Un récit de jeunes garçons dans la Tunisie des années 80. Ils sont trois dans la même classe, un peu turbulents, surtout le plus âgé d'entre eux qui est un pur rebelle aux allures de petit caïd. A l'inverse, leur maître d'école est ultra sévère et les punit douloureusement à chacune de leurs bêtises. Poussé par le plus grand, ils vont chercher à se venger de lui et traverser la banlieue de Tunis à pied pour atteindre son logement. Sauf que le petit frère de l'un des trois l'a forcé à le laisser les accompagner. Et bien qu’il soit un excellent joueur de football et un garçon débrouillard, l’aventure est trop grande pour lui, tout comme pour les trois autres d’ailleurs.
Avec une économie de traits et un style volontairement lâché, l’auteur parvient à restituer avec justesse l’atmosphère des rues et des terrains vagues d’un Maghreb de l’époque, un décor familier à ceux, comme moi, qui ont grandi en Afrique dans les années 70 et 80. Ce récit m’a rappelé ces amitiés un peu risquées, ces aventures d’enfants audacieux qui se lancent dans des bêtises ensemble. Le quatuor de personnages, aux personnalités bien distinctes, fonctionne parfaitement. Il y a ce rebelle, d’abord effrayant dans son nihilisme, mais qui se dévoile sous un jour plus humain quand il nous montre ses failles, notamment à travers sa passion pour la danse. À ses côtés, un ami franco-tunisien, blond, qui lutte contre la perception qu’on a de lui comme étant plus français que tunisien. Puis, le petit frère, brillant et talentueux, mais encore trop immature pour saisir pleinement les enjeux de l’aventure. Enfin, le quatrième ami, plus sage, qui, bien que de nature raisonnable, suit néanmoins le rebelle comme un chef.
Leur périple à travers les quartiers en construction de la banlieue tunisienne prend des airs de traversée du désert, comme un groupe de cow-boys s’aventurant dans un environnement à la fois familier et menaçant. Peu à peu, nous découvrons leur véritable objectif, un secret que le petit frère ignore presque jusqu’à la fin, étant un peu l’intrus dans cette escapade. L’ambiance est d’une rare efficacité, évoquant de manière poignante et parfois dérangeante ces souvenirs d’enfance où l’on ressent à la fois l’excitation du danger et l’intensité de l’aventure, loin du regard des adultes, dans un monde pourtant banal.
La fin, bien que brusque, se révèle à la fois puissante et cruelle, laissant place à une ouverture qui fait écho à la nature même des souvenirs d’enfance : on ne saura jamais vraiment ce qu’il s’est passé après la fuite. J’aurais aimé des dessins plus soignés et des décors plus détaillés, mais peut-être que cela aurait diminué l’intensité de la narration et l’atmosphère si particulière qui se dégage de ce récit.
J’ai emprunté cet album un peu au hasard, et je pensais, à la vue de la couverture et de la citation en exergue, avoir affaire à un polar mâtiné de politique comme savait en écrire Manchette.
S’il y a bien de ça dans ce récit, c’est en fait bien plus complexe, et ça ressemble plutôt à un quasi documentaire tournant autour de l’engagement politique violent durant les années 1970, à propos de la cause palestinienne, mais surtout autour de groupes de l’ultra gauche, comme Action directe.
Les auteurs se sont énormément documentés (ce que confirme l’imposante bibliographie en fin de volume) et le récit est clair et complet, la narration est fluide. Il n’est pas nécessaire de connaitre le sujet avant d’entamer la lecture, même si, le sujet m’intéressant de longue date, j’y suis entré très facilement.
Outre la traque des leaders d’Action Directe par divers services de police et de renseignement, le récit est centré sur un personnage intrigant – et intriguant ! – que je ne connaissais pas du tout, Gabriel Chahine, qui a permis aux policiers d’infiltrer AD.
Le dessin est un peu inégal (surtout sur certains visages), mais globalement je l’ai bien aimé. Les décors sont réussis, et le rendu, usant de diverses bichromies, est agréable.
Une lecture intéressante.
Tiré d'un roman, cette histoire de fantasy allie un dessin tout ce qu'il y a de plus agréable et de plus lisible avec un scénario original. Le tout en respectant les codes du genre mais en évitant les clichés habituels. Il y aura donc bien une quête, qui impose la traversée d'une forêt hostile, à la recherche du mystérieux roi des fauves. Avant d'en arriver là, l'introduction permet de poser le contexte de cet univers et de faire connaissance avec nos héros. Au delà de la découverte de ces fondations, l'intrigue est vite prenante et, du coup, on part à l'aventure avec entrain et curiosité.
Il est donc question de 3 adolescents, condamnés pour diverses raisons avec d'autres personnages, à devenir des bersekirs, sortes de monstres mi animaux, mi humains. Pour cela on leur a injecté une sorte de ver dans l'organisme, qui va les dévorer petit à petit de l'intérieur et les transformer progressivement. Leur prison est une immense forêt froide et humide. Ils n'ont que quelques jours devant eux avant que la transformation ne s'opère...
Tout ça fonctionne vraiment très très bien. L'histoire est rythmée, prenante, originale. On suit avec curiosité la progression de nos jeunes héros. Qu'est ce qui est en train de leur arriver ? Vont ils vraiment se transformer en monstres ? Par petites touches intelligemment distillées, on voit les premiers effets des vers qui s'attaquent à eux. Ca amène une petite tension bienvenue. Ca amène surtout ce qu'il faut de mystères et d'originalité pour que cette histoire sorte du lot.
Je suis souvent critique avec l'heroic fantasy, un genre qui a du mal à se renouveler et à être original. Mais ici l'intrigue est interessante et rondement menée. Elle ne s'étire pas en longueurs inutiles. La conclusion est prévue avec le second tome. Et il y a dans le premier juste ce qu'il faut de suspens et de tension pour donner envie de connaitre le dénouement de ce diptyque.
Comment redessine-t-il le corps de la femme dans cette nouvelle collection ?
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, s’attachant au Smoking et aux contextes de sa création. Son édition originale date de 2024 Il a été réalisé par Loo Hui Phang pour le scénario, et par Benjamin Bachelier pour les dessins et les couleurs. Il comprend environ cent-quarante pages de bande dessinée. Il se termine avec huit pages présentant de manière synthétique trente-quatre personnalités historiques croisées au cours de l’ouvrage, d’Anne-Marie Muñoz (1933-2020) à Marcel Proust (1871-1922), puis par une chronologie reprenant vingt-deux dates de la vie de Saint Laurent, et quatorze dates d’événements choisis dans l’évolution de la condition sociale de la femme en France.
Prologue en mouvement. En 1966, à sa table de travail, Yves Saint Laurent est en train de réaliser le croquis d’une nouvelle création. Anne-Marie, une assistante entre dans la pièce et lui indique que les premiers et les premières d’atelier attendent ses croquis. Il lui remet son dernier croquis, elle commente : un nouveau défi pour l’atelier. Il explique : un Smoking, comme celui des hommes, mais adapté à la femme. Le vestiaire masculin est une pyramide et le smoking en est le sommet. Elle répond qu’il fait un vrai hold-up : ce sera une révolution. Il corrige : non, juste une évolution. – Avancer. New York en 1967, Betty Catroux retrouve Yves Saint Laurent au pied d‘un immeuble. Il lui demande ce qu’elle a fait à ses cheveux. Il trouve que c’est sauvage, c’est chic. Quand elle lui dit qu’elle ne les a pas lavés depuis cinq jours, il s’exclame : Quelle horreur ! Et il lui demande d’aller les laver, ce qu’elle refuse. Il continue ses observations : parfum d’homme et cigarette, il ne lui demande pas ce qu’elle a fait cette nuit. Elle répond qu’elle a passé la nuit dans un bouge et qu’elle ne s’est pas changée.
Yves Saint Laurent constate que Betty Catroux porte un Smoking de la dernière collection, et rien en dessous, et les mains dans les poches en petite allumeuse. Il conclut qu’elle est son héroïne. Le grand couturier se lance dans un développement sur le pouvoir diabolique des poches. Il lui indique deux femmes devant qui demandent une table pour déjeuner dans un grand restaurant. La première sans poches se présente devant l’hôte d’accueil du Hilton qui lui demande si elle a réservé : Saint Laurent estime qu’elle a l’air d’une idiote et en effet elle n'obtient pas l’accès. La seconde se présente les mains dans les poches affichant une grande confidence et le majordome la prie de le suivre à l’intérieur. Le grand couturier explique : Les vêtements induisent des gestes, et ces gestes sont des signes. Il poursuit : en l’occurrence, les mains dans les poches sont l’attitude du dominant, celui-ci a le pouvoir en toute décontraction. À leur tour, ils s’approchent de l’entrée, et la femme sans poche reconnaît le créateur. Le maître d’hôtel répond qu’il ne peut pas les laisser entrer. Alors que Saint Laurent fait observer que le restaurant n’a pas l’air bondé, l’hôte explique que les femmes en pantalon ne sont pas admises dans l’établissement.
Le titre indique explicitement le sujet de l’ouvrage : en quoi le Smoking féminin créé par Yves Saint Laurent a constitué une révolution. Dans un premier temps, l’ouvrage peut apparaître déconcertant. Yves Saint Laurent (1936-2008) a remis le croquis fatidique : celui du premier Smoking pour femme, avec un S majuscule pour désigner cette variation sur un vêtement masculin. Puis, le lecteur le suit accompagné par le mannequin français Betty Catroux (1945-) qui fut également sa muse. Pour une question d’accès à un grand restaurant newyorkais, puis un autre, ils rencontrent différentes personnalités historiques, et ils évoquent leur parcours personnel, ainsi que des faits historiques comme la création du modèle initial du smoking (pour homme, sans majuscule). La narration visuelle présente elle aussi des particularités marquées. Elle commence avec des dessins réalisés au crayon sur une feuille de papier blanc cassé de jaune, dont l’artiste semble avoir découpé les contours pour les coller ensuite sur la page blanche, comme s’il avait lui-même réalisé des croquis, une mise en abîme de ceux réalisés par le grand couturier. Pour la première page du chapitre Avancer : une illustration en pleine page mêlant décors à la peinture, et Betty encrée en noir & blanc sur un trottoir blanc immaculé. Le reste de la bande dessinée va ainsi mêler ces trois modes graphiques : croquis sur papier jaune, noir & blanc, couleur directe.
Autre caractéristique très forte du récit : l’intervention de personnages historiques. Saint Laurent fait rapidement mention de Coco Chanel (1883-1971, Gabrielle Chasnel), puis il évoque Pélagie d’Antioche (Ve siècle), et il rentre dans le détail : Marguerite était une comédienne belle et frivole, elle voulait faire pénitence en se retirant dans un couvent de moines basiliens, sous le nom de frère Pélage. Elle voua son existence à Dieu, recluse dans une petite cellule. Son dévouement forgea son extraordinaire réputation. À sa mort, les moines et le clergé découvrirent que frère Pélage était une femme. Remplis d’admiration, ils rendirent grâce à Dieu. Cette femme est donc citée pour avoir porté le pantalon. Puis Betty & Yves rencontrent Julien Joseph Virex (1775-1846, naturaliste et anthropologue) : celui-ci affirme que le pantalon est l’attribut de l’homme et que Betty n’a pas le droit de l’usurper, jugement qu’il fonde sur ses études qui établissent que la nature a conçu l’homme pour penser, la femme pour enfanter. Mais voilà qu’intervient Madeleine Pelletier (1874-1939) habillée en costume masculin, première femme médecin diplômée en psychiatrie en France, accompagnée de Rrose Sélavy (c’est-à-dire Marcel Duchamp, 1887-1968, travesti en femme) et Candy Darling (1944-1974, née James Lawrence Slaterry) qui attestent qu’il existe des exemples de porosité entre les deux genres. Apparaissent ainsi une trentaine de personnes certaines connues comme Andy Warhol (1928-1987), Alexandra David-Néel (1868-1969, exploratrice, première femme occidentale à atteindre Lhassa), Yoko Ono (1933-, artiste), George Sand (1804-1876, écrivaine), jusqu’à Michel Butor (1926-2016, écrivain), Simone de Beauvoir (1908-1986, philosophe et féministe), Marcel Proust (1871-1922) et bien d’autres. Ainsi que certains moins connus du grand public comme Sophie Foucauld (années 19830, typote, surnommée la femme-culotte), Marie Marvingt (1875-1963, cycliste, soldat, infirmière de l’air) ou encore le grand couturier Paul Poiret (1879-1944).
Et d’ailleurs, le principe de couper puis de coller des dessins sur la page rappelle la manière de faire de Philippe Dupuis qui a consacré une bande dessinée à Paul Poiret : Peindre ou ne pas peindre (2019). Quoi qu’il en soit, celle-ci commence avec des dessins sans bordures, pour le prologue, puis avec une illustration en pleine page pour l’ouverture du premier chapitre, avec ensuite des cases alignées en bande, sans gouttière pour les séparer dans une même bande. Parfois un personnage ou un objet (comme une cravate découpée) peut dépasser de la bordure d’une case, sur la bande inférieure. À d’autres moments, l’artiste peut revenir à des images sans bordure, juxtaposées, ou comme en insert les unes à côté des autres. Une juxtaposition d’images par exemple pour les différents stades d’évolution des braies au pantalon des sans-culotte. Il continue de d’entremêler des passages en noir & blanc, avec des passages en couleurs, parfois au sein d’une même case. Lorsqu’il s’agit d’évoquer le noir du Smoking, le grand renoncement à la couleur, les fonds de page deviennent noirs. Puis les dessins se font plus conceptuels, se rapprochant de l’abstraction. Le lecteur a tôt fait de s’adapter à cette apparence sortant de l’ordinaire, pour apprécier la liberté qu’elle apporte, ainsi que son élégance, et sa capacité à aborder des thèmes et des idées très variées, autour du port du pantalon et du geste politique que constitue la conception de tenues pour les femmes.
De la même manière, la construction de la balade de Betty & Yves marie élégamment une approche chronologique sur le port du pantalon à travers différentes civilisations, des éléments techniques sur la haute couture et des informations personnelles sur ces deux personnages. Sans être de nature biographique, le récit évoque les origines de Betty et celles d’Yves ainsi que leur parcours professionnel, sans s’appesantir sur leur vie affective et amoureuse ou sur les polémiques de leur vie (par exemple les sources d’inspiration de La vilaine Lulu, 1967). Le lecteur découvre également le rôle des premiers d’atelier, avec Jean-Pierre Derbord et Alain Marchais premiers d’atelier pour Yves Saint Laurent, l’origine du smoking pour homme grâce aux goûts d’Édouard VII (1841-1910), l’importance des tenues militaires dans la création de Saint Laurent (le caban, la saharienne, le trench) le symbolisme du noir dans les vêtements, etc. Tout du long, la question du port du pantalon occupe également une place importante : en particulier la franche opposition des hommes à ce que les femmes puissent en porter, dans la société occidentale, avec de nombreuses références culturelles et historiques mettant en évidence que cette transgression relève d’une construction artificielle, qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Même si Yves Saint Laurent répond à Betty qu’il s’agit d’une évolution, le lecteur comprend en quoi le Smoking féminin a constitué une révolution, comme l’annonce le titre.
En effet, le Smoking (le modèle féminin créé par Yves Saint Laurent) est bien au centre de cet ouvrage qui le contextualise dans l’époque où il a vu le jour, aussi bien socialement que culturellement. Scénario et narration visuelle sont en phase : faisant usage d’une liberté de créer, de jouer sur les formes, aussi bien celle de la balade du couturier et de son modèle à New York qu’esthétiques entre couleurs et noir & blanc, représentations figuratives et croquis, pour mettre en scène une phase significative de la modernité, provoquée par cette création haute couture. Plus que la mode, une libération.
Qu'ajouter ?
Réellement, qu'ajouter aux autres avis ? Que dire sur cette série qui n'ait pas déjà été dit ?
Fabien Toulmé n'a ici qu'un seul objectif : humaniser les migrants, les réfugiés. Leur donner un visage, les laisser être humains à nouveau. A nos yeux.
Et son objectif, il l'accomplit haut la main. Hakim, quel que soit son nom, est un visage de réfugié parmi deux cent, mille, 5 millions et demi. Ceux qui ont fui la guerre, la dictature, la violence, bientôt les effets délétères d'un climat qui se détraque. Et eux, les autres, les envahisseurs, les ennemis, nous ne les voyons plus comme humain.
Cette BD est salutaire. Elle met en mot et en image leur parcours, rappelle que ces migrants étaient des familles, des patrons et des ouvriers, des amis, des frères, des pères, des proches. Qu'ils ont perdu leur vies, leur biens, leur travail, leur société, leur culture.
Hakim a survécu pour en parler. Il a eu de la chance, beaucoup de chances. 3.000 d'entre eux n'ont pas survécu à la traversée l'année dernière. Des milliers d'entre eux sont refoulés hors de frontières de notre UE pour les renvoyer dans les marchands de misère qui exploitent leur argent en leur vendant de l'espoir.
Cette BD, c'est une claque dans la gueule. Elle m'a arraché des larmes parfois devant des choses banales, comme cette solidarité très belle dont certains réussissent à faire preuve dans cet enfer de la migration. La bonté humaine, si simple et parfois cruciale, qui existe encore.
Cette série est à lire. Elle est à offrir. Elle est à faire lire aux plus jeunes. A refaire lire aux plus vieux.
Qu'ajouter ?
A mi-chemin entre le documentaire et le roman graphique, l’album s’inspire directement de l’expérience vécue par le scénariste et sa famille, prise au piège au Liban lors de l’attaque israélienne de 2006.
Le fait que l’auteur ait été témoin direct des événements donne au récit une touche réaliste évidente. Tout est – hélas – plausible, par-delà les quelques inventions scénaristiques accompagnant la partie « authentique » des faits.
Et, de fait, le récit est rapidement prenant. La montée en tension, jusqu’au nombreuses scènes étouffantes, lorsque les bombardements se multiplient et se rapprochent (les personnages que nous suivons vivent au sud Liban, à Tyr, pas loin de la frontière israélienne) et que les nouvelles de la mort de proches arrivent, tout est bien présenté.
Enfin, le dessin est vraiment bon. Fluide et dynamique, il est aussi agréable pour les décors – sans être trop fouillé non plus.
En lisant cet album, on ne peut qu’être frappé des ressemblances avec la situation actuelle, alors qu’Israël frappe les Palestiniens à Gaza, mais aussi de nombreuses cibles civiles au Liban, toujours avec les mêmes « éléments de langage » (ne sont visés – et tués – que des terroristes – ici du Hezbollah) que les faits démentent. Mais à l’époque l’Onu était intervenue (évacuations menées par des casques bleus) et des manifestations hostiles à la politique israélienne étaient autorisées…
Marie Bardiaux-Vaiente et Gally ont fait le pari d'intéresser leurs lectrices et lecteurs à un sujet sorti tout droit du Dalloz pour étudiants de Sciences-Po. C'est audacieux et louable car les autrices font le choix de la curiosité et de l'intelligence.
Personnellement je trouve le pari réussi. En effet qui dans le grand public connait vraiment le Conseil Constitutionnel ? C'est pourtant une instance originale et novatrice qui garantit nos libertés démocratiques. Les autrices proposent un schéma narratifs qui s'appuie sur trois axes forts: l'histoire, la fonction et des anecdotes signifiantes.
L'histoire nous renvoie au général De Gaulle et à la création de la cinquième République. La question fondatrice est simple mais fondamentale : qu'est ce qui prime: la loi ou la constitution ? Outil assez peu utilisé jusqu'en 1971 et "la décision liberté d'association".
Par quelques schémas les autrices montrent ensuite la place du Conseil dans la place du Droit Français. Elle concluent par sa fonction la plus spectaculaire lors des élections présidentielles.
Le récit n'est pas aride grâce à l'exploitation d'anecdotes signifiantes qui montrent comment tout individu peut à travers une QPC (Question prioritaire de constitutionnalité) peut faire modifier la loi française.
Le dessin plein d'humour de Gally fait contrepoids au sérieux du propos. C'est toujours léger et drôle tout en respectant l'institution.
Une lecture étonnante où j'ai appris de nombreuses choses sur les institutions. A lire dès le lycée.
Ouh, voilà un album avec une base classique mais une exécution efficace !
J'ai décidé de lire cet album sur un coup de tête, la couverture m'avait attiré l'œil et les quelques pages mises à disposition sur le site m'avaient donné envie de lire l'histoire.
C'est un genre de récit qui marche beaucoup sur moi, mêlant réflexions profondes sur la vie et l'humain et une forme fantasque. Ici, il est question de mort, de suicide, d'erreurs, de choix, de l'importance de chaque actions et décisions que l'on prend.
Catalina est seule, Catalina est amoureuse d'un homme qui la trompe avec sa propre colocataire, Catalina ne sait plus quoi faire, Catalina se tranche les veines sur un coup de tête. Sauf qu'au lieu de mourir, Catalina reçoit la visite d'une étrange jeune femme du nom de Karmen, dont le nom va très rapidement nous faire comprendre le rôle qu'elle va jouer dans cette histoire : celui du juge karmique.
L'histoire est efficace, en tout cas c'est le genre d'histoire qui me parle énormément. J'aime les récits où les fonctionnements naturels de l'univers sont régis par des êtres parfaitement humains (en tout cas humanoïdes), influençant personnellement le fonctionnement des choses. J'aime aussi les récits où un élément fantastique vient chambouler le quotidien, où une vie tout ce qu'il y a de plus banale change du jour au lendemain à cause d'un évènement paranormal, où la vie quotidienne d'antan prend toute sa saveur face aux conséquences du fantastique. J'aime enfin le sujet de la mort, son inéluctabilité, ses symboliques, la valeur qu'elle donne à la vie par contraste, et aussi ses conséquences pour les vivant-e-s. Comme beaucoup, malheureusement, je suis familière avec le sujet du suicide, l'isolement, le poids de l'idée, le risque parfois de passer à l'acte sur un coup de tête. Peut-être est-ce pour cela, d'ailleurs, que l'album m'a autant touché. En tout cas, j'ai pleuré à chaudes larmes.
Je ne peux que conseiller cet album, cela a été une excellente surprise pour moi.
(Et je vais de ce pas rappeler les personnes que j'aime).
"Speak", comme le mot peut l'indiquer (ou pas), raconte l'histoire d'une jeune fille qui se mure dans son silence, qui se renferme sur elle-même, qui se nécrose à petit feu.
C'est l'histoire d'une jeune fille comme il en existe malheureusement tant d'autres, isolée, harcelée, effacée, désespérée, et qui cache en elle un secret qui la détruit morceau par morceau. Ce qui la détruit ne nous est pas directement raconté mais se devine petit à petit, puis nous est suggérée, puis montré et enfin nommé : Mélinda s'est fait violer il y a de ça un an. Ce rythme de la révélation, mis en parallèle avec la situation de Mélinda qui nous parait de plus en plus catastrophique, marche beaucoup. On se sent étouffé comme elle par ce qui lui est arrivé, par ce que les autres lui font subir sans vraiment chercher à comprendre ce qu'elle vit, par ce besoin de plus en plus viscéral de faire quelque chose, d'exploser, de parler.
La montée en tension, l'acte immonde qui se devine progressivement, le mal-être profond de la protagoniste, ce besoin de plus en plus irrépressible de crier, de dire, d'agir face à tout ce qui lui arrive… l'album maintient l'attention tout du long, on voit à peine les pages passer.
Le récit est réaliste, retranscrit très bien le fonctionnement chaotique et souvent cruel des jeunes ados, les "punitions sociales" typiques de cet âge, et surtout les conséquences du viol et du trauma qui s'en suit. Les mots employés, les réactions, l'image du corps, tout semble vrai et joue sur le côté prenant et terrible de l'album.
Dans la préface, l'autrice du roman d'origine parle très rapidement du travail cathartique qu'a été d'écrire cette histoire, nul doute que le côté réaliste vient donc de sa propre expérience.
La mise à disposition de numéros d'urgences à la fin de l'album est un très bon ajout.
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Haute enfance
Un récit de jeunes garçons dans la Tunisie des années 80. Ils sont trois dans la même classe, un peu turbulents, surtout le plus âgé d'entre eux qui est un pur rebelle aux allures de petit caïd. A l'inverse, leur maître d'école est ultra sévère et les punit douloureusement à chacune de leurs bêtises. Poussé par le plus grand, ils vont chercher à se venger de lui et traverser la banlieue de Tunis à pied pour atteindre son logement. Sauf que le petit frère de l'un des trois l'a forcé à le laisser les accompagner. Et bien qu’il soit un excellent joueur de football et un garçon débrouillard, l’aventure est trop grande pour lui, tout comme pour les trois autres d’ailleurs. Avec une économie de traits et un style volontairement lâché, l’auteur parvient à restituer avec justesse l’atmosphère des rues et des terrains vagues d’un Maghreb de l’époque, un décor familier à ceux, comme moi, qui ont grandi en Afrique dans les années 70 et 80. Ce récit m’a rappelé ces amitiés un peu risquées, ces aventures d’enfants audacieux qui se lancent dans des bêtises ensemble. Le quatuor de personnages, aux personnalités bien distinctes, fonctionne parfaitement. Il y a ce rebelle, d’abord effrayant dans son nihilisme, mais qui se dévoile sous un jour plus humain quand il nous montre ses failles, notamment à travers sa passion pour la danse. À ses côtés, un ami franco-tunisien, blond, qui lutte contre la perception qu’on a de lui comme étant plus français que tunisien. Puis, le petit frère, brillant et talentueux, mais encore trop immature pour saisir pleinement les enjeux de l’aventure. Enfin, le quatrième ami, plus sage, qui, bien que de nature raisonnable, suit néanmoins le rebelle comme un chef. Leur périple à travers les quartiers en construction de la banlieue tunisienne prend des airs de traversée du désert, comme un groupe de cow-boys s’aventurant dans un environnement à la fois familier et menaçant. Peu à peu, nous découvrons leur véritable objectif, un secret que le petit frère ignore presque jusqu’à la fin, étant un peu l’intrus dans cette escapade. L’ambiance est d’une rare efficacité, évoquant de manière poignante et parfois dérangeante ces souvenirs d’enfance où l’on ressent à la fois l’excitation du danger et l’intensité de l’aventure, loin du regard des adultes, dans un monde pourtant banal. La fin, bien que brusque, se révèle à la fois puissante et cruelle, laissant place à une ouverture qui fait écho à la nature même des souvenirs d’enfance : on ne saura jamais vraiment ce qu’il s’est passé après la fuite. J’aurais aimé des dessins plus soignés et des décors plus détaillés, mais peut-être que cela aurait diminué l’intensité de la narration et l’atmosphère si particulière qui se dégage de ce récit.
L'Escamoteur
J’ai emprunté cet album un peu au hasard, et je pensais, à la vue de la couverture et de la citation en exergue, avoir affaire à un polar mâtiné de politique comme savait en écrire Manchette. S’il y a bien de ça dans ce récit, c’est en fait bien plus complexe, et ça ressemble plutôt à un quasi documentaire tournant autour de l’engagement politique violent durant les années 1970, à propos de la cause palestinienne, mais surtout autour de groupes de l’ultra gauche, comme Action directe. Les auteurs se sont énormément documentés (ce que confirme l’imposante bibliographie en fin de volume) et le récit est clair et complet, la narration est fluide. Il n’est pas nécessaire de connaitre le sujet avant d’entamer la lecture, même si, le sujet m’intéressant de longue date, j’y suis entré très facilement. Outre la traque des leaders d’Action Directe par divers services de police et de renseignement, le récit est centré sur un personnage intrigant – et intriguant ! – que je ne connaissais pas du tout, Gabriel Chahine, qui a permis aux policiers d’infiltrer AD. Le dessin est un peu inégal (surtout sur certains visages), mais globalement je l’ai bien aimé. Les décors sont réussis, et le rendu, usant de diverses bichromies, est agréable. Une lecture intéressante.
Dantès
Je ne pouvais pas attendre de lire le prochain tome, l'histoire était très intéressante et prenante. Une série vraiment géniale. À lire !
Le Roi des fauves
Tiré d'un roman, cette histoire de fantasy allie un dessin tout ce qu'il y a de plus agréable et de plus lisible avec un scénario original. Le tout en respectant les codes du genre mais en évitant les clichés habituels. Il y aura donc bien une quête, qui impose la traversée d'une forêt hostile, à la recherche du mystérieux roi des fauves. Avant d'en arriver là, l'introduction permet de poser le contexte de cet univers et de faire connaissance avec nos héros. Au delà de la découverte de ces fondations, l'intrigue est vite prenante et, du coup, on part à l'aventure avec entrain et curiosité. Il est donc question de 3 adolescents, condamnés pour diverses raisons avec d'autres personnages, à devenir des bersekirs, sortes de monstres mi animaux, mi humains. Pour cela on leur a injecté une sorte de ver dans l'organisme, qui va les dévorer petit à petit de l'intérieur et les transformer progressivement. Leur prison est une immense forêt froide et humide. Ils n'ont que quelques jours devant eux avant que la transformation ne s'opère... Tout ça fonctionne vraiment très très bien. L'histoire est rythmée, prenante, originale. On suit avec curiosité la progression de nos jeunes héros. Qu'est ce qui est en train de leur arriver ? Vont ils vraiment se transformer en monstres ? Par petites touches intelligemment distillées, on voit les premiers effets des vers qui s'attaquent à eux. Ca amène une petite tension bienvenue. Ca amène surtout ce qu'il faut de mystères et d'originalité pour que cette histoire sorte du lot. Je suis souvent critique avec l'heroic fantasy, un genre qui a du mal à se renouveler et à être original. Mais ici l'intrigue est interessante et rondement menée. Elle ne s'étire pas en longueurs inutiles. La conclusion est prévue avec le second tome. Et il y a dans le premier juste ce qu'il faut de suspens et de tension pour donner envie de connaitre le dénouement de ce diptyque.
Smoking - La Révolution Yves Saint Laurent
Comment redessine-t-il le corps de la femme dans cette nouvelle collection ? - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, s’attachant au Smoking et aux contextes de sa création. Son édition originale date de 2024 Il a été réalisé par Loo Hui Phang pour le scénario, et par Benjamin Bachelier pour les dessins et les couleurs. Il comprend environ cent-quarante pages de bande dessinée. Il se termine avec huit pages présentant de manière synthétique trente-quatre personnalités historiques croisées au cours de l’ouvrage, d’Anne-Marie Muñoz (1933-2020) à Marcel Proust (1871-1922), puis par une chronologie reprenant vingt-deux dates de la vie de Saint Laurent, et quatorze dates d’événements choisis dans l’évolution de la condition sociale de la femme en France. Prologue en mouvement. En 1966, à sa table de travail, Yves Saint Laurent est en train de réaliser le croquis d’une nouvelle création. Anne-Marie, une assistante entre dans la pièce et lui indique que les premiers et les premières d’atelier attendent ses croquis. Il lui remet son dernier croquis, elle commente : un nouveau défi pour l’atelier. Il explique : un Smoking, comme celui des hommes, mais adapté à la femme. Le vestiaire masculin est une pyramide et le smoking en est le sommet. Elle répond qu’il fait un vrai hold-up : ce sera une révolution. Il corrige : non, juste une évolution. – Avancer. New York en 1967, Betty Catroux retrouve Yves Saint Laurent au pied d‘un immeuble. Il lui demande ce qu’elle a fait à ses cheveux. Il trouve que c’est sauvage, c’est chic. Quand elle lui dit qu’elle ne les a pas lavés depuis cinq jours, il s’exclame : Quelle horreur ! Et il lui demande d’aller les laver, ce qu’elle refuse. Il continue ses observations : parfum d’homme et cigarette, il ne lui demande pas ce qu’elle a fait cette nuit. Elle répond qu’elle a passé la nuit dans un bouge et qu’elle ne s’est pas changée. Yves Saint Laurent constate que Betty Catroux porte un Smoking de la dernière collection, et rien en dessous, et les mains dans les poches en petite allumeuse. Il conclut qu’elle est son héroïne. Le grand couturier se lance dans un développement sur le pouvoir diabolique des poches. Il lui indique deux femmes devant qui demandent une table pour déjeuner dans un grand restaurant. La première sans poches se présente devant l’hôte d’accueil du Hilton qui lui demande si elle a réservé : Saint Laurent estime qu’elle a l’air d’une idiote et en effet elle n'obtient pas l’accès. La seconde se présente les mains dans les poches affichant une grande confidence et le majordome la prie de le suivre à l’intérieur. Le grand couturier explique : Les vêtements induisent des gestes, et ces gestes sont des signes. Il poursuit : en l’occurrence, les mains dans les poches sont l’attitude du dominant, celui-ci a le pouvoir en toute décontraction. À leur tour, ils s’approchent de l’entrée, et la femme sans poche reconnaît le créateur. Le maître d’hôtel répond qu’il ne peut pas les laisser entrer. Alors que Saint Laurent fait observer que le restaurant n’a pas l’air bondé, l’hôte explique que les femmes en pantalon ne sont pas admises dans l’établissement. Le titre indique explicitement le sujet de l’ouvrage : en quoi le Smoking féminin créé par Yves Saint Laurent a constitué une révolution. Dans un premier temps, l’ouvrage peut apparaître déconcertant. Yves Saint Laurent (1936-2008) a remis le croquis fatidique : celui du premier Smoking pour femme, avec un S majuscule pour désigner cette variation sur un vêtement masculin. Puis, le lecteur le suit accompagné par le mannequin français Betty Catroux (1945-) qui fut également sa muse. Pour une question d’accès à un grand restaurant newyorkais, puis un autre, ils rencontrent différentes personnalités historiques, et ils évoquent leur parcours personnel, ainsi que des faits historiques comme la création du modèle initial du smoking (pour homme, sans majuscule). La narration visuelle présente elle aussi des particularités marquées. Elle commence avec des dessins réalisés au crayon sur une feuille de papier blanc cassé de jaune, dont l’artiste semble avoir découpé les contours pour les coller ensuite sur la page blanche, comme s’il avait lui-même réalisé des croquis, une mise en abîme de ceux réalisés par le grand couturier. Pour la première page du chapitre Avancer : une illustration en pleine page mêlant décors à la peinture, et Betty encrée en noir & blanc sur un trottoir blanc immaculé. Le reste de la bande dessinée va ainsi mêler ces trois modes graphiques : croquis sur papier jaune, noir & blanc, couleur directe. Autre caractéristique très forte du récit : l’intervention de personnages historiques. Saint Laurent fait rapidement mention de Coco Chanel (1883-1971, Gabrielle Chasnel), puis il évoque Pélagie d’Antioche (Ve siècle), et il rentre dans le détail : Marguerite était une comédienne belle et frivole, elle voulait faire pénitence en se retirant dans un couvent de moines basiliens, sous le nom de frère Pélage. Elle voua son existence à Dieu, recluse dans une petite cellule. Son dévouement forgea son extraordinaire réputation. À sa mort, les moines et le clergé découvrirent que frère Pélage était une femme. Remplis d’admiration, ils rendirent grâce à Dieu. Cette femme est donc citée pour avoir porté le pantalon. Puis Betty & Yves rencontrent Julien Joseph Virex (1775-1846, naturaliste et anthropologue) : celui-ci affirme que le pantalon est l’attribut de l’homme et que Betty n’a pas le droit de l’usurper, jugement qu’il fonde sur ses études qui établissent que la nature a conçu l’homme pour penser, la femme pour enfanter. Mais voilà qu’intervient Madeleine Pelletier (1874-1939) habillée en costume masculin, première femme médecin diplômée en psychiatrie en France, accompagnée de Rrose Sélavy (c’est-à-dire Marcel Duchamp, 1887-1968, travesti en femme) et Candy Darling (1944-1974, née James Lawrence Slaterry) qui attestent qu’il existe des exemples de porosité entre les deux genres. Apparaissent ainsi une trentaine de personnes certaines connues comme Andy Warhol (1928-1987), Alexandra David-Néel (1868-1969, exploratrice, première femme occidentale à atteindre Lhassa), Yoko Ono (1933-, artiste), George Sand (1804-1876, écrivaine), jusqu’à Michel Butor (1926-2016, écrivain), Simone de Beauvoir (1908-1986, philosophe et féministe), Marcel Proust (1871-1922) et bien d’autres. Ainsi que certains moins connus du grand public comme Sophie Foucauld (années 19830, typote, surnommée la femme-culotte), Marie Marvingt (1875-1963, cycliste, soldat, infirmière de l’air) ou encore le grand couturier Paul Poiret (1879-1944). Et d’ailleurs, le principe de couper puis de coller des dessins sur la page rappelle la manière de faire de Philippe Dupuis qui a consacré une bande dessinée à Paul Poiret : Peindre ou ne pas peindre (2019). Quoi qu’il en soit, celle-ci commence avec des dessins sans bordures, pour le prologue, puis avec une illustration en pleine page pour l’ouverture du premier chapitre, avec ensuite des cases alignées en bande, sans gouttière pour les séparer dans une même bande. Parfois un personnage ou un objet (comme une cravate découpée) peut dépasser de la bordure d’une case, sur la bande inférieure. À d’autres moments, l’artiste peut revenir à des images sans bordure, juxtaposées, ou comme en insert les unes à côté des autres. Une juxtaposition d’images par exemple pour les différents stades d’évolution des braies au pantalon des sans-culotte. Il continue de d’entremêler des passages en noir & blanc, avec des passages en couleurs, parfois au sein d’une même case. Lorsqu’il s’agit d’évoquer le noir du Smoking, le grand renoncement à la couleur, les fonds de page deviennent noirs. Puis les dessins se font plus conceptuels, se rapprochant de l’abstraction. Le lecteur a tôt fait de s’adapter à cette apparence sortant de l’ordinaire, pour apprécier la liberté qu’elle apporte, ainsi que son élégance, et sa capacité à aborder des thèmes et des idées très variées, autour du port du pantalon et du geste politique que constitue la conception de tenues pour les femmes. De la même manière, la construction de la balade de Betty & Yves marie élégamment une approche chronologique sur le port du pantalon à travers différentes civilisations, des éléments techniques sur la haute couture et des informations personnelles sur ces deux personnages. Sans être de nature biographique, le récit évoque les origines de Betty et celles d’Yves ainsi que leur parcours professionnel, sans s’appesantir sur leur vie affective et amoureuse ou sur les polémiques de leur vie (par exemple les sources d’inspiration de La vilaine Lulu, 1967). Le lecteur découvre également le rôle des premiers d’atelier, avec Jean-Pierre Derbord et Alain Marchais premiers d’atelier pour Yves Saint Laurent, l’origine du smoking pour homme grâce aux goûts d’Édouard VII (1841-1910), l’importance des tenues militaires dans la création de Saint Laurent (le caban, la saharienne, le trench) le symbolisme du noir dans les vêtements, etc. Tout du long, la question du port du pantalon occupe également une place importante : en particulier la franche opposition des hommes à ce que les femmes puissent en porter, dans la société occidentale, avec de nombreuses références culturelles et historiques mettant en évidence que cette transgression relève d’une construction artificielle, qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Même si Yves Saint Laurent répond à Betty qu’il s’agit d’une évolution, le lecteur comprend en quoi le Smoking féminin a constitué une révolution, comme l’annonce le titre. En effet, le Smoking (le modèle féminin créé par Yves Saint Laurent) est bien au centre de cet ouvrage qui le contextualise dans l’époque où il a vu le jour, aussi bien socialement que culturellement. Scénario et narration visuelle sont en phase : faisant usage d’une liberté de créer, de jouer sur les formes, aussi bien celle de la balade du couturier et de son modèle à New York qu’esthétiques entre couleurs et noir & blanc, représentations figuratives et croquis, pour mettre en scène une phase significative de la modernité, provoquée par cette création haute couture. Plus que la mode, une libération.
L'Odyssée d'Hakim
Qu'ajouter ? Réellement, qu'ajouter aux autres avis ? Que dire sur cette série qui n'ait pas déjà été dit ? Fabien Toulmé n'a ici qu'un seul objectif : humaniser les migrants, les réfugiés. Leur donner un visage, les laisser être humains à nouveau. A nos yeux. Et son objectif, il l'accomplit haut la main. Hakim, quel que soit son nom, est un visage de réfugié parmi deux cent, mille, 5 millions et demi. Ceux qui ont fui la guerre, la dictature, la violence, bientôt les effets délétères d'un climat qui se détraque. Et eux, les autres, les envahisseurs, les ennemis, nous ne les voyons plus comme humain. Cette BD est salutaire. Elle met en mot et en image leur parcours, rappelle que ces migrants étaient des familles, des patrons et des ouvriers, des amis, des frères, des pères, des proches. Qu'ils ont perdu leur vies, leur biens, leur travail, leur société, leur culture. Hakim a survécu pour en parler. Il a eu de la chance, beaucoup de chances. 3.000 d'entre eux n'ont pas survécu à la traversée l'année dernière. Des milliers d'entre eux sont refoulés hors de frontières de notre UE pour les renvoyer dans les marchands de misère qui exploitent leur argent en leur vendant de l'espoir. Cette BD, c'est une claque dans la gueule. Elle m'a arraché des larmes parfois devant des choses banales, comme cette solidarité très belle dont certains réussissent à faire preuve dans cet enfer de la migration. La bonté humaine, si simple et parfois cruciale, qui existe encore. Cette série est à lire. Elle est à offrir. Elle est à faire lire aux plus jeunes. A refaire lire aux plus vieux. Qu'ajouter ?
Yallah Bye
A mi-chemin entre le documentaire et le roman graphique, l’album s’inspire directement de l’expérience vécue par le scénariste et sa famille, prise au piège au Liban lors de l’attaque israélienne de 2006. Le fait que l’auteur ait été témoin direct des événements donne au récit une touche réaliste évidente. Tout est – hélas – plausible, par-delà les quelques inventions scénaristiques accompagnant la partie « authentique » des faits. Et, de fait, le récit est rapidement prenant. La montée en tension, jusqu’au nombreuses scènes étouffantes, lorsque les bombardements se multiplient et se rapprochent (les personnages que nous suivons vivent au sud Liban, à Tyr, pas loin de la frontière israélienne) et que les nouvelles de la mort de proches arrivent, tout est bien présenté. Enfin, le dessin est vraiment bon. Fluide et dynamique, il est aussi agréable pour les décors – sans être trop fouillé non plus. En lisant cet album, on ne peut qu’être frappé des ressemblances avec la situation actuelle, alors qu’Israël frappe les Palestiniens à Gaza, mais aussi de nombreuses cibles civiles au Liban, toujours avec les mêmes « éléments de langage » (ne sont visés – et tués – que des terroristes – ici du Hezbollah) que les faits démentent. Mais à l’époque l’Onu était intervenue (évacuations menées par des casques bleus) et des manifestations hostiles à la politique israélienne étaient autorisées…
Dans les couloirs du Conseil constitutionnel
Marie Bardiaux-Vaiente et Gally ont fait le pari d'intéresser leurs lectrices et lecteurs à un sujet sorti tout droit du Dalloz pour étudiants de Sciences-Po. C'est audacieux et louable car les autrices font le choix de la curiosité et de l'intelligence. Personnellement je trouve le pari réussi. En effet qui dans le grand public connait vraiment le Conseil Constitutionnel ? C'est pourtant une instance originale et novatrice qui garantit nos libertés démocratiques. Les autrices proposent un schéma narratifs qui s'appuie sur trois axes forts: l'histoire, la fonction et des anecdotes signifiantes. L'histoire nous renvoie au général De Gaulle et à la création de la cinquième République. La question fondatrice est simple mais fondamentale : qu'est ce qui prime: la loi ou la constitution ? Outil assez peu utilisé jusqu'en 1971 et "la décision liberté d'association". Par quelques schémas les autrices montrent ensuite la place du Conseil dans la place du Droit Français. Elle concluent par sa fonction la plus spectaculaire lors des élections présidentielles. Le récit n'est pas aride grâce à l'exploitation d'anecdotes signifiantes qui montrent comment tout individu peut à travers une QPC (Question prioritaire de constitutionnalité) peut faire modifier la loi française. Le dessin plein d'humour de Gally fait contrepoids au sérieux du propos. C'est toujours léger et drôle tout en respectant l'institution. Une lecture étonnante où j'ai appris de nombreuses choses sur les institutions. A lire dès le lycée.
Karmen
Ouh, voilà un album avec une base classique mais une exécution efficace ! J'ai décidé de lire cet album sur un coup de tête, la couverture m'avait attiré l'œil et les quelques pages mises à disposition sur le site m'avaient donné envie de lire l'histoire. C'est un genre de récit qui marche beaucoup sur moi, mêlant réflexions profondes sur la vie et l'humain et une forme fantasque. Ici, il est question de mort, de suicide, d'erreurs, de choix, de l'importance de chaque actions et décisions que l'on prend. Catalina est seule, Catalina est amoureuse d'un homme qui la trompe avec sa propre colocataire, Catalina ne sait plus quoi faire, Catalina se tranche les veines sur un coup de tête. Sauf qu'au lieu de mourir, Catalina reçoit la visite d'une étrange jeune femme du nom de Karmen, dont le nom va très rapidement nous faire comprendre le rôle qu'elle va jouer dans cette histoire : celui du juge karmique. L'histoire est efficace, en tout cas c'est le genre d'histoire qui me parle énormément. J'aime les récits où les fonctionnements naturels de l'univers sont régis par des êtres parfaitement humains (en tout cas humanoïdes), influençant personnellement le fonctionnement des choses. J'aime aussi les récits où un élément fantastique vient chambouler le quotidien, où une vie tout ce qu'il y a de plus banale change du jour au lendemain à cause d'un évènement paranormal, où la vie quotidienne d'antan prend toute sa saveur face aux conséquences du fantastique. J'aime enfin le sujet de la mort, son inéluctabilité, ses symboliques, la valeur qu'elle donne à la vie par contraste, et aussi ses conséquences pour les vivant-e-s. Comme beaucoup, malheureusement, je suis familière avec le sujet du suicide, l'isolement, le poids de l'idée, le risque parfois de passer à l'acte sur un coup de tête. Peut-être est-ce pour cela, d'ailleurs, que l'album m'a autant touché. En tout cas, j'ai pleuré à chaudes larmes. Je ne peux que conseiller cet album, cela a été une excellente surprise pour moi. (Et je vais de ce pas rappeler les personnes que j'aime).
Speak
"Speak", comme le mot peut l'indiquer (ou pas), raconte l'histoire d'une jeune fille qui se mure dans son silence, qui se renferme sur elle-même, qui se nécrose à petit feu. C'est l'histoire d'une jeune fille comme il en existe malheureusement tant d'autres, isolée, harcelée, effacée, désespérée, et qui cache en elle un secret qui la détruit morceau par morceau. Ce qui la détruit ne nous est pas directement raconté mais se devine petit à petit, puis nous est suggérée, puis montré et enfin nommé : Mélinda s'est fait violer il y a de ça un an. Ce rythme de la révélation, mis en parallèle avec la situation de Mélinda qui nous parait de plus en plus catastrophique, marche beaucoup. On se sent étouffé comme elle par ce qui lui est arrivé, par ce que les autres lui font subir sans vraiment chercher à comprendre ce qu'elle vit, par ce besoin de plus en plus viscéral de faire quelque chose, d'exploser, de parler. La montée en tension, l'acte immonde qui se devine progressivement, le mal-être profond de la protagoniste, ce besoin de plus en plus irrépressible de crier, de dire, d'agir face à tout ce qui lui arrive… l'album maintient l'attention tout du long, on voit à peine les pages passer. Le récit est réaliste, retranscrit très bien le fonctionnement chaotique et souvent cruel des jeunes ados, les "punitions sociales" typiques de cet âge, et surtout les conséquences du viol et du trauma qui s'en suit. Les mots employés, les réactions, l'image du corps, tout semble vrai et joue sur le côté prenant et terrible de l'album. Dans la préface, l'autrice du roman d'origine parle très rapidement du travail cathartique qu'a été d'écrire cette histoire, nul doute que le côté réaliste vient donc de sa propre expérience. La mise à disposition de numéros d'urgences à la fin de l'album est un très bon ajout.