C'est amusant, ça bouge dans tous les sens, c'est rempli de références dans tous les sens (qu'on ne comprend pas toujours), mais il faut éviter de tout lire d'un seul coup, sinon on se lasse très vite.
Le graphisme est largement correct, avec parfois des facilités. Néanmoins, on sent l'œuvre de commande pour offrir rapidement une version papier aux fans de l'anime. Je reconnais que le dessinateur a fait du travail correct, surtout quand on connait les délais. Ce n'est pas au Japon qu'on attend entre 5 à 10 ans après une suite (mais il y a quelques rares exceptions). Les amateurs de gros nénés (mention spéciale à une protagoniste) vont y trouver leur compte.
Quant au scénario, il est assez bordélique, cherchant souvent à accumuler les clins d'œil. Il y a bien une double trame, mais elle est assez vague. On se doute bien de ce qui va arriver à nos 2 principaux protagonistes, mais parfois, on trouve le chemin un peu long. Donc, bis repetita, lire cet opus par petits morceaux. Je tique un peu sur l'âge de certains personnages, mais bon, c'est typiquement japonais...
La traduction français a souvent réussi à trouver des jeux de mots qui remplacent ceux qui existaient sans doute en japonais, à moins que ce ne soit un ajout pour le fun, ça se peut. Les doubleurs du Club Do n'hésitaient pas à abonder dans ce sens.
Je ne connais pas l'anime, mais en général, je préfère la vrs papier que je peux lire à ma guise, sachant que j'ai l'impression de "subir" quand je regarde un DA. C'est un propos qui n'engage que moi.
Un manga qui ne s'étale pas sur 36 volumes, de la pure détente assez barrée. La fin est finalement un peu plate. Les bonus sont effectivement un petit plus.
Nota : j'ai hésité entre *** et ****, j'ai préféré arrondir au supérieur. C'est un manga que j'ai déjà relu et que je relierai plusieurs fois pour mieux comprendre les clins d'œil.
Elle était un modèle d’exception. Oui, elle posait comme un ange…
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, une histoire autour du peintre Auguste Renoir (1841-1919). Son édition originale date de 2016 ; il fait partie de la collection Les grands peintres. Il a été réalisé par Dodo (Marie-Dominique Nicolli) pour le scénario, et par Ben Radis (Rémi Bernardi) pour les dessins et les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. À la fin se trouve un dossier de six pages, rédigé par Dimitri Joannidès, intitulé Peintre de la joie de vivre, composé de sept parties intitulées : De la porcelaine aux Beaux-Arts, Aux origines de l’impressionnisme, Une si douce période aigre, Une maturité contrariée, Danse à la campagne, Durand-Ruel un soutien indéfectible, La solitude et la mort.
Pendant l’hiver 1893, Auguste Renoir et Paul Durand-Ruel chemine dans Paris en devisant. Le peintre explique qu’il s’en souviendra de cet hiver, car avec ce froid ses rhumatismes lui paralysent les mains et l’empêchent de travailler alors qu’il aimerait tant finir au plus vite cette toile que son interlocuteur attend. Son commanditaire le rassure : maintenant que Renoir est enfin reconnu, tout sera plus facile. Son ami le remercie car c’est grâce au marchand d’art qu’il jouit maintenant d’une renommée. Durand-Ruel ajoute que c’est aussi grâce à l’intervention de Stéphane Mallarmé que l’État lui a acheté Les jeunes filles au piano. Ils sont arrivés à leur destination : le restaurant Le chat noir. Ils vont s’installer à une table pour déguster quelques verres. Le marchand d’art estime que chacun devrait pouvoir vivre de son art. Il prend comme exemple le pianiste en train de jouer, obligé d’accompagner des chansonniers, alors qu’il est un compositeur talentueux. Il ajoute qu’au fond il doit être un peu comme Renoir, sans doute trop en avance sur son temps.
Avec l’accord de Renoir, Durand-Ruel invite le pianiste à leur table, et il présente ainsi Erik Satie au peintre. Ils parlent peinture et modèle. Satie explique que la femme qu’il vient de rencontrer lui inspire tant de nouvelles choses. Au point qu’il lui ait fait sa demande en mariage au lendemain de la première nuit. Il ajoute que Renoir la connaît car elle a souvent posé pour lui, elle a même été sa muse. Renoir se prête au jeu et devine son identité : Marie-Clémentine Valade, qu’Erik Satie rectifie car elle s’appelle maintenant Suzanne Valadon. Le galeriste ajoute également la terrible Maria comme nom, c’est Toulouse-Lautrec qui s’était entiché d’elle et l’avait surnommée ainsi. Il ajoute que Degas a dit qu’elle avait un bath coup de crayon et qu’elle usait fort habilement des pastels. Il se tourne vers Renoir et lui suggère de se souvenir, c’était il y a dix ans. Le peintre ne se fait pas prier : il ne savait plus où il en était, il lui semblait qu’il était arrivé au bout de l’impressionnisme. Il a passé tout l’hiver 82 à parcourir l’Italie. Il avait même poussé jusqu’à Palerme pour faire ce portrait de Wagner. Un odieux personnage ! Le compositeur lui avait laissé une demi-heure pour le peindre et il avait détesté le résultat ! Il trouvait qu’il ressemblait à un pasteur protestant !
S’il a déjà lu d’autres albums de cette série sur les grands peintres, le lecteur entame cette histoire, curieux de découvrir quelle approche auront choisie les auteurs. La narration se déroule suivant deux lignes temporelles : la rencontre au café Le Chat Noir en 1893, et une autre qui suit partiellement la carrière du grand maître à partir de 1882. Lors d’une rencontre fortuite au temps présent du récit, le galeriste Paul Durand-Ruel (1831-1922) présente Erik Satie (1866-1925) à Auguste Renoir : ils comprennent que le pianiste est tombé amoureux de celle qui fut le modèle, la muse et l’amante du peintre, Suzanne Valadon (1865-1938), aussi appelée Maria, Marie-Clémentine Valadon. Au fil du récit, le lecteur rencontre également la couturière et modèle Aline Charigot (1859-1915). Dans les différentes discussions, sont évoqués d’autres peintres : Claude Monet (1840-1926), Puvis de Chavanne (1824-1898), Berthe Morisot (1841-1895), Gustave Caillebotte (1848-1894), et bien sûr le mouvement impressionniste. Auguste Renoir constitue bien le personnage principal : il est présent dans chaque page, et dans un peu plus de 90% des cases. Il apparaît éminemment sympathique dans la manière dont il est représenté. Les dates permettent d’établir qu’il a quarante-deux ans dans la ligne temporelle qui suit sa carrière. Il porte un costume noir avec une cravate, et un gilet dont la couleur change en fonction des moments. Il arbore un visage calme et détendu, curieux, posé, peu souriant, sans trop de rides.
Les auteurs racontent leur histoire avec la connaissance préalable que Renoir est déjà un peintre conscient de sa vocation qu’il assume, avec également en tête la postérité du peintre. Il vit dans le quartier de Montmartre, connaît les peintres de son époque évoluant dans la capitale. Il maîtrise déjà les techniques de peintre, et il a déjà fait des choix quant à ses sujets. Il est plus âgé que les autres. Il rencontre Erik Satie à qui il est lié par une de ses anciennes muses, ainsi que par cette vocation irrépressible de créateur. La ligne temporelle de 1893 se déroule dans le café, attablé du début jusqu’à la fin, le galeriste quittant les deux nouveaux amis en page vingt-deux ; ladite ligne compte dix pages en cumulé. Les auteurs ont fait en sorte que cette situation statique présente de nombreux intérêts visuels. La toute première planche correspond à une vue en extérieur, alors que le peintre et son bienfaiteur arrive à l’établissement : la façade suscite la curiosité du lecteur avec sa sculpture de chat noir auréolé des rayons d’un astre, les deux lanternes de part et d’autre de la porte d’entrée, ainsi que le portier en habit militaire d’un autre siècle, tenant une pique à la main, un accès avec du caractère. Au fil de la conversation, le dessinateur représente régulièrement les arrière-plans ce qui laisse le loisir de voir les solides chaises en bois, ainsi que les tables rondes un peu étroites, tout aussi rustiques. Puis de case en case, il montre les cadres de la décoration murale, quelques tentures, quelques sculptures, les entrecroisements métalliques autour des vitrages, les boiseries et les moulures au plafond, l’affiche du Chat Noir, le manteau de cheminée, etc.
Le lecteur prend grand plaisir à s’assoir à table avec les trois messieurs : l’artiste leur donne une mine affable, ils s’écoutent avec politesse et une certaine forme de bienveillance, alliant une posture compassée et un réel intérêt pour l’interlocuteur. Ils apparaissent très à l’aise dans cet exercice social, un parfait équilibre entre une retenue polie et une implication sincère par une écoute active. Ils dégustent lentement leur verre de vin rouge. Le lecteur en profite également pour regarder les autres clients, attablés ou qui vont et viennent. Il est sous le charme de leur singularité, de leur expressivité : un monsieur avec son haut-de-forme et un nez un peu gros s’apprêtant à prendre place, une femme attablée avec un début de double menton, une robe ouvragée, un bibi décoré de fleurs, des gants, avec un verre d’absinthe devant elle, un monsieur dans un chaud manteau avec un revers de fourrure et également une absinthe, un serveur diligent avec son plateau sous le bras, son torchon sur le coude, légèrement voûté, un autre monsieur avec de fines moustaches recourbées s’apprêtant à fumer une cigarette, les passants dans la rue.
Les passerelles avec le passé se font tout naturellement, ne serait-ce que par une autre scène dans un café, celui de la Nouvelle Athènes, quand Auguste Renoir plus jeune de dix ans y emmène Suzanne Valadon pour prendre un verre avec Claude Monet. Au-delà de cette occurrence, le lecteur suit avec plaisir le grand peintre admirant le plafond de la Villa Farnesina, puis une séance de peinture en plein air avec Paul Cézanne (1839-1906) aux environs de l’Estaque, un tour dans le quartier de Montmartre pour acheter un repas et voir le voisinage changer alors que le chantier de la basilique du Sacré Cœur avance, un rendez-vous chez la couturière pour trouver une robe adaptée à la toile qu’il réalise, une première séance de pose avec Marie-Clémentine en page vingt-quatre, etc. Les dessins sont toujours aussi agréables à l’œil : des personnages pleins de caractère avec un fond de bonhommie même quand ils se montrent désagréables, et des environnements consistants et détaillés. Le lecteur suit avec plaisir le peintre dans ses hésitations, son travail peu gratifiant, sa recherche du bon modèle, mû par un véritable amour pour son art, qui ne lui laisse pas le loisir de développer une relation suivie avec une femme. En trame de fond se lit le cheminement et la ténacité pour réaliser Danse à la campagne, une des toiles les plus emblématiques de Renoir, comme l’écrit Dimitri Joannidès dans le dossier de fin. Mais quand même…
Au cours du récit, le lecteur ressent qu’un autre personnage s’impose, d’abord en filigrane, puis comme un solide second rôle, puis… Ainsi, en 1893, la discussion prend vite comme sujet principal l’une des muses du peintre, dès la troisième planche. Puis il est à nouveau question d’elle en page onze, avec le retour au fil temporel de 1893, puis chez la coutière en 1883, dans l’atelier du peintre, et elle apparaît enfin en page vingt-et-un. Il s’agit alors de mademoiselle Valade. En page vingt-six, le modèle et le peintre ont une relation sexuelle. En page trente-deux, sous l’emprise de l’alcool (absinthe), elle tourne en dérision l’idée de consacrer une série de peintures à un même sujet, ce qui par réaction crée une forte conviction chez Claude Monet avec le résultat que l’on sait. La dernière page de bande dessinée évoque que Suzanne Valadon va peindre sa première toile. Finalement, elle occupe, en creux, une place aussi importante qu’Auguste Renoir, comme si les auteurs avaient voulu lui consacrer un tome de la série, mais n’avaient pu parler d’elle qu’au travers d’un peintre jouissant d’une plus grande postérité.
Quelque chose dans les dessins de l’artiste donne une sensation à la fois très agréable à la lecture, à la fois peut-être un peu désinvolte au premier regard, par rapport à la place qu’occupe le peintre dans l’histoire de la peinture. Pour autant, le récit est facile à suivre, un vrai roman sans le côté académique ou encyclopédique de certaines BD consacrées à un personnage historique. Le dispositif de deux fils narratifs entremêlés à dix ans d’écart engendre une prise de recul signifiante. Sans en avoir l’air, les dessins font preuve d’une grande consistance descriptive et d’une sollicitude touchante pour les personnages. Le lecteur comprend bien l’importance que revêt la toile Danse à la campagne (1883) pour Renoir, même si les auteurs n’abordent ni l’aspect technique de sa réalisation, ni les innovations qui en font sa renommée. En creux se dessine le portrait d’une autre peintre, beaucoup plus subversive dans sa vie.
Une pagination importante, mais l’album se lit très rapidement. Car il n’y a pas beaucoup de texte, et l’intrigue est très fluide. Simpliste de prime abord même, mais cela se complexifie au bout d’un moment.
C’est d’ailleurs ce qui m’a – agréablement – surpris en lisant cette histoire : Jim Bishop (auteur que je découvre avec cet album) a su donner de l’épaisseur à son récit, mais aussi à ses personnages, beaucoup moins manichéens et monolithiques qu’ils ne le semblaient au départ. Le personnage de Pierrot en particulier est bourré d’ambiguïtés.
Du coup l’intrigue est moins linéaire. D’autant plus que Bishop introduit de la poésie, du merveilleux, de la magie noire et rose.
Sur un canevas sucré et déjà-vu (une princesse refuse le beau parti qu’on tente de lui imposer), la noirceur s’invite en effet par petites touches, intervertissant presque les rôles de « gentil » et de « méchant » des deux principaux personnages masculins.
Sur une partie de l’histoire, mais aussi sur le dessin et la colorisation (tranchée, sans nuances et très marquées – un peu trop sur deux ou trois pages) on pense à certains films de Miyazaki. Un peu plus de noirceur ici je pense.
Le départ me laisser penser que j’allais m’ennuyer, il n’en a rien été, c’est une lecture sympathique.
Oh, très simple mais j'ai bien aimé cette lecture !
L'histoire est celle de deux jeunes membres d'une tribu partant à la recherche d'un ancien trésor de leur peuple au nom d'une quête initiatique. Sauf que voilà, tout-e doué-e-s qu'iels soient, rien ne pouvait vraiment les préparer à la violence et la dure réalité du monde extérieur.
Voilà, dans cet album, préparez-vous à voir des personnages cupides, des personnages cruels, des personnages égoïstes et des personnages malgré tout humains. Bon, en vrai, vous allez surtout voir des personnages se trucider les uns les autres, sans distinction d'espèces (humains, géants, orcs, …).
J'ai énormément aimé le propos sur la violence et le besoin de transmettre les histoires (tout en rappelant à quel point il est dur de faire perdurer le savoir de certains évènements). Encore une fois, rien de révolutionnaire, mais cela reste très admirablement réalisé.
Le dessin joue grandement sur la force de l'album. Les personnages sont charismatiques, la violence est bien retranscrite, le découpage de l'action est très cinématographique, les décors sont magnifiques, les couleurs sont harmonieuses, … Il n'y a pas à dire, visuellement ça a de la gueule.
Encore une fois, simple, mais pas besoin de révolutionner le genre pour faire du très bon.
(Note réelle 3,5)
Cette cavale, c’est une plongée dans le chaos d’un homme et d’un monde en miettes. On suit Céline, alias le Dr Destouches, en 1944, fuyant la France pour échapper à la justice et à ceux qui voudraient lui faire payer ses écrits et ses amitiés douteuses. Malavoy ne cherche pas à le réhabiliter, ni à le condamner. Il le montre tel qu’il est : arrogant, lâche, parfois brillant, souvent insupportable. C’est un portrait sans concession, mais sans jugement non plus.
Le dessin particulièrement soigné et expressif colle parfaitement à l’histoire. Les contrastes violents, les ombres omniprésentes, tout sert cette ambiance oppressante d’un homme traqué dans une Europe à bout de souffle. Le dessin est brut, un peu âpre, mais ça marche. On ressent le poids de la guerre, la peur, et cette urgence constante de fuir, encore et encore.
Malavoy joue avec les zones grises, celles du personnage et de l’époque. Céline est abject, mais fascinant, et cette ambiguïté traverse tout l’album. Ce n’est pas une histoire de rédemption, ni une quête héroïque, juste un homme au bord du gouffre, un peu pathétique, parfois presque touchant, mais toujours insaisissable.
Par moments, ça s’étire un peu, ça manque de nerf. L’intensité retombe, et on se retrouve à attendre que ça reparte. Mais peut-être que ça fait partie du jeu : cette cavale, ce n’est pas un sprint, c’est une lente dérive, une fuite sans fin.
Une BD qui laisse un goût amer, mais qui m'a plu par ce qu’elle ne dit pas autant que par ce qu’elle montre. Pas un hommage, pas un réquisitoire, juste une tentative de capter une époque et un homme, dans toute leur complexité.
Zidrou et Homs nous invitent à plonger dans une Angleterre victorienne sombre, où la critique sociale s’entremêle avec une intrigue contemporaine. L’histoire débute par un événement brutal, nous menant rapidement à la rencontre de deux héroïnes que tout oppose?: Jennifer, une aristocrate en révolte contre les conventions de son époque, et Kita, une Japonaise marquée par une perte tragique. Leur alliance improbable devient le moteur d’une vengeance contre un empire rigide et injuste.
Le scénario prend son temps pour poser les bases. Ce mélange de réalisme social et de fantastique peut déconcerter au début, mais j'ai bien aimé cette originalité, surtout lorsque les deux aspects se répondent avec subtilité. Le récit souffre juste à mon sens d’un léger déséquilibre. La partie contemporaine, intrigante au départ, s’efface progressivement, laissant une impression d’inachevé, en tous cas je ne la trouve pas assez présente. De même, si les héroïnes sont complexes et attachantes, d’autres personnages manquent parfois de nuance, ce qui peut amoindrir l’impact de certaines scènes.
Visuellement, l’album est très abouti. Le trait de Homs sublime met bien en valeur ce bon scénario, que ce soit dans la représentation des quartiers crasseux de Londres ou dans les scènes plus intimistes. Les jeux de lumière et les nuances sombres des couleurs renforcent l’ambiance pesante de l’époque. Les visages expressifs et le soin apporté aux détails des costumes et décors permettent une bonne immersion.
Une œuvre ambitieuse, mêlant habillement drame, critique sociale et esthétique raffinée. L’univers créé par Zidrou et Homs offre un très bone moment de lecture, porté par des thématiques fortes et un graphisme au diapason.
Qui vit par les armes, périra par les armes.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2015. Il a été réalisé par Pierre Dubois par le scénario, et par Dimitri Armand pour les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-quinze pages de bande dessinée. Il a donné lieu à un second album dont les événements se déroulent avant : Texas Jack (2018) réalisé par les mêmes auteurs.
Dans une belle plaine verdoyante du Texas, une ferme isolée se trouve au bord du chemin. Un jeune garçon d’une dizaine d’années est en train de courir autour de la maison, en maniant un revolver en bois. Il s’arrête impressionné par le cavalier qui vient d’arriver et qui se trouve à contrejour. Il lui adresse la parole, tout aussi impressionné par le fait qu’il soit bigrement silencieux, le garçon ne l’avait même pas entendu arriver. Jim Starret suppose que le cavalier doit venir de loin. Le marshal Sykes lui demande s’il peut utiliser le puits. Le garçon lui donne son accord et se présente. Dans le dos du cavalier, une voix se fait entendre, lui intimant de ne pas faire un geste, ordonnant à Jim de s’éloigner. La mère se tient avec un fusil appuyé sur sa hanche et elle prévient Sykes qu’au moindre mouvement, elle tire. Elle ajoute que son mari n’est pas loin et qu’il peut revenir à tout moment. Le marshal remarque une croix au sommet d’un promontoire rocheux non loin. Il dit d’une voix apaisante qu’il ne fait que passer et qu’il ne veut rien d’autre qu’un peu d’eau. La mère se radoucit et lui propose d’entrer prendre quelque chose, même si elle n’a pas grand-chose à lui offrir. Il décline son offre car il a encore un long chemin à parcourir. Il la met en garde sur le fait que de dangereux rôdeurs traînent dans le coin et il lui conseille de quitter cet endroit au plus tôt. Elle répond que cette maison est leur seul bien et qu’ils sauront se défendre. Après avoir bu, le marshal reprend sa route.
Arrivé dans la ville la plus proche, Sykes descend de son cheval et pénètre dans le bureau du shérif, après avoir remarqué du coin de l’œil, l’arrivée d’un groupe de cavaliers. Il tapote gentiment le ventre un peu arrondi du shérif en lui faisant observer qu’il a l’air de bien profiter. Puis il lui expose ce qui l’amène : il est sur une histoire d’attaque de banque qui a mal tourné, un vrai massacre. Il continue : ils ont tiré dans le tas, ça n’a pas été difficile de suivre leur piste. Meurtres, viols, fermes incendiés partout sur leur passage… Et puis plus rien. Sykes les a perdus à Ratón Pass, ils ont dû se séparer quelque part par là. Le shérif lui répond que peut-être pas : d’après ses sources, on les aurait signalés du côté de Bridger Town, sur la route de Cheyenne. Il ajoute que si le marshal a besoin, il peut lui rassembler quelques gars sûrs quand il se rendra là-bas. Sykes répond que peut-être, en attendant il a demandé à O’Malley de le rejoindre ici, il devrait arriver demain. Le shérif lui remet un paquet qu’il avait reçu à son nom. Sykes décide d’aller boire un coup au saloon. Sam, le patron, lui offre un bock et un whisky. Kathy vient lui proposer qu’il lui offre un verre. Sykes accepte tout en demandant à la jeune femme qu’elle ailler gentiment le boire ailleurs.
Pas de doute : le lecteur est fixé dès les premières pages : il s’agit d’un western, sur une trame assez classique. Un marshal avec une belle prestance dans son habit noir, est à la poursuite d’une bande de hors-la-loi sévissant dans la région, tuant et pillant. Il est accompagné par un ami fidèle et une fine gâchette, les deux ayant l’habitude de travailler ensemble depuis plusieurs années. Pour la première partie de l’histoire qui couvre les trois quarts du tome, ils sont accompagnés par un garçon pré-adolescent qui échappe au rôle trop prévisible d’otage. Les auteurs mettent en scène plusieurs conventions propres au genre Western : le héros un peu taciturne et fine gâchette, l’Amérindien excellent pisteur, les fermes isolées constituant des proies faciles, le groupe de brigands qui sèment la terreur, le shérif un peu timoré, les paysages grandioses, les règlements de compte à l’arme à feu et même un début de duel dans la grand-rue, les chevauchées, le saloon avec ses parties de poker et la fille de joie qui racole, le voyage en train, la passage inévitable par une grande ville où les justiciers ont l’air incongrus, les nuits passées à la belle étoile avec un feu de camp l’apprentissage du tir au pistolet pour le jeune Jim Starret, le guet-apens, le combat contre un groupe d’adversaires plus nombreux, et même un troupeau de bisons le temps d’une case page quarante-et-un. Ce qui fait déjà un beau score en termes de conventions.
Le lecteur apprécie de suite la qualité de l’immersion générée par la narration visuelle. L’artiste œuvre dans un registre réaliste et descriptif, avec un savant dosage de ce qui est montré, et de la part portée par les dessins encrés, et de celle portée par la mise en couleurs. Le dessin d’ouverture en pleine page offre une belle vue en profondeur du paysage, avec des détails spécifiques comme la forme torturée d’un tronc d’arbre, ou les fleurs en bord de route. De séquence en séquence, l’artiste fait preuve d’une sensibilité pour les paysages naturels : une chaîne montagneuse en arrière-plan, un beau ciel bleu dégagé, une grande plaine ouverte, la rive d’une grande anse d’un large fleuve, des formations rocheuses surplombant ce même fleuve, la lumière déclinante du soir sur des contreforts rocheux, une route longeant une forêt de grands pins, un ciel noir de tempête, cette belle plaine verdoyante où paissent les bisons, une forêt avec des arbres au tronc de trois au quatre mètres de diamètre, une zone où s’élèvent les fumerolles de geysers, et le retour à la ferme du début sous une belle lumière. Sans être le point focal du récit, les beaux paysages et les grands espaces produisent leur effet sur le lecteur, à la fois pour un environnement encore épargné par l’urbanisation, à la fois par lieux où la présence de l’homme n’a que peu ou pas d’incidence.
L’artiste sait rythmer son récit, tout en se limitant à l’usage de cases rectangulaires sagement disposées en bande, avec une poignée de cases en insert disséminées dans l’ensemble des pages, et cinq planches avec des cases en trapèze ou penchées comme bousculées par la violence de l’action qui se déroule, ou par sa soudaineté. S’il y prête attention, le lecteur relève que tout aussi régulière que semble être la narration visuelle, il y apparaît quelques effets qui viennent y apporter une saveur supplémentaire. Il en va ainsi de la case de la largeur de la page avec uniquement une silhouette en ombre chinoise et un fond de case rouge vif (page 20), d’une case entièrement noire sans un mot alors que Jim Starret perd connaissance (page 23), d’une case tout en ombre chinoise de nuit (page 29), d’une page avec des gouttières noires au lieu d’être blanches (en page 39), d’une page d’action sans un seul mot (page 55), d’une autre page sans un seul mot pour un duel sortant de l’ordinaire (page 58), d’une double page où chaque bande de cases s’étale sur les deux pages (pages 74 & 75), d’un jeune garçon observant un cavalier s’étant arrêté devant lui à contrejour en rappel de John Sykes devant Jim Starret (page 78 en rappel de la page 6). Les traits de contour intègrent de légers arrondis qui les rendent plus plaisants à l’œil, sans pour autant perdre la dureté des adultes et des actes de violence.
Le lecteur accepte bien volontiers de suivre les aventures de ce marshal à qui l’expérience donne de l’assurance, avec un sens très clair du devoir, c’est-à-dire participer à maintenir une forme d’ordre, en pourchassant et capturant les criminels en ce qui le concerne. Il apparaît vite qu’il fait équipe régulièrement, puis systématiquement avec O’Malley, qu’ils se connaissent bien et qu’ils ont développé des tactiques fonctionnant sur leur coopération. Cet environnement de Western fonctionne sur le principe de la loi du plus fort : les brigands étant armés, ils imposent leur volonté, ils n’hésitent pas à tuer ceux qui leur résistent ou qui constituent un danger pour eux. Il s’agit d’un monde sans pitié où une mère peut être violentée et brutalisée devant son garçon, où un autre garçon peut mourir piétiné par un taureau, où le marshal a le droit d’appliquer une justice expéditive en mettant à mort les bandits. Le chemin narratif apparaît ainsi bien balisé, au lecteur.
Du coup, le lecteur prend comme une bizarrerie cette apparition fantomatique et horrifique lors de la nuit passée dans le manoir abandonné et à l’écart de feu le juge Clem Rogers, et la pauvre Miss Havisham morte étouffée par un brigand qui lui a enfoncé son chapelet dans la gorge. Il sent bien que quelque chose lui échappe avec Tropper : Jim Starret l’a blessé à la cuisse avec une hache (ce qui marque le début de son entrée dans le monde adulte), Tropper est emmené par les quatre autres brigands pour atteindre un point de ralliement avec une autre bande. Sykes et O’Malley parlent de lui, mais il n’apparaîtra plus dans une case, et sa mort sera évoquée après coup sans certitude de ce qui lui est réellement arrivé (personne ne vérifie ou atteste qu’il se trouve bien au fond du puits). En outre, l’intrigue ne s’achève pas avec la confrontation entre la bande des cinq bandits contre Sykes & O’Malley ; à la surprise du lecteur, elle se poursuit après. Du coup les deux passages un peu bizarres reviennent à son esprit et participent des thématiques du récit. Parmi elles se trouvent également le principe de se faire un nom en tuant un tireur célèbre, les opérations de rachats forcés menées par les promoteurs et les gros propriétaires, des expériences mystiques, la perpétuation du cercle de sang ou de la vengeance. Le lecteur relève d’autres petites phrases anodines qui prennent un sens de plus grande ampleur une fois le récit achevé. Jim Starret est fasciné par les Dime novels ayant Texas Jack comme héros, et O’Malley fait remarquer que Sykes a refusé les offres qui lui ont été faites de dicter ses mémoires pour en faire des Dime novels (romans bon marché) ce qui lui aurait permis à lui et O’Malley d’opter pour une vie domestique rangée. Le lecteur peut y voir comme un métacommentaire sur le fait que les auteurs auraient pu eux aussi se contenter de produire une série western avec un héros récurrent ce qui leur aurait assuré un revenu confortable. Par voie de conséquence, le fait que Sykes lise, lui, Moby Dick (1851) d’Herman Melville (1819-1891) prend de l’importance, en particulier le destin du capitaine Achab. Cela entre alors en résonance avec deux petites phrases prononcées au cours du récit : On ne rajeunit pas. Rien d’autre que ça : on a fait notre temps. En découvrant l’avant dernière scène, le lecteur se souvient de l’avertissement formulé par la mère de Jim : Qui vit par les armes, périra par les armes.
Au départ, un western de facture classique fonctionnant sur la dynamique d’une course-poursuite, avec une narration visuelle efficace et facile à lire. En cours de route, des éléments qui semblent posés là gratuitement comme une citation d’Emily Jane Brontë (1818–1848), une autre d’Alphonse de Lamartine (1790-1869 – Le livre de la vie est le livre suprême…), des éléments visuels choisis avec soin. Au final, une histoire de genre qui met à profit les conventions associées pour dresser le portrait de la vie dramatique d’un homme et son destin inéluctable. Impressionnant.
"En vrai c'est compliqué la vie dès que tu commences à y mettre des gens dedans." Cette réflexion de Mélissa est très touchante et résume bien ce que veut transmettre cette Bande Dessinée.
Au vu de ses très grandes qualités, surprenant d'ailleurs que celle-ci ne soit pas encore référencée et chroniquée au sein de ce site.
De ce fait, je m'y colle dans l'espoir de mettre un peu de lumière sur cette œuvre et plus généralement sur son auteur à qui l'on doit déjà le très réussi L'Été des charognes.
Cette BD dépeint le quotidien de deux soeurs (Mélissa et Candice) sur une période assez courte (fin des vacances/début rentrée scolaire suivi d'un émouvant épilogue) ; les difficultés, les aléas, l'entraide, la solidarité, la résilience, mais aussi les moments anodins (anedoctiques) qui à la lueur du temps qui passe se révèleront précieux.
En ressort une tranche de vie d'un très grand réalisme tant tout sonne très juste. Ça en est proprement bluffant. Pas si étonnant puisque l'auteur s'est inspiré de la vie de ses deux propres soeurs. Le résultat en est néanmoins impressionnant car l'auteur semble avoir capturé et restitué brillamment l'essence même de leur vie. Rarement deux héroïnes de bande dessinée m'auront semblé aussi vivantes et leurs vies une réalité.
Avec cet album, je tiens à dire que l'auteur a su me happer en très très peu de pages. L'alternance voix off / dialogue est bien rythmée. L'atmosphère qui se dégage des planches due principalement à un trait et à une mise en couleur chaleureuse, proche d'une peinture, nous rassure et nous conforte. Le rendu graphique est impressionnant tant la côte d'azur et Nice, cadre de ce livre, respirent au travers des pages.
Quand l'environnement de carte postale se heurte à la réalité et aux difficultés du quotidien, le propos n'en est que plus fort.
Brillante chronique sociale, Azur Asphalte est une de ces BDs qu'on referme le coeur serré. On s'est tellement attaché, intéressé à nos protagonistes qu'on aimerait savoir ce qu'elles vont devenir à l'avenir.
Très bonne série. J'ai lu les 4 tomes d'une traite. Je ne trouve pas qu'il y ait de temps morts personnellement. C'est du classique très bien fait. Le savoir-faire de Loisel n'est plus à démontrer, il fait évidemment partie des grands et cette histoire nous le rappelle une fois de plus, c'est bien écrit, limpide avec des rebondissements qui relancent l'action idéalement. Certaines révélations sont attendues, le dernier tome sans réelles surprises, mais c'est soigné et maîtrisé, donc ne boudons pas notre plaisir.
Je ne pense pas acquérir cette série, à voir (le voyage fut agréable, mais pas convaincu qu'une relecture soit nécessaire et si le dessin de Pont est bon lui aussi - voire très bon sur certains visages en très gros plan -, c'est je pense le gros travail sur la colorisation qui nous plonge au cœur de cette histoire). Mais quoi qu'il en soit, cette série vaut le détour.
Pour avoir un repère, tout relatif bien sûr, mais c'est histoire d'aider ceux qui hésitent comme moi, je mettrais un 7,5/10 pour l'ensemble (j'ai eu un peu peur dans les premières pages avec le cri de joie des 3 C, heureusement le ton du récit a vite changé par la suite). Je prendrai peut-être l'intégrale un jour, s'il y a un dossier sur la genèse de l'œuvre, sur le passé de Mermoz (comme c'est le cas pour l'édition Bulles je crois) et un cahier graphique, pourquoi pas ?
J'hésite encore sur ma note au moment où j'écris ces mots, puisque la série finie dans son ensemble est remarquable mais je n'arrive pas à me décider à quel point.
Shuzo Oshimi est un auteur que je trouve incroyable. Son Dans l'intimité de Marie était déjà une des plus grosses claque que j'ai pris en manga, tandis que ses autres séries ("Les liens de sang", Les Fleurs du mal, "Happiness") semblent toutes traiter de sujets violents, durs, tristes, mais avec un réel intérêt derrière. Loin du voyeurisme qu'on en attendrait, les séries de Oshimi posent de vraies questions, l'auteur interrogeant beaucoup d'aspects sombres de l'humain, mais aussi ses tabous et ses limites.
Et si je suis si enthousiaste (je suis déjà en train de commander toutes les autres séries), c'est parce qu'il pose des questions que j'ai souvent eu aussi. "Welcome back, Alice" en est le parfait exemple. Lorsque l'histoire commence, tout les éléments sont présent pour une comédie romantique de base, ou encore une pure comédie décalée où le garçon se fait draguer par le transsexuel. Mais Shuzo Oshimi traite très sérieusement ses sujets, et nous avons une œuvre bien plus complexe et bien plus dense.
Déjà, alors que le sujet semble être la transidentité, il s'avère que c'est bien plus des questionnements de genre qui arrivent. Kei s'habille en femme, mais ne se considère pas comme tel. C'est plus des questions de gender fluide et de queer. Si ces termes vous dépassent, c'est que vous ne vous êtes probablement jamais posés des questions comme celle présentes dans cette BD. Personnellement, ça m'est souvent arrivé. Parce que j'ai un parcours de vie spécifique, qui m'a conduit par exemple à faire croire à mon entourage que j'étais gay parce que c'était plus simple que d'assumer simplement que j'étais un garçon pas dans la norme. Aujourd'hui je viens bien ces questions, mais elles m'ont amenés à questionner notre perception sociétale des hommes et des femmes. Si je ne peux pas m'identifier à ce que la société considère comme un homme, que suis-je ?
C'est cette question que la BD pose, d'une bonne façon d'ailleurs. Et les 7 volumes vont explorer trois personnages comme trois façons d'être : Yui qui est une femme et qui s'y conforme, sans trouver le bonheur ; Yôhei est un homme et qui s'y conforme, en souffrant de cette condition ; Kei ne veut plus être ni l'un ni l'autre, sans pour autant arriver à trouver son bonheur.
Le manga est une œuvre très personnelle pour l'auteur, qui ne s'en cache pas par des textes en fin de volumes très clairs sur son rapport au corps, à l'identité de genre et à la sexualité. Sexualité très présente dans l'histoire d'ailleurs, et pas forcément d'une façon saine et agréable. Et je trouve que c'est une bonne chose aussi de rappeler qu'avoir une sexualité "normale" peut parfaitement nous faire du mal, et que nos pulsions peuvent être dicté par des conditions sociales.
Je suis vraiment surpris par le ton de cette série et son déroulé. Le côté malsain dans le rapport au corps est toujours présent mais ce n'est jamais une volonté de faire dans le voyeurisme et le glauque. Le récit est articulé autour de la question du genre et la façon dont les représentations de L'Homme et La Femme peuvent faire naitre la souffrance chez des gens qui se sentent en décalage avec ces conceptions. Et je trouve extrêmement sain que des BD rappellent qu'une femme n'a pas a exister en tant que "copine de ..." ni à littéralement tenir son mec par le sexe qu'elle l'autorise à avoir avec elle, se posant en pur objet de fantasme uniquement. De même, les hommes n'ont pas à exister comme un sexe ambulant cherchant à se décharger. Il reste de la place pour des femmes qui s'accomplissent en tant que tel, indépendament des hommes, des hommes qui ont le droit d'être sensible, introverti ...
Mine de rien, sous couvert d'un manga aux faux airs de comédie romantique glauque, c'est bien une histoire de genre qui questionne nos perceptions de celui-ci. Les personnages sont en souffrance, mais aussi en questionnements sur leur vie, et je trouve ces questions pertinentes. Diablement pertinentes même. Il y a une histoire qui reste optimiste, même si l'auteur précise que sa réalité ne l'est pas autant, et la fin peut sembler idéale mais c'est surtout une manière de faire comprendre la voie que l'auteur choisit. Une voie loin des représentations d'une société sexiste qui fait autant de mal aux hommes qu'aux femmes, une voie pour s'émanciper et vivre heureux loin des impératifs de représentations de genre.
Pour finir, je dirais juste que cette BD me fait poser repenser à mon neveu de deux ans, que ma sœur habille volontiers en rose parce qu'il aime ça, qui a les cheveux longs et que beaucoup de gens confondent avec une petite fille. Et je me dis que notre société qui te catégorie à deux ans dans un genre avec des codes et des attentes spécifiques n'est peut-être pas une société si idéale que ça ...
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Abenobashi - Magical shopping street
C'est amusant, ça bouge dans tous les sens, c'est rempli de références dans tous les sens (qu'on ne comprend pas toujours), mais il faut éviter de tout lire d'un seul coup, sinon on se lasse très vite. Le graphisme est largement correct, avec parfois des facilités. Néanmoins, on sent l'œuvre de commande pour offrir rapidement une version papier aux fans de l'anime. Je reconnais que le dessinateur a fait du travail correct, surtout quand on connait les délais. Ce n'est pas au Japon qu'on attend entre 5 à 10 ans après une suite (mais il y a quelques rares exceptions). Les amateurs de gros nénés (mention spéciale à une protagoniste) vont y trouver leur compte. Quant au scénario, il est assez bordélique, cherchant souvent à accumuler les clins d'œil. Il y a bien une double trame, mais elle est assez vague. On se doute bien de ce qui va arriver à nos 2 principaux protagonistes, mais parfois, on trouve le chemin un peu long. Donc, bis repetita, lire cet opus par petits morceaux. Je tique un peu sur l'âge de certains personnages, mais bon, c'est typiquement japonais... La traduction français a souvent réussi à trouver des jeux de mots qui remplacent ceux qui existaient sans doute en japonais, à moins que ce ne soit un ajout pour le fun, ça se peut. Les doubleurs du Club Do n'hésitaient pas à abonder dans ce sens. Je ne connais pas l'anime, mais en général, je préfère la vrs papier que je peux lire à ma guise, sachant que j'ai l'impression de "subir" quand je regarde un DA. C'est un propos qui n'engage que moi. Un manga qui ne s'étale pas sur 36 volumes, de la pure détente assez barrée. La fin est finalement un peu plate. Les bonus sont effectivement un petit plus. Nota : j'ai hésité entre *** et ****, j'ai préféré arrondir au supérieur. C'est un manga que j'ai déjà relu et que je relierai plusieurs fois pour mieux comprendre les clins d'œil.
Renoir
Elle était un modèle d’exception. Oui, elle posait comme un ange… - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, une histoire autour du peintre Auguste Renoir (1841-1919). Son édition originale date de 2016 ; il fait partie de la collection Les grands peintres. Il a été réalisé par Dodo (Marie-Dominique Nicolli) pour le scénario, et par Ben Radis (Rémi Bernardi) pour les dessins et les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. À la fin se trouve un dossier de six pages, rédigé par Dimitri Joannidès, intitulé Peintre de la joie de vivre, composé de sept parties intitulées : De la porcelaine aux Beaux-Arts, Aux origines de l’impressionnisme, Une si douce période aigre, Une maturité contrariée, Danse à la campagne, Durand-Ruel un soutien indéfectible, La solitude et la mort. Pendant l’hiver 1893, Auguste Renoir et Paul Durand-Ruel chemine dans Paris en devisant. Le peintre explique qu’il s’en souviendra de cet hiver, car avec ce froid ses rhumatismes lui paralysent les mains et l’empêchent de travailler alors qu’il aimerait tant finir au plus vite cette toile que son interlocuteur attend. Son commanditaire le rassure : maintenant que Renoir est enfin reconnu, tout sera plus facile. Son ami le remercie car c’est grâce au marchand d’art qu’il jouit maintenant d’une renommée. Durand-Ruel ajoute que c’est aussi grâce à l’intervention de Stéphane Mallarmé que l’État lui a acheté Les jeunes filles au piano. Ils sont arrivés à leur destination : le restaurant Le chat noir. Ils vont s’installer à une table pour déguster quelques verres. Le marchand d’art estime que chacun devrait pouvoir vivre de son art. Il prend comme exemple le pianiste en train de jouer, obligé d’accompagner des chansonniers, alors qu’il est un compositeur talentueux. Il ajoute qu’au fond il doit être un peu comme Renoir, sans doute trop en avance sur son temps. Avec l’accord de Renoir, Durand-Ruel invite le pianiste à leur table, et il présente ainsi Erik Satie au peintre. Ils parlent peinture et modèle. Satie explique que la femme qu’il vient de rencontrer lui inspire tant de nouvelles choses. Au point qu’il lui ait fait sa demande en mariage au lendemain de la première nuit. Il ajoute que Renoir la connaît car elle a souvent posé pour lui, elle a même été sa muse. Renoir se prête au jeu et devine son identité : Marie-Clémentine Valade, qu’Erik Satie rectifie car elle s’appelle maintenant Suzanne Valadon. Le galeriste ajoute également la terrible Maria comme nom, c’est Toulouse-Lautrec qui s’était entiché d’elle et l’avait surnommée ainsi. Il ajoute que Degas a dit qu’elle avait un bath coup de crayon et qu’elle usait fort habilement des pastels. Il se tourne vers Renoir et lui suggère de se souvenir, c’était il y a dix ans. Le peintre ne se fait pas prier : il ne savait plus où il en était, il lui semblait qu’il était arrivé au bout de l’impressionnisme. Il a passé tout l’hiver 82 à parcourir l’Italie. Il avait même poussé jusqu’à Palerme pour faire ce portrait de Wagner. Un odieux personnage ! Le compositeur lui avait laissé une demi-heure pour le peindre et il avait détesté le résultat ! Il trouvait qu’il ressemblait à un pasteur protestant ! S’il a déjà lu d’autres albums de cette série sur les grands peintres, le lecteur entame cette histoire, curieux de découvrir quelle approche auront choisie les auteurs. La narration se déroule suivant deux lignes temporelles : la rencontre au café Le Chat Noir en 1893, et une autre qui suit partiellement la carrière du grand maître à partir de 1882. Lors d’une rencontre fortuite au temps présent du récit, le galeriste Paul Durand-Ruel (1831-1922) présente Erik Satie (1866-1925) à Auguste Renoir : ils comprennent que le pianiste est tombé amoureux de celle qui fut le modèle, la muse et l’amante du peintre, Suzanne Valadon (1865-1938), aussi appelée Maria, Marie-Clémentine Valadon. Au fil du récit, le lecteur rencontre également la couturière et modèle Aline Charigot (1859-1915). Dans les différentes discussions, sont évoqués d’autres peintres : Claude Monet (1840-1926), Puvis de Chavanne (1824-1898), Berthe Morisot (1841-1895), Gustave Caillebotte (1848-1894), et bien sûr le mouvement impressionniste. Auguste Renoir constitue bien le personnage principal : il est présent dans chaque page, et dans un peu plus de 90% des cases. Il apparaît éminemment sympathique dans la manière dont il est représenté. Les dates permettent d’établir qu’il a quarante-deux ans dans la ligne temporelle qui suit sa carrière. Il porte un costume noir avec une cravate, et un gilet dont la couleur change en fonction des moments. Il arbore un visage calme et détendu, curieux, posé, peu souriant, sans trop de rides. Les auteurs racontent leur histoire avec la connaissance préalable que Renoir est déjà un peintre conscient de sa vocation qu’il assume, avec également en tête la postérité du peintre. Il vit dans le quartier de Montmartre, connaît les peintres de son époque évoluant dans la capitale. Il maîtrise déjà les techniques de peintre, et il a déjà fait des choix quant à ses sujets. Il est plus âgé que les autres. Il rencontre Erik Satie à qui il est lié par une de ses anciennes muses, ainsi que par cette vocation irrépressible de créateur. La ligne temporelle de 1893 se déroule dans le café, attablé du début jusqu’à la fin, le galeriste quittant les deux nouveaux amis en page vingt-deux ; ladite ligne compte dix pages en cumulé. Les auteurs ont fait en sorte que cette situation statique présente de nombreux intérêts visuels. La toute première planche correspond à une vue en extérieur, alors que le peintre et son bienfaiteur arrive à l’établissement : la façade suscite la curiosité du lecteur avec sa sculpture de chat noir auréolé des rayons d’un astre, les deux lanternes de part et d’autre de la porte d’entrée, ainsi que le portier en habit militaire d’un autre siècle, tenant une pique à la main, un accès avec du caractère. Au fil de la conversation, le dessinateur représente régulièrement les arrière-plans ce qui laisse le loisir de voir les solides chaises en bois, ainsi que les tables rondes un peu étroites, tout aussi rustiques. Puis de case en case, il montre les cadres de la décoration murale, quelques tentures, quelques sculptures, les entrecroisements métalliques autour des vitrages, les boiseries et les moulures au plafond, l’affiche du Chat Noir, le manteau de cheminée, etc. Le lecteur prend grand plaisir à s’assoir à table avec les trois messieurs : l’artiste leur donne une mine affable, ils s’écoutent avec politesse et une certaine forme de bienveillance, alliant une posture compassée et un réel intérêt pour l’interlocuteur. Ils apparaissent très à l’aise dans cet exercice social, un parfait équilibre entre une retenue polie et une implication sincère par une écoute active. Ils dégustent lentement leur verre de vin rouge. Le lecteur en profite également pour regarder les autres clients, attablés ou qui vont et viennent. Il est sous le charme de leur singularité, de leur expressivité : un monsieur avec son haut-de-forme et un nez un peu gros s’apprêtant à prendre place, une femme attablée avec un début de double menton, une robe ouvragée, un bibi décoré de fleurs, des gants, avec un verre d’absinthe devant elle, un monsieur dans un chaud manteau avec un revers de fourrure et également une absinthe, un serveur diligent avec son plateau sous le bras, son torchon sur le coude, légèrement voûté, un autre monsieur avec de fines moustaches recourbées s’apprêtant à fumer une cigarette, les passants dans la rue. Les passerelles avec le passé se font tout naturellement, ne serait-ce que par une autre scène dans un café, celui de la Nouvelle Athènes, quand Auguste Renoir plus jeune de dix ans y emmène Suzanne Valadon pour prendre un verre avec Claude Monet. Au-delà de cette occurrence, le lecteur suit avec plaisir le grand peintre admirant le plafond de la Villa Farnesina, puis une séance de peinture en plein air avec Paul Cézanne (1839-1906) aux environs de l’Estaque, un tour dans le quartier de Montmartre pour acheter un repas et voir le voisinage changer alors que le chantier de la basilique du Sacré Cœur avance, un rendez-vous chez la couturière pour trouver une robe adaptée à la toile qu’il réalise, une première séance de pose avec Marie-Clémentine en page vingt-quatre, etc. Les dessins sont toujours aussi agréables à l’œil : des personnages pleins de caractère avec un fond de bonhommie même quand ils se montrent désagréables, et des environnements consistants et détaillés. Le lecteur suit avec plaisir le peintre dans ses hésitations, son travail peu gratifiant, sa recherche du bon modèle, mû par un véritable amour pour son art, qui ne lui laisse pas le loisir de développer une relation suivie avec une femme. En trame de fond se lit le cheminement et la ténacité pour réaliser Danse à la campagne, une des toiles les plus emblématiques de Renoir, comme l’écrit Dimitri Joannidès dans le dossier de fin. Mais quand même… Au cours du récit, le lecteur ressent qu’un autre personnage s’impose, d’abord en filigrane, puis comme un solide second rôle, puis… Ainsi, en 1893, la discussion prend vite comme sujet principal l’une des muses du peintre, dès la troisième planche. Puis il est à nouveau question d’elle en page onze, avec le retour au fil temporel de 1893, puis chez la coutière en 1883, dans l’atelier du peintre, et elle apparaît enfin en page vingt-et-un. Il s’agit alors de mademoiselle Valade. En page vingt-six, le modèle et le peintre ont une relation sexuelle. En page trente-deux, sous l’emprise de l’alcool (absinthe), elle tourne en dérision l’idée de consacrer une série de peintures à un même sujet, ce qui par réaction crée une forte conviction chez Claude Monet avec le résultat que l’on sait. La dernière page de bande dessinée évoque que Suzanne Valadon va peindre sa première toile. Finalement, elle occupe, en creux, une place aussi importante qu’Auguste Renoir, comme si les auteurs avaient voulu lui consacrer un tome de la série, mais n’avaient pu parler d’elle qu’au travers d’un peintre jouissant d’une plus grande postérité. Quelque chose dans les dessins de l’artiste donne une sensation à la fois très agréable à la lecture, à la fois peut-être un peu désinvolte au premier regard, par rapport à la place qu’occupe le peintre dans l’histoire de la peinture. Pour autant, le récit est facile à suivre, un vrai roman sans le côté académique ou encyclopédique de certaines BD consacrées à un personnage historique. Le dispositif de deux fils narratifs entremêlés à dix ans d’écart engendre une prise de recul signifiante. Sans en avoir l’air, les dessins font preuve d’une grande consistance descriptive et d’une sollicitude touchante pour les personnages. Le lecteur comprend bien l’importance que revêt la toile Danse à la campagne (1883) pour Renoir, même si les auteurs n’abordent ni l’aspect technique de sa réalisation, ni les innovations qui en font sa renommée. En creux se dessine le portrait d’une autre peintre, beaucoup plus subversive dans sa vie.
Mon ami Pierrot
Une pagination importante, mais l’album se lit très rapidement. Car il n’y a pas beaucoup de texte, et l’intrigue est très fluide. Simpliste de prime abord même, mais cela se complexifie au bout d’un moment. C’est d’ailleurs ce qui m’a – agréablement – surpris en lisant cette histoire : Jim Bishop (auteur que je découvre avec cet album) a su donner de l’épaisseur à son récit, mais aussi à ses personnages, beaucoup moins manichéens et monolithiques qu’ils ne le semblaient au départ. Le personnage de Pierrot en particulier est bourré d’ambiguïtés. Du coup l’intrigue est moins linéaire. D’autant plus que Bishop introduit de la poésie, du merveilleux, de la magie noire et rose. Sur un canevas sucré et déjà-vu (une princesse refuse le beau parti qu’on tente de lui imposer), la noirceur s’invite en effet par petites touches, intervertissant presque les rôles de « gentil » et de « méchant » des deux principaux personnages masculins. Sur une partie de l’histoire, mais aussi sur le dessin et la colorisation (tranchée, sans nuances et très marquées – un peu trop sur deux ou trois pages) on pense à certains films de Miyazaki. Un peu plus de noirceur ici je pense. Le départ me laisser penser que j’allais m’ennuyer, il n’en a rien été, c’est une lecture sympathique.
WahcommO
Oh, très simple mais j'ai bien aimé cette lecture ! L'histoire est celle de deux jeunes membres d'une tribu partant à la recherche d'un ancien trésor de leur peuple au nom d'une quête initiatique. Sauf que voilà, tout-e doué-e-s qu'iels soient, rien ne pouvait vraiment les préparer à la violence et la dure réalité du monde extérieur. Voilà, dans cet album, préparez-vous à voir des personnages cupides, des personnages cruels, des personnages égoïstes et des personnages malgré tout humains. Bon, en vrai, vous allez surtout voir des personnages se trucider les uns les autres, sans distinction d'espèces (humains, géants, orcs, …). J'ai énormément aimé le propos sur la violence et le besoin de transmettre les histoires (tout en rappelant à quel point il est dur de faire perdurer le savoir de certains évènements). Encore une fois, rien de révolutionnaire, mais cela reste très admirablement réalisé. Le dessin joue grandement sur la force de l'album. Les personnages sont charismatiques, la violence est bien retranscrite, le découpage de l'action est très cinématographique, les décors sont magnifiques, les couleurs sont harmonieuses, … Il n'y a pas à dire, visuellement ça a de la gueule. Encore une fois, simple, mais pas besoin de révolutionner le genre pour faire du très bon. (Note réelle 3,5)
La Cavale du Dr Destouches
Cette cavale, c’est une plongée dans le chaos d’un homme et d’un monde en miettes. On suit Céline, alias le Dr Destouches, en 1944, fuyant la France pour échapper à la justice et à ceux qui voudraient lui faire payer ses écrits et ses amitiés douteuses. Malavoy ne cherche pas à le réhabiliter, ni à le condamner. Il le montre tel qu’il est : arrogant, lâche, parfois brillant, souvent insupportable. C’est un portrait sans concession, mais sans jugement non plus. Le dessin particulièrement soigné et expressif colle parfaitement à l’histoire. Les contrastes violents, les ombres omniprésentes, tout sert cette ambiance oppressante d’un homme traqué dans une Europe à bout de souffle. Le dessin est brut, un peu âpre, mais ça marche. On ressent le poids de la guerre, la peur, et cette urgence constante de fuir, encore et encore. Malavoy joue avec les zones grises, celles du personnage et de l’époque. Céline est abject, mais fascinant, et cette ambiguïté traverse tout l’album. Ce n’est pas une histoire de rédemption, ni une quête héroïque, juste un homme au bord du gouffre, un peu pathétique, parfois presque touchant, mais toujours insaisissable. Par moments, ça s’étire un peu, ça manque de nerf. L’intensité retombe, et on se retrouve à attendre que ça reparte. Mais peut-être que ça fait partie du jeu : cette cavale, ce n’est pas un sprint, c’est une lente dérive, une fuite sans fin. Une BD qui laisse un goût amer, mais qui m'a plu par ce qu’elle ne dit pas autant que par ce qu’elle montre. Pas un hommage, pas un réquisitoire, juste une tentative de capter une époque et un homme, dans toute leur complexité.
SHI
Zidrou et Homs nous invitent à plonger dans une Angleterre victorienne sombre, où la critique sociale s’entremêle avec une intrigue contemporaine. L’histoire débute par un événement brutal, nous menant rapidement à la rencontre de deux héroïnes que tout oppose?: Jennifer, une aristocrate en révolte contre les conventions de son époque, et Kita, une Japonaise marquée par une perte tragique. Leur alliance improbable devient le moteur d’une vengeance contre un empire rigide et injuste. Le scénario prend son temps pour poser les bases. Ce mélange de réalisme social et de fantastique peut déconcerter au début, mais j'ai bien aimé cette originalité, surtout lorsque les deux aspects se répondent avec subtilité. Le récit souffre juste à mon sens d’un léger déséquilibre. La partie contemporaine, intrigante au départ, s’efface progressivement, laissant une impression d’inachevé, en tous cas je ne la trouve pas assez présente. De même, si les héroïnes sont complexes et attachantes, d’autres personnages manquent parfois de nuance, ce qui peut amoindrir l’impact de certaines scènes. Visuellement, l’album est très abouti. Le trait de Homs sublime met bien en valeur ce bon scénario, que ce soit dans la représentation des quartiers crasseux de Londres ou dans les scènes plus intimistes. Les jeux de lumière et les nuances sombres des couleurs renforcent l’ambiance pesante de l’époque. Les visages expressifs et le soin apporté aux détails des costumes et décors permettent une bonne immersion. Une œuvre ambitieuse, mêlant habillement drame, critique sociale et esthétique raffinée. L’univers créé par Zidrou et Homs offre un très bone moment de lecture, porté par des thématiques fortes et un graphisme au diapason.
Sykes
Qui vit par les armes, périra par les armes. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2015. Il a été réalisé par Pierre Dubois par le scénario, et par Dimitri Armand pour les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-quinze pages de bande dessinée. Il a donné lieu à un second album dont les événements se déroulent avant : Texas Jack (2018) réalisé par les mêmes auteurs. Dans une belle plaine verdoyante du Texas, une ferme isolée se trouve au bord du chemin. Un jeune garçon d’une dizaine d’années est en train de courir autour de la maison, en maniant un revolver en bois. Il s’arrête impressionné par le cavalier qui vient d’arriver et qui se trouve à contrejour. Il lui adresse la parole, tout aussi impressionné par le fait qu’il soit bigrement silencieux, le garçon ne l’avait même pas entendu arriver. Jim Starret suppose que le cavalier doit venir de loin. Le marshal Sykes lui demande s’il peut utiliser le puits. Le garçon lui donne son accord et se présente. Dans le dos du cavalier, une voix se fait entendre, lui intimant de ne pas faire un geste, ordonnant à Jim de s’éloigner. La mère se tient avec un fusil appuyé sur sa hanche et elle prévient Sykes qu’au moindre mouvement, elle tire. Elle ajoute que son mari n’est pas loin et qu’il peut revenir à tout moment. Le marshal remarque une croix au sommet d’un promontoire rocheux non loin. Il dit d’une voix apaisante qu’il ne fait que passer et qu’il ne veut rien d’autre qu’un peu d’eau. La mère se radoucit et lui propose d’entrer prendre quelque chose, même si elle n’a pas grand-chose à lui offrir. Il décline son offre car il a encore un long chemin à parcourir. Il la met en garde sur le fait que de dangereux rôdeurs traînent dans le coin et il lui conseille de quitter cet endroit au plus tôt. Elle répond que cette maison est leur seul bien et qu’ils sauront se défendre. Après avoir bu, le marshal reprend sa route. Arrivé dans la ville la plus proche, Sykes descend de son cheval et pénètre dans le bureau du shérif, après avoir remarqué du coin de l’œil, l’arrivée d’un groupe de cavaliers. Il tapote gentiment le ventre un peu arrondi du shérif en lui faisant observer qu’il a l’air de bien profiter. Puis il lui expose ce qui l’amène : il est sur une histoire d’attaque de banque qui a mal tourné, un vrai massacre. Il continue : ils ont tiré dans le tas, ça n’a pas été difficile de suivre leur piste. Meurtres, viols, fermes incendiés partout sur leur passage… Et puis plus rien. Sykes les a perdus à Ratón Pass, ils ont dû se séparer quelque part par là. Le shérif lui répond que peut-être pas : d’après ses sources, on les aurait signalés du côté de Bridger Town, sur la route de Cheyenne. Il ajoute que si le marshal a besoin, il peut lui rassembler quelques gars sûrs quand il se rendra là-bas. Sykes répond que peut-être, en attendant il a demandé à O’Malley de le rejoindre ici, il devrait arriver demain. Le shérif lui remet un paquet qu’il avait reçu à son nom. Sykes décide d’aller boire un coup au saloon. Sam, le patron, lui offre un bock et un whisky. Kathy vient lui proposer qu’il lui offre un verre. Sykes accepte tout en demandant à la jeune femme qu’elle ailler gentiment le boire ailleurs. Pas de doute : le lecteur est fixé dès les premières pages : il s’agit d’un western, sur une trame assez classique. Un marshal avec une belle prestance dans son habit noir, est à la poursuite d’une bande de hors-la-loi sévissant dans la région, tuant et pillant. Il est accompagné par un ami fidèle et une fine gâchette, les deux ayant l’habitude de travailler ensemble depuis plusieurs années. Pour la première partie de l’histoire qui couvre les trois quarts du tome, ils sont accompagnés par un garçon pré-adolescent qui échappe au rôle trop prévisible d’otage. Les auteurs mettent en scène plusieurs conventions propres au genre Western : le héros un peu taciturne et fine gâchette, l’Amérindien excellent pisteur, les fermes isolées constituant des proies faciles, le groupe de brigands qui sèment la terreur, le shérif un peu timoré, les paysages grandioses, les règlements de compte à l’arme à feu et même un début de duel dans la grand-rue, les chevauchées, le saloon avec ses parties de poker et la fille de joie qui racole, le voyage en train, la passage inévitable par une grande ville où les justiciers ont l’air incongrus, les nuits passées à la belle étoile avec un feu de camp l’apprentissage du tir au pistolet pour le jeune Jim Starret, le guet-apens, le combat contre un groupe d’adversaires plus nombreux, et même un troupeau de bisons le temps d’une case page quarante-et-un. Ce qui fait déjà un beau score en termes de conventions. Le lecteur apprécie de suite la qualité de l’immersion générée par la narration visuelle. L’artiste œuvre dans un registre réaliste et descriptif, avec un savant dosage de ce qui est montré, et de la part portée par les dessins encrés, et de celle portée par la mise en couleurs. Le dessin d’ouverture en pleine page offre une belle vue en profondeur du paysage, avec des détails spécifiques comme la forme torturée d’un tronc d’arbre, ou les fleurs en bord de route. De séquence en séquence, l’artiste fait preuve d’une sensibilité pour les paysages naturels : une chaîne montagneuse en arrière-plan, un beau ciel bleu dégagé, une grande plaine ouverte, la rive d’une grande anse d’un large fleuve, des formations rocheuses surplombant ce même fleuve, la lumière déclinante du soir sur des contreforts rocheux, une route longeant une forêt de grands pins, un ciel noir de tempête, cette belle plaine verdoyante où paissent les bisons, une forêt avec des arbres au tronc de trois au quatre mètres de diamètre, une zone où s’élèvent les fumerolles de geysers, et le retour à la ferme du début sous une belle lumière. Sans être le point focal du récit, les beaux paysages et les grands espaces produisent leur effet sur le lecteur, à la fois pour un environnement encore épargné par l’urbanisation, à la fois par lieux où la présence de l’homme n’a que peu ou pas d’incidence. L’artiste sait rythmer son récit, tout en se limitant à l’usage de cases rectangulaires sagement disposées en bande, avec une poignée de cases en insert disséminées dans l’ensemble des pages, et cinq planches avec des cases en trapèze ou penchées comme bousculées par la violence de l’action qui se déroule, ou par sa soudaineté. S’il y prête attention, le lecteur relève que tout aussi régulière que semble être la narration visuelle, il y apparaît quelques effets qui viennent y apporter une saveur supplémentaire. Il en va ainsi de la case de la largeur de la page avec uniquement une silhouette en ombre chinoise et un fond de case rouge vif (page 20), d’une case entièrement noire sans un mot alors que Jim Starret perd connaissance (page 23), d’une case tout en ombre chinoise de nuit (page 29), d’une page avec des gouttières noires au lieu d’être blanches (en page 39), d’une page d’action sans un seul mot (page 55), d’une autre page sans un seul mot pour un duel sortant de l’ordinaire (page 58), d’une double page où chaque bande de cases s’étale sur les deux pages (pages 74 & 75), d’un jeune garçon observant un cavalier s’étant arrêté devant lui à contrejour en rappel de John Sykes devant Jim Starret (page 78 en rappel de la page 6). Les traits de contour intègrent de légers arrondis qui les rendent plus plaisants à l’œil, sans pour autant perdre la dureté des adultes et des actes de violence. Le lecteur accepte bien volontiers de suivre les aventures de ce marshal à qui l’expérience donne de l’assurance, avec un sens très clair du devoir, c’est-à-dire participer à maintenir une forme d’ordre, en pourchassant et capturant les criminels en ce qui le concerne. Il apparaît vite qu’il fait équipe régulièrement, puis systématiquement avec O’Malley, qu’ils se connaissent bien et qu’ils ont développé des tactiques fonctionnant sur leur coopération. Cet environnement de Western fonctionne sur le principe de la loi du plus fort : les brigands étant armés, ils imposent leur volonté, ils n’hésitent pas à tuer ceux qui leur résistent ou qui constituent un danger pour eux. Il s’agit d’un monde sans pitié où une mère peut être violentée et brutalisée devant son garçon, où un autre garçon peut mourir piétiné par un taureau, où le marshal a le droit d’appliquer une justice expéditive en mettant à mort les bandits. Le chemin narratif apparaît ainsi bien balisé, au lecteur. Du coup, le lecteur prend comme une bizarrerie cette apparition fantomatique et horrifique lors de la nuit passée dans le manoir abandonné et à l’écart de feu le juge Clem Rogers, et la pauvre Miss Havisham morte étouffée par un brigand qui lui a enfoncé son chapelet dans la gorge. Il sent bien que quelque chose lui échappe avec Tropper : Jim Starret l’a blessé à la cuisse avec une hache (ce qui marque le début de son entrée dans le monde adulte), Tropper est emmené par les quatre autres brigands pour atteindre un point de ralliement avec une autre bande. Sykes et O’Malley parlent de lui, mais il n’apparaîtra plus dans une case, et sa mort sera évoquée après coup sans certitude de ce qui lui est réellement arrivé (personne ne vérifie ou atteste qu’il se trouve bien au fond du puits). En outre, l’intrigue ne s’achève pas avec la confrontation entre la bande des cinq bandits contre Sykes & O’Malley ; à la surprise du lecteur, elle se poursuit après. Du coup les deux passages un peu bizarres reviennent à son esprit et participent des thématiques du récit. Parmi elles se trouvent également le principe de se faire un nom en tuant un tireur célèbre, les opérations de rachats forcés menées par les promoteurs et les gros propriétaires, des expériences mystiques, la perpétuation du cercle de sang ou de la vengeance. Le lecteur relève d’autres petites phrases anodines qui prennent un sens de plus grande ampleur une fois le récit achevé. Jim Starret est fasciné par les Dime novels ayant Texas Jack comme héros, et O’Malley fait remarquer que Sykes a refusé les offres qui lui ont été faites de dicter ses mémoires pour en faire des Dime novels (romans bon marché) ce qui lui aurait permis à lui et O’Malley d’opter pour une vie domestique rangée. Le lecteur peut y voir comme un métacommentaire sur le fait que les auteurs auraient pu eux aussi se contenter de produire une série western avec un héros récurrent ce qui leur aurait assuré un revenu confortable. Par voie de conséquence, le fait que Sykes lise, lui, Moby Dick (1851) d’Herman Melville (1819-1891) prend de l’importance, en particulier le destin du capitaine Achab. Cela entre alors en résonance avec deux petites phrases prononcées au cours du récit : On ne rajeunit pas. Rien d’autre que ça : on a fait notre temps. En découvrant l’avant dernière scène, le lecteur se souvient de l’avertissement formulé par la mère de Jim : Qui vit par les armes, périra par les armes. Au départ, un western de facture classique fonctionnant sur la dynamique d’une course-poursuite, avec une narration visuelle efficace et facile à lire. En cours de route, des éléments qui semblent posés là gratuitement comme une citation d’Emily Jane Brontë (1818–1848), une autre d’Alphonse de Lamartine (1790-1869 – Le livre de la vie est le livre suprême…), des éléments visuels choisis avec soin. Au final, une histoire de genre qui met à profit les conventions associées pour dresser le portrait de la vie dramatique d’un homme et son destin inéluctable. Impressionnant.
Azur Asphalte
"En vrai c'est compliqué la vie dès que tu commences à y mettre des gens dedans." Cette réflexion de Mélissa est très touchante et résume bien ce que veut transmettre cette Bande Dessinée. Au vu de ses très grandes qualités, surprenant d'ailleurs que celle-ci ne soit pas encore référencée et chroniquée au sein de ce site. De ce fait, je m'y colle dans l'espoir de mettre un peu de lumière sur cette œuvre et plus généralement sur son auteur à qui l'on doit déjà le très réussi L'Été des charognes. Cette BD dépeint le quotidien de deux soeurs (Mélissa et Candice) sur une période assez courte (fin des vacances/début rentrée scolaire suivi d'un émouvant épilogue) ; les difficultés, les aléas, l'entraide, la solidarité, la résilience, mais aussi les moments anodins (anedoctiques) qui à la lueur du temps qui passe se révèleront précieux. En ressort une tranche de vie d'un très grand réalisme tant tout sonne très juste. Ça en est proprement bluffant. Pas si étonnant puisque l'auteur s'est inspiré de la vie de ses deux propres soeurs. Le résultat en est néanmoins impressionnant car l'auteur semble avoir capturé et restitué brillamment l'essence même de leur vie. Rarement deux héroïnes de bande dessinée m'auront semblé aussi vivantes et leurs vies une réalité. Avec cet album, je tiens à dire que l'auteur a su me happer en très très peu de pages. L'alternance voix off / dialogue est bien rythmée. L'atmosphère qui se dégage des planches due principalement à un trait et à une mise en couleur chaleureuse, proche d'une peinture, nous rassure et nous conforte. Le rendu graphique est impressionnant tant la côte d'azur et Nice, cadre de ce livre, respirent au travers des pages. Quand l'environnement de carte postale se heurte à la réalité et aux difficultés du quotidien, le propos n'en est que plus fort. Brillante chronique sociale, Azur Asphalte est une de ces BDs qu'on referme le coeur serré. On s'est tellement attaché, intéressé à nos protagonistes qu'on aimerait savoir ce qu'elles vont devenir à l'avenir.
Un putain de salopard
Très bonne série. J'ai lu les 4 tomes d'une traite. Je ne trouve pas qu'il y ait de temps morts personnellement. C'est du classique très bien fait. Le savoir-faire de Loisel n'est plus à démontrer, il fait évidemment partie des grands et cette histoire nous le rappelle une fois de plus, c'est bien écrit, limpide avec des rebondissements qui relancent l'action idéalement. Certaines révélations sont attendues, le dernier tome sans réelles surprises, mais c'est soigné et maîtrisé, donc ne boudons pas notre plaisir. Je ne pense pas acquérir cette série, à voir (le voyage fut agréable, mais pas convaincu qu'une relecture soit nécessaire et si le dessin de Pont est bon lui aussi - voire très bon sur certains visages en très gros plan -, c'est je pense le gros travail sur la colorisation qui nous plonge au cœur de cette histoire). Mais quoi qu'il en soit, cette série vaut le détour. Pour avoir un repère, tout relatif bien sûr, mais c'est histoire d'aider ceux qui hésitent comme moi, je mettrais un 7,5/10 pour l'ensemble (j'ai eu un peu peur dans les premières pages avec le cri de joie des 3 C, heureusement le ton du récit a vite changé par la suite). Je prendrai peut-être l'intégrale un jour, s'il y a un dossier sur la genèse de l'œuvre, sur le passé de Mermoz (comme c'est le cas pour l'édition Bulles je crois) et un cahier graphique, pourquoi pas ?
Welcome back, Alice
J'hésite encore sur ma note au moment où j'écris ces mots, puisque la série finie dans son ensemble est remarquable mais je n'arrive pas à me décider à quel point. Shuzo Oshimi est un auteur que je trouve incroyable. Son Dans l'intimité de Marie était déjà une des plus grosses claque que j'ai pris en manga, tandis que ses autres séries ("Les liens de sang", Les Fleurs du mal, "Happiness") semblent toutes traiter de sujets violents, durs, tristes, mais avec un réel intérêt derrière. Loin du voyeurisme qu'on en attendrait, les séries de Oshimi posent de vraies questions, l'auteur interrogeant beaucoup d'aspects sombres de l'humain, mais aussi ses tabous et ses limites. Et si je suis si enthousiaste (je suis déjà en train de commander toutes les autres séries), c'est parce qu'il pose des questions que j'ai souvent eu aussi. "Welcome back, Alice" en est le parfait exemple. Lorsque l'histoire commence, tout les éléments sont présent pour une comédie romantique de base, ou encore une pure comédie décalée où le garçon se fait draguer par le transsexuel. Mais Shuzo Oshimi traite très sérieusement ses sujets, et nous avons une œuvre bien plus complexe et bien plus dense. Déjà, alors que le sujet semble être la transidentité, il s'avère que c'est bien plus des questionnements de genre qui arrivent. Kei s'habille en femme, mais ne se considère pas comme tel. C'est plus des questions de gender fluide et de queer. Si ces termes vous dépassent, c'est que vous ne vous êtes probablement jamais posés des questions comme celle présentes dans cette BD. Personnellement, ça m'est souvent arrivé. Parce que j'ai un parcours de vie spécifique, qui m'a conduit par exemple à faire croire à mon entourage que j'étais gay parce que c'était plus simple que d'assumer simplement que j'étais un garçon pas dans la norme. Aujourd'hui je viens bien ces questions, mais elles m'ont amenés à questionner notre perception sociétale des hommes et des femmes. Si je ne peux pas m'identifier à ce que la société considère comme un homme, que suis-je ? C'est cette question que la BD pose, d'une bonne façon d'ailleurs. Et les 7 volumes vont explorer trois personnages comme trois façons d'être : Yui qui est une femme et qui s'y conforme, sans trouver le bonheur ; Yôhei est un homme et qui s'y conforme, en souffrant de cette condition ; Kei ne veut plus être ni l'un ni l'autre, sans pour autant arriver à trouver son bonheur. Le manga est une œuvre très personnelle pour l'auteur, qui ne s'en cache pas par des textes en fin de volumes très clairs sur son rapport au corps, à l'identité de genre et à la sexualité. Sexualité très présente dans l'histoire d'ailleurs, et pas forcément d'une façon saine et agréable. Et je trouve que c'est une bonne chose aussi de rappeler qu'avoir une sexualité "normale" peut parfaitement nous faire du mal, et que nos pulsions peuvent être dicté par des conditions sociales. Je suis vraiment surpris par le ton de cette série et son déroulé. Le côté malsain dans le rapport au corps est toujours présent mais ce n'est jamais une volonté de faire dans le voyeurisme et le glauque. Le récit est articulé autour de la question du genre et la façon dont les représentations de L'Homme et La Femme peuvent faire naitre la souffrance chez des gens qui se sentent en décalage avec ces conceptions. Et je trouve extrêmement sain que des BD rappellent qu'une femme n'a pas a exister en tant que "copine de ..." ni à littéralement tenir son mec par le sexe qu'elle l'autorise à avoir avec elle, se posant en pur objet de fantasme uniquement. De même, les hommes n'ont pas à exister comme un sexe ambulant cherchant à se décharger. Il reste de la place pour des femmes qui s'accomplissent en tant que tel, indépendament des hommes, des hommes qui ont le droit d'être sensible, introverti ... Mine de rien, sous couvert d'un manga aux faux airs de comédie romantique glauque, c'est bien une histoire de genre qui questionne nos perceptions de celui-ci. Les personnages sont en souffrance, mais aussi en questionnements sur leur vie, et je trouve ces questions pertinentes. Diablement pertinentes même. Il y a une histoire qui reste optimiste, même si l'auteur précise que sa réalité ne l'est pas autant, et la fin peut sembler idéale mais c'est surtout une manière de faire comprendre la voie que l'auteur choisit. Une voie loin des représentations d'une société sexiste qui fait autant de mal aux hommes qu'aux femmes, une voie pour s'émanciper et vivre heureux loin des impératifs de représentations de genre. Pour finir, je dirais juste que cette BD me fait poser repenser à mon neveu de deux ans, que ma sœur habille volontiers en rose parce qu'il aime ça, qui a les cheveux longs et que beaucoup de gens confondent avec une petite fille. Et je me dis que notre société qui te catégorie à deux ans dans un genre avec des codes et des attentes spécifiques n'est peut-être pas une société si idéale que ça ...