J'ai beaucoup aimé ce récit intimiste à caractère autobiographique de Frederik Peeters. Je dois dire que je me retrouve dans un grand nombre des observations que l'auteur fait à propos de la société qui l'entoure. J'ai particulièrement apprécié ses réflexion sur cette société sans limite qui s'infantilise dans une immédiateté éphémère. J'ai trouvé la construction du récit très fine et intelligente passant de l'imaginaire créatif à une réalité réduite et souvent déprimante. Peteers observe sans illusion cette accélération du changement de codes qui fragilise le socle commun. L'auteur a l'intelligence de ne pas porter de vain jugements de valeur mais au contraire se met au centre d'épisode humoristiques dans une autodérision très drôle ( la classe, les dédicaces).
Les récits intimistes de certains auteurs de BD peuvent vite se montrer ennuyeux quand il s'agit d'une succession de beuveries, de soirée et de malheurs sentimentaux. Au contraire Peeters prend le contrepied de cette tendance en proposant la durée, la routine constructive ou la résilience devant l'adversité. Cela fait de lui et sa famille un ensemble de personnages très attachants et souvent touchants dans leurs tentatives de faire coïncider leurs aspirations existentielles aux contradictions issues de leur présence au monde.
L'auteur nous propose un graphisme en N&B très travaillé incluant de nombreuses références en fonction des situations évoquées. Cette narration visuelle équilibre parfaitement le texte . C'est incisif et dynamique dans les deux cas comme si l'auteur avait eu le souci de ne pas privilégier l'une par rapport à l'autre. Il se présente ainsi comme une troisième voie entre un passé où l'écrit dominait et un avenir redouté où on ne saura plus faire trois phrases de suite. Cette narration graphique m'a paru un peu sombre en feuilletant le livre mais à la lecture cela correspond bien aux interrogations internes d'Oleg/Peeters. In fine c'est plutôt un beau message optimiste qui se dégage de cette étude sur l'amour long.
Une belle lecture qui m'a touché.
L’Aigle sans orteils, c’est l’histoire d’une époque autant que celle d’un homme. Christian Lax nous plonge au début du XXe siècle, dans un monde où le vélo est encore une aventure, une folie réservée aux audacieux. On suit Amédée Fario, ouvrier sur les chantiers de haute montagne, qui décide de se lancer dans le Tour de France, porté par une ambition presque naïve mais terriblement humaine.
Ce qui marque, c’est l’équilibre entre la petite histoire et la grande. Lax raconte l’évolution du Tour, ses débuts épiques où chaque étape ressemblait plus à une épreuve de survie qu’à une compétition. Mais il raconte aussi l’ouvrier, la rudesse de son quotidien, et ce besoin d’évasion qui passe par un vélo. C’est une BD qui parle de dépassement, mais aussi d’une époque qui bascule lentement vers la modernité.
Graphiquement, c’est magnifique. Les traits sont précis, expressifs, et les paysages alpins, tout comme les scènes de peloton, prennent vie dans des tons doux, presque nostalgiques. On sent la poussière des routes, l’effort dans chaque coup de pédale, et la camaraderie comme les rivalités qui traversent le peloton.
Lax a ce talent rare de raconter sans en faire trop. Les dialogues sont simples, justes, et l’émotion passe souvent par les regards ou les silences. Ce n’est pas une histoire grandiloquente, mais une chronique humaine, où chaque victoire, chaque défaite résonne avec quelque chose de plus profond.
L’Aigle sans orteils, c’est une ode au cyclisme, mais aussi un hommage aux hommes de cette époque, à leur force, leur courage, et leur fragilité. Une BD qui laisse une belle empreinte, comme un dernier virage avant la ligne d’arrivée.
Suite de L'Aigle sans orteils que j'ai beaucoup aimé, je n'ai pas été déçu par le changement de décor qui nous fait passer des Pyrénées au plaines du Nord. On plonge dans une France d’après-guerre où tout semble en reconstruction : les vies, les rêves, et même l’espoir. Christian Lax, avec son style mêlant finesse graphique et ancrage historique, nous emmène dans un récit où se croisent le souffle du Tour de France, la poussière des mines et les drames humains d’une époque. Ce n’est pas juste une BD sur le vélo ou sur le Nord : c’est une histoire de transmission, de courage et de résilience.
Le récit suit plusieurs trajectoires : un ancien coureur gazé à la guerre, son jeune neveu qui rêve de vélo, et Reine, une orpheline enfermée dans un orphelinat austère, symbole d’une époque qui peine à prendre soin de ses enfants. Lax mélange tout cela avec une justesse désarmante, jamais dans l’emphase, toujours au plus près des émotions. Il montre autant la rudesse du quotidien que l’échappée qu’offre le cyclisme, ce sport qui fascine les classes populaires par son effort brut et sa beauté simple.
Les dessins aquarellés de Lax captent parfaitement l’ambiance : des tons gris et ocres qui évoquent la sueur, la terre, et la lumière rare d’un jour de fête où le peloton passe. Les scènes de mine sont oppressantes, le bruit des barres de fer semble résonner à chaque page. À l’inverse, les moments de vélo offrent une légèreté qui tranche avec la dureté du reste, comme une respiration dans un monde qui peine à avancer.
Ce qui frappe, c’est le regard porté sur ceux qu’on oublie souvent. Lax raconte une époque marquée par les blessures visibles et invisibles, avec une attention particulière aux relations humaines, à la transmission de valeurs dans un monde en miettes. Il ne force jamais le trait, et c’est là toute sa force. C’est une lecture qui touche, sans jamais appuyer.
Pain d’alouette, c’est une fresque humaine qui parle autant d’histoire que de destin. Une belle œuvre, à la fois sobre et lumineuse.
Une traversée unique, un mélange de grotesque et de métaphysique qui ne ressemble à rien d’autre. On suit un héros mort, réduit à l’état de squelette, qui explore un purgatoire aussi absurde que déprimant, avec ses lois alambiquées et ses absurdités bureaucratiques. Dès les premières pages, l’univers impressionne. Le trait est sec, précis, presque clinique, et chaque détail des décors – ces villes faites de bric et de broc, ces squelettes rafistolés – donne vie à ce monde désespérément désorganisé.
L’histoire, elle, avance doucement, mais ce n’est pas là le cœur de l’expérience. Ce qui fascine, c’est cette ambiance d’ennui oppressant et d’humour noir. Tout semble désespéré, mais on ne peut s’empêcher de sourire face aux dialogues absurdes et aux situations improbables. Ce mélange entre réflexion sur la condition humaine et loufoquerie pure fonctionne étonnamment bien. C’est à la fois une quête initiatique et une satire qui joue avec les codes religieux, philosophiques et sociaux.
Certains passages traînent un peu, c’est vrai. C'est ce qui m'empêche d'aller jusqu'aux 5 étoiles. L’intrigue prend des détours qui peuvent sembler inutiles, mais dans cet univers, même l’ennui a un sens. Le récit nous force à nous poser, à nous imprégner, et finalement, on se rend compte que c’est précisément ce flottement qui m'a fait entrer dans ce purgatoire étrange.
Une BD qui demande de la patience et un certain goût pour l’absurde. Mais pour ceux qui acceptent de se perdre dans ce monde, Monsieur Mardi-Gras des Cendres offre une expérience rare, entre contemplation et dérision, le tout dans un cadre visuel impressionnant. Une belle découverte.
C'est bête et complètement assumé, mais avec une intelligence derrière chaque pet. Oui, c’est pipi-caca, mais du pipi-caca pensé, travaillé, et efficace. Charb balance ses deux lascars – un chien et un chat – dans un univers où tout est prétexte à déconner sur les instincts les plus basiques. Ça éructe, ça flatule, ça balance des absurdités, et ça enchaîne les punchlines avec un talent que peu de bandes dessinées ont dans ce registre.
Ce qui marche, c’est cette capacité à être aussi cru que fin. Chaque strip est un doigt bien enfoncé dans l’œil du politiquement correct. Ça va chercher des réflexions pseudo-philosophiques sur les déjections, des débats existentiels sur le pet, et tout ça avec une telle absurdité qu’on en redemande (enfin quand on aime). C’est régressif au possible, mais jamais gratuit : derrière la crasse, il y a une critique du monde, une façon de démonter nos petits travers humains en les collant dans la gueule d’un chien et d’un chat.
Graphiquement, c’est minimaliste, et ça suffit largement. Le dessin est là pour servir les dialogues, rien de plus. C’est sec, direct, sans chichi, et c’est pile ce qu’il faut pour que l’humour fonctionne. Charb savait exactement où placer la limite, et surtout quand la franchir. Résultat : on rigole, mais on se sent un peu sale en le faisant. Et c’est bien ça le plaisir de Maurice et Patapon. Une BD qui pue la connerie, mais de la bonne connerie, celle qui fait réfléchir une fois le rire passé. Tu nous manques Charb.
Cet album est un documentaire sur l'histoire de la danse occidentale, retraçant son évolution à travers les époques en suivant deux personnages, Camille et Andréa, deux êtres quasiment immortels.
Le parti pris est original (en tout cas à mes yeux) mais il est en fait source du seul gros défaut de cette oeuvre selon moi.
Nos deux personnages ne pouvant être ubiquistes, on ne nous parle finalement que d'une certaine histoire de la danse. On ne nous parle que trop peu des danses asiatiques, africaines, américaines (pré-colombiennes), moyen-orientales, ...
On commence un peu à nous en parler à l'acte 8 mais en se concentrant sur leurs influences en europe. Après cela, on parlera bien de la danse américaine mais toujours pas vraiment du reste du monde.
Encore une fois, c'est un défaut inérant au parti pris d'avoir romancé cette histoire, donc je ne jette pas totalement la pierre. Mais cela reste dommageable quand l'oeuvre nous promettait l'histoire de la danse (ou alors c'était peut-être pour cela que le titre était "UNE histoire dessinée de la danse").
Mais trève de défauts, parlons des qualités !
(C'est tout moi ça, commencer par parler des défauts au risque de dégoûter les gens).
L'idée d'avoir à suivre deux personnages, chacun représentant un extrême de la vision artistique, est bonne. L'une est désireuse de maîtrise, d'ordre et d'excellence, l’autre cherche plus la liberté, le chaos et le vivant.
Les suivre parfois dans leurs séparations idéologiques permet d'aborder certains chiismes artistiques lors d'évènements clés.
On nous bombarde d'informations. Elles sont paradoxalement à la fois nombreuses et maigres.
En fait, pour faire visualiser ce que je veux dire, je vais comparer cet album aux séries animées « Il était une fois » : c’est plein de noms, de dates et d’informations nommés à la volée et replacés dans un petit contexte pour aider à la visualisation, mais ça ne rentrera pas dans les détails. En fait, c’est un peu comme une aide pour mémoriser son cours ou pour se donner envie de creuser le sujet ailleurs.
Un défaut pour certain-e-s, moi je trouve que c'est un bon choix sachant qu'il aurait fallu sinon produire une vingtaine d'albums de taille similaire pour vraiment plus creuser.
Ayant moi-même étudier l'histoire du théâtre et de l'expression scénique de l'Antiquité à l'époque moderne, je sais que certaines périodes auraient mérité plus d'informations (notamment l'influence de l'Eglise au Moyen-Âge à l'acte 3) mais j'invite fortement les personnes ne s'y connaissant pas et ayant été intrigué-e-s par certaines périodes à pousser leurs recherches à côté.
Je trouve le dessin de Thomas Gilbert beau. Il illustre bien les différentes époques, les différents costumes, et se permet quelques petites libertés pour l'illustration du "ressenti" du mouvement par les artistes.
Bref, si vous ne vous y connaissez pas en danse, cet album sera une introduction très fournies et les différents noms et techniques nommés et montrés vous permettront de pousser vos recherches si vous le désirez.
Si vous vous y connaissez déjà en danse, vous pourrez l'utiliser pour visualiser et mémoriser certaines informations clés.
(Note réelle 3,5)
J’ai balancé d’une rive à l’autre sans m’autoriser à t’aimer.
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Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2024. Elle a été réalisée par Anaïs Halard pour le scénario, et par Amélie Clavier pour les dessins et les couleurs. Elle comprend quatre-vingt-dix-neuf pages de bande dessinée.
Un oiseau passe haut dans le ciel bleu constellé de nuages blancs. Une petite chaumière nichée dans une clairière, à côté, un homme le torse nu s’active à enlever les plantes et la mousse qui ont partiellement recouvert la roulotte. Il tire d’un coup sec en y mettant toute sa force, pour arracher une longue liane. Il se redresse et s’éponge le front du revers de la main, en regardant le résultat. Depuis la fenêtre de la chambre, une femme l’observe. Elle se détourne et regarde la valise vide sur le lit, avec ses affaires autour. Elle a pris une fleur en tissu dans un coffret. Elle la contemple. Elle se souvient quelques années plutôt quand l’une des deux sœurs fixait cette même fleur dans ses cheveux, devant la porte de leur roulotte. Monsieur Loyal l’appelle : elle doit se dépêcher, c’est bientôt à elle et à sa sœur. Elle sourit : il l‘a appelé Paula, et il l’a encore confondu avec sa sœur Louna. Elle ouvre la porte de la roulotte et appelle sa sœur. Celle-ci lui répond qu’elle a entendu. Louna entre dans la roulotte et voit que sa sœur Paula n’est toujours pas habillée. Cette dernière explique qu’elle n’arrivait pas à sortir de sa sieste, elle faisait un rêve. Elle était allongée sur la scène, robe remontée, les yeux bandés, les rideaux baissés. Deux hommes étaient allongés là. Sa sœur jumelle l’interrompt en lui disant qu’elle fait exprès, et elle l’aide à se préparer.
Sous le chapiteau, Monsieur Loyal souhaite la bienvenue aux spectateurs, leur promettant qu’ils vont rire et vibrer, avec des numéros jamais égalés, célèbres dans toute la France. Et il annonce Paula et Louna, les oiseaux du chapiteau. Celles-ci montent dans les cordes pour rejoindre les plateformes à partir desquelles elles s’élancent dans le vide, uniquement accrochées à leur trapèze. Paula surprend sa sœur en effectuant un triplé non prévu. Tout le monde les regarde en silence, bouche née, pendant toute la durée de leur numéro. Une fois celui-ci terminé, elles rejoignent la femme à barbe et les sœurs siamoises et quelques autres saltimbanques, pour le dîner autour d’une longue table. La soirée s’avançant, les uns et les autres rentrent dans leur roulotte. Paula et Louna décident de danser jusqu’à tard dans la nuit, discrètement observée par Ambroise, le lanceur de couteaux. Le lendemain, Paula se réveille après une belle cuite, encore attablée. Les forains abaissent le chapiteau, Ambroise vient maladroitement saluer Louna, et les roulottes reprennent la route vers leur prochaine destination. En cours de voyage, le chef du cirque décide d’arrêter le convoi dans le prochain village : il y a une rivière pour se rafraîchir. Paula reprend une conversation habituelle avec sa sœur : leur numéro mérite mieux que ce cirque. Louna ne souhaite pas qu’elle lui parle de nouveau de la Russie. Ambroise s’approche pour parler à Louna.
Une époque pas explicitée : fin dix-neuvième siècle, peut-être début vingtième, pas d’automobile, des trains à vapeur et la Russie qui fait rêver en tant que nation semi-exotique. Un récit qui se cantonne à la campagne, à proximité de petites villes sans qu’elles ne soient montrées, à des roulottes, à une maison isolée, et à cinq courtes scènes sous le chapiteau. Le lecteur partage la vie et l’intimité de Paula et de Louna, puis du couple avec Ambroise et de leur fille Joséphine. L’histoire se focalise sur ce noyau familial et sur son évolution romantique. La narration visuelle s’avère très facile d’accès : des dessins aux contours un peu simplifiés, avec une touche parfois de naïveté, tout en présentant une bonne densité d’informations visuelles. Une mise en couleurs de type aquarelle venant apporter des textures aux formes détourées par un trait encré, et une ambiance lumineuse souvent un peu sombre. Le lecteur remarque quelques séquences silencieuses, quatorze pages en tout, trois dessins en pleine page et un en double page. Tout le texte se présente sous forme de dialogue, à l’exception de deux lettres lues à chaque fois par un personnage. Le récit est exempt de scène de violence, il ne s’agit pas d’un roman d’aventure ou d’une histoire d’action. Cette histoire d’amour rencontre des obstacles de différente nature, dont un décès et une naissance, sans virer au romantisme ou au drame sensationnaliste.
Sans même en avoir conscience, le lecteur se laisse prendre au charme doux de la narration visuelle, effectuant des interprétations et des projections, par pur automatisme, se retrouvant ainsi tout naturellement impliqué dans la vie de ces jumelles. Il commence par partager un moment de connivence organique. Louna se fait la remarque qu’une fois de plus monsieur Loyal les a confondues : le lecteur peut voir l’acceptation, avec une pointe d’amusement sur le visage de Louna, car elle en a pris l’habitude depuis des années, et elle sait que ce sera sans fin. Elle rentre dans la roulotte : la lumière a déjà commencé à décliner, et l’éclairage assez faible est dispensé par une lanterne avec une bougie, et deux ou trois autres bougies à l’intérieur de la roulotte. Dans cette semi-pénombre, les deux jeunes femmes papotent, Paula se montrant facétieuse, Louna se montrant attentionnée envers elle. Au long de cette séquence, le lecteur observe les nombreux détails dans la roulotte : le miroir accroché au mur au-dessus de la table pour se maquiller et se démaquiller avec ses flacons, la petite alcôve avec le lit et les coussins, les deux crucifix accrochés au mur, le fauteuil, la petite table avec une lampe à huile et une statuette de la vierge, et un pot de fleurs sur une autre petite table. Louna porte déjà sa tenue de spectacle : des bas noirs, une culotte noire bouffante, un justaucorps blanc et un gilet ouvragé. Alors que sa sœur est encore en tenue de sommeil, une large culotte noire elle aussi et un haut sans manche. Le lecteur partage ce moment de complicité en toute simplicité, ressentant la tendresse existant entre ces deux sœurs, et la prévenance de l’une envers l’autre, née de nombreuses années vécues ensemble et de leur gémellité.
Quelques pages plus loin, le lecteur est à nouveau le témoin privilégié d’un moment d’intimité délicat et doux. Alors que les deux sœurs se sont assises sur la berge de la rivière pour y tremper leurs pieds et ainsi se rafraîchir, Ambroise arrive et tend gentiment la main à Louna pour qu’elle se lève et qu’ils fassent quelques pas ensemble pour parler un peu. Les dessins font des merveilles : l’artiste dose avec sensibilité les contours encrés, la mise en couleur, celle-ci oscillant entre couleur directe et simple évocation des grandes masses en arrière-plan. D’une manière générale, la dessinatrice se montre économe en traits encrés, utilisés surtout pour détourer les silhouettes et la forme général des objets ou des éléments de décor. Cela contribue à la légèreté des images et à la douceur des personnages. La mise en couleur vient alors représenter d’autres éléments, dans cette séquence il s’agit des arbres et des plantes, des couleurs des vêtements et leur plis et ondulations. Elle rend également compte de la texture de la terre, du feuillage des végétaux, et de simples zones vertes ou marron viennent rappeler l’arrière-plan par des camaïeux abstraits. Ce mode de représentation induit que le rapprochement entre Ambroise et Louna se fait sans heurts, sans inquiétude, tout naturellement.
En page soixante-dix-huit, le lecteur assiste au numéro de trapèze, en tant que spectateur assis dans les gradins. Pour cette planche, la dessinatrice se départit des compositions en bandes à base de cases rectangulaire, pour une image ronde centrale, et des images comme en rayon autour montrant les mouvements de la trapéziste, et la réaction d’un jeune garçon qui l’admire depuis le sol. Le lecteur peut lire la concentration sur le visage de la jumelle, son contentement exprimé par un léger sourire. La direction d’acteurs reste naturaliste dans ces moments. Le lecteur est confiant quant à la réussite du numéro car les autrices ne jouent pas sur la dramatisation ou le spectaculaire, et dans le même temps il est conscient de la profondeur des enjeux émotionnels pour les principaux personnages, Ambroise, Louna, Paula. Leur situation induit une tension affective qui les contraint à s’adapter. Les autrices jouent avec les éléments implicites. Louna et Paula étant jumelles, le lecteur commence par se dire qu’elles sont proches à en être identiques : la première scène le détrompe d’entrée de jeu, avec l’une plus sérieuse que l’autre, l’une plus nomade que l’autre, etc. Il existe donc une tension dès le départ entre Louna et Paula qui n’envisagent pas la suite de leur vie de la même manière.
L’arrivée d’Ambroise ne se réduit donc pas à un artifice pour mettre un grain de sable dans une relation fusionnelle, puisqu’elles présentent déjà deux caractères différents, et des aspirations similaires mais pas identiques. La vie continue et Joséphine naît, modifiant à nouveau la dynamique relationnelle entre ces trois êtres humains, dans une configuration surprenante. La maladie soudaine du nourrisson génère une prise conscience brutale de ce qui leur tient à cœur, conduisant à des résolutions fermes. Le cours de la vie confronte les personnages au temps qui passe, à l’éloignement, au rapprochement, à la naissance de la vie nouvelle, aux aspirations professionnelles, à l’impermanence des choses, à la vie propre du sentiment amoureux pouvant évoluer, tout comme pouvant rester immuable.
Une histoire simple de jumelles trapézistes dans un cirque à la fin du dix-neuvième siècle : à un moment chacune souhaitera vivre sa propre vie. Une narration visuelle au dosage parfaitement équilibré entre description et sensation, qui fait ressentir les émotions des personnages, au lecteur, de manière organique, en douceur. Sans dramatisation romantique, l’amour prend des formes différentes pour chaque personnage, plus ou moins malléables. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point.
Ma note oscille entre le 3 et le 4 mais j'ai noté vers le haut parce que j'en ressors avec un sentiment plutôt positif. C'est une BD qui pose une histoire sur l'Allemagne bien sympathique, qui ne tourne pas que autour du nazisme mais propose une lecture assez amère des années 70. Et c'est à la fois intéressant comme propos mais aussi terriblement ironique.
La BD est étrange de prime abord, avec son style de dessin très naïf et qui fait penser à un style pour enfant, mais il ne faut pas se fier aux apparences : la BD est très au clair sur l'utilisation de son dessin de manière efficace et précise. L'ensemble retrace le quotidien de cet employé sans histoire, sa mollesse, son alcoolisme (non avoué), son travail banal et tout le reste, le passé ... L'Allemagne des années 70 semble assez triste, de ce point de vue. Il y a une vraie fracture entre la jeune génération et l'ancienne (qui a vécue la seconde guerre mondiale et le Nazisme, ces questions réapparaissant dans les années 70), mais aussi une ambiance qui va bientôt exploser. C'est amusant de se plonger dans ces années-là, de voir la prévention de l'alcoolisme qui débarque par exemple. Mais c'est aussi se rappeler que ces années faisaient la jonction entre l'Allemagne nazie et post-guerre (donc occupée) et la nouvelle génération, n'ayant connue que l'occupation américaine puis la création de la RFA.
Si l'histoire prend toutes ces thématiques comme arrière-plan d'une histoire plus "banale" d'un homme qui cherche une rédemption et ne se sent pas à sa place dans sa vie. Il a des relations conflictuelles avec son fils (d'ailleurs leur dernier dialogue est touchant !), des soucis avec l'alcool, le poids de son passé qui le hante ... C'est surtout les conflits interne du protagonistes qui ressortent, tandis que l'histoire semble nous embarquer ensuite vers autre chose. Mais c'est bien un polar centré sur l'individu et son tourment intérieur. J'ai personnellement bien aimé ce qu'il en ressort et les choix fait par le héros, qui se retrouve dans une situation délicate.
Une BD assez simple mais bien faite, qui pose la situation d'une Allemagne au bord d'une crise majeure. Pas courant, bien traité et menée jusqu'au bout, je recommande !
J'avais vu cette bd à sa sortie et elle m'avait intéressé pour le thème qu'elle abordait : le XVIIème siècle et les débuts des grandes compagnies maritimes avec leurs lots de voyages dont on sait jamais si on en revient ! Il faut aussi avouer que la couverture en jette et j'ai donc pu me l'offrir il y a quelques jours.
J'avais un à priori un peu mitigé sur cette bd; Dorison n'est pas mon scénariste préféré. Je reconnais que ses scénarios sont souvent fluides, sans lenteurs et bien écrits mais je ne les ai jamais trouvés exceptionnels. Au dessin, je ne connaissais pas Montaigne mais de ce que j'avais vu, c'était du Lauffray en un peu moins bien.
Et justement que dire du dessin ? J'en suis très agréablement surpris. Si effectivement, la lecture de 1629 m'a bien confirmé l'influence de Lauffray, je trouve les planches très bien dessinées. On aura droit à quelques doubles planches ou des grandes cases qui prennent parfois toute une page. Elles renforcent l'immersion et nous plongent directement dans l'histoire, notamment pendant la tempête, c'était vraiment chouette. Le dessin rend de plus très bien de la misère d'une vie en pleine mer, mais aussi des tensions entre les personnages et les craintes qu'ils renferment, notamment grâce à un cadrage très dynamique et moderne, un cadrage qui m'avait d'ailleurs un peu rebuté en feuilletant la BD avant de la lire, moi qui suis plutôt habitué à celui clair et précis des anciennes BD, mais qui a le mérite que je viens d'évoquer. Notons aussi que la qualité des dessins ne se limitent pas aux personnages et à l'ambiance offerte. En effet, les décors (surtout ceux d'Amsterdam) ne sont pas bâclés, ce que j'ai tendance à remarquer de plus en plus souvent dans les BD des dernières années qui pourtant sont parfois adulées par les critiques, mais bon passons.
Pour le scénario, comme je l'ai dit Dorison n'est pas mon auteur préféré, mais il a ici réussi à me faire vraiment aimé l'histoire qui pourtant à l'air assez classique en apparence : long voyage, tentatives de mutinerie et évidemment naufrage ( c'est pas vraiment un spoil vu que c'est évoqué en 4ème de couverture et dans le titre ;) ) Il va donc jouer sur la tension palpable entre les officiers et les marins mais aussi sur l'apparition d'un personnage énigmatique : l'apothicaire. Tous ces éléments parviennent donc à garder le lecteur en haleine, jusqu'à la scène de fin qui termine de belle manière le premier volet !
Parlons enfin du prix de cette BD. 35€, même si le format est très grand et qu'il y a 120 pages à lire, c'est beaucoup trop cher. Le choix éditorial peut être justifié si l'on compare par exemple avec Les Indes Fourbes d'Ayroles qui est au même prix. Mais cette dernière avait tout de même 30 pages de plus. 25€ voire 30€ maxi auraient été plus raisonnables.
Finalement, je recommande quand même la lecture de cette histoire qui est la première d'un diptyque dont la suite s'avère encore plus passionnante ! Elle fut une très agréable surprise en ce début d'année et j'ai hâte de lire le dénouement !
TOME 2 :
Le tome 2 garde les mêmes qualités scénaristiques du premier en jouant sur le suspens, les choix et dilemmes des personnages et la cruauté de l'apothicaire. Si l'histoire de la survie sur un îlot est moins passionnante que le voyage en mer du tome 1, elle propose une nouvelle approche du récit puisqu'il ne sera plus question de jeux de pouvoir et de mutineries, mais de dilemmes moraux et de survie face à un groupe de marins écrasants plus que de la quête de nourriture ou d'eau en attendant les secours. Concernant le dessin, il est toujours de très bonne qualité et le cadrage, comme dans le tome 1, permet de jouer sur des thèmes comme la solitude, la peur ou la colère. J'aurais bien aimé un peu plus de dessins en pleine planche comme dans le premier. Il y en a, mais ils sont moins spectaculaires.
35€, toujours très cher mais l'objet est vraiment très beau, la couverture est magnifique et ça fera très bien dans ma bibliothèque !
Où trouver cet art ? L'Art de notre temps ?
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Ce tome contient une biographie de l'artiste Edgar Degas (1834-1917) qui ne nécessite pas de connaissance préalable pour l'apprécier, et qui dégage plus de saveurs si le lecteur est familier de ses principaux tableaux. Sa première édition date de 2021. Il a été réalisé par Salva Rubio pour le scénario et pas Efa (Ricard Fernandez) pour les dessins et les couleurs. Il compte quatre-vingts pages de bande dessinée. Il se termine avec un dossier de sept pages, rédigé par le scénariste et illustré par des tableaux de Degas. Ces deux auteurs avaient déjà réalisé ensemble Monet, nomade de la lumière (2017).
Samedi 29 septembre 1917, au cimetière de Montmartre à Paris, Mary Cassatt assiste à l'enterrement d''Edgar Degas, immobile et silencieuse, entendant les commentaires autour d'elle. Quelqu'un le connaissait-il vraiment ? Il était toujours seul. Rien d'étonnant il était si intransigeant. Il ne s'est jamais remis de la faillite familiale. Ce fut pour lui, une telle humiliation. Machiste, antidreyfusard, voire antisémite, intolérable ! Et cette manie de ne peindre que des danseuses, des blanchisseuses et des prostituées, c'est bizarre non ? Pas si bizarre quand on sait que la plupart de ces ballerines étaient aussi des putains. Il ne s'est jamais marié, encore une bizarrerie. En effet, plus encore pour un homme de son rang. On ne lui a jamais connu une seule aventure ? Pas même avec l'un de ses modèles, comme ses amis impressionnistes ? Non, il était peut-être homosexuel, en tout cas beaucoup le pensaient. Ou impuissant… Il était arrogant, insolent et désagréable ! Les gens disaient qu'il y avait deux Degas : celui qui bougonne et celui qui grogne. Il était tout bonnement insupportable. Il a toujours vécu seul, pas étonnant qu'il soit mort seul.
Après l'enterrement, Mary Cassatt rentre chez elle en pensant à tous ces commentaires. Elle se dit qu'on parlera toujours de ses danseuses adorées, de ses blanchisseuses, de ses modistes. Mais quelqu'un le connaissait-il vraiment ? Elle a besoin de savoir. Elle prend un volume dans sa bibliothèque et se plonge dans les carnets intimes du peintre. En 1852, 45 rue de Taibout à Paris, un jeune Edgar Degas a abordé Paul Valpinçon qui marche dans la rue, et il lui fait la leçon de manière véhémente, lui reprochant de refuser le tableau La baignade pour une exposition sur la carrière de Jean-Auguste-Dominique Ingres, allant jusqu'à l'insulter en le traitant de d'imbécile, de foi, d'idiot, de benêt, d'abruti, d'égoïste. Continuant sur sa lancée en le qualifiant de bourgeois arrogant, de personnage insignifiant, de crétin analphabète. Tout au long de ces invectives, Valpinçon a continué d'avancer et il s'arrête au 11 quai de la Seine pour sonner à la porte. Un homme lui ouvre, le reconnaît et lui demande quel bon vent l'amène. Edgar identifie Ingres au premier coup d’œil. Le riche bourgeois informe le peintre qu'il a changé d'avis et qu'il va lui prêter La baigneuse. le jeune garçon explique à l'artiste qu'il veut devenir peintre. Ingres lui conseille de se consacrer corps et âme à la peinture, de vivre pour la peinture, d'en faire sa maîtresse, sa fiancée et son épouse.
Dès les premières pages, le lecteur constate que les auteurs savent de quoi ils parlent. Le scénariste a choisi de raconter l'histoire de l'artiste du point de vue de Mary Cassatt (1844-1926), artiste peintre et graveuse américaine ayant entretenu une longue relation professionnelle avec le peintre, et le dessinateur sait citer les toiles du maître, sans essayer de les singer. le récit s'ouvre sur l'enterrement d'Edgar Degas, et sa collègue se plonge dans ses carnets intimes. Le dispositif narratif peut sembler téléphoné : dans la narration le scénariste s'en sert pour annoncer les questionnements qu'il va évoquer concernant ce peintre. Les remarques effectuées par les personnes assistant à l'enterrement constituent autant de facettes de la personnalité publique de Degas formant un portrait de l'individu. La deuxième scène indique que l'auteur va mettre en scène des moments de vie, avec la connaissance de son déroulement complet, le point de vue étant celui de sa collègue après la mort de Degas. Dès ces premières pages, la narration visuelle séduit le lecteur avec ces teintes comme apposées au crayon de couleur, des cases rectangulaires sans bordure tracée, un regard adulte sur les différents lieux, avec le comportement posé de cette dame âgée, en phase de deuil d'un ami cher qu'elle a côtoyé pendant des décennies.
Après les trois pages d'introduction, le récit reprend un ordre chronologique, à partir de 1852. En fonction de la nature des événements évoqués, les auteurs peuvent consacrer une scène à une date précise, ou bien évoquer des faits s'étant déroulés entre deux dates, ou encore une série de dates. Dans la première famille se trouvent par exemple l'année 1872 que Degas passe à la Nouvelle Orléans en Louisiane, l'année 1873 au cours de laquelle il développe l'idée d'un salon des Impressionnistes, le 15 avril 1874 pour la première exposition des Impressionnistes, les dates des sept expositions suivantes (30 mars 1876, 4 avril 1877, 10 avril 1879, 1er avril 1880, 2 avril 1881, 1er mars 1882), avril 1883 alors que Degas se rend au chevet de Manet, le 30 avril 1883 date de son décès. Dans la deuxième catégorie, ils vont développer des interactions et des faits avérés comme la fin des études scolaires de Degas, ses années d'apprentissage à l'atelier Lamothe, la première rencontre avec Édouard Manet (1832-1883), celle avec Berthe Morisot (1841-1895, artiste peintre, cofondatrice du mouvement des Impressionnistes), avec les autres impressionnistes, avec Mary Cassatt, les travaux préparatoires de la publication le Jour et la Nuit, qui ne paraîtra jamais, plusieurs échanges au cours de sa relation avec Cassatt, etc.
Le lecteur se retrouve vite pris par cette reconstitution consistante et dense, tout en se demandant si ça s'est vraiment passé comme ça. le dossier en fin d'ouvrage comporte plusieurs parties dont les titres sont les suivantes : Musique pour un menuet solitaire, Degas et Cassatt une énigme émotionnelle, le monde de Degas planche après planche, Un jeune homme en colère, le masque de l'artiste, Inspiration américaine, le ballet comme atelier, Un long adieu. Entre autres, le scénariste explicite ses partis pris : résister à la tentation d'accompagner les planches d'explication, et inclure dans ce cahier final toute une série d'informations complémentaires, de détails savoureux, de curiosités et d'anecdotes qui rendent plus agréable la lecture ou la relecture de cet album. Il apporte une précision sur la voix de monsieur Degas : ses carnets ainsi que plusieurs de ses lettres ont été conservés, tout comme une série d'anecdotes, de critiques et d'information sur sa manière de parler, de se comporter et de s'adresser à son entourage. Il a veillé à reproduire fidèlement son caractère, sa personnalité et son langage, reprenant mot pour mot ou en les adaptant, un grand nombre de ses répliques, affirmations, notes et réflexions. S'il n'est plus possible d'interviewer Edgar Degas lui-même, cette biographie colle au plus près de ce qui est connu de lui, tout en effectuant des choix pour réordonner quelques détails et se conformer à la pagination. À plusieurs reprises, le lecteur peut faire le lien avec la bande dessinée que les auteurs ont consacré à Claude Monet (1840-1926), et aux séquences relatives au Salon de peinture et de sculpture, souvent appelé juste Salon.
L'artiste a choisi de réaliser des dessins qui ne singent pas les tableaux de Degas (d'ailleurs, pas sûr qu'il soit possible de réaliser une bande dessinée avec ses tableaux), mais qui en respecte l'esprit. Pour autant, le lecteur peut identifier plusieurs reproductions de tableaux célèbres, de Degas bien sûr, mais aussi de Manet. En fonction de sa culture, il peut comparer un tableau ou un autre à l'original, et apprécier le talent du bédéiste. Il peut également être saisi par la manière dont il transcrit la puissance expressive de la sculpture La Petite Danseuse de quatorze ans (1879-1881), ou comment il détourne le déjeuner sur l'herbe (1863) de Manet, sans les femmes, avec Degas et Manet allongés sur l'herbe dans la position des messieurs du tableau. La première caractéristique réside dans le fait que la narration visuelle est traitée comme une véritable bande dessinée, et non comme un texte illustré, même quand le scénariste a beaucoup d'informations à apporter. Efa impressionne par sa capacité à représenter dans le détail de nombreux éléments. Le lecteur peut prendre son temps pour examiner les costumes et les robes, les chapeaux féminins et masculins, et bien sûr la manière dont les messieurs taillent leur barbe et leu moustache. Il peut se projeter dans chaque lieu : devant le caveau de la famille de Gas, dans plusieurs rues de Paris, dans une salle de classe du lycée Louis-le-Grand, à l'atelier Lamothe, au café Guerbois, dans plusieurs salons où se tient une réception mondaine, à l'opéra, dans l'atelier de Degas, dans un grand parc parisien, dans un hippodrome, dans les coulisses de l'opéra, dans une maison close. Le dessinateur sait donner à voir les lieux représentés par le peintre, et ceux qu'il fréquentait. L'utilisation de crayons de couleur ou équivalent aboutit à un rendu différent de celui de la peinture, tout en respectant les atmosphères des toiles, le lecteur pouvant en comparer dans le dossier de fin.
Récréer la vie d'un être humain, sa trajectoire de vie, mettre en lumière sa personnalité tient de la gageure, d'une construction a posteriori, d'une interprétation pour mettre en concordance les faits et gestes publics et connus d'un individu et sa vie intérieure mystérieuse et connue de lui seul. Efa & Rubio permettent de faire connaissance avec un artiste peintre singulier, de le côtoyer, d'envisager ses motivations, ses états d'esprit, ses principes (en particulier l'importance qu'il donne à son Art et à sa pratique, aux dépens de sa vie sociale et amoureuse), dans des planches magnifiques, autant descriptives que gorgées de sensations, dans le contexte du mouvement impressionniste. Un coup de maître.
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Oleg
J'ai beaucoup aimé ce récit intimiste à caractère autobiographique de Frederik Peeters. Je dois dire que je me retrouve dans un grand nombre des observations que l'auteur fait à propos de la société qui l'entoure. J'ai particulièrement apprécié ses réflexion sur cette société sans limite qui s'infantilise dans une immédiateté éphémère. J'ai trouvé la construction du récit très fine et intelligente passant de l'imaginaire créatif à une réalité réduite et souvent déprimante. Peteers observe sans illusion cette accélération du changement de codes qui fragilise le socle commun. L'auteur a l'intelligence de ne pas porter de vain jugements de valeur mais au contraire se met au centre d'épisode humoristiques dans une autodérision très drôle ( la classe, les dédicaces). Les récits intimistes de certains auteurs de BD peuvent vite se montrer ennuyeux quand il s'agit d'une succession de beuveries, de soirée et de malheurs sentimentaux. Au contraire Peeters prend le contrepied de cette tendance en proposant la durée, la routine constructive ou la résilience devant l'adversité. Cela fait de lui et sa famille un ensemble de personnages très attachants et souvent touchants dans leurs tentatives de faire coïncider leurs aspirations existentielles aux contradictions issues de leur présence au monde. L'auteur nous propose un graphisme en N&B très travaillé incluant de nombreuses références en fonction des situations évoquées. Cette narration visuelle équilibre parfaitement le texte . C'est incisif et dynamique dans les deux cas comme si l'auteur avait eu le souci de ne pas privilégier l'une par rapport à l'autre. Il se présente ainsi comme une troisième voie entre un passé où l'écrit dominait et un avenir redouté où on ne saura plus faire trois phrases de suite. Cette narration graphique m'a paru un peu sombre en feuilletant le livre mais à la lecture cela correspond bien aux interrogations internes d'Oleg/Peeters. In fine c'est plutôt un beau message optimiste qui se dégage de cette étude sur l'amour long. Une belle lecture qui m'a touché.
L'Aigle sans orteils
L’Aigle sans orteils, c’est l’histoire d’une époque autant que celle d’un homme. Christian Lax nous plonge au début du XXe siècle, dans un monde où le vélo est encore une aventure, une folie réservée aux audacieux. On suit Amédée Fario, ouvrier sur les chantiers de haute montagne, qui décide de se lancer dans le Tour de France, porté par une ambition presque naïve mais terriblement humaine. Ce qui marque, c’est l’équilibre entre la petite histoire et la grande. Lax raconte l’évolution du Tour, ses débuts épiques où chaque étape ressemblait plus à une épreuve de survie qu’à une compétition. Mais il raconte aussi l’ouvrier, la rudesse de son quotidien, et ce besoin d’évasion qui passe par un vélo. C’est une BD qui parle de dépassement, mais aussi d’une époque qui bascule lentement vers la modernité. Graphiquement, c’est magnifique. Les traits sont précis, expressifs, et les paysages alpins, tout comme les scènes de peloton, prennent vie dans des tons doux, presque nostalgiques. On sent la poussière des routes, l’effort dans chaque coup de pédale, et la camaraderie comme les rivalités qui traversent le peloton. Lax a ce talent rare de raconter sans en faire trop. Les dialogues sont simples, justes, et l’émotion passe souvent par les regards ou les silences. Ce n’est pas une histoire grandiloquente, mais une chronique humaine, où chaque victoire, chaque défaite résonne avec quelque chose de plus profond. L’Aigle sans orteils, c’est une ode au cyclisme, mais aussi un hommage aux hommes de cette époque, à leur force, leur courage, et leur fragilité. Une BD qui laisse une belle empreinte, comme un dernier virage avant la ligne d’arrivée.
Pain d'Alouette
Suite de L'Aigle sans orteils que j'ai beaucoup aimé, je n'ai pas été déçu par le changement de décor qui nous fait passer des Pyrénées au plaines du Nord. On plonge dans une France d’après-guerre où tout semble en reconstruction : les vies, les rêves, et même l’espoir. Christian Lax, avec son style mêlant finesse graphique et ancrage historique, nous emmène dans un récit où se croisent le souffle du Tour de France, la poussière des mines et les drames humains d’une époque. Ce n’est pas juste une BD sur le vélo ou sur le Nord : c’est une histoire de transmission, de courage et de résilience. Le récit suit plusieurs trajectoires : un ancien coureur gazé à la guerre, son jeune neveu qui rêve de vélo, et Reine, une orpheline enfermée dans un orphelinat austère, symbole d’une époque qui peine à prendre soin de ses enfants. Lax mélange tout cela avec une justesse désarmante, jamais dans l’emphase, toujours au plus près des émotions. Il montre autant la rudesse du quotidien que l’échappée qu’offre le cyclisme, ce sport qui fascine les classes populaires par son effort brut et sa beauté simple. Les dessins aquarellés de Lax captent parfaitement l’ambiance : des tons gris et ocres qui évoquent la sueur, la terre, et la lumière rare d’un jour de fête où le peloton passe. Les scènes de mine sont oppressantes, le bruit des barres de fer semble résonner à chaque page. À l’inverse, les moments de vélo offrent une légèreté qui tranche avec la dureté du reste, comme une respiration dans un monde qui peine à avancer. Ce qui frappe, c’est le regard porté sur ceux qu’on oublie souvent. Lax raconte une époque marquée par les blessures visibles et invisibles, avec une attention particulière aux relations humaines, à la transmission de valeurs dans un monde en miettes. Il ne force jamais le trait, et c’est là toute sa force. C’est une lecture qui touche, sans jamais appuyer. Pain d’alouette, c’est une fresque humaine qui parle autant d’histoire que de destin. Une belle œuvre, à la fois sobre et lumineuse.
Monsieur Mardi-Gras Descendres
Une traversée unique, un mélange de grotesque et de métaphysique qui ne ressemble à rien d’autre. On suit un héros mort, réduit à l’état de squelette, qui explore un purgatoire aussi absurde que déprimant, avec ses lois alambiquées et ses absurdités bureaucratiques. Dès les premières pages, l’univers impressionne. Le trait est sec, précis, presque clinique, et chaque détail des décors – ces villes faites de bric et de broc, ces squelettes rafistolés – donne vie à ce monde désespérément désorganisé. L’histoire, elle, avance doucement, mais ce n’est pas là le cœur de l’expérience. Ce qui fascine, c’est cette ambiance d’ennui oppressant et d’humour noir. Tout semble désespéré, mais on ne peut s’empêcher de sourire face aux dialogues absurdes et aux situations improbables. Ce mélange entre réflexion sur la condition humaine et loufoquerie pure fonctionne étonnamment bien. C’est à la fois une quête initiatique et une satire qui joue avec les codes religieux, philosophiques et sociaux. Certains passages traînent un peu, c’est vrai. C'est ce qui m'empêche d'aller jusqu'aux 5 étoiles. L’intrigue prend des détours qui peuvent sembler inutiles, mais dans cet univers, même l’ennui a un sens. Le récit nous force à nous poser, à nous imprégner, et finalement, on se rend compte que c’est précisément ce flottement qui m'a fait entrer dans ce purgatoire étrange. Une BD qui demande de la patience et un certain goût pour l’absurde. Mais pour ceux qui acceptent de se perdre dans ce monde, Monsieur Mardi-Gras des Cendres offre une expérience rare, entre contemplation et dérision, le tout dans un cadre visuel impressionnant. Une belle découverte.
Maurice et Patapon
C'est bête et complètement assumé, mais avec une intelligence derrière chaque pet. Oui, c’est pipi-caca, mais du pipi-caca pensé, travaillé, et efficace. Charb balance ses deux lascars – un chien et un chat – dans un univers où tout est prétexte à déconner sur les instincts les plus basiques. Ça éructe, ça flatule, ça balance des absurdités, et ça enchaîne les punchlines avec un talent que peu de bandes dessinées ont dans ce registre. Ce qui marche, c’est cette capacité à être aussi cru que fin. Chaque strip est un doigt bien enfoncé dans l’œil du politiquement correct. Ça va chercher des réflexions pseudo-philosophiques sur les déjections, des débats existentiels sur le pet, et tout ça avec une telle absurdité qu’on en redemande (enfin quand on aime). C’est régressif au possible, mais jamais gratuit : derrière la crasse, il y a une critique du monde, une façon de démonter nos petits travers humains en les collant dans la gueule d’un chien et d’un chat. Graphiquement, c’est minimaliste, et ça suffit largement. Le dessin est là pour servir les dialogues, rien de plus. C’est sec, direct, sans chichi, et c’est pile ce qu’il faut pour que l’humour fonctionne. Charb savait exactement où placer la limite, et surtout quand la franchir. Résultat : on rigole, mais on se sent un peu sale en le faisant. Et c’est bien ça le plaisir de Maurice et Patapon. Une BD qui pue la connerie, mais de la bonne connerie, celle qui fait réfléchir une fois le rire passé. Tu nous manques Charb.
Une histoire dessinée de la danse
Cet album est un documentaire sur l'histoire de la danse occidentale, retraçant son évolution à travers les époques en suivant deux personnages, Camille et Andréa, deux êtres quasiment immortels. Le parti pris est original (en tout cas à mes yeux) mais il est en fait source du seul gros défaut de cette oeuvre selon moi. Nos deux personnages ne pouvant être ubiquistes, on ne nous parle finalement que d'une certaine histoire de la danse. On ne nous parle que trop peu des danses asiatiques, africaines, américaines (pré-colombiennes), moyen-orientales, ... On commence un peu à nous en parler à l'acte 8 mais en se concentrant sur leurs influences en europe. Après cela, on parlera bien de la danse américaine mais toujours pas vraiment du reste du monde. Encore une fois, c'est un défaut inérant au parti pris d'avoir romancé cette histoire, donc je ne jette pas totalement la pierre. Mais cela reste dommageable quand l'oeuvre nous promettait l'histoire de la danse (ou alors c'était peut-être pour cela que le titre était "UNE histoire dessinée de la danse"). Mais trève de défauts, parlons des qualités ! (C'est tout moi ça, commencer par parler des défauts au risque de dégoûter les gens). L'idée d'avoir à suivre deux personnages, chacun représentant un extrême de la vision artistique, est bonne. L'une est désireuse de maîtrise, d'ordre et d'excellence, l’autre cherche plus la liberté, le chaos et le vivant. Les suivre parfois dans leurs séparations idéologiques permet d'aborder certains chiismes artistiques lors d'évènements clés. On nous bombarde d'informations. Elles sont paradoxalement à la fois nombreuses et maigres. En fait, pour faire visualiser ce que je veux dire, je vais comparer cet album aux séries animées « Il était une fois » : c’est plein de noms, de dates et d’informations nommés à la volée et replacés dans un petit contexte pour aider à la visualisation, mais ça ne rentrera pas dans les détails. En fait, c’est un peu comme une aide pour mémoriser son cours ou pour se donner envie de creuser le sujet ailleurs. Un défaut pour certain-e-s, moi je trouve que c'est un bon choix sachant qu'il aurait fallu sinon produire une vingtaine d'albums de taille similaire pour vraiment plus creuser. Ayant moi-même étudier l'histoire du théâtre et de l'expression scénique de l'Antiquité à l'époque moderne, je sais que certaines périodes auraient mérité plus d'informations (notamment l'influence de l'Eglise au Moyen-Âge à l'acte 3) mais j'invite fortement les personnes ne s'y connaissant pas et ayant été intrigué-e-s par certaines périodes à pousser leurs recherches à côté. Je trouve le dessin de Thomas Gilbert beau. Il illustre bien les différentes époques, les différents costumes, et se permet quelques petites libertés pour l'illustration du "ressenti" du mouvement par les artistes. Bref, si vous ne vous y connaissez pas en danse, cet album sera une introduction très fournies et les différents noms et techniques nommés et montrés vous permettront de pousser vos recherches si vous le désirez. Si vous vous y connaissez déjà en danse, vous pourrez l'utiliser pour visualiser et mémoriser certaines informations clés. (Note réelle 3,5)
Ambroise et Louna
J’ai balancé d’une rive à l’autre sans m’autoriser à t’aimer. - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2024. Elle a été réalisée par Anaïs Halard pour le scénario, et par Amélie Clavier pour les dessins et les couleurs. Elle comprend quatre-vingt-dix-neuf pages de bande dessinée. Un oiseau passe haut dans le ciel bleu constellé de nuages blancs. Une petite chaumière nichée dans une clairière, à côté, un homme le torse nu s’active à enlever les plantes et la mousse qui ont partiellement recouvert la roulotte. Il tire d’un coup sec en y mettant toute sa force, pour arracher une longue liane. Il se redresse et s’éponge le front du revers de la main, en regardant le résultat. Depuis la fenêtre de la chambre, une femme l’observe. Elle se détourne et regarde la valise vide sur le lit, avec ses affaires autour. Elle a pris une fleur en tissu dans un coffret. Elle la contemple. Elle se souvient quelques années plutôt quand l’une des deux sœurs fixait cette même fleur dans ses cheveux, devant la porte de leur roulotte. Monsieur Loyal l’appelle : elle doit se dépêcher, c’est bientôt à elle et à sa sœur. Elle sourit : il l‘a appelé Paula, et il l’a encore confondu avec sa sœur Louna. Elle ouvre la porte de la roulotte et appelle sa sœur. Celle-ci lui répond qu’elle a entendu. Louna entre dans la roulotte et voit que sa sœur Paula n’est toujours pas habillée. Cette dernière explique qu’elle n’arrivait pas à sortir de sa sieste, elle faisait un rêve. Elle était allongée sur la scène, robe remontée, les yeux bandés, les rideaux baissés. Deux hommes étaient allongés là. Sa sœur jumelle l’interrompt en lui disant qu’elle fait exprès, et elle l’aide à se préparer. Sous le chapiteau, Monsieur Loyal souhaite la bienvenue aux spectateurs, leur promettant qu’ils vont rire et vibrer, avec des numéros jamais égalés, célèbres dans toute la France. Et il annonce Paula et Louna, les oiseaux du chapiteau. Celles-ci montent dans les cordes pour rejoindre les plateformes à partir desquelles elles s’élancent dans le vide, uniquement accrochées à leur trapèze. Paula surprend sa sœur en effectuant un triplé non prévu. Tout le monde les regarde en silence, bouche née, pendant toute la durée de leur numéro. Une fois celui-ci terminé, elles rejoignent la femme à barbe et les sœurs siamoises et quelques autres saltimbanques, pour le dîner autour d’une longue table. La soirée s’avançant, les uns et les autres rentrent dans leur roulotte. Paula et Louna décident de danser jusqu’à tard dans la nuit, discrètement observée par Ambroise, le lanceur de couteaux. Le lendemain, Paula se réveille après une belle cuite, encore attablée. Les forains abaissent le chapiteau, Ambroise vient maladroitement saluer Louna, et les roulottes reprennent la route vers leur prochaine destination. En cours de voyage, le chef du cirque décide d’arrêter le convoi dans le prochain village : il y a une rivière pour se rafraîchir. Paula reprend une conversation habituelle avec sa sœur : leur numéro mérite mieux que ce cirque. Louna ne souhaite pas qu’elle lui parle de nouveau de la Russie. Ambroise s’approche pour parler à Louna. Une époque pas explicitée : fin dix-neuvième siècle, peut-être début vingtième, pas d’automobile, des trains à vapeur et la Russie qui fait rêver en tant que nation semi-exotique. Un récit qui se cantonne à la campagne, à proximité de petites villes sans qu’elles ne soient montrées, à des roulottes, à une maison isolée, et à cinq courtes scènes sous le chapiteau. Le lecteur partage la vie et l’intimité de Paula et de Louna, puis du couple avec Ambroise et de leur fille Joséphine. L’histoire se focalise sur ce noyau familial et sur son évolution romantique. La narration visuelle s’avère très facile d’accès : des dessins aux contours un peu simplifiés, avec une touche parfois de naïveté, tout en présentant une bonne densité d’informations visuelles. Une mise en couleurs de type aquarelle venant apporter des textures aux formes détourées par un trait encré, et une ambiance lumineuse souvent un peu sombre. Le lecteur remarque quelques séquences silencieuses, quatorze pages en tout, trois dessins en pleine page et un en double page. Tout le texte se présente sous forme de dialogue, à l’exception de deux lettres lues à chaque fois par un personnage. Le récit est exempt de scène de violence, il ne s’agit pas d’un roman d’aventure ou d’une histoire d’action. Cette histoire d’amour rencontre des obstacles de différente nature, dont un décès et une naissance, sans virer au romantisme ou au drame sensationnaliste. Sans même en avoir conscience, le lecteur se laisse prendre au charme doux de la narration visuelle, effectuant des interprétations et des projections, par pur automatisme, se retrouvant ainsi tout naturellement impliqué dans la vie de ces jumelles. Il commence par partager un moment de connivence organique. Louna se fait la remarque qu’une fois de plus monsieur Loyal les a confondues : le lecteur peut voir l’acceptation, avec une pointe d’amusement sur le visage de Louna, car elle en a pris l’habitude depuis des années, et elle sait que ce sera sans fin. Elle rentre dans la roulotte : la lumière a déjà commencé à décliner, et l’éclairage assez faible est dispensé par une lanterne avec une bougie, et deux ou trois autres bougies à l’intérieur de la roulotte. Dans cette semi-pénombre, les deux jeunes femmes papotent, Paula se montrant facétieuse, Louna se montrant attentionnée envers elle. Au long de cette séquence, le lecteur observe les nombreux détails dans la roulotte : le miroir accroché au mur au-dessus de la table pour se maquiller et se démaquiller avec ses flacons, la petite alcôve avec le lit et les coussins, les deux crucifix accrochés au mur, le fauteuil, la petite table avec une lampe à huile et une statuette de la vierge, et un pot de fleurs sur une autre petite table. Louna porte déjà sa tenue de spectacle : des bas noirs, une culotte noire bouffante, un justaucorps blanc et un gilet ouvragé. Alors que sa sœur est encore en tenue de sommeil, une large culotte noire elle aussi et un haut sans manche. Le lecteur partage ce moment de complicité en toute simplicité, ressentant la tendresse existant entre ces deux sœurs, et la prévenance de l’une envers l’autre, née de nombreuses années vécues ensemble et de leur gémellité. Quelques pages plus loin, le lecteur est à nouveau le témoin privilégié d’un moment d’intimité délicat et doux. Alors que les deux sœurs se sont assises sur la berge de la rivière pour y tremper leurs pieds et ainsi se rafraîchir, Ambroise arrive et tend gentiment la main à Louna pour qu’elle se lève et qu’ils fassent quelques pas ensemble pour parler un peu. Les dessins font des merveilles : l’artiste dose avec sensibilité les contours encrés, la mise en couleur, celle-ci oscillant entre couleur directe et simple évocation des grandes masses en arrière-plan. D’une manière générale, la dessinatrice se montre économe en traits encrés, utilisés surtout pour détourer les silhouettes et la forme général des objets ou des éléments de décor. Cela contribue à la légèreté des images et à la douceur des personnages. La mise en couleur vient alors représenter d’autres éléments, dans cette séquence il s’agit des arbres et des plantes, des couleurs des vêtements et leur plis et ondulations. Elle rend également compte de la texture de la terre, du feuillage des végétaux, et de simples zones vertes ou marron viennent rappeler l’arrière-plan par des camaïeux abstraits. Ce mode de représentation induit que le rapprochement entre Ambroise et Louna se fait sans heurts, sans inquiétude, tout naturellement. En page soixante-dix-huit, le lecteur assiste au numéro de trapèze, en tant que spectateur assis dans les gradins. Pour cette planche, la dessinatrice se départit des compositions en bandes à base de cases rectangulaire, pour une image ronde centrale, et des images comme en rayon autour montrant les mouvements de la trapéziste, et la réaction d’un jeune garçon qui l’admire depuis le sol. Le lecteur peut lire la concentration sur le visage de la jumelle, son contentement exprimé par un léger sourire. La direction d’acteurs reste naturaliste dans ces moments. Le lecteur est confiant quant à la réussite du numéro car les autrices ne jouent pas sur la dramatisation ou le spectaculaire, et dans le même temps il est conscient de la profondeur des enjeux émotionnels pour les principaux personnages, Ambroise, Louna, Paula. Leur situation induit une tension affective qui les contraint à s’adapter. Les autrices jouent avec les éléments implicites. Louna et Paula étant jumelles, le lecteur commence par se dire qu’elles sont proches à en être identiques : la première scène le détrompe d’entrée de jeu, avec l’une plus sérieuse que l’autre, l’une plus nomade que l’autre, etc. Il existe donc une tension dès le départ entre Louna et Paula qui n’envisagent pas la suite de leur vie de la même manière. L’arrivée d’Ambroise ne se réduit donc pas à un artifice pour mettre un grain de sable dans une relation fusionnelle, puisqu’elles présentent déjà deux caractères différents, et des aspirations similaires mais pas identiques. La vie continue et Joséphine naît, modifiant à nouveau la dynamique relationnelle entre ces trois êtres humains, dans une configuration surprenante. La maladie soudaine du nourrisson génère une prise conscience brutale de ce qui leur tient à cœur, conduisant à des résolutions fermes. Le cours de la vie confronte les personnages au temps qui passe, à l’éloignement, au rapprochement, à la naissance de la vie nouvelle, aux aspirations professionnelles, à l’impermanence des choses, à la vie propre du sentiment amoureux pouvant évoluer, tout comme pouvant rester immuable. Une histoire simple de jumelles trapézistes dans un cirque à la fin du dix-neuvième siècle : à un moment chacune souhaitera vivre sa propre vie. Une narration visuelle au dosage parfaitement équilibré entre description et sensation, qui fait ressentir les émotions des personnages, au lecteur, de manière organique, en douceur. Sans dramatisation romantique, l’amour prend des formes différentes pour chaque personnage, plus ou moins malléables. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point.
L'Expert (Jennifer Daniel)
Ma note oscille entre le 3 et le 4 mais j'ai noté vers le haut parce que j'en ressors avec un sentiment plutôt positif. C'est une BD qui pose une histoire sur l'Allemagne bien sympathique, qui ne tourne pas que autour du nazisme mais propose une lecture assez amère des années 70. Et c'est à la fois intéressant comme propos mais aussi terriblement ironique. La BD est étrange de prime abord, avec son style de dessin très naïf et qui fait penser à un style pour enfant, mais il ne faut pas se fier aux apparences : la BD est très au clair sur l'utilisation de son dessin de manière efficace et précise. L'ensemble retrace le quotidien de cet employé sans histoire, sa mollesse, son alcoolisme (non avoué), son travail banal et tout le reste, le passé ... L'Allemagne des années 70 semble assez triste, de ce point de vue. Il y a une vraie fracture entre la jeune génération et l'ancienne (qui a vécue la seconde guerre mondiale et le Nazisme, ces questions réapparaissant dans les années 70), mais aussi une ambiance qui va bientôt exploser. C'est amusant de se plonger dans ces années-là, de voir la prévention de l'alcoolisme qui débarque par exemple. Mais c'est aussi se rappeler que ces années faisaient la jonction entre l'Allemagne nazie et post-guerre (donc occupée) et la nouvelle génération, n'ayant connue que l'occupation américaine puis la création de la RFA. Si l'histoire prend toutes ces thématiques comme arrière-plan d'une histoire plus "banale" d'un homme qui cherche une rédemption et ne se sent pas à sa place dans sa vie. Il a des relations conflictuelles avec son fils (d'ailleurs leur dernier dialogue est touchant !), des soucis avec l'alcool, le poids de son passé qui le hante ... C'est surtout les conflits interne du protagonistes qui ressortent, tandis que l'histoire semble nous embarquer ensuite vers autre chose. Mais c'est bien un polar centré sur l'individu et son tourment intérieur. J'ai personnellement bien aimé ce qu'il en ressort et les choix fait par le héros, qui se retrouve dans une situation délicate. Une BD assez simple mais bien faite, qui pose la situation d'une Allemagne au bord d'une crise majeure. Pas courant, bien traité et menée jusqu'au bout, je recommande !
1629 ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta
J'avais vu cette bd à sa sortie et elle m'avait intéressé pour le thème qu'elle abordait : le XVIIème siècle et les débuts des grandes compagnies maritimes avec leurs lots de voyages dont on sait jamais si on en revient ! Il faut aussi avouer que la couverture en jette et j'ai donc pu me l'offrir il y a quelques jours. J'avais un à priori un peu mitigé sur cette bd; Dorison n'est pas mon scénariste préféré. Je reconnais que ses scénarios sont souvent fluides, sans lenteurs et bien écrits mais je ne les ai jamais trouvés exceptionnels. Au dessin, je ne connaissais pas Montaigne mais de ce que j'avais vu, c'était du Lauffray en un peu moins bien. Et justement que dire du dessin ? J'en suis très agréablement surpris. Si effectivement, la lecture de 1629 m'a bien confirmé l'influence de Lauffray, je trouve les planches très bien dessinées. On aura droit à quelques doubles planches ou des grandes cases qui prennent parfois toute une page. Elles renforcent l'immersion et nous plongent directement dans l'histoire, notamment pendant la tempête, c'était vraiment chouette. Le dessin rend de plus très bien de la misère d'une vie en pleine mer, mais aussi des tensions entre les personnages et les craintes qu'ils renferment, notamment grâce à un cadrage très dynamique et moderne, un cadrage qui m'avait d'ailleurs un peu rebuté en feuilletant la BD avant de la lire, moi qui suis plutôt habitué à celui clair et précis des anciennes BD, mais qui a le mérite que je viens d'évoquer. Notons aussi que la qualité des dessins ne se limitent pas aux personnages et à l'ambiance offerte. En effet, les décors (surtout ceux d'Amsterdam) ne sont pas bâclés, ce que j'ai tendance à remarquer de plus en plus souvent dans les BD des dernières années qui pourtant sont parfois adulées par les critiques, mais bon passons. Pour le scénario, comme je l'ai dit Dorison n'est pas mon auteur préféré, mais il a ici réussi à me faire vraiment aimé l'histoire qui pourtant à l'air assez classique en apparence : long voyage, tentatives de mutinerie et évidemment naufrage ( c'est pas vraiment un spoil vu que c'est évoqué en 4ème de couverture et dans le titre ;) ) Il va donc jouer sur la tension palpable entre les officiers et les marins mais aussi sur l'apparition d'un personnage énigmatique : l'apothicaire. Tous ces éléments parviennent donc à garder le lecteur en haleine, jusqu'à la scène de fin qui termine de belle manière le premier volet ! Parlons enfin du prix de cette BD. 35€, même si le format est très grand et qu'il y a 120 pages à lire, c'est beaucoup trop cher. Le choix éditorial peut être justifié si l'on compare par exemple avec Les Indes Fourbes d'Ayroles qui est au même prix. Mais cette dernière avait tout de même 30 pages de plus. 25€ voire 30€ maxi auraient été plus raisonnables. Finalement, je recommande quand même la lecture de cette histoire qui est la première d'un diptyque dont la suite s'avère encore plus passionnante ! Elle fut une très agréable surprise en ce début d'année et j'ai hâte de lire le dénouement ! TOME 2 : Le tome 2 garde les mêmes qualités scénaristiques du premier en jouant sur le suspens, les choix et dilemmes des personnages et la cruauté de l'apothicaire. Si l'histoire de la survie sur un îlot est moins passionnante que le voyage en mer du tome 1, elle propose une nouvelle approche du récit puisqu'il ne sera plus question de jeux de pouvoir et de mutineries, mais de dilemmes moraux et de survie face à un groupe de marins écrasants plus que de la quête de nourriture ou d'eau en attendant les secours. Concernant le dessin, il est toujours de très bonne qualité et le cadrage, comme dans le tome 1, permet de jouer sur des thèmes comme la solitude, la peur ou la colère. J'aurais bien aimé un peu plus de dessins en pleine planche comme dans le premier. Il y en a, mais ils sont moins spectaculaires. 35€, toujours très cher mais l'objet est vraiment très beau, la couverture est magnifique et ça fera très bien dans ma bibliothèque !
Degas - La Danse de la solitude
Où trouver cet art ? L'Art de notre temps ? - Ce tome contient une biographie de l'artiste Edgar Degas (1834-1917) qui ne nécessite pas de connaissance préalable pour l'apprécier, et qui dégage plus de saveurs si le lecteur est familier de ses principaux tableaux. Sa première édition date de 2021. Il a été réalisé par Salva Rubio pour le scénario et pas Efa (Ricard Fernandez) pour les dessins et les couleurs. Il compte quatre-vingts pages de bande dessinée. Il se termine avec un dossier de sept pages, rédigé par le scénariste et illustré par des tableaux de Degas. Ces deux auteurs avaient déjà réalisé ensemble Monet, nomade de la lumière (2017). Samedi 29 septembre 1917, au cimetière de Montmartre à Paris, Mary Cassatt assiste à l'enterrement d''Edgar Degas, immobile et silencieuse, entendant les commentaires autour d'elle. Quelqu'un le connaissait-il vraiment ? Il était toujours seul. Rien d'étonnant il était si intransigeant. Il ne s'est jamais remis de la faillite familiale. Ce fut pour lui, une telle humiliation. Machiste, antidreyfusard, voire antisémite, intolérable ! Et cette manie de ne peindre que des danseuses, des blanchisseuses et des prostituées, c'est bizarre non ? Pas si bizarre quand on sait que la plupart de ces ballerines étaient aussi des putains. Il ne s'est jamais marié, encore une bizarrerie. En effet, plus encore pour un homme de son rang. On ne lui a jamais connu une seule aventure ? Pas même avec l'un de ses modèles, comme ses amis impressionnistes ? Non, il était peut-être homosexuel, en tout cas beaucoup le pensaient. Ou impuissant… Il était arrogant, insolent et désagréable ! Les gens disaient qu'il y avait deux Degas : celui qui bougonne et celui qui grogne. Il était tout bonnement insupportable. Il a toujours vécu seul, pas étonnant qu'il soit mort seul. Après l'enterrement, Mary Cassatt rentre chez elle en pensant à tous ces commentaires. Elle se dit qu'on parlera toujours de ses danseuses adorées, de ses blanchisseuses, de ses modistes. Mais quelqu'un le connaissait-il vraiment ? Elle a besoin de savoir. Elle prend un volume dans sa bibliothèque et se plonge dans les carnets intimes du peintre. En 1852, 45 rue de Taibout à Paris, un jeune Edgar Degas a abordé Paul Valpinçon qui marche dans la rue, et il lui fait la leçon de manière véhémente, lui reprochant de refuser le tableau La baignade pour une exposition sur la carrière de Jean-Auguste-Dominique Ingres, allant jusqu'à l'insulter en le traitant de d'imbécile, de foi, d'idiot, de benêt, d'abruti, d'égoïste. Continuant sur sa lancée en le qualifiant de bourgeois arrogant, de personnage insignifiant, de crétin analphabète. Tout au long de ces invectives, Valpinçon a continué d'avancer et il s'arrête au 11 quai de la Seine pour sonner à la porte. Un homme lui ouvre, le reconnaît et lui demande quel bon vent l'amène. Edgar identifie Ingres au premier coup d’œil. Le riche bourgeois informe le peintre qu'il a changé d'avis et qu'il va lui prêter La baigneuse. le jeune garçon explique à l'artiste qu'il veut devenir peintre. Ingres lui conseille de se consacrer corps et âme à la peinture, de vivre pour la peinture, d'en faire sa maîtresse, sa fiancée et son épouse. Dès les premières pages, le lecteur constate que les auteurs savent de quoi ils parlent. Le scénariste a choisi de raconter l'histoire de l'artiste du point de vue de Mary Cassatt (1844-1926), artiste peintre et graveuse américaine ayant entretenu une longue relation professionnelle avec le peintre, et le dessinateur sait citer les toiles du maître, sans essayer de les singer. le récit s'ouvre sur l'enterrement d'Edgar Degas, et sa collègue se plonge dans ses carnets intimes. Le dispositif narratif peut sembler téléphoné : dans la narration le scénariste s'en sert pour annoncer les questionnements qu'il va évoquer concernant ce peintre. Les remarques effectuées par les personnes assistant à l'enterrement constituent autant de facettes de la personnalité publique de Degas formant un portrait de l'individu. La deuxième scène indique que l'auteur va mettre en scène des moments de vie, avec la connaissance de son déroulement complet, le point de vue étant celui de sa collègue après la mort de Degas. Dès ces premières pages, la narration visuelle séduit le lecteur avec ces teintes comme apposées au crayon de couleur, des cases rectangulaires sans bordure tracée, un regard adulte sur les différents lieux, avec le comportement posé de cette dame âgée, en phase de deuil d'un ami cher qu'elle a côtoyé pendant des décennies. Après les trois pages d'introduction, le récit reprend un ordre chronologique, à partir de 1852. En fonction de la nature des événements évoqués, les auteurs peuvent consacrer une scène à une date précise, ou bien évoquer des faits s'étant déroulés entre deux dates, ou encore une série de dates. Dans la première famille se trouvent par exemple l'année 1872 que Degas passe à la Nouvelle Orléans en Louisiane, l'année 1873 au cours de laquelle il développe l'idée d'un salon des Impressionnistes, le 15 avril 1874 pour la première exposition des Impressionnistes, les dates des sept expositions suivantes (30 mars 1876, 4 avril 1877, 10 avril 1879, 1er avril 1880, 2 avril 1881, 1er mars 1882), avril 1883 alors que Degas se rend au chevet de Manet, le 30 avril 1883 date de son décès. Dans la deuxième catégorie, ils vont développer des interactions et des faits avérés comme la fin des études scolaires de Degas, ses années d'apprentissage à l'atelier Lamothe, la première rencontre avec Édouard Manet (1832-1883), celle avec Berthe Morisot (1841-1895, artiste peintre, cofondatrice du mouvement des Impressionnistes), avec les autres impressionnistes, avec Mary Cassatt, les travaux préparatoires de la publication le Jour et la Nuit, qui ne paraîtra jamais, plusieurs échanges au cours de sa relation avec Cassatt, etc. Le lecteur se retrouve vite pris par cette reconstitution consistante et dense, tout en se demandant si ça s'est vraiment passé comme ça. le dossier en fin d'ouvrage comporte plusieurs parties dont les titres sont les suivantes : Musique pour un menuet solitaire, Degas et Cassatt une énigme émotionnelle, le monde de Degas planche après planche, Un jeune homme en colère, le masque de l'artiste, Inspiration américaine, le ballet comme atelier, Un long adieu. Entre autres, le scénariste explicite ses partis pris : résister à la tentation d'accompagner les planches d'explication, et inclure dans ce cahier final toute une série d'informations complémentaires, de détails savoureux, de curiosités et d'anecdotes qui rendent plus agréable la lecture ou la relecture de cet album. Il apporte une précision sur la voix de monsieur Degas : ses carnets ainsi que plusieurs de ses lettres ont été conservés, tout comme une série d'anecdotes, de critiques et d'information sur sa manière de parler, de se comporter et de s'adresser à son entourage. Il a veillé à reproduire fidèlement son caractère, sa personnalité et son langage, reprenant mot pour mot ou en les adaptant, un grand nombre de ses répliques, affirmations, notes et réflexions. S'il n'est plus possible d'interviewer Edgar Degas lui-même, cette biographie colle au plus près de ce qui est connu de lui, tout en effectuant des choix pour réordonner quelques détails et se conformer à la pagination. À plusieurs reprises, le lecteur peut faire le lien avec la bande dessinée que les auteurs ont consacré à Claude Monet (1840-1926), et aux séquences relatives au Salon de peinture et de sculpture, souvent appelé juste Salon. L'artiste a choisi de réaliser des dessins qui ne singent pas les tableaux de Degas (d'ailleurs, pas sûr qu'il soit possible de réaliser une bande dessinée avec ses tableaux), mais qui en respecte l'esprit. Pour autant, le lecteur peut identifier plusieurs reproductions de tableaux célèbres, de Degas bien sûr, mais aussi de Manet. En fonction de sa culture, il peut comparer un tableau ou un autre à l'original, et apprécier le talent du bédéiste. Il peut également être saisi par la manière dont il transcrit la puissance expressive de la sculpture La Petite Danseuse de quatorze ans (1879-1881), ou comment il détourne le déjeuner sur l'herbe (1863) de Manet, sans les femmes, avec Degas et Manet allongés sur l'herbe dans la position des messieurs du tableau. La première caractéristique réside dans le fait que la narration visuelle est traitée comme une véritable bande dessinée, et non comme un texte illustré, même quand le scénariste a beaucoup d'informations à apporter. Efa impressionne par sa capacité à représenter dans le détail de nombreux éléments. Le lecteur peut prendre son temps pour examiner les costumes et les robes, les chapeaux féminins et masculins, et bien sûr la manière dont les messieurs taillent leur barbe et leu moustache. Il peut se projeter dans chaque lieu : devant le caveau de la famille de Gas, dans plusieurs rues de Paris, dans une salle de classe du lycée Louis-le-Grand, à l'atelier Lamothe, au café Guerbois, dans plusieurs salons où se tient une réception mondaine, à l'opéra, dans l'atelier de Degas, dans un grand parc parisien, dans un hippodrome, dans les coulisses de l'opéra, dans une maison close. Le dessinateur sait donner à voir les lieux représentés par le peintre, et ceux qu'il fréquentait. L'utilisation de crayons de couleur ou équivalent aboutit à un rendu différent de celui de la peinture, tout en respectant les atmosphères des toiles, le lecteur pouvant en comparer dans le dossier de fin. Récréer la vie d'un être humain, sa trajectoire de vie, mettre en lumière sa personnalité tient de la gageure, d'une construction a posteriori, d'une interprétation pour mettre en concordance les faits et gestes publics et connus d'un individu et sa vie intérieure mystérieuse et connue de lui seul. Efa & Rubio permettent de faire connaissance avec un artiste peintre singulier, de le côtoyer, d'envisager ses motivations, ses états d'esprit, ses principes (en particulier l'importance qu'il donne à son Art et à sa pratique, aux dépens de sa vie sociale et amoureuse), dans des planches magnifiques, autant descriptives que gorgées de sensations, dans le contexte du mouvement impressionniste. Un coup de maître.