Une guerrière à l'épée, plus sophistiquée qu'il n'y paraît.
-
Plusieurs histoires d'une série indépendante de toute autre : les aventures de Marada parues dans les numéros 10, 11, 12, 22 et 23 du magazine Epic illustrated, initialement publiées en 1982 et 1984. Le scénario est de Chris Claremont, les dessins, l'encrage et la mise en couleurs sont réalisés par John Bolton. Au départ, cette histoire mettait initialement en scène Red Sonja puis elle est devenue une création originale.
The shattered sword (39 pages) - Au troisième siècle avant Jésus Christ, dans l'Empire Parthe, une caravane organisée par le tribun Gaius Marcellus Fulva est attaquée par une petite troupe menée par Donal mac Llanllwyr. Dans le palanquin de la caravane, il découvre une belle femme aux cheveux d'argent qu'il reconnaît comme étant Marada, une guerrière redoutable et renommée. À sa grande surprise, Marada est apeurée et ne fait montre d'aucun esprit combatif. Après le pillage, mac Llanllwyr trace un sigil dans les airs, permettant à sa troupe et lui de se retrouver dans leur repère, une cité taillée dans le roc des côtes anglaises. Dans le palais, Marada reste submergée par la peur et elle finit par raconter son histoire à Llanllwyr, comment elle s'est retrouvée captive du sorcier Simyon Karashnur qui l'a offerte au démon Y'Garon. Elle se lie également d'amitié avec Arianrhod, sa fille.
Royal hunt (19 pages) - Quelque part dans un territoire désertique de l'Afrique de l'Est, Marada et Arianrhod tombent dans une embuscade et sont capturées par les troupes de la reine Candance. Celle-ci leur explique qu'elle a l'habitude de se livrer à l'art de la chasse, avec une proie humaine. Marada et Arianrhod bénéficient de 2 heures d'avance sur la reine.
Wizard's masque (37 pages) - Marada et Arianrhod voyagent à bord d'un navire pour rallier Rome. Arianrhod lance un sort pour essayer de les transporter par magie au château de son père. Manquant de pratique, son sort a pour effet de transporter Marada sur un autre navire qui vogue vers la cité de Djeriabar où elle sera, contre sa volonté, l'hôte du magicien Jaffar Ibn Haroun Al-Rashid.
L'introduction (édition VO) comprend un dessin en noir & blanc (première version de l'une des pages de la première histoire) où l'héroïne porte le bikini en métal, caractéristique de Red Sonja. Il s'agit donc bien à la base d'un projet avec ce personnage qui a été retravaillé en cours de route (la petite histoire veut que la mise en chantier du film Red Sonja - avec Brigitte Nielsen et Arnold Schwarzenegger - ait jeté le doute sur le droit de Marvel à utiliser ce personnage) pour laisser place à Marada. À la lecture, il est possible de constater le point commun évident, dans les deux cas il s'agit d'une femme habile à l'épée, indépendante, capable de défaire les meilleurs bretteurs masculins en combat singulier. Mais la similitude s'arrête là, car dès le départ Claremont stipule clairement que les aventures de Marada se déroulent dans le contexte historique de l'empire romain, et non dans le royaume fictif d'Hyperborée. En outre il se paye le toupet de montrer Marada comme une femme soumise et craintive dans sa première apparition. On est loin de la fougueuse et insoumise Red Sonja.
Il faut donc plusieurs scènes avant que Marada ne retrouve les caractéristiques d'une héroïne d'Heroic-Fantasy. Si elle se révèle habile et létale dans son maniement de l'épée, elle n'en devient pas pour autant une pourfendeuse d'ennemis à la chaîne. Claremont lui insuffle un minimum de personnalité, et de chaleur humaine envers son prochain. Il lui a concocté un événement particulièrement traumatisant expliquant son changement de caractère, ayant un impact durable tout au long de ces pages. Il ne s'agit donc pas d'une simple succession de courses poursuites, entrecoupées de combats contre des monstres, des magiciens et des mercenaires patibulaires. Il utilise bien les conventions du genre avec méchants sorciers et monstres immondes et agressifs. Il peut même se permettre d'être un peu plus explicite que dans un comics de Red Sonja, avec une femme violée par un démon. Mais il peut aussi montrer que Marada est vulnérable de plusieurs façons, et qu'elle peut même sourire et apprécier la vie (dans la dernière histoire), voire être amoureuse.
La relative brièveté de chacune des aventures ne permet pas à Claremont de développer des intrigues ambitieuses, et la narration ne se focalise pas sur la psychologie des personnages. Il emploie avec une certaine libéralité les bulles de pensées pour que les personnages puissent exposer de manière explicative leurs réflexions, leurs préoccupations. Néanmoins il insuffle suffisamment de personnalité pour que ses récits s'élèvent au dessus de la production de masse mensuelle. Il bénéficie également d'un dessinateur d'exception.
Marada est un travail de jeunesse de John Bolton, pourtant sa méticulosité est déjà bien présente. Les deux premières histoires avaient à l'origine été réalisées en noir & blanc et elles ont bénéficié d'une mise en couleurs à posteriori, réalisée par Bolton lui-même. Pour le lecteur qui a déjà eu la curiosité de regarder ces planches en noir & blanc (sur internet), il pourra regretter que la couleur masque la finesse des dessins. Pour les autres lecteurs, ils découvriront une mise en couleurs naturaliste et nuancée. La dernière histoire a été conçue et réalisée directement dans l'optique de la couleur, avec un degré de sophistication nettement supérieur.
Pour ces planches, John Bolton fait preuve dès la première page d'une proche ambitieuse, ne reposant pas uniquement sur une réalisation à gros budget. Il dessine les personnages, les animaux et les environnements de manière naturaliste, avec un grand niveau de détails, sans pour autant rechercher un rendu photoréaliste. L'histoire commence par un dessin pleine page dans lequel des hommes à cheval progresse en colonne dans un désert de sable. La couleur rend bien la teinte sablonneuse, les pattes des chevaux soulèvent de petits nuages de sable, les cavaliers ont des tenues légères (qui ne les protègent pas du soleil), les chevaux portent des harnais raisonnablement ouvragés, le palanquin est doté de tentures avec motif. Tout au long de ces pages, le lecteur pourra se régaler de l'attention portée aux tenues vestimentaires variées et sophistiquées, entre véracité historique et fantaisie imaginative. Il pourra facilement se projeter dans les lieux, que ce soient les superbes pentes verdoyantes aux abords de la citadelle de LLanllwyr, les bains chauds souterrains, la sombre forêt entourant le repère de Karashnur, le désert brûlant de Candance, ou encore l'île méditerranéenne de Djeriabar. Il pourra également apprécier la diversité des morphologies des personnages, ainsi que leur visage expressif (même s'il est patent que Bolton s'est fortement inspiré de Kulan Gath de la série "Red Sonja, pour l'apparence de Karashnur). Il pourra également identifier quelques clins d'œil adressés par Bolton à ses références (de Russ Heath à Paul Gulacy, en passant par Frank Frazetta et John Buscema). La progression de Bolton au long de ces pages aboutit au dernier épisode, totalement enchanteur dans sa maîtrise graphique, rehaussant une description réaliste des lieux et des personnages par des touches fantastiques tout en retenue, avec un encrage délicat (évoquant un peu le doigté de Charles Vess), et une savante mise en couleurs.
Chris Claremont et John Bolton s'inspire de Red Sonja pour créer leur propre personnage totalement original, progressant d'histoire en histoire, pour finir par une merveille d'aventure légère et sophistiquée, à l'opposée des stéréotypes et des clichés du genre. Ils ont ensuite collaborés sur The Black Dragon (1985). Ils ont également réalisé des histoires courtes des X-Men, regroupées sous le nom de X-Men vignettes.
Une série courte mais touchante.
L'histoire est celle de Momo, hébergée chez sa grand-mère en attendant que son père revienne d'un voyage en mer. C'est de la tranche de vie dans un village en bord de mer, avec les amours de jeunesses, les jeux enfantins, les rencontres, les situations familiales compliquées, les drames aussi, le tout du point de vue d'une petite fille de 5 ans. Simple mais humain.
Sans vous en dire trop, il y a un développement important à la fin du premier album et je trouve que le traitement des conséquences au second tome assez bien fichu. Touchant, vraiment, c'est le mot.
Même les personnages secondaires sont bons : la grand-mère tentant tant bien que mal de s'occuper seule de sa petite fille, le poissonnier qui s'amuse de manière un peu mesquine avec Momo mais l'apprécie sincèrement, la jeune citadine en vacances qui s'attache à Momo, le jeune loubard sympathique, l'ermite en bord de forêt, le petit garçon jouant avec Momo, ... ce petit village est vivant et attachant. Il se dégage un vrai sentiment de nostalgie à la lecture.
Le dessin est joli, le rythme est bon, la lecture agréable, ...
Bonne lecture jeunesse, recommandée à tout âge.
(Note réelle 3,5)
Même si le nom d'Eadwaerd Muybridge ne vous dit rien, vous avez sans doute déjà vu ses œuvres, ces fameuses séries de photos décomposant le galop d'un cheval, la marche d'un homme ou d'autres mouvements d'êtres vivants. Je les avais vues sans réaliser qu'elles avaient eu une telle place dans l'histoire de la photographie et du cinéma, ni qu'elles dataient d'il y a aussi longtemps.
Si cet ouvrage est une biographie, c'est aussi une vraie tranche d'histoire, aussi bien celle du monde occidental dans la seconde moitié du 19e siècle que celle de ses avancées technologiques. Nous y suivons Eadwaerd Muybridge parti s'installer aux USA en quête de la fortune, sans bagage scientifique particulier. Après plusieurs années à tenter de vivre de la vente de livres, sur la côte Est puis en Californie, les évènements vont l'amener à croiser la route de la photographie naissante qui est alors en plein essor. S'engageant dans ce métier, il se lasse vite des simples portraits figés que la technologie balbutiante permet et va devenir célèbre en parcourant la nature américaine avec son matériel pour ramener aux citadins des vues du monde qui les entoure. Faisant la rencontre du richissime Leland Stanford, ils vont s'associer pour relever un défi que la technologie photographique de l'époque ne permettait pas encore : prendre en photo sur le vif le galop d'un cheval pour prouver que ses sabots quittent tous le sol à un moment donné, ce que l'oeil humain ne permet pas de voir.
A la fois enthousiasmé par la découverte de la naissance de la photo puis du cinéma et des détails techniques et autres anecdotes qui leur ont permis de progresser, mais aussi par l'histoire de l'Amérique pionnière de cette époque et de son rapport avec une Europe alors à son apogée culturelle et scientifique, j'ai été captivé par cette BD. Elle évite tous les pièges des biographies académiques et ennuyeuses. Il faut dire que la vie de Muybridge est assez incroyable, variée et aventureuse. Même si l'homme n'est pas des plus charismatiques (il a quand même assassiné l'amant de sa femme, négligeant par ailleurs égoïstement un mariage dont il semblait bien se foutre), il a vécu tant de choses et été un tel rouage dans l'évolution de la technologie d'alors que c'en est passionnant. L'auteur fait en outre le choix d'élargir grandement le cadre de son récit en y intégrant des éléments extérieurs qui finalement auront leur impact sur la vie du personnage et sur son ouvrage. J'avais lu il y a peu de temps la biographie d'Alice Guy qui racontait les débuts du cinéma. Eh bien avec Pour une fraction de seconde, j'ai eu le sentiment d'avoir découvert la période précédente, celle qui a mené jusqu'à Alice Guy, qui est d'ailleurs mentionnée en fin d'album ainsi que tous les autres grands noms de scientifiques et d'artistes liés de près ou de loin à l'essor de la photographie et du cinéma. J'ai appris énormément de choses tout en ayant été transporté dans un récit prenant, clair et bien rythmé.
Très chouette biographie sur un homme et sur une technologie en général.
L'avis de Ro avait attiré mon attention sur ce manga que je ne connaissais pas et je suis bien content d'avoir découvert cette série.
Cela semble commencer comme une comédie romantique un peu banale mettant en vedette un triangle amoureux comme il y en a des centaines au Japon, mais très vite le lecteur s'aperçoit que le scénario est plus profond que ça. L'auteur va traiter de différents thèmes tout le long de la série qui touche les adolescents japonais qui vivent dans une société rigide qui prône le conformiste, la réussite scolaire et qui est conservateur sur le rôle des hommes et des femmes dans la société. Les personnages sont complexes et terriblement attachant. Le dessin est très bon.
Cela dit, il y a quelques longueurs je trouve, notamment dans les derniers tomes. Il y a quand même un moment où pendant plusieurs chapitres les personnages font des longs discours sur plusieurs sujets (notamment la difficulté des gars et des filles à être juste amis). J'avais rien contre les moments où les persos faisaient des monologues lorsque c'était à petite dose, mais là je commençais à trouver le temps un peu long. La fin est un peu expédiée aussi, mais bon cela reste un shonen qui sort du lot et traite de sujets qu'on voit rarement dans un shonen paru sur un support mainstream de manière mature.
Avec Sibylline, Sixtine Dano propose un récit à la fois intime et sincère, explorant le quotidien d’une jeune femme qui exerce l’activité d’escort pour financer ses études. Loin de tout voyeurisme, la BD nous plonge dans la complexité des émotions et des réflexions. Le scénario se lit comme une confidence : on y découvre les aspirations, les doutes et les moments de grâce d’une héroïne en quête de sens et d’équilibre.
Le style graphique en noir, blanc et nuances de gris confère une atmosphère sobre et délicate, qui met en valeur les expressions et les sentiments des personnages. Les planches jouent habilement avec l’ellipse et les silences, offrant un rythme contemplatif, presque poétique.
Si le sujet peut sembler délicat, l’autrice aborde la question de la sexualité et de l’intimité avec justesse, sans jugement. L’ensemble donne une BD touchante et intelligente, où la dimension humaine prime avant tout. Pour les lecteurs en quête d’une œuvre mature et sensible, Sibylline – Chroniques d’une escort girl constitue une belle découverte.
Un road trip assez prenant entre deux femmes, toutes deux fuyant quelque chose, chacune cherchant un peu à retrouver son chemin avec l'autre. Comme souvent dans ce genre de récits, le sujet central est l'âme humaine, les propos de fond sont durs et viscéraux, on se permet de beaux moments de silence et de contemplation, et surtout on laisse une grande part à l'imagination. Ici encore davantage, d'ailleurs, car le récit prend rapidement un tournant très imagé, métaphorique et poétique, avec cet étrange chat qu'il faut ramener à une ville qui n'existe pas et ces routes semblant symboliser la liberté et les chemins de vie de manière un peu plus concrète que prévu.
La forme est fluide et agréable, les trois cents pages se lisent très vite, le texte est plutôt bien trouvé et le dessin est simple mais beau. J'aime beaucoup les jeux d'ombrages et d'éclairages dans cette mise en scène, il y a des beaux jeux de contrastes par moments.
Les road trips ne sont pas nécessairement mon genre narratif préféré et les grands espaces américains me laissent sincèrement de marbre, mais le propos de l'œuvre a su m'atteindre.
L'histoire est dure, belle et réflexive, j'ai passé une très bonne lecture, quand bien même je suis sûre qu'une partie non négligeable de la métaphore finale m'a échappée (frustration, quand tu me tiens...).
Je recommande chaudement la lecture, mais je me sens obligée de mettre en garde car je pense que ce récit ne plaira certainement pas à tout le monde.
Au travers de cette histoire, Lax rend hommage aux passeurs de connaissances. Dans les montagnes françaises au XIXème siècle, puis dans celles de l’Afghanistan au siècle suivant, nous suivons deux hommes qui luttent contre l’obscurantisme (singulièrement essentiellement religieux à chaque fois) et cherchent à émanciper les populations en apportant l’école, les livres ou les lettres, dans des régions reculées.
Le propos est noble, et Lax nous brosse le portrait d’obscurs héros, avec pour faire le lien entre ces deux personnages une femme, descendante du premier, et amie du second. Et quelque autres sujets abordés (comme le rôle de la NRA aux États-Unis).
Comme d’habitude, le dessin de Lax est beau et très agréable. Il accompagne très bien ce récit que j’ai bien aimé. Un récit qui se déroule sur un rythme assez lent. Mais on ne s’ennuie jamais.
Une lecture très recommandable ! Et qui résonne aujourd’hui plus fort, à l’heure où les Talibans rendent impossible toute émancipation par l’enseignement libre en Afghanistan. Ou alors que Donald Trump supprime des milliers de postes dans le ministère de l’éducation américain (tout en renforçant la censure de milliers d’ouvrages). Le message véhiculé par l’album de Lax est hélas encore nécessaire à défendre.
L'album nous raconte la jeunesse de son autrice, Cece Bell, qui a perdu l'audition suite à une méningite. L'histoire est celle de son rapport au monde, de ses liens avec ses proches, de son besoin affectif et de la réapropriation de l'image qu'elle renvoie aux autres.
Le récit est très personnel (normal vous me direz, il s'agit d'une autobiographie), les situations et émotions complexes que vit (subit même) Cece sont rendues de façon très facilement compréhensible et touchent. L'ostracisation presque inconsciente des gens à son égard, les questions et commentaires déplacés, les efforts et contraintes qu'elle s'impose dans le simple but de se faire accepter/de rentrer dans le moule, la peur d'être perçu-e comme différent-e et d'être rejeté-e, la grande difficulté pour trouver des ami-e-s sincères qui lui veulent du bien, la discrimination positive, ... tous ça sont des problèmes quasiment universels pour toutes les personnes étant touchées par un handicap dans nos sociétés (et facilement compréhensible par toute personne douée d'empathie basique).
L'album m'a touché. D'une part parce que, même sans être sourde, j'ai personnellement vécu des situations similaires à la jeune Cece, mon enfance et mon adolescence ayant été une successions de tentatives de relations amicales catastrophiques et d'ostracisation au mieux maladroite par mes camarades de classe (que voulez-vous, les gens n'ont qu'à naître comme tout le monde) ; d'autre part car ma sœur a été hospitalisée il y a tout juste trois mois pour une méningite et qu'elle a failli y passer, donc apprendre un peu plus sur les séquelles dramatiques que peut produire cette maladie m'intéresse et me terrifie sincèrement.
J'ai beaucoup aimé que l'album déconstruise certains mythes autour de la surdité, comme le fait que la lecture sur les lèvres n'est en réalité pas un superpouvoir mais une capacité très faillible dépendant énormément de l'articulation de la personne et surtout de la bonne visibilité des lèvres (sans oublier le fait que beaucoup de sons se ressemblent), ou encore rappelle que les appareils auditifs coûtent cher (surtout aux États-Unis) et que les personnes non-concernées devraient particulièrement en prendre soin (si l'appareil casse, c'est l'autonomie de la personne qui se retrouve impactée).
Le dessin est simple, peut-être simpliste pour certain-e-s, mais je trouve que ce style relativement enfantin marche pour illustrer cette histoire sur l'enfance.
Une lecture conseillée, surtout pour quiconque aimerait en apprendre davantage sur l'expérience au quotidien de jeunes personnes touchées par la surdité.
(Note réelle 3,5)
Europe ne comprend pas grand-chose à tout cela.
-
Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2000. Il a été réalisé par David B. (Pierre-François Beauchard) et Joann Sfar qui ont réalisé le scénario à quatre mains, ainsi que les dessins. Les couleurs ont été réalisées par Brigitte Findakly & Delphine Chedru. Il compte quarante-six planches de bande dessinée.
Chapitre un : le dompteur effacé. Un cirque installé sur une grande place de la ville d’Urani, capitale d’un pays des confins de l’Europe pris entre les empires allemand et russe. Le professeur Odin, en habit de dompteur, dit au revoir aux tigres dans la cage. Il leur explique que c’est fini, que les tueurs de l’Ermite ont retrouvé sa trace, il doit les quitter. Il partirait bien en leur laissant la porte ouverte, mais ça ne se fait pas. Odin retourne dans sa roulotte où se trouvent d’étranges appareils technologiques. Dans son for intérieur, il se dit qu’il n’a pas le temps de cacher tout ça. Ce n’est pas grave : personne n’arrivera jamais à faire fonctionner ses inventions, il dépasse les meilleurs savants de plusieurs cerveaux. Il a dû sacrifier un œil pour acquérir la connaissance. Il décide que le temps est venu pour lui de disparaître, littéralement. Grâce à un objet mécanique, il commence par effacer son ombre. Puis il efface son reflet dans le miroir, ce qui lui fait quand même une sale impression. Enfin, il se rend invisible et il s’en va. Dans la cage, un des tigres se redresse sur ses antérieurs, et il décide d’aller voir ce qui passe, tout en collant une mandale à un autre tigre qui est sur son passage. En humant l’air, il se rend compte que la roulotte est vide. Il voit arriver un groupe de gens louches, il se cache, et il s’en va discrètement après les avoir laissé passer. Il a reconnu les tueurs au service de l’Ermite.
Chapitre deux : Le Diable Ermite. Dans sa planque, l’Ermite converse avec son second Igor, attablé et s’apprêtant un manger un poulet. L’Ermite a compris : il ne sort plus, plus de boîtes, plus de cercle de jeu, plus de grosses voitures, ni de prostituées à chaque bras. Il occupe son temps à réfléchir. Il réfléchit sur le mal. C’est fascinant le mal. Il explore le mal. Un peu plus chaque jour et il n’en revient pas. Depuis qu’il s’est retiré du monde, les affaires tournent toutes seules. Personne ne le voit plus mais on sait qu’il est là. Il fait encore plus peur. On l’a surnommé le Diable Ermite. Un homme de main remarque qu’Europe, une grande femme à la peau jaune, est entrée dans le bar. Il la menace avec son pistolet. Elle indique à l’Ermite qu’il n’était pas bien caché, tout en avançant. Elle flanque un grand coup dans le menton du porte-flingue, lui brisant la nuque. Puis elle déchire la gorge d’Igor d’un grand coup d’ongle, et elle avance sur l’Ermite. Celui est resté calmement attablé. Il s’adresse à Europe en lui disant que si elle le voulait mort, il le serait déjà. Il se rend, elle peut appeler la police. Il plaisante : veut-elle de la monnaie pour le téléphone ? Ermite répond qu’ils sont déjà en route. Le commissaire apprend à Europe que la police a coffré une des équipes de l’Ermite au cirque de l’Est, et qu’ils ont raconté une histoire bizarre : Odin le savant se cachait au cirque dans la peau d’un dompteur.
Une couverture composite mettant en avant les deux personnages principaux, le professeur Odin et Europe, l’un avec un pistolet à la main, l’autre peut-être dépourvue de vêtement, un groupe de gugusses patibulaires, et des bâtiments d’inspiration Europe de l’est. Le lecteur peut penser à un une série richement peuplée, intitulée La ville des mauvais rêves, dont le premier tome serait Urani. Le récit est découpé en quatorze chapitres plus un interlude, de longueur variable entre deux et quatre pages. Le lecteur peut noter des différences graphiques entre des chapitres : les contours un peu plus arrondis à la fois des formes et des aplats de noir pour David B., le trait plus rugueux et nerveux de Joann Sfar donnant l’impression d’aplats de noir déchiquetés. S’il y éprouve de l’intérêt, il peut ainsi attribuer tel chapitre à tel créateur et tel autre au second. Il se dit que chaque auteur a réalisé l’ensemble de ses chapitres : dessins et scénario. Il remarque également une différence de traitement dans la mise en couleurs : Brigitte Findakly utilise plus volontiers des teintes vives avec de très forts contrastes, Delphine Chedru développe une palette de couleurs plus proches entre elles. Dans un premier temps, il apparaît que chaque auteur met en scène un personnage principalement : le professeur Odin pour David B., et Europe pour Joann Sfar, les personnages secondaires comme Le Tigre et l’Ermite pouvant passer d’un fil narratif à l’autre.
Tout commence avec un professeur inventeur de génie qui fuit un cirque dans une ville de l’Europe de l’Est, sans date précise. L’interlude présente la ville d’Urani : Capitale d’un pays des confins de l’Europe, pris entre les empires allemand et russe, impliqué dans toutes les guerres du passé. La présentation continue : Depuis que le pays a adhéré à la Communauté européenne et à l’Otan, Urani a pris une importance stratégique, la population de la ville est à dominante balte, mais il y a également beaucoup de Slaves et de Scandinaves, son port sur la baltique connaît un regain d’activités. Les auteurs évoquent ses bas-fonds, la présence d’organisations criminelles du monde entier, de nombreux services de renseignements, les souterrains qui se déroulent à infini comme les entrailles d’un organisme, et le fait que c’est la seule capitale au monde à avoir un cimetière comme centre-ville : il paraît que cela a une influence sur la mentalité de ses habitants, les mauvais rêves y seraient plus fréquents qu’ailleurs. Le lecteur se dit que les scénaristes ont conçu un cadre permettant de développer toute une série, la ville assurant le rôle de personnage récurrent. Pour autant, il s’agit d’un album contenant une histoire complète pour elle-même, sans suite. Au vu des éléments de genre de ce récit et de l’ambiance entre thriller policier et onirisme mythologique, le lecteur peut le rapprocher d’un hommage ultérieur de David B. : Nick Carter et André Breton - Une enquête surréaliste (2019).
Cette bande dessinée raconte une histoire au premier degré : un inventeur de génie qui a conçu et construit un robot humanoïde, destiné à devenir le premier d’une armée de supersoldats, et qui a décidé de disparaître lorsqu’il a compris l’usage qui en serait fait. Plusieurs groupes d’intérêts différents sont à sa poursuite pour le convaincre ou le contraindre à travailler pour eux. En parallèle, Europe, son invention, sa créature, est à sa recherche de manière indirecte. S’il s’attache à cette intrigue, le lecteur risque de rester sur sa faim car sa résolution semble être mise de côté : il se demande si les deux scénaristes ont travaillé en construisant une idée de départ, un principe pour la dynamique du récit, puis ont écrit sous une forme itérative, chacun écrivant son chapitre après avoir lu le précédent, sans plan d’ensemble préalable, en recourant pour partie à une forme d’écriture automatique déclenchée par la partie précédente et canalisée dans une forme narrative d’aventure. Il s’en trouve d’autant plus impressionné que la sensibilité narrative des deux auteurs s’avère très proche, en phase, que ce soit pour le mélange de polar et d’onirisme, ou pour la narration visuelle. À l’évidence, ils se sont coordonnés sur l’apparence des personnages qui passent d’un fil narratif à l’autre, pour les deux personnages principaux, pour l’Ermite, un peu moins pour le Gitan. La ville d’Urani dégage la même sensibilité sous le crayon de l’un comme l’autre, une belle cohérence sophistiquée, conservant des caractéristiques propres à l’un et à l’autre.
Le lecteur se laisse emporter par la dynamique de la fuite en avant pour Odin, et de l’enquête pour Europe. Il apprécie cet équilibre très complexe des dessins, entre naïveté et représentations crues. Cela permet de laisser planer le doute sur la nature réelle du Tigre : vraisemblablement pas un être humain au vu de son anatomie, mais un tigre anthropomorphe, ce qui est cohérent avec la présence d’autres individus aux caractéristiques chimériques. D’ailleurs, il y a en douze autres de représentés sur la deuxième de couverture et la page en vis-à-vis. Urani semble associer des spécificités de ville de la partie Est de l’Europe centrale et des éléments romanesques tels que des repères secrets souterrains. Le récit s’apparente ainsi à un conte : une réalité fantasmagorique, peuplée d’individus chimériques, entre métaphores et allégories. Les auteurs font également des références mythologiques : le nom du professeur Odin et celui-ci explique d’ailleurs qu’il a sacrifié un œil pour acquérir la connaissance, ou encore le thème du créateur et de sa créature comme le monstre de Frankenstein. Ils jouent aussi bien avec une spécificité du pénis du tigre, qu’avec la licence artistique des contes (cette école pour filles dans les bois). Cela donne un récit très riche, déconcertant par ses rapprochements inattendus et ses éléments parfois superflus à l’intrigue, une saveur classique de conte, des situations adultes, le tout propice aussi bien à des instants poétiques, qu’à des prises de conscience métaphysiques.
Une bande dessinée particulière, associant le talent de deux créateurs singuliers : le tout s’avère être au moins égal à la somme des parties. Le lecteur plonge dans un récit entre policier et fantastique, teinté d’onirisme, la narration visuelle portant chacune de ces composantes de manière harmonieuse. Une aventure associant une trame à l’apparence cartésienne à des événements pouvant s’avérer arbitraires, surnaturels ou parfaitement logiques. Une aventure singulière.
Après avoir été littéralement envouté par le magnifique Bluebells wood, j'ai décidé de rattraper mon retard sur l'œuvre de Guillaume Sorel en m'attelant à la lecture de ce one shot.
Ma lecture m'a confirmé tout d'abord que je suis véritablement fan du trait de cet auteur. On sent que Sorel prend plaisir à dessiner les personnages, notamment féminins, et jouent des très belles courbes de l'héroïne et de la transparence de sa courte chemise. La mise en en couleurs monochrome tirant sur le brun est également très originale et colle parfaitement avec la thématique de l’œuvre.
Du point de vue du scénario, si je suis resté légèrement sur ma faim, on ne peut que saluer l'originalité et la poésie de cette histoire de fantôme bloqué dans l"hôtel qui a vu se réaliser son funeste destin. Agrémentée d'extraits de poèmes ou de romans de Rimbaud, Baudelaire ou Caroll, Sorel nous livre différentes scènes à mesure que l'héroïne passe d'un étage à l'autre et s'invite dans la vie des occupants de l'hôtel, passant de scènes tantôt coquasses (la femme et son mari voyeur) tantôt plus macabres (la voisine dévorée par les chats du quartier) voire teintées de fantastique (la jeune fille disparue prise au piège dans une pièce sans issue ou le voisin festoyant avec les personnages imaginaires des romans qu'il possède).
L'ensemble reste malgré tout cohérent, avec en fil conducteur, l'histoire du jeune peintre sans le sou dont notre héroïne s'éprend à mesure qu'elle l'observe. Cette histoire matinée de fantastique, dans la lignée de certaines nouvelles telles que le Horla (que Sorel a d'ailleurs adaptée en bande dessinée) rend ainsi un bel hommage à certains textes de poètes que l'auteur affectionne.
Une œuvre originale à lire voire à posséder si on est fan comme moi du dessin de Guillaume Sorel.
SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 7/10
GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 9/10
NOTE GLOBALE : 16/20
En France, les livres sont au même prix partout. C'est la loi !
Avec BDfugue, vous payez donc le même prix qu'avec les géants de la vente en ligne mais pour un meilleur service :
des promotions et des goodies en permanence
des réceptions en super état grâce à des cartons super robustes
une équipe joignable en cas de besoin
2. C'est plus avantageux pour nous
Si BDthèque est gratuit, il a un coût.
Pour financer le service et le faire évoluer, nous dépendons notamment des achats que vous effectuez depuis le site. En effet, à chaque fois que vous commencez vos achats depuis BDthèque, nous touchons une commission. Or, BDfugue est plus généreux que les géants de la vente en ligne !
3. C'est plus avantageux pour votre communauté
En choisissant BDfugue plutôt que de grandes plateformes de vente en ligne, vous faites la promotion du commerce local, spécialisé, éthique et indépendant.
Meilleur pour les emplois, meilleur pour les impôts, la librairie indépendante promeut l'émergence des nouvelles séries et donc nos futurs coups de cœur.
Chaque commande effectuée génère aussi un don à l'association Enfance & Partage qui défend et protège les enfants maltraités. Plus d'informations sur bdfugue.com
Pourquoi Cultura ?
Indépendante depuis sa création en 1998, Cultura se donne pour mission de faire vivre et aimer la culture.
La création de Cultura repose sur une vision de la culture, accessible et contributive. Nous avons ainsi considéré depuis toujours notre responsabilité sociétale, et par conviction, développé les pratiques durables et sociales. C’est maintenant au sein de notre stratégie de création de valeur et en accord avec les Objectifs de Développement Durable que nous déployons nos actions. Nous traitons avec lucidité l’impact de nos activités, avec une vision de long terme. Mais agir en responsabilité implique d’aller bien plus loin, en contribuant positivement à trois grands enjeux de développement durable.
Nos enjeux environnementaux
Nous sommes résolument engagés dans la réduction de notre empreinte carbone, pour prendre notre part dans la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la planète.
Nos enjeux culturels et sociétaux
La mission de Cultura est de faire vivre et aimer la culture. Pour cela, nous souhaitons stimuler la diversité des pratiques culturelles, sources d’éveil et d’émancipation.
Nos enjeux sociaux
Nous accordons une attention particulière au bien-être de nos collaborateurs à la diversité, l’inclusion et l’égalité des chances, mais aussi à leur épanouissement, en encourageant l’expression des talents artistiques.
Votre vote
L'odyssée de Marada la louve
Une guerrière à l'épée, plus sophistiquée qu'il n'y paraît. - Plusieurs histoires d'une série indépendante de toute autre : les aventures de Marada parues dans les numéros 10, 11, 12, 22 et 23 du magazine Epic illustrated, initialement publiées en 1982 et 1984. Le scénario est de Chris Claremont, les dessins, l'encrage et la mise en couleurs sont réalisés par John Bolton. Au départ, cette histoire mettait initialement en scène Red Sonja puis elle est devenue une création originale. The shattered sword (39 pages) - Au troisième siècle avant Jésus Christ, dans l'Empire Parthe, une caravane organisée par le tribun Gaius Marcellus Fulva est attaquée par une petite troupe menée par Donal mac Llanllwyr. Dans le palanquin de la caravane, il découvre une belle femme aux cheveux d'argent qu'il reconnaît comme étant Marada, une guerrière redoutable et renommée. À sa grande surprise, Marada est apeurée et ne fait montre d'aucun esprit combatif. Après le pillage, mac Llanllwyr trace un sigil dans les airs, permettant à sa troupe et lui de se retrouver dans leur repère, une cité taillée dans le roc des côtes anglaises. Dans le palais, Marada reste submergée par la peur et elle finit par raconter son histoire à Llanllwyr, comment elle s'est retrouvée captive du sorcier Simyon Karashnur qui l'a offerte au démon Y'Garon. Elle se lie également d'amitié avec Arianrhod, sa fille. Royal hunt (19 pages) - Quelque part dans un territoire désertique de l'Afrique de l'Est, Marada et Arianrhod tombent dans une embuscade et sont capturées par les troupes de la reine Candance. Celle-ci leur explique qu'elle a l'habitude de se livrer à l'art de la chasse, avec une proie humaine. Marada et Arianrhod bénéficient de 2 heures d'avance sur la reine. Wizard's masque (37 pages) - Marada et Arianrhod voyagent à bord d'un navire pour rallier Rome. Arianrhod lance un sort pour essayer de les transporter par magie au château de son père. Manquant de pratique, son sort a pour effet de transporter Marada sur un autre navire qui vogue vers la cité de Djeriabar où elle sera, contre sa volonté, l'hôte du magicien Jaffar Ibn Haroun Al-Rashid. L'introduction (édition VO) comprend un dessin en noir & blanc (première version de l'une des pages de la première histoire) où l'héroïne porte le bikini en métal, caractéristique de Red Sonja. Il s'agit donc bien à la base d'un projet avec ce personnage qui a été retravaillé en cours de route (la petite histoire veut que la mise en chantier du film Red Sonja - avec Brigitte Nielsen et Arnold Schwarzenegger - ait jeté le doute sur le droit de Marvel à utiliser ce personnage) pour laisser place à Marada. À la lecture, il est possible de constater le point commun évident, dans les deux cas il s'agit d'une femme habile à l'épée, indépendante, capable de défaire les meilleurs bretteurs masculins en combat singulier. Mais la similitude s'arrête là, car dès le départ Claremont stipule clairement que les aventures de Marada se déroulent dans le contexte historique de l'empire romain, et non dans le royaume fictif d'Hyperborée. En outre il se paye le toupet de montrer Marada comme une femme soumise et craintive dans sa première apparition. On est loin de la fougueuse et insoumise Red Sonja. Il faut donc plusieurs scènes avant que Marada ne retrouve les caractéristiques d'une héroïne d'Heroic-Fantasy. Si elle se révèle habile et létale dans son maniement de l'épée, elle n'en devient pas pour autant une pourfendeuse d'ennemis à la chaîne. Claremont lui insuffle un minimum de personnalité, et de chaleur humaine envers son prochain. Il lui a concocté un événement particulièrement traumatisant expliquant son changement de caractère, ayant un impact durable tout au long de ces pages. Il ne s'agit donc pas d'une simple succession de courses poursuites, entrecoupées de combats contre des monstres, des magiciens et des mercenaires patibulaires. Il utilise bien les conventions du genre avec méchants sorciers et monstres immondes et agressifs. Il peut même se permettre d'être un peu plus explicite que dans un comics de Red Sonja, avec une femme violée par un démon. Mais il peut aussi montrer que Marada est vulnérable de plusieurs façons, et qu'elle peut même sourire et apprécier la vie (dans la dernière histoire), voire être amoureuse. La relative brièveté de chacune des aventures ne permet pas à Claremont de développer des intrigues ambitieuses, et la narration ne se focalise pas sur la psychologie des personnages. Il emploie avec une certaine libéralité les bulles de pensées pour que les personnages puissent exposer de manière explicative leurs réflexions, leurs préoccupations. Néanmoins il insuffle suffisamment de personnalité pour que ses récits s'élèvent au dessus de la production de masse mensuelle. Il bénéficie également d'un dessinateur d'exception. Marada est un travail de jeunesse de John Bolton, pourtant sa méticulosité est déjà bien présente. Les deux premières histoires avaient à l'origine été réalisées en noir & blanc et elles ont bénéficié d'une mise en couleurs à posteriori, réalisée par Bolton lui-même. Pour le lecteur qui a déjà eu la curiosité de regarder ces planches en noir & blanc (sur internet), il pourra regretter que la couleur masque la finesse des dessins. Pour les autres lecteurs, ils découvriront une mise en couleurs naturaliste et nuancée. La dernière histoire a été conçue et réalisée directement dans l'optique de la couleur, avec un degré de sophistication nettement supérieur. Pour ces planches, John Bolton fait preuve dès la première page d'une proche ambitieuse, ne reposant pas uniquement sur une réalisation à gros budget. Il dessine les personnages, les animaux et les environnements de manière naturaliste, avec un grand niveau de détails, sans pour autant rechercher un rendu photoréaliste. L'histoire commence par un dessin pleine page dans lequel des hommes à cheval progresse en colonne dans un désert de sable. La couleur rend bien la teinte sablonneuse, les pattes des chevaux soulèvent de petits nuages de sable, les cavaliers ont des tenues légères (qui ne les protègent pas du soleil), les chevaux portent des harnais raisonnablement ouvragés, le palanquin est doté de tentures avec motif. Tout au long de ces pages, le lecteur pourra se régaler de l'attention portée aux tenues vestimentaires variées et sophistiquées, entre véracité historique et fantaisie imaginative. Il pourra facilement se projeter dans les lieux, que ce soient les superbes pentes verdoyantes aux abords de la citadelle de LLanllwyr, les bains chauds souterrains, la sombre forêt entourant le repère de Karashnur, le désert brûlant de Candance, ou encore l'île méditerranéenne de Djeriabar. Il pourra également apprécier la diversité des morphologies des personnages, ainsi que leur visage expressif (même s'il est patent que Bolton s'est fortement inspiré de Kulan Gath de la série "Red Sonja, pour l'apparence de Karashnur). Il pourra également identifier quelques clins d'œil adressés par Bolton à ses références (de Russ Heath à Paul Gulacy, en passant par Frank Frazetta et John Buscema). La progression de Bolton au long de ces pages aboutit au dernier épisode, totalement enchanteur dans sa maîtrise graphique, rehaussant une description réaliste des lieux et des personnages par des touches fantastiques tout en retenue, avec un encrage délicat (évoquant un peu le doigté de Charles Vess), et une savante mise en couleurs. Chris Claremont et John Bolton s'inspire de Red Sonja pour créer leur propre personnage totalement original, progressant d'histoire en histoire, pour finir par une merveille d'aventure légère et sophistiquée, à l'opposée des stéréotypes et des clichés du genre. Ils ont ensuite collaborés sur The Black Dragon (1985). Ils ont également réalisé des histoires courtes des X-Men, regroupées sous le nom de X-Men vignettes.
Momo
Une série courte mais touchante. L'histoire est celle de Momo, hébergée chez sa grand-mère en attendant que son père revienne d'un voyage en mer. C'est de la tranche de vie dans un village en bord de mer, avec les amours de jeunesses, les jeux enfantins, les rencontres, les situations familiales compliquées, les drames aussi, le tout du point de vue d'une petite fille de 5 ans. Simple mais humain. Sans vous en dire trop, il y a un développement important à la fin du premier album et je trouve que le traitement des conséquences au second tome assez bien fichu. Touchant, vraiment, c'est le mot. Même les personnages secondaires sont bons : la grand-mère tentant tant bien que mal de s'occuper seule de sa petite fille, le poissonnier qui s'amuse de manière un peu mesquine avec Momo mais l'apprécie sincèrement, la jeune citadine en vacances qui s'attache à Momo, le jeune loubard sympathique, l'ermite en bord de forêt, le petit garçon jouant avec Momo, ... ce petit village est vivant et attachant. Il se dégage un vrai sentiment de nostalgie à la lecture. Le dessin est joli, le rythme est bon, la lecture agréable, ... Bonne lecture jeunesse, recommandée à tout âge. (Note réelle 3,5)
Pour une fraction de seconde - La vie mouvementée d'Eadweard Muybridge
Même si le nom d'Eadwaerd Muybridge ne vous dit rien, vous avez sans doute déjà vu ses œuvres, ces fameuses séries de photos décomposant le galop d'un cheval, la marche d'un homme ou d'autres mouvements d'êtres vivants. Je les avais vues sans réaliser qu'elles avaient eu une telle place dans l'histoire de la photographie et du cinéma, ni qu'elles dataient d'il y a aussi longtemps. Si cet ouvrage est une biographie, c'est aussi une vraie tranche d'histoire, aussi bien celle du monde occidental dans la seconde moitié du 19e siècle que celle de ses avancées technologiques. Nous y suivons Eadwaerd Muybridge parti s'installer aux USA en quête de la fortune, sans bagage scientifique particulier. Après plusieurs années à tenter de vivre de la vente de livres, sur la côte Est puis en Californie, les évènements vont l'amener à croiser la route de la photographie naissante qui est alors en plein essor. S'engageant dans ce métier, il se lasse vite des simples portraits figés que la technologie balbutiante permet et va devenir célèbre en parcourant la nature américaine avec son matériel pour ramener aux citadins des vues du monde qui les entoure. Faisant la rencontre du richissime Leland Stanford, ils vont s'associer pour relever un défi que la technologie photographique de l'époque ne permettait pas encore : prendre en photo sur le vif le galop d'un cheval pour prouver que ses sabots quittent tous le sol à un moment donné, ce que l'oeil humain ne permet pas de voir. A la fois enthousiasmé par la découverte de la naissance de la photo puis du cinéma et des détails techniques et autres anecdotes qui leur ont permis de progresser, mais aussi par l'histoire de l'Amérique pionnière de cette époque et de son rapport avec une Europe alors à son apogée culturelle et scientifique, j'ai été captivé par cette BD. Elle évite tous les pièges des biographies académiques et ennuyeuses. Il faut dire que la vie de Muybridge est assez incroyable, variée et aventureuse. Même si l'homme n'est pas des plus charismatiques (il a quand même assassiné l'amant de sa femme, négligeant par ailleurs égoïstement un mariage dont il semblait bien se foutre), il a vécu tant de choses et été un tel rouage dans l'évolution de la technologie d'alors que c'en est passionnant. L'auteur fait en outre le choix d'élargir grandement le cadre de son récit en y intégrant des éléments extérieurs qui finalement auront leur impact sur la vie du personnage et sur son ouvrage. J'avais lu il y a peu de temps la biographie d'Alice Guy qui racontait les débuts du cinéma. Eh bien avec Pour une fraction de seconde, j'ai eu le sentiment d'avoir découvert la période précédente, celle qui a mené jusqu'à Alice Guy, qui est d'ailleurs mentionnée en fin d'album ainsi que tous les autres grands noms de scientifiques et d'artistes liés de près ou de loin à l'essor de la photographie et du cinéma. J'ai appris énormément de choses tout en ayant été transporté dans un récit prenant, clair et bien rythmé. Très chouette biographie sur un homme et sur une technologie en général.
Blue Flag
L'avis de Ro avait attiré mon attention sur ce manga que je ne connaissais pas et je suis bien content d'avoir découvert cette série. Cela semble commencer comme une comédie romantique un peu banale mettant en vedette un triangle amoureux comme il y en a des centaines au Japon, mais très vite le lecteur s'aperçoit que le scénario est plus profond que ça. L'auteur va traiter de différents thèmes tout le long de la série qui touche les adolescents japonais qui vivent dans une société rigide qui prône le conformiste, la réussite scolaire et qui est conservateur sur le rôle des hommes et des femmes dans la société. Les personnages sont complexes et terriblement attachant. Le dessin est très bon. Cela dit, il y a quelques longueurs je trouve, notamment dans les derniers tomes. Il y a quand même un moment où pendant plusieurs chapitres les personnages font des longs discours sur plusieurs sujets (notamment la difficulté des gars et des filles à être juste amis). J'avais rien contre les moments où les persos faisaient des monologues lorsque c'était à petite dose, mais là je commençais à trouver le temps un peu long. La fin est un peu expédiée aussi, mais bon cela reste un shonen qui sort du lot et traite de sujets qu'on voit rarement dans un shonen paru sur un support mainstream de manière mature.
Sibylline - Chroniques d'une escort girl
Avec Sibylline, Sixtine Dano propose un récit à la fois intime et sincère, explorant le quotidien d’une jeune femme qui exerce l’activité d’escort pour financer ses études. Loin de tout voyeurisme, la BD nous plonge dans la complexité des émotions et des réflexions. Le scénario se lit comme une confidence : on y découvre les aspirations, les doutes et les moments de grâce d’une héroïne en quête de sens et d’équilibre. Le style graphique en noir, blanc et nuances de gris confère une atmosphère sobre et délicate, qui met en valeur les expressions et les sentiments des personnages. Les planches jouent habilement avec l’ellipse et les silences, offrant un rythme contemplatif, presque poétique. Si le sujet peut sembler délicat, l’autrice aborde la question de la sexualité et de l’intimité avec justesse, sans jugement. L’ensemble donne une BD touchante et intelligente, où la dimension humaine prime avant tout. Pour les lecteurs en quête d’une œuvre mature et sensible, Sibylline – Chroniques d’une escort girl constitue une belle découverte.
Sur la route de West
Un road trip assez prenant entre deux femmes, toutes deux fuyant quelque chose, chacune cherchant un peu à retrouver son chemin avec l'autre. Comme souvent dans ce genre de récits, le sujet central est l'âme humaine, les propos de fond sont durs et viscéraux, on se permet de beaux moments de silence et de contemplation, et surtout on laisse une grande part à l'imagination. Ici encore davantage, d'ailleurs, car le récit prend rapidement un tournant très imagé, métaphorique et poétique, avec cet étrange chat qu'il faut ramener à une ville qui n'existe pas et ces routes semblant symboliser la liberté et les chemins de vie de manière un peu plus concrète que prévu. La forme est fluide et agréable, les trois cents pages se lisent très vite, le texte est plutôt bien trouvé et le dessin est simple mais beau. J'aime beaucoup les jeux d'ombrages et d'éclairages dans cette mise en scène, il y a des beaux jeux de contrastes par moments. Les road trips ne sont pas nécessairement mon genre narratif préféré et les grands espaces américains me laissent sincèrement de marbre, mais le propos de l'œuvre a su m'atteindre. L'histoire est dure, belle et réflexive, j'ai passé une très bonne lecture, quand bien même je suis sûre qu'une partie non négligeable de la métaphore finale m'a échappée (frustration, quand tu me tiens...). Je recommande chaudement la lecture, mais je me sens obligée de mettre en garde car je pense que ce récit ne plaira certainement pas à tout le monde.
L'Université des Chèvres
Au travers de cette histoire, Lax rend hommage aux passeurs de connaissances. Dans les montagnes françaises au XIXème siècle, puis dans celles de l’Afghanistan au siècle suivant, nous suivons deux hommes qui luttent contre l’obscurantisme (singulièrement essentiellement religieux à chaque fois) et cherchent à émanciper les populations en apportant l’école, les livres ou les lettres, dans des régions reculées. Le propos est noble, et Lax nous brosse le portrait d’obscurs héros, avec pour faire le lien entre ces deux personnages une femme, descendante du premier, et amie du second. Et quelque autres sujets abordés (comme le rôle de la NRA aux États-Unis). Comme d’habitude, le dessin de Lax est beau et très agréable. Il accompagne très bien ce récit que j’ai bien aimé. Un récit qui se déroule sur un rythme assez lent. Mais on ne s’ennuie jamais. Une lecture très recommandable ! Et qui résonne aujourd’hui plus fort, à l’heure où les Talibans rendent impossible toute émancipation par l’enseignement libre en Afghanistan. Ou alors que Donald Trump supprime des milliers de postes dans le ministère de l’éducation américain (tout en renforçant la censure de milliers d’ouvrages). Le message véhiculé par l’album de Lax est hélas encore nécessaire à défendre.
Super Sourde
L'album nous raconte la jeunesse de son autrice, Cece Bell, qui a perdu l'audition suite à une méningite. L'histoire est celle de son rapport au monde, de ses liens avec ses proches, de son besoin affectif et de la réapropriation de l'image qu'elle renvoie aux autres. Le récit est très personnel (normal vous me direz, il s'agit d'une autobiographie), les situations et émotions complexes que vit (subit même) Cece sont rendues de façon très facilement compréhensible et touchent. L'ostracisation presque inconsciente des gens à son égard, les questions et commentaires déplacés, les efforts et contraintes qu'elle s'impose dans le simple but de se faire accepter/de rentrer dans le moule, la peur d'être perçu-e comme différent-e et d'être rejeté-e, la grande difficulté pour trouver des ami-e-s sincères qui lui veulent du bien, la discrimination positive, ... tous ça sont des problèmes quasiment universels pour toutes les personnes étant touchées par un handicap dans nos sociétés (et facilement compréhensible par toute personne douée d'empathie basique). L'album m'a touché. D'une part parce que, même sans être sourde, j'ai personnellement vécu des situations similaires à la jeune Cece, mon enfance et mon adolescence ayant été une successions de tentatives de relations amicales catastrophiques et d'ostracisation au mieux maladroite par mes camarades de classe (que voulez-vous, les gens n'ont qu'à naître comme tout le monde) ; d'autre part car ma sœur a été hospitalisée il y a tout juste trois mois pour une méningite et qu'elle a failli y passer, donc apprendre un peu plus sur les séquelles dramatiques que peut produire cette maladie m'intéresse et me terrifie sincèrement. J'ai beaucoup aimé que l'album déconstruise certains mythes autour de la surdité, comme le fait que la lecture sur les lèvres n'est en réalité pas un superpouvoir mais une capacité très faillible dépendant énormément de l'articulation de la personne et surtout de la bonne visibilité des lèvres (sans oublier le fait que beaucoup de sons se ressemblent), ou encore rappelle que les appareils auditifs coûtent cher (surtout aux États-Unis) et que les personnes non-concernées devraient particulièrement en prendre soin (si l'appareil casse, c'est l'autonomie de la personne qui se retrouve impactée). Le dessin est simple, peut-être simpliste pour certain-e-s, mais je trouve que ce style relativement enfantin marche pour illustrer cette histoire sur l'enfance. Une lecture conseillée, surtout pour quiconque aimerait en apprendre davantage sur l'expérience au quotidien de jeunes personnes touchées par la surdité. (Note réelle 3,5)
La Ville des mauvais rêves - Urani
Europe ne comprend pas grand-chose à tout cela. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2000. Il a été réalisé par David B. (Pierre-François Beauchard) et Joann Sfar qui ont réalisé le scénario à quatre mains, ainsi que les dessins. Les couleurs ont été réalisées par Brigitte Findakly & Delphine Chedru. Il compte quarante-six planches de bande dessinée. Chapitre un : le dompteur effacé. Un cirque installé sur une grande place de la ville d’Urani, capitale d’un pays des confins de l’Europe pris entre les empires allemand et russe. Le professeur Odin, en habit de dompteur, dit au revoir aux tigres dans la cage. Il leur explique que c’est fini, que les tueurs de l’Ermite ont retrouvé sa trace, il doit les quitter. Il partirait bien en leur laissant la porte ouverte, mais ça ne se fait pas. Odin retourne dans sa roulotte où se trouvent d’étranges appareils technologiques. Dans son for intérieur, il se dit qu’il n’a pas le temps de cacher tout ça. Ce n’est pas grave : personne n’arrivera jamais à faire fonctionner ses inventions, il dépasse les meilleurs savants de plusieurs cerveaux. Il a dû sacrifier un œil pour acquérir la connaissance. Il décide que le temps est venu pour lui de disparaître, littéralement. Grâce à un objet mécanique, il commence par effacer son ombre. Puis il efface son reflet dans le miroir, ce qui lui fait quand même une sale impression. Enfin, il se rend invisible et il s’en va. Dans la cage, un des tigres se redresse sur ses antérieurs, et il décide d’aller voir ce qui passe, tout en collant une mandale à un autre tigre qui est sur son passage. En humant l’air, il se rend compte que la roulotte est vide. Il voit arriver un groupe de gens louches, il se cache, et il s’en va discrètement après les avoir laissé passer. Il a reconnu les tueurs au service de l’Ermite. Chapitre deux : Le Diable Ermite. Dans sa planque, l’Ermite converse avec son second Igor, attablé et s’apprêtant un manger un poulet. L’Ermite a compris : il ne sort plus, plus de boîtes, plus de cercle de jeu, plus de grosses voitures, ni de prostituées à chaque bras. Il occupe son temps à réfléchir. Il réfléchit sur le mal. C’est fascinant le mal. Il explore le mal. Un peu plus chaque jour et il n’en revient pas. Depuis qu’il s’est retiré du monde, les affaires tournent toutes seules. Personne ne le voit plus mais on sait qu’il est là. Il fait encore plus peur. On l’a surnommé le Diable Ermite. Un homme de main remarque qu’Europe, une grande femme à la peau jaune, est entrée dans le bar. Il la menace avec son pistolet. Elle indique à l’Ermite qu’il n’était pas bien caché, tout en avançant. Elle flanque un grand coup dans le menton du porte-flingue, lui brisant la nuque. Puis elle déchire la gorge d’Igor d’un grand coup d’ongle, et elle avance sur l’Ermite. Celui est resté calmement attablé. Il s’adresse à Europe en lui disant que si elle le voulait mort, il le serait déjà. Il se rend, elle peut appeler la police. Il plaisante : veut-elle de la monnaie pour le téléphone ? Ermite répond qu’ils sont déjà en route. Le commissaire apprend à Europe que la police a coffré une des équipes de l’Ermite au cirque de l’Est, et qu’ils ont raconté une histoire bizarre : Odin le savant se cachait au cirque dans la peau d’un dompteur. Une couverture composite mettant en avant les deux personnages principaux, le professeur Odin et Europe, l’un avec un pistolet à la main, l’autre peut-être dépourvue de vêtement, un groupe de gugusses patibulaires, et des bâtiments d’inspiration Europe de l’est. Le lecteur peut penser à un une série richement peuplée, intitulée La ville des mauvais rêves, dont le premier tome serait Urani. Le récit est découpé en quatorze chapitres plus un interlude, de longueur variable entre deux et quatre pages. Le lecteur peut noter des différences graphiques entre des chapitres : les contours un peu plus arrondis à la fois des formes et des aplats de noir pour David B., le trait plus rugueux et nerveux de Joann Sfar donnant l’impression d’aplats de noir déchiquetés. S’il y éprouve de l’intérêt, il peut ainsi attribuer tel chapitre à tel créateur et tel autre au second. Il se dit que chaque auteur a réalisé l’ensemble de ses chapitres : dessins et scénario. Il remarque également une différence de traitement dans la mise en couleurs : Brigitte Findakly utilise plus volontiers des teintes vives avec de très forts contrastes, Delphine Chedru développe une palette de couleurs plus proches entre elles. Dans un premier temps, il apparaît que chaque auteur met en scène un personnage principalement : le professeur Odin pour David B., et Europe pour Joann Sfar, les personnages secondaires comme Le Tigre et l’Ermite pouvant passer d’un fil narratif à l’autre. Tout commence avec un professeur inventeur de génie qui fuit un cirque dans une ville de l’Europe de l’Est, sans date précise. L’interlude présente la ville d’Urani : Capitale d’un pays des confins de l’Europe, pris entre les empires allemand et russe, impliqué dans toutes les guerres du passé. La présentation continue : Depuis que le pays a adhéré à la Communauté européenne et à l’Otan, Urani a pris une importance stratégique, la population de la ville est à dominante balte, mais il y a également beaucoup de Slaves et de Scandinaves, son port sur la baltique connaît un regain d’activités. Les auteurs évoquent ses bas-fonds, la présence d’organisations criminelles du monde entier, de nombreux services de renseignements, les souterrains qui se déroulent à infini comme les entrailles d’un organisme, et le fait que c’est la seule capitale au monde à avoir un cimetière comme centre-ville : il paraît que cela a une influence sur la mentalité de ses habitants, les mauvais rêves y seraient plus fréquents qu’ailleurs. Le lecteur se dit que les scénaristes ont conçu un cadre permettant de développer toute une série, la ville assurant le rôle de personnage récurrent. Pour autant, il s’agit d’un album contenant une histoire complète pour elle-même, sans suite. Au vu des éléments de genre de ce récit et de l’ambiance entre thriller policier et onirisme mythologique, le lecteur peut le rapprocher d’un hommage ultérieur de David B. : Nick Carter et André Breton - Une enquête surréaliste (2019). Cette bande dessinée raconte une histoire au premier degré : un inventeur de génie qui a conçu et construit un robot humanoïde, destiné à devenir le premier d’une armée de supersoldats, et qui a décidé de disparaître lorsqu’il a compris l’usage qui en serait fait. Plusieurs groupes d’intérêts différents sont à sa poursuite pour le convaincre ou le contraindre à travailler pour eux. En parallèle, Europe, son invention, sa créature, est à sa recherche de manière indirecte. S’il s’attache à cette intrigue, le lecteur risque de rester sur sa faim car sa résolution semble être mise de côté : il se demande si les deux scénaristes ont travaillé en construisant une idée de départ, un principe pour la dynamique du récit, puis ont écrit sous une forme itérative, chacun écrivant son chapitre après avoir lu le précédent, sans plan d’ensemble préalable, en recourant pour partie à une forme d’écriture automatique déclenchée par la partie précédente et canalisée dans une forme narrative d’aventure. Il s’en trouve d’autant plus impressionné que la sensibilité narrative des deux auteurs s’avère très proche, en phase, que ce soit pour le mélange de polar et d’onirisme, ou pour la narration visuelle. À l’évidence, ils se sont coordonnés sur l’apparence des personnages qui passent d’un fil narratif à l’autre, pour les deux personnages principaux, pour l’Ermite, un peu moins pour le Gitan. La ville d’Urani dégage la même sensibilité sous le crayon de l’un comme l’autre, une belle cohérence sophistiquée, conservant des caractéristiques propres à l’un et à l’autre. Le lecteur se laisse emporter par la dynamique de la fuite en avant pour Odin, et de l’enquête pour Europe. Il apprécie cet équilibre très complexe des dessins, entre naïveté et représentations crues. Cela permet de laisser planer le doute sur la nature réelle du Tigre : vraisemblablement pas un être humain au vu de son anatomie, mais un tigre anthropomorphe, ce qui est cohérent avec la présence d’autres individus aux caractéristiques chimériques. D’ailleurs, il y a en douze autres de représentés sur la deuxième de couverture et la page en vis-à-vis. Urani semble associer des spécificités de ville de la partie Est de l’Europe centrale et des éléments romanesques tels que des repères secrets souterrains. Le récit s’apparente ainsi à un conte : une réalité fantasmagorique, peuplée d’individus chimériques, entre métaphores et allégories. Les auteurs font également des références mythologiques : le nom du professeur Odin et celui-ci explique d’ailleurs qu’il a sacrifié un œil pour acquérir la connaissance, ou encore le thème du créateur et de sa créature comme le monstre de Frankenstein. Ils jouent aussi bien avec une spécificité du pénis du tigre, qu’avec la licence artistique des contes (cette école pour filles dans les bois). Cela donne un récit très riche, déconcertant par ses rapprochements inattendus et ses éléments parfois superflus à l’intrigue, une saveur classique de conte, des situations adultes, le tout propice aussi bien à des instants poétiques, qu’à des prises de conscience métaphysiques. Une bande dessinée particulière, associant le talent de deux créateurs singuliers : le tout s’avère être au moins égal à la somme des parties. Le lecteur plonge dans un récit entre policier et fantastique, teinté d’onirisme, la narration visuelle portant chacune de ces composantes de manière harmonieuse. Une aventure associant une trame à l’apparence cartésienne à des événements pouvant s’avérer arbitraires, surnaturels ou parfaitement logiques. Une aventure singulière.
Hotel Particulier
Après avoir été littéralement envouté par le magnifique Bluebells wood, j'ai décidé de rattraper mon retard sur l'œuvre de Guillaume Sorel en m'attelant à la lecture de ce one shot. Ma lecture m'a confirmé tout d'abord que je suis véritablement fan du trait de cet auteur. On sent que Sorel prend plaisir à dessiner les personnages, notamment féminins, et jouent des très belles courbes de l'héroïne et de la transparence de sa courte chemise. La mise en en couleurs monochrome tirant sur le brun est également très originale et colle parfaitement avec la thématique de l’œuvre. Du point de vue du scénario, si je suis resté légèrement sur ma faim, on ne peut que saluer l'originalité et la poésie de cette histoire de fantôme bloqué dans l"hôtel qui a vu se réaliser son funeste destin. Agrémentée d'extraits de poèmes ou de romans de Rimbaud, Baudelaire ou Caroll, Sorel nous livre différentes scènes à mesure que l'héroïne passe d'un étage à l'autre et s'invite dans la vie des occupants de l'hôtel, passant de scènes tantôt coquasses (la femme et son mari voyeur) tantôt plus macabres (la voisine dévorée par les chats du quartier) voire teintées de fantastique (la jeune fille disparue prise au piège dans une pièce sans issue ou le voisin festoyant avec les personnages imaginaires des romans qu'il possède). L'ensemble reste malgré tout cohérent, avec en fil conducteur, l'histoire du jeune peintre sans le sou dont notre héroïne s'éprend à mesure qu'elle l'observe. Cette histoire matinée de fantastique, dans la lignée de certaines nouvelles telles que le Horla (que Sorel a d'ailleurs adaptée en bande dessinée) rend ainsi un bel hommage à certains textes de poètes que l'auteur affectionne. Une œuvre originale à lire voire à posséder si on est fan comme moi du dessin de Guillaume Sorel. SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 7/10 GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 9/10 NOTE GLOBALE : 16/20