Des contes pour comprendre
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il regroupe les 4 épisodes de la série, initialement parus en 2021 (pour la VO), écrits par Matt Kindt, dessinés et encrés par Matt Lesniewski qui a également assuré le lettrage (pour la VO). La mise en couleurs a été réalisée par Bill Crabtree. Les couvertures ont été réalisées par Lesniewski, les couvertures variantes par Malashi Ward, Jill Thompson, Patric Reynolds, Marguerite Sauvage, Tyler Bence. Le tome se termine avec 5 pages extraites du carnet de croquis de l'artiste.
Il y a une vingtaine d'années de cela, la jeune fille Crimson se glisse dans le bureau de son père qui est en train de travailler. Elle sait que si elle se montre discrète, elle peut lire et le regarder travailler. Elle va sur la pointe des pieds, chercher sur une étagère, son livre préféré : un recueil de contes slaves. Elle s'installe dans le grand fauteuil profond et se met à lire dans le calme de ce bureau. Au temps présent, elle conduit sa voiture dans les rues de Saint-Pétersbourg pour se rendre à un rendez-vous avec un médecin. Elle travaille pour le groupe Cardinal Perennial Pharmaceuticals en tant que représentante. Elle-même est sous traitement, des médicaments produits par le même laboratoire : elle a conscience de son état et vit bien avec. Ce jour-là, elle déroule son argumentaire de vente bien rodé, mais elle n'est pas venue pour réaliser une vente. Elle termine son intervention sur le fait que ces médicaments ont prouvé leur efficacité sur quatre types de schizophrénie. Un instant, elle a la sensation que son interlocuteur a une tête de loup. Elle peut confier un an de stock au médecin, en échange d'un service. Elle souhaite savoir s'il a déjà vu un patient nommé Anton Shubin.
Le médecin explique qu'il ne peut pas divulguer ce genre d'information. Elle le prend à la gorge d'un geste vif pour l'étrangler et il finit par céder et lui confier le dossier de son patient. Crimson s'en va, le médecin lui promettant de porter plainte. Elle se rend à l'adresse figurant dans le dossier, dans un quartier pauvre. Elle monte dans la cage d'escalier en piteux état et frappe à la porte 73. Un homme âgé entrouvre le battant et le referme après qu'elle se soit présentée. Elle parle plus fort et indique qu'elle peut lui confier un tube complet à titre gracieux. Anton Shubin entrebâille rapidement la porte et saisit le tube. Crimson tire violemment la porte pour la refermer, Shubin reculant de douleur, puis elle donne un violent coup de pied pour l'ouvrir en grand. L'homme est à terre et lui demande ce qu'elle veut. Elle lui intime de parler de lui pour commencer : c'est un tueur. Est-ce qu'il se souvient ? Il y a vingt ans, se souvient-il de ce qu'il a fait, de son père à elle ? Est-ce lui qui l'a assassiné en l'étranglant avec une corde, puis en le poignardant dans le dos ? Il explique qu'il se cache de ses anciens employeurs pour qui il était un assassin. Il sait qu'il n'a pas tué le père de Crimson car il n'utilise pas de poignard. Cette réponse évoque un conte à Crimson et elle se met à le raconter : l'histoire d'un jeune garçon, à la recherche d'un boulot. Il voulait être mineur, et donc les mineurs lui ont proposé de passer un test, une épreuve : descendre jusqu'au fond de la mine avec une torche enflammée.
Après un véritable chef d'œuvre MIND MGMT , et une autre série Dept. H, Matt Kindt a décidé de réaliser des histoires courtes avec des artistes différents à chaque fois pour plusieurs éditeurs. Le premier contact avec le récit s'établit avec la couverture : elle est un peu chargée et semble promettre une aventure de type Fantasy, avec la présence étrange d'une jeune femme avec une valise, et cette chaîne d'ADN en médicaments. La première page évoque le plaisir de la lecture des contes durant l'enfance, avec des dessins descriptifs avec un fort niveau de détails. La deuxième séquence en 3 pages montre le monde réel, à nouveau avec un bon niveau de détails, des personnages avec une tête un peu grande (Crimson Flower) ou un peu petite pour le médecin, et cette case inattendue dans laquelle ce dernier a une tête de loup. Dans la séquence suivante, l'artiste et le scénariste semblent prendre plus de liberté : le corps distordu d'Anton Shubin, le passage au mode conte avec un jeune garçon fluet et petit et les mineurs à la carrure trop large pour être plausible, et le torse comme un tonneau. Le récit fonctionne donc sur une dynamique de mystère, ou plutôt d'énigme incitant le lecteur à se prêter au jeu, en faisant des hypothèses sur les capacités physiques de Crimson Flower, sur le parallèle entre la réalité et les contes, sur cette quête de vengeance pour le meurtre du père, sur la réalité même de la façon dont Crimson interprète les faits, voire les invente de toute pièce.
En découvrant le premier conte, le lecteur reconnaît le plaisir que prend le scénariste à entremêler la réalité avec la fiction, à jouer sur le rapport entre les deux, à créer une mise en abîme. Ici, le conte est une fiction dans la fiction, et renvoie le lecteur au fait que l'histoire qu'il lit est toute aussi fictive que l'histoire dans l'histoire. S'il entretient des réserves sur l'adéquation des particularités des dessins avec l'histoire au temps présent, le lecteur est vite conquis par sa pertinence pour les contes. Il retrouve la manière d'exagérer des morphologies pour que des personnages incarnent plus un état ou un caractère marqué, ainsi que les environnements avec des éléments oniriques. Le jeune garçon avec sa torche exsude une envie de bien faire et une forme d'insouciance de la jeunesse, progressant dans des tunnels sans étai, plus une forme de grotte que de mine. Le second conte survient dans le deuxième épisode, alors que Crimson Flower essaye d'échapper à deux assassins professionnels avec une longue expérience. Elle devient une héroïne, une chasseresse, et ses deux poursuivants deviennent des créatures démoniaques ailées. Il suffit du premier conte pour que le lecteur comprenne la pertinence du choix de cet artiste. Après coup, il comprend que les bizarreries de ses dessins au temps présent dans le monde réel agissent comme des rémanences de la narration des contes. Pour une raison qui est à découvrir, la réalité est empreinte du ton des contes. Ceux-ci servent-ils à Crimson Flower pour donner sens aux événements ? Y a-t-il une dimension fantastique à prendre au premier degré, avec la coexistence des deux mondes ? S'agit-il du pouvoir des ennemis contre lesquels elle se bat ? Faut-il envisager une autre possibilité ?
Le récit est court, seulement 4 épisodes, et les auteurs ne font pas de remplissage. Chaque numéro fait avancer l'intrigue et comporte un conte (3 même dans l'épisode 3), ainsi que des scènes d'action. Le lecteur a bien compris que Crimson Flower a vu son père assassiné sous yeux et qu'elle a juré de se venger. Elle est à la recherche de son assassin, ce qui l'amène à se confronter à des tueurs pour leur poser la question de savoir si c'est eux qui ont perpétré ce meurtre. Les dessins montrent une jeune femme costaud sans être bodybuildée, pas si habile que ça au combat à main nu, profitant souvent des circonstances pour s'en sortir, plutôt que de vaincre par la force ou par ses compétences de combattante. Elle se bat contre des hommes à la mine patibulaire, ce qui les rend immédiatement coupables des pires exactions dans le contexte de ce type de bande dessinée. Le lecteur entretient un doute, mais il est levé par les aveux d'Anton Bushin. Pour autant, la dynamique ludique l'incite à prêter attention à tous les détails, à se demander si telle remarque, ou tel geste est bien cohérent avec l'idée qu'il se fait de la situation. Il tombe sous le charme des contes qui fonctionnent parfaitement, pouvant être transposés directement à la situation de Crimson Flower à ce moment-là. Il réfléchit à la manière dont la morale du conte peut s'appliquer à l'héroïne, et finit par prendre conscience que son vrai nom n'ait jamais prononcé. Il se dit qu'elle est une sorte de justicière qui élimine des assassins, peut-être grâce au fruit de son enquête, peut-être pour partie par chance. Progressivement une autre possibilité commence à apparaître.
Étrange : une couverture intrigante, mais un peu chargée, pas facile à déchiffrer entre cette guerrière médiévale, ces mineurs à la mine renfrognée, et cet ADN de médicaments. Un peu bizarre au début, ces dessins qui malmènent un peu la morphologie, qui montrent des personnages peu avenants, y compris l'héroïne, dans les mauvais quartiers d'un monde réaliste. Irrésistible cette narration ludique associant des doutes sur la perception de la réalité par le personnage principal, et ses efforts pour comprendre les événements ou les comportements de ses opposants grâce à la sagesse de contes slaves qu'elle lisait quand elle était petite. Quoi qu'il en soit, la dynamique de la vengeance accroche le lecteur assurant un divertissement de bonne qualité. Puis le premier conte rend évidente la qualité de la narration graphique, et la manière dont les contes colorent la compréhension de Crimson Flower, dont ils contaminent la réalité. Le thème de l'intrication à double sens entre réalité et fiction se pose également comme une évidence. L'histoire acquiert encore plus d'épaisseur quand il s'avère que les différents mystères participent d'une unique énigme qui ajoute une interaction supplémentaire entre fiction et réalité pour une histoire fonctionnant au premier degré et en abîme.
J'ai découvert L'Île de Minuit sans grande conviction au début, en lecture à suivre dans le journal Spirou. Mais contrairement à Tanis, une série parue simultanément, qui a vu peu à peu mon intérêt s'émousser, la BD de Lylian et Grebil n'a eu de cesse de l'augmenter. Voici mon avis à l'issue du premier tome.
L'autre point commun avec Tanis, c'est que ce qui m'a emporté de prime abord, c'est le dessin. Je trouve le trait de Grebil élégant, plaisant à l'œil sans tomber dans les excès d'une modernité criarde. Avec ses couleurs chaleureuses, il m'a emporté dans les méandres de cette série que je craignais trop exclusivement destinée à la jeunesse.
Bien sûr, on ne perdra jamais de vue le public cible du récit, mais Lylian a le bon goût d'instaurer un mystère suffisamment captivant pour susciter l'attention d'un public plus expérimenté sans le lasser. On ne pourra pas ne pas voir planer sur ce scénario les dangereuses ombres de Lost, Sa Majesté des Mouches et Seuls, dont on espère que cette nouvelle série ne sera pas un simple palimpseste. Mais jusqu'à présent, Lylian semble avoir réussi à tracer sa route, quoiqu'on a toujours peur de revenir en terrain connu...
Quoiqu'il en soit, je sors de ce premier tome amplement satisfait. L'univers est bon, le mystère est vraiment accrocheur, la qualité graphique et narrative de l'ensemble est tout à fait convaincante. J'avoue qu'arrivé à ce stade, j'ai un peu du mal à voir comment les multiples twists dont on imagine que la suite du scénario sera jonchée pourraient me surprendre, tant j'ai l'impression que ce genre de récit mystérieux a été trop balisé pour qu'on puisse en découvrir un embranchement encore inconnu, mais je me suis pris à vraiment espérer que pourtant, Lylian ait réussi à découvrir un tel embranchement. Affaire à suivre, on espère dans le moins longtemps possible !
Le nouveau Jim Bishop, forcément j'y vais les yeux fermés.
Après Lettres perdues et Mon ami Pierrot, voici "L'Enfantôme", et cet album est différent des deux précédents.
Différent puisqu'ici le récit ne se déroule pas dans un univers fantastique, mais dans le monde réel des années 90/2000.
Différent graphiquement, si dans les deux autres albums cités ci-dessus, la touche manga était bien présente, elle prend ici une place beaucoup plus importante. Cet album est un hommage aux mangas qui ont bercé la jeunesse de Jim Bishop. Un trait tout en rondeur, expressif et dynamique aux couleurs moins chatoyantes qu'à l'accoutumé. Quelques belles planches en noir et blanc. Tous ces yeux sur la couverture ne sont pas là par hasard...
Différent dans le contenu, d'abord il puise dans le vécu de l'auteur, ensuite l'intrigue m'a désarçonné avec ce premier gros chapitre qui se focalise sur le contrat qui va lier nos deux adolescents (le boutonneux et la bizarre) avec l'étrange conseiller d'orientation : vous réussissez votre année scolaire ou sinon vos parents vous butent ! Un nouveau système basé sur la peur pour motiver la petite troupe. Mais y a un truc qui déconne, car les gamins vont vite s'apercevoir qu'ils risquent réellement leur peau. Violent dans tous les sens du terme !
Différent dans le genre, si du fantastique sera bien présent, avec la présence de la Mort, de fantômes et d'un mystérieux détective au doux nom de postmortem, dans le deuxième (et dernier) chapitre, des passages horrifiques vont venir se greffer à l'histoire.
Un récit très dur, il aborde le thème de l'adolescence (mal-être et harcèlement scolaire), une période souvent difficile avec l'incompréhension du monde des adultes, mais aussi celui de l'école, avec la réussite scolaire en point de mire, il n'y pas de place pour les nuls. Jim Bishop démonte une certaine éducation et les parents qui mettent une grosse pression sur les épaules de leurs progénitures. Un système où la compétition entre élèves ne laisse pas de place aux rêveurs, le cœur n'a plus son mot à dire.
Un conte moderne et métaphorique à la narration singulière et violente avec deux parties distinctes (une rupture brutale entre les deux), parfaitement maîtrisée, elle fera fonctionner vos méninges.
Un titre qui prend tout son sens.
J'ai essayé d'en dire le moins possible, laissez-vous surprendre.
Cette série vous arrache volontiers un petit sourire, son dessin donne immédiatement le ton. Dès la deuxième page on sait à quoi s'attendre et la suite ne donne pas tord à cette première impression. Le trait est très agréable, dynamique, tout en rondeur, les visages sont expressifs, et le tout est servi par de chatoyantes couleurs qui donnent des ambiances différentes, mais harmonieuses, à chaque double page.
Pour accompagner ce visuel, les bons mots ne tardent pas à arriver. Les rimes amusantes et les belles tournures de phrases sont nombreuses. Si on ajoute à cela des mousquetaires, des capes, des personnages animaliers... est ce que ça ne vous rappellerait pas quelque chose ? Evidement. Sans atteindre le génie de maitre Ayrolles, il faut reconnaitre que l'auteur s'en sort très bien. Mais nulle compassion n'est évidement possible, parlons plutôt d'un sympathique clin d'oeil. En tout cas, les dialogues sont bien écrits et plutôt amusants. L'univers est réussi, on plonge volontiers dans cette fable teintée de fantastique, d'humour, d'aventures, de capes et d'épées.
Le petit twist qui permet l'entrée en scène des personnages animaliers est très bien vu. On n'a pas juste imposé au lecteur des animaux qui parlent. Non l'histoire explique comment et pourquoi ils sont là. C'est malin et complètement au service de l'histoire. Il sera question dans celle-ci d'une révolte animale. Nos héros vont enquêter à leur risques et périls sur l'origine de ce conflit, pour tenter d'y mettre fin. Ils seront bien aidé par un certain monsieur De La Fontaine. Le clin d'oeil est également très sympa, son rôle à lui aussi est bien trouvé. Qui d'autre que lui aurait pu faire un meilleur lien avec les animaux ?
Au final tout cela s'emboite plutôt bien. On a un récit rythmé et amusant, mélange équilibré d'aventures et de fantastique. Il se passe pas mal de choses, on ne s'ennuie pas. La conclusion appelle une suite, mais ce premier tome raconte une histoire complète et terminée qui se lit comme un one shot.
Voici une bd où le dragon est central et omniprésent. Finalement c'est assez rare quand on y pense, par exemple dans la Geste des chevaliers dragons l'on voit des beaux animaux mais pas à chaque page.
Bref, le thème centré sur le dragon/les dragons est (selon ma propre perception) original et finalement assez rare avec une telle intensité. C'est vraiment ce qui démarque cette bd du reste des autres histoires courantes où il y a souvent un dragon à la fin en tant que boss final.
L'univers de cette BD est également un grand point positif que je ne vais pas commenter pour vous laisser découvrir.
Question dessin c'est très beau, rien à redire c'est également un joli + pour cette bd.
Concernant l'histoire, ça se suit bien sans décrocher. Après ça reste un scénario classique à hyper classique, mais de mon point de vue pas si gênant.
Question personnage, c'est peut-être un peu insuffisant, où les protagonistes ne sont pas vraiment approfondis, voir légèrement caricaturés (je suis méchant car je suis méchant....bref).
Pour les dialogues ça va, rien à voir avec la richesse de certaines bd comme les 5 terres, ça se lit bien, sans plus.
Je regrette peut-être le nom que les auteurs ont choisi de donner à leurs montures car à mon avis ça manque cruellement d'imagination, faisant allusion à une référence archi connue.
Mon bilan : Presque que du +, j'ai vraiment aimé cette bd (un peu trop courte à regret) et je suis très content de l'avoir dans ma bibliothèque.
Bref une bd qui demande à être plus connue, je recommande la découverte sans hésiter pour tous ceux qui n'ont pas peur de se brûler les yeux à la chaleur du dragon.
Si le thème ne vous parle pas trop, peut-être faut-il mieux passer votre chemin.
Sache qu’il y a des choses qui se règlent en dehors des dossiers.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition date de 2024. Il a été réalisé par Marzena Sowa pour le scénario, et par Benoît Blary pour les dessins et la mise en couleurs. Il comprend quatre-vingt-six pages de bande dessinée.
Dans une zone désertique du Wyoming, une maison très isolée au bout du chemin, avec quelques bêtes en pâturage. Tom Brodowski regarde par la fenêtre, réchauffé par le soleil, avec un mug dans la main. Dans cette petite maison sans étage, un matelas au sol, des cartons non déballés, une valise encore fermée. Le téléphone diffuse une chanson, alors que le jeune homme prend sa douche. Puis la sonnerie retentit et Tom se précipite pour décrocher, et il éprouve un moment de déception. C’est Edith, la cheffe du commissariat qui l’appelle. Elle lui demande poliment comment s’est passée cette première nuit chez lui et elle lui explique sa première mission. Ils vont l’envoyer direct sur le terrain, il ne faut pas qu’il s’attende à débarquer dans un western. Il s’agit d’une femme un peu spéciale, elle habite pas trop loin de chez lui. Il y a une plainte au commissariat : une association qui défend les animaux, des tarés mais dans un autre genre. Apparemment, elle garde des chèvres dans sa caravane. Edith continue : il faudrait que Tom lui dise qu’il y a une plainte, mais qu’on ne veut pas l’accabler avec ça, mais que ce serait bien si elle relâchait les pauvres bêtes dans le pâturage. Il faut qu’il dise que c’est illégal et barbare, et tout le tralala, on ne fait pas ça aux animaux. Pour finir, Edith lui envoie les coordonnées GPS.
Dans le commissariat, Reynold, le mari d’Edith, également policier, rassure un père et son fils, sur le fait qu’avec les photos qu’ils ont collées partout, il est sûr qu’on retrouvera leur chien. William, un autre policier, ironise sur la manière dont Edith a présenté la mission : une femme un peu spéciale, une tarée de première plutôt. Quand il est arrivé, on ne l’a pas envoyé chez elle au premier feu, mais lui est d’ici, aussi c’est différent. Il la connait depuis gamin, elle avait un corbeau apprivoisé sur l’épaule, il avait peur de lui aussi. Il se rappelle qu’un jour elle est venue chercher Jean à l’école, elle était seins nus, elle venait chercher sa fille à poil, même si elle n’est pas sortie de sa voiture. Edith reprend la parole : le jeune arrive de Chicago, s’il ne se débrouille pas ici, il est fait pour nulle part. Bob fait observer qu’ici, ils sont au far-west, pas le même monde, pas les mêmes règles. Edith conclut qu’il faut le laisser faire, ce n’est qu’une femme après tout, cette dernière phrase lui attirant des regards chargés de sous-entendus. Tom Brodowski se présente devant la clôture et il hèle pour attirer l’attention. À l’intérieur de sa caravane, Rose Shaw fume tranquillement sa cigarette et son chien Boo aboie sans discontinuer. Elle finit par le laisser sortir, toujours sans se montrer. Le chien se précipite à la clôture, empli de curiosité, sans plus aboyer. Tom finit par renoncer. Dans une maison distante de trois cents mètres, un couple âgé observe, mécontent qu’Edith ait envoyé le nouveau.
Une vague promesse contenue dans le titre, d’une femme jugée peu recommandable par les autres, vivant visiblement avec un chien dans une caravane ou un mobil-home, laissant les déchets s’accumuler autour. Une histoire qui commence avec un jeune policier, récemment arrivé (arrivé de la veille même) dans un vrai patelin au fin fond du Wyoming, où tout le monde se connaît, et connaît Rose Shaw. Une simple enquête de voisinage ? Un secret honteux, ou peut-être criminel ? Une histoire d’amour improbable entre un jeune homme et une femme âgée ? Des rancœurs accumulées pendant des dizaines d’années ne demandant qu’à alimenter des actes de violence ? Le lecteur ne sait pas trop sur quel pied danser, qu’attendre du récit, ce qui le rend plus attentif à ce qu’il voit. Tout commence par une belle aquarelle mettant en valeur la profondeur de champ de cette plaine s’étendant jusqu’au pied de lointaines montagnes, sous un ciel d’un beau bleu rehaussé par quelques nuages. L’artiste a-t-il séjourné dans le Wyoming ? Quoi qu’il en soit, il donne à voir ce coin d’Amérique rurale. La maison de Tom apparaît toute simple et peu onéreuse, en préfabriquée, de plain-pied, avec une rangée de poteaux électriques pour le long de l’allée qui y mène, pour rejoindre la route. De près, la parcelle de Rose Shaw semble jonchée de carcasses de voitures, de mobilier abandonné, avec assez d’espace entre chaque pour que ce ne soit pas encore un dépotoir ou une décharge.
Un peu plus loin, la parcelle des époux Connie & Boyle apparaît comme un modèle de propreté et de terrain entretenu avec soin. Vues d’un peu plus loin encore, les deux parcelles ne diffèrent quasiment plus. Plus tard, lorsque Tom revient chez lui en marchant le long de la route, l’obscurité semble comme écraser les espaces, à l’exception du ruban de la route qui donne l’impression d’être sans fin. À la lumière du soleil le lendemain au petit matin, le paysage a retrouvé toute son ampleur, son horizon sans fin. Cette sensation de grand espace ouvert se retrouve en page cinquante-sept avec une case de la largeur de la page consacrée à la plaine ondoyante. De manière surprenante, ce même paysage donne l’impression d’avoir repris une dimension un peu plus petite plus en relation avec les deux chevaux qui portent chacun leur cavalier. Enfin la fin du récit emmène le lecteur dans une forêt à proximité d’une mesa de grande hauteur, avec une très belle case de la largeur de la page (en page 78), une vue de dessus, avec des rapaces dans le ciel au premier plan.
Si les grands espaces de ce coin du Wyoming sont bien présents, les personnages évoluent également dans d’autres environnements. Le lecteur commence par avoir droit à une vue globale de l’intérieur de la petite maison de Tom. Puis vient la salle principale du commissariat : un espace de travail accueillant trois ou quatre bureaux avec leurs tiroirs, le poste informatique avec sa souris sans fil, les casiers pour les dossiers, la lampe de bureau, le petit matériel de type stylos, bloc-notes et papillons adhésifs, sans oublier les mugs, et bien sûr un gros photocopieur, un réfrigérateur, une machine à café. Par la suite, le lecteur accompagne Tom chez ses voisins, dans le meilleur bar-restaurant du coin, dans un bar plus lointain où se tient un concert de musique Country, à l’intérieur de la caravane de Rose, dans un supermarché impersonnel, dans une pizzeria à emporter, dans un ranch avec sa douche à l’extérieur, et même dans une cellule du commissariat. L’artiste dépeint une petite ville de l’Amérique profonde, dans la banalité de son quotidien, un environnement où il fait bon vivre, pensé pour faciliter la vie de consommateur tout en présentant des endroits accueillant où il fait bon se retrouver et papoter.
Le lecteur constate rapidement que la distribution de personnages s’articule autour de Tom Brodowski et Rose Shaw, avec une poignée de seconds rôles : quatre policiers dont le couple d’Edith & Reynold, Connie & Boyle le couple voisin de Rose, Jena la fille de Rose, Boo son chien, Chumani une jeune femme et bien sûr Helen la fiancée de Tom. Les dessins montrent des personnages adultes, avec des gestes d’adulte, des comportements en conséquence, et des physiques normaux et banals, tout en étant individualisés. Tom est un beau jeune homme blond, avec une implantation de cheveux qui lui est propre, une forme de visage un peu allongée. Edith, Reynold et Bob portent les marques de l’âge. Le lecteur peut noter que William est plus jeune, que les autres, avec une coiffure plus soignée. Il apprécie l’expressivité plus marquée de Jean, que ce soit quand elle fait des mimiques parce qu’elle trouve que Tom a déjà des goûts de vieux, ou sa colère face à sa mère.
Il apparaît que Rose Shaw s’est vue affublée de cet adjectif péjoratif du fait de son style de vie, qu’une autre femme résume ainsi : Elle n’avait peur de rien ni de personne, elle faisait tout comme elle le sentait, elle aimait l’alcool et les hommes et la fête et les armes, la totale. Il apparaît vite que Rose Shaw ne se conforme pas aux valeurs implicites de la société dans laquelle elle se trouve. Son anticonformisme atteste du fait qu’il est possible de vivre autrement, qu’un individu peut prendre la liberté d’agir différemment. Par voie de conséquence, les règles de vie tacites des uns et des autres se trouvent remises en cause : la fidélité entre époux, l’élimination des objets et des véhicules usagés, l’acceptation des règles de vie en société à commencer par la soumission à l’autorité de la police, le respect de la pudeur, l’acceptation des responsabilités de la parentalité, le respect de l’intimité des autres, etc. Bien évidemment, ce comportement ne peut qu’entrer en conflit avec les valeurs d’un jeune policier, même intelligent. Hé bien non, pas tout à fait. La curiosité de Tom Brodowski s’accompagne d’une empathie, ou d’une absence de préjugé, et aussi d’un sens de la justice. Dans une scène étrange, deux dessins en pleine page, la première avec une case, et le monologue d’un personnage, le lecteur découvre quelqu’un pour qui Rose a représenté bien autre chose, des valeurs différentes et des plaisirs honnêtes. Puis, dans la deuxième page, un événement traumatisant qui permet d’entrevoir ce qui conduit Rose Shaw à arrêter de jouer en respectant des règles dépourvues de sens. La conclusion en deux temps met en scène deux facettes de la liberté, et laisse augurer de l’avenir de Tom Brodowski à moyen ou long terme.
Au vu de la couverture, une histoire courue d’avance, d’une femme vivant une vie de marginale dans sa caravane. À la lecture plutôt l’histoire d’un jeune policier qui effectue son travail, sans pour autant accepter les choses comme elles sont, en particulier le consensus général contre Rose Shaw, une femme qui s’est mise à l’écart de la société, qui n’y a plus sa place, qui en paye le prix. Mais aussi Rose et son mauvais caractère. La narration visuelle qui transporte le lecteur dans un petit patelin tranquille du Wyoming, avec de beaux paysages, des endroits accueillants en ville, des habitants normaux et plutôt sympathiques. Des incidents pas si graves que ça, le temps de vivre, une femme complexe dont l’excentricité empêche la normalité des autres, contraints d’accepter l’existence de choix différents, suscitant des interrogations irrépressibles.
Je n’ai pas grande inspiration pour vous donner envie de vous jeter sur ce diptyque, si ce n’est de dire que c’est franchement bien.
Heureusement les auteurs n’ont pas la même tare. Johnny Jungle est une lecture inventive, drôle et qui n’oublie pas l’émotion. Ce n’est pas indispensable mais tout me plaît dans cette Bd.
Dessins et couleurs des Jouvray sont toujours aux petits oignons, la narration est impeccable, le coup des affiches de film permet de bien faire respirer l’ensemble en plus de lui donner une cohérence. Classique mais efficace, j’aime bien la fausse simplicité qui s’en dégage.
Quant au scénario, il est super bien vu et profite d’un développement très soigné.
En fait, le tout fait preuve d’une telle maîtrise que vous passerez assurément un bon moment.
A découvrir (que l’on aime Tarzan ou non), on est face à un truc plutôt classe.
Toto l'ornithorynque, c'est une série que j'avais découverte quand j'étais au collège. J'avais été attirée par la couverture, je m'y étais essayée, et même si la série s'adressait à de jeunes enfants, je me rappelle que j'avais trouvé ça très bon.
Des années après, je retombe dessus et je décide de re-tenter l'aventure Toto.
Verdict ? Bah c'est bien, très bien même, mais j'avoue avoir été un chouïa déçue (on ne se refait pas, que voulez-vous). Il est fort probable que cela soit dû à mes attentes de relecture, j'avais gardé d'excellent souvenirs de ma découvertes il y a près de dix ans, donc sans la surprise, avec un bagage de connaissance bédéesques plus conséquent et des attentes sans doutes trop grandes, je risquais forcément la déception.
L'œuvre reste bonne cependant. On y suit les aventures de Toto, ornithorynque de son état, et de ses ami-e-s, Wawa le koala, Chichi l'échidné, Riri la chauve-souris et Fafa la phalanger. Chaque aventure portent des messages simples mais bénéfiques pour les jeunes lecteur-ice-s, et même si ces leçons sont souvent classiques elles gardent tout de même leur force par la mise en scène assez poétique des récits.
Les dessins de Yoann sont jolis, pas forcément mon style préféré mais objectivement joli.
J'ai hésité entre mettre 3 et 4 étoiles, je pense partir sur 4, mes réserve viennent sans doute de ma déception susmentionnée. Celle-ci ne pouvant être entièrement imputée à la série je préfère arrondir au supérieur.
(Note réelle 3,5)
Je vais juste terminer mon avis par un petit point (qui n'est pas un reproche si ce n'est un simple détail qui m'a fait rire) : je trouve ça bizarre que le résumé de la série et les deuxièmes et troisièmes de couvertures oublient que c'est une bande de cinq ami-e-s... et non quatre.
RIP Fafa la phalanger, il n'y a visiblement pas que Toto qui ne fait pas attention à toi.
Oh, c'est mignon tout plein !
Chaque album raconte l'histoire d'un-e ancêtre de la famille Vieillepierre, illustre famille de grands héros. Tous racontent et apprennent une morale aux jeunes lecteur-ice-s : vaincre ses peurs, faire ce qui nous semble juste, choisir de changer lorsque l'on se comporte mal, ... Tous, aussi, se basent sur une mythologie existante : nordique, égyptienne, taoïste, grecque et aztèque pour les cinq albums sortis à ce jour.
Les histoires sont courtes mais très divertissantes. Les dessins, sans doute l'une des plus belles forces de cette série, sont adorables, tout en rondeurs et pleins de couleurs. Vraiment, c'est du bonbon pour les yeux.
Et les textes, simples mais jolis, servent bien les histoires. Histoires qui d'ailleurs sont toujours très positives, même le cinquième album se centrant sur "la plus maléfique des Vieillepierre" reste dans une ambiance bienveillante. J'aurais presque envie de dire que le tout fait très chaleureux. Ce sont des histoires chaleureuses, à lire sous la couette.
La lecture n'est pas désagréable, même quand on a passé l'âge du public cible.
Une très bonne série jeunesse.
(Note réelle 3,5)
Au contraire de Noirdésir, j'ai préféré l'intrigue au contexte historique. Pas que le contexte historique soit inintéressant, mais j'ai toujours eu un faible pour les histoires traitant le sujet des histoires en elles-mêmes, de l'impact et des enjeux des récits qui se transmettent et qui perdurent. Donc bon, pas que les conflits idéologiques, théologiques et commerciaux de l'Angleterre du XVIème siècle ça m'ennui, mais ça ne me fait pas autant rêver en comparaison.
Bon, du coup, de quoi ça parle tout ça ?
L'histoire est celle de Pitt et Matilde, deux orphelins recueillis dans leur enfance par l'ecclésiastique du coin. Matilde est une jeune femme fougueuse, un brin mythomane (si peu) et assoiffée de renommée ; Pitt, lui, est le conteur local, plus calme que sa comparse et désireux de liberté. L'une cherche la gloire et la postérité, l'autre à le pouvoir de les lui donner mais n'en a pas vraiment l'envie. Un duo intéressant et prometteur en somme.
Sauf que voilà, un beau jour, alors que Matilde tentait une nouvelle magouille pour faire parler d'elle (et accessoirement faire parler de l'église où elle travaille), le Diable en personne semble venir lui couper l'herbe sous le pied, faisant sauter l'église et déclarant prendre possession de la colline où elle se trouvait. Matilde, accompagnée de Pitt, n'aura donc que quelques jours pour retrouver une sainte relique pouvant, parait-il, terrasser la bête.
L'histoire est intéressante, le dessin est beau (classique mais tout de même agréable), le discours sur les récits et les légendes déformant les histoires leur ayant donné naissance m'a beaucoup plu, j'ai particulièrement apprécié la morale que retire Matilde de son aventure (bien illustrée dans le discours et la symbolique du marteau), ... Bref, c'est du bon. Seulement voilà, l'album n'est pas sans défauts. Il y a plusieurs passages qui m'ont semblés un peu longs, un peu trop verbeux aussi.
J'avoue aussi être restée un peu dubitative face à l'intrigue dans le monde moderne. En fait, le récit de Matilde et de Pitt est régulièrement entrecoupé de scènes entre un homme et une psychologue venant lui rendre visite pour établir ou non s'il doit être placé en maison de retraite. On comprend rapidement que l'histoire que nous lisons est en fait celle que l'homme raconte à la psychologue, prétextant qu'à la fin elle comprendra tout ce qu'il y a à savoir sur lui. Et en effet, à la fin nous comprenons que tout ce récit était en réalité un parallèle avec sa vie (notamment avec la photo de Matilde et Pitt à la toute fin). Mais je ne suis pas sûre d'avoir pleinement saisie la métaphore/comparaison. Ce qui est légèrement frustrant car j'ai l'impression que c'est là-dedans que réside ce que l'album essai vraiment de raconter.
Après, je reconnais que dans la postface, l'auteur exprime sa volonté de laisser une liberté d'interprétation, ça devait donc être voulu. Et puis, même si je n'ai pas encore saisi le sens de ces passages, je ne les boude pas forcément.
Une bonne histoire, assez classique et non sans défauts, mais je garde davantage souvenir du positif après ma lecture que du négatif.
(Note réelle 3,5)
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Crimson flower
Des contes pour comprendre - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il regroupe les 4 épisodes de la série, initialement parus en 2021 (pour la VO), écrits par Matt Kindt, dessinés et encrés par Matt Lesniewski qui a également assuré le lettrage (pour la VO). La mise en couleurs a été réalisée par Bill Crabtree. Les couvertures ont été réalisées par Lesniewski, les couvertures variantes par Malashi Ward, Jill Thompson, Patric Reynolds, Marguerite Sauvage, Tyler Bence. Le tome se termine avec 5 pages extraites du carnet de croquis de l'artiste. Il y a une vingtaine d'années de cela, la jeune fille Crimson se glisse dans le bureau de son père qui est en train de travailler. Elle sait que si elle se montre discrète, elle peut lire et le regarder travailler. Elle va sur la pointe des pieds, chercher sur une étagère, son livre préféré : un recueil de contes slaves. Elle s'installe dans le grand fauteuil profond et se met à lire dans le calme de ce bureau. Au temps présent, elle conduit sa voiture dans les rues de Saint-Pétersbourg pour se rendre à un rendez-vous avec un médecin. Elle travaille pour le groupe Cardinal Perennial Pharmaceuticals en tant que représentante. Elle-même est sous traitement, des médicaments produits par le même laboratoire : elle a conscience de son état et vit bien avec. Ce jour-là, elle déroule son argumentaire de vente bien rodé, mais elle n'est pas venue pour réaliser une vente. Elle termine son intervention sur le fait que ces médicaments ont prouvé leur efficacité sur quatre types de schizophrénie. Un instant, elle a la sensation que son interlocuteur a une tête de loup. Elle peut confier un an de stock au médecin, en échange d'un service. Elle souhaite savoir s'il a déjà vu un patient nommé Anton Shubin. Le médecin explique qu'il ne peut pas divulguer ce genre d'information. Elle le prend à la gorge d'un geste vif pour l'étrangler et il finit par céder et lui confier le dossier de son patient. Crimson s'en va, le médecin lui promettant de porter plainte. Elle se rend à l'adresse figurant dans le dossier, dans un quartier pauvre. Elle monte dans la cage d'escalier en piteux état et frappe à la porte 73. Un homme âgé entrouvre le battant et le referme après qu'elle se soit présentée. Elle parle plus fort et indique qu'elle peut lui confier un tube complet à titre gracieux. Anton Shubin entrebâille rapidement la porte et saisit le tube. Crimson tire violemment la porte pour la refermer, Shubin reculant de douleur, puis elle donne un violent coup de pied pour l'ouvrir en grand. L'homme est à terre et lui demande ce qu'elle veut. Elle lui intime de parler de lui pour commencer : c'est un tueur. Est-ce qu'il se souvient ? Il y a vingt ans, se souvient-il de ce qu'il a fait, de son père à elle ? Est-ce lui qui l'a assassiné en l'étranglant avec une corde, puis en le poignardant dans le dos ? Il explique qu'il se cache de ses anciens employeurs pour qui il était un assassin. Il sait qu'il n'a pas tué le père de Crimson car il n'utilise pas de poignard. Cette réponse évoque un conte à Crimson et elle se met à le raconter : l'histoire d'un jeune garçon, à la recherche d'un boulot. Il voulait être mineur, et donc les mineurs lui ont proposé de passer un test, une épreuve : descendre jusqu'au fond de la mine avec une torche enflammée. Après un véritable chef d'œuvre MIND MGMT , et une autre série Dept. H, Matt Kindt a décidé de réaliser des histoires courtes avec des artistes différents à chaque fois pour plusieurs éditeurs. Le premier contact avec le récit s'établit avec la couverture : elle est un peu chargée et semble promettre une aventure de type Fantasy, avec la présence étrange d'une jeune femme avec une valise, et cette chaîne d'ADN en médicaments. La première page évoque le plaisir de la lecture des contes durant l'enfance, avec des dessins descriptifs avec un fort niveau de détails. La deuxième séquence en 3 pages montre le monde réel, à nouveau avec un bon niveau de détails, des personnages avec une tête un peu grande (Crimson Flower) ou un peu petite pour le médecin, et cette case inattendue dans laquelle ce dernier a une tête de loup. Dans la séquence suivante, l'artiste et le scénariste semblent prendre plus de liberté : le corps distordu d'Anton Shubin, le passage au mode conte avec un jeune garçon fluet et petit et les mineurs à la carrure trop large pour être plausible, et le torse comme un tonneau. Le récit fonctionne donc sur une dynamique de mystère, ou plutôt d'énigme incitant le lecteur à se prêter au jeu, en faisant des hypothèses sur les capacités physiques de Crimson Flower, sur le parallèle entre la réalité et les contes, sur cette quête de vengeance pour le meurtre du père, sur la réalité même de la façon dont Crimson interprète les faits, voire les invente de toute pièce. En découvrant le premier conte, le lecteur reconnaît le plaisir que prend le scénariste à entremêler la réalité avec la fiction, à jouer sur le rapport entre les deux, à créer une mise en abîme. Ici, le conte est une fiction dans la fiction, et renvoie le lecteur au fait que l'histoire qu'il lit est toute aussi fictive que l'histoire dans l'histoire. S'il entretient des réserves sur l'adéquation des particularités des dessins avec l'histoire au temps présent, le lecteur est vite conquis par sa pertinence pour les contes. Il retrouve la manière d'exagérer des morphologies pour que des personnages incarnent plus un état ou un caractère marqué, ainsi que les environnements avec des éléments oniriques. Le jeune garçon avec sa torche exsude une envie de bien faire et une forme d'insouciance de la jeunesse, progressant dans des tunnels sans étai, plus une forme de grotte que de mine. Le second conte survient dans le deuxième épisode, alors que Crimson Flower essaye d'échapper à deux assassins professionnels avec une longue expérience. Elle devient une héroïne, une chasseresse, et ses deux poursuivants deviennent des créatures démoniaques ailées. Il suffit du premier conte pour que le lecteur comprenne la pertinence du choix de cet artiste. Après coup, il comprend que les bizarreries de ses dessins au temps présent dans le monde réel agissent comme des rémanences de la narration des contes. Pour une raison qui est à découvrir, la réalité est empreinte du ton des contes. Ceux-ci servent-ils à Crimson Flower pour donner sens aux événements ? Y a-t-il une dimension fantastique à prendre au premier degré, avec la coexistence des deux mondes ? S'agit-il du pouvoir des ennemis contre lesquels elle se bat ? Faut-il envisager une autre possibilité ? Le récit est court, seulement 4 épisodes, et les auteurs ne font pas de remplissage. Chaque numéro fait avancer l'intrigue et comporte un conte (3 même dans l'épisode 3), ainsi que des scènes d'action. Le lecteur a bien compris que Crimson Flower a vu son père assassiné sous yeux et qu'elle a juré de se venger. Elle est à la recherche de son assassin, ce qui l'amène à se confronter à des tueurs pour leur poser la question de savoir si c'est eux qui ont perpétré ce meurtre. Les dessins montrent une jeune femme costaud sans être bodybuildée, pas si habile que ça au combat à main nu, profitant souvent des circonstances pour s'en sortir, plutôt que de vaincre par la force ou par ses compétences de combattante. Elle se bat contre des hommes à la mine patibulaire, ce qui les rend immédiatement coupables des pires exactions dans le contexte de ce type de bande dessinée. Le lecteur entretient un doute, mais il est levé par les aveux d'Anton Bushin. Pour autant, la dynamique ludique l'incite à prêter attention à tous les détails, à se demander si telle remarque, ou tel geste est bien cohérent avec l'idée qu'il se fait de la situation. Il tombe sous le charme des contes qui fonctionnent parfaitement, pouvant être transposés directement à la situation de Crimson Flower à ce moment-là. Il réfléchit à la manière dont la morale du conte peut s'appliquer à l'héroïne, et finit par prendre conscience que son vrai nom n'ait jamais prononcé. Il se dit qu'elle est une sorte de justicière qui élimine des assassins, peut-être grâce au fruit de son enquête, peut-être pour partie par chance. Progressivement une autre possibilité commence à apparaître. Étrange : une couverture intrigante, mais un peu chargée, pas facile à déchiffrer entre cette guerrière médiévale, ces mineurs à la mine renfrognée, et cet ADN de médicaments. Un peu bizarre au début, ces dessins qui malmènent un peu la morphologie, qui montrent des personnages peu avenants, y compris l'héroïne, dans les mauvais quartiers d'un monde réaliste. Irrésistible cette narration ludique associant des doutes sur la perception de la réalité par le personnage principal, et ses efforts pour comprendre les événements ou les comportements de ses opposants grâce à la sagesse de contes slaves qu'elle lisait quand elle était petite. Quoi qu'il en soit, la dynamique de la vengeance accroche le lecteur assurant un divertissement de bonne qualité. Puis le premier conte rend évidente la qualité de la narration graphique, et la manière dont les contes colorent la compréhension de Crimson Flower, dont ils contaminent la réalité. Le thème de l'intrication à double sens entre réalité et fiction se pose également comme une évidence. L'histoire acquiert encore plus d'épaisseur quand il s'avère que les différents mystères participent d'une unique énigme qui ajoute une interaction supplémentaire entre fiction et réalité pour une histoire fonctionnant au premier degré et en abîme.
L'Île de Minuit
J'ai découvert L'Île de Minuit sans grande conviction au début, en lecture à suivre dans le journal Spirou. Mais contrairement à Tanis, une série parue simultanément, qui a vu peu à peu mon intérêt s'émousser, la BD de Lylian et Grebil n'a eu de cesse de l'augmenter. Voici mon avis à l'issue du premier tome. L'autre point commun avec Tanis, c'est que ce qui m'a emporté de prime abord, c'est le dessin. Je trouve le trait de Grebil élégant, plaisant à l'œil sans tomber dans les excès d'une modernité criarde. Avec ses couleurs chaleureuses, il m'a emporté dans les méandres de cette série que je craignais trop exclusivement destinée à la jeunesse. Bien sûr, on ne perdra jamais de vue le public cible du récit, mais Lylian a le bon goût d'instaurer un mystère suffisamment captivant pour susciter l'attention d'un public plus expérimenté sans le lasser. On ne pourra pas ne pas voir planer sur ce scénario les dangereuses ombres de Lost, Sa Majesté des Mouches et Seuls, dont on espère que cette nouvelle série ne sera pas un simple palimpseste. Mais jusqu'à présent, Lylian semble avoir réussi à tracer sa route, quoiqu'on a toujours peur de revenir en terrain connu... Quoiqu'il en soit, je sors de ce premier tome amplement satisfait. L'univers est bon, le mystère est vraiment accrocheur, la qualité graphique et narrative de l'ensemble est tout à fait convaincante. J'avoue qu'arrivé à ce stade, j'ai un peu du mal à voir comment les multiples twists dont on imagine que la suite du scénario sera jonchée pourraient me surprendre, tant j'ai l'impression que ce genre de récit mystérieux a été trop balisé pour qu'on puisse en découvrir un embranchement encore inconnu, mais je me suis pris à vraiment espérer que pourtant, Lylian ait réussi à découvrir un tel embranchement. Affaire à suivre, on espère dans le moins longtemps possible !
L'Enfantôme
Le nouveau Jim Bishop, forcément j'y vais les yeux fermés. Après Lettres perdues et Mon ami Pierrot, voici "L'Enfantôme", et cet album est différent des deux précédents. Différent puisqu'ici le récit ne se déroule pas dans un univers fantastique, mais dans le monde réel des années 90/2000. Différent graphiquement, si dans les deux autres albums cités ci-dessus, la touche manga était bien présente, elle prend ici une place beaucoup plus importante. Cet album est un hommage aux mangas qui ont bercé la jeunesse de Jim Bishop. Un trait tout en rondeur, expressif et dynamique aux couleurs moins chatoyantes qu'à l'accoutumé. Quelques belles planches en noir et blanc. Tous ces yeux sur la couverture ne sont pas là par hasard... Différent dans le contenu, d'abord il puise dans le vécu de l'auteur, ensuite l'intrigue m'a désarçonné avec ce premier gros chapitre qui se focalise sur le contrat qui va lier nos deux adolescents (le boutonneux et la bizarre) avec l'étrange conseiller d'orientation : vous réussissez votre année scolaire ou sinon vos parents vous butent ! Un nouveau système basé sur la peur pour motiver la petite troupe. Mais y a un truc qui déconne, car les gamins vont vite s'apercevoir qu'ils risquent réellement leur peau. Violent dans tous les sens du terme ! Différent dans le genre, si du fantastique sera bien présent, avec la présence de la Mort, de fantômes et d'un mystérieux détective au doux nom de postmortem, dans le deuxième (et dernier) chapitre, des passages horrifiques vont venir se greffer à l'histoire. Un récit très dur, il aborde le thème de l'adolescence (mal-être et harcèlement scolaire), une période souvent difficile avec l'incompréhension du monde des adultes, mais aussi celui de l'école, avec la réussite scolaire en point de mire, il n'y pas de place pour les nuls. Jim Bishop démonte une certaine éducation et les parents qui mettent une grosse pression sur les épaules de leurs progénitures. Un système où la compétition entre élèves ne laisse pas de place aux rêveurs, le cœur n'a plus son mot à dire. Un conte moderne et métaphorique à la narration singulière et violente avec deux parties distinctes (une rupture brutale entre les deux), parfaitement maîtrisée, elle fera fonctionner vos méninges. Un titre qui prend tout son sens. J'ai essayé d'en dire le moins possible, laissez-vous surprendre.
Mousquetaires Fantastiques
Cette série vous arrache volontiers un petit sourire, son dessin donne immédiatement le ton. Dès la deuxième page on sait à quoi s'attendre et la suite ne donne pas tord à cette première impression. Le trait est très agréable, dynamique, tout en rondeur, les visages sont expressifs, et le tout est servi par de chatoyantes couleurs qui donnent des ambiances différentes, mais harmonieuses, à chaque double page. Pour accompagner ce visuel, les bons mots ne tardent pas à arriver. Les rimes amusantes et les belles tournures de phrases sont nombreuses. Si on ajoute à cela des mousquetaires, des capes, des personnages animaliers... est ce que ça ne vous rappellerait pas quelque chose ? Evidement. Sans atteindre le génie de maitre Ayrolles, il faut reconnaitre que l'auteur s'en sort très bien. Mais nulle compassion n'est évidement possible, parlons plutôt d'un sympathique clin d'oeil. En tout cas, les dialogues sont bien écrits et plutôt amusants. L'univers est réussi, on plonge volontiers dans cette fable teintée de fantastique, d'humour, d'aventures, de capes et d'épées. Le petit twist qui permet l'entrée en scène des personnages animaliers est très bien vu. On n'a pas juste imposé au lecteur des animaux qui parlent. Non l'histoire explique comment et pourquoi ils sont là. C'est malin et complètement au service de l'histoire. Il sera question dans celle-ci d'une révolte animale. Nos héros vont enquêter à leur risques et périls sur l'origine de ce conflit, pour tenter d'y mettre fin. Ils seront bien aidé par un certain monsieur De La Fontaine. Le clin d'oeil est également très sympa, son rôle à lui aussi est bien trouvé. Qui d'autre que lui aurait pu faire un meilleur lien avec les animaux ? Au final tout cela s'emboite plutôt bien. On a un récit rythmé et amusant, mélange équilibré d'aventures et de fantastique. Il se passe pas mal de choses, on ne s'ennuie pas. La conclusion appelle une suite, mais ce premier tome raconte une histoire complète et terminée qui se lit comme un one shot.
Drakko
Voici une bd où le dragon est central et omniprésent. Finalement c'est assez rare quand on y pense, par exemple dans la Geste des chevaliers dragons l'on voit des beaux animaux mais pas à chaque page. Bref, le thème centré sur le dragon/les dragons est (selon ma propre perception) original et finalement assez rare avec une telle intensité. C'est vraiment ce qui démarque cette bd du reste des autres histoires courantes où il y a souvent un dragon à la fin en tant que boss final. L'univers de cette BD est également un grand point positif que je ne vais pas commenter pour vous laisser découvrir. Question dessin c'est très beau, rien à redire c'est également un joli + pour cette bd. Concernant l'histoire, ça se suit bien sans décrocher. Après ça reste un scénario classique à hyper classique, mais de mon point de vue pas si gênant. Question personnage, c'est peut-être un peu insuffisant, où les protagonistes ne sont pas vraiment approfondis, voir légèrement caricaturés (je suis méchant car je suis méchant....bref). Pour les dialogues ça va, rien à voir avec la richesse de certaines bd comme les 5 terres, ça se lit bien, sans plus. Je regrette peut-être le nom que les auteurs ont choisi de donner à leurs montures car à mon avis ça manque cruellement d'imagination, faisant allusion à une référence archi connue. Mon bilan : Presque que du +, j'ai vraiment aimé cette bd (un peu trop courte à regret) et je suis très content de l'avoir dans ma bibliothèque. Bref une bd qui demande à être plus connue, je recommande la découverte sans hésiter pour tous ceux qui n'ont pas peur de se brûler les yeux à la chaleur du dragon. Si le thème ne vous parle pas trop, peut-être faut-il mieux passer votre chemin.
Dirty Rose
Sache qu’il y a des choses qui se règlent en dehors des dossiers. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition date de 2024. Il a été réalisé par Marzena Sowa pour le scénario, et par Benoît Blary pour les dessins et la mise en couleurs. Il comprend quatre-vingt-six pages de bande dessinée. Dans une zone désertique du Wyoming, une maison très isolée au bout du chemin, avec quelques bêtes en pâturage. Tom Brodowski regarde par la fenêtre, réchauffé par le soleil, avec un mug dans la main. Dans cette petite maison sans étage, un matelas au sol, des cartons non déballés, une valise encore fermée. Le téléphone diffuse une chanson, alors que le jeune homme prend sa douche. Puis la sonnerie retentit et Tom se précipite pour décrocher, et il éprouve un moment de déception. C’est Edith, la cheffe du commissariat qui l’appelle. Elle lui demande poliment comment s’est passée cette première nuit chez lui et elle lui explique sa première mission. Ils vont l’envoyer direct sur le terrain, il ne faut pas qu’il s’attende à débarquer dans un western. Il s’agit d’une femme un peu spéciale, elle habite pas trop loin de chez lui. Il y a une plainte au commissariat : une association qui défend les animaux, des tarés mais dans un autre genre. Apparemment, elle garde des chèvres dans sa caravane. Edith continue : il faudrait que Tom lui dise qu’il y a une plainte, mais qu’on ne veut pas l’accabler avec ça, mais que ce serait bien si elle relâchait les pauvres bêtes dans le pâturage. Il faut qu’il dise que c’est illégal et barbare, et tout le tralala, on ne fait pas ça aux animaux. Pour finir, Edith lui envoie les coordonnées GPS. Dans le commissariat, Reynold, le mari d’Edith, également policier, rassure un père et son fils, sur le fait qu’avec les photos qu’ils ont collées partout, il est sûr qu’on retrouvera leur chien. William, un autre policier, ironise sur la manière dont Edith a présenté la mission : une femme un peu spéciale, une tarée de première plutôt. Quand il est arrivé, on ne l’a pas envoyé chez elle au premier feu, mais lui est d’ici, aussi c’est différent. Il la connait depuis gamin, elle avait un corbeau apprivoisé sur l’épaule, il avait peur de lui aussi. Il se rappelle qu’un jour elle est venue chercher Jean à l’école, elle était seins nus, elle venait chercher sa fille à poil, même si elle n’est pas sortie de sa voiture. Edith reprend la parole : le jeune arrive de Chicago, s’il ne se débrouille pas ici, il est fait pour nulle part. Bob fait observer qu’ici, ils sont au far-west, pas le même monde, pas les mêmes règles. Edith conclut qu’il faut le laisser faire, ce n’est qu’une femme après tout, cette dernière phrase lui attirant des regards chargés de sous-entendus. Tom Brodowski se présente devant la clôture et il hèle pour attirer l’attention. À l’intérieur de sa caravane, Rose Shaw fume tranquillement sa cigarette et son chien Boo aboie sans discontinuer. Elle finit par le laisser sortir, toujours sans se montrer. Le chien se précipite à la clôture, empli de curiosité, sans plus aboyer. Tom finit par renoncer. Dans une maison distante de trois cents mètres, un couple âgé observe, mécontent qu’Edith ait envoyé le nouveau. Une vague promesse contenue dans le titre, d’une femme jugée peu recommandable par les autres, vivant visiblement avec un chien dans une caravane ou un mobil-home, laissant les déchets s’accumuler autour. Une histoire qui commence avec un jeune policier, récemment arrivé (arrivé de la veille même) dans un vrai patelin au fin fond du Wyoming, où tout le monde se connaît, et connaît Rose Shaw. Une simple enquête de voisinage ? Un secret honteux, ou peut-être criminel ? Une histoire d’amour improbable entre un jeune homme et une femme âgée ? Des rancœurs accumulées pendant des dizaines d’années ne demandant qu’à alimenter des actes de violence ? Le lecteur ne sait pas trop sur quel pied danser, qu’attendre du récit, ce qui le rend plus attentif à ce qu’il voit. Tout commence par une belle aquarelle mettant en valeur la profondeur de champ de cette plaine s’étendant jusqu’au pied de lointaines montagnes, sous un ciel d’un beau bleu rehaussé par quelques nuages. L’artiste a-t-il séjourné dans le Wyoming ? Quoi qu’il en soit, il donne à voir ce coin d’Amérique rurale. La maison de Tom apparaît toute simple et peu onéreuse, en préfabriquée, de plain-pied, avec une rangée de poteaux électriques pour le long de l’allée qui y mène, pour rejoindre la route. De près, la parcelle de Rose Shaw semble jonchée de carcasses de voitures, de mobilier abandonné, avec assez d’espace entre chaque pour que ce ne soit pas encore un dépotoir ou une décharge. Un peu plus loin, la parcelle des époux Connie & Boyle apparaît comme un modèle de propreté et de terrain entretenu avec soin. Vues d’un peu plus loin encore, les deux parcelles ne diffèrent quasiment plus. Plus tard, lorsque Tom revient chez lui en marchant le long de la route, l’obscurité semble comme écraser les espaces, à l’exception du ruban de la route qui donne l’impression d’être sans fin. À la lumière du soleil le lendemain au petit matin, le paysage a retrouvé toute son ampleur, son horizon sans fin. Cette sensation de grand espace ouvert se retrouve en page cinquante-sept avec une case de la largeur de la page consacrée à la plaine ondoyante. De manière surprenante, ce même paysage donne l’impression d’avoir repris une dimension un peu plus petite plus en relation avec les deux chevaux qui portent chacun leur cavalier. Enfin la fin du récit emmène le lecteur dans une forêt à proximité d’une mesa de grande hauteur, avec une très belle case de la largeur de la page (en page 78), une vue de dessus, avec des rapaces dans le ciel au premier plan. Si les grands espaces de ce coin du Wyoming sont bien présents, les personnages évoluent également dans d’autres environnements. Le lecteur commence par avoir droit à une vue globale de l’intérieur de la petite maison de Tom. Puis vient la salle principale du commissariat : un espace de travail accueillant trois ou quatre bureaux avec leurs tiroirs, le poste informatique avec sa souris sans fil, les casiers pour les dossiers, la lampe de bureau, le petit matériel de type stylos, bloc-notes et papillons adhésifs, sans oublier les mugs, et bien sûr un gros photocopieur, un réfrigérateur, une machine à café. Par la suite, le lecteur accompagne Tom chez ses voisins, dans le meilleur bar-restaurant du coin, dans un bar plus lointain où se tient un concert de musique Country, à l’intérieur de la caravane de Rose, dans un supermarché impersonnel, dans une pizzeria à emporter, dans un ranch avec sa douche à l’extérieur, et même dans une cellule du commissariat. L’artiste dépeint une petite ville de l’Amérique profonde, dans la banalité de son quotidien, un environnement où il fait bon vivre, pensé pour faciliter la vie de consommateur tout en présentant des endroits accueillant où il fait bon se retrouver et papoter. Le lecteur constate rapidement que la distribution de personnages s’articule autour de Tom Brodowski et Rose Shaw, avec une poignée de seconds rôles : quatre policiers dont le couple d’Edith & Reynold, Connie & Boyle le couple voisin de Rose, Jena la fille de Rose, Boo son chien, Chumani une jeune femme et bien sûr Helen la fiancée de Tom. Les dessins montrent des personnages adultes, avec des gestes d’adulte, des comportements en conséquence, et des physiques normaux et banals, tout en étant individualisés. Tom est un beau jeune homme blond, avec une implantation de cheveux qui lui est propre, une forme de visage un peu allongée. Edith, Reynold et Bob portent les marques de l’âge. Le lecteur peut noter que William est plus jeune, que les autres, avec une coiffure plus soignée. Il apprécie l’expressivité plus marquée de Jean, que ce soit quand elle fait des mimiques parce qu’elle trouve que Tom a déjà des goûts de vieux, ou sa colère face à sa mère. Il apparaît que Rose Shaw s’est vue affublée de cet adjectif péjoratif du fait de son style de vie, qu’une autre femme résume ainsi : Elle n’avait peur de rien ni de personne, elle faisait tout comme elle le sentait, elle aimait l’alcool et les hommes et la fête et les armes, la totale. Il apparaît vite que Rose Shaw ne se conforme pas aux valeurs implicites de la société dans laquelle elle se trouve. Son anticonformisme atteste du fait qu’il est possible de vivre autrement, qu’un individu peut prendre la liberté d’agir différemment. Par voie de conséquence, les règles de vie tacites des uns et des autres se trouvent remises en cause : la fidélité entre époux, l’élimination des objets et des véhicules usagés, l’acceptation des règles de vie en société à commencer par la soumission à l’autorité de la police, le respect de la pudeur, l’acceptation des responsabilités de la parentalité, le respect de l’intimité des autres, etc. Bien évidemment, ce comportement ne peut qu’entrer en conflit avec les valeurs d’un jeune policier, même intelligent. Hé bien non, pas tout à fait. La curiosité de Tom Brodowski s’accompagne d’une empathie, ou d’une absence de préjugé, et aussi d’un sens de la justice. Dans une scène étrange, deux dessins en pleine page, la première avec une case, et le monologue d’un personnage, le lecteur découvre quelqu’un pour qui Rose a représenté bien autre chose, des valeurs différentes et des plaisirs honnêtes. Puis, dans la deuxième page, un événement traumatisant qui permet d’entrevoir ce qui conduit Rose Shaw à arrêter de jouer en respectant des règles dépourvues de sens. La conclusion en deux temps met en scène deux facettes de la liberté, et laisse augurer de l’avenir de Tom Brodowski à moyen ou long terme. Au vu de la couverture, une histoire courue d’avance, d’une femme vivant une vie de marginale dans sa caravane. À la lecture plutôt l’histoire d’un jeune policier qui effectue son travail, sans pour autant accepter les choses comme elles sont, en particulier le consensus général contre Rose Shaw, une femme qui s’est mise à l’écart de la société, qui n’y a plus sa place, qui en paye le prix. Mais aussi Rose et son mauvais caractère. La narration visuelle qui transporte le lecteur dans un petit patelin tranquille du Wyoming, avec de beaux paysages, des endroits accueillants en ville, des habitants normaux et plutôt sympathiques. Des incidents pas si graves que ça, le temps de vivre, une femme complexe dont l’excentricité empêche la normalité des autres, contraints d’accepter l’existence de choix différents, suscitant des interrogations irrépressibles.
Johnny Jungle
Je n’ai pas grande inspiration pour vous donner envie de vous jeter sur ce diptyque, si ce n’est de dire que c’est franchement bien. Heureusement les auteurs n’ont pas la même tare. Johnny Jungle est une lecture inventive, drôle et qui n’oublie pas l’émotion. Ce n’est pas indispensable mais tout me plaît dans cette Bd. Dessins et couleurs des Jouvray sont toujours aux petits oignons, la narration est impeccable, le coup des affiches de film permet de bien faire respirer l’ensemble en plus de lui donner une cohérence. Classique mais efficace, j’aime bien la fausse simplicité qui s’en dégage. Quant au scénario, il est super bien vu et profite d’un développement très soigné. En fait, le tout fait preuve d’une telle maîtrise que vous passerez assurément un bon moment. A découvrir (que l’on aime Tarzan ou non), on est face à un truc plutôt classe.
Toto l'ornithorynque
Toto l'ornithorynque, c'est une série que j'avais découverte quand j'étais au collège. J'avais été attirée par la couverture, je m'y étais essayée, et même si la série s'adressait à de jeunes enfants, je me rappelle que j'avais trouvé ça très bon. Des années après, je retombe dessus et je décide de re-tenter l'aventure Toto. Verdict ? Bah c'est bien, très bien même, mais j'avoue avoir été un chouïa déçue (on ne se refait pas, que voulez-vous). Il est fort probable que cela soit dû à mes attentes de relecture, j'avais gardé d'excellent souvenirs de ma découvertes il y a près de dix ans, donc sans la surprise, avec un bagage de connaissance bédéesques plus conséquent et des attentes sans doutes trop grandes, je risquais forcément la déception. L'œuvre reste bonne cependant. On y suit les aventures de Toto, ornithorynque de son état, et de ses ami-e-s, Wawa le koala, Chichi l'échidné, Riri la chauve-souris et Fafa la phalanger. Chaque aventure portent des messages simples mais bénéfiques pour les jeunes lecteur-ice-s, et même si ces leçons sont souvent classiques elles gardent tout de même leur force par la mise en scène assez poétique des récits. Les dessins de Yoann sont jolis, pas forcément mon style préféré mais objectivement joli. J'ai hésité entre mettre 3 et 4 étoiles, je pense partir sur 4, mes réserve viennent sans doute de ma déception susmentionnée. Celle-ci ne pouvant être entièrement imputée à la série je préfère arrondir au supérieur. (Note réelle 3,5) Je vais juste terminer mon avis par un petit point (qui n'est pas un reproche si ce n'est un simple détail qui m'a fait rire) : je trouve ça bizarre que le résumé de la série et les deuxièmes et troisièmes de couvertures oublient que c'est une bande de cinq ami-e-s... et non quatre. RIP Fafa la phalanger, il n'y a visiblement pas que Toto qui ne fait pas attention à toi.
La Famille Vieillepierre
Oh, c'est mignon tout plein ! Chaque album raconte l'histoire d'un-e ancêtre de la famille Vieillepierre, illustre famille de grands héros. Tous racontent et apprennent une morale aux jeunes lecteur-ice-s : vaincre ses peurs, faire ce qui nous semble juste, choisir de changer lorsque l'on se comporte mal, ... Tous, aussi, se basent sur une mythologie existante : nordique, égyptienne, taoïste, grecque et aztèque pour les cinq albums sortis à ce jour. Les histoires sont courtes mais très divertissantes. Les dessins, sans doute l'une des plus belles forces de cette série, sont adorables, tout en rondeurs et pleins de couleurs. Vraiment, c'est du bonbon pour les yeux. Et les textes, simples mais jolis, servent bien les histoires. Histoires qui d'ailleurs sont toujours très positives, même le cinquième album se centrant sur "la plus maléfique des Vieillepierre" reste dans une ambiance bienveillante. J'aurais presque envie de dire que le tout fait très chaleureux. Ce sont des histoires chaleureuses, à lire sous la couette. La lecture n'est pas désagréable, même quand on a passé l'âge du public cible. Une très bonne série jeunesse. (Note réelle 3,5)
Gospel
Au contraire de Noirdésir, j'ai préféré l'intrigue au contexte historique. Pas que le contexte historique soit inintéressant, mais j'ai toujours eu un faible pour les histoires traitant le sujet des histoires en elles-mêmes, de l'impact et des enjeux des récits qui se transmettent et qui perdurent. Donc bon, pas que les conflits idéologiques, théologiques et commerciaux de l'Angleterre du XVIème siècle ça m'ennui, mais ça ne me fait pas autant rêver en comparaison. Bon, du coup, de quoi ça parle tout ça ? L'histoire est celle de Pitt et Matilde, deux orphelins recueillis dans leur enfance par l'ecclésiastique du coin. Matilde est une jeune femme fougueuse, un brin mythomane (si peu) et assoiffée de renommée ; Pitt, lui, est le conteur local, plus calme que sa comparse et désireux de liberté. L'une cherche la gloire et la postérité, l'autre à le pouvoir de les lui donner mais n'en a pas vraiment l'envie. Un duo intéressant et prometteur en somme. Sauf que voilà, un beau jour, alors que Matilde tentait une nouvelle magouille pour faire parler d'elle (et accessoirement faire parler de l'église où elle travaille), le Diable en personne semble venir lui couper l'herbe sous le pied, faisant sauter l'église et déclarant prendre possession de la colline où elle se trouvait. Matilde, accompagnée de Pitt, n'aura donc que quelques jours pour retrouver une sainte relique pouvant, parait-il, terrasser la bête. L'histoire est intéressante, le dessin est beau (classique mais tout de même agréable), le discours sur les récits et les légendes déformant les histoires leur ayant donné naissance m'a beaucoup plu, j'ai particulièrement apprécié la morale que retire Matilde de son aventure (bien illustrée dans le discours et la symbolique du marteau), ... Bref, c'est du bon. Seulement voilà, l'album n'est pas sans défauts. Il y a plusieurs passages qui m'ont semblés un peu longs, un peu trop verbeux aussi. J'avoue aussi être restée un peu dubitative face à l'intrigue dans le monde moderne. En fait, le récit de Matilde et de Pitt est régulièrement entrecoupé de scènes entre un homme et une psychologue venant lui rendre visite pour établir ou non s'il doit être placé en maison de retraite. On comprend rapidement que l'histoire que nous lisons est en fait celle que l'homme raconte à la psychologue, prétextant qu'à la fin elle comprendra tout ce qu'il y a à savoir sur lui. Et en effet, à la fin nous comprenons que tout ce récit était en réalité un parallèle avec sa vie (notamment avec la photo de Matilde et Pitt à la toute fin). Mais je ne suis pas sûre d'avoir pleinement saisie la métaphore/comparaison. Ce qui est légèrement frustrant car j'ai l'impression que c'est là-dedans que réside ce que l'album essai vraiment de raconter. Après, je reconnais que dans la postface, l'auteur exprime sa volonté de laisser une liberté d'interprétation, ça devait donc être voulu. Et puis, même si je n'ai pas encore saisi le sens de ces passages, je ne les boude pas forcément. Une bonne histoire, assez classique et non sans défauts, mais je garde davantage souvenir du positif après ma lecture que du négatif. (Note réelle 3,5)