De Lou Lubie scénariste je n'ai lu que Eurydice, avec cet album je vais découvrir une autre facette de cette autrice.
Je n'étais pas très attiré par le graphisme de Lou Lubie lors de mes nombreux feuilletages des albums où elle officiait en tant que dessinatrice. J'ai donc décidé de passer outre ma première impression. Et j'ai bien fait. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il m'a enthousiasmé, mais je lui reconnais beaucoup de charme avec son trait fin, précis et tout en rondeur. Un dessin qui amène une certaine douceur au récit. Une mise en page soignée et de belles couleurs complètent le tableau.
Du bon boulot et une agréable surprise.
Je ne m'attendais pas à lire quelque chose d'aussi instructif et captivant avec un sujet aussi futile - à première vue - que les cheveux. Mais des cheveux crépus.
Et là, Lou Lubie m'a bluffé par la richesse de son scénario. Pour le personnage de Rose, on sent qu'elle pioche dans sa vie personnelle, elle est de La Réunion, elle a des parents créoles, elle a la peau blanche et une tignasse crépue, tout comme Rose. Je ne m'imaginais pas les conséquences que peuvent occasionner de tels cheveux dans la vie quotidienne et dans le regard des autres. Un récit qui saura démêler les nœuds de cette discrimination capillaire par la qualité de sa narration. Elle est passionnante, enrichissante et drôle.
J'aime beaucoup le titre de cet album, le mot < racines > peut avoir plusieurs sens.
Lecture conseillée.
Je suis fan de Pratt mais je dois avouer que cette lecture m'a décontenancé au premier jet. Il faut dire que le début est pour le moins original: 12 pages sans texte d'un énigmatique héros qui joue au mannequin et trucide et scalpe (presque) tout ce qui bouge, cela m'interroge. Comme j'ai la version Glénat 1981, le visuel n'arrange rien avec ses couleurs très fades et datées. Même si on s'aperçoit que Joe n'est pas muet, la suite reste très longtemps énigmatique dans le sillage de l'indien qui rend justice d'une façon tranchée. Il faut attendre la rencontre avec le sergent Fox pour approcher la finesse du récit de Pratt. On retrouve alors les thématiques chères à l'auteur, aventure, identité des peuples colonisés, liberté et justice. En revêtant la tunique rouge si prestigieuse sur sa peau rouge héritière du prestige de ses ancêtres Joe entre forcément en conflit identitaire. Il en résulte un chemin chaotique où la violence( les oiseaux, sa sœur) succède à la bienveillance ( le bébé, les époux). La confrontation finale entre Fox et Joe d'abord en paroles puis en regards puis en action est un vrai moment d'anthologie.
Le graphisme est du pur Pratt déjà abouti même si certaines cases m'ont fait tiquer. A l'inverse les scènes de canoé ou la marche finale des deux hommes sont d'une très belle fluidité dans les expressions gestuelles.
Une lecture déconcertante mais qui propose beaucoup de richesses.
Une solide histoire
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Ce tome contient une histoire complète qui ne nécessite pas de connaissance préalable du personnage. Il regroupe les douze épisodes de la minisérie, initialement parus en 2020/2021 pour la VO, écrits par Warren Ellis, dessinés et encrés par Bryan Hitch, avec une mise en couleurs réalisée par Alex Sinclair, et le lettrage par Richard Starkings. Kevin Nowlan a encré les épisodes 1 et 3, et une partie de l'épisode 5. Les couvertures originales ont été réalisées par Hitch, les couvertures variantes par Jeehyung Lee, Frank Quitely, Rafael Grampá, Stephen Platt, Art Adams, Ashley Wood, Kevin Nowlan.
Une fois par semaine, Alfred Pennyworth sort du manoir et se dirige vers la tombe de ses anciens employeurs Martha & Thomas Wayne pour l’entretenir, qu’il vente ou qu’il neige. Ils avaient préparé leur sépulture, et ils souhaitaient que lorsque son heure serait venue, leur fils puisse reposer auprès d’eux. Alfred a toujours su qu’avant qu’il ne s’en aille, il verrait la cavité sous la troisième pierre tombale, accueillir un corps, celui de Bruce Wayne dont le nom est gravé sur la stèle. Ce soir-là, comme tous les soirs, Batman est au sommet d’un gratte-ciel, en train de contempler la ville illuminée qui s’étend à ses pieds, avec la tour Wayne à plusieurs quartiers de là. Ce soir-là, John Nguyen et son compagnon Kevin sortent d’une séance de cinéma, avec leur bébé dans une poche ventrale. Ils prennent par une ruelle déserte et peu éclairée, et ils sont agressés par un groupe de jeunes hommes, le crâne rasé, avec un tatouage au sommet, et ils les menacent de leur pistolet. L’un d’eux appelle John par son nom, énonçant sa profession d’inspecteur de police, et lui disant qu’ils sont le Mépris, qu’ils méprisent leur contrôle. Batman intervient, désarmant les agresseurs et les neutralisant avec force et brutalité. Ils appellent le couple par le nom de famille de l’inspecteur, et leur suggère d’appeler une ambulance, puis il s’en va.
Batman circule dans les rues de Gotham à bord de la Batmobile. Alfred ironise dans l’oreillette : ruelles et cinémas, quasiment une carte de visite professionnelle. Puis il informe Bruce d’un appel au numéro de secours 911, le demandeur appelant depuis quatre heures sans réponse : une mort inexpliquée. Batman se rend à l’appartement et monte les étages en demandant aux locataires qui l’a appelé. Finalement sur un palier, une femme avec un enfant dans les bras et un afro-américain âgé lui répondent : Vince dans l’appartement 4C, personne ne l’a vu depuis trois jours et il y a une drôle d’odeur qui passe par sa porte. Il écoute le peu d’informations qu’ils peuvent lui donner et se rend à l’appartement, Alfred lui fournissant le nom complet : Vince William Stannik. Il entre dans l‘appartement : un cadavre déjà en cours de décomposition sur le lit, et des coupures de presse sur Batman affichées au mur, environ cinq ans d’articles. Toute la scène du crime a été soigneusement nettoyée : aucune empreinte. Il appelle les services du commissaire Gordon pour signaler le cadavre. Il retourne au manoir où il trouve Alfred affalé dans un canapé, déjà un peu éméché en descendant une bouteille d’un grand cru de vin blanc, et en écoutant la musique de Peter Warlock (Philip Arnold Heseltine, 1894-1930)
L’annonce de ce projet a fait saliver car il s’agit du même duo de créateurs qui a réalisé The Authority (12 épisodes, 1999/2000), une série qui a fait date dans l’histoire des comics de superhéros. A priori, le lecteur fait confiance au scénariste pour avoir conçu une histoire à l’échelle des douze épisodes, anticipant donc le fait que tout ne lui sera pas donné dès le premier épisode qui ne sera peut-être pas satisfaisant pour lui-même. Il s’attend également à ce que le scénariste fasse porter une proportion significative de la narration sur le dessinateur, dans des pages muettes, comme il en a l’habitude. C’est bien le cas : 5 pages muettes dans le numéro 1, 6 dans le 2, 9 dans le 3, 6 dans le 4, 5 dans le 5, 2 dans le 6, 7 dans le 7, 6 dans le 8, 6 dans le 9, 9 dans le 10, 3 dans le 11, 9 dans le 12. Ce n’est pas tant que le scénariste a changé sa manière d’écrire pour le dessinateur, c’est plutôt qu’il a conservé sa manière de faire en laissant le dessin raconter l’histoire, et qu’il a conçu ces scènes en fonction des points forts de cet artiste, ou en fonction des demandes de celui-ci. Ici, il ne s’agit pas d’une équipe de superhéros ayant vocation à intervenir contre des menaces à l’échelle de la planète : Batman reste à Gotham, avec un passage à l’asile d’Arkham, pour lutter contre des individus fêlés, une milice qui souhaite être la police à la place de la police, et un mystérieux très bien préparé.
Le lecteur plonge dans une aventure de Batman, sans beaucoup d’éléments en provenance de sa mythologie, juste ses parents, Alfred Pennyworth, le manoir, la grotte avec ses ordinateurs, ses batmobiles, et quelques armes technologiques). James Gordon ne joue qu’un rôle mineur, pas d’ennemis costumés récurrents. Dans le même temps, ce Batman utilise l’informatique et des drones, sans que le scénariste n’en abuse non plus. Il est globalement toléré par la police, et il ne porte pas de slip par-dessus son costume. Il n’est pas question de la vie privée de Bruce Wayne, si ce n’est une ou deux remarques moqueuses en passant. Tout commence avec l’agression d’un policier en civil d’une part, et avec ce meurtre mystérieux d’autre part. Batman doit à la fois intervenir dans des combats physiques, et également enquêter et faire des déductions. Le scénariste n’essaye pas de faire croire au lecteur qu’il peut anticiper les déductions de Batman, car il ne lui donne pas les indices nécessaires pour ce faire. Le plaisir de lecture provient de voir le héros à l’œuvre, que ce soit pour l’enquête, ou pour les interventions physiques.
Le lecteur un peu habitué des comics et du format d’histoires complètes en une dizaine d’épisodes ou moins, sait qu’il comporte deux écueils : le premier est celui d’une construction tout en mystère dans les trois-quarts des épisodes, et une résolution artificielle à la fin, ce qui amène le lecteur à s’impliquer de plus en plus, et à trouver la fin pas à la hauteur du suspense et des promesses qu’il contient. Le second réside dans le risque que le dessinateur s’investisse à fond dans les premiers épisodes, puis qu’il soit rattrapé par les délais et qu’il ne dispose plus d’assez de temps pour faire aussi bien dans la seconde moitié du récit. Il feuillète donc rapidement ce tome et il constate que les pages des derniers numéros sont aussi soignées que celles des premiers. Il en a la confirmation à la lecture : Bryan Hitch ne donne à aucun moment l’impression d’avoir dû accélérer la cadence pour boucler ses épisodes. La participation de Kevin Nowlan à l’encrage pour deux épisodes et une partie d’un troisième ne gâche pas la lecture : il soigne un peu plus les contours des personnages et des aplats de noir, mais il faut scruter les cases pour en prendre conscience.
Dès la séquence d’ouverture, le lecteur constate que le coloriste a choisi une approche de type naturaliste, avec des couleurs un peu ternies, à l’opposé de couleurs très vives comme dans les comics de superhéros habituels. Il remarque également qu’Alex Sinclair joue discrètement sur l’ambiance lumineuse pour installer une nuance prédominante, une identité de couleur en fonction du lieu, du moment de la journée, et donc de l’éclairage. Il augmente le degré de lisibilité des cases en faisant bien ressortir chaque élément détouré par rapport à ceux qui l’entourent, et il joue un peu sur les nuances d’une même teinte pour augmenter l’impression de relief d’une surface. Il utilise les effets spéciaux avec parcimonie, pour les scènes d’action, les explosions, le halo lumineux des gratte-ciels. Le dessinateur s’attache à donner de la consistance à chaque élément en le représentant de manière détaillée, quelle que soit sa nature. Ça commence avec la magnifique façade du manoir à laquelle il ne manque ni une fenêtre, ni une colonne, ni un panneau vitré. Ça continue avec le dessin en double page de Batman contemplant les immeubles sous lui, avec de nombreux bâtiments, tous représentés, et pas seulement en silhouette. Puis avec les personnes composant la foule. Etc. Le lecteur peut se projeter dans chaque lieu : la pièce principale où se trouve le cadavre avec les dizaines de coupures de presse au mur, la Batcave avec ses structures métalliques, son avion, son bateau, le salon avec le canapé, les bibliothèques, la grande cheminée, le tapis au sol, la table basse, le lustre, les chandeliers, etc. Cette minutie dans la représentation des décors leur confère une réalité solide.
L’artiste est tout aussi investi dans les scènes d’action et ça commence avec le grand classique de Batman intervenant pour dérouiller des voyous de rue et empêcher une agression. Premier combat : rapide, en trois pages, brutal, un bras cassé, une rotule cassée, un coup de pied dans le visage avec des dents qui volent, pas de gros plan gore sur les blessures. Deuxième combat : onze pages, tout aussi brutal, dans l’espace confiné d’un appartement. Troisième combat tout en silence en six pages dans le grand salon du manoir Wayne : les coups font tout aussi mal. L’artiste adopte également une approche descriptive détaillée. Il conçoit le déroulement du combat en prenant en compte la géométrie du lieu, sa volumétrie, les obstacles : les ennemis ne donnent jamais l’impression de s’affronter sur une scène de théâtre vide et interchangeable. Il prend également soin de concevoir un plan de prise de vue qui donne à voir la succession de mouvements et de déplacements de Batman et de ses adversaires, sans aller jusqu’à la chorégraphie. Ce parti pris fait toute la différence entre un quota de pages d’actions obligatoires, et des batailles qui font partie intégrante du récit, qui se passent en un lieu précis, dont le déroulement dépend de l’environnement et des individus qui se font face, de leurs armes éventuellement. Le récit conserve son suspense grâce à cette narration premier degré très impliquée, et aussi grâce à la construction de l’intrigue où les mystères du début sont éclaircis progressivement, en même temps que l’implication personnelle de Batman augmente, évitant ainsi l’effet trop mécanique de mystères accrocheurs menant à une résolution en forme d’exposé révélateur.
Alléché par le professionnalisme des créateurs, le lecteur plonge dans une histoire de Batman autocontenue, donnant la sensation d’aller à l’essentiel. Ni le scénariste, ni le dessinateur ne révolutionne le personnage, ou ne cherche à en donner une version novatrice. Batman est fidèle à aux grandes caractéristiques des années 2000/2010 : taiseux, professionnel, disposant de moyens financiers et technologiques presque sans limites. Il enquête pour comprendre les agissements d’un nouvel ennemi et le neutraliser, avec une narration visuelle de type réaliste et détaillée, consistante de bout en bout, sans baisse de régime vers la fin. L’intrigue est bien dosée : l’implication personnelle de Batman allant croissante, alors que les mystères sont progressivement révélés, ce qui assure un suspense tout du long. Du bel ouvrage.
Autant le dire dès le début mais si vous cherchez une BD pour vous distraire et vous remonter le moral, passez directement votre chemin. Cette œuvre est froide, âpre, dure et sans espoir.
Cette nouvelle adaptation d'un roman par Larcenet est une nouvelle fois une réussite, après l'excellent Le Rapport de Brodeck qui m'avait également emballé (peut-être un poil plus d'ailleurs). Pourtant, au contraire de cette dernière œuvre, il semblait beaucoup plus difficile d'adapter le livre de Mc Carthy tant les émotions passent essentiellement par les silences entre un père et son fils et les descriptions de ce monde désolé. Cette BD est d'autant plus réussie que Larcenet arrive à s'approprier l'ouvrage initial tout en restant fidèle à l'histoire. A cet effet, la fin très ouverte qui rejoint à quelques détails près celle du film, reste pour moi la meilleure manière de finir cette histoire.
Ainsi, Larcenet arrive de très belle manière, par le dessin essentiellement, à transcrire cette amour entre un père et son fils dans un monde post-apocalyptique et déshumanisé ne laissant plus beaucoup de place à l'espoir. Les "alors d'accord" concluant chaque réponse du père aux questions parfois naïves mais toujours touchantes de son fils agissent comme autant de pincements au cœur du lecteur. Le sujet du suicide est également traité amenant chacun à se questionner sur ce qu'il ferait à pareille place.
Mais c'est bien par le dessin que cette œuvre de Larcenet mérite à mon sens la note ultime. Tout comme dans "Le rapport Bordeck", le trait est fin et soigné et le monde fourmille de détails. Les corps sont décharnés et les visages presque morts. Les teintes de gris nuancées parfois de rouge, de jaune, de mauve et d'ocre sont vraiment du plus bel effet et transcrivent de très belle manière le côté poussiéreux de cette Terre dévorée par les flammes et suffoquant de ses cendres.
Une œuvre magnifique qui a su me toucher. Le cœur me dit donc de réhausser ma note à 5/5.
SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 8,5/10
GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 9/10
NOTE GLOBALE : 17,5/20
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Racines (Delcourt)
De Lou Lubie scénariste je n'ai lu que Eurydice, avec cet album je vais découvrir une autre facette de cette autrice. Je n'étais pas très attiré par le graphisme de Lou Lubie lors de mes nombreux feuilletages des albums où elle officiait en tant que dessinatrice. J'ai donc décidé de passer outre ma première impression. Et j'ai bien fait. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il m'a enthousiasmé, mais je lui reconnais beaucoup de charme avec son trait fin, précis et tout en rondeur. Un dessin qui amène une certaine douceur au récit. Une mise en page soignée et de belles couleurs complètent le tableau. Du bon boulot et une agréable surprise. Je ne m'attendais pas à lire quelque chose d'aussi instructif et captivant avec un sujet aussi futile - à première vue - que les cheveux. Mais des cheveux crépus. Et là, Lou Lubie m'a bluffé par la richesse de son scénario. Pour le personnage de Rose, on sent qu'elle pioche dans sa vie personnelle, elle est de La Réunion, elle a des parents créoles, elle a la peau blanche et une tignasse crépue, tout comme Rose. Je ne m'imaginais pas les conséquences que peuvent occasionner de tels cheveux dans la vie quotidienne et dans le regard des autres. Un récit qui saura démêler les nœuds de cette discrimination capillaire par la qualité de sa narration. Elle est passionnante, enrichissante et drôle. J'aime beaucoup le titre de cet album, le mot < racines > peut avoir plusieurs sens. Lecture conseillée.
Jesuit Joe
Je suis fan de Pratt mais je dois avouer que cette lecture m'a décontenancé au premier jet. Il faut dire que le début est pour le moins original: 12 pages sans texte d'un énigmatique héros qui joue au mannequin et trucide et scalpe (presque) tout ce qui bouge, cela m'interroge. Comme j'ai la version Glénat 1981, le visuel n'arrange rien avec ses couleurs très fades et datées. Même si on s'aperçoit que Joe n'est pas muet, la suite reste très longtemps énigmatique dans le sillage de l'indien qui rend justice d'une façon tranchée. Il faut attendre la rencontre avec le sergent Fox pour approcher la finesse du récit de Pratt. On retrouve alors les thématiques chères à l'auteur, aventure, identité des peuples colonisés, liberté et justice. En revêtant la tunique rouge si prestigieuse sur sa peau rouge héritière du prestige de ses ancêtres Joe entre forcément en conflit identitaire. Il en résulte un chemin chaotique où la violence( les oiseaux, sa sœur) succède à la bienveillance ( le bébé, les époux). La confrontation finale entre Fox et Joe d'abord en paroles puis en regards puis en action est un vrai moment d'anthologie. Le graphisme est du pur Pratt déjà abouti même si certaines cases m'ont fait tiquer. A l'inverse les scènes de canoé ou la marche finale des deux hommes sont d'une très belle fluidité dans les expressions gestuelles. Une lecture déconcertante mais qui propose beaucoup de richesses.
The Batman's Grave
Une solide histoire - Ce tome contient une histoire complète qui ne nécessite pas de connaissance préalable du personnage. Il regroupe les douze épisodes de la minisérie, initialement parus en 2020/2021 pour la VO, écrits par Warren Ellis, dessinés et encrés par Bryan Hitch, avec une mise en couleurs réalisée par Alex Sinclair, et le lettrage par Richard Starkings. Kevin Nowlan a encré les épisodes 1 et 3, et une partie de l'épisode 5. Les couvertures originales ont été réalisées par Hitch, les couvertures variantes par Jeehyung Lee, Frank Quitely, Rafael Grampá, Stephen Platt, Art Adams, Ashley Wood, Kevin Nowlan. Une fois par semaine, Alfred Pennyworth sort du manoir et se dirige vers la tombe de ses anciens employeurs Martha & Thomas Wayne pour l’entretenir, qu’il vente ou qu’il neige. Ils avaient préparé leur sépulture, et ils souhaitaient que lorsque son heure serait venue, leur fils puisse reposer auprès d’eux. Alfred a toujours su qu’avant qu’il ne s’en aille, il verrait la cavité sous la troisième pierre tombale, accueillir un corps, celui de Bruce Wayne dont le nom est gravé sur la stèle. Ce soir-là, comme tous les soirs, Batman est au sommet d’un gratte-ciel, en train de contempler la ville illuminée qui s’étend à ses pieds, avec la tour Wayne à plusieurs quartiers de là. Ce soir-là, John Nguyen et son compagnon Kevin sortent d’une séance de cinéma, avec leur bébé dans une poche ventrale. Ils prennent par une ruelle déserte et peu éclairée, et ils sont agressés par un groupe de jeunes hommes, le crâne rasé, avec un tatouage au sommet, et ils les menacent de leur pistolet. L’un d’eux appelle John par son nom, énonçant sa profession d’inspecteur de police, et lui disant qu’ils sont le Mépris, qu’ils méprisent leur contrôle. Batman intervient, désarmant les agresseurs et les neutralisant avec force et brutalité. Ils appellent le couple par le nom de famille de l’inspecteur, et leur suggère d’appeler une ambulance, puis il s’en va. Batman circule dans les rues de Gotham à bord de la Batmobile. Alfred ironise dans l’oreillette : ruelles et cinémas, quasiment une carte de visite professionnelle. Puis il informe Bruce d’un appel au numéro de secours 911, le demandeur appelant depuis quatre heures sans réponse : une mort inexpliquée. Batman se rend à l’appartement et monte les étages en demandant aux locataires qui l’a appelé. Finalement sur un palier, une femme avec un enfant dans les bras et un afro-américain âgé lui répondent : Vince dans l’appartement 4C, personne ne l’a vu depuis trois jours et il y a une drôle d’odeur qui passe par sa porte. Il écoute le peu d’informations qu’ils peuvent lui donner et se rend à l’appartement, Alfred lui fournissant le nom complet : Vince William Stannik. Il entre dans l‘appartement : un cadavre déjà en cours de décomposition sur le lit, et des coupures de presse sur Batman affichées au mur, environ cinq ans d’articles. Toute la scène du crime a été soigneusement nettoyée : aucune empreinte. Il appelle les services du commissaire Gordon pour signaler le cadavre. Il retourne au manoir où il trouve Alfred affalé dans un canapé, déjà un peu éméché en descendant une bouteille d’un grand cru de vin blanc, et en écoutant la musique de Peter Warlock (Philip Arnold Heseltine, 1894-1930) L’annonce de ce projet a fait saliver car il s’agit du même duo de créateurs qui a réalisé The Authority (12 épisodes, 1999/2000), une série qui a fait date dans l’histoire des comics de superhéros. A priori, le lecteur fait confiance au scénariste pour avoir conçu une histoire à l’échelle des douze épisodes, anticipant donc le fait que tout ne lui sera pas donné dès le premier épisode qui ne sera peut-être pas satisfaisant pour lui-même. Il s’attend également à ce que le scénariste fasse porter une proportion significative de la narration sur le dessinateur, dans des pages muettes, comme il en a l’habitude. C’est bien le cas : 5 pages muettes dans le numéro 1, 6 dans le 2, 9 dans le 3, 6 dans le 4, 5 dans le 5, 2 dans le 6, 7 dans le 7, 6 dans le 8, 6 dans le 9, 9 dans le 10, 3 dans le 11, 9 dans le 12. Ce n’est pas tant que le scénariste a changé sa manière d’écrire pour le dessinateur, c’est plutôt qu’il a conservé sa manière de faire en laissant le dessin raconter l’histoire, et qu’il a conçu ces scènes en fonction des points forts de cet artiste, ou en fonction des demandes de celui-ci. Ici, il ne s’agit pas d’une équipe de superhéros ayant vocation à intervenir contre des menaces à l’échelle de la planète : Batman reste à Gotham, avec un passage à l’asile d’Arkham, pour lutter contre des individus fêlés, une milice qui souhaite être la police à la place de la police, et un mystérieux très bien préparé. Le lecteur plonge dans une aventure de Batman, sans beaucoup d’éléments en provenance de sa mythologie, juste ses parents, Alfred Pennyworth, le manoir, la grotte avec ses ordinateurs, ses batmobiles, et quelques armes technologiques). James Gordon ne joue qu’un rôle mineur, pas d’ennemis costumés récurrents. Dans le même temps, ce Batman utilise l’informatique et des drones, sans que le scénariste n’en abuse non plus. Il est globalement toléré par la police, et il ne porte pas de slip par-dessus son costume. Il n’est pas question de la vie privée de Bruce Wayne, si ce n’est une ou deux remarques moqueuses en passant. Tout commence avec l’agression d’un policier en civil d’une part, et avec ce meurtre mystérieux d’autre part. Batman doit à la fois intervenir dans des combats physiques, et également enquêter et faire des déductions. Le scénariste n’essaye pas de faire croire au lecteur qu’il peut anticiper les déductions de Batman, car il ne lui donne pas les indices nécessaires pour ce faire. Le plaisir de lecture provient de voir le héros à l’œuvre, que ce soit pour l’enquête, ou pour les interventions physiques. Le lecteur un peu habitué des comics et du format d’histoires complètes en une dizaine d’épisodes ou moins, sait qu’il comporte deux écueils : le premier est celui d’une construction tout en mystère dans les trois-quarts des épisodes, et une résolution artificielle à la fin, ce qui amène le lecteur à s’impliquer de plus en plus, et à trouver la fin pas à la hauteur du suspense et des promesses qu’il contient. Le second réside dans le risque que le dessinateur s’investisse à fond dans les premiers épisodes, puis qu’il soit rattrapé par les délais et qu’il ne dispose plus d’assez de temps pour faire aussi bien dans la seconde moitié du récit. Il feuillète donc rapidement ce tome et il constate que les pages des derniers numéros sont aussi soignées que celles des premiers. Il en a la confirmation à la lecture : Bryan Hitch ne donne à aucun moment l’impression d’avoir dû accélérer la cadence pour boucler ses épisodes. La participation de Kevin Nowlan à l’encrage pour deux épisodes et une partie d’un troisième ne gâche pas la lecture : il soigne un peu plus les contours des personnages et des aplats de noir, mais il faut scruter les cases pour en prendre conscience. Dès la séquence d’ouverture, le lecteur constate que le coloriste a choisi une approche de type naturaliste, avec des couleurs un peu ternies, à l’opposé de couleurs très vives comme dans les comics de superhéros habituels. Il remarque également qu’Alex Sinclair joue discrètement sur l’ambiance lumineuse pour installer une nuance prédominante, une identité de couleur en fonction du lieu, du moment de la journée, et donc de l’éclairage. Il augmente le degré de lisibilité des cases en faisant bien ressortir chaque élément détouré par rapport à ceux qui l’entourent, et il joue un peu sur les nuances d’une même teinte pour augmenter l’impression de relief d’une surface. Il utilise les effets spéciaux avec parcimonie, pour les scènes d’action, les explosions, le halo lumineux des gratte-ciels. Le dessinateur s’attache à donner de la consistance à chaque élément en le représentant de manière détaillée, quelle que soit sa nature. Ça commence avec la magnifique façade du manoir à laquelle il ne manque ni une fenêtre, ni une colonne, ni un panneau vitré. Ça continue avec le dessin en double page de Batman contemplant les immeubles sous lui, avec de nombreux bâtiments, tous représentés, et pas seulement en silhouette. Puis avec les personnes composant la foule. Etc. Le lecteur peut se projeter dans chaque lieu : la pièce principale où se trouve le cadavre avec les dizaines de coupures de presse au mur, la Batcave avec ses structures métalliques, son avion, son bateau, le salon avec le canapé, les bibliothèques, la grande cheminée, le tapis au sol, la table basse, le lustre, les chandeliers, etc. Cette minutie dans la représentation des décors leur confère une réalité solide. L’artiste est tout aussi investi dans les scènes d’action et ça commence avec le grand classique de Batman intervenant pour dérouiller des voyous de rue et empêcher une agression. Premier combat : rapide, en trois pages, brutal, un bras cassé, une rotule cassée, un coup de pied dans le visage avec des dents qui volent, pas de gros plan gore sur les blessures. Deuxième combat : onze pages, tout aussi brutal, dans l’espace confiné d’un appartement. Troisième combat tout en silence en six pages dans le grand salon du manoir Wayne : les coups font tout aussi mal. L’artiste adopte également une approche descriptive détaillée. Il conçoit le déroulement du combat en prenant en compte la géométrie du lieu, sa volumétrie, les obstacles : les ennemis ne donnent jamais l’impression de s’affronter sur une scène de théâtre vide et interchangeable. Il prend également soin de concevoir un plan de prise de vue qui donne à voir la succession de mouvements et de déplacements de Batman et de ses adversaires, sans aller jusqu’à la chorégraphie. Ce parti pris fait toute la différence entre un quota de pages d’actions obligatoires, et des batailles qui font partie intégrante du récit, qui se passent en un lieu précis, dont le déroulement dépend de l’environnement et des individus qui se font face, de leurs armes éventuellement. Le récit conserve son suspense grâce à cette narration premier degré très impliquée, et aussi grâce à la construction de l’intrigue où les mystères du début sont éclaircis progressivement, en même temps que l’implication personnelle de Batman augmente, évitant ainsi l’effet trop mécanique de mystères accrocheurs menant à une résolution en forme d’exposé révélateur. Alléché par le professionnalisme des créateurs, le lecteur plonge dans une histoire de Batman autocontenue, donnant la sensation d’aller à l’essentiel. Ni le scénariste, ni le dessinateur ne révolutionne le personnage, ou ne cherche à en donner une version novatrice. Batman est fidèle à aux grandes caractéristiques des années 2000/2010 : taiseux, professionnel, disposant de moyens financiers et technologiques presque sans limites. Il enquête pour comprendre les agissements d’un nouvel ennemi et le neutraliser, avec une narration visuelle de type réaliste et détaillée, consistante de bout en bout, sans baisse de régime vers la fin. L’intrigue est bien dosée : l’implication personnelle de Batman allant croissante, alors que les mystères sont progressivement révélés, ce qui assure un suspense tout du long. Du bel ouvrage.
La Route
Autant le dire dès le début mais si vous cherchez une BD pour vous distraire et vous remonter le moral, passez directement votre chemin. Cette œuvre est froide, âpre, dure et sans espoir. Cette nouvelle adaptation d'un roman par Larcenet est une nouvelle fois une réussite, après l'excellent Le Rapport de Brodeck qui m'avait également emballé (peut-être un poil plus d'ailleurs). Pourtant, au contraire de cette dernière œuvre, il semblait beaucoup plus difficile d'adapter le livre de Mc Carthy tant les émotions passent essentiellement par les silences entre un père et son fils et les descriptions de ce monde désolé. Cette BD est d'autant plus réussie que Larcenet arrive à s'approprier l'ouvrage initial tout en restant fidèle à l'histoire. A cet effet, la fin très ouverte qui rejoint à quelques détails près celle du film, reste pour moi la meilleure manière de finir cette histoire. Ainsi, Larcenet arrive de très belle manière, par le dessin essentiellement, à transcrire cette amour entre un père et son fils dans un monde post-apocalyptique et déshumanisé ne laissant plus beaucoup de place à l'espoir. Les "alors d'accord" concluant chaque réponse du père aux questions parfois naïves mais toujours touchantes de son fils agissent comme autant de pincements au cœur du lecteur. Le sujet du suicide est également traité amenant chacun à se questionner sur ce qu'il ferait à pareille place. Mais c'est bien par le dessin que cette œuvre de Larcenet mérite à mon sens la note ultime. Tout comme dans "Le rapport Bordeck", le trait est fin et soigné et le monde fourmille de détails. Les corps sont décharnés et les visages presque morts. Les teintes de gris nuancées parfois de rouge, de jaune, de mauve et d'ocre sont vraiment du plus bel effet et transcrivent de très belle manière le côté poussiéreux de cette Terre dévorée par les flammes et suffoquant de ses cendres. Une œuvre magnifique qui a su me toucher. Le cœur me dit donc de réhausser ma note à 5/5. SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 8,5/10 GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 9/10 NOTE GLOBALE : 17,5/20