Je m’intéresse à la bande dessinée depuis peu et j’ai découvert ce livre un peu par hasard chez mon libraire de quartier.
Ayant lu le livre de Richard Malka qui m’avait plu j’ai tenté ce roman graphique et j’ai été absolument bluffée. La couverture m’a tout de suite attirée et les dessins sont simplement sublimes. Les décors, ambiances et personnages sont selon moi très réussis. C’est un très bel objet que j’ai mis du temps à lire pour apprécier toute la beauté des planches mais aussi partager les réflexions et le chemin de cet anti-héros à travers les âges. Dans un monde où tout va trop vite, cette lecture m’a permis de ralentir et m’a fait beaucoup de bien. Je recommande!
Je me retrouve en très grande partie dans l’avis de Mac Arthur (et dans la remarque d’Alix concernant l’absence de sources, d’appareil critique justifiant les chiffres et autres informations donnés dans cet album).
C’est à la fois une leçon de choses et une invitation à réfléchir et à agir. Car après les constatations/explications/rappels historiques (toujours ludiques, clairs et précis) viennent quelques pistes dans le dernier chapitre. Avec une multitude de choses faisables par la plupart d’entre nous (et un salutaire rappel sur les énormes méfaits en matière de consommation d’eau et d’énergie des réseaux sociaux, des messageries et autre internet). Je trouve par contre que l’on n’insiste pas assez ici sur l’incompatibilité entre le capitalisme financier et libéral (bien aidé par ses relais médiatiques et politiques) et la réaction collective nécessaire pour sauver ce qui peut l’être de la vie et des conditions de vie sur Terre.
J’aime bien le dessin de Hureau, je le trouve fluide et agréable. Très simple mais chouette.
Une lecture à compléter – pour rester dans le domaine de la BD, par Le Monde sans fin (pourtant critiquable sur plusieurs points) ou Alpha... directions / Beta... civilisations (surtout le premier tome, qui évoque les premières extinctions).
Pour finir, si l’album peut être considéré comme « tout public », je l’ai trouvé quand même épais et très dense, avec beaucoup de textes, c’est peut-être un peu trop pour de jeunes lecteurs.
Tenter de faire un univers d’Heroic Fantasy accessible et intéressant pour les enfants ET les adultes sans perte d’intérêt pour l’un ou l’autre, c’est tout de même un beau pari.
Et un pari réussi !
Le monde, tout du moins la partie qui nous en est présentée dans ces trois cycles, semble vaste et vivant.
Le récit, sur sa forme, est simple, mais suffisamment maîtrisé pour que tout paraisse fluide et logique. Les personnages sont bien définis et les scènes d’action s’enchaînent bien. L'évolution de la protagonistes est intéressante, elle gagne progressivement en maturité (il faut dire qu'avec ce qu'elle fait et ce qui lui arrive...) mais conserve jusqu'au bout son petit côté de tête brûlée.
J'ai énormément apprécié le dernier cycle, surtout ses propos sur le libre-arbitre, le potentiel humain (tant positif que négatif) et l'apport des divinités sur ce monde. J'ai vraiment trouvé très intéressante cette vision pessimiste que l'on développe tout au long du récit et qui trouve son point d'orgue lors du combat final et des questionnements qui l'entourent.
Le dessin, lui aussi simple, est très agréable à l’œil. Et, même s’il semble enfantin, on note quand-même la présence d’une violence graphique non censurée (il y a du sang et des tripes à quelques moments).
Une lecture jeunesse plus que recommandée (même pour les plus très jeunes).
Oh chic, une réécriture du mythe de Perséphone qui ne tourne pas la relation Perséphone/Hadès en romance !
Pas qu'il y ait de mal nécessairement à réécrire ce mythe ainsi, mais à force de voir fleurir des histoires prenant ce parti on en oublierait presque que le mythe d'origine raconte avant tout l'histoire d'un kidnapping et d'un mariage forcé (incestueux de surcroit, mais bon c'est la mythologie grecque, on n'est plus à ça prêt), et que son but était de préparer les mères à voir leurs filles se faire marier de force et se faire "enlever". Oui, car on rappelle que les mythes et légendes servent toujours, implicitement ou non, à inculquer des valeurs et des principes propres aux cultures dans lesquelles iels voient le jour. Donc, bien que tout angle de réécriture peut être pertinent si bien écrit, ça me met toujours un peu mal à l'aise de réaliser que, pour beaucoup aujourd'hui, le mythe de Perséphone évoque davantage une romance interdite que l'abject produit d'une société purement patriarcale et objectifiant les femmes qu'il était à la base.
Mais bon, trêve de discours féministes, ici la réécriture prend une approche bien différente et la relation Perséphone/Hadès n'a rien à voir avec le mythe d'origine ou ses nombreuses réécritures romantiques modernes.
Ici, le mythe est réécrit façon récit de fantasy, avec ses pays étranges, sa magie et ses intrigues politiques simples (mais claires dans leur approche) typiques des récits adolescents du genre.
Cet album, justement, s'adresse davantage à un public adolescent. Un public plus âgé sera sans doute moins emporté par l'intrigue (un peu trop classique par moment), même si les très beaux dessins et la jolie relation mère/fille entre Perséphone et Déméter, eux, restent appréciables universellement.
L'album vaux 3,5 à mes yeux, d'un regard adulte je l'arrondirais sans doute à 3 étoiles (bon mais trop convenu) mais je préfère privilégier le point de vue du public cible et l'arrondir à 4 étoiles.
Quelle dose de vérité l’homme peut-il supporter ?
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Ce tome contient une biographie du philosophe Friedrich Nietzsche (1844-1900) qui s’apprécie mieux avec une connaissance superficielle de son œuvre. La première édition date de 2010. Il a été réalisé par Maximilien Le Roy pour les dessins et l’adaptation, d’après le script cinématographique L’innocence du devenir, la vie de Frédéric Nietzsche, de Michel Onfray. Pour réaliser ce projet, le bédéiste a effectué un voyage en train à travers l’Allemagne, la Suisse et l’Italie, sur les traces du philosophe allemand.
Naumburg, en Allemagne, en 1896, Friedrich Nietzsche est confortablement installé dans une chaise longue sur la terrasse, les yeux ouverts droit devant lui, protégés par ses épais sourcils, comme des rappels de son épaisse moustache. Röcken, en Allemagne, en 1844, Karl-Ludwig Nietzsche joue du piano, écouté par son fils. Quelque temps a passé, les enfants jouent dans la cour sous le regard attentif de leur mère Franziska. Le père sort de la maison en titubant. Il se tient au bouton de la porte, mais la douleur au crâne est trop forte et il tombe au sol. Le trente juillet 1849, le père est allongé sur son lit de mort, veillé par son épouse ; leur jeune fils regarde le défunt avec calme et curiosité. Dans l’église, il éprouve la sensation que le monde est en noir et blanc et qu’une ombre menaçante vient le chercher, s’insinue dans son esprit. Un peu plus tard, le garçon raconte son cauchemar à sa mère : Papa a pris Joseph dans ses bras, puis il l’a emporté avec lui dans sa tombe. La maman lui conseille de ne plus y penser : c’est un mauvais rêve, un vilain cauchemar. Elle porte son fils sur le bras droit, et sa fille sur le bras gauche, et elle les emmène jouer dans le jardin. Le quatre janvier 1850, la famille se recueille devant un autre lit de mort. En 1851, le petit garçon commence à son tour à jouer du piano.
En 1853, la famille a déménagé à Porta. À l’école, Friedrich discute avec un camarade de classe de l’histoire de Mucius Scaevola, qui aurait mis sa main dans le feu pour montrer à ses ennemis qu’il n’a pas peur de la mort et de ce qu’ils pourront lui faire. Friedrich indique qu’il y croit, que ce n’est pas une fable. Pour lui, les Romains n’aimaient pas les fables, ils aimaient l’héroïsme, et puis la grandeur d’âme. Pour appuyer ses affirmations, il saisit un charbon dans le poêle. Le maitre intervient en lui disant qu’il n’a rien dans la tête. Un autre jour, par une belle après-midi, le maître emmène la classe se baigner dans la rivière proche. Quelque temps plus tard, le jeune Friedrich indique à sa mère qu’il ne voudrait pas lui faire de peine, mais il a bien réfléchi et il croit qu’il ne sera pas pasteur. Il croit toujours en Dieu, mais il préfèrerait être compositeur. Sa mère lui répond que ce n’est pas un métier, lui fait observer qu’il peut être pasteur et que rien ne l’empêchera de composer de la musique et d’en jouer en plus de sa charge. Elle le convainc de continuer ses études. Tout jeune homme, il prend l’habitude de se promener dans les bois, parfois assailli par un terrible mal de crâne.
Dans le court paragraphe de présentation de l’artiste, il est indiqué que Maximilien Le Roy s’est demandé deux ans durant comme effectuer la jonction entre l’univers de ce philosophe et le dessin, et que l’opportunité s’est présentée sous la forme du script de Michel Onfray. Il se retrouve ainsi sous la double pression de faire honneur à Nietzsche et de ne pas déformer la pensée d’Onfray au travers de la présentation du philosophe. Le lecteur s’interroge sur le dosage que le bédéiste va effectuer entre des faits purement biographiques et la présentation des concepts du philosophe. Mis à part la première page, la narration suit rigoureusement l’ordre chronologique de la naissance à la mort de Nietzsche. Elle le suit à chaque nouvelle étape : à partir de Röcken en 1844, puis Pforta en 1853, Bonn en 1868, Cologne, chez les Wagner à Tribschen en Suisse en 1870, dans le canton des Grisons en Suisse, à Bâle en février 1875, à Engadine en Suisse, à Naumburg en Allemagne, à Venise en mars 1880, un nouveau séjour à Naumburg, à Gênes en Italie, dans la pension de famille à Sils-Maria dans la Haute-Engadine en Suisse en août 1881, au théâtre Politeama à Gênes en novembre 1881, à Rome en avril 1882, à Sorrente en Italie, de nouveaux séjours à Venise, à Naumburg, à Sils-Maria, à Leipzig en Allemagne, à Nice en février 1888, à Turin en janvier 1889, et enfin dans une clinique psychiatrique de Bâle en Suisse. L’artiste a l’art et la manière de représenter chaque endroit en quelques traits, avec une ambiance lumineuse différente à chaque fois.
Le lecteur suit donc le philosophe dans ses pérégrinations au fur et à mesure de sa carrière. L’enjeu pour les auteurs réside dans le fait de faire s’incarner un individu qui pour la majorité se résume à un nom et une philosophie radicale, pas forcément accessible sans passeur, tout en étant toujours d’actualité. La première page permet de rattacher la suite à l’image retenue par la postérité : en particulier cette moustache si abondante. Suivent cinq pages silencieuses, où la narration est portée par les images. L’artiste montre quatre moments significatifs ou emblématiques dans la vie de Friedrich. Son père jouant du piano, et souffrant déjà de maux de tête, un signe annonciateur de ce qui attend son fils. La fascination du jeune garçon pour un papillon dans la cour. Le père chutant lourdement en sortant de la maison, et son lit de mort. Le dessinateur détoure les éléments graphiques par un trait fin, un peu tremblé, ajoutant des textures soit par l’encrage avec des zones irrégulières, soit avec des traits secs, ou encore des traces de crayon à papier. Il en découle une sensation assez organique, et directe, avec la capacité de saisir des moments fugaces. Il réussit ainsi un dosage élégant entre le descriptif et l’impression donnée. Par exemple, il réalise une vue globale et éloignée d’une ville dans le canton des Grisons en Suisse : le lecteur perçoit bien les maisons étalées dans la vallée, les montagnes aux pentes douces, les sapins. S’il regarde de plus près il constate que le détourage se fait par des traits rapides, non repassés ou lissés, que les maisons correspondent plus à une impression, habilement rehaussée par les touches de couleurs, qu’à une représentation minutieuse et fidèle.
Progressivement, il s’avère que le bédéiste met en œuvre de nombreuses techniques graphiques pour donner plusieurs dimensions à son récit. Il a pris le parti de montrer ses personnages, sans texte explicatif, laissant le lecteur comprendre par lui-même ce qui leur arrive, ou s’interrogeant sur le sens qu’il faut donner à un regard à une attitude. Il voit le père de Friedrich se prendre la tête entre les mains et chuter : il se doute qu’il s’agit d’une douleur fulgurante au cerveau, s’il est familier avec la santé du philosophe, il fait le lien avec ses violents maux de tête et ses troubles visuels. Tout du long de la bande dessinée, le motif des maux de tête revient régulièrement, toujours sous forme visuelle, le lecteur pouvant voir Nietzsche se tenant la tête entre les mains, ou prostré par la douleur. L’intensité de la crise peut également être soulignée par la mise en couleur : naturaliste, ou en noir & blanc pour montrer la perte de nuances, ou encore avec un envahissement des cases par le jaune avec un peu de rouge pour évoquer l’intensité de la souffrance. À d’autres moments, le lecteur peut se perdre en conjectures quant à ce que pense un personnage : dans la première planche quand Nietzsche regarde au loin, en page cinq quand la mère regarde ses enfants jouer. L’artiste utilise également d’autres types de changements de registres graphiques, par exemple en passant en noir & blanc en 1850 quand le frère de Friedrich meurt et qu’il rêve qu’une tombe s'ouvre rapidement et que mon père apparaît marchant dans son linceul, traverse l'église et revient bientôt avec un petit enfant dans les bras. Il peut recourir également à des éléments graphiques comme une portée de musique courant en arabesque d’une case à l’autre pour indiquer qu’un personnage joue du piano.
Dans un premier temps, le lecteur se trouve rassuré par cette narration très factuelle, les dessins montrant clairement chaque action, chaque situation. Toutefois il se rend compte que l’auteur fait usage de quelques raccourcis, s’appuyant sur la connaissance préalable du lecteur. Ainsi, en page dix, Friedrich se recueille devant un autre lit de mort, sans précision explicite de qui il s’agit, étant entendu que le lecteur doit en déduire par lui-même qu’il s’agit du petit frère. En page vingt et vingt-et-un, il se rend dans une maison de tolérance, dans deux pages dépourvues de mots ; le lecteur en fait une interprétation assez différente en fonction de ce qu’il sait de cet épisode au préalable. La page vingt-deux est également dépourvue de mots : Nietzsche entreprend la lecture de Le monde comme volonté et comme représentation (1818, Die Welt als Wille und Vorstellung), d’Arthur Schopenhauer (1788-1860), sans développement sur le fond de cet ouvrage, juste quelques observations de Nietzsche après coup. Sur le même plan, l’auteur ne précise pas toujours les noms des personnages, charge au lecteur d’être capable de replacer Heinrich Köselitz (1854-1918, Peter Gast) et Richard Wagner (1813-1883). Au vu de l’ampleur des ellipses, la relation entre le philosophe et le compositeur ne se devine qu’en pointillé. Il ne donne que le prénom de la petite Russe : Lou, à nouveau la compréhension du récit s’en trouve améliorée quand on sait qu’il s’agit de Lou Andreas-Salomé (1861-1937). Il en va de même avec la composition de la biographie.
Michel Onfray fait se relier des situations de la vie de Nietzsche avec des éléments de sa philosophie à venir. L’observation du papillon renvoie à une citation devenue célèbre, dans ses œuvres. Les principaux concepts du philosophe sont rapidement évoqués au fur et à mesure de sa vie, et de la rédaction de ses ouvrages : le rejet du dogme catholique, l’éternel retour, le surhumain, le chaos à porter en soi pour pouvoir donner naissance à une étoile dansante, etc. Le lecteur néophyte peut saisir le cheminement qui aboutit à ces notions, elles ne font toutefois pas l’objet d’un développement ou d’une explication. L’objectif de cette bande dessinée réside dans la mise en scène de la vie du philosophe, et la formulation chronologique de ses principales théories, pas dans un cours de philosophie présentant et expliquant la notion d’Éternel Retour par exemple. Le lecteur s’attache à cet homme taciturne et tourmenté, en souffrance chronique, qui se définit comme un sismographe d’émotions.
Se familiariser avec l’œuvre de Friedrich Nietzsche peut apparaître intimidant pour le néophyte. Cette bande dessinée a été adaptée d’un script écrit par Michel Onfray qui a consacré trois ouvrages au philosophe : La Sagesse tragique - Du bon usage de Nietzsche (2005), L'Innocence du devenir : La Vie de Frédéric Nietzsche (2008), Bestiaire nietzschéen : Les Animaux philosophiques (2014). Le bédéiste effectue un travail d’adaptation élégant et sophistiqué, aboutissant à une vraie bande dessinée, aérée, tout en tenant un propos dense. Cette lecture s’apprécie mieux avec un minimum de connaissance préalable sur Nietzsche ou en se référant, pendant ou après coup, à une encyclopédie.
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Le Voleur d'amour
Je m’intéresse à la bande dessinée depuis peu et j’ai découvert ce livre un peu par hasard chez mon libraire de quartier. Ayant lu le livre de Richard Malka qui m’avait plu j’ai tenté ce roman graphique et j’ai été absolument bluffée. La couverture m’a tout de suite attirée et les dessins sont simplement sublimes. Les décors, ambiances et personnages sont selon moi très réussis. C’est un très bel objet que j’ai mis du temps à lire pour apprécier toute la beauté des planches mais aussi partager les réflexions et le chemin de cet anti-héros à travers les âges. Dans un monde où tout va trop vite, cette lecture m’a permis de ralentir et m’a fait beaucoup de bien. Je recommande!
Le Vivant à vif
Je me retrouve en très grande partie dans l’avis de Mac Arthur (et dans la remarque d’Alix concernant l’absence de sources, d’appareil critique justifiant les chiffres et autres informations donnés dans cet album). C’est à la fois une leçon de choses et une invitation à réfléchir et à agir. Car après les constatations/explications/rappels historiques (toujours ludiques, clairs et précis) viennent quelques pistes dans le dernier chapitre. Avec une multitude de choses faisables par la plupart d’entre nous (et un salutaire rappel sur les énormes méfaits en matière de consommation d’eau et d’énergie des réseaux sociaux, des messageries et autre internet). Je trouve par contre que l’on n’insiste pas assez ici sur l’incompatibilité entre le capitalisme financier et libéral (bien aidé par ses relais médiatiques et politiques) et la réaction collective nécessaire pour sauver ce qui peut l’être de la vie et des conditions de vie sur Terre. J’aime bien le dessin de Hureau, je le trouve fluide et agréable. Très simple mais chouette. Une lecture à compléter – pour rester dans le domaine de la BD, par Le Monde sans fin (pourtant critiquable sur plusieurs points) ou Alpha... directions / Beta... civilisations (surtout le premier tome, qui évoque les premières extinctions). Pour finir, si l’album peut être considéré comme « tout public », je l’ai trouvé quand même épais et très dense, avec beaucoup de textes, c’est peut-être un peu trop pour de jeunes lecteurs.
Voro
Tenter de faire un univers d’Heroic Fantasy accessible et intéressant pour les enfants ET les adultes sans perte d’intérêt pour l’un ou l’autre, c’est tout de même un beau pari. Et un pari réussi ! Le monde, tout du moins la partie qui nous en est présentée dans ces trois cycles, semble vaste et vivant. Le récit, sur sa forme, est simple, mais suffisamment maîtrisé pour que tout paraisse fluide et logique. Les personnages sont bien définis et les scènes d’action s’enchaînent bien. L'évolution de la protagonistes est intéressante, elle gagne progressivement en maturité (il faut dire qu'avec ce qu'elle fait et ce qui lui arrive...) mais conserve jusqu'au bout son petit côté de tête brûlée. J'ai énormément apprécié le dernier cycle, surtout ses propos sur le libre-arbitre, le potentiel humain (tant positif que négatif) et l'apport des divinités sur ce monde. J'ai vraiment trouvé très intéressante cette vision pessimiste que l'on développe tout au long du récit et qui trouve son point d'orgue lors du combat final et des questionnements qui l'entourent. Le dessin, lui aussi simple, est très agréable à l’œil. Et, même s’il semble enfantin, on note quand-même la présence d’une violence graphique non censurée (il y a du sang et des tripes à quelques moments). Une lecture jeunesse plus que recommandée (même pour les plus très jeunes).
Perséphone
Oh chic, une réécriture du mythe de Perséphone qui ne tourne pas la relation Perséphone/Hadès en romance ! Pas qu'il y ait de mal nécessairement à réécrire ce mythe ainsi, mais à force de voir fleurir des histoires prenant ce parti on en oublierait presque que le mythe d'origine raconte avant tout l'histoire d'un kidnapping et d'un mariage forcé (incestueux de surcroit, mais bon c'est la mythologie grecque, on n'est plus à ça prêt), et que son but était de préparer les mères à voir leurs filles se faire marier de force et se faire "enlever". Oui, car on rappelle que les mythes et légendes servent toujours, implicitement ou non, à inculquer des valeurs et des principes propres aux cultures dans lesquelles iels voient le jour. Donc, bien que tout angle de réécriture peut être pertinent si bien écrit, ça me met toujours un peu mal à l'aise de réaliser que, pour beaucoup aujourd'hui, le mythe de Perséphone évoque davantage une romance interdite que l'abject produit d'une société purement patriarcale et objectifiant les femmes qu'il était à la base. Mais bon, trêve de discours féministes, ici la réécriture prend une approche bien différente et la relation Perséphone/Hadès n'a rien à voir avec le mythe d'origine ou ses nombreuses réécritures romantiques modernes. Ici, le mythe est réécrit façon récit de fantasy, avec ses pays étranges, sa magie et ses intrigues politiques simples (mais claires dans leur approche) typiques des récits adolescents du genre. Cet album, justement, s'adresse davantage à un public adolescent. Un public plus âgé sera sans doute moins emporté par l'intrigue (un peu trop classique par moment), même si les très beaux dessins et la jolie relation mère/fille entre Perséphone et Déméter, eux, restent appréciables universellement. L'album vaux 3,5 à mes yeux, d'un regard adulte je l'arrondirais sans doute à 3 étoiles (bon mais trop convenu) mais je préfère privilégier le point de vue du public cible et l'arrondir à 4 étoiles.
Nietzsche
Quelle dose de vérité l’homme peut-il supporter ? - Ce tome contient une biographie du philosophe Friedrich Nietzsche (1844-1900) qui s’apprécie mieux avec une connaissance superficielle de son œuvre. La première édition date de 2010. Il a été réalisé par Maximilien Le Roy pour les dessins et l’adaptation, d’après le script cinématographique L’innocence du devenir, la vie de Frédéric Nietzsche, de Michel Onfray. Pour réaliser ce projet, le bédéiste a effectué un voyage en train à travers l’Allemagne, la Suisse et l’Italie, sur les traces du philosophe allemand. Naumburg, en Allemagne, en 1896, Friedrich Nietzsche est confortablement installé dans une chaise longue sur la terrasse, les yeux ouverts droit devant lui, protégés par ses épais sourcils, comme des rappels de son épaisse moustache. Röcken, en Allemagne, en 1844, Karl-Ludwig Nietzsche joue du piano, écouté par son fils. Quelque temps a passé, les enfants jouent dans la cour sous le regard attentif de leur mère Franziska. Le père sort de la maison en titubant. Il se tient au bouton de la porte, mais la douleur au crâne est trop forte et il tombe au sol. Le trente juillet 1849, le père est allongé sur son lit de mort, veillé par son épouse ; leur jeune fils regarde le défunt avec calme et curiosité. Dans l’église, il éprouve la sensation que le monde est en noir et blanc et qu’une ombre menaçante vient le chercher, s’insinue dans son esprit. Un peu plus tard, le garçon raconte son cauchemar à sa mère : Papa a pris Joseph dans ses bras, puis il l’a emporté avec lui dans sa tombe. La maman lui conseille de ne plus y penser : c’est un mauvais rêve, un vilain cauchemar. Elle porte son fils sur le bras droit, et sa fille sur le bras gauche, et elle les emmène jouer dans le jardin. Le quatre janvier 1850, la famille se recueille devant un autre lit de mort. En 1851, le petit garçon commence à son tour à jouer du piano. En 1853, la famille a déménagé à Porta. À l’école, Friedrich discute avec un camarade de classe de l’histoire de Mucius Scaevola, qui aurait mis sa main dans le feu pour montrer à ses ennemis qu’il n’a pas peur de la mort et de ce qu’ils pourront lui faire. Friedrich indique qu’il y croit, que ce n’est pas une fable. Pour lui, les Romains n’aimaient pas les fables, ils aimaient l’héroïsme, et puis la grandeur d’âme. Pour appuyer ses affirmations, il saisit un charbon dans le poêle. Le maitre intervient en lui disant qu’il n’a rien dans la tête. Un autre jour, par une belle après-midi, le maître emmène la classe se baigner dans la rivière proche. Quelque temps plus tard, le jeune Friedrich indique à sa mère qu’il ne voudrait pas lui faire de peine, mais il a bien réfléchi et il croit qu’il ne sera pas pasteur. Il croit toujours en Dieu, mais il préfèrerait être compositeur. Sa mère lui répond que ce n’est pas un métier, lui fait observer qu’il peut être pasteur et que rien ne l’empêchera de composer de la musique et d’en jouer en plus de sa charge. Elle le convainc de continuer ses études. Tout jeune homme, il prend l’habitude de se promener dans les bois, parfois assailli par un terrible mal de crâne. Dans le court paragraphe de présentation de l’artiste, il est indiqué que Maximilien Le Roy s’est demandé deux ans durant comme effectuer la jonction entre l’univers de ce philosophe et le dessin, et que l’opportunité s’est présentée sous la forme du script de Michel Onfray. Il se retrouve ainsi sous la double pression de faire honneur à Nietzsche et de ne pas déformer la pensée d’Onfray au travers de la présentation du philosophe. Le lecteur s’interroge sur le dosage que le bédéiste va effectuer entre des faits purement biographiques et la présentation des concepts du philosophe. Mis à part la première page, la narration suit rigoureusement l’ordre chronologique de la naissance à la mort de Nietzsche. Elle le suit à chaque nouvelle étape : à partir de Röcken en 1844, puis Pforta en 1853, Bonn en 1868, Cologne, chez les Wagner à Tribschen en Suisse en 1870, dans le canton des Grisons en Suisse, à Bâle en février 1875, à Engadine en Suisse, à Naumburg en Allemagne, à Venise en mars 1880, un nouveau séjour à Naumburg, à Gênes en Italie, dans la pension de famille à Sils-Maria dans la Haute-Engadine en Suisse en août 1881, au théâtre Politeama à Gênes en novembre 1881, à Rome en avril 1882, à Sorrente en Italie, de nouveaux séjours à Venise, à Naumburg, à Sils-Maria, à Leipzig en Allemagne, à Nice en février 1888, à Turin en janvier 1889, et enfin dans une clinique psychiatrique de Bâle en Suisse. L’artiste a l’art et la manière de représenter chaque endroit en quelques traits, avec une ambiance lumineuse différente à chaque fois. Le lecteur suit donc le philosophe dans ses pérégrinations au fur et à mesure de sa carrière. L’enjeu pour les auteurs réside dans le fait de faire s’incarner un individu qui pour la majorité se résume à un nom et une philosophie radicale, pas forcément accessible sans passeur, tout en étant toujours d’actualité. La première page permet de rattacher la suite à l’image retenue par la postérité : en particulier cette moustache si abondante. Suivent cinq pages silencieuses, où la narration est portée par les images. L’artiste montre quatre moments significatifs ou emblématiques dans la vie de Friedrich. Son père jouant du piano, et souffrant déjà de maux de tête, un signe annonciateur de ce qui attend son fils. La fascination du jeune garçon pour un papillon dans la cour. Le père chutant lourdement en sortant de la maison, et son lit de mort. Le dessinateur détoure les éléments graphiques par un trait fin, un peu tremblé, ajoutant des textures soit par l’encrage avec des zones irrégulières, soit avec des traits secs, ou encore des traces de crayon à papier. Il en découle une sensation assez organique, et directe, avec la capacité de saisir des moments fugaces. Il réussit ainsi un dosage élégant entre le descriptif et l’impression donnée. Par exemple, il réalise une vue globale et éloignée d’une ville dans le canton des Grisons en Suisse : le lecteur perçoit bien les maisons étalées dans la vallée, les montagnes aux pentes douces, les sapins. S’il regarde de plus près il constate que le détourage se fait par des traits rapides, non repassés ou lissés, que les maisons correspondent plus à une impression, habilement rehaussée par les touches de couleurs, qu’à une représentation minutieuse et fidèle. Progressivement, il s’avère que le bédéiste met en œuvre de nombreuses techniques graphiques pour donner plusieurs dimensions à son récit. Il a pris le parti de montrer ses personnages, sans texte explicatif, laissant le lecteur comprendre par lui-même ce qui leur arrive, ou s’interrogeant sur le sens qu’il faut donner à un regard à une attitude. Il voit le père de Friedrich se prendre la tête entre les mains et chuter : il se doute qu’il s’agit d’une douleur fulgurante au cerveau, s’il est familier avec la santé du philosophe, il fait le lien avec ses violents maux de tête et ses troubles visuels. Tout du long de la bande dessinée, le motif des maux de tête revient régulièrement, toujours sous forme visuelle, le lecteur pouvant voir Nietzsche se tenant la tête entre les mains, ou prostré par la douleur. L’intensité de la crise peut également être soulignée par la mise en couleur : naturaliste, ou en noir & blanc pour montrer la perte de nuances, ou encore avec un envahissement des cases par le jaune avec un peu de rouge pour évoquer l’intensité de la souffrance. À d’autres moments, le lecteur peut se perdre en conjectures quant à ce que pense un personnage : dans la première planche quand Nietzsche regarde au loin, en page cinq quand la mère regarde ses enfants jouer. L’artiste utilise également d’autres types de changements de registres graphiques, par exemple en passant en noir & blanc en 1850 quand le frère de Friedrich meurt et qu’il rêve qu’une tombe s'ouvre rapidement et que mon père apparaît marchant dans son linceul, traverse l'église et revient bientôt avec un petit enfant dans les bras. Il peut recourir également à des éléments graphiques comme une portée de musique courant en arabesque d’une case à l’autre pour indiquer qu’un personnage joue du piano. Dans un premier temps, le lecteur se trouve rassuré par cette narration très factuelle, les dessins montrant clairement chaque action, chaque situation. Toutefois il se rend compte que l’auteur fait usage de quelques raccourcis, s’appuyant sur la connaissance préalable du lecteur. Ainsi, en page dix, Friedrich se recueille devant un autre lit de mort, sans précision explicite de qui il s’agit, étant entendu que le lecteur doit en déduire par lui-même qu’il s’agit du petit frère. En page vingt et vingt-et-un, il se rend dans une maison de tolérance, dans deux pages dépourvues de mots ; le lecteur en fait une interprétation assez différente en fonction de ce qu’il sait de cet épisode au préalable. La page vingt-deux est également dépourvue de mots : Nietzsche entreprend la lecture de Le monde comme volonté et comme représentation (1818, Die Welt als Wille und Vorstellung), d’Arthur Schopenhauer (1788-1860), sans développement sur le fond de cet ouvrage, juste quelques observations de Nietzsche après coup. Sur le même plan, l’auteur ne précise pas toujours les noms des personnages, charge au lecteur d’être capable de replacer Heinrich Köselitz (1854-1918, Peter Gast) et Richard Wagner (1813-1883). Au vu de l’ampleur des ellipses, la relation entre le philosophe et le compositeur ne se devine qu’en pointillé. Il ne donne que le prénom de la petite Russe : Lou, à nouveau la compréhension du récit s’en trouve améliorée quand on sait qu’il s’agit de Lou Andreas-Salomé (1861-1937). Il en va de même avec la composition de la biographie. Michel Onfray fait se relier des situations de la vie de Nietzsche avec des éléments de sa philosophie à venir. L’observation du papillon renvoie à une citation devenue célèbre, dans ses œuvres. Les principaux concepts du philosophe sont rapidement évoqués au fur et à mesure de sa vie, et de la rédaction de ses ouvrages : le rejet du dogme catholique, l’éternel retour, le surhumain, le chaos à porter en soi pour pouvoir donner naissance à une étoile dansante, etc. Le lecteur néophyte peut saisir le cheminement qui aboutit à ces notions, elles ne font toutefois pas l’objet d’un développement ou d’une explication. L’objectif de cette bande dessinée réside dans la mise en scène de la vie du philosophe, et la formulation chronologique de ses principales théories, pas dans un cours de philosophie présentant et expliquant la notion d’Éternel Retour par exemple. Le lecteur s’attache à cet homme taciturne et tourmenté, en souffrance chronique, qui se définit comme un sismographe d’émotions. Se familiariser avec l’œuvre de Friedrich Nietzsche peut apparaître intimidant pour le néophyte. Cette bande dessinée a été adaptée d’un script écrit par Michel Onfray qui a consacré trois ouvrages au philosophe : La Sagesse tragique - Du bon usage de Nietzsche (2005), L'Innocence du devenir : La Vie de Frédéric Nietzsche (2008), Bestiaire nietzschéen : Les Animaux philosophiques (2014). Le bédéiste effectue un travail d’adaptation élégant et sophistiqué, aboutissant à une vraie bande dessinée, aérée, tout en tenant un propos dense. Cette lecture s’apprécie mieux avec un minimum de connaissance préalable sur Nietzsche ou en se référant, pendant ou après coup, à une encyclopédie.