C’est à la faveur d’un papier sur Planète BD que j’ai eu connaissance de cette BD pour le moins discrète. La critique était enthousiaste, le graphique, bien que particulier, me plaisait, je me la suis procurée.
Derrière une couverture assez anodine, on découvre une histoire basée sur des faits réels, première bonne surprise (je n’ai lu la critique des confrères qu’aujourd’hui, me contentant des quatre étoiles pour la lire). Drôle d’histoire que celle-là : celle d’un couple allemand venu, au début des années trente, recommencer sa vie sur l’archipel des Galapagos, alors désert. Mais croyant fuir les vicissitudes du monde moderne, ils attirent au contraire une horde de curieux. Il y a là matière à créer une bonne histoire, ce que Michaël Olbrechts n’a pas manqué de faire.
Le scénario est bien construit. On sent la tension monter progressivement, en même temps que s’installe une ambiance malsaine. Dès le début en réalité, on sent bien que le culte revendiqué par Friedrich Ritter, personnage central de cette histoire, pour Nietzsche, va tôt ou tard être confronté à une toute autre réalité. Tout cela est bien amené. Quelques flashbacks éclairent des facettes des personnages et rythment la narration, la conduisant inexorablement à son acmé. Et on n’est pas déçu.
Le dessin est particulier. Il fait songer à celui de Dumontheuil, mais Dumontheuil qui aurait fait du Tintin dévergondé, pour faire vite. J’aime bien, surtout que les choix de colorisation sont francs, et résonnent bien avec le style. Les expressions sont en outre très bien rendues. Il y a un peu d’humour. La conclusion ne déçoit pas. Tout bien.
Merci aux copains de Planète BD, et en particulier à Quentin Haegman, pour avoir attiré mon attention sur cette BD, et relayé de fait cette anecdote bien décalée.
Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu ça : finir de lire une BD avec le souffle coupée. Quelle puissance évocatrice, quelle force dans son scénario et quelle fin ! Je dois bien le dire, narrativement on est dans une solidité à toute épreuve !
Je me doutais que ça allait être pas mal, au vu de nombreux avis positifs. Mais à ce point c'était pas prévu. L'histoire est simple, mais parfaitement bien mise en scène. Le découpage en chapitres réguliers avec un narrateur différent à chaque fois, proposant une chute souvent surprenante, entraine dans l'histoire qui reste pourtant dense et chargée en thématiques. Que ce soit la question du pouvoir et des empires, de l'humanité, de la violence et des systèmes de domination, tout est analysé d'une façon ou d'une autre, tourné autour de ce singe incarnant une némésis divine. A titre purement personnel, j'y ai vu une métaphore intéressante : l'humanité se déchirant pour des futiles jeu de pouvoirs, tandis qu'une menace délétère se profile derrière, prête à les mettre tous en pièces.
La BD est servie par le dessin impeccable de Roger. Tout est parfaitement mis en scène : la colorisation, l'organisation des planches, la violence, la tension, les actions brutales et chorégraphiées ... Tout s'accorde pour rendre une ambiance désespérée de fin des temps, de monde en ruine. Le tout est aussi porté par la narration qui se fait bien souvent intérieure, privilégiant le peu de de dialogues. De fait, elle permet de parler avant tout visuellement, contrastant les discours et les attitudes, permettant de ressentir pleinement ce qui se joue.
Cette BD n'a pas démérité son succès. Elle est singulière, étonnante et franchement dingue même. Tant dans son scénario sans concessions, d'une violence rare mais aussi implacable, dans son humanité qui transparait en quelques cases autour de personnages qu'on aurait imaginé bien différent, que dans son propos presque nihiliste et fataliste. Une BD sur la violence, mais qui exprime aussi tout ce dont l'être humain est capable. Une réussite indéniable, je rejoins le concert de louanges.
Quelle belle... surprise ! Pourtant j'ai commencé ce triptyque avec le frein à main. Une série girly jeune ado, un dessin manga que je n'affectionne pas et un précédent avis très négatif auraient du me décourager assez vite. Que nenni, une œuvre centrée sur un ballet de Tchaïkovski cela mérite une certaine attention. Le conte de " La belle au bois dormant" étant par nature un conte fantastique on ne peut pas reprocher à l'autrice de reprendre les ressors fantastiques du récit. Ainsi j'ai tout de suite accroché à la fluidité et la vivacité du scénario de Karina. De plus l'autrice utilise un vocabulaire de très bonne facture avec des dialogues d'un bon niveau jeunesse. Karina modernise le conte en le positionnant dans l'ambiance d'une prestigieuse école de musique et danse classique. Là encore plusieurs scènes sonnent très juste et m'ont rappelé certains passages de la série tv "Un, Dos, Tres" très appréciée par mes enfants et aussi par moi-même). L'autrice fait progresser son récit de façon convaincante en augmentant la tension dramatique jusqu'à mi T3. Evidemment la règle du happy end est respectée mais c'est bien fait.
Je le répète le graphisme Manga n'est pas ma tasse de thé. J'y retrouve toujours les mêmes réserves comme des visages trop lisses voire figés, ou des déformations abusives (assez peu utilisées ici). Toutefois cela n'a pas gêné ma lecture. Au contraire ce côté lisse convient plutôt bien à l'univers du ballet classique. De plus les nombreuses scènes de danse classique sont vraiment réussies avec beaucoup de grâce et d'élégance. Le vocabulaire et la construction des scènes de répétition montrent que l'autrice connait son sujet.
En ce qui concerne les extérieurs, l'autrice à travaillé de nombreux détails dans une architecture haussmannienne assez froide. Finalement à mes yeux cela reste une très bonne série pour jeunes ados avec un support culturel très intéressant.
Rien de plus effrayant que l'inconnu, rien de plus dangereux que l'ignorance.
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Ce tome comprend une histoire complète mettant en scène Francis Blake et Philip Mortimer. La première édition date de 2019. Il a été réalisé par François Schuiten (scénario, dessins et encrage), Jaco van Dormael (scénario, réalisateur et metteur en scène belge), Thomas Gunzig (scénario, écrivain belge francophone) et Laurent Durieux (couleur).
À l'intérieur de la pyramide de Kheops, au Caire en Égypte, Francis Blake et Philip Mortimer reprennent difficilement conscience. Ils ne se souviennent plus d'où ils se trouvent. Ils finissent par comprendre qu'ils se trouvent dans la Chambre du Roi de la pyramide. Quelques années plus tard, le professeur Mortimer pénètre dans la salle des pas perdus du Palais de Justice de Bruxelles. Il y retrouve son ami Henri qui évoque le taux élevé du rayonnement électromagnétique. Henri emmène Mortimer au sous-sol et lui montre une pièce récemment mise à jour : le bureau de travail de Joseph Poelaert (1817-1879), l'architecte du Palais de Justice. Il l'emmène jusqu'au fond de la pièce où il lui montre des hiéroglyphes et une représentation du dieu Seth. À la surprise de Mortimer, Henri se saisit d'une masse et en frappe le mur. de la fissure s'échappe une puissante lumière. Henri passe par la faille, mais le mur s'écroule derrière lui, empêchant Mortimer de le suivre. Mortimer remonte le plus vite possible et sort du Palais de Justice. le rayonnement s'échappe du bâtiment et irradie toute la ville.
Trois semaines plus tard, Mortimer se réveille sur un lit d'hôpital où il est venu consulter à cause de terribles cauchemars dans lequel Seth lui apparaît. À l'extérieur, l'armée a commencé à évacuer les civils. Quelques temps plus tard, Mortimer retrouve Blake devant le Palais de Justice, autour duquel ont été élevés des échafaudages pour constituer une cage de Faraday afin de contenir le rayonnement. Des années plus tard, les bâtiments ont commencé à se dégrader et quelques animaux sauvages circulent dans la rue. Non loin du Palais de Justice, un groupe de personnes prépare un acte de destruction contre le bâtiment. Leur intervention a des conséquences néfastes et Philip Mortimer est contacté par Francis Blake pour une intervention de la dernière chance, en urgence. Mortimer doit se rendre à Bruxelles.
En 1996, paraît une nouvelle aventure de Blake & Mortimer, réalisée par Jean van Hamme & Ted Benoît, 9 ans après la mort de leur créateur Edgar P. Jacobs. Entretemps, Média Participations a fait l'acquisition des Éditions Blake & Mortimer, et Jean van Hamme a défini les règles à respecter pour les albums de la reprise : rester dans les années 1950 et ne pas poursuivre après Les 3 formules du Pr Sato. Lors de l'annonce de ce tome, l'éditeur a clairement indiqué qu'il s'agit d'un projet à part, qui ne s'inscrit pas dans le cadre établi. D'une part Blake et Mortimer ont vieilli car l'aventure se déroule après Les 3 formules du Pr Sato ; d'autre part François Schuiten ne s'en tient pas aux caractéristiques graphiques de la ligne claire d'EP Jacobs. Du coup l'horizon d'attente du lecteur s'en trouve plus incertain, car il a conscience qu'il ne va pas retrouver les spécificités bien établies pour la reprise de la série.
Avec la scène d'ouverture, l'amateur de Blake & Mortimer se retrouve en terrain connu, puisqu'il s'agit d'une scène tirée de Blake et Mortimer, tome 5 : le Mystère de la Grande Pyramide, Deuxième Partie (1955). Au fur et à mesure du récit, il retrouve les éléments classiques des personnages, ainsi que le ton de la narration, et le thème d'aventure. Il suit Mortimer (et un peu Blake) enquêtant sur un phénomène physique non théorisée scientifiquement, menaçant de causer des destructions à l'échelle planétaire, devant faire preuve de courage pour surmonter les obstacles tant physiques que scientifiques. Dans des interviews, Schuiten a indiqué qu'il a développé l'intrigue (avec Dormael et Gunzig) sur la base d'une idée présente dans les carnets de Jacobs. En termes de narration visuelle, le lecteur découvre une mise en couleurs très sophistiquée qui met en jeu des techniques autres que les simples aplats de couleurs. François Schuiten réalise des images d'une minutie exquise, évoquant les gravures du dix-neuvième siècle, et les illustrations de Gustave Doré, pas du tout dans un registre ligne claire.
Le lecteur entame ce tome et se sent tout de suite en terrain familier, qu'il soit lecteur de Blake & Mortimer, ou de Schuiten. Outre la base de l'intrigue empruntée à Jacobs, il suit le professeur Mortimer dans sa difficile progression dans Bruxelles, jusqu'à atteindre la source du rayonnement électromagnétique, pour essayer de sauver le monde, pendant que Blake essaye de limiter les dégâts probables d'une intervention armée sans finesse. Les auteurs font référence à quelques éléments de la mythologie de la série, soit évidents comme la Grande Pyramide, soit plus à destination des connaisseurs comme l'apparition d'une Méganeura. Pour autant, l'histoire reste intelligible et satisfaisante, même si le lecteur n'a jamais ouvert un album de Blake & Mortimer. de la même manière, le lecteur retrouve les caractéristiques des dessins de François Schuiten : une incroyable précision, des touches romanesques et romantiques, un amour de l'architecture. Il peut aussi apprécier la narration visuelle s'il ne connaît pas cet artiste, pour la qualité de ses descriptions, l'utilisation de cadrages (gros plan sur une main en train d'agir, posture des personnages en mouvement) et de plans de prise de vue directement empruntés à Jacobs. Le lecteur familier des albums originaux retrouve ces cases très déconcertantes où la cellule de texte décrit ce que montre l'image. Par exemple page onze, le texte indique : Mais déjà le marteau s'abat contre la surface de pierre. C'est exactement ce que montre la petite case, faisant s'interroger le lecteur sur l'intérêt de doublonner ainsi l'information, si ce n'est pour un hommage.
Arrivé à la fin de l'album, le lecteur a apprécié l'aventure, observé que Dormael, Gunzig et Schuiten ont imaginé un risque technologique de type anticipation plausible dans son concept, peu réaliste dans sa mise en œuvre, mais très cohérent avec les récits d'anticipation de Jacobs. Il a bénéficié d'une narration visuelle d'une grande richesse, respectant l'esprit un peu suranné des œuvres originelles, avec des techniques de dessins et de mise en couleurs différentes de celles d'Edgar P. Jacobs. Il en ressort un peu triste. le choix de situer l'histoire plus récemment amène à voir les personnages ayant vieilli, Mortimer indiquant qu'il est à la retraite. Ils ne sont pas diminués physiquement, mais leurs remarques contiennent une part de nostalgie, et de jugement de valeur négatif sur leur présent. Dans des interviews, Schuiten a déclaré qu'il souhaitait exprimer l'état d'esprit d'Edgar P. Jacobs qui se déclarait déconnecté de son époque à la fin de sa vie, ne comprenant plus le monde qui l'entourait. Cette sensation d'obsolescence de l'individu s'exprime en toile de fond, avec le jugement de valeur de Mortimer sur les conséquences du rayonnement électromagnétique, ramenant l'humanité dans un stade technologique qu'il estime plus humain.
S'il a suivi la carrière de François Schuiten, le lecteur détecte plusieurs références à d'autres de ses œuvres. L'échafaudage englobant le Palais de Justice évoque le réseau Robick de Les Cités obscures, Tome 2 : La fièvre d'Urbicande (1985). La locomotive est un modèle 12.004 de la SNCB, celui qui figure dans La Douce (2012). le Palais de Justice de Bruxelles joue déjà un rôle central dans Les Cités obscures, Tome 6 : Brüsel (1992), et son architecte Joseph Poelaert y est évoqué. Le thème du temps qui passe, du décalage avec l'époque présente entre en résonance avec ces évocations d'une longue carrière, constituant un regard en arrière. Avec cette idée en tête, le lecteur considère d'une autre manière les références à la culture de l'Égypte antique, à la très ancienne confrérie évoquée par Henri, aux transformations induites par la technologie sur la société humaine. Dans cette optique, l'essaim de scarabées libéré par Bastet s'apparente à une plaie d'Égypte, une condamnation divine. Les cauchemars de Mortimer deviennent des signaux émanant du passé. L'utilisation d'un pigeon voyageur (Wittekop) pour communiquer est un symbole d'une communication indépendante de la technologie de pointe. Mortimer fait confiance aux chats pour le guider car l'instinct des animaux les pousse à éviter ce qui pourrait leur faire du mal : à nouveau la sagesse ne vient pas de la technologie, mais de la nature. Les soins prodigués par Lisa relèvent d'une forme de médecine alternative qui devient un savoir thérapeutique héritée de la sagesse ancienne, et plus efficace que les cachets et les pilules. Le fait que Mortimer se retrouve devant des statues égyptiennes sens dessus dessous finit par évoquer que c'est le monde moderne qui marche sur la tête. La nostalgie d'un monde plus simple, plus maîtrisé submerge alors le lecteur. Très habilement, deux personnages évoquent le syndrome chinois : hypothèse selon laquelle le matériel en fusion d'un réacteur nucléaire situé en Amérique du Nord pourrait traverser la croûte terrestre et progresser jusqu'en Chine. Là encore le lecteur peut y voir une angoisse d'applications scientifiques non maîtrisées, et qui en plus ne date pas d'hier.
En ouvrant ce tome, le lecteur sait qu'il s'agit d'un album de Blake & Mortimer qui sort de l'ordinaire, à la fois parce que les personnages principaux ont vieilli, à la fois parce que l'artiste a bénéficié de plus de libertés créatrices que les autres équipes ayant repris la série. Il plonge dans une bande dessinée d'une rare intensité, non pas parce que la narration est dense ou l'intrigue labyrinthique, mais parce qu'il s'agit d'un projet ayant mûri pendant quatre ans de durée de réalisation, parce que les phrases prononcées par les personnages portent en elles des échos des préoccupations des auteurs, parce que la narration visuelle est d'une grande beauté plastique et d'une grande minutie, parce que la mise en couleurs semble avoir été réalisée par la même personne que les dessins. En refermant cet album, le lecteur reste sous le charme de ce récit pendant de longs moments, touché par une œuvre d'auteur jetant un regard d'incompréhension sur le monde qui l'entoure, comme s'il s'était trouvé dépassé par la modernité, finissant déconnecté de son époque.
L'autrice raconte la relation toxique qu'elle a eu avec un manipulateur narcissique.
C'est un ouvrage intéressant qui montre malheureusement une situation banale où une personne vulnérable finit en couple avec un manipulateur qui petit à petit détruit la confiance de sa victime et la contrôle totalement. Il y a des scènes assez dure à voir car c'est basé sur des faits réels qui sont arrivés à l'autrice, ce n'est pas de la fiction. Il y a un peu d'humour pour atténuer l'ambiance, mais les moments où son petit ami l'abuse en lui criant dessus ne sont pas très plaisants à voir. En plus de parler de ce qu'elle a vécu, l'autrice fait une partie documentaire pour prévenir les gens sur les manipulateurs narcissiques avec notamment un tableau sur les caractéristiques de ce type de personne et c'est très bien fait.
Je ne sais pas trop quoi dire de plus que ce que les autres posteurs ont déjà écrit. Un one-shot à lire absolument si on est intéressé par les thèmes abordés par l'autrice.
Ouh ! La pépite ! Houla la grosse affaire que voilà ! Alors là, je vais être sans retenue et sans réserve, ainsi que bref : cette BD est un chef d’œuvre.
Pourquoi ? Parce que le dessin est merveilleux et qu'il parvient à tout dire et à tout exprimer, de la beauté des paysages au curriculum historique comme psychologique des personnages. Je découvre le trait de Glen Chapron qui se fait ici charbonneux (c’est une première apparemment), aussi fumant que les cendres d’un feu de camp après la nuit. Tout est splendide, et les ambiances sont fortes, particulièrement les scènes de nuit dont l’auteur parvient à rendre toute l’intimité créée avec la nature par cette vie sauvage. Il y a de très belles planches, muettes mais emplies du bruit de la cascade ou de l’hululement de la chouette dans la nuit profonde.
Le scénario sur lequel Chapron vient s’appuyer n’est pas en reste. Ce western est une histoire de femmes fortes et ça nous change carrément des vieilles rengaines. La fin est belle et ouverte. Je l’ai lue deux fois de suite, chose rare. Le gros chef d’œuvre de ce début d’année en ce qui me concerne !
C'est certainement la révélation de l'année.
Son auteur,Sixtine Dano, nouvelle dans le monde de la bande dessinée, nous offre un one shot parfaitement maitrisé aussi bien au niveau scénario, qu'au niveau graphique.
En abordant ce thème de la prostitution estudiantine, elle évite clichés et toute forme de voyeurisme.
Dans sa postface, elle nous avoue s'être inspirée de témoignage de six jeunes femmes et d'un homme pour créer son personnage de Raphaëlle,
Nous suivons donc les aventures de Raphaëlle, étudiante de 1ère année d'architecture qui va vite se retrouver sur des applications de rencontre, sous le pseudo de Sibylinne, pour des relations tarifées, pour pouvoir financer ses études. Entrecoupé de flashes back , qui m'ont un peu déstabilisé dans ma lecture, c'est presque le destin normal d'une jeune fille qui nous est relaté. Le côté très juvénile donnée à Raphaëlle apporte un sentiment de malaise dans son rôle d'escort girl.
Mais c'est surtout le dessin à l'encre et au fusain de Sixtine Dano qui donne au récit une sensualité délicate et un côté réaliste.
Un premier album réussi, auteur à suivre !
Lue entre deux lectures plus « urgentes », ce Chevalier Brayard est parvenu à me captiver de bout en bout. C’est un mélange de plein d’ingrédients qui font mouche, à commencer par un scénario à la mode rabelaisienne. Je précise que j’ai abordé ma lecture avec la certitude qu’il s’agissait d’un premier tome, alors que nenni.
J’ai d’abord aimé le dessin et les choix de colorisation qui évoquent tous deux ceux du Marquis d’Anaon. C’est d’une grande clareté, c’est dynamique et expressif. Le petit Jesus en culotte de velours.
Je me suis lancé dans cette lecture sans rien connaitre du scénario, un simple feuillettage m’ayant convaincu de faire cette escapade. Je dois dire que j’ai trouvé cette histoire surprenante, quand même ! Son côté très rocambolesque, clairement affiché, est maitrisé. Le patchwork de personnages est assez improbable, et les dialogues décalés n’ont pas oublié d’être drôles (bien que peut-être un peu systématique parfois, il est vrai). Le ton est celui du récit picaresque. On songera - un peu - aux Indes fourbes.
L’entrée dans ce road trippes médiéval, tout comme sa conclusion, emprunte beaucoup au western… ainsi que le ton qui, on ne le sent pas tellement venir le long de ce déroulé [ATTENTION : RISQUE IMPORTANT DE SPOUALE] tournera au tragique. J’avoue que sur la fin, j’étais tellement dedans que j'en fus fort bouleversé. Bref ! Le cadre est vite posé, et les personnages taillés dans le bois d’olivier millénaire avec néanmoins cette touche moderne qui lui confèrent toute son actualité.
Je trouve cette histoire riche à souhait, et bien moins anecdotique qu’il n’y parait. Le ton grivois permet de masquer l’arrivée de cette fin tragique et tellement frustr… géniale ! J’ai failli dire frustrante mais parce que j’attendais une suite !
Non, rien à redire. C’est une chouette BD, sure de son dessin, fourmillant de références et de sous-textes, et l'on pourra trouver de nombreuses scènes susceptibles de jouer cette fonction de parabole. Dans Chevalier Brayard, il y est question de racisme, de sexualité, de religion, de la mort et bien d’autres choses encore. Je ne boude pas un tel plaisir.
Ma lecture aura au moins comblé une carence importante puisque je ne connaissais pas la légende de Beowulf ni l'histoire passionnante du codex qui a traversé les siècles. Pour en revenir à la série de Weinersmith et Boulet je dois dire que j'ai été très impressionné par la narration textuelle. A l'exemple de De Cape et de Crocs la construction poétique d'une grande complexité dans la syntaxe avec le respect du sens à travers cette multitude d'assonances et d'allitérations est une prouesse remarquable. Du début à la fin je n'ai pas noté de faiblesse dans la cohérence du récit qui mêle fond et forme dans une même quête du respect d'un texte qui oscille entre tradition orale et écrite à la manière des psaumes ou des textes épiques de l'antiquité. La prouesse est double puisque Aude Pasquier ( injustement omise sur la couverture) réussit à rendre en français la poésie et l'originalité du texte original anglais. C'est si intelligemment fait que même l'esprit humoristique qui ouvre la lecture au plus large public est aussi de la partie.
C'est le graphisme de Boulet qui a la responsabilité de faire résonner cette facette humoristique de la narration. Je pourrais lui reprocher un manque de liant entre les divers illustrations proposées. Cela rend la lecture moins fluide que pour une BD classique mais la qualité des planches dans les expressions, les détails et la diversité des personnages est telle que cela a effacé ma légère réserve.
Une lecture originale qui sort des sentiers battus pour un vrai moment de plaisir linguistique.
Et Dieu reconnaîtra les siens…
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La troisième guerre mondiale a eu lieu alors que Frank Castle était en prison. Par un heureux coup du sort, il a survécu à l'apocalypse nucléaire. Après 1 an passé dans un abri antiatomique, il sort pour accomplir une dernière mission de punition.
Dans les années 2000, Marvel a décidé d'offrir la possibilité à plusieurs créateurs d'écrire la dernière histoire de différents héros sous le titre générique de The end : Hulk par Peter David, X-Men par Chris Claremont, Marvel Universe par Jim Starlin par exemple. Ici Ennis respecte à la lettre le principe pour un voyage dans des États-Unis radioactifs. Le résultat m'a laissé sur ma fin parce qu'Ennis se contente d'aligner les scènes attendues de désolation et des effets de radiations intenses, sans beaucoup d'inventivité par rapport à d'autres récits de même nature. Et il finit à nouveau sur un long dialogue explicatif qui fait baisser l'intensité du récit.
Cotés illustrations, je me faisais une joie de retrouver Richard Corben (dessinateur underground de Den), étant revenu aux dessins pour la branche MAX de Marvel (Starr the Slayer & Haunt of Horror) ou pour Mike Mignola (Hellboy in Mexico). C'est toujours un grand plaisir pour moi de retrouver ses dessins mélangeant des touches de photoréalismes, avec des visages plus cartoons et un don pour l'horreur et le grotesque. Malgré mon grand respect pour Corben, je dois reconnaître qu'il était en dessous de ses capacités. Il y a des cases magnifiques : l'ombre mangeant le visage de Castle la nuit dans un bus remplis de cadavres de personnes s'étant suicidées. Il transcrit à merveille le craquèlement de la peau sous l'effet des radiations, et le sang qui coule des crevasses au visage. Mais les visions du monde post apocalyptique restent assez communes et son style ironique dessert le caractère monolithique et premier degré de Castle.
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Galapagos
C’est à la faveur d’un papier sur Planète BD que j’ai eu connaissance de cette BD pour le moins discrète. La critique était enthousiaste, le graphique, bien que particulier, me plaisait, je me la suis procurée. Derrière une couverture assez anodine, on découvre une histoire basée sur des faits réels, première bonne surprise (je n’ai lu la critique des confrères qu’aujourd’hui, me contentant des quatre étoiles pour la lire). Drôle d’histoire que celle-là : celle d’un couple allemand venu, au début des années trente, recommencer sa vie sur l’archipel des Galapagos, alors désert. Mais croyant fuir les vicissitudes du monde moderne, ils attirent au contraire une horde de curieux. Il y a là matière à créer une bonne histoire, ce que Michaël Olbrechts n’a pas manqué de faire. Le scénario est bien construit. On sent la tension monter progressivement, en même temps que s’installe une ambiance malsaine. Dès le début en réalité, on sent bien que le culte revendiqué par Friedrich Ritter, personnage central de cette histoire, pour Nietzsche, va tôt ou tard être confronté à une toute autre réalité. Tout cela est bien amené. Quelques flashbacks éclairent des facettes des personnages et rythment la narration, la conduisant inexorablement à son acmé. Et on n’est pas déçu. Le dessin est particulier. Il fait songer à celui de Dumontheuil, mais Dumontheuil qui aurait fait du Tintin dévergondé, pour faire vite. J’aime bien, surtout que les choix de colorisation sont francs, et résonnent bien avec le style. Les expressions sont en outre très bien rendues. Il y a un peu d’humour. La conclusion ne déçoit pas. Tout bien. Merci aux copains de Planète BD, et en particulier à Quentin Haegman, pour avoir attiré mon attention sur cette BD, et relayé de fait cette anecdote bien décalée.
Le Dieu-Fauve
Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu ça : finir de lire une BD avec le souffle coupée. Quelle puissance évocatrice, quelle force dans son scénario et quelle fin ! Je dois bien le dire, narrativement on est dans une solidité à toute épreuve ! Je me doutais que ça allait être pas mal, au vu de nombreux avis positifs. Mais à ce point c'était pas prévu. L'histoire est simple, mais parfaitement bien mise en scène. Le découpage en chapitres réguliers avec un narrateur différent à chaque fois, proposant une chute souvent surprenante, entraine dans l'histoire qui reste pourtant dense et chargée en thématiques. Que ce soit la question du pouvoir et des empires, de l'humanité, de la violence et des systèmes de domination, tout est analysé d'une façon ou d'une autre, tourné autour de ce singe incarnant une némésis divine. A titre purement personnel, j'y ai vu une métaphore intéressante : l'humanité se déchirant pour des futiles jeu de pouvoirs, tandis qu'une menace délétère se profile derrière, prête à les mettre tous en pièces. La BD est servie par le dessin impeccable de Roger. Tout est parfaitement mis en scène : la colorisation, l'organisation des planches, la violence, la tension, les actions brutales et chorégraphiées ... Tout s'accorde pour rendre une ambiance désespérée de fin des temps, de monde en ruine. Le tout est aussi porté par la narration qui se fait bien souvent intérieure, privilégiant le peu de de dialogues. De fait, elle permet de parler avant tout visuellement, contrastant les discours et les attitudes, permettant de ressentir pleinement ce qui se joue. Cette BD n'a pas démérité son succès. Elle est singulière, étonnante et franchement dingue même. Tant dans son scénario sans concessions, d'une violence rare mais aussi implacable, dans son humanité qui transparait en quelques cases autour de personnages qu'on aurait imaginé bien différent, que dans son propos presque nihiliste et fataliste. Une BD sur la violence, mais qui exprime aussi tout ce dont l'être humain est capable. Une réussite indéniable, je rejoins le concert de louanges.
La Belle Endormie
Quelle belle... surprise ! Pourtant j'ai commencé ce triptyque avec le frein à main. Une série girly jeune ado, un dessin manga que je n'affectionne pas et un précédent avis très négatif auraient du me décourager assez vite. Que nenni, une œuvre centrée sur un ballet de Tchaïkovski cela mérite une certaine attention. Le conte de " La belle au bois dormant" étant par nature un conte fantastique on ne peut pas reprocher à l'autrice de reprendre les ressors fantastiques du récit. Ainsi j'ai tout de suite accroché à la fluidité et la vivacité du scénario de Karina. De plus l'autrice utilise un vocabulaire de très bonne facture avec des dialogues d'un bon niveau jeunesse. Karina modernise le conte en le positionnant dans l'ambiance d'une prestigieuse école de musique et danse classique. Là encore plusieurs scènes sonnent très juste et m'ont rappelé certains passages de la série tv "Un, Dos, Tres" très appréciée par mes enfants et aussi par moi-même). L'autrice fait progresser son récit de façon convaincante en augmentant la tension dramatique jusqu'à mi T3. Evidemment la règle du happy end est respectée mais c'est bien fait. Je le répète le graphisme Manga n'est pas ma tasse de thé. J'y retrouve toujours les mêmes réserves comme des visages trop lisses voire figés, ou des déformations abusives (assez peu utilisées ici). Toutefois cela n'a pas gêné ma lecture. Au contraire ce côté lisse convient plutôt bien à l'univers du ballet classique. De plus les nombreuses scènes de danse classique sont vraiment réussies avec beaucoup de grâce et d'élégance. Le vocabulaire et la construction des scènes de répétition montrent que l'autrice connait son sujet. En ce qui concerne les extérieurs, l'autrice à travaillé de nombreux détails dans une architecture haussmannienne assez froide. Finalement à mes yeux cela reste une très bonne série pour jeunes ados avec un support culturel très intéressant.
Blake et Mortimer - Le Dernier Pharaon
Rien de plus effrayant que l'inconnu, rien de plus dangereux que l'ignorance. - Ce tome comprend une histoire complète mettant en scène Francis Blake et Philip Mortimer. La première édition date de 2019. Il a été réalisé par François Schuiten (scénario, dessins et encrage), Jaco van Dormael (scénario, réalisateur et metteur en scène belge), Thomas Gunzig (scénario, écrivain belge francophone) et Laurent Durieux (couleur). À l'intérieur de la pyramide de Kheops, au Caire en Égypte, Francis Blake et Philip Mortimer reprennent difficilement conscience. Ils ne se souviennent plus d'où ils se trouvent. Ils finissent par comprendre qu'ils se trouvent dans la Chambre du Roi de la pyramide. Quelques années plus tard, le professeur Mortimer pénètre dans la salle des pas perdus du Palais de Justice de Bruxelles. Il y retrouve son ami Henri qui évoque le taux élevé du rayonnement électromagnétique. Henri emmène Mortimer au sous-sol et lui montre une pièce récemment mise à jour : le bureau de travail de Joseph Poelaert (1817-1879), l'architecte du Palais de Justice. Il l'emmène jusqu'au fond de la pièce où il lui montre des hiéroglyphes et une représentation du dieu Seth. À la surprise de Mortimer, Henri se saisit d'une masse et en frappe le mur. de la fissure s'échappe une puissante lumière. Henri passe par la faille, mais le mur s'écroule derrière lui, empêchant Mortimer de le suivre. Mortimer remonte le plus vite possible et sort du Palais de Justice. le rayonnement s'échappe du bâtiment et irradie toute la ville. Trois semaines plus tard, Mortimer se réveille sur un lit d'hôpital où il est venu consulter à cause de terribles cauchemars dans lequel Seth lui apparaît. À l'extérieur, l'armée a commencé à évacuer les civils. Quelques temps plus tard, Mortimer retrouve Blake devant le Palais de Justice, autour duquel ont été élevés des échafaudages pour constituer une cage de Faraday afin de contenir le rayonnement. Des années plus tard, les bâtiments ont commencé à se dégrader et quelques animaux sauvages circulent dans la rue. Non loin du Palais de Justice, un groupe de personnes prépare un acte de destruction contre le bâtiment. Leur intervention a des conséquences néfastes et Philip Mortimer est contacté par Francis Blake pour une intervention de la dernière chance, en urgence. Mortimer doit se rendre à Bruxelles. En 1996, paraît une nouvelle aventure de Blake & Mortimer, réalisée par Jean van Hamme & Ted Benoît, 9 ans après la mort de leur créateur Edgar P. Jacobs. Entretemps, Média Participations a fait l'acquisition des Éditions Blake & Mortimer, et Jean van Hamme a défini les règles à respecter pour les albums de la reprise : rester dans les années 1950 et ne pas poursuivre après Les 3 formules du Pr Sato. Lors de l'annonce de ce tome, l'éditeur a clairement indiqué qu'il s'agit d'un projet à part, qui ne s'inscrit pas dans le cadre établi. D'une part Blake et Mortimer ont vieilli car l'aventure se déroule après Les 3 formules du Pr Sato ; d'autre part François Schuiten ne s'en tient pas aux caractéristiques graphiques de la ligne claire d'EP Jacobs. Du coup l'horizon d'attente du lecteur s'en trouve plus incertain, car il a conscience qu'il ne va pas retrouver les spécificités bien établies pour la reprise de la série. Avec la scène d'ouverture, l'amateur de Blake & Mortimer se retrouve en terrain connu, puisqu'il s'agit d'une scène tirée de Blake et Mortimer, tome 5 : le Mystère de la Grande Pyramide, Deuxième Partie (1955). Au fur et à mesure du récit, il retrouve les éléments classiques des personnages, ainsi que le ton de la narration, et le thème d'aventure. Il suit Mortimer (et un peu Blake) enquêtant sur un phénomène physique non théorisée scientifiquement, menaçant de causer des destructions à l'échelle planétaire, devant faire preuve de courage pour surmonter les obstacles tant physiques que scientifiques. Dans des interviews, Schuiten a indiqué qu'il a développé l'intrigue (avec Dormael et Gunzig) sur la base d'une idée présente dans les carnets de Jacobs. En termes de narration visuelle, le lecteur découvre une mise en couleurs très sophistiquée qui met en jeu des techniques autres que les simples aplats de couleurs. François Schuiten réalise des images d'une minutie exquise, évoquant les gravures du dix-neuvième siècle, et les illustrations de Gustave Doré, pas du tout dans un registre ligne claire. Le lecteur entame ce tome et se sent tout de suite en terrain familier, qu'il soit lecteur de Blake & Mortimer, ou de Schuiten. Outre la base de l'intrigue empruntée à Jacobs, il suit le professeur Mortimer dans sa difficile progression dans Bruxelles, jusqu'à atteindre la source du rayonnement électromagnétique, pour essayer de sauver le monde, pendant que Blake essaye de limiter les dégâts probables d'une intervention armée sans finesse. Les auteurs font référence à quelques éléments de la mythologie de la série, soit évidents comme la Grande Pyramide, soit plus à destination des connaisseurs comme l'apparition d'une Méganeura. Pour autant, l'histoire reste intelligible et satisfaisante, même si le lecteur n'a jamais ouvert un album de Blake & Mortimer. de la même manière, le lecteur retrouve les caractéristiques des dessins de François Schuiten : une incroyable précision, des touches romanesques et romantiques, un amour de l'architecture. Il peut aussi apprécier la narration visuelle s'il ne connaît pas cet artiste, pour la qualité de ses descriptions, l'utilisation de cadrages (gros plan sur une main en train d'agir, posture des personnages en mouvement) et de plans de prise de vue directement empruntés à Jacobs. Le lecteur familier des albums originaux retrouve ces cases très déconcertantes où la cellule de texte décrit ce que montre l'image. Par exemple page onze, le texte indique : Mais déjà le marteau s'abat contre la surface de pierre. C'est exactement ce que montre la petite case, faisant s'interroger le lecteur sur l'intérêt de doublonner ainsi l'information, si ce n'est pour un hommage. Arrivé à la fin de l'album, le lecteur a apprécié l'aventure, observé que Dormael, Gunzig et Schuiten ont imaginé un risque technologique de type anticipation plausible dans son concept, peu réaliste dans sa mise en œuvre, mais très cohérent avec les récits d'anticipation de Jacobs. Il a bénéficié d'une narration visuelle d'une grande richesse, respectant l'esprit un peu suranné des œuvres originelles, avec des techniques de dessins et de mise en couleurs différentes de celles d'Edgar P. Jacobs. Il en ressort un peu triste. le choix de situer l'histoire plus récemment amène à voir les personnages ayant vieilli, Mortimer indiquant qu'il est à la retraite. Ils ne sont pas diminués physiquement, mais leurs remarques contiennent une part de nostalgie, et de jugement de valeur négatif sur leur présent. Dans des interviews, Schuiten a déclaré qu'il souhaitait exprimer l'état d'esprit d'Edgar P. Jacobs qui se déclarait déconnecté de son époque à la fin de sa vie, ne comprenant plus le monde qui l'entourait. Cette sensation d'obsolescence de l'individu s'exprime en toile de fond, avec le jugement de valeur de Mortimer sur les conséquences du rayonnement électromagnétique, ramenant l'humanité dans un stade technologique qu'il estime plus humain. S'il a suivi la carrière de François Schuiten, le lecteur détecte plusieurs références à d'autres de ses œuvres. L'échafaudage englobant le Palais de Justice évoque le réseau Robick de Les Cités obscures, Tome 2 : La fièvre d'Urbicande (1985). La locomotive est un modèle 12.004 de la SNCB, celui qui figure dans La Douce (2012). le Palais de Justice de Bruxelles joue déjà un rôle central dans Les Cités obscures, Tome 6 : Brüsel (1992), et son architecte Joseph Poelaert y est évoqué. Le thème du temps qui passe, du décalage avec l'époque présente entre en résonance avec ces évocations d'une longue carrière, constituant un regard en arrière. Avec cette idée en tête, le lecteur considère d'une autre manière les références à la culture de l'Égypte antique, à la très ancienne confrérie évoquée par Henri, aux transformations induites par la technologie sur la société humaine. Dans cette optique, l'essaim de scarabées libéré par Bastet s'apparente à une plaie d'Égypte, une condamnation divine. Les cauchemars de Mortimer deviennent des signaux émanant du passé. L'utilisation d'un pigeon voyageur (Wittekop) pour communiquer est un symbole d'une communication indépendante de la technologie de pointe. Mortimer fait confiance aux chats pour le guider car l'instinct des animaux les pousse à éviter ce qui pourrait leur faire du mal : à nouveau la sagesse ne vient pas de la technologie, mais de la nature. Les soins prodigués par Lisa relèvent d'une forme de médecine alternative qui devient un savoir thérapeutique héritée de la sagesse ancienne, et plus efficace que les cachets et les pilules. Le fait que Mortimer se retrouve devant des statues égyptiennes sens dessus dessous finit par évoquer que c'est le monde moderne qui marche sur la tête. La nostalgie d'un monde plus simple, plus maîtrisé submerge alors le lecteur. Très habilement, deux personnages évoquent le syndrome chinois : hypothèse selon laquelle le matériel en fusion d'un réacteur nucléaire situé en Amérique du Nord pourrait traverser la croûte terrestre et progresser jusqu'en Chine. Là encore le lecteur peut y voir une angoisse d'applications scientifiques non maîtrisées, et qui en plus ne date pas d'hier. En ouvrant ce tome, le lecteur sait qu'il s'agit d'un album de Blake & Mortimer qui sort de l'ordinaire, à la fois parce que les personnages principaux ont vieilli, à la fois parce que l'artiste a bénéficié de plus de libertés créatrices que les autres équipes ayant repris la série. Il plonge dans une bande dessinée d'une rare intensité, non pas parce que la narration est dense ou l'intrigue labyrinthique, mais parce qu'il s'agit d'un projet ayant mûri pendant quatre ans de durée de réalisation, parce que les phrases prononcées par les personnages portent en elles des échos des préoccupations des auteurs, parce que la narration visuelle est d'une grande beauté plastique et d'une grande minutie, parce que la mise en couleurs semble avoir été réalisée par la même personne que les dessins. En refermant cet album, le lecteur reste sous le charme de ce récit pendant de longs moments, touché par une œuvre d'auteur jetant un regard d'incompréhension sur le monde qui l'entoure, comme s'il s'était trouvé dépassé par la modernité, finissant déconnecté de son époque.
Tant pis pour l'amour, ou comment j'ai survécu à un manipulateur
L'autrice raconte la relation toxique qu'elle a eu avec un manipulateur narcissique. C'est un ouvrage intéressant qui montre malheureusement une situation banale où une personne vulnérable finit en couple avec un manipulateur qui petit à petit détruit la confiance de sa victime et la contrôle totalement. Il y a des scènes assez dure à voir car c'est basé sur des faits réels qui sont arrivés à l'autrice, ce n'est pas de la fiction. Il y a un peu d'humour pour atténuer l'ambiance, mais les moments où son petit ami l'abuse en lui criant dessus ne sont pas très plaisants à voir. En plus de parler de ce qu'elle a vécu, l'autrice fait une partie documentaire pour prévenir les gens sur les manipulateurs narcissiques avec notamment un tableau sur les caractéristiques de ce type de personne et c'est très bien fait. Je ne sais pas trop quoi dire de plus que ce que les autres posteurs ont déjà écrit. Un one-shot à lire absolument si on est intéressé par les thèmes abordés par l'autrice.
La Veuve
Ouh ! La pépite ! Houla la grosse affaire que voilà ! Alors là, je vais être sans retenue et sans réserve, ainsi que bref : cette BD est un chef d’œuvre. Pourquoi ? Parce que le dessin est merveilleux et qu'il parvient à tout dire et à tout exprimer, de la beauté des paysages au curriculum historique comme psychologique des personnages. Je découvre le trait de Glen Chapron qui se fait ici charbonneux (c’est une première apparemment), aussi fumant que les cendres d’un feu de camp après la nuit. Tout est splendide, et les ambiances sont fortes, particulièrement les scènes de nuit dont l’auteur parvient à rendre toute l’intimité créée avec la nature par cette vie sauvage. Il y a de très belles planches, muettes mais emplies du bruit de la cascade ou de l’hululement de la chouette dans la nuit profonde. Le scénario sur lequel Chapron vient s’appuyer n’est pas en reste. Ce western est une histoire de femmes fortes et ça nous change carrément des vieilles rengaines. La fin est belle et ouverte. Je l’ai lue deux fois de suite, chose rare. Le gros chef d’œuvre de ce début d’année en ce qui me concerne !
Sibylline - Chroniques d'une escort girl
C'est certainement la révélation de l'année. Son auteur,Sixtine Dano, nouvelle dans le monde de la bande dessinée, nous offre un one shot parfaitement maitrisé aussi bien au niveau scénario, qu'au niveau graphique. En abordant ce thème de la prostitution estudiantine, elle évite clichés et toute forme de voyeurisme. Dans sa postface, elle nous avoue s'être inspirée de témoignage de six jeunes femmes et d'un homme pour créer son personnage de Raphaëlle, Nous suivons donc les aventures de Raphaëlle, étudiante de 1ère année d'architecture qui va vite se retrouver sur des applications de rencontre, sous le pseudo de Sibylinne, pour des relations tarifées, pour pouvoir financer ses études. Entrecoupé de flashes back , qui m'ont un peu déstabilisé dans ma lecture, c'est presque le destin normal d'une jeune fille qui nous est relaté. Le côté très juvénile donnée à Raphaëlle apporte un sentiment de malaise dans son rôle d'escort girl. Mais c'est surtout le dessin à l'encre et au fusain de Sixtine Dano qui donne au récit une sensualité délicate et un côté réaliste. Un premier album réussi, auteur à suivre !
Chevalier Brayard
Lue entre deux lectures plus « urgentes », ce Chevalier Brayard est parvenu à me captiver de bout en bout. C’est un mélange de plein d’ingrédients qui font mouche, à commencer par un scénario à la mode rabelaisienne. Je précise que j’ai abordé ma lecture avec la certitude qu’il s’agissait d’un premier tome, alors que nenni. J’ai d’abord aimé le dessin et les choix de colorisation qui évoquent tous deux ceux du Marquis d’Anaon. C’est d’une grande clareté, c’est dynamique et expressif. Le petit Jesus en culotte de velours. Je me suis lancé dans cette lecture sans rien connaitre du scénario, un simple feuillettage m’ayant convaincu de faire cette escapade. Je dois dire que j’ai trouvé cette histoire surprenante, quand même ! Son côté très rocambolesque, clairement affiché, est maitrisé. Le patchwork de personnages est assez improbable, et les dialogues décalés n’ont pas oublié d’être drôles (bien que peut-être un peu systématique parfois, il est vrai). Le ton est celui du récit picaresque. On songera - un peu - aux Indes fourbes. L’entrée dans ce road trippes médiéval, tout comme sa conclusion, emprunte beaucoup au western… ainsi que le ton qui, on ne le sent pas tellement venir le long de ce déroulé [ATTENTION : RISQUE IMPORTANT DE SPOUALE] tournera au tragique. J’avoue que sur la fin, j’étais tellement dedans que j'en fus fort bouleversé. Bref ! Le cadre est vite posé, et les personnages taillés dans le bois d’olivier millénaire avec néanmoins cette touche moderne qui lui confèrent toute son actualité. Je trouve cette histoire riche à souhait, et bien moins anecdotique qu’il n’y parait. Le ton grivois permet de masquer l’arrivée de cette fin tragique et tellement frustr… géniale ! J’ai failli dire frustrante mais parce que j’attendais une suite ! Non, rien à redire. C’est une chouette BD, sure de son dessin, fourmillant de références et de sous-textes, et l'on pourra trouver de nombreuses scènes susceptibles de jouer cette fonction de parabole. Dans Chevalier Brayard, il y est question de racisme, de sexualité, de religion, de la mort et bien d’autres choses encore. Je ne boude pas un tel plaisir.
Béa Wolf
Ma lecture aura au moins comblé une carence importante puisque je ne connaissais pas la légende de Beowulf ni l'histoire passionnante du codex qui a traversé les siècles. Pour en revenir à la série de Weinersmith et Boulet je dois dire que j'ai été très impressionné par la narration textuelle. A l'exemple de De Cape et de Crocs la construction poétique d'une grande complexité dans la syntaxe avec le respect du sens à travers cette multitude d'assonances et d'allitérations est une prouesse remarquable. Du début à la fin je n'ai pas noté de faiblesse dans la cohérence du récit qui mêle fond et forme dans une même quête du respect d'un texte qui oscille entre tradition orale et écrite à la manière des psaumes ou des textes épiques de l'antiquité. La prouesse est double puisque Aude Pasquier ( injustement omise sur la couverture) réussit à rendre en français la poésie et l'originalité du texte original anglais. C'est si intelligemment fait que même l'esprit humoristique qui ouvre la lecture au plus large public est aussi de la partie. C'est le graphisme de Boulet qui a la responsabilité de faire résonner cette facette humoristique de la narration. Je pourrais lui reprocher un manque de liant entre les divers illustrations proposées. Cela rend la lecture moins fluide que pour une BD classique mais la qualité des planches dans les expressions, les détails et la diversité des personnages est telle que cela a effacé ma légère réserve. Une lecture originale qui sort des sentiers battus pour un vrai moment de plaisir linguistique.
Punisher - La Fin
Et Dieu reconnaîtra les siens… - La troisième guerre mondiale a eu lieu alors que Frank Castle était en prison. Par un heureux coup du sort, il a survécu à l'apocalypse nucléaire. Après 1 an passé dans un abri antiatomique, il sort pour accomplir une dernière mission de punition. Dans les années 2000, Marvel a décidé d'offrir la possibilité à plusieurs créateurs d'écrire la dernière histoire de différents héros sous le titre générique de The end : Hulk par Peter David, X-Men par Chris Claremont, Marvel Universe par Jim Starlin par exemple. Ici Ennis respecte à la lettre le principe pour un voyage dans des États-Unis radioactifs. Le résultat m'a laissé sur ma fin parce qu'Ennis se contente d'aligner les scènes attendues de désolation et des effets de radiations intenses, sans beaucoup d'inventivité par rapport à d'autres récits de même nature. Et il finit à nouveau sur un long dialogue explicatif qui fait baisser l'intensité du récit. Cotés illustrations, je me faisais une joie de retrouver Richard Corben (dessinateur underground de Den), étant revenu aux dessins pour la branche MAX de Marvel (Starr the Slayer & Haunt of Horror) ou pour Mike Mignola (Hellboy in Mexico). C'est toujours un grand plaisir pour moi de retrouver ses dessins mélangeant des touches de photoréalismes, avec des visages plus cartoons et un don pour l'horreur et le grotesque. Malgré mon grand respect pour Corben, je dois reconnaître qu'il était en dessous de ses capacités. Il y a des cases magnifiques : l'ombre mangeant le visage de Castle la nuit dans un bus remplis de cadavres de personnes s'étant suicidées. Il transcrit à merveille le craquèlement de la peau sous l'effet des radiations, et le sang qui coule des crevasses au visage. Mais les visions du monde post apocalyptique restent assez communes et son style ironique dessert le caractère monolithique et premier degré de Castle.