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Par Hervé
Note: 4/5
Couverture de la série The Kong Crew
The Kong Crew

Tome 1 Comme certains ici, je n'ai pas vu venir cet album, et pourtant, je surveille constamment les sorties des bandes dessinées. Il a fallu que mon libraire attire mon attention sur ce titre pour titiller ma curiosité (merci au passage, pour le travail de ces libraires indépendants). Avant tout, il faut souligner la qualité éditoriale de l'ouvrage : dos toilé, cahier graphique à un prix très abordable. Et puis, après la forme, il y a le fond, l'histoire à proprement dite qui se révèle originale et prenante. Imaginez que New York soit devenue subitement désertée suite à l'incapacité de l'armée US à éliminer King Kong. Il fallait oser et Eric Hérenguel, à qui l'on doit déjà le très remarqué Lune d'argent sur Providence l'a fait. En plaçant son histoire en 1947, il nous offre un scénario habile qui m'a fait songer à Mark Schultz ("Chroniques de l’ère xénozoïque", que j'avais adoré). L'album est truffé de références et se lit avec plaisir voire avec une certaine jubilation. Sans se prendre au sérieux, Hérenguel régale le lecteur avec des plans audacieux, des dialogues qui font mouche et un dessin dynamique. J'ai été tellement emballé par cet album (dessin et scénario) que je me suis empressé d’acquérir la version n&b, déclinée sous un format comics, en deux volumes et en anglais. C'est, à mon avis, une des meilleures surprises inattendues de cette rentrée. J'en conseille fortement la lecture. tome 2 -Hudson Megalodon Avec ce tome 2, d'une série qui en comptera 3, Eric Hérenguel continue à nous offrir sa vision délirante mais jubilatoire d'un New York dévasté par notamment un King Kong qui défie toute l'armée américaine. Cela peut paraître glauque dit comme cela, mais pas du tout. Le récit est drôle, les dialogues bien enlevés et Eric Hérenguel nous présente ici un certain nombre de personnages et de telles aventures qu'on se demande comment il va boucler son récit. C'est un véritable feu d'artifice : de Spit, le teckel à Virgil, en passant par Jonas et Irvin, Betty, la fille du colonel, les mystérieuses amazones, sans oublier King Kong, nous suivons avec intérêt leurs aventures. Décomposé en 4 chapitres (dont les 2 premiers ont déjà été publiés en n&b et en anglais dans un format comics), cet album m'a enchanté. Un récit drôle, surprenant et intriguant, le tout avec un superbe dessin, bref que demander de plus, à part... la suite. Jubilatoire vous dis-je ! tome 3 Clap de fin avec ce troisième volume, enfin pas si sûr ! En effet, je doutais qu'Eric Hérenguel puisse boucler l'ensemble des intrigues développées dans les deux premiers albums à savoir la recherche de de Spit,le teckel les mésaventures de Virgil, de Jonas et d'Irvin, de Betty, la fille du colonel, et les mystérieuses amazones, sans oublier King Kong, Et bien si! non seulement Eric Hérenquel apporte une touche finale à ces différentes intrigues, mais nous il offre , en plus, un rebondissement à la dernière page qui pourrait relancer la série, bien que cette trilogie se suffise vraiment en elle-même. Quel prodige! J'ai adoré cette série, qui m'a fait passé un excellent moment. Certains ont pu la qualifier de bd Pop corn mais elle est plus que cela, elle est jubilatoire! A la manière d'Hergé avec "l'île Noire", l'auteur use de manière malicieuse de coupure de presse pour annoncer sa conclusion. Une série réjouissante à plus d'un titre, et qui mérite toute votre attention.

15/10/2019 (MAJ le 08/12/2024) (modifier)
Couverture de la série Un printemps à Tchernobyl
Un printemps à Tchernobyl

J'ai beaucoup aimé cette lecture. Emmanuel Lepage a été mandaté par un collectif écolo et anti nucléaire pour nous faire frémir sur les conséquences de la catastrophe de 1986. Lepage ,dans ses documentaires, à la volonté d'être autant acteur que témoin. Cela explique à mes yeux cette première partie où il est au centre de la narration. J'ai trouvé cela un peu lourd dans d'autres séries mais pas ici. En effet une grande partie de la série m'a replongé dans l'ambiance Covid. Le choix que doit faire Lepage et ses compagnons face au Césium m'a rappelé le choix que certains professionnels ou bénévoles ont du faire au début de l'épidémie. Comment gérer une angoisse face à un ennemi invisible qui peut détruire votre relation aux autres et surtout peut dangereusement affecter votre environnement affectif. Prendre un risque pour soi c'est être courageux, ramener ce risque à la maison , c'est un autre questionnement. La partie ukrainienne possède une construction très intelligente. On commence classiquement par une vision dystopique d'espaces vides, d'hommes en armes, de friches industrielles pleines de fantômes qui dansent sur la musique des crépitements des compteurs radioactifs. Mais en même temps que la neige fond un vent nouveau pousse l'auteur dans la rencontre avec les survivants qui ont décidé de rester sur place. Ces rencontres permettent à Lepage de rendre hommage à ces centaines de milliers de volontaires soviétiques devenus des "liquidateurs" pour minimiser les effets de la catastrophe au péril de leurs vies pour sauver les nôtres. Pas de cannibales à la Mc Carthy ici, mais des hommes simples et marqués à qui Lepage donnent un visage avec beaucoup de respect. Le récit prend alors une direction inattendue pour l'œil de l'artiste qui découvre une vie nouvelle colorée, riante et amicale dans cette zone bannie. L'excellence du graphisme de Lepage n'est plus à démontrer. L'auteur abandonne le monde de la mer pour peindre avec le même bonheur trains, villages ou villes abandonnées. Il réussit à se mettre en scène d'une façon crédible comme personnage qui s'approprie petit à petit son environnement au milieu d'un danger invisible. Ses portraits nombreux donnent beaucoup de vie à un espace que l'on n'imagine pas ainsi. D'un témoignage descriptif et technique , Lepage passe petit à petit à un témoignage qui met l'humain au premier plan avec la multiplication des réunions enjouées de son groupe avec les habitants de la région. Une lecture importante pour se faire une idée non fantasmée des conséquences d'un accident nucléaire de première importance. Lecture servie et soutenue par un très beau graphisme.

08/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Speak
Speak

Tout tourne autour d’une adolescente, Mélinda, à la fois héroïne et narratrice d’une histoire triste et hélas encore et toujours d’actualité. La majeure partie de l’album nous la montre mutique sombrant dans une forme d’asociabilité, se mettant ou étant mise à l’écart, jusqu’à souffrir de harcèlement (alors même que sa « vie familiale » est atone, voire anxiogène). Mais l’essentiel est ailleurs, car Mélinda a vécu un drame (je n’en dis pas plus, mais on devine de quoi il retourne très rapidement, même si ça n’est véritablement dit que dans les dernières pages) qui explique sa situation et son comportement. Il sous-tend aussi le titre et la fin du récit, lorsque les digues se rompent et que la victime « parle », hurle. J’ai trouvé que le sujet était traité de façon pudique, sans exagérer le pathos, et que l’histoire pouvait avoir un rôle de détonateur pour ceux et celles qui ont souffert des mêmes crimes. De plus – c’est évidemment secondaire, mais ça aide aussi à rendre fluide et agréable ce récit – Mélinda étant nauséeuse, aigrie, dépressive, elle voit tout en noir. Et du coup son regard sur le fonctionnement de son lycée est acerbe, avec quelques passages ironiques ou vitriol sur les « clubs » ‘comme celui des « Marthas »), les pompom girls, et plus généralement tous les phénomènes de cour. Refusant l’aveuglement général, refusant de rentrer dans « le moule », elle écorne le monde de bisounours : ne cherchant pas à plaire, elle dézingue ceux qui deviennent esclaves de leur image (sa « copine » Heather en particulier). Une forte pagination, mais ça se lit très vite (pas beaucoup de texte finalement, et un sujet douloureux traité de façon fluide).

08/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Mamie n'a plus toute sa tête
Mamie n'a plus toute sa tête

Dutreix est un auteur que j’aime bien, et j’ai déjà pu apprécier plusieurs de ses albums. J’aime aussi son dessin, reconnaissable entre mille – que je retrouve aussi avec plaisir chaque semaine dans le Canard enchainé. Un trait caricatural fin, fluide et agréable, propice à un humour sympathique. J’étais curieux de voir ce que cela pouvait donner sur une histoire longue. Eh bien c’est plutôt réussi. L’histoire se laisse lire agréablement, pour son aspect polar un rien décalé. Mais aussi pour son humour jamais hilarant, mais globalement réussi. Dutreix se met en scène, et nous présente un duo de grands parents à la fois dérangés et machiavéliques. Croyant voir dans ceux qui les visitent des espions ou des agents de la Gestapo (ils se croient encore vivre durant l’occupation), ils les dézinguent, et c’est leur petit fils Romain qui doit faire le service après-vente et se débarrasser des corps. S’ensuivent de nombreux quiproquos, bien amenés, non seulement amusants, mais qui dynamisent l’intrigue. J’attends de voir la suite et conclusion dans l’album suivant, mais pour le moment c’est un très bon millésime de Dutreix, une sorte de vaudeville noir un peu loufoque.

08/12/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Germaine Cellier - L'Audace d'une parfumeuse
Germaine Cellier - L'Audace d'une parfumeuse

Bandit, Cœur-joie, Élysées 64-83, Fracas, Vent Vert, La fuite des heures, Jolie Madame, Monsieur - Ce tome contient la biographie de Germaine Cellier (1909-1976), une parfumeuse française. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Béatrice Egémar pour le scénario, et par Sandrine Revel pour les dessins et les couleurs. Ce tome comprend cent-vingt-neuf pages de bande dessinée. La dessinatrice a également illustré Grand Silence (2021) de Théa Rojzman. Le tome se termine avec un dossier intitulé Les coulisses de la création comprenant une postface de la scénariste d’une page, les références des citations reproduites dans le livre, une bibliographie, quatre pages sur la phase préparatoire de réalisation d’une planche, l’interview fictive de Germaine Cellier par Olivier David de l’Osmothèque en deux pages de bande dessinée, une petite chronologie (non exhaustive) des parfums de germaine (une page), une recette de l’eau pétillante à réaliser soi-même, un glossaire de quelques mots de parfum de cinquante-cinq termes. Dans les rayons des parfumeries, on trouve encore en bonne place des parfums créés il y a cinquante ans. Beaucoup de leurs créateurs sont tombés dans l’oubli. Parmi eux, une créatrice. Elle s’appelait Germaine Cellier. Comment est-elle devenue parfumeuse. Tout commence à Bordeaux le 26 mars 1909 avec la naissance de Germaine, fille de Jeanne et Georges Cellier. Dans son enfance, son père prend l’habitude de lui lire des extraits du Comte de Monte-Cristo, d’Alexandre Dumas. Mais en août 1914, Georges est mobilisé. Durant son service, sa fille demande à sa mère, quand papa revient. Le père finit par revenir, avec deux béquilles, blessé à la guerre. Après la période de convalescence, il repart. Jeanne se retrouve dans l’obligation de mettre sa fille en pension. Germaine va donc séjourner chez les sœurs : elle y retrouve sa cousine Catherine. Celle-ci est assez délurée et inventive, et elle indique à Germaine qu’elle sait où sœur Monique range les provisions de biscuits. Le soir-même, les deux petites filles se rendent à la réserve de biscuits et elles se font prendre la main dans le sac. Catherine n’est jamais à court d’idées : un midi, elle dépose une grenouille dans son assiette à soupe, juste avant que la sœur ne la serve à la louche. La réaction des fillettes est partagée entre l’amusement et la désapprobation. Les sœurs décident que Catherine doit être exorcisée. La jeune fille trouve ça très excitant : elle demande à Germaine de lui dire si elle voit le diable sortir de son corps. L’exorcisme se déroule, sans manifestation visible. En 1921, les Cellier ont déménagé à Étampes. Germaine a douze ans. Dans la maison, Germaine va dire bonjour à Jacqueline qui tient un nouveau-né dans ses bras. Elle demande à le tenir dans ses bras, et elle le sent, trouvant qu’il sent bon. Elle demande si tous les bébés sentent comme ça : la réponse est positive et la fillette saute de joie en criant qu’elle a une petite sœur. Plus tard, la petite famille effectue une promenade en bord de mer, et Germaine sent des œillets de mer, distinguant plusieurs senteurs. Une couverture bien sympathique avec sa verdure, ce beau visage idéalisé, et les trois touches faisant penser à trois griffes d’un célèbre mutant griffu. Bien sûr, rien à voir avec une lutte contre le mal, plutôt une biographie bien sage passant en revue la vie d’une parfumeuse dans un ordre sagement chronologique, entremêlant sa formation et sa vie professionnelle, avec sa vie personnelle essentiellement au travers de ses relations familiales et mondaines et de ses amours. Le lecteur découvre ainsi tout ce à quoi il peut s’attendre : la vie d’enfant, les études, le premier emploi et la compétence qui permet à Germaine Cellier d’être remarquée, de pouvoir créer son premier parfum, et les succès qui suivront, associée à de grands couturiers. La narration visuelle s’avère douce à la lecture. Une palette de couleurs de type pastel, avec un parti pris essentiellement naturaliste. Un mode de représentation avec un degré significatif dans les détails descriptifs, rendant chaque personnage à la fois avenant et un peu lisse, avec également une direction d’acteurs de type naturaliste. La dessinatrice gère la densité d’informations visuelles dans les accessoires et les décors, avec une forme d’épuration simplificatrice : un usage régulier de camaïeux en fond de case, une représentation sélective des meubles et des accessoires, ces derniers parfois en ombre chinoise, pour une lecture agréable et facile. Le lecteur se laisse bien volontiers emmener par cette narration sympathique et douce, s’attendant à découvrir quelques moments clé dans la vie de Germaine Cellier qui feront d’elle cette parfumeuse d’exception : une enfance et une adolescence qui mènent tout naturellement à ce qu’elle va devenir une sorte de prophétie auto-réalisatrice, un accomplissement préprogrammé, puisque les autrices réalisent cet ouvrage presque cinq décennies après le décès de leur sujet. Il y a un peu de cela au début : le talent déjà présent pour ressentir toutes les nuances de senteur dans une fleur (en l’occurrence des œillets des sables), l’esprit anticonformiste ou de rébellion de sa cousine qui laissera des traces à Germaine et l’amènera à ne pas s’en tenir aux pratiques habituelles et aux dogmes en matière de conception de parfum. Pour autant cette approche académique porte rapidement ses fruits. Pour commencer, les autrices vont plus loin qu’un don inné permettant à la parfumeuse d’être un génie : elles montrent qu’elle réalise des études dans une école privée, avec une scène de travaux pratiques. Puis elle rentre en tant qu’employée dans l’entreprise Justin-Dupont, à Argenteuil, société qui vient de fusionner avec Roure-Bertrand fils, une société grassoise bien connue pour ses huiles essentielles. L’artiste la représente en train de travailler dans les différents laboratoires, avec des dessins descriptifs à la composition allégée, tout en contenant les éléments techniques aisément reconnaissables qui rendent chaque endroit concret et consistant. Dans la postface, la scénariste explique comment lui est venue l’envie de réaliser une bande dessinée sur cette créatrice de parfum et comment les conditions nécessaires se sont présentées. Lors de ses recherches préparatoires, elle a donc : Cherché une biographie pour en savoir davantage sur Germaine Cellier avec, comme en ont toujours les auteurs, une vague envie d’écrire sur elle, de la mettre en scène dans un futur roman, pourquoi pas ? Vaine recherche, car personne n’avait écrit la biographie de Germaine. Elle a heureusement trouvé un article de Vanity Fair écrit par sa nièce, mais c’était quasiment tout. Elle a lu beaucoup d’articles parlant de ses créations, ça oui, mais sur sa vie, sur elle, si peu de choses. Ce qui semble dont être une biographie facile repose sur un travail préparatoire significatif pour réaliser une première. Par ailleurs, le lecteur observe que les éléments techniques et le contexte historique se trouvent dans chaque page, discrets et solides. Il peut relever des termes techniques, majoritairement passés dans le vocabulaire courant, placés de sorte à être intelligibles même si on ne le connaît, sans avoir à aller consulter le glossaire en fin de volume. S’il a déjà eu l’occasion de s’intéresser à cette période de l’histoire de France, il relève également des noms emblématiques, notamment celui de Paul Poiret (1879-1944) dont la carrière a été évoquée par Philippe Dupuy dans Ne pas peindre (2019). Ainsi la parfumeuse croise ou travaille pour Christian Caillard (1899-1985), Eugène Dabit (1898-1936, L’hôtel du Nord), Robert Denoël (1902-1945), Jean Oberlé (1900-1961), Christian Boussus (1908-2003), Christian Bérard (1902-1949), Boris Kochno (1904-1990), Pierre Balmain (1914-1982), et bien d’autres. Ainsi, ces éléments nourrissent la biographie qui devient plus qu’une simple succession de faits, mis en images. La narration visuelle donne à voir la jeune fille, puis l’adolescente et la femme dans de nombreux environnements différents : les laboratoires où elle travaille bien sûr, une salle de classe, un dortoir, le pavillon des parfums à l’exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes en 1925, des soirées mondaines, l’entrée des troupes militaires allemandes dans Paris en juin 1940, la visite d’Adolf Hitler à Paris le vingt-trois juin 1940, un match de tennis de Christian Boussus au tournoi de Roland-Garros (Grand prix de France) en juillet 1944, des repas familiaux, etc. En refeuilletant la bande dessinée, le lecteur se rend compte que l’artiste utilise de nombreux autres outils de la bande dessinée intégrés organiquement dans les pages : quelques dessins en pleine page, avec parfois Germaine représentée à plusieurs reprises dans différentes positions, une vision onirique pour évoquer l’effet sa manière d’interpréter les différentes nuances d’un parfum, un diagramme en forme de pyramide à trois étages pour l’explication relative aux notes de fonds, notes de cœur et notes de tête, un facsimilé de projection sur écran pour le film Hôtel du Nord, un facsimilé de dépliant vantant les mérites d’être une mère (Avec ce slogan véridique : La femme coquette sans enfants n’a pas sa place dans la cité, c’est une inutile.), et bien sûr les différents flacons de parfum qui forment un art à part entière, une dizaine de robes créées par Pierre Balmain pour autant de collections. Au premier abord, les autrices ont réalisé une biographie à la forme sage et accueillante, très accessible et très agréable à lire. À la lecture, il s’avère que la narration visuelle porte le contenu avec élégance et une réelle densité, aussi bien pour le naturel des personnages, que pour la reconstitution historique et métier. Le récit établit l’importance de Germaine Cellier dans la création de parfums, contextualisant les accomplissements professionnels de cette femme, sans les rendre miraculeux, ni les minimiser.

08/12/2024 (modifier)
Par Blue boy
Note: 4/5
Couverture de la série Antipodes
Antipodes

Le premier sens d’antipode est géographique. S’il s’agit généralement du point opposé à l’autre bout du globe, l’antipode était aussi une créature anthropomorphe imaginaire qui avait les pieds tournés vers l’arrière, une représentation faite à une époque où l’on pensait encore que la Terre était plate ! C’est avec cette image que démarre le récit, révélant l’état d’esprit entretenu par ce qu’on n'appelait pas encore l’Occident vis-à-vis des terres inconnues, et ce bien avant la conquête des Amériques, augurant du mépris pour les populations natives que les conquérants allaient bientôt soumettre avec la plus grande violence, en leur déniant toute humanité. Concocté par David B. et Eric Lambé et basé sur des faits historiques, « Antipodes » s’avère une lecture atypique non dénuée de charme. L’auteur de L'Ascension du Haut Mal, chef d’œuvre autobiographique qu’on ne présente plus, a chaussé ici sa casquette de scénariste. Pour le dessin, il s’est adjoint les services d’Eric Lambé, co-lauréat quelque peu oublié du Fauve d’or en 2017 pour Paysage après la bataille, une œuvre boudée par le public, probablement pour son côté abscons et austère. Avec « Antipodes », on se rapproche beaucoup plus des codes traditionnels de la bande dessinée pour offrir au lecteur un récit fluide et accessible se déroulant dans un Brésil où les Blancs en sont au début de leur emprise sur ce vaste pays. C’est par les yeux d’un personnage hors normes et quelque peu lunaire, Nicolas, que l’on va découvrir à quoi pouvaient ressembler les interactions entre des Européens en « mission civilisatrice » et la tribu locale réputée pour son cannibalisme. Dans un premier temps capturé par les Tupinambas, qui avaient prévu de s’en nourrir, celui-ci sera finalement adopté par ces derniers, séduits par ses mélopées enchanteuses. Quant à Nicolas, s’il est issu du camp des envahisseurs, il aura tôt fait d’adopter leurs coutumes, prenant plaisir à déambuler dans le plus simple appareil. Mais sa bienveillance totalement désintéressée ne l’empêchera pas d’être accusé de paganisme et puni par Villegagnon, le très catholique gouverneur de la région. Le dessin d’Eric Lambé recèle un charme naïf et désuet, évoquant les précurseurs de la bande dessinée du XIXe siècle, tels Rodolphe Töpffer ou, au début du XXe, Winsor McCay, voire dans une certaine mesure les peintures du Douanier Rousseau pour les scènes dans la jungle. La discrète touche de modernité est à rechercher dans la mise en couleur, avec en particulier ce violet décalé d’une brillance obscure, un rien psychédélique. En évoquant la brève présence des Français dans le Brésil du XVe siècle, bientôt chassés par les Portugais, ce récit donne à David B. l’occasion de déplacer la perspective historique en relativisant la « sauvagerie » de ces Indiens du Brésil, car si ceux-ci consommaient de la chair humaine (estimant par ailleurs que ceux qui la mangeaient crue étaient des sauvages !), ils étaient un peuple paisible à la physionomie avenante, vivant en harmonie avec les éléments, loin de l’image d’Epinal du barbare primitif. Et comme on le verra, leurs « proies » promises au festin semblaient accepter leur sort avec philosophie. La sauvagerie n’était-elle pas plutôt le fait des colonisateurs, qui n’hésitaient pas à massacrer ces peuples quand ils ne voulaient pas collaborer ? Cela étant, David B. ne fait pas non plus dans le mythe rousseauiste du bon sauvage. Dans ce livre, on découvre que les Tupinambas, dès lors qu’ils étaient menacés, n’hésitaient pas à se défendre de la façon la plus sanglante, peu importe que l’attaquant soit l’Homme blanc ou une tribu adverse. Recourant à un humour subtil, l’auteur en profite pour tacler la religion des conquérants, adeptes des conversions forcées, face à des Indiens qui eux, « ne cherchent à convertir personne », confortant la décision de Nicolas à vivre parmi eux. Si l’on retrouve la fascination de David B. pour les scènes de bataille, celui-ci puise également dans la mythologie de ces peuples pour introduire une part d’onirisme, avec ce « dieu défiguré » que l’on pouvait voir en creusant un trou dans la terre et qui avait le pouvoir de vous entraîner vers les antipodes si vous ne preniez garde où vous posiez le pied. Cette fiction historique, au titre judicieux par le fait qu’elle décrit les rapports entre deux mondes aux antipodes l’un de l’autre, se termine par un constat en demi-teinte. Le rapprochement de deux cultures trop différentes a de fortes chances d’être compromis par divers obstacles, que ce soit la langue ou les mœurs, mais de l’échange il en restera toujours quelque chose. Non pas un enrichissement matériel qui resterait vain, mais « a contrario » un gain de l’ordre de l’impalpable, un apport spirituel qui changerait notre façon de voir le monde et d’accepter les différences. Doté d’une belle édition avec une couverture toilée pour le côté rétro, « Antipodes » s’avère globalement une lecture très plaisante avec une immersion bienvenue dans un univers peu habituel mais plutôt envoûtant.

07/12/2024 (modifier)
Par pol
Note: 4/5
Couverture de la série Les Notes rouges
Les Notes rouges

Voilà un bel album tout en sensibilité et en mélancolie. Le dessin est accompagné d'une colorisation aux tons peu variés, globalement assez sombre : noir, gris clair, gris foncé et quelques teintes de rouge... Triste ? comme cette histoire de frère et soeur, orphelins, séparés pendant la guerre. Mais malgré cette palette de couleurs monotone au premier abord, le dessin illumine bel et bien l'histoire. La jeune fille va grandir, sans jamais cessé de penser à son frère. L'espoir de le retrouver l'anime sincèrement. Elle lui écrit de nombreuse lettres. Ce sont d'ailleurs ces correspondances qui racontent le récit, car, par ailleurs celui-ci est assez peu bavard. Au gré des lettres et des flashbacks on découvre la vie de ces deux jeunes enfants frappés par l'horreur de la guerre. C'est poétique et mélancolique, et parfois le rythme est un peu lent, voire même assez mou. Mais si on aimerait que l'histoire avance un peu plus vite, c'est aussi parce qu'on est pressé d'en connaitre la fin... qu'est devenu le petit garçon ? Se retrouveront-il ? Et si on est pressé c'est bien qu'on s'est attaché aux personnages, que leur destinée ne laisse pas indifférent. Un album qui se lit tout seul, le ton est juste, sensible, et le dessin sert de belle manière l'histoire.

07/12/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Les Idolâtres
Les Idolâtres

Le dessin, c'est la vie. -Ce tome est de nature autobiographique et peut être lu sans rien connaître de l’auteur. Thématiquement, il constitue un second volet après La synagogue paru en 2022. La première édition date de 2024. Il a été réalisé par Joann Sfar pour le scénario et les dessins. La mise en couleurs a été réalisée par Brigitte Findakly. La station s’appelle Auron. L’immeuble que le père de Joann a fait construire a pour nom L’étoile polaire. La mère de l’auteur est morte au chalet Le Megève. Joann apprend la mort de Serge Gainsbourg le 2 mars 1991, dans un téléphérique. Il est à Auron, la station de sports d’hiver où sa mère est morte dix-sept ans plus tôt. Il n’a pas su la mort de sa mère donc il pleure pour Serge Gainsbourg. De la même façon qu’on découvrira ses larmes pour Claude François. De l’un et l’autre il ne connaissait que des images filmées ou photographiées. C’est ça l’idolâtrie ? Il les dessine. Cap de Nice, allée Maeterlick, la famille Sfar vit au deuxième étage de cet immeuble, au-dessus de la mer, construit par son père. Joann croit que c’est sa mère qui a baptisé cette maison Le Chante Soleil. Le tout jeune Joann fait l’apprentissage de la propreté : il se trouve nu sur un pot sur le balcon, avec sa mère et une jeune fille au pair. Sa première œuvre ne fut ni un dessin ni une peinture mais plutôt une installation. Au sens où l’entend l’art moderne. L’artiste est nu sur un pot en train de pousser. Il tient à la main une coquillette crue. L’artiste, c’est lui. Maman le félicite, ainsi que la jeune fille au pair qui s’occupe de lui. On l’applaudit au sujet de cette capacité nouvelle à faire ses besoins sur commandes. Il se rappelle durant ce moment n’avoir d’intérêt que pour la pâte crue, ses courbes et son orifice. On s’en fout du caca. Ce qui est essentiel, c’est la coquillette. À quarante ans, Joann Sfar se rend à des consultations dans le cabinet d’une pédopsychiatre. Il s’épanche au milieu de jouets sur un fauteuil d’enfant. Il évoque le souvenir du pot et de la coquillette : Ce fut la première où il éprouvait une joie semblable à celle qu’il ressent dans le dessin. C’est également, son premier souvenir conscient. Sa mère est morte quand il avait trois ans et demi. On lui a beaucoup répété que selon la science, il ne pouvait pas avoir de vrais souvenirs d’elle. Témoigner de l’événement de la coquillette, c’est affirmer que la science a tort et qu’il se rappelle très bien. Qu’il ne dessine pas, comme on lui a dit un jour, pour remplir des cases vides. Le manque et le vide, ce n’est pas pareil. Par association d’idées, il poursuit : Quand il mange, c’est sans fin, il n’est jamais rempli. Comme s’il ne s’apercevait pas qu’il existe un autre trou au bout de la coquillette. Le remplissage de cases blanches, il effectue parfois même les à-plats noirs à la plume fine. C’est satisfaisant. Mais c’est sans fin. Les images du monde provoquent sa fascination sidérée. Celles dont il est créateur sont un mouvement d’âme. Une tapisserie jamais finie par laquelle parfois il atteint l’épuisement qui l’apaise momentanément. S’il a lu La synagogue, le lecteur sait qu’il va plonger dans un ouvrage dense, très personnel, pouvant donner la sensation d’éparpillement par moment, ou d’improvisation. Dans La synagogue, l’auteur expliquait qu’il compose et structure ses ouvrages, que le résultat final est bâti sur un plan détaillé, par opposition à une suite de réflexions se succédant par une association d’idées momentanée. En page cent-huit, il explicite la thématique du récit : Je dois m’en tenir à mon projet de récit thématique, par opposition aux autobiographies chronologiques. Il continue : Le premier album s’appelait La synagogue, et parlait de combat, de justice impossible et du modèle paternel. Si celui-là s’intitule Les idolâtres, Sfar doit rester sur l’image, la mère et l’absence. En gros, le dessin, son chemin, les mirages. S’il part sur Michel Gaudo, il faudrait faire un autre volume sur la magie, les sciences occultes et le jeu. S’il continue avec Clément Rosset, il dévoile ce qui pourrait constituer un album sur les philosophes. Le scénariste a conçu une structure narrative très sophistiquée : en fil directeur sa vocation de bédéiste racontée de manière chronologique jusqu’à la rencontre avec les camarades de son atelier. Dans ce tome, il reprend également les caractéristiques graphiques du précédent : en particulier l’attention portée aux décors, une réelle implication pour les représenter, pour ancrer son récit dans la réalité physique des différents environnements évoqués, à Nice, à Paris, à Auron en ouverture. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut nourrir différents a priori sur un tel ouvrage, et mêmes certains contradictoires entre eux. Trop nombriliste car l’auteur ne parle que de lui, trop intellectuel parce qu’il évoque la notion d’idolâtrie d’un point de vue religieux et philosophique. Trop éclaté dans sa structure et en même temps trop interconnecté entre les différents fils et les différentes anecdotes. Trop spontané dans ses dessins, et en même temps trop d’informations visuelles. Pour autant, dès les premières pages, la lecture s’avère facile, totalement personnelle et en même temps universelle. La forme du récit construit en réseaux de fils narratifs, avec des bourgeons d’anecdote s’avère savoureuse et très vivante, générant une sensation similaire à celles des dessins : une conversation à bâton rompu et en même temps une exploration thématique qui se ressent comme une discussion. Le lecteur pourrait trouver que l’auteur se montre parfois impudique, tout en ayant pleinement conscience qu’il s’agit d’une œuvre littéraire dont le créateur maîtrise parfaitement son mode d’expression qu’est la bande dessinée, pour produire les effets d’un discours vivant et articulé, sans se restreindre à un reportage factuel et véridique. D’ailleurs en page cent-quarante-quatre, le jeune Joann déclare que c’est important de mentir (en disant qu’il travaille pour Casterman, alors qu’il n’a aucun contrat avec eux, juste des rendez-vous avec un des éditeurs). En prenant du recul, le lecteur se dit qu’il peut appliquer cette déclaration à ce qui est raconté, et que comme le dit l’auteur cinq pages plus loin : il y a une vérité dans cette mise en scène. À la lecture, l’architecture du récit se comprend aisément : la colonne vertébrale constituée par les différentes étapes de l’apprentissage du dessin, des études, et de la recherche d’un éditeur, avec une prise de recul par le biais des séances chez une pédopsychiatre, et des rapprochements thématiques avec d’autres moments ultérieurs de sa vie, ou des rencontres avec des amis, des relations professionnelles, d’autres dessinateurs, d’autres créations comme le film Gainsbourg (vie héroïque) sorti en 2010. Au bout de quelques dizaines de pages, le lecteur se dit que l’auteur a déjà vécu plusieurs vies au vu de tout ce qu’il a pu accomplir, de toutes les personnes qu’il a rencontrées. Sfar a travaillé ou établit des liens avec Guillermo del Toro, Laetitia Casta (qui joue le rôle de Brigitte Bardot dans le film sur Gainsbourg), Mylène Jampanoï (qui incarne Bambou dans le même film), Farrid Boudjellal (à qui il rend hommage pour lui avoir cédé sa chambre lors d’un festival BD à Toulon), Jean-Jacques Sempé (1932-2022), Jacques Rouxel (1931-2004, créateur des Shadoks), Edmond Baudoin et son fils Hughes, Pierre Dubois (scénariste, écrivain, conteur, et elficologue), Doug Headline, etc. Pour autant, le récit reste accessible, même sans connaitre toutes ces personnes. L’auteur évoque également plusieurs créateurs comme Serge Gainsbourg (1928-1991), Claude François (1939-1978), John Boorman et son film Excalibur (1981), Marc Chagall (1887-1937), ainsi que trois dessinateurs de comics John Buscema (1927-2002), Kevin Nowlan et le maître Alex Raymond (1909-1956), sans oublier les frères Cresli et leurs pizzas, et aussi des héros comme Rahan et Conan. De temps à autre, le lecteur peut identifier une de ses propres créations comme le chat du rabbin, ou son adaptation du Roman (chanson) de Renart. Dans le même temps, le lecteur ressent bien que l’auteur garde le cap tout du long de sa biographique thématique. La narration visuelle conserve cette apparence qui n’appartient qu’à lui : une impression de dessins réalisés rapidement, sous l’inspiration du moment, ou dans le flux de la création, sans correction ni reprise, et sans finition pour rendre les traits plus assurés, leur donner une apparence finalisée. Outre les explications données par l’auteur lui-même, le lecteur voit bien que ces planches exigent plus de travail qu’elles n’en donnent l’air. La direction des acteurs permet de faire passer des émotions et des états d’esprit adultes et nuancés. Les tenues vestimentaires correspondent à l’époque, à l’âge des différents individus et à leur statut social. La représentation des environnements a nécessité un important travail de recherche pour correspondre à la réalité des lieux représentés, situés de manière précise, de Nice à Paris, en passant par Toulon, Auron, le musée Message biblique de Nice à Cimiez, sur la plage, dans une église, dans un cinéma, dans un train, dans le cabinet d’une pédopsychiatre, etc. L’artiste semble porté par son entrain, faisant usage des possibilités de la bande dessinée de passer en mode historique ou métaphorique d’une case à l’autre. Ainsi le lecteur se retrouve aussi bien au moyen-âge avec des moines copistes ou en Europe Centrale aux côtés d’un golem, que voir apparaître des animaux comme un éléphant (visualisation littérale de l’expression : l’éléphant dans la pièce) ou un loup (expression : il y a un loup), etc. Sans oublier la métaphore de la coquillette crue. L’idolâtrie : cette notion est abordée sous bien des angles, au travers des trois composants que sont l’image, la mère et l’absence, comme indiqué par l’auteur. La religion juive condamne l’idolâtrie, l’adoration des idoles, ou plutôt ici le report de l’amour ou de l’intérêt de la personne aimée ou d’un être humain, vers sa représentation. Joann Sfar met en scène le fait que sa vocation va à l’encontre de cet interdit religieux et culturel de son milieu, qu’il peut consacrer une quinzaine d’heures par jour à la pratique du dessin (cette représentation de l’individu ou de l’objet), que cette pratique l’apaise sans qu’il ne puisse être réellement rassasié. Il s’interroge sur la genèse de cette envie, en particulier le lien qu’il peut y avoir avec le fait d’avoir perdu sa mère alors qu’il était encore un jeune enfant. À plusieurs reprises, un personnage établit le danger de l’idolâtrie : Si on aime davantage une image que le réel, on est fichu, on ne se prosternera pas devant les idoles. Et aussi : Ce qui n’est pas permis, c’est de tomber en adoration face à une image. Ou encore un rabbin qui dit : Ils applaudissent tous Johnny Halliday, pendant ce temps-là, leur vie, elle file. Deuxième tome d’une autobiographie thématique : l’auteur continue d’enchanter le lecteur. Son investissement dans la narration visuelle est remarquable de bout en bout, à la fois pour cette sensation de spontanéité, à la fois pour la richesse visuelle et la qualité des reconstitutions. Comme la forme, le fond n’appartient qu’à l’auteur, sa vie personnelle dans toute sa richesse, ses expériences, ses amis et ses relations, sa culture et sa famille, tout ce qui en fait un être humain unique, avec une dimension universelle comme une évidence. Une belle humanité.

07/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Mickey contre l'alliance maléfique
Mickey contre l'alliance maléfique

Perso j'aime bien ce nouvel opus de la collection Glénat/Mickey, le dix-septième. Un opus qui revient aux fondamentaux car on y retrouve tous les ennemis traditionnels de Mickey. Les auteurs installent nos héros dans une atmosphère SF qui oscille entre Star Trek et le 5eme élément. D'ailleurs la mise en couleur sur des planches "pointillées" va dans le sens d'un hommage aux vieilles séries américaines de SF. Comme les autres auteurs Nicolas Pothier remplit parfaitement le cahier des charges de la maison mère. Les bons et les méchants sont très facilement identifiables , à l'ancienne sans ambiguïté. Avec un récit aussi classique, Pothier tire son épingle grâce à beaucoup d'humour gentil autour d'innombrables jeux de mots qui travaillent sur le vocabulaire à sens multiple. C'est peut-être très bon enfant mais j'ai bien aimé les constructions qui amènent à ces dialogues humoristiques. C'est accessible à un très large public qui peut se familiariser avec les homonymes ou calembours non vulgaires. Derrière sa présentation vintage le dessin de Johan Pilet reste moderne et dynamique avec un Mickey et un Pat inhabituels Un visuel classique qui reprend beaucoup de codes anciens de la SF. Une lecture pour tous très distrayante même si je suis un converti de cette collection.

06/12/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Jesuit Joe
Jesuit Joe

Je ne pars pas avec toi. Je vais dans la direction opposée. - Ce tome regroupe trois histoires indépendantes : Jesuit Joe (parution initiale en 1980), La Macumba du Gringo (parution initiale en 1977) et À l’Ouest de l’Éden (parution initiale en 1979). Ces histoires ont été réalisées par Hugo Pratt (1927-1995) pour le scénario, le dessin, et la couleur. L’édition de 2020 se termine avec une postface dense de sept pages, rédigée par Francesco Boille, critique de cinéma et de bande dessinée franco-italien, intitulée : Évanescence, transcendances, immanences. Jesuit Joe, quarante-huit pages. Quelque part dans une zone sauvage du grand nord canadien, en plein hiver, Jesuit Joe toque à la porte d’une cabane : pas de réponse. Il pénètre à l’intérieur et découvre une enveloppe sur la table, un uniforme de la police montée royale du Canada dans l’armoire. Il s’installe, mange un biscuit puis se change et revêt l’uniforme, puis endosse le chaud manteau et s’allume une cigarette. Des coups de feu retentissent : trois hommes tirent sur Jesuit Joe depuis l’extérieur. Il se défend, se jette par la fenêtre et les abat tous les trois. Il sort ensuite un couteau et scalpe l’un d’eux. Puis il va récupérer un canoë caché dans la végétation, et il le met à flot. Bientôt il entend des bruits de tambour. Toujours silencieux, il rejoint la rive, met son canoë à sec et il se dirige vers la source du bruit. Il découvre un Indien Cree en train de danser autour d’un nouveau-né dans un porte-bébé dorsal. La macumba du gringo, quarante-huit pages. Quelque part dans le nord-est du Brésil, Mae Sabina, la prêtresse de Candomblé, se livre à une cérémonie occulte, avec chandelles et signe ésotérique sur un crâne pour tirer les cartes. Elle estime que le tirage n’est pas bon, pas bon du tout : la Lune appelle les fantômes. Elle explique à Satãnhia que son mec Gringo est lié à la carte de la Lune, le grand sommeil, la longue attente, or la Lune est une carte de mauvais augure, son interlocutrice a une rivale, et sa rivale c’est la Mort. Sabina gifle Satãnhia, cette dernière se défend en sortant un rasoir mécanique, puis le laisse tomber à terre et tombe à genoux, reposant sa tête sur les jambes de la sorcière. Ensuite elle lui confie la pedra cristalina que Gringo lui a donnée. Sabina poursuit sa divination : elle voit la mort, des soldats. Dans la jungle, un soldat tire et abat Gringo Vargas, un cangaçeiro., Ses deux comparses, Corsico et Dadã fuient à toutes jamabes. Les soldats s’approchent à leur recherche. À l’Ouest de l’Éden, quarante-huit pages. Le drapeau britannique : il repose sur un mât, deux crânes accrochés au sommet. Avec le recul, il s’agit du drapeau Red Ensign frappé d’un blason. Un soldat monte au sommet du fort et tire un coup de fusil en l’air. Le reste des soldats arrivent à dos de chameau. Le lieutenant Abel Robinson du bataillon de frontière du Somaliland Camel Corps demande au soldat ce qu’il en est : il répond qu’ils sont tous morts. Son second ajoute qu’il fallait s’y attendre, depuis trois jours leur radio ne répond plus. Le soldat montre au lieutenant où se trouve les cadavres, à leur vue il va vomir contre un mur. Cela étant, son second lui lit une lettre laissée par Mad Mullah, le vengeur. Ce n’est pas facile tous les jours… Enfin si. Le lecteur entame la première histoire : douze pages narrées en image, sans dialogue ni narrateur omniscient, juste quelques onomatopées pour les bruitages de coup de feu et de tambour. Des scènes d’action avec une prise de vue d’une clarté exemplaire, des dessins épurés, une savante mise en couleurs naturaliste, avec quelques touches très discrètes d’expressionnisme pour les camaïeux habillant les fonds de case. Le lecteur retrouve quelques passages dépourvus de mots dans les deux histoires suivantes, pour une scène d’action ou pour une scène contemplative, totalement immersive. Les intrigues se déroulent de manière linéaire, avec une explication dans la dernière scène qui vient rappeler ce qui s’est passé, et l’éclairer avec des renseignements supplémentaires, de nature pragmatique, pour expliciter ce qui pouvait paraître arbitraire ou abscons au fil de l’eau. Trois histoires simples : un Indien issu des peuples autochtones qui s’attribue un uniforme de la Gendarmerie royale du Canada et qui dispense une justice expéditive très personnelle, une jeune femme qui venge la mort d’un bandit rebelle, et un tueur insaisissable qui exécute des soldats de l’armée d’occupation. Ce n’est pas facile tous les jours… Vraiment pas. Le lecteur reste sur deux doutes à la fin du premier récit : Comment se termine-t-il vraiment, c’est-à-dire qui a tiré le dernier coup de feu ? Et comment Joseph Riel a-t-il su ce qui se trouvait dans l’enveloppe sans l’ouvrir ? Dans le second récit, il hésite à prendre au premier degré cette histoire de revenant, de vie après la mort, d’araignée Armadeira (Phoneutria, araignée au puissant venin), de discussion avec un spectre d’un récent défunt. Et dans la dernière, la composante ésotérique prend une importance qui ne permet plus de la laisser de côté, comme un artifice secondaire, pour donner plus de goût à l’intrigue. Déjà les symboles sur le chapeau du Cangageiro avait mis le doute dans l’esprit du lecteur, mais la mention d’Adam, Ève, Lilith, Urahel, Raphael et Gabrahel (trois chérubins) et Caïn dans le troisième implique que le cœur de l’histoire est de nature spirituelle. D’ailleurs, l’interprétation qu’en fait Francesco Boille relève entièrement de ce point de vue. Ces évanescences, transcendances et immanences émanent selon lui de : Trois récits d’interprétation historique centrés sur la condition humaine des plus marginaux sous une forme onirique, trois histoires de rêve-mort, hautement symboliques […], le fond est profond, la forme est légère. De fait, le lecteur néophyte prend un énorme plaisir à lire ces planches. Hugo Pratt réalise des cases d’une beauté et d’une efficacité époustouflantes. S’il commence à se focaliser sur les détails, un trait, une forme prise à part, le lecteur se dit que la main de l’artiste manque d’assurance, que les aplats de noir sont trop irréguliers, que les formes sont imprécises, que les fonds de case sont réduits à leur plus simple expression. À la lecture, le ressenti est tout autre : chaque chose est parfaitement à sa place, précisément définie, sans aucun superflu. À l’opposé de dessins à l’allure naïve, il s’agit de l’essence de chaque élément qui est saisie. Le canoë de Jesuit Joe n’est pas à demi posé sur une grande zone entre verdâtre et grisâtre : il file doucement sur un large cours d’eau paisible, avec quelques feuilles à sa surface, avec la ligne des arbres sur la rive à contrejour. Il n’y a rien de trop et rien ne manque. Par deux fois dans le deuxième récit, la luminosité associée à l’humidité fait que les soldats et le fuyard sont représentés par des tâches noires allongées, évoquant des sculptures d’Alberto Giacometti (1901-1966), un moment visuel extraordinaire tirant vers l’abstraction, magique. Dans la même histoire, le bédéiste joue également avec des tâches de couleurs, deux formes irrégulières formant presque par magie les ailes de papillons. Dans la troisième histoire, Pratt continue à jouer avec le minimalisme, le sous-entendu visuel tirant vers le conceptuel, et vers l’abstraction. Le lieutenant Abel Robinson comme englobé dans un rond jaune, la forme indistincte de l’ample robe rouge de Lilith. Le motif récurrent de l’horizon : une bande noire irrégulière en bas de case pour figurer le sable proche, une autre bande irrégulière de couleur sable pour l’étendue jusqu’à l’horizon, une troisième bande irrégulière plus fine et plus claire pour la brume de chaleur, et une dernière bande de couleur intermédiaire entre les deux précédentes pour le ciel… et peut-être une vague silhouette en ombre chinoise pour le rebelle, un leitmotiv visuel de haute voltige. Du coup, des intrigues simples : une justice expéditive et arbitraire, des bandits abattus et un lieutenant britannique que la chaleur fait délirer. Oui… mais… impossible de s’affranchir de la dimension ésotérique. Les éditeurs ont fait le choix de mettre le récit le plus accessible en premier, même s’il s’agit du dernier par ordre de parution et donc de réalisation. Le deuxième met en scène une prêtresse avec un talent divinatoire, et peut-être une connexion chamanique avec les araignées. L’un des rebelles a développé une interprétation très personnelle sur l’importance et les motivations de Judas Iscariote. Le lecteur peut y voir un délire interprétatif, une obsession messianique entraînant des conséquences létales pour lui et ses proches. Les spectres peuvent alors se comprendre comme la métaphore de la culpabilité refoulée, de l’inconscient des personnages. Oui… mais… Dans la troisième histoire, Kayin se réfère explicitement à Adam, Ève et Lilith, cette dernière étant un démon féminin de la tradition juive, la première femme d'Adam, avant Ève. Kayin, un Somalien, fait le lien avec Ewa (une autre forme d’Ève), liant ainsi la tradition juive avec une mythologie africaine, imposant au lecteur cette dimension spirituelle du récit. Aussi quand il repense à la première histoire Jesuit Joe, il se dit qu’elle aussi doit comprendre une dimension ésotérique. Peut-être la forme d’autisme du personnage principal, guidé par une conception simpliste du monde, mais aussi une forme de connexion avec un savoir surnaturel, ce qui expliquerait qu’il savait ce que contenait la lettre sans ouvrir l’enveloppe. Il évoque également le fait que Louis Riel (1844-1885) était le frère de son grand-père. Cette information ne parlera qu’au lecteur familier avec ce chef du peuple métis dans les Prairies canadiennes, fondateur de la province du Manitoba, meneur de deux mouvements de résistance contre le gouvernement canadien, un lecteur ayant une idée de l’incidence de ses visions messianiques et de sa révélation divine. L’esprit du lecteur revient régulièrement à Jesuit Joe : redresseur de torts à l’instinct infaillible. Mais aussi dans la lignée des personnages principaux des deux autres histoires. Lui aussi est un rebelle à sa manière : il refuse la loi du gouvernement et il suit la sienne. Trois récits de quarante-huit pages, à l’intrigue immédiatement accessible, à la narration visuelle extraordinaire dans son évidence, dans sa forme aboutie où chaque trait est signifiant et indispensable, un équilibre parfait entre description et évocation. Des histoires qui ne révèlent toute leur saveur qu’au lecteur acceptant de s’investir dans les questionnements ésotériques qu’elles charrient.

06/12/2024 (modifier)