Les derniers avis (141 avis)

Par sloane
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série La Cuisine des ogres
La Cuisine des ogres

Par les dieux que c'est bien, que c'est beau. Comme certains de mes petits camarades dans les avis précédents, lorsque je vois une BD signée Jean Baptiste Andreae je ne réfléchis pas une seconde et fébrilement je prends le dit objet avec un mélange de joie contenue et de fébrilité, quand vais-je enfin pouvoir me poser pour lire la chose ? Depuis MangeCoeur et Azimut je voue à Mr Andreae et à son dessin une sorte de culte. Richesse des décors, foisonnement des détails, à tel point que j'ai lu la BD deux fois de suite. La première pour découvrir et la deuxième pour me concentrer sur tous ces petits détails dont je parlais plus haut. Voilà quelqu'un qui sait ce que veut dire remplissage d'une case ; ce terme de remplissage pourrait paraitre péjoratif, mais pour moi il n'en est rien tant cela concourt à la magnificence du rendu final. Pour ce qui est de l'histoire en elle même l'univers du conte ainsi présenté répond parfaitement aux critères du genre, un savant mélange de passages "qui font peur" : le hachoir géant et puis des plages d'une grande poésie. Parfaite alchimie entre le merveilleux, le fantastique et la noirceur cet album ravira les grands comme les plus petits. Un seul regret j'aurais aimé que cela soit plus long. Encore une réussite.

15/02/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Harley Quinn & Birds Of Prey
Harley Quinn & Birds Of Prey

Aussi frappadingue qu'irrésistible - Ce tome contient une histoire complète qui nécessite une petite connaissance du personnage pour pouvoir en apprécier tous les détails. Il regroupe les 4 épisodes de la minisérie, initialement publiés en 2020, coécrits par Jimmy Palmiotti & Amanda Conner, dessinés et encrés par cette dernière, avec une mise en couleurs réalisée par Paul Mounts (épisode 1) puis par Alex Sinclair pour les épisodes 2 à 4. Conner a également réalisé les couvertures. Les couvertures variantes ont été réalisées par Derrick Chew (superbe dans le genre affiche pour film d'action dans une veine réaliste), Art Adams (imparable avec un dessin très comics), Ian MacDonald, Terry & Rachel Dodson. Il contient également une histoire courte de 8 pages, en noir, blanc et rouge, écrite par Palmiotti & Conner, et dessinée par Chad Hardin. Sur une plage paradisiaque, Harley Quinn est en train de se dorer au soleil en dégustant une grappe de raisin, avec Pamela Isley, allongée à ses côtés, et Red Tool tenant la grappe de raisin. Ce dernier déclare qu'il a soif. Superman apparaît avec un plateau sur lequel se trouvent des rafraîchissements. Ayant accompli la volonté de Harley, il lui demande de dire où elles détiennent Jimmy Olsen. Harley va pour reprendre quelques grains sur la grappe, mais ils ont comme une odeur de fromage. Elle se réveille dans son petit immeuble de Coney Island, sur son lit, avec sept autres personnes, le pied de l'une d'elle étant sous sa narine. Elle se lève discrètement sans réveiller personne en tenant toujours Bernie son castor en peluche, dans ses bras. Elle monte sur le toit en terrasse pour profiter de l'air de la nuit. Elle voit la fumée d'un incendie au loin, et Power Girl passe la saluer avec des sacs de nourriture pour chat dans les bras. Harley se jette dans ses bras, lui demande ce qu'elle fait avec autant de nourriture pour chat dans les bras, et lui dit qu'elle a besoin d'une faveur. Elle souhaite que Kara lui fasse des diamants avec des morceaux de charbon pressurisés dans ses mains, parce qu'elle doit payer des créanciers, et qu'ainsi ça lui évitera de commettre des crimes pour disposer de l'argent. Sans surprise, Kara n'accède pas à sa demande. En fait tout a commencé il y a quelques semaines quand Pamela et Harley passait des vacances en amoureuses sur une minuscule île avec un unique cocotier. Égale à elle-même, Harley avait fait exprès de ne pas jeter l'ancre du bateau pour qu'il soit emporté par l'océan, et qu'elles passent ainsi plus de temps toutes seules en amoureuses. Étrangement, Pamela l'avait mal pris, surtout en découvrant que son amante s'était goinfrée en dévorant toutes les maigres provisions. Cette situation avait été de courte durée, car Sy Borgman et Zena étaient venus les chercher en hélicoptère. De retour à New York, Pamela avait pris ses distances avec la fofolle. Pendant leur absence, le cabinet de prêts Defeo était venu réclamer ses traites et ses nervis avaient passé Big Tony à tabac pour bien montrer l'obligation de payer les traites en retard. Puis ils avaient mis le feu à l'hôtel, obligeant Harley à abriter tous ses amis qui y étaient logés. Kara ayant refusé, il ne reste plus à Harley qu'à aller rendre visite à Big Tony à l'hôpital, puis à mettre à exécution un plan devant lui rapporter beaucoup d'argent, de quoi éponger ses dettes. En 2013, l'éditeur DC Comics lance une nouvelle série Harley Quinn en la confiant à Amanda Conner & Jimmy Palmiotti. En 2016, il relance sa ligne de comics dans une opération appelée Rebirth, et c'est à nouveau le même duo de coscénaristes qui écrit sa nouvelle série. Ensemble, ils ont coécrit une centaine d'épisodes avec ce personnage. Du coup, le lecteur régulier a déjà une petite idée de l'approche du personnage qu'il va trouver. Son intérêt augmente encore un peu en ayant conscience qu'Amanda Conner dessine elle-même cette histoire. Effectivement, il retrouve bien les éléments développés par le couple de créateurs dans la série mensuelle : son petit immeuble à Coney Island, la catapulte pour se rendre à Manhattan, Bernie son castor en peluche en fort mauvais état, le gang des Harley (Antonia Moore, Carlita Alvarez, Erica Zhang, Harvey Quinn, Shona Choudhury), Sy Borgman et Zena, sans oublier son gérant Big Tony, Egg-Fu, et sa relation avec Pamela Isley. S'il a lu les séries mensuelles, le lecteur éprouve la sensation de revenir à la maison, sinon il est possible qu'il s'interroge sur certains de ces éléments souvent très décalés et bizarres (par exemple la peluche à moitié brûlée qui converse avec Harley). Dans le premier cas, il se demande alors l'intérêt de publier cette histoire dans la branche Black Label. Au bout de quelques séquences, il ressent le fait que l'histoire se déroule de manière plus fluide, et que les auteurs peuvent mettre en scène la personnalité du personnage, sans filtre, sans avoir à se soucier du langage ou de la moralité de certaines actions. Elle apparaît beaucoup plus cohérente et consistante que dans la série mensuelle, sans effet de dilution. Dans un premier temps, le lecteur peut se dire que les coscénaristes choisissent l'option de facilité pour Harley Quinn : jeune femme de moins de 30 ans, irresponsable, avec une compréhension de la réalité bien faussée, à la fois trop mignonne pour être vraie (avec ses petits chats, sa peluche, ses amies, ses élans du cœur) et trop criminelle pour pouvoir être laissée en liberté ou tolérée par les superhéros. En outre, l'artiste s'en donne à cœur joie pour les expressions de visage et les poses un peu théâtrales. Petit à petit, il devient difficile de résister à cette personne entière, avec des émotions honnêtes, des réactions de gamine, aussi bien quand elle montre son attachement émotionnel, que quand elle s'en prend physiquement à un ennemi. Ça donne lieu à des scènes totalement schizophréniques allant de Harley se jetant dans les bras de Kara l'expression d'un élan du cœur authentique, et quelques pages plus loin elle assassine un agresseur en lui enfonçant un crayon noir dans chaque oreille. Elle peut aussi bien être câlinée par Pamela que physiquement torturée par Joker qui entaille sa peau avec un couteau. Là non plus, la dessinatrice ne fait pas les choses à moitié et dose savamment ses dessins entre simplification comique et représentation réaliste, faisant que le lecteur ne puisse éprouver aucun doute sur le sadisme cruel de Joker pour son ancienne amante. Là aussi, le choix du Black Label fait sens pour pouvoir montrer franchement de tels actes, même sans tomber dans le gore, chose qui n'aurait pas été possible dans la série mensuelle, plus tout public. Dans l'horizon d'attente du lecteur, figure également des situations loufoques et énormes, reflétant le comportement de l'héroïne. Il en a rapidement pour son content, car les coscénaristes se sont visiblement bien amusés à créer et à imaginer des événements improbables : un nervi mourant en tombant le crâne contre une batte de baseball hérissée de clous de charpentier, Renée Montoya qui aide Harley à attacher son soutien-gorge, Harley qui a fait exploser les toilettes, Alfred Pennyworth qui s'occupe de Bernie, Oswald Cobblepot qui se retrouve avec le caleçon sur les chevilles en faisant face à Batgirl, Huntress, Montoya, Red Tool et quelques autres, etc. Un peu plus marqué que dans la série mensuelle, Harley aime bien l'humour en dessous de la ceinture et l'humour scatologique : si le lecteur y est allergique, il ne tiendra pas bien longtemps dans ces épisodes. En particulier, elle aime bien les sous-entendus d'ordre sexuel avec Kara et Renée, et elle utilise souvent son castor avec un double sens, en anglais ce mot pouvant désigner le sexe féminin. Pour les lecteurs peu familiers du personnage, cet aspect de la personnalité de Harley fait sens, avec ses réactions régulières d'adolescente provocatrice. L'entrain des auteurs est rapidement communicatif, et le lecteur ressent que Harley doit beaucoup au caractère d'Amanda qui peut ainsi laisser aller sa propre personnalité en profitant de la liberté que peu donner un tel personnage. Le lecteur est vite sous le charme innocent et malsain de Harley et il accepte facilement la structure du scénario dans lequel Harley Quinn va rencontrer fort opportunément plusieurs superhéroïnes en activité à Gotham. Il trouve plutôt élégant qu'elle ne se retrouve pas face à Batman, mais qu'elle puisse croiser le chemin de plusieurs personnages rattachés à sa mythologie. C'est légitime et logique car l'adversaire naturel de cette dame a les cheveux verts et aime bien porter des vêtements à dominante violet. Alors que les péripéties se succèdent rapidement, avec des dialogues apportant de la consistance aux personnages et aux événements sans devenir envahissants, cette jeune femme frappadingue acquiert une épaisseur psychologique inattendue, une partie de son comportement étant l'expression d'un syndrome de stress post traumatique, son passé de psychologue étant même évoqué avec pertinence. Franchement, une histoire de Harley Quinn avec le sceau Black Label, réalisée par les auteurs de sa série mensuelle, il y a de quoi s'interroger sur le pourquoi. Rapidement à la lecture, l'intention apparaît : Amanda Conner & Jimmy Palmiotti bénéficient d'une plus grande liberté de ton et ils s'en servent pour aller plus loin dans la provocation pour étoffer leur personnage. Il est visible que les deux auteurs sont très investis dans le personnage et dans le récit, et c'est un régal de découvrir les planches soignées d'Amanda Conner, avec sa touche comique et fantasque inimitable.

15/02/2025 (modifier)
Par cac
Note: 4/5
Couverture de la série Idulfania
Idulfania

Un petit album de format allongé, à l'italienne, réalisé par le belge Brecht Evens que je ne connaissais pas dans sa bibliographie. On y retrouve son dessin haut en couleurs et pour une fois c'est une suite de strips. De plus l'auteur y fait preuve de beaucoup d'humour, avec certaines chutes parfois sombres et morbides. Idulfania doit être une sorte de village onirique quelque peu moyenâgeux peuplé de personnages acteurs de ces petits strips, indépendants mais liés par ce monde qu'on voit en couverture mâtiné de Fantasy, où l'on trouve des nains, des géants, des chevaliers en armure, des oiseaux qui parlent faisant preuve d'inventivité, ou encore des gardiens de porte philosophes munis de hallebardes. J'ai appris par ailleurs que cela avait été publié à un rythme hebdomadaire dans le magazine belge Bruzz. Assez court et vite lu.

14/02/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Le Travail m'a tué
Le Travail m'a tué

On va réévaluer vos objectifs à la hausse pour compenser la baisse. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. La première parution date de 2019. Le récit a été écrit par Hubert Prolongeau et Arnaud Delalande, il a été dessiné, encré et mis en couleurs par Grégory Mardon. En 2019, au tribunal des affaires de sécurité sociale, Françoise Perez arrive avec son avocate : l'enjeu du jugement est la reconnaissance du harcèlement moral et du harcèlement institutionnel. Un journaliste vient interrompre la discussion de l'avocate avec sa cliente, mais l'avocate indique que ce n'est pas le moment, qu'elles doivent se préparer pour l'audience. En 1988, Carlos Perez reçoit la lettre qui lui confirme qu'il est pris à l'École Centrale Paris, il court l'annoncer à ses parents qui sont très fiers de lui. À la sortie de l'école, il passe un entretien et est embauché chez un constructeur automobile national. 5 ans plus tard, il a gravi des échelons et devient chef d'atelier. Il sort avec Françoise, et ils se marient peu de temps après. Peu de temps après, le centre technique déménage à Gonesse, ce qui induit des temps de transport plus longs pour Carlos qui a acheté à Saint-Cloud. Il passe aussi à un aménagement des bureaux en espace partagé, plus bruyant. Dans le même temps, la messagerie électronique prend son essor et il y a de plus en plus de courriels à traiter. Françoise est enceinte de leur premier enfant. Un jour en se promenant avec elle, il voit le modèle de voiture (une Nymphéa) dans la rue, pour la première fois, le centre technique étant séparé des ateliers de fabrication. Avec la circulation, Carlos Perez se rend compte qu'il vaut mieux qu'il prenne les transports en commun, avec les aléas afférents. 2 ans après l'installation dans le centre technique, la direction change, et les ingénieurs sont convoqués pour une réunion plénière. Un nouveau cadre leur explique que les résultats de vente de la Nymphéa en font un succès, mais qu'il va falloir que l'entreprise s'améliore encore, en révisant ses méthodes de travail, et que des objectifs individualisés vont être instaurés. Dans le lit conjugal, sa femme lui indique que l'individualisation est également une opportunité pour que ses efforts soient reconnus à leur juste mesure. Le lendemain, Carlos Perez est confronté à un carburateur mal conçu. Il décide de demander à son équipe de travailler dessus tard dans la soirée pour le rendre conforme afin que l'équipe suivante dans la chaîne dispose d'un carburateur viable. Il passe toute la nuit au bureau avec plusieurs collègues. Le lendemain, il reçoit un message de sa femme lui indiquant qu'elle est en salle de travail. Il se dépêche de se rendre à l'hôpital et arrive juste à temps. En découvrant cette bande dessinée, le lecteur a conscience de 2 caractéristiques. La première est qu'elle paraît en 2019, l'année du jugement sur les suicides de France Telecom / Orange : 35 suicides liés au travail entre 2008 et 2009. La seconde est que cette bande dessinée reprend des éléments du livre Travailler à en mourir : Quand le monde de l'entreprise mène au suicide (2009) de Paul Moreira (documentariste) & Hubert Prolongeau (journaliste), ce dernier étant coscénariste de la BD. Le fait que Carlos Perez travaille comme chef d'atelier pour un constructeur automobile français renvoie aux suicides de trois salariés du technocentre de Renault à Guyancourt entre octobre 2006 à février 2007. Les auteurs ont donc comme intention d'évoquer les circonstances et les mécanismes qui mènent à un tel acte, par le biais d'une fiction entremêlant les éléments de France Telecom et de Renault. Le lecteur peut identifier la création du Centre Technique pour Renault, et les plans de restructuration comme pendant du plan NExT (Nouvelle Expérience des Télécommunications, plan de 2006-2008) et du programme managérial Act (Anticipation et compétences pour la transformation), ayant pour objectif de diminuer la masse salariale. La bande dessinée est un média, pouvant accueillir tout type de narration, tout type de genre. L'introduction permet de rattacher le récit à l'actualité, mais plus encore à l'enjeu du jugement, pour la veuve de Carlos Perez, mais aussi pour le monde du travail, pour tenter de mettre les managers et les hauts cadres face aux conséquences de leurs décisions. Le cœur de la bande dessinée comprend 104 pages exposant les faits en suivant le parcours professionnel de Carlos Perez et quelques étapes de sa vie privée. Le lecteur y retrouve des transformations professionnelles rendant compte de la mutation de l'organisation du travail dans ce secteur d'activité : un changement de modèle d'organisation avec une augmentation de la spécialisation et une segmentation des process (le centre technique est déconnecté des ateliers de production : ils ne sont plus au même endroit), une accélération de la mise en place de nouveaux outils (courriels, logiciels de conception assistée par ordinateur, mondialisation), la mise en place de gestionnaires ne connaissant pas le métier, l'apparition du chômage chez les cadres. D'une certaine manière, Carlos Perez n'arrive pas à s'adapter à ces nouvelles conditions de travail malgré ses efforts, restant dans le mode de fonctionnement de l'ancien modèle. Hubert Prolongeau, Arnaud Deallande et Grégory Mardon ont ambition de retracer ce drame pour de nombreux salariés au travers d'une bande dessinée. Afin de donner à voir cette histoire de vie, Grégory Mardon a opté pour un trait semi-réaliste, avec une apparence de surface un peu esquissée. En ce qui concerne cette dernière caractéristique, le hachurage pour les ombres est fait avec des traits pas très droits, pas très parallèles, n'aboutissant pas proprement sur le trait détourant la forme qu'ils habillent. Les personnages sont tous distincts, en termes de morphologie et de visage, avec parfois une impression de corps construit un peu rapidement (le raccord des bras aux épaules en particulier) et d'expression de visages qui peuvent être un appuyées pour mieux transcrire l'état d'esprit du personnage. Cela donne plus une sensation de reportage, de dessins croqués sur le vif, que de bâclage. Les protagonistes sont vivants et nature, le lecteur ressentant facilement de l'empathie pour eux. Il voit le visage de Carlos Perez se creuser au fur et à mesure qu'il encaisse et qu'il en perd son sommeil. Il est saisi d'effroi en page 45 (page muette) en découvrant le masque de mort qu'est devenu son visage, et la fumée de cigarette qui sort par la bouche, comme s'il s'agissait de son âme en train de quitter son corps. Il n'y a que 3 personnes qui relèvent de la caricature : Sylvain Koba (le premier nouveau chef direct) de Carlos Perez, Nicole Perot celle qui succède à Koba, et la jeune directrice des ressources humaines. En voyant leur langage corporel et leurs expressions, le lecteur voit des personnes manipulatrices, des salariés ne faisant que leur boulot, des êtres réduit à leur fonction, appliquant la politique de l'entreprise sans recul ni état d'âme, encore moins d'empathie pour les employés qu'elles reçoivent. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut y voir une exagération qui en fait des individus mauvais, ou bien l'expression du ressenti de Carlos Perez vis-à-vis d'elles. Il n'en reste pas moins que l'artiste se montre très habile à faire apparaître leur ressenti, en particulier l'esprit de domination de Nicole Perot, et sa jouissance à obtenir satisfaction, à imposer ses choix à son subalterne. À ce titre, Mardon réussit des cases terrifiantes : en page 79 Carlos Perez voyant Nicole Perot dans une légère contreplongée qui montre son ascendant sur lui, en page 80 quand le visage de Perez s'encadre entre le bras et le buste de Perot comme si elle le tenait dans une prise d'étranglement. De prime abord, les différents environnements semblent dessinés avec la même rapidité pour une apparence facile et un peu esquissée. Au fur et à mesure, le lecteur est frappé par la diversité des lieux, leur plausibilité et leur qualité immersive. Il peut effectivement se projeter en esprit dans le petit jardin du pavillon des parents de Carlos Perez. Il a l'impression d'être assis à ses côtés pour son premier entretien d'embauche dans le bureau du recruteur où il n'y a pas encore d'ordinateur. Il a l'impression de jouer le photographe lors de la photographie prise sur les marches de l'église pour le mariage. Il s'installe dans l'open-space en éprouvant tous les désagréments de ce manque d'intimité et de cette ambiance de travail bruyante. Il voit le hall monumental du centre technique remplissant une fonction de prestige, contrastant avec la qualité dégradée des espaces de travail des employés. Il attend impatiemment le RER avec Carlos Perez, maugréant comme lui contre son irrégularité et les incidents à répétition. En page 81, le lecteur suit Carlos Perez alors qu'il inspecte le site technique de l'entreprise en Argentine, et il se trouve vraiment à inspecter une chaîne de montage, à vérifier l'installation par rapport aux processus décrits dans la base de données informatique. En entamant sa lecture, le lecteur a bien conscience de la nature du récit et de sa fin inéluctable. Il n'y a pas d'échappatoire possible pour Carlos Perez. Il n'y a pas d'issue heureuse. Il l'observe en train de se heurter à un changement qu'il ne maîtrise pas, qu'il ne comprend pas, qui remet en cause ses valeurs professionnelles et personnelles. Carlos Perez fait des efforts pour atteindre ses objectifs individualisés et pour répondre aux attentes de ses chefs : chacune de ces actions est à double tranchant. D'entretien en entretien, ses objectifs (comme ceux des autres) sont revus à la hausse, arbitrairement, sans prendre en compte la réalité du métier, sans espoir de les atteindre un jour, puisque dans le meilleur des cas une fois atteints ils seront à nouveau revus à la hausse. Les auteurs réussissent des passages bien plus subtils. Ingénieur de formation, Carlos Perez est envoyé dans une usine implantée en Roumanie pour augmenter la production et rationaliser une masse salariale sans la faire augmenter. Il se rend compte après coup qu'il a joué le même rôle que ses propres chefs : devenir gestionnaire sans état d'âme en profitant de la méconnaissance du droit du travail par les employés pour mieux les exploiter. Ayant assisté à une déclaration du PDG à la télé, il prend l'initiative de développer une solution technique par lui-même pour résoudre le problème évoqué par le PDG. Il apporte une solution technique sans rapport avec la stratégie financière de développement du groupe, dans une incompréhension complète du système. C'est un tour de force des auteurs à la fois par l'intelligence de l'analyse, à la fois par leur capacité à en rendre compte sous forme de bande dessinée, que de montrer à quel point Carlos Perez et cette direction désincarnée ne jouent pas au même jeu. Il y a une forme d'inconscience à penser qu'il est possible de traiter d'un sujet aussi complexe et douloureux que la souffrance au travail, en une simple bande dessinée de 115 pages, en même temps il s'agit d'un engament total et nécessaire. Arnaud Delalande, Hubert Prolongeau et Grégory Mardon racontent l'histoire d'un individu, ce qui permet au lecteur de se projeter, de se reconnaître en lui, d'éprouver de l'empathie. Les dessins présentent une apparence d'urgence, et reflète un monde de flux en phase avec le monde de l'entreprise qui doit fourguer toujours plus de marchandises en menant une véritable guerre économique contre ses concurrents, des adversaires à écraser, à éliminer. En terminant cette BD, le lecteur a dans la bouche un goût amer : le gâchis en vie humaine, un libéralisme capitaliste sans âme qui ne fonctionne que pour son propre intérêt, son propre développement, des individus faisant fonctionner un système sans se poser de question, sans recul, une évolution implacable et inéluctable, arbitraire pour l'individu qui n'a pas les moyens de l'enrayer. À la fois, le lecteur est écœuré par cette vie massacrée, par un système institutionnalisé que les employés appliquent sans état d'âme ; à la fois il aurait bien aimé en découvrir plus, à commencer par ce qui permet aux collègues de Carlos Perez de s'adapter.

14/02/2025 (modifier)
Par Yann135
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Islander
Islander

Cela fait déjà quelques mois que je tournais autour de cet album. Je l’achète maintenant ou j’attends la sortie du tome 2 voire du tome 3 ? Ca me titille. Et puis le festival d’Angoulême arrive. Je le feuillette sur le stand Glénat. Je le parcours de nouveau chez cosmopolite et je craque forcément devant la splendeur des planches de Corentin Rouge. Il m’avait déjà bluffé le garçon avec Sangoma, les damnés du Cap mais là avec Islander on monte encore d’une marche vers la BD culte ! Tout est admirable. On plonge allègrement dans une atmosphère sombre et mystérieuse, où les destins s'entrecroisent et les secrets se dévoilent. Les amateurs de récits intenses et poignants retrouveront ici la patte unique de Caryl Férey, qui excelle dans l'art de tisser des intrigues captivantes et de créer des ambiances envoûtantes. Il ne serait pas le frère de Christophe Bec ? ? Cette BD est une œuvre magistrale qui transcende les frontières du genre. Dès les premières pages, on est happé par l'univers immersif et envoûtant. Le trait de Corentin Rouge, à la fois précis et expressif, donne vie à des personnages complexes et attachants. Et si vous rajoutez une histoire riche en rebondissements vous comprendrez que la lecture de cet album ne peut se faire que d’une seule traite jusqu’à la dernière case. L'intrigue, savamment construite, explore des thèmes profonds et universels – d’actualité - avec une sensibilité rare. Chaque planche est un chef-d'œuvre visuel, où les détails foisonnent et où l'émotion transparaît à travers chaque coup de crayon. Vache de vache comme on dit dans les campagnes, c’est incroyablement beau ! La narration, fluide et captivante, nous emporte dans un voyage initiatique où chaque personnage évolue et se révèle au fil des pages. Islander n'est pas seulement une bande dessinée, c'est une expérience sensorielle et émotionnelle. Corentin et Caryl ont su marier avec brio le texte et l'image, créant une alchimie unique qui fait que cette œuvre va devenir assurément un incontournable de la littérature graphique. Vous ne pouvez pas passer à côté d'Islander ! C’est une véritable pépite qui laissera une empreinte durable dans votre esprit !

14/02/2025 (modifier)
Par PAco
Note: 4/5
Couverture de la série Almudena - Le Temps d'un été
Almudena - Le Temps d'un été

Voilà un bon p'tit vent de fraîcheur qui souffle avec ce premier album de la nouvelle collection Young Adult de chez Delcourt : Wave. Alors ok, c'est effectivement ciblé, mais en trouvant un bon équilibre entre divertissement et problèmes sociétaux. Almudena est une ado qui va sur ses quinze ans ; elle habite avec sa mère aux Etats-Unis et n'a jamais connu son père. Mais voilà que sa mère doit partir faire une tournée de danse en Europe et va donc confier sa fille à son père pour 3 mois... Si le fait de rencontrer son père pour la première fois à cet âge est déjà compliqué, la barrière linguistique ne va pas améliorer les choses. En effet, le père d'Almudena est guatémaltèque et ne pipe pas un mot d'anglais... et Almudena pas un d'espagnol... Ajoutez à cela un logement en pleine rénovation : l'été s'annonce looooong et fastidieux ! Mais voilà, l'entourage de son père et le quartier même sont plein de surprises et de vie. La sinistrose annoncée va vite laisser place à un tourbillon de vie pétillant, à l'image de notre ado pleine de ressources. Ça parle famille, gentrification, homosexualité, dans ce milieu des années 90', sans se prendre la tête et ça passe bien. Le tout est servi par un dessin assez simple mais expressif, qui valorise les nombreux personnages de cette tribu recomposée et explosive ; la mise en couleur est tout aussi peps, ce qui colle parfaitement avec le tout !

14/02/2025 (modifier)
Par PAco
Note: 4/5
Couverture de la série Quand la nuit tombe
Quand la nuit tombe

C'est à hauteur d'enfants que Marion Achard nous replonge dans l'horreur de la seconde guerre mondiale. Ce premier tome est axé sur le récit de Lilou qui a réussi à s'enfuir et se cacher après septembre 1943 pour échapper aux rafles. Le deuxième tome devrait nous raconter ce que sa soeur Mylaine a vécu après leur séparation à cette même période, arrêtée par les nazis. On sent que Marion Achard a le goût du récit et de ce côté documenté/documentaire. J'avais déjà apprécié son travail avec ses albums Tamba l'enfant soldat et Le Zizi de l'ange - Chroniques d'un spectacle vivant. Après les enfants soldats et les intermittents, c'est donc du côté de sa propre famille qu'elle est allée creuser pour nous proposer ce récit formidablement mis en dessin par Toni Galmès, que je ne connaissais pas. Son trait rond et fin superbement mis en couleur à l'aquarelle colle à merveille avec cette vision d'enfant qui nous servira de focale. Sans être ni trop mièvre ni trop dure dans les détails, l'histoire de cette guerre et des saletés qu'elle colporte est réaliste et juste, sans être édulcorée pour autant. Voilà un album qui devrait plaire à un large public tant pour son contenu que son esthétique léchée. Je suis curieux de découvrir le second volet de cette série *** Tome 2 *** Après le récit de Lilou dans le premier tome, c'est au tour de sa grande soeur Mylène de nous dévoiler ce qui lui est arrivé après cette descente de l'armée allemande dans leur planque. Si Lilou et ses parents ont pu être prévenus à temps et échapper à la rafle, ce n'est pas le cas de Mylène. Arrestation, interrogatoires, violences, puis déportation vers un camp de concentration... Le regard de Mylène nous plonge dans l'horreur nazi à hauteur d'enfant... Comme dans le premier tome, le récit est réaliste et n'édulcore en rien le tragique de cette période et de l'horreur des camps de concentration. Plus dur que le premier tome, il n'en reste pas moins pétri de tendresse et d'humanité malgré l'horreur traversée. Côté dessin Toni Galmès est toujours aussi doué et efficace, rendant cette histoire moins âpre à digérer. Son trait et sa mise en couleur à l'aquarelle sont juste magnifiques ! Un témoignage familial à travers des regards d'enfants qui auront survécu au pire traité de façon remarquable !

04/04/2024 (MAJ le 14/02/2025) (modifier)
Couverture de la série Arzach
Arzach

Je ne suis pas très familier de l'univers Moebius et c'est avec un œil naïf que je découvre ce double titre Arzach suivi de "L'Homme est il bon". Cinquante années ont passé depuis la sortie événement d'Arzach saluée à l'époque comme un chef d'œuvre par une grande partie de la presse européenne toutes tendances confondues. Un petit saut en arrière permettrait aux plus jeunes de se souvenir que les années 70 furent des années de "Déconstruction". Dans ce domaine, le 9eme art en était à l'expérimentation. Giraud/Moebius bien installé au sommet de la profession se risque à une expérimentation avant-gardiste avec une œuvre sans scénario et sans dialogue. Cette suite d'histoires sans autre lien que cet Arzach chevauchant une sorte de ptérodactyle au-dessus d'un monde inhospitalier laisse le lecteur libre de ses choix : faut-il chercher une cohérence scénaristique ? Faut-il simplement se laisser porter par un dessin d'une grande technicité ? Ou finalement se goinfrer de couleurs et de lumières qui singularisent à elles seules la narration ? Je lis cette œuvre comme un Milestone non conformiste. Une véritable œuvre de l'art qui explore les voies inconnues. Une œuvre qui mérite d'être pensée dans son contexte et qui s'accommode mal des notations et des classements. Un "truc" qui a sa place dans l'histoire et les écoles plus que sur les rayonnages des séries commerciales. Une étoile filante… On est pas loin de la définition du culte.

14/02/2025 (modifier)
Par sloane
Note: 4/5
Couverture de la série Le Grand Monde
Le Grand Monde

Au sortir de la seconde guerre mondiale la famille Pelletier a du souci à se faire, trois des enfants du couple sont entendus par la police pour diverses malversations que d'habiles flashbacks vont nous expliquer. Ainsi, de Beyrouth à Saïgon en passant par Paris, les rejetons Pelletier sont confrontés à leurs passé pas toujours très reluisants. J'ai trouvé cette histoire très bien conçue avec un background excellent retranscrit par C. De Metter, de l'ambiance parisienne à la vie dans un Vietnam alors colonisé. Avec un rythme trépidant il est difficile de lâcher la lecture et le dénouement est suffisamment malin pour dérouter le lecteur, tout au plus aurais-je aimé un final moins ouvert pour certains protagonistes, notamment ce brave Bouboule. C. De Mettter fait encore une fois un excellent boulot.

14/02/2025 (modifier)
Couverture de la série Spirite
Spirite

5 ans après la conclusion de sa première série Clues, Mara nous propose de nouveau une série qu’elle réalise seule (« presque seule » devrais-je écrire puisqu’elle est assistée pour les couleurs par Suria Barbier et Carole Bride). Après l’Angleterre Victorienne, elle nous plonge cette fois-ci dans le New York du début des années 30, où vont se rencontrer Ian Davenport, un jeune chercheur en spiritologie, et Nell Lovelace, une journaliste ambitieuse reléguée bien malgré elle à la rédaction d’articles consacrés à des événements paranormaux. On retrouve dans cet album les ingrédients qui fonctionnaient déjà dans sa première série : des personnages au caractère bien marqué qui inspirent la sympathie, du mystère savamment distillé tout au long de l’album et un trait dynamique. Si la scène du début qui se situe dans un environnement naturel n’est pas la plus réussie graphiquement, le dessin de Mara a bien progressé depuis ses premiers albums. Le dynamisme et l’expressivité des personnages restent son point fort, mais j’ai surtout relevé le travail des couleurs particulièrement réussi. La technique qu’elle avait déjà utilisée pour les trois premiers albums de « Clues » – mélange de lavis et de couleurs informatiques – donne un réel cachet à l’ensemble, et on sent le soin apporté au choix des ambiances. Enfin l’album en lui-même est un très bel objet, avec les impressions en doré et le vernis sélectif sur la couverture, la mise en page dans le style Art Déco, et le carnet de croquis de la fin qui est bien intégré et apporte un vrai plus à l’album. Un album de pur divertissement bien réalisé dont je lirai la suite avec plaisir. (J'hésite entre 3 et 4... j'attends la suite pour remonter ma note). -- Après avoir lu les deux tomes suivants, je remonte ma note. J’ai beaucoup aimé l’évolution de l’histoire ; si l’aventure reste bien présente, elle vient davantage se mettre au service des relations entre les personnages. Et c’est justement les différents protagonistes, leurs histoires et leurs interactions qui m’ont beaucoup plu. Mara a utilisé pour la construction de sa série la même structure que pour Clues, à savoir que le troisième tome est un flashback. Mais j’ai trouvé que dans le cas présent c’était beaucoup mieux amené et plus logique au niveau narratif que dans Clues. Bref, j’ai beaucoup aimé les trois premiers tomes de cette série, et j’attends maintenant avec impatience la conclusion dans le quatrième tome.

30/01/2021 (MAJ le 14/02/2025) (modifier)