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Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Topless
Topless

Parfois, c’est la fausse note qui fait tout. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2009. Il a été réalisé par Arnaud Le Gouëfflec pour le scénario, et par Olivier Balez pour les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-dix pages de bande dessinée. Épître 1 - Il s’appelle Martin. Il joue du piano. Et puis il fume. Tout le temps… Il sait bien qu’il faudrait pas. Le tabac, c’est mauvais pour les artères. Monsieur Frognard le lui a bien assez dit. Le piano et le tabac, ça va bien ensemble. Des fois, il se concentre sur la fumée. Il la regarde faire son petit manège… C’est joli les volutes. Et il laisse ses doigts faire ce qu’ils ont à faire. Pianiste à strip-tease, c’est pas bien compliqué. Faut pas louper l’entrée. Faut avoir le sens du rebondissement. Le clou final. Posé sur le piano, y’a son saint Christophe. C’est le saint qui guide les voyageurs et qui leur fait traverser les fleuves. Chacun ses reliques. Lui, c’est saint Christophe. Et Thelonious Monk. Ça c’est de la musique. Il a tous ses disques. Cette manière de jouer sans y penser. Et ces petites fausses notes qu’il met partout pour décorer. Martin aurait bien aimé jouer du jazz. Mais entre le tabac et la musique, Il n’a jamais su choisir. Il ne fait pas ça pour reluquer les filles. Y en a qui ne comprennent pas ça. Il n’est pas là pour se rincer l‘œil. Ce n’est pas qu’il ne soit pas sensible à l’esthétique. Mais il doit être blasé, faut croire. On s’habitue à tout… Sauf à Jeanne. Comment pourrait-on s’habituer à Jeanne ? Quand elle apparaît, il en oublierait presque de pianoter… Il laisse la cendre prendre des proportions. Jeanne, elle perturberait même Thelonious Monk. Ce n’est pas la nudité, c’est dans le regard. Elle a quelque chose qui brille à travers la fumée. Pendant son numéro, les gens oublient de boire et de plaisanter grassement. Ils se taisent. Ça tient de l’hypnose. Sans son petit piano pour broder, on serait plongés d’un coup dans un silence de cathédrale. Monsieur Frognard, il a monté tout son petit business, à la seule sueur de son front, en faisant danser et pianoter les autres. C’est une sorte de chef d’orchestre sans baguette, quoi. Avare de tout, il n’est généreux qu’avec lui-même : il aime les jolies femmes et les galurins. Il trouve qu’il a une tête à chapeaux. Il les collectionne. Il aime aussi les belles bagnoles. Il roule en DS. Il trafique aussi avec des gens pas très clairs. Martin n’est pas aveugle. Les frères Bonheur approvisionnent Frognard en chapeaux. Sur leur carte de visite, c’est marqué maîtres chapeliers. C’est bien pratique les cartes de visite. Sur celle de Frognard, c’est marqué : limonadier. Les frères Bonheur, ils avaient diversifié leurs activités, comme on dit. Dans les boîtes qu’ils se refilent en douce, y avait autre chose que des chapeaux. Frognard, il leur est bien redevable. Et y a toutes sortes de gens qui sont redevables à Frognard. Dans le commerce, tout le monde trouve son compte. Martin, sur les détails, il n’est pas très regardant. Du moment qu’on le paye et qu’il peut fumer au piano. Un pianiste ayant accepté sa condition, une effeuilleuse irrésistible, un patron de boîte qui assure la libre circulation de l’argent sale : tout est réuni pour un polar qui se termine mal. Le lecteur retrouve les conventions propres à ce genre : un personnage principal un peu paumé ayant accepté sa position sociale peu glorieuse et son addiction au tabac qui obère d’autant son espérance de vie, une femme fatale qui rêve de liberté et d’un avenir meilleur, un patron qui exploite ses employés et qui trempe dans des affaires louches, l’étrange sensation d’être déconnecté du monde normal. Le lecteur prend conscience que le récit comprend essentiellement des scènes nocturnes ou se déroulant à la lumière artificielle de la boîte de strip-tease, ce qui renfonce encore cette impression de déconnexion. Le dessinateur utilise régulièrement des gouttières (les espaces entre les cases) de couleur noir pour rappeler l’ambiance nocturne. Ses traits de contours apparaissent un peu épais, un peu lâches, avec une forme de simplification par rapport à une représentation plus photographique. Il emploie une palette de couleurs plutôt sombre, avec des bleu-gris, des jaunes délavés. Le fil directeur de l’intrigue repose sur une fuite : Jeanne parvient à le convaincre de l’emmener loin de la boîte Les Naïades, en volant la DS du patron. Bien sûr, ils découvrent que le coffre contient quelque chose de très compromettant, et ils savent que monsieur Frognard se lancera à leur poursuite dès qu’il découvrira le vol de son véhicule. Une couverture pleine de mystère : une sorte de statuette de saint avec son auréole, un bébé sur l’épaule, un bâton de pèlerin, et une clope au bec, en bas à gauche, ce qui répond à une silhouette féminine dénudée dans le coin opposé en haut à droite, masquée par les volutes de fumée. Le thème visuel des volutes fumées revient régulièrement dans le récit, sous forme d’arabesques formant une trame, similaire à celle présente sur la couverture, parfois un simple trait ondulant qui s’élève de l’extrémité incandescente de la cigarette, et lors d’un rêve les volutes finissent par former des silhouettes humaines. Tout du long, cela agit comme un rappel du pronostic du médecin qui a déclaré à Martin qu’il partira de là, en désignant des poumons sur une affiche au mur. D’une certaine manière, ces arabesques fines et fragiles s’opposent aux contours plus épais pour les courbes du corps de Jeanne et de ses collègues. Les dessins de Balez évoquent ceux de Darwyn Cooke (1962-2016) dans ses adaptations des romans de la série Parker de Donald Westlake (1933-2008, sous le pseudonyme de Richard Stark), même si les deux projets ont vu le jour la même année. Le second se montre plus radical dans sa simplification des contours. Le premier utilise des ombres portées appuyées, des exagérations dans les expressions de visage, des traits pas toujours jointifs, pour une sensation de spontanéité. Cela génère une forme de distanciation vis-à-vis des personnages qui deviennent des archétypes, ce qui les rend, dans le même temps, plus humains. Le lecteur s’immerge dès la première planche dans cet environnement : le bleu foncé de la nuit, la boîte Les Naïades à côté d’une bretelle d’autoroute sur ouvrage d’art, le parking mal éclairé, la pénombre à l’intérieur, avec les lumières vives sur les filles en train de danser, le rouge cramoisi sur et autour de Jeanne pour exprimer l’effet qu’elle a sur les hommes, puis plus loin pour la violence, le rose lorsque Martin ressent l’effet provoqué par les paroles de Jeanne sur lui, une mise en couleurs très expressive. Dans les pages vingt-quatre et vingt-cinq, l’artiste change de registre graphique pour raconter la légende de saint Christophe traversant un fleuve avec Jésus sur ses épaules : des dessins plus enfantins, des couleurs plus vives pour montrer qu’il s’agit d’un conte, et peut-être aussi pour transcrire l’état d’esprit de Martin acceptant cette histoire comme un enfant. En page trente-deux, un barman raconte la tragique histoire de Jayne Mansfield (1933-1967) : les dessins prennent alors l’apparence de vitraux, pour évoquer une légende. D’ailleurs, si la curiosité le prend, le lecteur découvre qu’elle n’est pas morte par décapitation. La narration visuelle porte à elle seule toute l’ambiance du récit, entre monde à part déconnecté de la société normale, et vision personnelle de Martin sur sa façon de considérer le monde. L’intrigue s’avère linéaire, et la fuite du couple démarre avant la page vingt. Tout du long, le lecteur bénéficie du monologue intérieur de Martin : un individu calme étant dans l’acception, et non dans la résignation, de sa condition de pianiste de boite à strip-tease, qui ne sera jamais un musicien de jazz, qui est trop insignifiant pour être remarqué par les jolies femmes qui dansent, et aussi qui est devenu insensible à leurs numéros (ce qui n’est pas le cas des clients, certains avec les yeux proches de sortir de leurs orbites). Le personnage principal évoque son admiration pour Thelonious Monk (1917-1982), sa manière de jouer sans y penser, et ces petites fausses notes qu’il met partout pour décorer. Un barman voyant danser Jeanne, évoque Jayne Mansfield (1933-1967) et la légende de sa mort, décapitée par une plaque de verre tombée du camion d’un vitrier dont le véhicule les précédait. Martin a posé sur son piano une statuette de saint Christophe, le saint patron des voyageurs, dont il raconte la légende. L’attitude de Martin décontenance le lecteur : son acceptation que le tabac le tuera, car il sait que c’est mauvais pour les artères. Le personnage de Martin occupe le rôle principal. C’est un employé sérieux et discret, à qui il suffit d’être payé régulièrement, et de pouvoir jouer du piano en fumant. Il voue une réelle admiration à Monk, en particulier pour ses petites dissonances, pour décorer. Pour autant, il accepte immédiatement de voler la voiture du patron, à la demande de Jeanne, la plus belle des filles de l’établissement Les Naïades. Lorsqu’ils découvrent de l’argent dans le coffre, il sait immédiatement comment ça va tourner : les truands vont se lancer à leur poursuite, et l’argent ça se paye. Ce n’est pas gratuit, ça pèse dans les poches, ça attire des tas d’ennuis. Il sait qu’ils doivent s’en débarrasser s’ils ne veulent pas y laisser leur peau… ce qui ne peut correspondre aux envies ou aux projets de Jeanne. Il accepte donc de tout quitter, de tout plaquer. Sans être doté d’un sens stratégique ou tactique particulier, il a aussi conscience qu’il ne doit pas lire quoi que ce soit dans ce qui lui arrive ; il dit : Les signes on peut les lire dans tous les sens. Ces remarques personnelles éparses finissent par s’amalgamer dans le constat final : Comme les petites dissonances dans les disques de Thelonious Monk, parfois, c’est la fausse note qui fait tout. Un polar bien poisseux, des dessins bien noirs, une femme fatale, des truands qui ne se laisseront pas soulager d’un bon paquet de fric par un pianiste insignifiant et une danseuse comme il y a en a tant. Le lecteur apprécie tout de suite la narration visuelle enténébrée, les individus archétypaux induisant une légère distanciation, et par là-même une réelle personnalité graphique. Toutefois ce n’est pas le genre de polar violent (Martin enlève même les balles du chargeur du pistolet qu’il a récupéré), sa saveur se trouve dans les petites dissonances, les pas de côté, la compréhension qu’a Martin de comment les choses fonctionne. Touchant.

16/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Cela va de soi
Cela va de soi

C'est toujours agréable de découvrir ce type de lecture et de la faire découvrir via le site. J'avais déjà croisé le travail de Serge Annequin dans la série "Urbex, Pep et Djou, fouineurs de mémoire". Ici Annequin est seul aux commandes mais l'esprit reste le même autour d'un scénario littéraire construit dans une ambiance universitaire. J'ai été conquis par l'intelligence du récit qui nous plonge dans deux situations avérées éloignées dans le temps et l'espace à partir desquelles Annequin construit une fiction qui renvoie au cinéma japonais moderne mais aussi au théâtre de boulevard avec le trio classique ( mari, épouse, amant). Toutes ces thématiques sont finement équilibrées dans une narration fluide et accessible malgré un texte d'un très bon niveau. C'est le type de récit qui me nourrit par son intelligence et qui me donne envie d'approfondir. Comme le dit le prof de Jules " Cela titille ma curiosité". L'auteur ne cherche pas a réinventé la lune mais montre que la séquence Amour, Trahison, Vengeance, Mort reste contemporaine par son universalité. Le graphisme de Annequin propose un trait fin et expressif. Son travail sur les extérieurs m'a beaucoup plu rendant bien les différentes ambiances (Sorbonne, Abbesses, Bretagne). Ce dynamisme conduit à une narration visuelle très entrainante avec des personnages attachants. Une lecture un brin littéraire et séduisante.

15/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Joseph Kessel - L'Indomptable
Joseph Kessel - L'Indomptable

Je ne pouvais pas passer à côté de cette biographie de Joseph Kessel. En effet j'ai été un lecteur assidu de ses romans. Judith Cohen Solal et Jonathan Hayoun évite la biographie chronologique pas à pas. Ils s'appuient sur des entretiens entre le grand écrivain et son filleul , Jean-Marie Baron, pour comprendre et faire comprendre ce parcours si particulier où Kessel va se nourrir et vivre à travers une approche régulière de la mort. Une mort qu'il frôle personnellement enfant ( maladie, pogrom). Les auteurs montent comment le jeune homme va suivre un instinct, parfois contestable, qui le mène auprès de ceux qui vivent cette mort au quotidien ( Bandits russes, truands parisiens ou berlinois, révolutionnaires irlandais ou espagnols). Le récit montre comment chacune de ces étapes nourrit sa créativité comme journaliste ou romancier. La chronologie est donc rapide s'arrêtant en 1962 et omettant la majeure partie de sa vie intime à l'exception notable de la relation avec son frère. Enfin les auteur-es mettent l'accent sur la judéité portée par l'écrivain. Une judéité qu'il vécue comme étendard des peuples opprimés et discriminés même au sein du conflit Israélo-Arabe: "Parce que Antigone a raison mais Créon n'a pas tort".(p80) Nicolas Otero propose un graphisme très réaliste rappelant parfois les premières pages de France-Soir, le journal de Lazaref et de Kessel. Le découpage renvoie aux actualités cinématographiques dans une présentation inhabituelle et moderne sans cadres repérables et une succession d'images chocs donnant une belle profondeur au récit. Cela donne une œuvre littéraire très travaillée dans le texte et dans l'image. Une belle lecture

15/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Stranger Things - Tales from Hawkins
Stranger Things - Tales from Hawkins

J’ai beaucoup aimé “Stranger Things: Tales from Hawkins”, que je note 4/5. Ce comics de quatre épisodes propose des histoires indépendantes qui se déroulent dans l’univers de la série, et j’ai trouvé qu’elles capturent très bien l’ambiance étrange, nostalgique et mystérieuse de Hawkins. Chaque numéro explore un angle différent : entre tension dans les bois, enquête avec Murray, romance adolescente et rivalité entre fermiers, ce qui rend l’ensemble vraiment agréable à lire, sans jamais être répétitif. Même si ces récits n’apportent rien de crucial à l’histoire principale de Stranger Things, ils complètent très bien l’univers pour les fans curieux. Ce n’est pas indispensable, mais c’est une lecture immersive, bien rythmée, avec de beaux dessins et une vraie fidélité à l’esprit de la série. Je recommande à tous ceux qui aiment Hawkins et veulent s’y replonger autrement !

14/06/2025 (modifier)
Par Blue boy
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Paul
Paul

« Paul », sucrerie pop aux couleurs psychédéliques concoctée par Hervé Bourhis, nous replonge avec bonheur dans ces « late sixties » où le champ des possibles était incroyablement vaste, où les utopies fleurissaient en harmonie avec l’effervescence artistique et musicale de l’époque, propulsées par un vent de liberté inédit. Si la narration débute au moment de la séparation des Beatles, en 1969, pour s’achever dans les années 75-76, au moment où les Wings étaient alors au sommet de leur gloire, il faut bien l’avouer, ces derniers, avec le recul, ont bien moins marqué l’histoire de la musique que les mythiques Fab Four de Liverpool. Et d’ailleurs, qui se souvient que Mc Cartney avait connu une période de flottement, avec alcoolisme et grosse déprime à la clé, dès lors que le groupe avait splitté. A cette même époque, une rumeur circulait même à propos de sa mort trois ans avant, suite à quoi il aurait été remplacé par un sosie au sein des Beatles ! Tout cela, Hervé Bourhis l’évoque et le dessine de façon rythmée dans cet album aux couleurs très « seventies ». Et c’est un bel hommage que rend ici Bourhis au songwriter le plus talentueux et le plus influent de sa génération (avec son compère John Lennon), et qui réhabilite aussi les Wings, passés quelque peu dans l’oubli malgré la pépite qu’est, selon l’auteur, « Band on the run ». Ce groupe fut pour McCartney une véritable « résurrection », selon les termes mêmes de John Lennon qui était revenu le voir une fois la période de brouille terminée, même si pour la renaissance des Beatles, le point de non retour avait été franchi depuis longtemps. La narration est à la première personne, celle de l’ami Paul, révélant à quel point Hervé Bourhis s’est identifié, sans en être forcément conscient, à cette personnalité dont le nom est toujours resté associé aux Beatles. Lui aussi, après avoir failli être emporté par la maladie (A ce titre, on peut lire son autobiographie Mon infractus), a connu une sorte de renaissance. Parmi d’autres anecdotes, en plus de celles énoncées plus haut et tombées dans l’oubli pour une grande partie du public, on découvre comment l’ex-Beatles s’est reconstruit, on suit son redémarrage à zéro assez hallucinant avec ses Wings, soulignant par la même occasion une certaine modestie qui prouve que l’homme était davantage passionné par la musique que préoccupé par sa propre notoriété. Ce qui par la suite s’est révélé porteur, puisque son talent de compositeur était resté intact a l’a ainsi mené au succès. Etonnante aussi cette rencontre improbable avec une super star de la scène africaine, Fela. McCartney était venu au Nigéria pour y enregistrer « Band on the run », espérant y puiser une énergie différente. Là encore, le séjour fut marqué par quelques déboires, qui virent l’ex-Fab Four hospitalisé aux urgences suite à un malaise lié à sa consommation excessive de cigarettes. Le dessin d’Hervé Bourhis est extrêmement vivant et graphiquement très riche avec ses couleurs fluo-psyché. Comme il le dit lui-même dans l’interview à la fin de l’ouvrage, ce grand fan des Beatles (qui avait déjà publié en 2010 Le Petit Livre des Beatles) s’est réellement surpassé par rapport à ses productions précédentes plus minimalistes, ayant mis un an et demi à le réaliser. S’il fallait une preuve qu’un auteur peut exceller autant dans la narration que dans le dessin, « Paul » en est une. Richement documenté, l’ouvrage révèle des facettes méconnues de « Macca » mais aussi des autres membres des Beatles, ainsi qu’un aperçu de la réalité du show-biz dans ces années-là. Au final, tous les ingrédients semblent avoir été réunis pour faire de cet album une bulle de nostalgie totalement immersive et jouissive, donnant envie de se plonger dans la discographie de cet artiste.

14/06/2025 (modifier)
Par Cleck
Note: 4/5
Couverture de la série Mauvais genre
Mauvais genre

De récentes lectures (Le Cas David Zimmerman, Peau d'Homme) m'ont amené à souhaiter redécouvrir ce ténébreux "Mauvais genre" immanquablement à l'esprit lorsque l'on envisage une BD sur la thématique du genre. Ce qui me marque à la seconde lecture, est moins la thématique et le point de vue sur celle-ci, que la manière de conduire l'intrigue. Aussi bien le suspense autour du procès et sa gestion en pointillés via prolepses successives (flashforwards), la manière habile d'amener la thématique du genre via le traumatisme de la guerre (le travestissement comme nécessité puis son acceptation progressive par la curiosité puis fascination envers ce monde de la nuit grisant), que la manière d'interroger le regard contemporain sur le genre à partir du regard porté par la justice française durant l'après-guerre via notamment la belle ironie autour du langage employé pour l'évoquer ou décrire, tout s'imbrique joliment pour véritablement façonner un scénario riche, dynamique et pertinent, fluide, clair et intrigant : une structure globale véritablement réussie. Avec pour conséquence de décliner tout militantisme au profit d'une fiction solide et plus si moderne ; ce qui plaira probablement à davantage de lecteurs.

14/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Glace
Glace

Quelle belle surprise!! Je suis sur la même ligne que les élogieux avis précédents. Matthew Dooley nous propose un récit atypique et original autour d'une guerre fratricide de vendeurs de glaces très très drôle. Le personnage d'Howard en anti héros mal rasé, soumis aux événements mais touchant et attendrissant ne m'a pas quitté au cours de cette délicieuse lecture feel good. La thématique de cette compétition entre deux frères pour s'approprier le territoire du père est assez classique. Mais ici il s'agit d'une parcelle pour vendre des glaces… Cela donne des dialogues vifs et incisifs bourrés d'humour. En plus Dooley y ajoute le sujet de la détermination d'une montagne proche de la ville ,défendue par l'impayable Jasper, ce qui a le don de faire sourire les continentaux fiers de leurs sommets. Howard, Jasper, Tony et Alex forment une galerie bien sympathique où même le "vilain" Tony se révèle bien plus complexe avec une relation au père qui donne du relief aux deux personnages. Le graphisme est minimaliste mais il donne une narration très fluide et dynamique. Les visages ronds ou en poires accentuent le côté humoristique du récit. Les cases sont petites et donne un aspect cinéma à l'ancienne dans le mouvement. Une lecture très agréable et divertissante qui redonne le morale après une journée grise.

14/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Kwaïdan
Kwaïdan

Jung sort de sa thématique de prédilection sur l'adoption et j'ai trouvé cela bien. En effet, j'ai passé un agréable temps de lecture en compagnie des fantômes du lac d'Amada. Le scénario est assez classique centré sur cette double histoire d'amour qui doit vaincre toutes les épreuves surnaturelles qui se présentent. La thématique de la beauté intérieure supérieure à l'éphémère beauté esthétique est très usée mais elle permet à Jung de nous gratifier d'un superbe modèle féminin fût-il masqué proposant ainsi une belle touche de sensualité à sa série. Là où Jung réussit parfaitement son travail, c'est dans la description de ce Japon médiéval entre réalité , spiritualité et traditions surnaturelles. Le graphisme de l'auteur m'a beaucoup plu avec ces détails infinis que ce soit dans la diversité des armures où dans la précision des architectures même pour la plus simple des cabanes de pêcheurs. Cet immersion dans un Japon montagneux et enneigé propose une ambiance qui porte le récit de façon superbe. Le personnage de Setsuko mi courtisane mi guerrière permet un équilibre entre le raffinement et la violence de l'Histoire japonaise. Le final est attendu voire convenu mais il n'a pas gâché le plaisir que j'ai eu à suivre les pas de Setsuko et de Seminaru.

14/06/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Erostrate
Erostrate

L’ennui avec la réputation, c’est qu’il faut l’entretenir. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, de nature biographique. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Martin Veyron pour le scénario et les dessins, avec une mise en couleurs réalisée par Charles Veyron. Il comprend deux-cent-onze pages de bande dessinée. En -356, Éphèse, de nuit dans le temple d’Atémis, un homme vient d’estourbir le gardien, et il tient une torche à la main.il renverse à terre les énormes vasques sur pied servant d’éclairage, et il se rend dans le sanctuaire pour mettre le feu aux rouleaux présents. L’incendie commençant à se propager, il sort dans la nuit douce et fraîche. Il s’éloigne en courant tranquillement d’une bonne foulée. Il s’arrête à bonne distance pour se retourner et contempler l’incendie. Un vieil homme arrive à cheval en sens inverse et sent l’odeur du brûlé. Il découvre le temple qui est la proie des flammes, et il fait demi-tour pour aller annoncer la nouvelle en ville, sans faire attention au jeune homme qui vient de donner son nom, Érostrate, et de s’accuser comme étant l’incendiaire. Il arrive enfin en ville et tout le monde est dans la rue, en train de regarder l’incendie au loin et de s’interroger sur ce qui a pu se passer, sans prêter attention au jeune homme qui dit tout haut qu’il s’appelle Érostrate et que c’est lui qui vient de mettre le feu au temple d’Artémis. Sur la terrasse, les sages du Conseil se lamentent quand arrive un messager essoufflé qui finit par parvenir à leur annoncer que l’incendiaire sur le port a été arrêté. Peu de temps après, trois soldats font leur entrée sur la terrasse, encadrant le jeune homme auquel ils ont mis les fers aux poignets. Un des Sages entame le dialogue avec le prisonnier. Érostrate explique fièrement qu’il s’est auto-dénoncé ce qui a permis son arrestation en un temps record, il annonce son nom et il reconnaît sa culpabilité dans l’incendie du temple d’Artémis. En réponse au sage qui lui demande pourquoi il s’est livré, il répond : Quel intérêt de commettre un spectaculaire attentat si personne ne sait qui en est l’auteur ? Il ajoute qu’il a agi en son nom propre, pas celui d’Athènes. Les Sages lui demandent pourquoi il a fait ça, et il répond ingénument : Pour devenir célèbre ! Les Sages s’offusquent d’une telle réponse : ils ne se voient pas expliquer aux Éphésiens que le temple d’Artémis qui faisait leur fierté a été tout bonnement détruit parce qu’un type de passage comptait en retirer quelque célébrité. Ils seraient ridicules. Ils décident de livrer le criminel au bourreau pour qu’il le fasse avouer le motif véritable. Le bourreau ressort de la longue séance en chialant comme un veau. Il a mal à son âme car depuis le temps qu’il questionne Érostrate, celui-ci, tel le perroquet, ne fait que répéter : Pour la gloire, pour la gloire ! Pourtant il a fait son travail consciencieusement : enfoncer une aiguille sous les ongles, passer la plante des pieds au fer rouge, le fouetter bien comme il faut, tout aussi consciencieusement écraser les noix et les tétons. Il n’a rien négligé, il connaît son métier, mais ne veut plus l’exercer tant cet Érostrate l’a découragé. Soit le lecteur connaît déjà le nom et l’histoire d’Érostrate, soit il ne lui faut pas longtemps pour se renseigner. Cet individu a connu la postérité pour avoir incendié le temple d’Artémis, c’est-à-dire une des sept merveilles du monde (quand même) : les pyramides de Gizeh en Égypte, les jardins suspendus de Babylone, la statue de Zeus à Olympie, le temple d'Artémis à Éphèse, le mausolée d'Halicarnasse, le colosse de Rhodes et le phare d'Alexandrie. Quant à sa gloire : elle évoquée par Jean-Paul Sartre (1905-1982) dans la nouvelle portant le nom du pyromane, incluse dans le recueil Le mur (1939). Dans un dialogue de trois répliques deux personnages évoquent Érostrate, son forfait. Le premier demande au second s’il se souvient du nom de l’architecte du temple, et l’autre reconnaît qu’il n’en a aucune idée, ce qui atteste bien de la gloire de l’incendiaire. Une seconde recherche permet d’apprendre que le temple fut bâti vers -560 par Théodore de Samos, Chersiphron et Métagénès et financé par le roi Crésus de Lydie. La structure du récit s’avère simple : Érostrate commet son forfait, se dénonce aux autorités et les sages du Conseil l’interroge pour qu’il raconte sa vie afin de comprendre son geste, jusqu’à ce que le jugement soit rendu, puis, vingt-deux ans plus tard, son nom est transmis par Diogène de Sinope (-413 à -323) au plus grand conquérant de l’époque : Alexandre le Grand (-356 à -323), par avec la célèbre réplique : Ôte-toi de mon soleil ! Étrange récit que celui-ci où le coupable est connu dès la première page, où il se livre volontairement à la justice, où il se vante de son crime, pour acquérir la gloire, c’est-à-dire la renommée brillante, universelle et durable, toutefois sans disposer de vertus particulières, d’un mérite quelconque, encore moins de grandes qualités, ou après avoir accompli de grandes actions ou de grandes œuvres. L’auteur réalise cette œuvre avec près de cinquante ans de carrière d’expérience. Il crée une bande dessinée dans laquelle il invente une biographie à cet individu singulier, les éléments historiques étant quasiment inexistants, et il en profite pour faire de lui un Athénien, plutôt qu’un simple berger éphésien, cette modification trouvant son explication dans le récit même. Le lecteur passe outre la couverture un peu austère, dépourvue d’illustration. Il découvre une première planche magnifique : une vue en plongée oblique à l’intérieur du temple avec une minuscule silhouette à terre et une autre guère plus grande tenant une torche. Si l’envie lui vient, il peut prendre le temps d’admirer les colonnes et leurs rainures, les chapiteaux sculptés, les grandes décorations aux murs, les tentures, la couche, les dessins au sol. Il ne s’attendait pas forcément à ce que l’artiste se montre aussi investi dans la reconstitution historique. Dans une interview, celui-ci a indiqué qu’il s’est fortement documenté, sans pour autant faire œuvre de reconstitution parfaite, prenant quelques menues libertés de ci de là, en particulier dans la narration visuelle des mythes. La narration visuelle s’avère très agréable de bout en bout, facile à lire, riche et variée. L’investissement de l’artiste se ressent du début à la fin. La variété et de la consistance des décors : le temple d’Artémis (c’était la moindre des choses qu’il se montre à la hauteur de l’une des sept merveilles du monde), le chemin côtier, la scène de foule dans la rue, la belle terrasse de l’immeuble abritant le Conseil des Sages, la grande salle intérieure avec son bassin pour se baigner, les ruines du temple encore fumantes (snif), la cour de l’installation du potier (Pélogène, le père d’Érostrate) et ses ateliers, les arènes d’Athènes et la foule venue pour la fête publique avec la traversée de l’agora, plusieurs quartiers d’Athènes avec les temples et les statues, l’atelier du peintre Apelle, la somptueuse demeure de Callimaque (l’éraste d’Érostrate son éromène), la salle où se réunit l’aéropage des juges d’Athènes, l’atelier du sculpteur Praxitèle, le temple de la pythie de Delphes, une galère en mer Méditerranée, etc. Le lecteur apprécie également la personnalité de la mise en couleurs, avec l’usage de teintes inattendues, pouvant aussi bien être naturalistes pour un magnifique coucher de soleil, que décliner plusieurs nuances d’une même couleur pour créer une ambiance particulière dans une séquence. Inconsciemment, il ressent la variété des cadrages, des prises de vue des mises en scène, etc. Il peut voir les petits glissements visuels lors de l’évocation de scènes relevant de la mythologie. Il sourit régulièrement à de discrètes touches comiques, soit une exagération bien placée, soit un comportement glissant vers la pantomime ou la farce. Par exemple le contentement extraordinaire d’Érostrate bébé qui vient de faire sa première crotte dans une chaise et qui est applaudi par une dizaine de personnes présentes. Le lecteur découvre également avec plaisir que l’auteur met à profit la richesse culturelle de l’époque, que ce soient par les personnalités, ou par les récits mythologiques. Ainsi Érostrate croise Diogène (plusieurs fois), le philosophe Aristote, la Pythie, le sculpteur Praxitèle, le peintre Apelle, la célèbre prostituée Phryné, et Alexandre le Grand vient saluer Diogène dans l’épilogue. Chacune de ses rencontres est l’occasion d’évoquer la pensée ou l’art de ces personnes illustres, elles aussi passées à la postérité. L’auteur met également à profit plusieurs récits où les dieux interviennent : l’histoire de Hélios, les hauts faits d’Héraclès, Achille déguisé en femme, le duel musical entre Marsyas et Apollon, Hésiode recevant la visite des Muses, Apollon courtisant Cassandre et lui faisant don d’un cadeau empoisonné, Éos & Arès, Ésope et les Delphiens, Héraclite et les Éphésiens, etc. Bien sûr, le lecteur établit le lien à la fois avec ces personnalités, à la fois avec ces contes, et le désir de gloire d’Érostrate. Il y repère à la fois l’humour de l’auteur (un glissement de registre de vocabulaire, une touche d’insolence), à la fois la renommée et parfois la gloire qui vient avec les hauts faits des uns, leur talent, et aussi le comportement indigne et mesquin des dieux dont la gloire est assurée par les dévotions du peuple grec. Il apprécie en outre les remarques teintées d’ironie des uns et des autres. La classification des individus les plus utiles à la République, en ordre décroissant, établie par Platon : le philosophe sur le premier échelon, puis les rois et les guerriers, les politiques et les financiers, les médecins et les hygiénistes, les devins, les peintres et les poètes, les artisans et les paysans, les sophistes, les tyrans. Tout en lui préférant peut-être celle de Diogène : les paysans, les marins, les artisans, les architectes, et Phryné, éventuellement les astronomes. Les explications de Diogène sur la mendicité : il s’est entraîné à demander l’aumône à des statues, c’est souverain pour se faire une âme d’airain face à l’échec. Le constat de Callimaque : il n’a pas les moyens de sa vanité. Etc. Le complexe d’Érostrate existe : il identifie celle ou celui qui est prêt à tout pour se mettre en avant, pour devenir célèbre, pour que l'on parle de lui, et il a été imaginé à l’occasion de tels comportements sur les réseaux sociaux. Une couverture un peu austère, un thème sous forme de péplum, une pagination conséquente. Une lecture facile et fluide, une narration visuelle riche et accessible. Un ton à la fois persifleur et cultivé. Le lecteur attend les réponses d’Érostrate aux questions des sages du conseil d’Éphèse, curieux aussi de savoir ce qui a conduit cet individu à détruire l’une des sept merveilles du monde, comment sa soif de gloire apparaît par comparaison à la gloire d’autres de ses contemporains. Insolent.

14/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Lorraine Coeur d'acier
Lorraine Coeur d'acier

Cet album est intéressant à double titre. D’abord parce qu’il donne à voir les luttes syndicales, le combat mené par les ouvriers métallurgiste d’Usinor en Lorraine – et plus généralement de leurs familles et des habitants des villes concernées, face au démantèlement de l’outil industriel, les délocalisations « pour convenance actionnariales ». Cet aspect est bien traité et intéressant. Mais l’intérêt de l’histoire est renforcé par le fait qu’au cœur des actions – et de l’album – c’est aussi l’activité d’une « radio libre », militante, « Lorraine Cœur d’Acier » donc, à la fin des années 1980, qui est mis en avant. En sus des luttes ouvrières, cette radio va aussi couvrir d’autres revendications, donnant la parole aux femmes, et plus généralement à tous ceux privés de paroles qui pouvaient trouver là un moyen de faire entendre des choses largement occultées. En cela cette radio, comme quelques autres à l’époque, faisait œuvre d’utilité publique. La radio fait face aux blocages des instances nationales de la CGT – qui voient d’un mauvais œil la parole donnée à tous, y compris à Krivine et des « non communistes ». La radio et les militants font aussi et surtout face au patronat, largement soutenu par l’État (voir le policier camouflé en casseur pour discréditer l’action des manifestant – une technique toujours utilisée hélas, ou les dépenses effectuées pour brouiller les émissions de la radio). Le sujet militant, avec des ouvriers d’origine étrangère (italienne en particulier), le dessin aussi, tout m’a fait penser à quelques albums de Baru. Aussi n’ai-je pas été étonné de le retrouver dans la postface qui conclut l’album. Une lecture intéressante, avec une narration agréable, et une bonne vision de l’agitation sociale de la fin des années Giscard.

13/06/2025 (modifier)