Les derniers avis (107 avis)

Couverture de la série Mon ami Pierrot
Mon ami Pierrot

Très bon album ! On nous parle de magie, de rêves et d'amour. D'amour de liberté, d'amour romantique, d'amour toxique mais aussi (et surtout, j'ai envie de dire) d'amour propre. Le récit joue parfois à la frontière du réel et de l'imaginaire, glissant quelques fois des concepts anachroniques (jouant sur les flous de temporalité), jouant même avec la mise en scène propre au medium de la bande-dessinée. J'y ai ressenti une grande inspiration du Château ambulant - voire même du Château de Hurle dont il est adapté - avec cette relation amoureuse toxique et ce love interest mystérieux et immature (bien qu'ici cela se termine de manière beaucoup moins positive pour le couple, la maturation se payant à un prix plus élevé). Les dessins sont beaux, j'ai particulièrement aimé le travail des visages, avec les grands yeux souvent écarquillés des personnages, cela jouait beaucoup sur les émotions de certaines scènes (la joie comme le malaise). Les couleurs bonbons et pétantes aident beaucoup à créer l'impression de "doux rêve" que vit Cléa, contrastant très bien avec l'apparition d'éléments plus horrifiques. Je me rend compte qu'il y aurait tellement de choses à dire, je n'ose pas parler de beaucoup d'éléments intéressants que j'ai découvert à ma lecture. Je pense sincèrement que l'album fait parti de ces histoires qui gagnent a être lues sans connaissances au préalable. Une très bonne surprise pour ma part.

21/01/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Hiver à l'opéra
Hiver à l'opéra

Mais qui peut vraiment se résigner à la perte d’un être cher ? - Ce tome fait suite à Automne en baie de Somme (2022) qu’il vaut mieux avoir lu avant. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Philippe Pelaez pour le scénario, et par Alexis Chabert pour les dessins et la couleur directe. Il comprend soixante-dix pages de bande dessinée. Une jeune ballerine danse gracieusement sur un ponton, sous la neige tombante. Sur cette scène de fortune, elle virevoltait comme virevoltait la neige, accompagnant de ses mains la chute de flocons au rythme indolent de l’adage. Les planches recrues et crevassées ne semblaient pas souffrir de ses arabesques et de ses jetés, de ses chats et de ses entrechats, mais au contraire gémissaient de plaisir sous la scansion des menées. La neige elle-même, presque affectée de troubler un ballet sur lequel elle jetait son voile lilial, disparaissait instantanément au contact de cette peau de sylphide. Devant la foule des invisibles, la danseuse chutait pour se relever sans cesse, se relevait pour chuter encore, trahie par un corps qu’elle avait trop longtemps malmené. Qu’elle avait malmené quand elle virevoltait comme virevoltait la neige, accompagnant de ses mains la chute des flocons au rythme indolent de l’adage. Opéra Garnier, à Paris en février 1897. Les spectateurs continuent de s’installer. En arrivant dans la grande salle, l’une d’entre eux demande si c’est la loge du président Félix Faure, au milieu. Un homme lui répond que non, que sa loge à lui est maçonnique. Son mari leur indique de regarder la place numéro treize, c’est là qu’une femme est morte l’année dernière en mai quand un contrepoids du lustre a crevé le plafond et lui a écrasé la tête. Son épouse pousse un petit cri : c’est horrible. L’autre homme lui suggère de songer que l’opéra Garnier est le treizième opéra de Paris. L’époux ajoute que ce soir ils jouent La damnation de Faust. Dans un autre rang, ils repèrent un homme, et l’époux l’identifie : c’est Pierre Séverin, un des membres actifs de l’ancienne ligue des patriotes, de Paul Deroulède. Elle le détrompe, pas lui, l’autre. Il le reconnaît également : c’est l’inspecteur Broyan, il a été révoqué il y a quelques mois pour avoir violemment agressé Nicolas Boursaut-Choiseul, l’héritier du banquier. Il ajoute que Broyan enquêtait sur la mort d’Alexandre de Breucq, mais cela n’a rien donné du tout. Ils décident de regagner leurs places. Séverin et Broyan se demandent pour quelle raison le colonel Tréveaux ne se montre pas. Le directeur de l’opéra se pose la même question, et il demande à son assistant d’aller vérifier si le colonel ne se trouve pas au foyer de la danse. Dans la fosse, le chef d’orchestre donne le signal en levant sa baguette et les musiciens entament leur partition. Dans les cintres, le colonel Tréveaux, vêtu d’un simple pagne noué autour de sa taille, est attaché dans une position de croix. Il demande à son maître s’il va être purifié. Dans l’ombre, son interlocuteur répond qu’il va l’être au-delà de ses espérances. Un coup de poignard tranche la gorge du colonel et toujours attaché son corps va balancer au-dessus des spectateurs dans leur fauteuil. Après l’automne vient l’hiver, littéralement même puisque cette histoire s’ouvre sous les flocons de neige, en février 1897. Le malheureux inspecteur Amaury Broyan est de retour pour une nouvelle enquête qui s’annonce difficile puisqu’il a été radié de la police. D’ailleurs, le lecteur tique un peu en observant la liberté de mouvement dont jouit l’ex-inspecteur : il retourne dans les bureaux de la police pour témoigner devant l’inspecteur Jules, il a accès à des informations confidentielles, ses anciens collègues continuent de le respecter, il ne semble pas avoir de soucis de fin de mois… D’un autre côté, il est plausible que ses anciens collègues le soutiennent parce qu’ils estiment que ses actions étaient justifiées. Il n’en reste pas moins qu’il se promène avec facilité dans des lieux où il n’a rien à faire… et le scénariste apportera une explication à cette forme de liberté. D’une manière générale, les auteurs positionnent leur récit dans un registre plausible et réaliste, usant d’effets romantiques pour faire transparaître l’exaltation des personnages. Ainsi le lecteur accompagne Amaury Broyan dans ses déplacements et ses discussions, suivant ses intuitions et ses déductions. Il voit comment la police progresse de son côté, en fonction des informations qu’elle parvient à obtenir. Comme dans tout bon polar, les personnages sont amenés à côtoyer des individus de toutes les couches sociales, et cela met en lumière des aspects peu reluisants de la société de l’époque, à cet endroit du globe. Comme pour le premier tome, les auteurs ont choisi de situer très explicitement l’action : à Paris, en février 1897. Ce genre de parti pris induit que l’artiste doit se prêter au jeu de la reconstitution historique, doit investir le temps et l’énergie nécessaire pour les recherches et les représentations. Le lecteur est à la fête dès la deuxième page : une vision de l’opéra Garnier à la nuit tombante, les ors de la salle, les toilettes variées de ces dames, les costumes plus stricts de ces messieurs, les fauteuils plus ou moins confortables, les couloirs permettant d’accéder à la salle, les cintres, etc. L’artiste sait doser ce qu’il détoure avec un trait noir, ce qu’il représente en couleur directe, le niveau de détail de chaque élément entre une précision technique et une impression. En fonction de sa sensibilité et de son mode de lecture, le lecteur peut se focaliser aussi bien sur les textures (par exemple le marbre des colonnes), que sur éléments de décors, ou bien sur l’ambiance lumineuse chaude diffusée par l’éclairage. En page onze, la criminelle s’enfuit avec une légère carriole dans une case de la largeur de la page en élévation, avec une belle représentation d’un immeuble haussmannien en premier plan. En page treize, Broyan descend sur les quais bas au pied de la cathédrale Notre-Dame de Paris : il éprouve la sensation de s’y trouver, et d’avoir le privilège de pouvoir pénétrer dans un caveau accessible depuis ledit quai. Le dessinateur apporte le même soin pour les intérieurs, par exemple le bureau de l’inspecteur Jules : le feu de cheminée, le modèle de chaise, les casiers, le bureau et sa corbeille, le portemanteau, l’accessoire pour déposer les parapluies mouillés, les meubles de rangement. Le lecteur se rend compte qu’Alexis Chabert choisit ses cadrages et élabore ses structures de pages pour montrer ces lieux, c’est flagrant avec l’appartement spectaculaire de Gabriel Delanne, en pages 28 & 29. Dans le même temps, le récit met en scène des sentiments intenses, ce qui offre également la latitude à l’artiste d’emmener sa narration visuelle dans des pages plus échevelées, se teintant d’expressionnisme. Cela commence avec la première planche : Lisianne effectuant des entrechats allant librement d’une position à l’autre sans avoir à franchir des bordures de case (il n’y en a pas). La mise à mort du colonel Tréveaux bénéficie d’une mise en scène spectaculaire et morbide à souhait : le cadavre attaché se balançant à plusieurs mètres au-dessus des spectateurs, la blessure à la gorge laissant s’échapper du sang qui leur pleut dessus. Les hallucinations de Lisianne dans la caverne sous l’opéra Garnier donnent lieu à des cases aux contours irréguliers comme voletant en insert sur un dessin en pleine page. Son emprise hypnotique sur le banquier Larrey se traduit par un vol de chauve-souris qui se transforme en pantins de papier, traduisant les associations d’idées qui se produisent dans son esprit, au gré de l’emprise de la jeune femme. En page cinquante-deux, le lecteur découvre une magnifique illustration en pleine page, sans un mot : une haute silhouette drapée de rouge, maniant une gaffe pour diriger sa barque sur une eau dégageant des fumerolles, telle Charon faisant traverser deux défunts. Ensorcelant. À l’instar du premier tome, les auteurs indiquent explicitement leurs sources d’inspiration, un hommage honnête. La première citation est extraite du roman Le fantôme de l’Opéra (1910), de Gaston Leroux (1868-1927), l’intrigue s’en inspirant directement. La seconde reprend des vers de Victor Hugo (1802-1885) extraits de Le livre des tables (1853-1855), sur le spiritisme. Le scénariste fait baigner son récit dans la fascination de l’époque pour l’hypnotisme, le magnétisme et le spiritisme, évoquant les travaux du docteur Jean-Martin Charcot (1825-1893, médecin clinicien et neurologue), Franz-Anton Mesmer (1734-1815, fondateur de la théorie du magnétisme animal), Gabriel Delanne (1857-1926, spirite). Le scénariste intègre également la dimension politique de l’époque, en évoquant explicitement Paul Deroulède (1846-1914, fondateur de la Ligue des Patriotes en 1882) et président Félix Faure (1841-1899, septième président de la République française). La reconstitution historique du contexte politique et sociale s’avère aussi riche que celle visuelle. Le cœur de l’intrigue repose sur la même famille de crimes que dans le premier tome, et la soif de vengeance qu’ils engendrent, faute d’une justice adéquate dans une société qui tolère ces abus. Un second tome très réussi : la narration visuelle a gagné en densité et en élégance, en émotion et en rigueur. L’intrigue policière reste dans un registre plausible, tout en faisant ressortir les affres insupportables dans lesquelles les victimes sont plongées, les conduisant à des actes terribles. Un récit enfiévré et poignant.

21/01/2025 (modifier)
Par PatrikGC
Note: 4/5
Couverture de la série Gunsmith Cats Burst
Gunsmith Cats Burst

Oui, on prend les mêmes et on continue ! Pourquoi se gêner si la recette fonctionne bien, et si l'auteur peut se laisser aller à sa passion des armes à feu et des voitures ? Mais il convient de lire la 1ère partie avant (Gunsmith Cats), sinon on risque d'être vite paumé. Je trouve que cette suite est un poil moins sordide (à moins que je me sois habitué), mais ce n'est toujours pas à mettre dans les mains d'une âme pure et innocente.

20/01/2025 (modifier)
Par PatrikGC
Note: 4/5
Couverture de la série Gunsmith Cats
Gunsmith Cats

Je possède les 2 éditions, celle en 8 volumes et celle en 4, ce qui me permet de faire un comparatif, la 1ère étant censurée par rapport à l'autre. Cette lecture n'est pas à mettre sous le nez de tout le monde, il faut avoir l'esprit assez large avec tous ces cartels, ces magouilles, ces psychopathes, ces barjots, ces meurtres et autres amusements du même style. Néanmoins, c'est plutôt enjoué et plein d'action, avec des dessins plutôt mignons (ce qui détonne un tantinet par rapport à la noirceur ambiante). Si vous n'y connaissez rien en armes à feu, ce manga fera votre éducation. Même si ça se passe aux USA, on a souvent l'impression d'être au Japon, quant aux personnages et à certains points de détail. Tout ce petit monde possède souvent des caractéristiques surhumaines. C'est tout juste si on ne vous fait pas avaler qu'on peut tirer à travers un trou de serrure, à 100 mètres de distance, installé dans un véhicule lancé à fond en train de se faire canarder. Et avec une seule main, puisque l'autre tient le volant :) Si jamais vous n'avez pas eu votre dose, il existe une suite Gunsmith Cats Burst : on reprend les mêmes et on continue. Bien sûr, je possède aussi cette suite. J'aurais pu mettre ''culte'', mais certains aspects me dérangent quand même un peu. Nota : dans l'édition révisée en 4 volumes, on y découvre aussi la série inachevée Riding Bean (le magazine ayant fait faillite), série qui a donné ensuite naissance à Gunsmith Cats, avec quelques remaniements.

20/01/2025 (modifier)
Par pol
Note: 4/5
Couverture de la série Shin Zero
Shin Zero

Il y a beaucoup à dire sur cette nouvelle production du label 619. Déjà, l'album a des allures de mangas de part son format et son style graphique, du noir et blanc et des personnages aux traits japanisans. Ce choix est on ne peu plus normal puisque l'histoire que nous raconte les deux auteurs est celle d'un groupe de Sentai. De quoi ? Mais si, rappelez vous les bioman et les power rangers... Des jeunes gens qui s'habillent en fluo pour combattre des méchants monstres qui veulent du mal à la population. Force jaune et force rose, vous l'avez ? Oui, sauf qu'à notre époque c'est plus trop la mode. Aujourd'hui on vit dans une société de consommation, on scrolle sur notre téléphone, on commande à manger sur celui-ci et on attend sagement qu'un livreur Uber vous livre votre commande, pour laquelle on lui attribuera quelques étoiles si on est satisfaits du service. Et là l'idée merveilleuse des auteurs est d'avoir fusionné les Sentai et Uber ! Bienvenue dans un monde ou vous pouvez commander un super héros pour faire le vigile dans votre commerce, ou pour chasser les gamins qui dealent en bas de votre immeuble. Franchement rien que pour ce concept cet album vaut le coup d'oeil ! La pagination est importante (comme dans un manga), cela permet de poser les bases de cet univers. Les personnages sont nombreux, mais on ne s'y perd pas. L'histoire prend le temps de les présenter. On nous parle aussi pas mal du passé, lorsque les Sentai avaient plus la cote, qu'ils n'étaient pas cantonnés à des missions sans intérêt. Tout cela fonctionne bien, le rythme est plaisant. Et surtout une fois qu'on s'est amusé à découvrir cet univers un peu barré, l'intrigue arrive à décoller. C'est avec curiosité qu'on lit les derniers chapitres de ce premier tome, où les péripéties amènent ce qu'il faut de tension et de suspens pour donner envie de lire la suite.

20/01/2025 (modifier)
Par Yann135
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série La Terre Vagabonde
La Terre Vagabonde

Si j’étais membre du jury à Angouleme, Christophe Bec et Stefano Raffaele recevraient une distinction méritée pour leur énormissime contribution à la BD. Vous l’avez compris je suis un fan absolu de ce duo incroyable. Je me procure leurs albums les yeux fermés. Et jamais je n’ai été déçu. Avec la terre vagabonde encore une fois nous sommes sur une véritable pépite alliant la plume brillante de Christophe Bec et les talents visuels de Stefano Raffaele. Les compères ont réussi une nouvelle fois à créer une œuvre captivante qui ne peut que vous transporter dans un univers riche et intrigant. Christophe Bec est connu pour son habileté à tisser des histoires complexes et immersives. Il ne déçoit pas avec ce scénario inspiré de l’œuvre de Liu Cixin publiée en 2000. Il mélange habilement science-fiction et aventure, tout en explorant des thèmes profonds comme la survie, l'humanité et l'inconnu. L'intrigue est fascinante dès les premières pages. Christophe réussit à maintenir une tension narrative qui va vous garder en haleine jusqu'à la fin. Les personnages sont bien développés et nuancés, offrant une profondeur émotionnelle qui résonne longtemps après la dernière page tournée. Une lecture d’une traite s’imposera naturellement à vous. En parallèle les dessins de Stefano Raffaele sont tout simplement spectaculaires. Chaque planche est un chef-d'œuvre en soi, débordant de détails et d'expressions qui donnent vie à l'histoire. Stefano maîtrise parfaitement les scènes d'action dynamiques autant que les moments de calme introspectifs. Son style visuel unique complète parfaitement le récit de Christophe Bec, créant une harmonie entre le texte et les images qui est rare dans le genre. C’est magnifique avec en bonus des posters visuels incroyables. Cerise sur le gâteau avec cet album vous pouvez intellectualiser l’histoire en vous posant des questions philosophiques … tout en divertissant bien évidemment. Le duo va vous pousser à réfléchir sur notre place dans l'univers et les implications de nos actions collectives. Ce n’est pas génial ça ? Je ne peux que recommander cette BD remarquable qui mérite une place dans votre bibliothèque. Je vous invite à courir chez votre libraire adoré pour vous la procurer.

20/01/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Les Disparues d'Orsay
Les Disparues d'Orsay

Le poète est semblable au prince des nuées qui hante la tempête et se rit de l’archer. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, consacrée à une visite atypique du musée d’Orsay. Son édition originale date de 2017. Il a été réalisé par Stéphane Levallois, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-neuf pages de bande dessinée. À la fin se trouve une liste des œuvres du musée d’Orsay (et d’ailleurs) citées dans le livre, soit environ soixante-quinze œuvres différentes, et un peu moins d’artistes. Cette liste s’intercale entre cinq portraits en pleine page : Dante Alighieri (d’après William Bouguereau), Heraklès (d’après Émile Antoine Burdelle, Henri de Toulouse-Lautrec), la Petite danseuse de 14 ans (d’après Edgar Degas), Johann Wolfgang Goethe (d’après Pierre-Jean David d’Angers). Virgile Gautrey, un agent de surveillance, vient de se lever, et il s’habille méthodiquement. Il finit par lacer ses souliers, et passer la lanière qui tient son badge, autour du cou. Il est le gardien du musée d’Orsay. Il se rend tranquillement à son lieu de travail, passe son badge dans la liseuse et pénètre à l’intérieur. Il passe devant le buste de Johann Wolfgang von Goethe, sculpté par Pierre-Jean David d’Angers. Il monte à l’étage. Il prend une chaise et il s’installe devant Naissance de Vénus, de William Bouguereau. En lui-même, il pense au conseil à donner à un visiteur : quand on visite un musée, ne pas faire comme les autres, changer de rythme, traverser les salles d’un pas pressé, n’adresser à chaque œuvre qu’un regard furtif. À coup sûr, cela divertira les gardiens, brisera un instant la monotonie de leur quotidien. Il continue en son for intérieur ; avaler les salles toujours plus vite, jusqu’à ce que peut-être une œuvre arrête le visiteur. Et que pour la première fois de sa vie, il ressente une émotion si forte qu’il lui soit désormais impossible de se passer d’elle. Totalement absorbé dans sa contemplation du tableau, Virgile Gautrey s’imagine voir Vénus courir nue devant lui, cherchant à atteindre un train sur le départ, le ratant, alors que lui reste de l’autre côté d’une vitre, incapable de la traverser, de rattraper cette femme. Le temps s’écoule à la grande horloge du musée et un autre gardien regarde le même tableau. Virgile Gautrey se réveille en sursaut dans son lit. Peu de temps après, il est le premier à arriver au musée. Il passe devant le buste de Goethe. Il passe devant le tableau La source, de Jean-Auguste Dominique Ingres, et il se fait la réflexion que la muse n’est plus là. Il se rend compte de l’impossibilité de ce qu’il vient de dire. Il continue de progresser dans la galerie et constate avec affolement que les jeunes filles ont disparu des autres tableaux. Il court jusqu’à la salle où se trouve Naissance de Vénus, elle n’est plus dans le tableau, il s’écroule à terre victime d’un malaise. Il gît sur le sol inconscient. Il reprend ses esprits, allongé sur un lit, le buste de Goethe lui parle. Il lui dit que le temps presse, que les muses ont disparu des œuvres, que ce musée pourrait être celui de la mémoire de Gautrey, et qu’il incombe à ce dernier de partir à leur recherche et de les ramener pour la célébration des trente ans. Le musée d’Orsay a été inauguré en 1986, et cette bande dessinée a été publiée en 2017, un hommage à ses trente ans d’existence. Le texte de présentation indique qu’elle constitue : un Jeu de piste alerte et poétique à Orsay, une nouvelle visite atypique du musée parisien, un conte irrévérencieux et léger pour la collection Futuropolis/Musée d’Orsay. En effet, comme l’indique le titre, plusieurs muses, la plupart dénudées, ont disparu de tableaux célèbres, et la quête du gardien est de les retrouver, et par là-même d’identifier leur ravisseur. Il s’appelle Virgile Gautrey, bien évidemment en référence à Virgile (-70 à -19), le poète latin auteur de l'Énéide, les Bucoliques et les Géorgiques. Durant son voyage, il rencontre Dante Alighieri (1265/67-1321, poète et écrivain) qui va lui servir de guide pendant plusieurs séquences, en hommage à La Divine Comédie (1307-1321), avec une inversion des rôles puisqu’ici Dante guide Virgile. En effet, Gautrey finit par arriver dans un endroit qu’il identifie comme étant l’Enfer. En fonction de sa culture, et de sa familiarité avec les collections du musée d’Orsay, l’illustration de couverture dit peut-être quelque chose au lecteur, plus ou moins vaguement. En arrivant à la fin de l’ouvrage, il découvre donc la liste des œuvres citées visuellement. La couverture est inspirée du tableau Les Oréades (1902) de William Bouguereau (1825-1905). Par la suite, il peut juste reconnaître l’architecture caractéristique du musée, ou bien quelques-uns des tableaux réinterprétés. Aussi le ressenti de lecture dépend fortement du niveau de familiarité avec les œuvres du musée d’Orsay (et d’ailleurs). L’auteur explicite cette mention d’autres endroits : il s’agit de la galerie internationale d’art moderne à Venise, du musée de l’Orangerie, du musée du Louvre, de la fondation Beyeler à Bâle, du musée Rodin à Paris, même si cela ne concerne que quelques œuvres parmi toutes celles auxquelles il est rendu hommage. Sa lecture peut alors prendre une dimension ludique, en jouant à identifier chaque référence, chaque tableau intégré à la narration visuelle, ou bien rester au niveau de l’intrigue, tout en se disant qu’il ira consulter plus en détail la liste en fin d’ouvrage pour telle ou telle image qui l’a plus frappé. Il n’en est peut-être pas au niveau de Virgile Dautrey qui a vécu l’expérience de ressentir une émotion si forte qu’il lui soit désormais impossible de se passer de telle œuvre, mais il y a fort à parier qu’il éprouvera l’envie d’en voir plusieurs pour de vrai. Au fil des pages, une composition ou une autre le prend par surprise : la perspective des Raboteurs de Parquet (1875) de Gustave Caillebotte (1848-1894), la richesse d’un tableau à la manière de Gustav Klimt (1862-1918), le pointillisme de La voilette (vers 1883) de Georges Seurat (1859-1891), les splendides couleurs de Londres Le parlement trouée de soleil dans le brouillard (1904) de Claude Monet (1840-1926), l’eau calme et visqueuse de Le pauvre pêcheur (1881) de Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898), ou encore bien d’autres. L’artiste accomplit la prouesse de rendre hommage à ces quelques soixante-quinze œuvres d’art différentes en évoquant pour chacune l’exécution particulière de chaque créateur, tout en maintenant une unité graphique à sa narration visuelle, ce qui constitue un défi remarquable en soi. Tout commence avec une technique classique : des formes détourées par un trait de contour, un peu lâche, un peu fin, conservant un soupçon de spontanéité, avec une mise en couleurs de type aquarelle apportant des informations sur les teintes de chaque élément, comme ternies, et rehaussant le relief des surfaces, ainsi que le jeu d’ombres. Les traits de contour se font plus droits et plus secs pour représenter le hall central du musée d’Orsay avec ses murs bien droits, et ses arches bien rondes. Les premiers tableaux sont évoqués dans leur cadre, accrochés au mur, avec des touches de couleurs un peu plus vives, les faisant ressortir du reste de la case, sans pour autant qu’ils ne jurent avec la réalité banale de Virgile Gautrey. La vraie première prise de liberté (après la disparition des muses) survient avec une scène spectaculaire en quatre cases page treize : une transposition de L’accident gare de l’Ouest (aujourd’hui Gare Montparnasse) le 22 octobre 1895, célèbre photographie de Léopold Louis Mercier (1866-1913). S’il y est sensible, le lecteur peut relever les fluctuations dans les techniques de dessins mises en œuvre par Stéphane Levallois qui lui permettent de s’aventurer vers les chefs d’œuvres picturaux, sans perdre le fil de son propre récit. Il peut jouer avec les lignes de contours en les rendant plus malléables ou plus floues, utiliser des couleurs plus vives pour un élément de la réalité banale de Virgile Gautrey en écho ou en annonce d’un tableau, utiliser le dispositif de l’ouverture d’une porte pour découvrir un autre monde ou une autre réalité derrière, diminuer le ratio de traits encrés au profit d’une plus grande importance accordée à la couleur directe, adapter des caractéristiques picturales telles que le pointillisme ou l’impressionnisme, jouer avec les aplats de noir, etc. Ainsi l’intégration des peintures se fait de manière organique, l’artiste gérant le degré de contraste en fonction de la séquence. L’intrigue fonctionne sur le principe d’une enquête : quelle est la cause de la disparition des muses ? Quel est le coupable ? L’utilisation d’un voyage en train permet de voir défiler les paysages, et donne également l’impression d’une course-poursuite, une scène ou deux donnant l’impression que le gardien peut peut-être rattraper celui qui les enlevées. Conscient de la nature anniversaire du récit, le lecteur ressent l’impression d’un passage en revue un peu mécanique des œuvres emblématiques du musée d’Orsay, et dans le même temps il éprouve également le fait que ce dispositif fonctionne aussi comme une exploration d’hypothèses, de pistes, comme dans une enquête. Il voit que l’auteur met en scène deux enquêteurs : Virgile Gautrey d’un côté, le buste de Johann Wolfgang von Goethe de l’autre qui cherche avec ses propres moyens (il est muni de six jambes mécaniques) au sein même du musée d’Orsay, y compris dans les réserves. Le lecteur peut y voir un deuxième niveau de lecture : le constat que les disparitions concernent exclusivement des muses, le plus souvent des femmes nues, ce qui induit de manière sous-jacente un questionnement sur la nature du rapport de séduction entre muse et créateur, sur ce qui peut s’avérer séduisant pour la muse chez le créateur, et ce qui peut prendre sa place dans le cœur de sa muse. Un livre anniversaire et hommage qui l’assume en égrainant les œuvres les plus célèbres du musée d’Orsay, sur la base d’un scénario linéaire. Virgile Gautrey se retrouve face à une toile après l’autre, essayant de comprendre pourquoi les muses ont disparu des œuvres. L’auteur parvient à remplir ce contrat de passage en revue, grâce à une narration visuelle qui sait accommoder chaque toile juste assez pour l’intégrer dans les dessins de l’histoire, sans dénaturer l’œuvre originelle. Accompagnant cette énumération, l’intrigue recèle plus de substance : un regard personnel sur l’importance ou le sens de chaque toile pour l’auteur, une mise en correspondance de la notion de muse et du jeu de séduction réciproque que cette fonction suppose avec le créateur. Ludique et enrichissant.

20/01/2025 (modifier)
Par pol
Note: 4/5
Couverture de la série La Mécanique
La Mécanique

Pas mal de bonnes choses dans ce premier tome, à commencer par la couverture. Composition superbe, le personnage avec son bras bio-mécanique contraste avec la guitare en bois, c'est du meilleur effet. Très belle mise en bouche, qui va se poursuivre dans une ville futuriste : un Lyon transformé en mégalopole glauque et sombre, il faut avouer que c'est amusant et séduisant. L'ambiance est très réussie, entre les véhicules volants quais de Sâone, et les bas fonds underground où on deale à tout bout de champ. Pour ne rien gâcher, c'est parfaitement mis en images par le dessin et la mise en couleur de Jef. Son style colle tout à fait à cet univers. Coté scénario, c'est classique mais efficace. Il y a plusieurs protagonistes qui vont se croiser. L'intrigue tourne autour d'une drogue de synthèse, de sa distribution, et du contrôle des quartiers. Politiques et mafieux se partage le gâteau. Comme c'est de rigueur on ne sait pas initialement ce qui motive les différents personnages, ce qu'ils cherchent à faire exactement, ou pour le compte de qui ils agissent. L'histoire se met en place doucement, elle donne envie d'en savoir plus même si pour le moment ça reste introductif, et ce petit flou ambiant mérite d'être développé. Les rouages de l'histoire sont en place, il ne reste plus qu'à ce que ça décolle vraiment pour transformer l'essai. En tout cas, l'envie de connaitre la suite est bien présente en fin de lecture.

19/01/2025 (modifier)
Par kanibal
Note: 4/5
Couverture de la série Le Mahâbhârata
Le Mahâbhârata

Je ne serai pas long car les précédents aviseurs ont été dithyrambiques à propos de ce récit, moi aussi. Je me suis laissé embarquer dans cette longue épopée qui effectivement de prime abord peut rebuter plus d'un, mais une fois l'arbre généalogique digéré, le récit est d'une limpidité. Je dois quand même avouer que les noms hindous ne sont pas évidents à retenir, il faut d'abord bien les graver dans un coin de la tête et ça passe comme une lettre à la poste. Si je devais porter un jugement négatif, c'est concernant les scènes de batailles, je les trouve molles du genou, elles manquent cruellement d'intensité, elles sont trop vite expédiées, pas assez épiques. Je n'ai pas ressenti le choc des armures. Malgré ce petit "moins" le Mahâbhârata reste une TRÈS bonne lecture.

19/01/2025 (modifier)
Couverture de la série Donjon Parade
Donjon Parade

Je remonte la côte de cette série, certainement la plus dispensable de l’univers (avant les antipodes) mais tout à fait recommandable et sympathique. Les scenarii se situent tous entre le tome 1 et 2 de Zénith, on suit les aventures de Marvin et Herbert avant que ce dernier ne sache se battre. Forcément cette temporalité ne fera pas évoluer les enjeux de la série, mais j’aime beaucoup cette période où Herbert se la joue encore poule mouillée, et sa relation avec Marvin est encore pleine de camaraderie. C’est très anecdotique (trop pour certains) mais rempli d’humour et de péripéties légères. Il me semble que cette série à vue le jour après la non adaptation en dessin animée de l’univers. Le ton est donc assez accès jeunesse et les aventures se lisent vites, une trentaine de pages par album, mais je ne boude pas mon plaisir. Un 1er tome gentillet mais la suite décolle bien plus, il y a franchement des passages cultes (la boucle temporel, les vampires, le peuple de Grogro...). Les 5 premiers albums sont sous le pinceau de Larcenet, école Bill Baroud, ça convient parfaitement à l’ambiance de la série, la couverture du tome 3 l’illustre très bien, j’adore. Le tome 6 marque un sacré changement sur le plan graphique, Alexis Nesme a un dessin bien plus léché mais on perd en mimiques et spontanéité (j’ai un peu de mal avec la tête de Herbert et ses yeux noirs, manque d’expressivité), mais l’histoire est réussie et comporte ses bons moments, les rafistolages d’Horous sont très drôles. Je continuerai à suivre sans hésitation. 3,5+ ———————————————- Petite MàJ Donjon Parade fait peau neuve en 2025. Pas sur le fond, qui restera le même (aventures légères et humoristiques toujours dans la même temporalité), mais bien sur la partie graphique qui se rapprochera dorénavant de Donjon Monster. Chaque album se verra confier à un dessinateur différent, au moins 6 sont annoncés cette année (avec Delaf, Burniat …). L’idée me plaît bien mais j’avoue être sorti sans hype particulière avec les 2ers (ceux avec Tebo et Surcouf). La faute aux récits bien trop légers, ça m’a bien plus sauté aux yeux qu’avec les précédents. Ici ça va trop vite et si c’est divertissant, ce n’est pas bien marquant, voir trop facile. Je n’ai pas retrouvé l’équilibre des scenarii passés. Je ne bouge pas ma côte (je suis tombé dans la marmite de l’univers) mais j’espère mieux pour les prochains. Même si je pense que contrairement à Monster, les invités auront ici beaucoup plus de mal à imprimer leurs pattes et à sortir des albums mémorables. Le concept parade m’apparaît plus limité, il faudrait augmenter la pagination pour un meilleur développement et adapter l’humour déployé en fonction de l’auteur.

18/04/2022 (MAJ le 19/01/2025) (modifier)