années. L’un des rares bémols concerne le deuxième tome. J’ai vraiment eu du mal avec le saut temporel. C’était le premier de la série (chaque tome se déroule durant une décennie), surtout parce que beaucoup de personnages se sont joints à ceux que nous suivions déjà. Si par la suite j’ai réussi à les assimiler, j’ai trouvé cette transition un peu ardue. Mais pour le reste, c’est clairement une très belle, très chouette série. Avec un dessin à la fois simple et expressif, efficace et fluide : agréable. Comment réussit parfaitement à faire « vieillir » ses personnages, et à donner à chacun (et pourtant le casting est vraiment imposant) une personnalité physique reconnaissable. Mais c’est aussi que l’intrigue développée par Rebetez, elle aussi d’une grande simplicité dans le déroulé et les dialogues, se révèle aussi d’une grande richesse, et d’une grande justesse. Comme nous suivons l’évolution des personnages sur toute leur vie, on prend vraiment le temps de découvrir ces personnalités. Mais c’est aussi l’évolution de la société qui est mise en avant. Les « époques » successives, rythmées par l’évolution physiques des personnages, par les chansons qui accompagnent de nombreux passages, enrichissent le récit. Récit qui fait presque œuvre de sociologie, avec les utopies soixante-huitardes, peu à peu mises au rencard, jusqu’à la vente vers la fin de la ferme des Indociles. Au passage, quel joli titre, tellement évocateur de la personnalité de Lulu, dont la personnalité est au centre du récit. Tous les personnages exposent forces et fêlures (Lulu qui met plus de quarante ans à consommer avec Chiara un amour de jeunesse ; Jo qui n’a jamais pu assumer totalement avec tous son homosexualité, etc.). Au sortir de cette lecture, et face à la complexe simplicité du récit et des personnalités qui l’ont animé, on a clairement le sentiment d’avoir traversé une belle histoire. Triste, douloureuse. Mais belle. Et originale. Une lecture des plus recommandables en tout cas !

15/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Alim le tanneur
Alim le tanneur

J'ai passé un formidable moment de lecture avec les quatre tomes de cette série. J'avais vu son bon classement sur le site mais je n'avais lu ni le résumé ni les avis. C'est donc entièrement vierge de toute influence que j'ai commencé ma lecture. J'ai immédiatement été séduit par l'ambiance et le rythme donné par le graphisme de Virginie Augustin. Un début de série qui rappelle étrangement Aladdin de Disney jusqu'à la découverte des reliques. Ensuite le ton change et la narration de Lupano prend le dessus . Dans une société théocratique et sacrificielle, le blasphème et l'hérésie ne sont jamais loin de la peine capitale. Le ton est donné et malgré un graphisme tout en rondeur , c'est un scénario d'une grande intensité dramatique que cisèle Lupano. On y retrouve une multitude de références à la sanglante histoire de l'humanité. Lupano ratisse large : "sauveur" "prophète" "grand timonier" et d'autres renvoient clairement aux religions modernes ou à des épisodes historiques athées sanglants. Le personnage d'Alim s'efface assez rapidement face au pragmatique Khélob ou au guerrier fondamentaliste habité Torq Djihid. Si tous les deux utilisent la violence sans état d'âme leur finalité est différente. Khélob rêve d'une pax romana (ou américana ou de n'importe quel grand empire) pour apporter la lumière (Tome 3 page 25) alors que Torq lui rêve d'apporter la Vérité. Ya t il une troisième voie possible ? Lupano ne répond pas clairement ce qui rend son récit très pessimiste. Le choix d'Alim de s'isoler à la façon d'un Voltaire pour "cultiver son jardin" a montré ses limites car même caché au fond d'une sirène tueuse pendant des dizaines d'années, l'Histoire et ses tourments rattraperont Alim. Lupano a beau introduire des personnages plus légers (Bul ou Soubyre) c'est une réflexion assez sombre sur le sens de l'histoire à laquelle nous invite le final de l'auteur. J'ai déjà dit que le graphisme était très décalé par rapport à la thématique centrale de la série. Cela rend la lecture bien plus légère et dynamique à mon sens. Perso cela m'a beaucoup séduit. Ce dessin très rond qui tend souvent vers l'humour équilibre par sa lumière un récit souvent très noir. Une lecture marquante produite et construite avec beaucoup d'intelligence.

15/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Un bruit étrange et beau
Un bruit étrange et beau

Je ne suis pas un Titeuf's fan et mes enfants non plus. C'est dire si j'ai été favorablement surpris par cette série de Zep. Premièrement j'ai trouvé le sujet très original. Le scénario est linéaire et on devine vite où l'auteur veut nous mener avec cette rencontre dans le train mais on est très loin des caricatures habituelles du monde monastique. De plus Zep utilise des dialogues pertinents qui font sens à l'engagement de William. L'utilisation des retours dans le passé est juste équilibré mais ce n'est pas ce qui donne le plus de matières à réflexions. Comme c'est un récit tourné vers le dialogue (un comble pour un Chartreux voué au silence) et l'intériorité, j'aurais pu craindre des longueurs et un manque de dynamisme. Perso je ne me suis pas du tout ennuyé et je remercie l'auteur d'avoir exploré cette thématique de façon aussi juste. Évidemment le final est un peu convenu et ferait bien plus plaisir au fisc qu'à Mery. Le graphisme est composé principalement de visages de face sur un mode assez réaliste. Cela donne un côté interview documentaire qui s'adresse directement au lecteur. Une lecture intéressante que j'ai bien appréciée.

15/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Minuit Passé
Minuit Passé

Un album intéressant mais pas exempt de petits défauts, néanmoins le ressenti en sortie de lecture est plus que positif. Comme mes camarades, je vais saluer le soin apportée sur la qualité éditoriale. L’objet est assez somptueux dans ses finitions : titre de couverture en relief doré, impression sur les tranches des pages, bonus en fin d’album … Il ne manque que le marque page en tissu pour que ce soit vraiment parfait. En tout cas, tout est là pour nous rappeler les livres d’autrefois. Mais c’est bien l’auteure qui m’a fait franchir le pas de l’acquisition, sa précédente œuvre Le Jardin - Paris m’avait très agréablement interpellé. Gaëlle Geniller possède un style toute en finesse qui se révèle dès plus chatoyant pour l’œil. Ça m’a d’ailleurs bien amusé de découvrir qu’elle avait fait ses armes sur un album spin off des légendaires … bonjour le grand écart. Depuis elle assure seule un taf magnifique : une narration maîtrisée avec de chouettes trouvailles, des couleurs bien choisies qui installent parfaitement les ambiances et un trait d’une belle élégance. Pour faire mon chieur, je reprocherais juste des visages masculins parfois un poil trop efféminés, ce coté est accentué par des talons un peu trop imposants à mon goût ; mais bon ça n’empêche pas la magie d’opérer. Niveau récit, je ne vais pas trop en dire mais c’est bien construit, comme le souligne Pol ça tarde juste à se livrer (et il ne faut pas s’attendre à un truc de fou) mais la fin reste belle et sympathique. En fait, le fond/l’ambiance m’a fait pensé à Ne touchez à rien, on sent que le lieu est un protagoniste à part entière du récit, qu’il instille le mystère et ce petit côté lourd/pesant. Cependant le traitement proposé est à l’opposé en terme d’ambiance, ici rien n’est vraiment oppressant ou malsain. Alors que j’attendais un peu de drame ou noirceur, l’auteure développe un style plus mélancolique teintée de poésie lumineuse. Au final, bien plus une question d’ambiance qu’une histoire proprement dite. Un album bien réalisé, étonnant et chaleureux.

15/12/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Le Feu et la glace
Le Feu et la glace

Ne craignez rien mesdemoiselles, nous ne sommes pas français ! - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa parution originale date de 2024. Il a été réalisé par Jean-Luc Cornette pour le scénario, et par Jürg pour les dessins et les couleurs. Il compte soixante-seize pages de bande dessinée. Il se termine avec un dossier de cinq pages, rédigé par le scénariste, intitulé Le récit d’un film qui n’a jamais existé. Il est structuré en trois chapitres successivement intitulés : La fête avant l’apocalypse, Ça tourne et ça cause, une équipe technique de pointe, Un casting de rêve. Paris, le sept juin 1929, le music-hall du Moulin Rouge accueille Adelaïde Hall dans la troupe des Black Birds of 1928. Elle interprète une chanson, accompagnée d’un orchestre de huit musiciens, avec quatre choristes et des danseuses en arrière. Dans la salle se trouvent Ira Gershwin et Kurt Weill en train d’admirer son talent. Elle finit sa chanson sous un tonnerre d’applaudissement, tandis que les deux hommes se lèvent et se dépêchent pour aller la féliciter dans sa loge, car Ira veut la présenter à son ami. Ils entrent sans frapper dans la loge, alors que les danseuses sont en train de se changer, et Gershwin les rassurent en leur disant qu’elles ne craignent rien, ils ne sont pas français. Juste en culotte, Adelaïde les accueille les bras grands ouverts. Ira lui présente Kurt, comme un très grand compositeur. Ce dernier présente ses hommages à la jeune femme, se disant meurtri de ne pas lui avoir apporté de fleurs. Peut-il lui offrir le champagne ? Elle préfère qu’ils l’emmènent au Sacré-Cœur pour contempler le ciel… une fois qu’elle aura passé une robe. À Berlin le dix-sept juin, Georg Willhelm Pabst est en train de donner des consignes à l’éclairagiste pour placer un spot éclairant le décor de chambre sur le plateau de tournage, pendant que quatre autres techniciens s’affairent. Le béret très penché, Marlene Dietrich entre en faisant une scène au réalisateur, se déclarant fâchée contre lui, très fâchée. Elle lui reproche d’avoir tourné La boite de Pandore avec la petite américaine, alors qu’elle était disponible. Elle s’allume une cigarette et s’assoit sur un canapé, ce qui réveille Louise Brooks qui dormait dessus sous des draps. Il les présente l’une à l’autre, et enjoint Louise de regagner son hôtel et de ne pas sortir le soir, car ils tournent demain. Les deux actrices sortent ensemble à l’extérieur, et Marlene promet à Louise de l’emmener dans des endroits que la petite Américaine ne peut imaginer. Chemin faisant, elles passent devant deux filles faisant le trottoir dont l’une les aborde pour leur proposer de les fesser, de leur pincer les tétons ou de les mordre à pleines dents pour quelques marks. Et pour un petit supplément, elle les flagelle. Louise lui demande de ne pas le prendre mal, mais elle préfèrerait connaître le plaisir des souffrances avec un beau garçon plein de muscles. La professionnelle insiste en proposant des brûlures de cigarettes. Les deux actrices vont manger à l’Adlon. Pendant le repas, Marlene propose à Louise de lui faire rencontrer la plus grande actrice au monde : elle est allemande et elle sera ce soir à l’Eldorado. Une petite fantaisie solidement ancrée dans la réalité : les auteurs s’amusent à développer l’éventualité d’un troisième film tourné par le réalisateur Georg Wilhelm Pabst (1885 1967), avec l’actrice Louise Brooks (1906-1985), une actrice américaine. Ensemble, ils avaient déjà travaillé pour deux films muets tournés en 1929 : Loulou (Die Büchse der Pandora), Le Journal d'une fille perdue (Das Tagebuch einer Verlorenen). Marlene Dietrich évoque sa carrière, mais aussi son époux Rudolf Sieber (1897-1976) et leur fille Maria Elisabeth. Enfin, la chanteuse de jazz américaine Adelaide Hall (1901-1993) n’a pas connu la même notoriété que les deux actrices, et les faits la concernant sont également exacts. L’acteur Charles Vanel (1892-1989) joue un rôle plutôt secondaire (dans la bande dessinée, moins dans le film fictif réalisé dans la bande dessinée). En revanche, Sepp Allgeier (1895-1968) y joue un rôle secondaire plus important, et le lecteur peut également apprécier la plausibilité de son comportement et de ses convictions, cohérents à la fois par les informations contenues dans le dossier en fin de tome, et par les informations disponibles dans les encyclopédies en ligne. La solidité historique de cette fantaisie se constate également dans les interventions d’Ira Gershwin (1896-1983) et de Kurt Weill (1900-1950). Le lecteur attentif peut même relever la mention d’une robe créée par le grand couturier et parfumeur Paul Poiret (1879-1944, voir Ne pas peindre , 2019, de Philippe Dupuy). La couverture donne une bonne indication des caractéristiques graphiques des dessins : un degré de simplification dans les traits de visage, ce qui donne une apparence assez jeune à tout le monde, des traits de contour simples et assurés avec des arrondis pour les femmes, des traits moins lissés pour les hommes, une forme d’ombrage en grisé ajoutant du relief aux surfaces, et une tonalité semblant insouciante. Dans les pages intérieures, la représentation des personnages conserve ces caractéristiques, avec une direction d’acteurs de type naturaliste, et une expressivité des visages, pour une large gamme d’émotions et d’états d’esprit, tous adultes de nature. Le lecteur apprécie les visages ouverts de la majeure partie des personnages, souvent le sourire aux lèvres, semblant dire qu’il s’agit plutôt d’une comédie. En fonction de sa familiarité avec les personnages connus, le lecteur peut s’apercevoir que l’artiste accentue une ou deux de leurs caractéristiques. Marlene porte le béret tellement penché qu’on se demande comment il peut tenir ainsi positionné. Louise donne l’impression d’être une très jeune adolescente, ce qui la rend primesautière et pleine d’entrain, mutine et craquante, plus nature par comparaison avec la sophistication de Dietrich. Adélaïde dispose également de son caractère propre, plus dansante du fait de son métier, plus ouverte et chaleureuse, tout en étant plus sérieuse ou en tout cas moins fêtarde que les deux autres. La bande dessinée s’ouvre avec un dessin en pleine page : la vision du Moulin Rouge et de la place se trouvant devant. Il y a une forme de naïveté dans le rendu, par la simplification du bâtiment, le grand espace ouvert devant le découpage entre chaussée et trottoir manquant de plausibilité. Dans le même temps, les informations visuelles présentent une bonne densité : le bâtiment avec le célèbre moulin et ses ailes, le rez-de-chaussée très éclairé pour la fête, la circulation des voitures, les immeubles alentours, les passants. L’artiste joue ainsi avec le degré de réalisme de la représentation : de très concret pour le plateau de tournage de Pabst ou pour l’alignement des gratte-ciels sur le front de l’océan lors de l’arrivée du paquebot S.S. Homeric le six août 1929, à une interprétation plus libre pour des éléments comme la tenue d’une prostituée de rue, ou la représentation des ponts du paquebot. L’artiste conçoit des prises de vue vivantes, y compris pour les scènes de dialogue, prenant soin de représenter régulièrement l’environnement dans lequel elles se déroulent, les mouvements des personnages, en changeant d’angle de vue en fonction de qui parle. Plusieurs moments donnent lieu à un visuel mémorable : Adélaïde Hall se produisant sur scène, le plateau de tournage à Berlin le dix-sept juin 1929, le jeu d’actrices quand Dietrich essaye de prendre le dessus sur Brooks, la superbe vue depuis la table en terrasse au restaurant Traube dans le Gourmenia-Palast à Berlin, la manière dont Charles Vanel réagit aux observations de Marlene Dietrich, les séquences du film en noir & blanc pour les distinguer de l’histoire principale avec la séquence du vol de la bague et le voleur qui saute par-dessus le bastingage, le terrible moment d’intimité entre Adélaïde et Sepp Allgeier, etc. Le lecteur passe donc un moment plaisant en découvrant ce projet de film à bord d’un bateau. L’embarquement pour la traversée se fait en page trente-deux. Précédemment, les différents personnages ont fait connaissance entre eux. Au cours du voyage, les liens interpersonnels se développent, et le réalisateur tourne les séquences de son film. Le lecteur anticipe le fait que les auteurs vont respecter la réalité historique et que ce projet de film ne pourra pas aboutir. Pour autant l’intrigue entretient son attention pour découvrir les raisons de cet échec. Le récit développe plusieurs thèmes, soit de manière sous-jacente, soit de manière plus directe. Le comportement des trois amies se situe dans la première catégorie : trois femmes qui travaillent, qui sont indépendantes, trois femmes au comportement libéré avant l’heure, y compris dans leur amour de la fête et des relations sexuelles pour le plaisir. Tout aussi incidemment, le récit reflète la démarche de création du réalisateur, ainsi que ses critères pour un film intéressant, en particulier en ce qui concerne sa chute. De façon explicite, sont montrés un mode de vie avec de nombreuses occasions de fête, un art encore assez jeune qui se prépare à passer du muet au parlant, et un racisme conduisant un individu à nier ses émotions pour ne pas se remettre en question. Le lecteur se laisse facilement embarquer à bord du paquebot S.S. Homeric pour le tournage d’un film fictif, avec des actrices devenues légendaires, Louise Brooks et Marlene Dietrich, un réalisateur passé à la postérité, Georg Wilhelm Pabst. Le ton s’avère léger, plus comédie que drame, avec un ancrage très solide dans la réalité de l’époque, en particulier pour les personnages mis en scène. Le lecteur s’inviterait bien aux sorties nocturnes des deux actrices. Il mesure à quel point un film tient à de nombreux paramètres, à des circonstances qui peuvent échapper à tout contrôle, à la personnalité de chaque créateur, et que chaque création prête le flanc à des critiques de tout genre.

15/12/2024 (modifier)