Ha ba là moi, je craque ! Des histoires de mômes, un dessin meûgnon comme tout, et un petit humour frais comme la brise de printemps : il y a tout pour me plaire.
Déjà le dessin. Il est top ! Vaguement passéiste (ce qui n'est pas pour me déplaire), terriblement expressif, il est tout entier dédié à l'innocence de l'enfance, ou disons à sa spontanéité. Le choix des couleurs est à l'avenant, et évoque la palette de Camille Jourdy pour sa BD Pépin et Olivia, une autre BD sur l'enfance, tiens.
L'humour est finaud. Cécile file la métaphore du Far West, avec dans le rôle du coboye une petite fille choupinette dont le caractère fait songer à Mafalda ou Pico Pogue. Et dans celui du shérif, la mère, un peu dépassée par ce "tron de l'air" d'enfant ! Et oui ! Le héros est une héroïne. A ce titre, on appréciera tout particulièrement ce gag où la petite est perchée sur une branche, observant de loin la nouvelle voisine (entourée de ses deux jeunes garçons) discuter avec sa shérif de mère pour lui dire : "Ah oui ! Tu as deux filles, toi... Remarque, il faut bien des filles pour les fils des autres !". Le dessin est assorti de ce commentaire : "Dans l'Ouest sauvage, on rencontre toutes sortes d'esprit agités. Le coboye sait garder ses distances...
Petit topo féministe au passage...
Cécile porte un regard tendre sur l'enfance échevelé des gosses de la campagne. C'est juste et touchant, parfois même un peu triste (la saynète finale, très Douce amère). En un mot, cette BD, c'est un vrai bonbec !
"La Reine de Saba" est l’adaptation du roman du même nom de Marek Halter par Jean-Marie Michaud. La vie romancée de Makéda, de sa jeunesse à Maryab à sa rencontre avec le roi Salomon.
Une préface qui fait le point entre légende et réalité, ainsi qu'une carte géographique représentant les différents royaumes. Instructif.
Autant le dire d'entrée, j'ai été conquis par cette femme d'exception (et peut-être un peu amoureux). Une femme gâtée par dame nature, ou par son dieu Almaqah, elle est élancée, gracieuse, belle, cultivée, curieuse, intelligente et au fort caractère. Elle sera femme de guerre et femme d'amour. Mais surtout une femme moderne, elle sera s'adapter aux circonstances (politique, alliance, commerce et religion) pour le bien de son royaume. Une main de fer dans un gant de velours.
Un récit captivant et bien construit, j'ai eu l'impression de lire un récit Historique : la vraie vie de Makéda, reine de Saba. 260 pages de bonheur.
Un dessin envoûtant qui m'a plongé trois mille ans en arrière. Il retranscrit superbement cette période historique avec le grand soin apporté aux décors et aux personnages. Un dessin somptueusement rehaussé par de magnifiques couleurs à l'aquarelle.
Quelques planches dans un style moyenâgeux pour les récits hébraïques qui jalonnent le récit et pour les extraits du "Cantique des cantiques" (relation charnelle entre Makéda et Salomon), mais avec une touche exotique en plus pour ces derniers.
Très, très beau !
Une reine charismatique que je vous conseille de découvrir.
Dans mon top 5 des BD 2024.
Il ne me reste plus qu'à lire Le Mahâbhârata.
Okay, je retrousse mes manches, je vais essayer d'augmenter la note de cette série qui le mérite.
Giant Days, c'est une série tranche de vie autour de trois jeunes adultes en pleines années fac qui se démarque avant tout par la forme de sa narration. Autant le dire tout de suite, même si le fond est assez souvent sérieux (bons nombres de sujets de sociétés sont abordés) la forme elle est on ne peux plus loufoque. A grands coups de longues tirades mélodramatiques et de punchlines pince-sans-rire, les trois jeunes femmes et leurs entourages tentent de refaire le monde, de se chercher, de grandir tout simplement. C'est principalement un humour que j'appellerais verbeux : il repose justement sur le fait de produire des phrases absurdement longues et/ou complexes, des métaphores alambiquées et des réparties cinglantes. Pour en avoir souvent parlé avec des gens, je constate que cet humour est loin d'être universel, mais quand, comme moi, on sait l'apprécier, cette série fait mouche. On ne pourrait pas aborder l'humour de cette série sans rappeler qu'elle est d'origine britannique et que les amateur-ice-s de blagues à froids ne seront pas non plus dépaysé-e-s.
Comme dit plus haut, c'est avant tout un récit autour de jeunes adultes, des individus se trouvant à cet âge presque ingrat où l'on n'est plus vraiment jeune mais où l'on ne se sent pas encore vraiment adulte pour autant. Les personnages grandissent, évoluent, se cherchent et on s'attache facilement à tout ce beau monde.
Tiens, d'ailleurs, on ne les a pas encore présenté-e-s !
Il y a d'abord Esther, la gothique drama queen et férue de beaux garçons, puis Daisy, la gentille fille naïve et sérieuse, et enfin Susan, l'intellectuelle n'hésitant pas à relever ses manches et rentrer dans le lard.
Autour de nos trois héroïnes, on retrouve toute une flopée de personnages secondaires. Deux d'entre eux pourraient même facilement être considérés comme des personnages principaux à par entière : j'ai nommé Ed, le garçon éperdument amoureux d'Esther et extrêmement malchanceux, et McGraw, véritable machine humaine à la moustache constamment impeccable.
Les dessins de Max Sarin et Lisa Treiman sont tous deux très jolis. J'ai une préférence pour le style de Lisa Treiman (artiste que j'aimerais beaucoup voir dans d'autres projets), mais j'avoue que, lorsque l'on me dit "Giant Days", ce sont tout de même les dessins de Max Sarin que j'imagine (sans aucun doute car ce sont eux qui illustrent le plus d'albums de cette série).
Mention spéciale pour les dessins et chapitres bonus de John Allison disponibles dans la réédition.
Après, c'est sûr que si l'on n'aime pas les récits tranche de vie, les problématiques typiques des jeunes adultes et l'humour que je vous ai décris plus haut, la série n'est pas vraiment faite pour vous.
La conseillerais-je à tout le monde ? Non. Mais je la conseille tout de même aux amateur-ice-s de récits du quotidien pleins de bons sentiments et sous forme comique.
Une bonne série, surtout pour de jeunes adultes ou des adolescents.
(Note réelle 3,5)
Un bel hommage au Joker que ce "Killing Joke" de Moore et Bolland !
Le dessin de Brian Bolland, tout d'abord, est vraiment magnifique avec une mise en page et des cadrages très réussis. A lui seul, comme le souligne Présence, il justifie l'achat de cet ouvrage. Avec les différentes versions du joker qui existent à présent, je reste également plutôt fan de la gueule, relativement traditionnelle, que lui a conféré le dessinateur. Si la colorisation est assistée par ordinateur, elle reste toutefois relativement agréable à l’œil et les flashbacks en N&B et sépia participent à l'immersion du lecteur.
Côté scénario, Alan Moore ne révolutionne pas le genre et nous sert une histoire classique d'évasion du Joker et de duel à mort avec son meilleur ennemi, Batman. La surprise vient plutôt dans le côté réaliste et malaisant de l’agression et de la torture que fait subir le Joker à Gordon et sa fille. J'avais rarement vu un tel niveau de réalisme trash dans une BD de Batman... Alan Moore se permet également de réinventer le mythe du Joker en tentant d'expliquer comment il est devenu le gangster le plus fou de Gotham. Si sa biographie reste relativement classique, elle n'en est pas moins intéressante à découvrir.
Concernant l'ouvrage en lui-même, comme toute bonne édition Urban DC Comics, la préface de Tim Sale et la post-face de Brian Bolland ainsi que les annexes apportent une réelle plus-value à la lecture. Une très belle édition en somme!
Ma seule déception concerne la brièveté de l'histoire. Elle se lit bien trop vite à mon goût et elle n'est constituée que d'un seul arc narratif, relativement classique, m'empêchant de mettre la note suprême de 5/5. Mais elle reste tout de même sans nul doute parmi les meilleurs histoires du Joker jusqu'à présent.
SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 7/10
GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 9/10
NOTE GLOBALE : 16/20
Un album passé sous mon radar lors de sa sortie et c’est bien dommage, tant il aurait mérité les honneurs en 2023. Je me joins de mon cœur à la note de mes prédécesseurs.
Alors attention rien de fou, on est dans le pur roman graphique. L’histoire se présente sous la forme d’un Road movie avec moult rencontres. On suit un mec un peu paumé parti sur les traces de son père décédé, la narration alternant les 2 parcours.
Sauf que tout est réussi, la localisation amène un certain dépaysement, les interrogations/doutes/thématiques m’ont paru fines comme pertinentes, et enfin une réalisation de haut vol (trait, découpages, couleurs …). Le tout apparaît très soigné.
Je ne sais pas s’il y a un lien entre les auteurs (même nom de famille) mais il y a une certaine osmose avec cette adaptation. Je découvre l’artiste qui livre ici du superbe boulot. Tout est là pour nous embarquer, je ne peux que vous inviter à monter à bord.
Une chouette balade.
J'avoue que j'étais assez circonspect en voyant cette "rural fantasy" (l'invention de cette catégorie est trait humoristique mais à lire un commentaire précédent, il semble que tout le monde ne soit pas perméable à cet humour :)) aussi bien classée ici. Le nom de Lupano et les critiques précédentes m'ont décidé à sauter le pas, étant amateur de fantasy plus "traditionnelle". On est ici loin des héros classiques des grandes épopées, et c’est bien là tout l’intérêt. Pistolin, berger et fromager, se retrouve entraîné dans une quête improbable, motivée par une simple envie de vengeance. Plus de troupeau, plus de village, tout a été réduit en cendres par des mages qui se chamaillent sans se soucier des conséquences. Il décide alors de partir en guerre contre eux, accompagné de Myrtille, une brebis peureuse, et de Pâquerette, une fée alcoolique et grande gueule.
Le scénario de Lupano détourne avec brio les codes de l’heroic fantasy pour les ancrer dans un univers campagnard. Rien de grandiloquent ici, tout est décalé, des dialogues pleins de verve aux situations absurdes qui s’enchaînent. On sent que Lupano s’amuse à dynamiter le genre, avec une ironie qui rappelle parfois l’esprit de Kaamelott. Les répliques fusent, l’humour est pince-sans-rire, et chaque personnage apporte son lot de moments mémorables.
Le dessin de Relom complète bien cet univers. Les visages sont expressifs à souhait, oscillant entre caricature et réalisme. On y retrouve un parfum de terroir, un peu rustique, mais toujours soigné. Le trait est précis, parfois exagéré juste ce qu’il faut pour appuyer les situations les plus loufoques. Et les couleurs, discrètes mais bien choisies, servent le ton sans jamais l’éclipser.
Une BD qui revisite le genre avec un regard irrévérencieux et rafraîchissant. Pas besoin d’être fan de fantasy pour apprécier cette aventure déjantée. J'ai suivi ce trio avec plaisir, mais je suis bon public, je ne sais pas si ce genre d'humour correspondra à tous. En tous cas pour moi c'est un grand oui et un coup de coeur. Merci encore à BDThèque.
Je trouve qu'il y a quelque chose d’intrigant dans ce choix de tout plaquer pour vivre dans un arbre. Peut être tout simplement que ce choix résonne chez moi. Pas pour fuir, mais pour retrouver. Le récit s’ouvre sur cette cabane (joliment) bricolée à la main, perchée au milieu des bois. C’est là que Dominique Mermoux, ancien berger, va passer des semaines à écouter le bruissement des feuilles, à observer le temps qui s’étire, à apprivoiser une solitude choisie. Rien d’extraordinaire à première vue, et pourtant, tout se joue dans cette simplicité. Loin du tumulte, chaque détail devient important.
Le dessin suit cette idée. Dominique Mermoux ne cherche pas l’esbroufe. C’est sobre, des aquarelles qui laissent la lumière et les espaces s’exprimer. L’approche est posée, comme si les pages respiraient avec le récit. Ce n’est pas un livre qui cherche à éblouir, mais à inviter à regarder autrement. Le rythme est lent, presque contemplatif, mais jamais lourd. Il y a des flashbacks, quelques retours sur une vie d’avant qui apportent un contrepoint à la sérénité actuelle. Ils ancrent le personnage dans une réalité qu’il a choisie de quitter, mais qu’il n’oublie pas.
Le ton n’est jamais moralisateur. Pas de grandes leçons sur la nature ou sur la société (qui en tente beaucoup d'autres, souvent pour un résultat qui tombe un peu à côté de la plaque je trouve), juste une expérience partagée, une réflexion à voix basse sur ce qu’on perd et ce qu’on gagne quand on décide de ralentir. Pas de grandes scènes marquantes, mais une atmosphère qui reste. On referme l’album avec l’envie de prendre un peu de recul, de chercher son propre arbre, même si ce n’est qu’un moment.
Ya'bon Gotlib. C'est vrai, il y a les mirrifiques Rubrique-à-Brac ou les très bons Les Dingodossiers.
Mais il y a aussi des compilations plus salaces comme Rhââ Lovely ou cette série qui est un poil devant Rhââ Lovely car le contenu est plus homogène.
Plus loufoque et décomplexé que jamais (Goscinny aurait peut-être tirer le frein à main à plusieurs reprises), Gotlib se lâche et tape dans tout ce qu'il s'interdisait auparavant: les enfants ne sont vraiment plus aussi sages. Il faut qu'il avait la notoriété et donc un champ plus libre pour offrir à ses nommmmbreux fans des scènes qui ne demandaient qu'à littéralement éclater les cases.
Son dessin est toujours au zénith et son amour pour son travail bien présent. Bref, 2 tomes à rajouter à votre étagère consacrée à Gotlib (qui prend de la place mine de rien).
Mettre 5/5 à une BD dont le dessin est somme toute dégueulasse et sommaire peut laisser songeur. Mais cette note correspond au mot "culte" et c'est ce que je voue à cette oeuvre. Plus de 4 dizaines d'années que des albums sortent régulièrement et des (pas autant) dizaines d'années que je relis les Bidochon en m'étonnant à chaque fois d'être plié en 2 en suivant des tranchses de vie ordinaires.
La manière dont sont dépeints les personnages, pas seulement Robert et Raymonde mais tous, est cruelle mais pas méchante alors que la bascule vers du Hara-Kiri aurait été facile.
C'est cruellement marrant, les situations font mouche et rappellent des scènes vues ou vécues. Parfois on y reconnaît des personnes proches ou moins proches que l'on a croisées, parfois on s'y reconnaît soi-même. Qui n'a pas vécu un réveillon merdique, n'a pas connu des gens galérant avec un ordianteur, n'ayant pas eu de tracasseries administratives ou des emmerdes sur un chantier? Binet doit prendre des petites notes en douce à chaque fois pour les coucher sur papier.
Et des notes qu'il doit sûrement archiver car les albums sont rapidement devenus thématiques: le logement collectif, les voyages organisés, la voiture... il y a en pour tous.
Plus intéressant, Binet pointe parfois la bêtise de Robert pour ensuite montrer la manière dont on peut changer, le tome sur le tri écologique en est un parfait exemple. Raymonde, trouillarde et simplette, prend parfois son courage à 2 mains quand la situation est en passe de déraper.
Et puis pour élargir un horizon finalement restreint, l'auteur a eu la bonne idée d'étendre sont univers avec Impondérables (Propos Irresponsables) qui est toutefois plus cynique, en quelque sorte le pendant des Idées Noires de Franquin.
C’est puéril ! Personne n’est innocent dans une guerre !
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Ce tome est le premier d’un diptyque constituant une histoire indépendante de toute autre. Il vaut mieux disposer de quelques connaissances basiques sur l’époque des faits (1962) pour pleinement apprécier le récit. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Yann (Yann Le Pennetier) pour le scénario, et par Jérôme Phalippou pour les dessins, la mise en couleurs étant l’œuvre de Fabien Alquier. Il comprend cinquante-quatre pages de bande dessinée. Il se clôt par un dossier de six pages, composée d’un entretien avec le scénariste sur la genèse du projet, de crayonnés du dessinateur, et de photographies sur les attentats de cette époque-là.
Canal d’Orthies, près de Lille, au printemps 1988, un coup de feu retentit dans une péniche amarrée sur le bord. Un groupe de trois jeunes hommes écoute de la musique non loin de là en fumant, ils vont voir ce qu’il en est. Ils montent à bord, et entendent le refrain d’une chanson d’Édith Piaf sur un disque rayé. Ils appellent, mais personne ne répond. Ils découvrent une affiche OAS veille sur un mur, une photographie de El Beida, l’un d’eux comprend que l’occupant doit être un pied-noir. Ils trouvent l’homme assis sur son fauteuil, s’étant fait sauter le caisson avec un pistolet. Sur son bureau devant lui, la photographie d’une jeune fille défigurée à la suite d’une explosion. Ils finissent par se rendre compte qu’ils n’auraient pas dû toucher aux objets. Ils effacent rapidement leurs empreintes, et ils mettent le feu à la péniche, avec la lampe tempête à pétrole. Le feu se propage, ravageant tout à l’intérieur, et la péniche se consume.
À Paris en 1983, Martine Goupil est en train de se faire examiner par une ophtalmologiste. Celle-ci l’informe qu’elle sera aveugle d’ici un an ou deux, cinq maximum. Il n’y a rien à faire pour retirer l’éclat logé dans son œil, au contraire une intervention risquerait d’accélérer l’inéluctable. Elle lui conseille plutôt de profiter de ce répit pour préparer sa future existence. La docteure va lui donner l’adresse d’une association qui procure des chiens d’accompagnement pour non-voyants. Le plus tôt, la patiente et le chien s’habitueront l’un à l’autre, plus facile sera la cohabitation. Ensuite, elle lui prescrit du Bradotex, un collyre anti-inflammatoire. Enfin, elle lui conseille de prendre toutes les dispositions nécessaires à régler toutes les choses prioritaires, qu’elle ne pourra plus accomplir lorsqu’elle sera privée de la vue. Martine Goupil se lève, le visage déterminé, en indiquant que l’ophtalmologue a raison : il y a une chose prioritaire qu’elle doit régler avant. Le premier janvier 1968, dans les studios de l’Office de radiodiffusion-télévision française, Brigitte Bardot est en train d’enregistrer un Scopitone pour la chanson Harley Davidson. Puis, elle est interrogée par un journaliste dans la loge où elle se prépare pour tourner une scène de film : A-t-elle peur de la mort ? Pourquoi a-t-elle refusé de céder au chantage de l’OAS ? En tant que maman, pourquoi a-t-elle refusé de payer malgré les menaces de ces tueurs ? Et même après une lettre de l’OAS, menaçant de la défigurer au vitriol si elle continuait à refuser de céder ?
Pas très facile de se figurer la tonalité de la narration de ce récit d’après la couverture : l’appellation dérivative du président Charles de Gaulle (la grande Zohra), le rendu un peu enfantin de la fillette (laissant supposer une bande dessinée pour un jeune public), la réalité de l’attentat rendu visible par les bris de verre et le souffle de l’explosion, le slogan prometteur de violences aveugles. Le lecteur découvre la première séquence, la plus longue, qui semble correspondre à la fin du récit, à son terme : la mort d’un individu membre de l’Organisation de l'armée secrète (créée le onze février 1961), qui s’est vraisemblablement suicidé, et la photographie de la fillette défigurée, vraisemblablement celle de la couverture. Les trois jeunes hommes ne sont pas très futés, mais la violence est bien réelle avec cette destruction par le feu. La narration visuelle est de nature descriptive et réaliste, avec un degré de simplification dans les représentations, et une forme d’entrain humoristique dans le langage corporel des adolescents. Sans oublier la touche ironique du refrain répété inlassablement, Édith Piaf chantant avec assurance qu’elle se fout du passé. Surprise, la séquence suivante revient dans le passé en 1983, avec la même expressivité des regards, et un diagnostic très dur. Encore plus loin dans le passé, en 1968, avec cette fois-ci Brigitte Bardot (1934-) qui aspire à laisser le passé (OAS et guerre d’Algérie) derrière.
De fait, le lecteur a tôt fait de constater que le scénariste a conçu une structure très particulière pour son récit : vingt-quatre scénettes de une à six pages, passant d’une époque à l’autre, d’un lieu à un autre. Ce montage confère un rythme rapide et soutenu au récit, et incite le lecteur à rester attentif. En effet, il doit suivre la succession de dates pour comprendre lesquelles sont rattachées par un lien chronologique de cause à effet, et lesquelles relèvent plus d’une explication à rebours. En prenant par le commencement, le récit passe ainsi de 1988 à 1983, puis 1968, puis 1964, puis 1961, pour repasser en 1978, puis 1962, 1978, 1962, puis 1987, puis 1962, 1987, 1962, 1964, etc. En fonction de son état d’esprit, le lecteur peut y voir un maniérisme artificiel allant de pénible à insupportable, ou à une présentation inventive propice à rapprocher des faits et établir des liens qu’une simple narration chronologique n’aurait pas mis en lumière. Dans l’entretien avec le scénariste, le journaliste lui demande pourquoi il a fait le choix d’une structure fragmentée en une myriade de séquences temporellement mélangées. Le scénariste répond que : Le récit supposait de suivre le destin de Martine de l’âge de quatre ans jusqu’en 1988 en parallèle avec les attentats commis par l’OAS, ce qui aurait été rapidement déséquilibré puisque ces attentats se situent dans leur grande majorité en 1962. Il continue en indiquant qu’il a alors pensé à s’inspirer de l’éclatement d’un pain de plastic projetant des débris dans toutes les directions… et il trouve que ça fonctionne plutôt bien.
Le lecteur ressent une empathie de bon aloi pour ces trois jeunes gens pas très futés, mais débrouillard. Il comprend bien que les auteurs l’accrochent ainsi avec une scène d’action, une mort violente et un incendie pyrotechnique, il ne demande qu’à découvrir l’enchaînement d’événements dont cette scène semble constituer la résolution. La narration visuelle séduit par la vie qu’elle insuffle dans les personnages, par l’attention portée aux choix des détails dans les éléments de la péniche et les affaires personnelles. L’intégration du refrain qui se répète inlassablement dans la gouttière entre deux bandes de cases fonctionne très bien. Les auteurs sont confrontés aux choix nécessaires pour représenter la violence. Pour l’attentat du huit septembre 1961, ils montrent l’explosion de la bombe et la DS présidentielle sortir d’un mur de flammes. Le résultat est spectaculaire, montrant l’intensité de l’acte terroriste, sans aucune forme d’admiration au vu de l’expression de terreur se lisant sur le visage de tante Yvonne (1900-1979). Le premier attentat est d’abord évoqué rétrospectivement par Djamila Pellazza, puis montré alors que la porteuse de feu dépose la bombe dans le Milk Bar. Le lecteur tourne la page et il voit l’explosion se produire pulvérisant et déchiquetant les consommateurs représentés en ombre chinoise : une vision pudique et terrifiante. Deux pages plus loin, il observe une jeune femme chercher les siens dans les décombres recouverts de cendres, une case déchirante. Les deux occurrences suivantes sont plus désincarnées : le bruit d’une explosion entendu dans un appartement proche par le couple Raymond et Monique, une image consacrée au bâtiment principal d’une très grande propriété qui explose vu de l’extérieur. Enfin il y a la charge des CRS et la mêlée qui s’en suit contre les manifestants en mai 68, le temps d’une fine case de la hauteur de la page. Cette approche remplit sa mission de montrer la violence, de la faire ressentir au lecteur sans l’esthétiser, sans la rendre belle.
Le dessinateur a également pris le parti d’introduire une légère touche d’exagération dans les expressions des visages, dans la taille des yeux, dans leurs mimiques : à nouveau ce dispositif visuel fonctionne bien pour les rendre plus vivants et plus faillibles pour le lecteur. Les séquelles physiques dont souffre Martine Goupil constituent une condamnation sans appel des actes terroristes. Ce qui n’empêche pas les auteurs de développer le fait que c’est plus compliqué que ça. Cette femme ne souffre pas que dans sa chair, mais aussi dans son esprit. Le scénariste le montre par une réflexion anodine en apparence, mais horrible quant à ce qu’elle révèle : quand Martine Goupil épèle son nom. Elle choisit de ne pas se référer au Renard, mais à la goupille de grenade, en précisant sans le L et sans le E à la fin. De la page vingt-et-un à la page vingt-trois, Djamila Pellazza (la poseuse de bombe dans le Milk Bar) intervient dans une conférence, interrogée sur l’estrade par l’animateur, et Martine Goupil se lève dans la salle pour dénoncer la posture qui consiste à se faire passer pour courageuse alors que Pellazza a déposé lâchement des explosifs dans un lieu public pour tuer et mutiler des civils innocents. Nina Chicheportiche intervient à son tour pour accuser la porteuse de feu d’avoir tué sa petite sœur et mutilé son petit frère. La moudjahida répond que personne n’est innocent dans une guerre, que le seul responsable de cette tragédie est l’état français qui a envoyé ses troupes envahir son pays, et qu’elle n’a fait que son devoir de patriote en prenant les armes pour son pays. Les auteurs savent incorporer des touches d’humour discrètes en phase avec le récit : deux lettres grattées sur un cendrier (pour raccourcir Oasis en OAS), la bêtise des conspirationnistes, un massacre de canetons pour des besoins télévisuels, ou encore un couple de français très moyens (Raymond & Monique) qui ne sont autres que les personnages créés par Didier Tronchet en 1984 pour sa série Raymond Calbuth.
Une nouvelle bande dessinée sur les attentats contre le grand Charles, après par exemple Tuez De Gaulle, de Simon Treins & Munch ? Pas vraiment, car le point de vue est celui d’une fillette qui a été victime de l’explosion d’une bombe dans un café à Alger, et qui a grandi. Sous réserve qu’il parvienne à s’adapter à la chronologie sciemment fragmentée, le lecteur profite d’une narration visuelle dure sans être larmoyante, avec une reconstitution solide et discrète (parfois des affiches de concert sur les murs). Il constate rapidement que le récit prend une approche adulte, à la fois en restituant la complexité des décisions pour chaque combattant, à la fois en montrant les conséquences à long terme, aussi bien physiques que psychologiques.
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Ha ba là moi, je craque ! Des histoires de mômes, un dessin meûgnon comme tout, et un petit humour frais comme la brise de printemps : il y a tout pour me plaire. Déjà le dessin. Il est top ! Vaguement passéiste (ce qui n'est pas pour me déplaire), terriblement expressif, il est tout entier dédié à l'innocence de l'enfance, ou disons à sa spontanéité. Le choix des couleurs est à l'avenant, et évoque la palette de Camille Jourdy pour sa BD Pépin et Olivia, une autre BD sur l'enfance, tiens. L'humour est finaud. Cécile file la métaphore du Far West, avec dans le rôle du coboye une petite fille choupinette dont le caractère fait songer à Mafalda ou Pico Pogue. Et dans celui du shérif, la mère, un peu dépassée par ce "tron de l'air" d'enfant ! Et oui ! Le héros est une héroïne. A ce titre, on appréciera tout particulièrement ce gag où la petite est perchée sur une branche, observant de loin la nouvelle voisine (entourée de ses deux jeunes garçons) discuter avec sa shérif de mère pour lui dire : "Ah oui ! Tu as deux filles, toi... Remarque, il faut bien des filles pour les fils des autres !". Le dessin est assorti de ce commentaire : "Dans l'Ouest sauvage, on rencontre toutes sortes d'esprit agités. Le coboye sait garder ses distances... Petit topo féministe au passage... Cécile porte un regard tendre sur l'enfance échevelé des gosses de la campagne. C'est juste et touchant, parfois même un peu triste (la saynète finale, très Douce amère). En un mot, cette BD, c'est un vrai bonbec !
La Reine de Saba
"La Reine de Saba" est l’adaptation du roman du même nom de Marek Halter par Jean-Marie Michaud. La vie romancée de Makéda, de sa jeunesse à Maryab à sa rencontre avec le roi Salomon. Une préface qui fait le point entre légende et réalité, ainsi qu'une carte géographique représentant les différents royaumes. Instructif. Autant le dire d'entrée, j'ai été conquis par cette femme d'exception (et peut-être un peu amoureux). Une femme gâtée par dame nature, ou par son dieu Almaqah, elle est élancée, gracieuse, belle, cultivée, curieuse, intelligente et au fort caractère. Elle sera femme de guerre et femme d'amour. Mais surtout une femme moderne, elle sera s'adapter aux circonstances (politique, alliance, commerce et religion) pour le bien de son royaume. Une main de fer dans un gant de velours. Un récit captivant et bien construit, j'ai eu l'impression de lire un récit Historique : la vraie vie de Makéda, reine de Saba. 260 pages de bonheur. Un dessin envoûtant qui m'a plongé trois mille ans en arrière. Il retranscrit superbement cette période historique avec le grand soin apporté aux décors et aux personnages. Un dessin somptueusement rehaussé par de magnifiques couleurs à l'aquarelle. Quelques planches dans un style moyenâgeux pour les récits hébraïques qui jalonnent le récit et pour les extraits du "Cantique des cantiques" (relation charnelle entre Makéda et Salomon), mais avec une touche exotique en plus pour ces derniers. Très, très beau ! Une reine charismatique que je vous conseille de découvrir. Dans mon top 5 des BD 2024. Il ne me reste plus qu'à lire Le Mahâbhârata.
Giant Days
Okay, je retrousse mes manches, je vais essayer d'augmenter la note de cette série qui le mérite. Giant Days, c'est une série tranche de vie autour de trois jeunes adultes en pleines années fac qui se démarque avant tout par la forme de sa narration. Autant le dire tout de suite, même si le fond est assez souvent sérieux (bons nombres de sujets de sociétés sont abordés) la forme elle est on ne peux plus loufoque. A grands coups de longues tirades mélodramatiques et de punchlines pince-sans-rire, les trois jeunes femmes et leurs entourages tentent de refaire le monde, de se chercher, de grandir tout simplement. C'est principalement un humour que j'appellerais verbeux : il repose justement sur le fait de produire des phrases absurdement longues et/ou complexes, des métaphores alambiquées et des réparties cinglantes. Pour en avoir souvent parlé avec des gens, je constate que cet humour est loin d'être universel, mais quand, comme moi, on sait l'apprécier, cette série fait mouche. On ne pourrait pas aborder l'humour de cette série sans rappeler qu'elle est d'origine britannique et que les amateur-ice-s de blagues à froids ne seront pas non plus dépaysé-e-s. Comme dit plus haut, c'est avant tout un récit autour de jeunes adultes, des individus se trouvant à cet âge presque ingrat où l'on n'est plus vraiment jeune mais où l'on ne se sent pas encore vraiment adulte pour autant. Les personnages grandissent, évoluent, se cherchent et on s'attache facilement à tout ce beau monde. Tiens, d'ailleurs, on ne les a pas encore présenté-e-s ! Il y a d'abord Esther, la gothique drama queen et férue de beaux garçons, puis Daisy, la gentille fille naïve et sérieuse, et enfin Susan, l'intellectuelle n'hésitant pas à relever ses manches et rentrer dans le lard. Autour de nos trois héroïnes, on retrouve toute une flopée de personnages secondaires. Deux d'entre eux pourraient même facilement être considérés comme des personnages principaux à par entière : j'ai nommé Ed, le garçon éperdument amoureux d'Esther et extrêmement malchanceux, et McGraw, véritable machine humaine à la moustache constamment impeccable. Les dessins de Max Sarin et Lisa Treiman sont tous deux très jolis. J'ai une préférence pour le style de Lisa Treiman (artiste que j'aimerais beaucoup voir dans d'autres projets), mais j'avoue que, lorsque l'on me dit "Giant Days", ce sont tout de même les dessins de Max Sarin que j'imagine (sans aucun doute car ce sont eux qui illustrent le plus d'albums de cette série). Mention spéciale pour les dessins et chapitres bonus de John Allison disponibles dans la réédition. Après, c'est sûr que si l'on n'aime pas les récits tranche de vie, les problématiques typiques des jeunes adultes et l'humour que je vous ai décris plus haut, la série n'est pas vraiment faite pour vous. La conseillerais-je à tout le monde ? Non. Mais je la conseille tout de même aux amateur-ice-s de récits du quotidien pleins de bons sentiments et sous forme comique. Une bonne série, surtout pour de jeunes adultes ou des adolescents. (Note réelle 3,5)
Killing Joke (Batman - The Killing Joke/Rire et Mourir/Souriez !)
Un bel hommage au Joker que ce "Killing Joke" de Moore et Bolland ! Le dessin de Brian Bolland, tout d'abord, est vraiment magnifique avec une mise en page et des cadrages très réussis. A lui seul, comme le souligne Présence, il justifie l'achat de cet ouvrage. Avec les différentes versions du joker qui existent à présent, je reste également plutôt fan de la gueule, relativement traditionnelle, que lui a conféré le dessinateur. Si la colorisation est assistée par ordinateur, elle reste toutefois relativement agréable à l’œil et les flashbacks en N&B et sépia participent à l'immersion du lecteur. Côté scénario, Alan Moore ne révolutionne pas le genre et nous sert une histoire classique d'évasion du Joker et de duel à mort avec son meilleur ennemi, Batman. La surprise vient plutôt dans le côté réaliste et malaisant de l’agression et de la torture que fait subir le Joker à Gordon et sa fille. J'avais rarement vu un tel niveau de réalisme trash dans une BD de Batman... Alan Moore se permet également de réinventer le mythe du Joker en tentant d'expliquer comment il est devenu le gangster le plus fou de Gotham. Si sa biographie reste relativement classique, elle n'en est pas moins intéressante à découvrir. Concernant l'ouvrage en lui-même, comme toute bonne édition Urban DC Comics, la préface de Tim Sale et la post-face de Brian Bolland ainsi que les annexes apportent une réelle plus-value à la lecture. Une très belle édition en somme! Ma seule déception concerne la brièveté de l'histoire. Elle se lit bien trop vite à mon goût et elle n'est constituée que d'un seul arc narratif, relativement classique, m'empêchant de mettre la note suprême de 5/5. Mais elle reste tout de même sans nul doute parmi les meilleurs histoires du Joker jusqu'à présent. SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 7/10 GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 9/10 NOTE GLOBALE : 16/20
Ivo a mis les voiles
Un album passé sous mon radar lors de sa sortie et c’est bien dommage, tant il aurait mérité les honneurs en 2023. Je me joins de mon cœur à la note de mes prédécesseurs. Alors attention rien de fou, on est dans le pur roman graphique. L’histoire se présente sous la forme d’un Road movie avec moult rencontres. On suit un mec un peu paumé parti sur les traces de son père décédé, la narration alternant les 2 parcours. Sauf que tout est réussi, la localisation amène un certain dépaysement, les interrogations/doutes/thématiques m’ont paru fines comme pertinentes, et enfin une réalisation de haut vol (trait, découpages, couleurs …). Le tout apparaît très soigné. Je ne sais pas s’il y a un lien entre les auteurs (même nom de famille) mais il y a une certaine osmose avec cette adaptation. Je découvre l’artiste qui livre ici du superbe boulot. Tout est là pour nous embarquer, je ne peux que vous inviter à monter à bord. Une chouette balade.
Traquemage
J'avoue que j'étais assez circonspect en voyant cette "rural fantasy" (l'invention de cette catégorie est trait humoristique mais à lire un commentaire précédent, il semble que tout le monde ne soit pas perméable à cet humour :)) aussi bien classée ici. Le nom de Lupano et les critiques précédentes m'ont décidé à sauter le pas, étant amateur de fantasy plus "traditionnelle". On est ici loin des héros classiques des grandes épopées, et c’est bien là tout l’intérêt. Pistolin, berger et fromager, se retrouve entraîné dans une quête improbable, motivée par une simple envie de vengeance. Plus de troupeau, plus de village, tout a été réduit en cendres par des mages qui se chamaillent sans se soucier des conséquences. Il décide alors de partir en guerre contre eux, accompagné de Myrtille, une brebis peureuse, et de Pâquerette, une fée alcoolique et grande gueule. Le scénario de Lupano détourne avec brio les codes de l’heroic fantasy pour les ancrer dans un univers campagnard. Rien de grandiloquent ici, tout est décalé, des dialogues pleins de verve aux situations absurdes qui s’enchaînent. On sent que Lupano s’amuse à dynamiter le genre, avec une ironie qui rappelle parfois l’esprit de Kaamelott. Les répliques fusent, l’humour est pince-sans-rire, et chaque personnage apporte son lot de moments mémorables. Le dessin de Relom complète bien cet univers. Les visages sont expressifs à souhait, oscillant entre caricature et réalisme. On y retrouve un parfum de terroir, un peu rustique, mais toujours soigné. Le trait est précis, parfois exagéré juste ce qu’il faut pour appuyer les situations les plus loufoques. Et les couleurs, discrètes mais bien choisies, servent le ton sans jamais l’éclipser. Une BD qui revisite le genre avec un regard irrévérencieux et rafraîchissant. Pas besoin d’être fan de fantasy pour apprécier cette aventure déjantée. J'ai suivi ce trio avec plaisir, mais je suis bon public, je ne sais pas si ce genre d'humour correspondra à tous. En tous cas pour moi c'est un grand oui et un coup de coeur. Merci encore à BDThèque.
Par la force des arbres
Je trouve qu'il y a quelque chose d’intrigant dans ce choix de tout plaquer pour vivre dans un arbre. Peut être tout simplement que ce choix résonne chez moi. Pas pour fuir, mais pour retrouver. Le récit s’ouvre sur cette cabane (joliment) bricolée à la main, perchée au milieu des bois. C’est là que Dominique Mermoux, ancien berger, va passer des semaines à écouter le bruissement des feuilles, à observer le temps qui s’étire, à apprivoiser une solitude choisie. Rien d’extraordinaire à première vue, et pourtant, tout se joue dans cette simplicité. Loin du tumulte, chaque détail devient important. Le dessin suit cette idée. Dominique Mermoux ne cherche pas l’esbroufe. C’est sobre, des aquarelles qui laissent la lumière et les espaces s’exprimer. L’approche est posée, comme si les pages respiraient avec le récit. Ce n’est pas un livre qui cherche à éblouir, mais à inviter à regarder autrement. Le rythme est lent, presque contemplatif, mais jamais lourd. Il y a des flashbacks, quelques retours sur une vie d’avant qui apportent un contrepoint à la sérénité actuelle. Ils ancrent le personnage dans une réalité qu’il a choisie de quitter, mais qu’il n’oublie pas. Le ton n’est jamais moralisateur. Pas de grandes leçons sur la nature ou sur la société (qui en tente beaucoup d'autres, souvent pour un résultat qui tombe un peu à côté de la plaque je trouve), juste une expérience partagée, une réflexion à voix basse sur ce qu’on perd et ce qu’on gagne quand on décide de ralentir. Pas de grandes scènes marquantes, mais une atmosphère qui reste. On referme l’album avec l’envie de prendre un peu de recul, de chercher son propre arbre, même si ce n’est qu’un moment.
Rhâ-Gnagna
Ya'bon Gotlib. C'est vrai, il y a les mirrifiques Rubrique-à-Brac ou les très bons Les Dingodossiers. Mais il y a aussi des compilations plus salaces comme Rhââ Lovely ou cette série qui est un poil devant Rhââ Lovely car le contenu est plus homogène. Plus loufoque et décomplexé que jamais (Goscinny aurait peut-être tirer le frein à main à plusieurs reprises), Gotlib se lâche et tape dans tout ce qu'il s'interdisait auparavant: les enfants ne sont vraiment plus aussi sages. Il faut qu'il avait la notoriété et donc un champ plus libre pour offrir à ses nommmmbreux fans des scènes qui ne demandaient qu'à littéralement éclater les cases. Son dessin est toujours au zénith et son amour pour son travail bien présent. Bref, 2 tomes à rajouter à votre étagère consacrée à Gotlib (qui prend de la place mine de rien).
Les Bidochon
Mettre 5/5 à une BD dont le dessin est somme toute dégueulasse et sommaire peut laisser songeur. Mais cette note correspond au mot "culte" et c'est ce que je voue à cette oeuvre. Plus de 4 dizaines d'années que des albums sortent régulièrement et des (pas autant) dizaines d'années que je relis les Bidochon en m'étonnant à chaque fois d'être plié en 2 en suivant des tranchses de vie ordinaires. La manière dont sont dépeints les personnages, pas seulement Robert et Raymonde mais tous, est cruelle mais pas méchante alors que la bascule vers du Hara-Kiri aurait été facile. C'est cruellement marrant, les situations font mouche et rappellent des scènes vues ou vécues. Parfois on y reconnaît des personnes proches ou moins proches que l'on a croisées, parfois on s'y reconnaît soi-même. Qui n'a pas vécu un réveillon merdique, n'a pas connu des gens galérant avec un ordianteur, n'ayant pas eu de tracasseries administratives ou des emmerdes sur un chantier? Binet doit prendre des petites notes en douce à chaque fois pour les coucher sur papier. Et des notes qu'il doit sûrement archiver car les albums sont rapidement devenus thématiques: le logement collectif, les voyages organisés, la voiture... il y a en pour tous. Plus intéressant, Binet pointe parfois la bêtise de Robert pour ensuite montrer la manière dont on peut changer, le tome sur le tri écologique en est un parfait exemple. Raymonde, trouillarde et simplette, prend parfois son courage à 2 mains quand la situation est en passe de déraper. Et puis pour élargir un horizon finalement restreint, l'auteur a eu la bonne idée d'étendre sont univers avec Impondérables (Propos Irresponsables) qui est toutefois plus cynique, en quelque sorte le pendant des Idées Noires de Franquin.
Tuez la grande Zohra !
C’est puéril ! Personne n’est innocent dans une guerre ! - Ce tome est le premier d’un diptyque constituant une histoire indépendante de toute autre. Il vaut mieux disposer de quelques connaissances basiques sur l’époque des faits (1962) pour pleinement apprécier le récit. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Yann (Yann Le Pennetier) pour le scénario, et par Jérôme Phalippou pour les dessins, la mise en couleurs étant l’œuvre de Fabien Alquier. Il comprend cinquante-quatre pages de bande dessinée. Il se clôt par un dossier de six pages, composée d’un entretien avec le scénariste sur la genèse du projet, de crayonnés du dessinateur, et de photographies sur les attentats de cette époque-là. Canal d’Orthies, près de Lille, au printemps 1988, un coup de feu retentit dans une péniche amarrée sur le bord. Un groupe de trois jeunes hommes écoute de la musique non loin de là en fumant, ils vont voir ce qu’il en est. Ils montent à bord, et entendent le refrain d’une chanson d’Édith Piaf sur un disque rayé. Ils appellent, mais personne ne répond. Ils découvrent une affiche OAS veille sur un mur, une photographie de El Beida, l’un d’eux comprend que l’occupant doit être un pied-noir. Ils trouvent l’homme assis sur son fauteuil, s’étant fait sauter le caisson avec un pistolet. Sur son bureau devant lui, la photographie d’une jeune fille défigurée à la suite d’une explosion. Ils finissent par se rendre compte qu’ils n’auraient pas dû toucher aux objets. Ils effacent rapidement leurs empreintes, et ils mettent le feu à la péniche, avec la lampe tempête à pétrole. Le feu se propage, ravageant tout à l’intérieur, et la péniche se consume. À Paris en 1983, Martine Goupil est en train de se faire examiner par une ophtalmologiste. Celle-ci l’informe qu’elle sera aveugle d’ici un an ou deux, cinq maximum. Il n’y a rien à faire pour retirer l’éclat logé dans son œil, au contraire une intervention risquerait d’accélérer l’inéluctable. Elle lui conseille plutôt de profiter de ce répit pour préparer sa future existence. La docteure va lui donner l’adresse d’une association qui procure des chiens d’accompagnement pour non-voyants. Le plus tôt, la patiente et le chien s’habitueront l’un à l’autre, plus facile sera la cohabitation. Ensuite, elle lui prescrit du Bradotex, un collyre anti-inflammatoire. Enfin, elle lui conseille de prendre toutes les dispositions nécessaires à régler toutes les choses prioritaires, qu’elle ne pourra plus accomplir lorsqu’elle sera privée de la vue. Martine Goupil se lève, le visage déterminé, en indiquant que l’ophtalmologue a raison : il y a une chose prioritaire qu’elle doit régler avant. Le premier janvier 1968, dans les studios de l’Office de radiodiffusion-télévision française, Brigitte Bardot est en train d’enregistrer un Scopitone pour la chanson Harley Davidson. Puis, elle est interrogée par un journaliste dans la loge où elle se prépare pour tourner une scène de film : A-t-elle peur de la mort ? Pourquoi a-t-elle refusé de céder au chantage de l’OAS ? En tant que maman, pourquoi a-t-elle refusé de payer malgré les menaces de ces tueurs ? Et même après une lettre de l’OAS, menaçant de la défigurer au vitriol si elle continuait à refuser de céder ? Pas très facile de se figurer la tonalité de la narration de ce récit d’après la couverture : l’appellation dérivative du président Charles de Gaulle (la grande Zohra), le rendu un peu enfantin de la fillette (laissant supposer une bande dessinée pour un jeune public), la réalité de l’attentat rendu visible par les bris de verre et le souffle de l’explosion, le slogan prometteur de violences aveugles. Le lecteur découvre la première séquence, la plus longue, qui semble correspondre à la fin du récit, à son terme : la mort d’un individu membre de l’Organisation de l'armée secrète (créée le onze février 1961), qui s’est vraisemblablement suicidé, et la photographie de la fillette défigurée, vraisemblablement celle de la couverture. Les trois jeunes hommes ne sont pas très futés, mais la violence est bien réelle avec cette destruction par le feu. La narration visuelle est de nature descriptive et réaliste, avec un degré de simplification dans les représentations, et une forme d’entrain humoristique dans le langage corporel des adolescents. Sans oublier la touche ironique du refrain répété inlassablement, Édith Piaf chantant avec assurance qu’elle se fout du passé. Surprise, la séquence suivante revient dans le passé en 1983, avec la même expressivité des regards, et un diagnostic très dur. Encore plus loin dans le passé, en 1968, avec cette fois-ci Brigitte Bardot (1934-) qui aspire à laisser le passé (OAS et guerre d’Algérie) derrière. De fait, le lecteur a tôt fait de constater que le scénariste a conçu une structure très particulière pour son récit : vingt-quatre scénettes de une à six pages, passant d’une époque à l’autre, d’un lieu à un autre. Ce montage confère un rythme rapide et soutenu au récit, et incite le lecteur à rester attentif. En effet, il doit suivre la succession de dates pour comprendre lesquelles sont rattachées par un lien chronologique de cause à effet, et lesquelles relèvent plus d’une explication à rebours. En prenant par le commencement, le récit passe ainsi de 1988 à 1983, puis 1968, puis 1964, puis 1961, pour repasser en 1978, puis 1962, 1978, 1962, puis 1987, puis 1962, 1987, 1962, 1964, etc. En fonction de son état d’esprit, le lecteur peut y voir un maniérisme artificiel allant de pénible à insupportable, ou à une présentation inventive propice à rapprocher des faits et établir des liens qu’une simple narration chronologique n’aurait pas mis en lumière. Dans l’entretien avec le scénariste, le journaliste lui demande pourquoi il a fait le choix d’une structure fragmentée en une myriade de séquences temporellement mélangées. Le scénariste répond que : Le récit supposait de suivre le destin de Martine de l’âge de quatre ans jusqu’en 1988 en parallèle avec les attentats commis par l’OAS, ce qui aurait été rapidement déséquilibré puisque ces attentats se situent dans leur grande majorité en 1962. Il continue en indiquant qu’il a alors pensé à s’inspirer de l’éclatement d’un pain de plastic projetant des débris dans toutes les directions… et il trouve que ça fonctionne plutôt bien. Le lecteur ressent une empathie de bon aloi pour ces trois jeunes gens pas très futés, mais débrouillard. Il comprend bien que les auteurs l’accrochent ainsi avec une scène d’action, une mort violente et un incendie pyrotechnique, il ne demande qu’à découvrir l’enchaînement d’événements dont cette scène semble constituer la résolution. La narration visuelle séduit par la vie qu’elle insuffle dans les personnages, par l’attention portée aux choix des détails dans les éléments de la péniche et les affaires personnelles. L’intégration du refrain qui se répète inlassablement dans la gouttière entre deux bandes de cases fonctionne très bien. Les auteurs sont confrontés aux choix nécessaires pour représenter la violence. Pour l’attentat du huit septembre 1961, ils montrent l’explosion de la bombe et la DS présidentielle sortir d’un mur de flammes. Le résultat est spectaculaire, montrant l’intensité de l’acte terroriste, sans aucune forme d’admiration au vu de l’expression de terreur se lisant sur le visage de tante Yvonne (1900-1979). Le premier attentat est d’abord évoqué rétrospectivement par Djamila Pellazza, puis montré alors que la porteuse de feu dépose la bombe dans le Milk Bar. Le lecteur tourne la page et il voit l’explosion se produire pulvérisant et déchiquetant les consommateurs représentés en ombre chinoise : une vision pudique et terrifiante. Deux pages plus loin, il observe une jeune femme chercher les siens dans les décombres recouverts de cendres, une case déchirante. Les deux occurrences suivantes sont plus désincarnées : le bruit d’une explosion entendu dans un appartement proche par le couple Raymond et Monique, une image consacrée au bâtiment principal d’une très grande propriété qui explose vu de l’extérieur. Enfin il y a la charge des CRS et la mêlée qui s’en suit contre les manifestants en mai 68, le temps d’une fine case de la hauteur de la page. Cette approche remplit sa mission de montrer la violence, de la faire ressentir au lecteur sans l’esthétiser, sans la rendre belle. Le dessinateur a également pris le parti d’introduire une légère touche d’exagération dans les expressions des visages, dans la taille des yeux, dans leurs mimiques : à nouveau ce dispositif visuel fonctionne bien pour les rendre plus vivants et plus faillibles pour le lecteur. Les séquelles physiques dont souffre Martine Goupil constituent une condamnation sans appel des actes terroristes. Ce qui n’empêche pas les auteurs de développer le fait que c’est plus compliqué que ça. Cette femme ne souffre pas que dans sa chair, mais aussi dans son esprit. Le scénariste le montre par une réflexion anodine en apparence, mais horrible quant à ce qu’elle révèle : quand Martine Goupil épèle son nom. Elle choisit de ne pas se référer au Renard, mais à la goupille de grenade, en précisant sans le L et sans le E à la fin. De la page vingt-et-un à la page vingt-trois, Djamila Pellazza (la poseuse de bombe dans le Milk Bar) intervient dans une conférence, interrogée sur l’estrade par l’animateur, et Martine Goupil se lève dans la salle pour dénoncer la posture qui consiste à se faire passer pour courageuse alors que Pellazza a déposé lâchement des explosifs dans un lieu public pour tuer et mutiler des civils innocents. Nina Chicheportiche intervient à son tour pour accuser la porteuse de feu d’avoir tué sa petite sœur et mutilé son petit frère. La moudjahida répond que personne n’est innocent dans une guerre, que le seul responsable de cette tragédie est l’état français qui a envoyé ses troupes envahir son pays, et qu’elle n’a fait que son devoir de patriote en prenant les armes pour son pays. Les auteurs savent incorporer des touches d’humour discrètes en phase avec le récit : deux lettres grattées sur un cendrier (pour raccourcir Oasis en OAS), la bêtise des conspirationnistes, un massacre de canetons pour des besoins télévisuels, ou encore un couple de français très moyens (Raymond & Monique) qui ne sont autres que les personnages créés par Didier Tronchet en 1984 pour sa série Raymond Calbuth. Une nouvelle bande dessinée sur les attentats contre le grand Charles, après par exemple Tuez De Gaulle, de Simon Treins & Munch ? Pas vraiment, car le point de vue est celui d’une fillette qui a été victime de l’explosion d’une bombe dans un café à Alger, et qui a grandi. Sous réserve qu’il parvienne à s’adapter à la chronologie sciemment fragmentée, le lecteur profite d’une narration visuelle dure sans être larmoyante, avec une reconstitution solide et discrète (parfois des affiches de concert sur les murs). Il constate rapidement que le récit prend une approche adulte, à la fois en restituant la complexité des décisions pour chaque combattant, à la fois en montrant les conséquences à long terme, aussi bien physiques que psychologiques.