On a tous un rapport particulier au 13 Novembre. Cette date évoque forcément quelque chose pour chacun de nous. Ce qui m'a marqué ici, c’est la simplicité avec laquelle le récit aborde l’après, cet espace où tout continue sans jamais vraiment redevenir pareil. Les personnages naviguent dans ce vide, chacun à leur manière, avec leurs silences, leurs maladresses, leurs tentatives pour tenir debout. On sent que Sophie Parra et Davy Mourier ne cherchent pas à expliquer ou à justifier, juste à montrer.
Cet album m’a beaucoup parlé, surtout dans ces moments où il met le doigt sur ce qu’on ne regarde pas toujours. Comme quand elle raconte l’obtention de l’aide aux victimes, une scène presque banale dans sa brutalité administrative mais qui laisse un goût amer. On voit bien que, passé le choc et les grands discours, tout devient plus froid, plus mécanique. Ça interroge sur la manière dont on accompagne, sur ce qui reste pour ceux qui doivent continuer une fois les projecteurs éteints.
Le dessin est sobre et capte l'essentiel, sans insister. Pas de grands effets, pas besoin d’en rajouter, chaque trait raconte ce qu’il doit.
C’est un album pudique, mais jamais distant. Il touche parce qu’il est sincère, parce qu’il ne cherche pas à trop en faire. C’est là que ça résonne fort, quand on a soi-même vécu ce genre de perte. On se retrouve dans ces hésitations, dans ces petits gestes qui disent tout.
Ne boudons pas notre plaisir.
D'abord les points négatifs, histoire de les évacuer :
1) les scènes d'actions parfois durent à lire avec des mises en pages pas fluide (ça s'améliore à partir du tome 5)
2) on revient sur un pré-ado, une princesse à sauver-protéger et une fille ultra-sexy un peu poupée Barbie
3) des incohérences, ou des compromis, pour que l'histoire avance vite
4) des personnages pas assez travaillés psychologiquement, c'est souvent simplet
Les points positifs à présent :
1) Des dessins très beaux et des planches noir& blancs très réussies (le dessinateur excelle dans les squelettes !)
2) un univers un peu fourre-tout improbable qui pourtant fonctionne très bien (post apocalyptique, fantastique à la Lovecraft, avec une dose d'heroic-fantasy, western)
3) un rythme digne d'un bon page-turner
4) des personnages funs graphiquement (j'ai bien aimé le mercenaire emprunté à Durango de Swolfs, en version manga)
5) un côté dark fantasy très assumé avec des aspects très gores (parfois trop pour moi) qui donnent une épaisseur lugubre à l'univers. Le chapitre d'ouverture du manga donne le ton.
Un bon mélange de genres ! Allez je le redis : ne boudons pas notre plaisir !
Un road movie touchant et relativement atypique dans son déroulement.
Astucieusement les personnages croisés, et le voyage un peu erratique du héros, nous donne une certaine vision du Brésil.
Ca pourrait être une histoire scénarisée par Cosey : il y a beaucoup d'humanité qui se dégage dans les personnages ; la tendresse et la mélancolie n'étant jamais très loin. Ça m'a également fait penser a Portugal de Cyril Pedrosa, je trouve qu'il y a un lien, tant graphique que sur le fonctionnement de l'histoire.
Nous voilà vite embarqué dans ce voyage sur une partie du Brésil (que les distances sont grandes pour un français !) et les dessins, la mise en page et la colorisation y font beaucoup.
Je rejoins les 2 avis précédents dans leurs ressentis.
Ca y'est, c'est fait, j'ai lu L'incal. Une série absente de ma biblio municipale d'enfance et que je n'ai ensuite jamais eu l'occasion de trouver chez mes amis BDphiles. Aucune occasion mais aussi une sincère appréhension : j'avais vraiment peur d'être déçu. L’Incal, c’est tellement une référence qu’on arrive presque en terrain hostile, avec cette peur de ne pas y trouver ce que tout le monde semble y voir. Et puis, dès les premières pages, il se passe quelque chose. Ce n’est pas juste une histoire, c’est une explosion de créativité, un délire visuel et narratif qui déborde de partout. On est projeté dans un univers où rien n’a l’air d’avoir de limites, ni dans l’imaginaire, ni dans les thèmes abordés.
Le scénario de Jodorowsky, c’est un grand bazar organisé (comme souvent). On passe d’une intrigue métaphysique à des courses-poursuites délirantes, des réflexions sur le pouvoir, la religion, la technologie… et on a l’impression que tout ça pourrait s’écrouler sous son propre poids, mais non. Ça tient, parce que ça ose tout. Le héros, John Difool, est un anti-héros parfait, paumé, lâche, mais terriblement humain. À travers lui, on explore un monde qui ne cesse de surprendre. Tout semble surchargé, mais chaque détail compte.
Et puis il y a Moebius. Son dessin est juste incroyable, cette capacité à rendre palpable un univers aussi délirant. J'ai beaucoup aimé ce sens du détail qui donne de la profondeur à ce chaos organisé avec un trait en même temps si épuré. Les décors futuristes, les personnages improbables, les couleurs presque psychédéliques… c’est un vrai bonbon visuel, mais qui reste lisible et fluide. Je comprends aujourd'hui l’influence de cette œuvre sur beaucoup d’autres.
Il y a des moments où je me suis un peu perdu, où le récit devient presque trop dense, mais ce n’est pas grave. C'est plus une expérience qu'une histoire. En tous cas c'est comme cela que je l'ai lu et vécu. L’Incal ne cherche pas à plaire à tout le monde, et c’est précisément pour ça que ça fonctionne. Finalement, pas déçu du tout. Complètement embarqué, même. Une claque.
Ce qui est marquant avec cette série, c’est à quel point on est en terrain connu, et pourtant ça fonctionne. En tous cas pour moi. Du pur Heroic Fantasy, avec ses mercenaires cabossés, ses quêtes désespérées, et cette ambiance lourde où chaque décision ressemble à un ultime pari. Oui, ça respire les codes du genre, et on ne peut pas s’empêcher de penser à une certaine histoire d’anneaux et de destins tragiques. Un groupe hétéroclite, des tensions internes, une mission impossible dans un monde sombre… on a déjà vu ça. Le coup des cavaliers cagoulés et des gars planqués sous une souche en bord de route, là on est clairement dans la reprise assumée. Mais c'est là où ça marche je trouve, Wollodrïn ne prétend pas réinventer la roue mais assume de jouer complètement avec le genre. Ce classicisme assumé et revendiqué est ce que j'étais venu chercher et que j'ai effectivement trouvé.
L’univers est solide, cohérent, avec ce qu’il faut de créatures effrayantes, de paysages grandioses, et de batailles brutales. C’est du classique, oui, mais bien fait. On sent que les auteurs aiment le genre, et ça se voit dans les détails : les personnages ont de la profondeur, même les plus clichés, et les dialogues sonnent juste, sans en faire des caisses.
Ce que j’ai apprécié, c’est justement cette absence de prétention. On sait où on va, et pourtant, on prend plaisir à suivre cette troupe de condamnés qui se déchirent autant qu’ils se soutiennent. Les influences sont là, évidentes, mais ça ne tombe jamais dans la copie pure. Jérôme Lereculey apporte un vrai souffle graphique, avec un dessin précis et dynamique qui donne du relief aux scènes d’action et de tension. Les couleurs, souvent sombres et terreuses, renforcent cette atmosphère de fin du monde où chaque pas peut être le dernier.
Même si le scénario est parfois un peu prévisible, ça ne m'a pas vraiment dérangé. On n’est pas là pour être surpris, mais pour ressentir, pour s’immerger dans ce monde dur et impitoyable. Et là-dessus, Wollodrïn réussit son pari. C’est du Heroic Fantasy pur jus, classique jusqu’à l’os, mais c’est fait avec sincérité et respect pour le genre. Et franchement, ça fait du bien de se laisser emporter dans ce type d’histoire, même si on connaît déjà les grandes lignes. Parfois, le classique a du bon.
C’est toujours délicat de conclure une saga aussi marquante, surtout quand on parle d’un monument comme La Quête de l'Oiseau du Temps et que l'on conclut un cycle 20 ans après son début. Avec le dernier tome, le cycle Avant la quête réussit à boucler la boucle en se connectant parfaitement au cycle originel, tout en apportant sa propre identité. Le lien avec le début de la série des années 80 est évident, et la modernité de ce second cycle, tant dans le ton que dans le dessin, en fait une vraie réussite à mes yeux.
Avec ce préquel on a le temps de s'attarder un peu sur les origines des personnages et du monde qu’ils habitent. On a le temps d'approfondir durant les 8 tomes et on découvre des facettes nouvelles et des enjeux complexes qui donnent une profondeur supplémentaire à l’intrigue. Le ton est plus grave que dans le cycle originel. Ce n’est plus seulement une aventure épique, c’est un récit humain et politique, avec des moments de pause qui permettent de s’imprégner de l’ambiance et de vivre avec eux, même dans des planches où l’action se fait discrète.
Le défi du changement de dessinateurs entre les séries mais aussi entre les tomes de cette série était de taille, mais il a été relevé avec brio je trouve. Je suis toujours épaté de voir comment les dessinateurs peuvent reprendre l'esprit d'un autre en ajoutant leur patte avec parcimonie. Cette cohérence est certainement due à une direction artistique soignée. Vincent Mallié, en particulier, s’est illustré avec des planches somptueuses qui capturent l’essence de cet univers, même si elles s’éloignent de la patte brute et inimitable de Loisel.
On reste quand même dans une continuité qui ne trahit pas l’esprit de l’œuvre originale.
Certes, ce n’est pas le sommet du premier cycle, mais ce préquel parvient à enrichir l’œuvre originale tout en s’en démarquant par une approche plus moderne et nuancée. Ce n’est peut-être pas l’explosion narrative et émotionnelle du premier cycle, mais c’est une belle conclusion qui apporte une nouvelle lumière sur l’ensemble de la saga. Une extension incontournable pour les amateurs de cet univers, à la fois fidèle et audacieuse.
Là-haut, la neige a déjà commencé à tomber.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Sa première publication date de 2024. Il a été réalisé par David Wautier pour le scénario, les dessins, les couleurs. Il comprend quatre-vingt-dix pages de bande dessinée.
Wyoming, avril 1876. Dans une petite ferme à l’écart de tout, le père Hatton s’apprête à partir avec sa carriole, pour se rendre en ville. Il est accompagné par sa grande fille Anna. Sur le porche, le jeune garçon Tom demande s’il peut venir avec eux. Le père estime qu’il risque de s’embêter pendant que sa sœur essaiera sa robe. Mary Hatton, la mère, suggère qu’ils l’emmènent car ça fera une sortie à l’enfant. Elle ajoute que, s’il trouve un livre qui lui plaît, il pourra l’acheter. Le père accepte, l’enfant serre sa mère dans les bras pour la remercier. Le père et ses deux enfants s’éloignent tranquillement dans la carriole, Tom agitant la main en signe d’au revoir, la mère les observant depuis le porche. Quelques temps plus tard, un groupe de trois hommes à cheval approche de la ferme. Le meneur fait observer aux autres la présence du ranch. Un des compagnons propose d’y aller, Jim Pickford ne le sent pas trop. Les deux autres font observer qu’ils ont faim : Pickford décide d’y aller.
Montana, novembre 1876. Dans les montagnes enneigés, Hatton et ses deux enfants progressent à cheval dans le froid. Le père demande à sa fille Anna ce qu’il reste comme nourriture. Elle répond : deux tranches de lard et un peu d’avoine. Il indique qu’il essaiera de chasser s’il le faut. Tom demande s’ils s’arrêtent bientôt, mais ils doivent encore avancer. Ils parviennent devant une rivière gelée : le père fait observer que la glace a l’air solide, et il décide qu’ils vont traverser ici. Ils s’engagent en file indienne pour rejoindre l’autre rive. La glace commence à se fendiller sous les sabots du cheval de Tom, qui est en dernière position. Le père et Anna ont rejoint la rive. Hatton ordonne à son fils de bien rester accroché au cheval. Ce dernier effectue des soubresauts pour reprendre pied sur des parties gelées encore intactes : il parvient à gagner l’autre rive. Le père prend son fils dans les bras pour le réconforter, le rassérénant pour qu’il retrouve son calme. Il prend la décision de s’arrêter pour aujourd’hui. Il fait un feu à l’abri des pins, et à la nuit tombée il regarde ses enfants dormir paisiblement. Quelques semaines auparavant, Hatton se tient devant le shérif, dans son bureau. Celui-ci lui montre une affiche, un avis de recherche pour Jim Pickford, mort ou vif. Le jour du drame, le vieux Bedler l’a vu passer avec sa bande, à proximité du ranch. Hatton lui demande de les attraper et de les pendre : il veut les voir crever, ces ordures, de ses propres yeux. Le shérif lui présente ses excuses : il va le décevoir, car cela est tout à fait irréalisable. Il est seul, voilà des mois qu’il attend des renforts, il est impensable qu’il quitte la ville. Il sait ce que Hatton ressent, la haine qui monte en lui, le désir de vengeance. Il continue : mais ça finira par passer, tout finit par passer, et puis les gens comme eux tombent toujours… tôt ou tard.
Un titre succinct et explicite, à l’image de l’histoire. La scène d’ouverture ne laisse aucun doute sur ce qu’il va advenir : la couverture annonce un périple de trois personnes que le lecteur identifie immédiatement comme étant le père avec ses deux enfants. Les premières pages les montrent quittant la mère de famille, et trois brigands arrivant devant cette ferme isolée. L’imagination du lecteur fait le reste : la suite logique s’impose, horrible, sans avoir besoin d’être racontée. Le lecteur a fait des suppositions : le massacre de la mère, un mari qui décide de partir la venger, emmenant ses deux enfants avec lui, obnubilé par le châtiment qu’il souhaite dispenser lui-même, par manque d’une intervention policière. Tom et Anna n’ont pas d’autre choix que de suivre leur père, avec une endurance physique moindre pour supporter le froid, pour tenir le choc lors de longues chevauchées, sans son expérience. La scène dans le bureau du shérif confirme la simplicité de l’intrigue : un banal manque de personnel, et les criminels ne seront pas inquiétés. Aussi Hatton n’a d’autre exutoire que de se faire justice lui-même. La poursuite semble avoir atteint un stade décisif : le trio familial est sur les traces des trois coupables, dans une zone sauvage, une montagne enneigée, un beau décor qui recèle des dangers, comme celui de la glace. L’intrigue semble basique : la vengeance s’accomplira-t-elle et comment ? Du sang sur la neige, d’autres vies brisées, peut-être un sursaut moral ?
Le lecteur part donc pour un western sous forme d’une poursuite dans une zone sauvage. Il commence par absorber les rayons du soleil du Wyoming, une douce chaleur. Les traits de contour sont délicats, presque fragiles, un peu secs et irréguliers, un degré de simplification dans les visages, une précision discrète dans la carriole et la maison. Une apparence qui semble minimaliste dans un premier temps pour le désert, en fait une complémentarité entre les petits traits secs pour la maigre végétation et la mise en couleurs évoquant l’aquarelle, évoquant les nuances de couleurs apportées par le soleil, le relief, les ombres portées chétives, pour un rendu global très immersif. Puis vient le périple dans la neige en novembre. Le mode de dessin reste similaire : des traits secs à l’apparence parfois esquissée, une mise en couleurs évoquant l’aquarelle apportant relief, texture et luminosité. En page dix, un dessin en pleine page : le petit groupe du père et de ses enfants à quelques dizaines de mètres de distance du lecteur sur la berge de gauche, une largeur de deux ou trois mètres du fleuve libre de glace et une grande étendue recouverte de neige ne permettant d’apprécier la distance à laquelle se trouve la berge de droite, un beau ciel bleu, une ligne de pins dans le lointain et une chaîne de montagne à l’horizon. Les deux tiers du récit se déroulent dans cette région montagneuse enneigée : chaque endroit présente des caractéristiques qui le distinguent d’un autre, que ce soit par le relief, la végétation ou la luminosité, et les conditions climatiques.
L’artiste rend compte de la diversité des zones traversées, des plaines et des pentes, des cavernes et des gorges, de l’épaisseur de la couche de neige sur le sol, sur les branches, sur les rochers. Ces informations visuelles se trouvent tout naturellement réparties dans les cases, dans les pages, intégrées organiquement dans le fil de la narration, au point que le lecteur puisse ne pas en avoir conscience. L’affrontement passe par une phase de combat à main nue dans une rivière peu profonde, un décor magnifique par la pureté de l’eau, le naturel du lit du cours d’eau, la belle luminosité d’un ciel sans nuage, l’air pur. Le lecteur peut ressentir le froid sec, le calme et le silence loin de toute agitation humaine, parfois le froid mordant lors de la tempête de neige. Bien équipé, il effectuerait volontiers une randonnée à ski ou à raquette, ou encore à cheval. Dans le même temps, il voit comment les conditions climatiques affectent le père et ses enfants, comment ces deux derniers sont éprouvés par le froid et le vent. Par comparaison, le père et les trois criminels font montre d’expérience, endurant le froid sans avoir l’air d’en souffrir. Ils se déplacent naturellement, comme des personnes habituées à ce genre d’environnement.
Dans ces paysages naturels, l’intrigue se déroule linéairement : le père Hatton (son prénom n’est jamais prononcé), avec ses deux enfants, mènent une traque contre le trio de tueurs ayant assassiné son épouse Mary, jusqu’à les rattraper et à la confrontation inéluctable, promise par le titre. La scène d’introduction montre la séparation, le lecteur ayant conscience qu’elle est définitive, les personnages ne le sachant pas. Trois scènes supplémentaires de deux pages reviennent sur l’impossibilité pour le shérif de poursuivre les criminels, sur l’arrivée des époux devant leur terrain encore nu, avec le projet de construction de leur ranch, la dernière montrant le début de l’agression de Mary Hatton. Puis une poignée de cases éparses intercalées dans le déroulement du duel final sur la suite de l’agression. Au premier degré, l’histoire se lit rapidement, de par sa simplicité, des séquences sans beaucoup de texte. Jusqu’au dénouement, qui peut surprendre par son immoralité. Dans le même temps, certaines juxtapositions suscitent des contrastes ou des oppositions inattendues.
Voilà un père aimant, qui est attentif aux besoins de ses enfants, et qui dans le même temps leur fait courir des risques inconsidérés car sa vengeance passe avant toute autre considération. À l’opposé d’un récit ou d’un conte moral, il ne se produit pas de prise de conscience chez le père que sa vengeance ne le contentera jamais, ou que ses enfants risquent d’y laisser leur vie à leur tour, que ce soit la glace qui cède sous les sabots du cheval de Tom, puis Tom perdu dans une tempête de neige, et Anna prise en otage par Jim Pickford. Rien n’atteint Hatton, rien n’initie un début de remise en question. Le lecteur rapproche ce comportement du conseil du shérif, issu de sa longue expérience, en parlant des criminels : Les gens comme eux tombent toujours, tôt ou tard. L’auteur pousse ce constat un peu plus loin quant à l’occasion d’un bivouac à la belle étoile, Jim Pickford s’adresse à ses deux acolytes leur confiant que des fois il croirait presque en l’existence de Dieu, une confidence sous-entendant qu’une possibilité de remise en question existe en lui. La vengeance aboutit à une confrontation jusqu’à ce que mort s’en suive, avec une conclusion immorale, provoquant une prise de position du lecteur, pour ou contre ce principe de vengeance, le bousculant dans ses propres convictions. Les cases d’agression de Mary viennent en contrepoint du fil narratif lors de l’affrontement final, rapprochant et confrontant une forme de violence avec une autre.
Un récit dans lequel le créateur se fait à l’évidence plaisir. Il montre les espaces naturels du Montana avec une simplicité et une sensibilité épatantes, le lecteur ayant l’impression d’accompagner Hatton et ses enfants dans leur chevauchée, à la poursuite des assassins de la mère de famille. Il raconte une histoire de vengeance simple et tranchée, jusqu’à son terme, sans jouer sur les hommages aux classiques du Western, plutôt en en donnant sa version personnelle, ce qui fait tout l’intérêt du récit. Le lecteur se trouve en position de témoin privilégié, prenant partie ce qui remet en cause ses principes, ce qui le conduit à remettre en question ses certitudes. Troublant.
J'adore 'L'Arabe du futur' et lorsque la série s'est terminée, j'étais à la fois content de savoir enfin toute l'histoire personnelle de Riad Sattouf et à la fois triste de voir une série que j'aimais se terminer. Je me disais que ça serait bien de voir au moins ce qui est arrivé à son frère kidnappé parce qu'on ne connaissait que les grandes lignes.
Je suis content de voir que l'auteur a exaucé mon vœu avec cette nouvelle série. Le premier tome est bon, quoiqu'il peut paraitre répétitif par rapport à la série originale, parce que pendant un moment on apprend au final peu de choses nouvelles en dehors de l'attachement de Fadi pour sa mère (ce qui va rendre leur séparation encore plus tragique) et le trajet qu'il a fait avec son père de la France jusqu'en Syrie lorsque ce dernier l'a kidnappé.
La partie en Syrie est la plus passionnante et on voit encore une fois le père Sattouf montré sous un jour peu sympathique. Le lecteur retrouve une atmosphère familière qui avait disparu dans les derniers tomes dans la série-mère qui se passait exclusivement en France.
On retrouve les qualités graphiques et scénaristiques de 'L'Arabe du Futur'. Le seul défaut de ce premier tome au final est que c'est un peu plus court que certains albums de L'Arabe du Futur. On dirait presque un apéritif pour la suite qui s'annonce passionnante.
Bon, je ne vais pas faire l’affront de présenter l’univers … la série mère est un classique.
Cette préquelle n’était pas nécessaire mais je m’y engouffre à chaque nouveauté.
Si le début était plus que prometteur (les 4 premiers albums méritent le 4*, un petit plaisir coupable), la suite tire en longueur je trouve.
La réalisation des tomes 5 à 7 ne m’a pas super convaincu, je n’y suis plus vraiment, le dessin est correct mais souffre de la comparaison avec ces prédécesseurs, je trouve qu’il y a beaucoup moins de planches flamboyantes. De plus, l’histoire avance peu et les moments forts/culminants sont un peu loupés dans leur mise en scène, ça manque de force/d’impact (attention c’est correct mais je suis exigeant). A titre d’exemple, dans le tome 7 on rencontre un célèbre personnage de la série originale, le fan service a moyennement fonctionné (à l’inverse du Rige).
Une série correcte mais qui traîne trop et modère mon enthousiasme, le prochain sera le dernier (ouf), je remonterai ma note si on a un final à la hauteur de celui du 1er cycle mais je n’y crois plus vraiment, d’autant que l’on connaît l’avenir des personnages.
MàJ après tome 8 :
Plus de 25 ans que cette série nous tient en haleine … voilà enfin la conclusion à ce préquel d’une série culte. Ceux qui sont attentifs auront noté une augmentation de ma note initiale.
Le final serait-il à la hauteur ? La question que tout le monde se pose …
Alors pour moi c’est pas un grand OUi mais c’est quand même assez classe comme finish. On atteint juste pas le sommet du 1er cycle.
Les auteurs nous pondent un bel album d’environ 100 planches, on sent le soin et l’envie de ne pas bâcler ou hâter leur récit. Un plaisir de retrouver Vincent Mallié aux pinceaux.
Honnêtement, j’en attendais pas mal de cette lecture. Les 20eres planches m’ont franchement fait peur, je n’ai pas été attrapé par le dessin ou les péripéties, me posant milles questions sur la qualité de la suite … Et puis une scène de pluie, un décor et l’amour des personnages vous attrape. L’alchimie s’installe, on retrouve la magie de ce qui nous a tant fait vibrer.
Pas vraiment la fin attendu mais plutôt bien chouette dans sa mise en scène, on aura tous le sourire en quittant la dernière page.
Ça s’est perdu un peu dans sa 2eme partie mais du bon boulot et une valeur sûre cette série.
Cela faisait longtemps que je voulais me plonger dans cette œuvre autobiographique. Ça n’est a priori pas un genre que j’apprécie particulièrement en BD, mais certaines œuvres du genre sont marquantes. « Journal » de Neaud se situe dans cette catégorie, comme L'Ascension du Haut Mal de David B, ou certaines œuvres de Mussat (je n’ai lu pour le moment que Carnation, mais Sainte Famille m’attire aussi).
Neaud se met totalement à nu, se livre sans concession, que ce soit pour parler de lui ou de ses proches. Il y a là une prise de risques et un naturel à saluer.
Il mêle réflexions sur la vie, les relations humaines, l’art, la construction d’une personnalité, de nombreux moments triviaux. Sa sexualité, son homosexualité (ses désirs, ses échecs, sa recherche de relations avec des inconnus, et surtout les quelques hommes dont il n’arrive pas à se détacher) occupent une grande partie de ce récit fleuve (avec une forte montée de rage, en particulier dans le troisième tome). Le tout accompagné de la lutte quotidienne contre une certaine précarité.
Rien n’est édulcoré ou mis de côté. Comme les agressions homophobes sauvages et traumatisantes qu’il subit. Mais aussi ce qu’il pense de tous ceux qu’il côtoie. Sa sincérité est louable, mais a dû faire grincer quelques dents (voir la réaction de celui qui est croqué dans son petit album « Le Doumé »), tout le monde n’étant pas prêt à tant de transparence.
Au travers de son expérience et de son récit, Neaud nous donne aussi à voir certains pans de l’éditions indépendante (ego comme X par exemple), des milieux artistiques, mais aussi de la façon dont été vue l’homosexualité dans les années 1990. L’autobiographie se pare de sociologie, sans que la partie BD et la fluidité de lecture n’en pâtisse.
Le dessin de Neaud, avec son trait réaliste et fin, usant d’un Noir et Blanc agréable, est aussi pour beaucoup dans le plaisir de lecture. Il ressemble un peu à celui de Frederik Peeters (lui aussi adepte de récits autobiographiques d’ailleurs). Se concentrant sur les personnages (les décors ne sont développés que lorsqu’ils sont au cœur du récit), Neaud use de styles différents parfois pour marquer un décalage (ou comme on utilise le signe « – » pour isoler une remarque de la phrase principale). L’effacement de certains traits de visage lui permet aussi de montrer sentiments et évolutions de relations bien mieux qu’avec des mots. Bref, le travail graphique aide à « digérer » un récit dense et parfois étouffant, mais jamais ennuyeux.
C’est une entreprise ambitieuse (que Neaud commence à prolonger avec « Le Dernier Sergent »), et exigeante envers ses lecteurs. Car c’est très dense, et ces trois albums (j’ai lu la série dans la réédition de Delcourt) nécessitent d’investir du temps (j’y ai consacré une bonne partie d’un week-end) tant le texte est abondant. Mais c’est une lecture que j’ai appréciée.
Le tome 3, de loin le plus épais (plus de 400 pages !) est aussi celui qui se révèle le plus étouffant, les frustrations de l’auteur à propos de sa relation (avortée) avec un certain Dominique occupant presque toute la place.
Le dernier album de la série est lui plus apaisé, on sent que Fabrice Neaud a passé un cap (singulièrement il commence par une longue introduction assez poétique, avec pas mal de très belles planches muettes représentant la nature du Pays Basque). Il y a certes encore des envolées assassines et sans concession sur les différences de traitement entre hétérosexualité et homosexualité, et quelques scories de l’incendie qui a brûlé son année précédente, mais on sent bien que l’auteur regarde désormais plus en avant qu’en arrière. Un déménagement, l’intégration de nouveaux cercles amicaux, la publication du premier tome du « Journal » lui donnent une assise plus stable. L’album se clôt d’ailleurs sur un départ en vacances, sur quelque chose de très positif. J’imagine que les difficultés d’Ego comme X ont interrompu la publication, et que Le Dernier Sergent reprend là où « Journal » s’était arrêté.
Enfin dans ce dernier tome (mais aussi déjà dans le précédent), les amateurs de BD découvriront un certain nombre d’auteurs que Neaud côtoyait (seuls les prénoms sont donnés) : Xavier Mussat, Denis Bajram (qui se lance dans une longue explication de l’univers Marvel avec un point de vue mystique) par exemple.
Une œuvre introspective mais accessible. Une série à découvrir.
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Après le 13 novembre
On a tous un rapport particulier au 13 Novembre. Cette date évoque forcément quelque chose pour chacun de nous. Ce qui m'a marqué ici, c’est la simplicité avec laquelle le récit aborde l’après, cet espace où tout continue sans jamais vraiment redevenir pareil. Les personnages naviguent dans ce vide, chacun à leur manière, avec leurs silences, leurs maladresses, leurs tentatives pour tenir debout. On sent que Sophie Parra et Davy Mourier ne cherchent pas à expliquer ou à justifier, juste à montrer. Cet album m’a beaucoup parlé, surtout dans ces moments où il met le doigt sur ce qu’on ne regarde pas toujours. Comme quand elle raconte l’obtention de l’aide aux victimes, une scène presque banale dans sa brutalité administrative mais qui laisse un goût amer. On voit bien que, passé le choc et les grands discours, tout devient plus froid, plus mécanique. Ça interroge sur la manière dont on accompagne, sur ce qui reste pour ceux qui doivent continuer une fois les projecteurs éteints. Le dessin est sobre et capte l'essentiel, sans insister. Pas de grands effets, pas besoin d’en rajouter, chaque trait raconte ce qu’il doit. C’est un album pudique, mais jamais distant. Il touche parce qu’il est sincère, parce qu’il ne cherche pas à trop en faire. C’est là que ça résonne fort, quand on a soi-même vécu ce genre de perte. On se retrouve dans ces hésitations, dans ces petits gestes qui disent tout.
The Arms Peddler
Ne boudons pas notre plaisir. D'abord les points négatifs, histoire de les évacuer : 1) les scènes d'actions parfois durent à lire avec des mises en pages pas fluide (ça s'améliore à partir du tome 5) 2) on revient sur un pré-ado, une princesse à sauver-protéger et une fille ultra-sexy un peu poupée Barbie 3) des incohérences, ou des compromis, pour que l'histoire avance vite 4) des personnages pas assez travaillés psychologiquement, c'est souvent simplet Les points positifs à présent : 1) Des dessins très beaux et des planches noir& blancs très réussies (le dessinateur excelle dans les squelettes !) 2) un univers un peu fourre-tout improbable qui pourtant fonctionne très bien (post apocalyptique, fantastique à la Lovecraft, avec une dose d'heroic-fantasy, western) 3) un rythme digne d'un bon page-turner 4) des personnages funs graphiquement (j'ai bien aimé le mercenaire emprunté à Durango de Swolfs, en version manga) 5) un côté dark fantasy très assumé avec des aspects très gores (parfois trop pour moi) qui donnent une épaisseur lugubre à l'univers. Le chapitre d'ouverture du manga donne le ton. Un bon mélange de genres ! Allez je le redis : ne boudons pas notre plaisir !
Ivo a mis les voiles
Un road movie touchant et relativement atypique dans son déroulement. Astucieusement les personnages croisés, et le voyage un peu erratique du héros, nous donne une certaine vision du Brésil. Ca pourrait être une histoire scénarisée par Cosey : il y a beaucoup d'humanité qui se dégage dans les personnages ; la tendresse et la mélancolie n'étant jamais très loin. Ça m'a également fait penser a Portugal de Cyril Pedrosa, je trouve qu'il y a un lien, tant graphique que sur le fonctionnement de l'histoire. Nous voilà vite embarqué dans ce voyage sur une partie du Brésil (que les distances sont grandes pour un français !) et les dessins, la mise en page et la colorisation y font beaucoup. Je rejoins les 2 avis précédents dans leurs ressentis.
L'Incal
Ca y'est, c'est fait, j'ai lu L'incal. Une série absente de ma biblio municipale d'enfance et que je n'ai ensuite jamais eu l'occasion de trouver chez mes amis BDphiles. Aucune occasion mais aussi une sincère appréhension : j'avais vraiment peur d'être déçu. L’Incal, c’est tellement une référence qu’on arrive presque en terrain hostile, avec cette peur de ne pas y trouver ce que tout le monde semble y voir. Et puis, dès les premières pages, il se passe quelque chose. Ce n’est pas juste une histoire, c’est une explosion de créativité, un délire visuel et narratif qui déborde de partout. On est projeté dans un univers où rien n’a l’air d’avoir de limites, ni dans l’imaginaire, ni dans les thèmes abordés. Le scénario de Jodorowsky, c’est un grand bazar organisé (comme souvent). On passe d’une intrigue métaphysique à des courses-poursuites délirantes, des réflexions sur le pouvoir, la religion, la technologie… et on a l’impression que tout ça pourrait s’écrouler sous son propre poids, mais non. Ça tient, parce que ça ose tout. Le héros, John Difool, est un anti-héros parfait, paumé, lâche, mais terriblement humain. À travers lui, on explore un monde qui ne cesse de surprendre. Tout semble surchargé, mais chaque détail compte. Et puis il y a Moebius. Son dessin est juste incroyable, cette capacité à rendre palpable un univers aussi délirant. J'ai beaucoup aimé ce sens du détail qui donne de la profondeur à ce chaos organisé avec un trait en même temps si épuré. Les décors futuristes, les personnages improbables, les couleurs presque psychédéliques… c’est un vrai bonbon visuel, mais qui reste lisible et fluide. Je comprends aujourd'hui l’influence de cette œuvre sur beaucoup d’autres. Il y a des moments où je me suis un peu perdu, où le récit devient presque trop dense, mais ce n’est pas grave. C'est plus une expérience qu'une histoire. En tous cas c'est comme cela que je l'ai lu et vécu. L’Incal ne cherche pas à plaire à tout le monde, et c’est précisément pour ça que ça fonctionne. Finalement, pas déçu du tout. Complètement embarqué, même. Une claque.
Wollodrïn
Ce qui est marquant avec cette série, c’est à quel point on est en terrain connu, et pourtant ça fonctionne. En tous cas pour moi. Du pur Heroic Fantasy, avec ses mercenaires cabossés, ses quêtes désespérées, et cette ambiance lourde où chaque décision ressemble à un ultime pari. Oui, ça respire les codes du genre, et on ne peut pas s’empêcher de penser à une certaine histoire d’anneaux et de destins tragiques. Un groupe hétéroclite, des tensions internes, une mission impossible dans un monde sombre… on a déjà vu ça. Le coup des cavaliers cagoulés et des gars planqués sous une souche en bord de route, là on est clairement dans la reprise assumée. Mais c'est là où ça marche je trouve, Wollodrïn ne prétend pas réinventer la roue mais assume de jouer complètement avec le genre. Ce classicisme assumé et revendiqué est ce que j'étais venu chercher et que j'ai effectivement trouvé. L’univers est solide, cohérent, avec ce qu’il faut de créatures effrayantes, de paysages grandioses, et de batailles brutales. C’est du classique, oui, mais bien fait. On sent que les auteurs aiment le genre, et ça se voit dans les détails : les personnages ont de la profondeur, même les plus clichés, et les dialogues sonnent juste, sans en faire des caisses. Ce que j’ai apprécié, c’est justement cette absence de prétention. On sait où on va, et pourtant, on prend plaisir à suivre cette troupe de condamnés qui se déchirent autant qu’ils se soutiennent. Les influences sont là, évidentes, mais ça ne tombe jamais dans la copie pure. Jérôme Lereculey apporte un vrai souffle graphique, avec un dessin précis et dynamique qui donne du relief aux scènes d’action et de tension. Les couleurs, souvent sombres et terreuses, renforcent cette atmosphère de fin du monde où chaque pas peut être le dernier. Même si le scénario est parfois un peu prévisible, ça ne m'a pas vraiment dérangé. On n’est pas là pour être surpris, mais pour ressentir, pour s’immerger dans ce monde dur et impitoyable. Et là-dessus, Wollodrïn réussit son pari. C’est du Heroic Fantasy pur jus, classique jusqu’à l’os, mais c’est fait avec sincérité et respect pour le genre. Et franchement, ça fait du bien de se laisser emporter dans ce type d’histoire, même si on connaît déjà les grandes lignes. Parfois, le classique a du bon.
La Quête de l'Oiseau du Temps - Avant la Quête
C’est toujours délicat de conclure une saga aussi marquante, surtout quand on parle d’un monument comme La Quête de l'Oiseau du Temps et que l'on conclut un cycle 20 ans après son début. Avec le dernier tome, le cycle Avant la quête réussit à boucler la boucle en se connectant parfaitement au cycle originel, tout en apportant sa propre identité. Le lien avec le début de la série des années 80 est évident, et la modernité de ce second cycle, tant dans le ton que dans le dessin, en fait une vraie réussite à mes yeux. Avec ce préquel on a le temps de s'attarder un peu sur les origines des personnages et du monde qu’ils habitent. On a le temps d'approfondir durant les 8 tomes et on découvre des facettes nouvelles et des enjeux complexes qui donnent une profondeur supplémentaire à l’intrigue. Le ton est plus grave que dans le cycle originel. Ce n’est plus seulement une aventure épique, c’est un récit humain et politique, avec des moments de pause qui permettent de s’imprégner de l’ambiance et de vivre avec eux, même dans des planches où l’action se fait discrète. Le défi du changement de dessinateurs entre les séries mais aussi entre les tomes de cette série était de taille, mais il a été relevé avec brio je trouve. Je suis toujours épaté de voir comment les dessinateurs peuvent reprendre l'esprit d'un autre en ajoutant leur patte avec parcimonie. Cette cohérence est certainement due à une direction artistique soignée. Vincent Mallié, en particulier, s’est illustré avec des planches somptueuses qui capturent l’essence de cet univers, même si elles s’éloignent de la patte brute et inimitable de Loisel. On reste quand même dans une continuité qui ne trahit pas l’esprit de l’œuvre originale. Certes, ce n’est pas le sommet du premier cycle, mais ce préquel parvient à enrichir l’œuvre originale tout en s’en démarquant par une approche plus moderne et nuancée. Ce n’est peut-être pas l’explosion narrative et émotionnelle du premier cycle, mais c’est une belle conclusion qui apporte une nouvelle lumière sur l’ensemble de la saga. Une extension incontournable pour les amateurs de cet univers, à la fois fidèle et audacieuse.
La Vengeance
Là-haut, la neige a déjà commencé à tomber. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Sa première publication date de 2024. Il a été réalisé par David Wautier pour le scénario, les dessins, les couleurs. Il comprend quatre-vingt-dix pages de bande dessinée. Wyoming, avril 1876. Dans une petite ferme à l’écart de tout, le père Hatton s’apprête à partir avec sa carriole, pour se rendre en ville. Il est accompagné par sa grande fille Anna. Sur le porche, le jeune garçon Tom demande s’il peut venir avec eux. Le père estime qu’il risque de s’embêter pendant que sa sœur essaiera sa robe. Mary Hatton, la mère, suggère qu’ils l’emmènent car ça fera une sortie à l’enfant. Elle ajoute que, s’il trouve un livre qui lui plaît, il pourra l’acheter. Le père accepte, l’enfant serre sa mère dans les bras pour la remercier. Le père et ses deux enfants s’éloignent tranquillement dans la carriole, Tom agitant la main en signe d’au revoir, la mère les observant depuis le porche. Quelques temps plus tard, un groupe de trois hommes à cheval approche de la ferme. Le meneur fait observer aux autres la présence du ranch. Un des compagnons propose d’y aller, Jim Pickford ne le sent pas trop. Les deux autres font observer qu’ils ont faim : Pickford décide d’y aller. Montana, novembre 1876. Dans les montagnes enneigés, Hatton et ses deux enfants progressent à cheval dans le froid. Le père demande à sa fille Anna ce qu’il reste comme nourriture. Elle répond : deux tranches de lard et un peu d’avoine. Il indique qu’il essaiera de chasser s’il le faut. Tom demande s’ils s’arrêtent bientôt, mais ils doivent encore avancer. Ils parviennent devant une rivière gelée : le père fait observer que la glace a l’air solide, et il décide qu’ils vont traverser ici. Ils s’engagent en file indienne pour rejoindre l’autre rive. La glace commence à se fendiller sous les sabots du cheval de Tom, qui est en dernière position. Le père et Anna ont rejoint la rive. Hatton ordonne à son fils de bien rester accroché au cheval. Ce dernier effectue des soubresauts pour reprendre pied sur des parties gelées encore intactes : il parvient à gagner l’autre rive. Le père prend son fils dans les bras pour le réconforter, le rassérénant pour qu’il retrouve son calme. Il prend la décision de s’arrêter pour aujourd’hui. Il fait un feu à l’abri des pins, et à la nuit tombée il regarde ses enfants dormir paisiblement. Quelques semaines auparavant, Hatton se tient devant le shérif, dans son bureau. Celui-ci lui montre une affiche, un avis de recherche pour Jim Pickford, mort ou vif. Le jour du drame, le vieux Bedler l’a vu passer avec sa bande, à proximité du ranch. Hatton lui demande de les attraper et de les pendre : il veut les voir crever, ces ordures, de ses propres yeux. Le shérif lui présente ses excuses : il va le décevoir, car cela est tout à fait irréalisable. Il est seul, voilà des mois qu’il attend des renforts, il est impensable qu’il quitte la ville. Il sait ce que Hatton ressent, la haine qui monte en lui, le désir de vengeance. Il continue : mais ça finira par passer, tout finit par passer, et puis les gens comme eux tombent toujours… tôt ou tard. Un titre succinct et explicite, à l’image de l’histoire. La scène d’ouverture ne laisse aucun doute sur ce qu’il va advenir : la couverture annonce un périple de trois personnes que le lecteur identifie immédiatement comme étant le père avec ses deux enfants. Les premières pages les montrent quittant la mère de famille, et trois brigands arrivant devant cette ferme isolée. L’imagination du lecteur fait le reste : la suite logique s’impose, horrible, sans avoir besoin d’être racontée. Le lecteur a fait des suppositions : le massacre de la mère, un mari qui décide de partir la venger, emmenant ses deux enfants avec lui, obnubilé par le châtiment qu’il souhaite dispenser lui-même, par manque d’une intervention policière. Tom et Anna n’ont pas d’autre choix que de suivre leur père, avec une endurance physique moindre pour supporter le froid, pour tenir le choc lors de longues chevauchées, sans son expérience. La scène dans le bureau du shérif confirme la simplicité de l’intrigue : un banal manque de personnel, et les criminels ne seront pas inquiétés. Aussi Hatton n’a d’autre exutoire que de se faire justice lui-même. La poursuite semble avoir atteint un stade décisif : le trio familial est sur les traces des trois coupables, dans une zone sauvage, une montagne enneigée, un beau décor qui recèle des dangers, comme celui de la glace. L’intrigue semble basique : la vengeance s’accomplira-t-elle et comment ? Du sang sur la neige, d’autres vies brisées, peut-être un sursaut moral ? Le lecteur part donc pour un western sous forme d’une poursuite dans une zone sauvage. Il commence par absorber les rayons du soleil du Wyoming, une douce chaleur. Les traits de contour sont délicats, presque fragiles, un peu secs et irréguliers, un degré de simplification dans les visages, une précision discrète dans la carriole et la maison. Une apparence qui semble minimaliste dans un premier temps pour le désert, en fait une complémentarité entre les petits traits secs pour la maigre végétation et la mise en couleurs évoquant l’aquarelle, évoquant les nuances de couleurs apportées par le soleil, le relief, les ombres portées chétives, pour un rendu global très immersif. Puis vient le périple dans la neige en novembre. Le mode de dessin reste similaire : des traits secs à l’apparence parfois esquissée, une mise en couleurs évoquant l’aquarelle apportant relief, texture et luminosité. En page dix, un dessin en pleine page : le petit groupe du père et de ses enfants à quelques dizaines de mètres de distance du lecteur sur la berge de gauche, une largeur de deux ou trois mètres du fleuve libre de glace et une grande étendue recouverte de neige ne permettant d’apprécier la distance à laquelle se trouve la berge de droite, un beau ciel bleu, une ligne de pins dans le lointain et une chaîne de montagne à l’horizon. Les deux tiers du récit se déroulent dans cette région montagneuse enneigée : chaque endroit présente des caractéristiques qui le distinguent d’un autre, que ce soit par le relief, la végétation ou la luminosité, et les conditions climatiques. L’artiste rend compte de la diversité des zones traversées, des plaines et des pentes, des cavernes et des gorges, de l’épaisseur de la couche de neige sur le sol, sur les branches, sur les rochers. Ces informations visuelles se trouvent tout naturellement réparties dans les cases, dans les pages, intégrées organiquement dans le fil de la narration, au point que le lecteur puisse ne pas en avoir conscience. L’affrontement passe par une phase de combat à main nue dans une rivière peu profonde, un décor magnifique par la pureté de l’eau, le naturel du lit du cours d’eau, la belle luminosité d’un ciel sans nuage, l’air pur. Le lecteur peut ressentir le froid sec, le calme et le silence loin de toute agitation humaine, parfois le froid mordant lors de la tempête de neige. Bien équipé, il effectuerait volontiers une randonnée à ski ou à raquette, ou encore à cheval. Dans le même temps, il voit comment les conditions climatiques affectent le père et ses enfants, comment ces deux derniers sont éprouvés par le froid et le vent. Par comparaison, le père et les trois criminels font montre d’expérience, endurant le froid sans avoir l’air d’en souffrir. Ils se déplacent naturellement, comme des personnes habituées à ce genre d’environnement. Dans ces paysages naturels, l’intrigue se déroule linéairement : le père Hatton (son prénom n’est jamais prononcé), avec ses deux enfants, mènent une traque contre le trio de tueurs ayant assassiné son épouse Mary, jusqu’à les rattraper et à la confrontation inéluctable, promise par le titre. La scène d’introduction montre la séparation, le lecteur ayant conscience qu’elle est définitive, les personnages ne le sachant pas. Trois scènes supplémentaires de deux pages reviennent sur l’impossibilité pour le shérif de poursuivre les criminels, sur l’arrivée des époux devant leur terrain encore nu, avec le projet de construction de leur ranch, la dernière montrant le début de l’agression de Mary Hatton. Puis une poignée de cases éparses intercalées dans le déroulement du duel final sur la suite de l’agression. Au premier degré, l’histoire se lit rapidement, de par sa simplicité, des séquences sans beaucoup de texte. Jusqu’au dénouement, qui peut surprendre par son immoralité. Dans le même temps, certaines juxtapositions suscitent des contrastes ou des oppositions inattendues. Voilà un père aimant, qui est attentif aux besoins de ses enfants, et qui dans le même temps leur fait courir des risques inconsidérés car sa vengeance passe avant toute autre considération. À l’opposé d’un récit ou d’un conte moral, il ne se produit pas de prise de conscience chez le père que sa vengeance ne le contentera jamais, ou que ses enfants risquent d’y laisser leur vie à leur tour, que ce soit la glace qui cède sous les sabots du cheval de Tom, puis Tom perdu dans une tempête de neige, et Anna prise en otage par Jim Pickford. Rien n’atteint Hatton, rien n’initie un début de remise en question. Le lecteur rapproche ce comportement du conseil du shérif, issu de sa longue expérience, en parlant des criminels : Les gens comme eux tombent toujours, tôt ou tard. L’auteur pousse ce constat un peu plus loin quant à l’occasion d’un bivouac à la belle étoile, Jim Pickford s’adresse à ses deux acolytes leur confiant que des fois il croirait presque en l’existence de Dieu, une confidence sous-entendant qu’une possibilité de remise en question existe en lui. La vengeance aboutit à une confrontation jusqu’à ce que mort s’en suive, avec une conclusion immorale, provoquant une prise de position du lecteur, pour ou contre ce principe de vengeance, le bousculant dans ses propres convictions. Les cases d’agression de Mary viennent en contrepoint du fil narratif lors de l’affrontement final, rapprochant et confrontant une forme de violence avec une autre. Un récit dans lequel le créateur se fait à l’évidence plaisir. Il montre les espaces naturels du Montana avec une simplicité et une sensibilité épatantes, le lecteur ayant l’impression d’accompagner Hatton et ses enfants dans leur chevauchée, à la poursuite des assassins de la mère de famille. Il raconte une histoire de vengeance simple et tranchée, jusqu’à son terme, sans jouer sur les hommages aux classiques du Western, plutôt en en donnant sa version personnelle, ce qui fait tout l’intérêt du récit. Le lecteur se trouve en position de témoin privilégié, prenant partie ce qui remet en cause ses principes, ce qui le conduit à remettre en question ses certitudes. Troublant.
Moi, Fadi - Le Frère volé
J'adore 'L'Arabe du futur' et lorsque la série s'est terminée, j'étais à la fois content de savoir enfin toute l'histoire personnelle de Riad Sattouf et à la fois triste de voir une série que j'aimais se terminer. Je me disais que ça serait bien de voir au moins ce qui est arrivé à son frère kidnappé parce qu'on ne connaissait que les grandes lignes. Je suis content de voir que l'auteur a exaucé mon vœu avec cette nouvelle série. Le premier tome est bon, quoiqu'il peut paraitre répétitif par rapport à la série originale, parce que pendant un moment on apprend au final peu de choses nouvelles en dehors de l'attachement de Fadi pour sa mère (ce qui va rendre leur séparation encore plus tragique) et le trajet qu'il a fait avec son père de la France jusqu'en Syrie lorsque ce dernier l'a kidnappé. La partie en Syrie est la plus passionnante et on voit encore une fois le père Sattouf montré sous un jour peu sympathique. Le lecteur retrouve une atmosphère familière qui avait disparu dans les derniers tomes dans la série-mère qui se passait exclusivement en France. On retrouve les qualités graphiques et scénaristiques de 'L'Arabe du Futur'. Le seul défaut de ce premier tome au final est que c'est un peu plus court que certains albums de L'Arabe du Futur. On dirait presque un apéritif pour la suite qui s'annonce passionnante.
La Quête de l'Oiseau du Temps - Avant la Quête
Bon, je ne vais pas faire l’affront de présenter l’univers … la série mère est un classique. Cette préquelle n’était pas nécessaire mais je m’y engouffre à chaque nouveauté. Si le début était plus que prometteur (les 4 premiers albums méritent le 4*, un petit plaisir coupable), la suite tire en longueur je trouve. La réalisation des tomes 5 à 7 ne m’a pas super convaincu, je n’y suis plus vraiment, le dessin est correct mais souffre de la comparaison avec ces prédécesseurs, je trouve qu’il y a beaucoup moins de planches flamboyantes. De plus, l’histoire avance peu et les moments forts/culminants sont un peu loupés dans leur mise en scène, ça manque de force/d’impact (attention c’est correct mais je suis exigeant). A titre d’exemple, dans le tome 7 on rencontre un célèbre personnage de la série originale, le fan service a moyennement fonctionné (à l’inverse du Rige). Une série correcte mais qui traîne trop et modère mon enthousiasme, le prochain sera le dernier (ouf), je remonterai ma note si on a un final à la hauteur de celui du 1er cycle mais je n’y crois plus vraiment, d’autant que l’on connaît l’avenir des personnages. MàJ après tome 8 : Plus de 25 ans que cette série nous tient en haleine … voilà enfin la conclusion à ce préquel d’une série culte. Ceux qui sont attentifs auront noté une augmentation de ma note initiale. Le final serait-il à la hauteur ? La question que tout le monde se pose … Alors pour moi c’est pas un grand OUi mais c’est quand même assez classe comme finish. On atteint juste pas le sommet du 1er cycle. Les auteurs nous pondent un bel album d’environ 100 planches, on sent le soin et l’envie de ne pas bâcler ou hâter leur récit. Un plaisir de retrouver Vincent Mallié aux pinceaux. Honnêtement, j’en attendais pas mal de cette lecture. Les 20eres planches m’ont franchement fait peur, je n’ai pas été attrapé par le dessin ou les péripéties, me posant milles questions sur la qualité de la suite … Et puis une scène de pluie, un décor et l’amour des personnages vous attrape. L’alchimie s’installe, on retrouve la magie de ce qui nous a tant fait vibrer. Pas vraiment la fin attendu mais plutôt bien chouette dans sa mise en scène, on aura tous le sourire en quittant la dernière page. Ça s’est perdu un peu dans sa 2eme partie mais du bon boulot et une valeur sûre cette série.
Journal
Cela faisait longtemps que je voulais me plonger dans cette œuvre autobiographique. Ça n’est a priori pas un genre que j’apprécie particulièrement en BD, mais certaines œuvres du genre sont marquantes. « Journal » de Neaud se situe dans cette catégorie, comme L'Ascension du Haut Mal de David B, ou certaines œuvres de Mussat (je n’ai lu pour le moment que Carnation, mais Sainte Famille m’attire aussi). Neaud se met totalement à nu, se livre sans concession, que ce soit pour parler de lui ou de ses proches. Il y a là une prise de risques et un naturel à saluer. Il mêle réflexions sur la vie, les relations humaines, l’art, la construction d’une personnalité, de nombreux moments triviaux. Sa sexualité, son homosexualité (ses désirs, ses échecs, sa recherche de relations avec des inconnus, et surtout les quelques hommes dont il n’arrive pas à se détacher) occupent une grande partie de ce récit fleuve (avec une forte montée de rage, en particulier dans le troisième tome). Le tout accompagné de la lutte quotidienne contre une certaine précarité. Rien n’est édulcoré ou mis de côté. Comme les agressions homophobes sauvages et traumatisantes qu’il subit. Mais aussi ce qu’il pense de tous ceux qu’il côtoie. Sa sincérité est louable, mais a dû faire grincer quelques dents (voir la réaction de celui qui est croqué dans son petit album « Le Doumé »), tout le monde n’étant pas prêt à tant de transparence. Au travers de son expérience et de son récit, Neaud nous donne aussi à voir certains pans de l’éditions indépendante (ego comme X par exemple), des milieux artistiques, mais aussi de la façon dont été vue l’homosexualité dans les années 1990. L’autobiographie se pare de sociologie, sans que la partie BD et la fluidité de lecture n’en pâtisse. Le dessin de Neaud, avec son trait réaliste et fin, usant d’un Noir et Blanc agréable, est aussi pour beaucoup dans le plaisir de lecture. Il ressemble un peu à celui de Frederik Peeters (lui aussi adepte de récits autobiographiques d’ailleurs). Se concentrant sur les personnages (les décors ne sont développés que lorsqu’ils sont au cœur du récit), Neaud use de styles différents parfois pour marquer un décalage (ou comme on utilise le signe « – » pour isoler une remarque de la phrase principale). L’effacement de certains traits de visage lui permet aussi de montrer sentiments et évolutions de relations bien mieux qu’avec des mots. Bref, le travail graphique aide à « digérer » un récit dense et parfois étouffant, mais jamais ennuyeux. C’est une entreprise ambitieuse (que Neaud commence à prolonger avec « Le Dernier Sergent »), et exigeante envers ses lecteurs. Car c’est très dense, et ces trois albums (j’ai lu la série dans la réédition de Delcourt) nécessitent d’investir du temps (j’y ai consacré une bonne partie d’un week-end) tant le texte est abondant. Mais c’est une lecture que j’ai appréciée. Le tome 3, de loin le plus épais (plus de 400 pages !) est aussi celui qui se révèle le plus étouffant, les frustrations de l’auteur à propos de sa relation (avortée) avec un certain Dominique occupant presque toute la place. Le dernier album de la série est lui plus apaisé, on sent que Fabrice Neaud a passé un cap (singulièrement il commence par une longue introduction assez poétique, avec pas mal de très belles planches muettes représentant la nature du Pays Basque). Il y a certes encore des envolées assassines et sans concession sur les différences de traitement entre hétérosexualité et homosexualité, et quelques scories de l’incendie qui a brûlé son année précédente, mais on sent bien que l’auteur regarde désormais plus en avant qu’en arrière. Un déménagement, l’intégration de nouveaux cercles amicaux, la publication du premier tome du « Journal » lui donnent une assise plus stable. L’album se clôt d’ailleurs sur un départ en vacances, sur quelque chose de très positif. J’imagine que les difficultés d’Ego comme X ont interrompu la publication, et que Le Dernier Sergent reprend là où « Journal » s’était arrêté. Enfin dans ce dernier tome (mais aussi déjà dans le précédent), les amateurs de BD découvriront un certain nombre d’auteurs que Neaud côtoyait (seuls les prénoms sont donnés) : Xavier Mussat, Denis Bajram (qui se lance dans une longue explication de l’univers Marvel avec un point de vue mystique) par exemple. Une œuvre introspective mais accessible. Une série à découvrir.