Je ne peux pas fourrer mon pied dans une pantoufle de verre.
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Ce tome contient une biographie de Lee Miller (1907-1977), modèle, photographe, reporter, égérie du surréalisme. La première édition date de 2013 pour la version originale en italien, et de 2024 pour la version française. Il a été réalisé par Eleonora Antonioni pour le scénario et les dessinés, et traduits par Laurent Lombard. Il comprend cent-cinquante-et-une pages de bande dessinée. Il se termine avec la présentation succincte de six des hommes de la vie de Lee (Theodore Miller, Man Ray, Erik Miller, Aziz Eloui Bey, David E. Scherman, Roland Penrose), et un lexique de toutes les autres personnes citées, chacune présentée avec ses dates de naissance et de mort, et un court paragraphe d’une phrase, au nombre de trente-cinq de George Antheil (1900-1959, pianiste, compositeur, écrivain) à Elizabeth Audrey Whithers (1905-2001, journaliste). Le tome s’achève avec une bibliographie minimale, des pages web intéressantes et des recherches iconographiques.
En 1928, l’atelier de Neysa McMein, à New York, Elizabeth Miller, vingt-et-un ans, rejoint une tablée qui l’accueille avec les honneurs. Un homme fait observer qu’il paraît que les hommes se souviennent toujours des blondes. Une jeune femme fait remarquer que le visage de Lee est l’un des plus connus des revues de M. Condé Nast. Un autre note qu’il lui manque juste un joli pseudonyme pour se lancer. Elle répond : Lee Miller. Enfance et adolescence. Originaire de Pennsylvanie, déterminé, curieux et tenance, Theodore Miller a fait carrière dans le domaine technique jusqu’à devenir directeur des établissements De Laval à Poughkeepsie dans l’état de New York. Productrice d’équipements pour traire et traiter le lait, De Laval était la plus grande et la plus importante entreprise de Poughkeepsie. Lors de son précédent emploi à Utica, Theodore fit la connaissance d’une jeune infirmière : Florence Mac Donald. Les fiançailles furent longues, car il ne voulait pas se marier avant d’avoir trouvé une stabilité financière et professionnelle. C’est donc après son recrutement chez De Laval que le couple se marie et que Florence s’installe à Poughkeepsie.
Florence Mac Donald, la jeune épouse, attire d’emblée l’attention des Daughters of the American Revolution qui l’invitent à faire partie de leur prestigieuse association patriotique. Invitation aussitôt retirée lorsqu’elles découvrent les origines canadiennes de Florence. En tout cas, cette anecdote n’empêche pas Florence de devenir une parfaite dame de la haute bourgeoisie comme l’exige la mode de l’époque. Outre sa passion pour la technologie, Theodore cultive un grand intérêt pour les arts, jusqu’à en faire un élément central de la vie familiale. Féru de photographie qu’il se plait à pratiquer en dilettante, il a recours à son épouse Florence comme modèle parmi ses sujets préférés, les nus féminins, selon lui, l’une des plus hautes expressions de l’art. Bien vite, Theodore et Florence ont des enfants : John naît en 1905, Ellizabeth en 1907, Erik en 1910. La petite et toute blonde Elizabeth, appelée Lili, conquiert Theodore au premier regard devenant, sans qu’il s’en cache trop, sa préférée.
Peut-être que le lecteur a une vague conscience de l’existence de Lee Miller et de ses œuvres, ou qu’il n’en a jamais entendu parler : cette bande dessinée constitue l’occasion d’en apprendre plus sur elle. De fait, l’autrice réalise une biographie chronologique, à l’exception de la scène d’introduction. Elle raconte les différentes phases de la vie de cette femme, en cinq chapitres : Enfance et adolescence d’Elizabeth Miller, Surréalisme, Nuage, Barbelés, Coupure. En fonction de sa familiarité avec ladite biographie, le lecteur peut parfois se retrouver décontenancé. Par exemple, le récit montre bien les rencontres entre Lee Miller et différents artistes de l’époque comme Man Ray (Emmanuel Radnitsky, 1890-1976) ou Pablo Picasso (1881-1973), sans pour autant la mettre en scène comme étant l’égérie du surréalisme. Pour autant, il retrouve bien sa carrière de modèle, puis son apprentissage de la photographie et ses fréquentations avec les surréalistes, son engagement comme photographe de guerre, et sa carrière d’autrice de recettes culinaires. La personnalité de la narration visuelle apparaît tout de suite : des traits encrés très fins et solides, un noir & blanc rehaussé de jaune, la plupart du temps en une seule nuance, parfois deux. Une approche réaliste avec un degré de simplification allant vers l’élégance, avec un sens très sûr de la gestion de densité d’information par case, soit un luxe de détails, ou une focalisation sur les personnages en train de parler, ou des effets de texture.
L’autrice insère son personnage dans le contexte historique à la fois par les événements évoqués, à la fois par les dessins. D’une certaine manière, le lecteur peut interpréter les caractéristiques graphiques comme une touche féminine délicate et élégante ; d’un autre côté, cela n’obère en rien l’investissement de la dessinatrice dans les représentations. La séquence introductive montre des jeunes gens de la haute bourgeoisie, bien habillés à l’occasion d’un rendez-vous mondain. Le lecteur remarque de suite l’attention portée aux tenues vestimentaires que ce soit la coupe des costumes pour les messieurs, ou les différentes robes avec leurs accessoires pour ces dames, y compris les bibis et les colliers. La présentation de Theodore Miller s’effectue par un dessin le représentant assis sur une chaise : belle veste avec un motif jaune, une paire de bottines à bouton. La présentation de Florence Mac Donald se déroule en deux temps : d’abord en robe simple avec tablier (et un petit chapeau), puis en robe habillée avec un chapeau plus sophistiqué et plus décoratif. L’artiste fait preuve du même degré d’implication tout du long de l’ouvrage pour les tenues vestimentaires : les habits plus simples des enfants, les robes de soirée ou pour faire la fête, les manteaux, les accessoires divers et variés, les uniformes militaires, jusqu’à la robe noire et simple avec tablier dans laquelle Lee Miller reçoit le journaliste à Farley’s Farm, à Chiddingly, Muddles Green, dans la dernière période de sa vie.
De la même manière, la reconstitution historique se trouve dans chaque lieu, chaque environnement. Les lampes avec leur abat-jour dans l’atelier de Neysa McMein, les meubles et les pots de fleurs chez les Miller, le modèle du landau, les différentes voitures, les évocations d’œuvres artistiques de l’époque (dont celles de Man Ray et de Picasso), l’appartement d’Adolf Hitler à Berlin, et bien d’autres encore. Progressivement, le lecteur prend conscience que la bédéiste utilise de nombreuses possibilités offertes par la bande dessinée : case avec bordure ou sans, éléments de décor devenant une ornementation pour les autres cases, cases en trapèze ou en losange pour accentuer un mouvement, cases de la hauteur ou de la largeur de la page, dessins en pleine page, cases en insert, carte de la région pour accompagner les voyages de la photographe, etc. Elle joue également avec les phylactères et la typographie : écriture blanche sur fond noir, titres en barbelés quand Miller accompagne l’armée libératrice vers l’Est, etc. Si dans un premier temps, les personnages peuvent apparaître un peu simplifiés, en particulier pour les traits de visage, le lecteur se rend vite compte que la direction d’acteurs et les expressions de visage relèvent d’adultes aux émotions complexes, certains silences ou certaines pauses fugaces attestant de l’impact d’une situation ou d’un constat.
Le lecteur mesure mieux les choix de l’autrice lorsqu’un médecin indique que : Elizabeth Lee a contracté une méchante maladie vénérienne, et que malheureusement le traitement sera long, que les parents devront surtout essayer de lui faire surmonter le traumatisme psychologique. Les deux pages suivantes montrent que la fillette se sent sale en permanence, puis elle se montre insupportable dans les différents établissements scolaires où elle est inscrite. En allant chercher plus d’informations, il apparaît qu’il s’agit d’un viol perpétré sur la fillette alors qu’elle avait sept ans, une façon déconcertante de présenter un tel crime et ses conséquences dévastatrices. Pour autant, lorsque Lee Miller accompagne l’armée américaine à Torgau, puis Dachau, puis Berlin, toute l’horreur de la guerre impacte de plein fouet la jeune femme. Le lecteur en déduit que cette biographie est racontée avec le point de vue de Lee Miller, en fonction de ce qu’elle ressent et de ce qu’elle peut exprimer, sa façon de se représenter le monde à chaque moment de sa vie. Il constate alors que l’autrice montre l’impact des événements, des expériences, des découvertes, de la manière dont l’artiste le ressent. Au fur et à mesure, le lecteur découvre la vie de cette femme, ou plutôt ses vies, de modèle pour photographes, à photographe de mode elle-même, photoreporter de guerre, autrice de recettes. En fonction de ses centres d’intérêt, il aurait pu souhaiter que telle ou telle facette de sa vie soit plus développée, tout en ayant conscience que cette biographie regorge d’informations et de moments sortant de l’ordinaire, qu’elle est riche et dense.
Réaliser une biographie constitue un exercice compliqué entre hagiographie et enfilade aride de faits avérés. Celle-ci combine les éléments factuels avec la vision que Lee Miller a pu en avoir au moment de leur survenance dans le contexte de sa vie, et dans celui historique. L’autrice se livre à une reconstitution extraordinaire de références et de détails pertinents et opportuns, en sachant montrer l’environnement correspondant. Le lecteur accompagne une jeune femme séduisante et libérée, menant sa vie comme elle l’entend, connectée au monde, réussissant aussi bien une carrière de modèle que de photoreporter de guerre (jusque dans la baignoire d’Hitler), tout en en faisant l’expérience de son point de vue, moments de plaisir comme traumatismes. Une réussite exemplaire.
Un très bon one-shot.
Les thèmes utilisés dans l'album sont du déjà vu, mais l'auteur les utilisent de manières intelligentes. Il faut dire que le récit est construit de manière originale. La réalité et la fiction sont mélangées, mais sans jamais perdre le lecteur qui comprends bien ce qui se passe. Je ne veux pas trop spoiler ce qui se passe dans le récit et tout ce que je peux dire c'est que c'est remplis d'émotions, le scénario est prenant même lorsque je devinais un peu ce qui se passait et le personnage principal est terriblement attachant.
J'ai vraiment aimé le dessin que je trouve très dynamique et les couleurs sont belles. La mise en scène est surprenante et audacieuse. Je trouve que jusqu'à présent c'est une des meilleurs bds de 2024 que j'ai lu. Elle a réussi à toucher mon âme d'enfant.
Une série ambitieuse et qui n’est même pas encore à la moitié de ses tomes annoncés … et pourtant déjà culte pour moi.
Je m’emballe peut être un peu mais en 2-3 tomes, cette série m’a littéralement conquis et depuis la suite ne vient pas ternir cette excellente impression. Un peu comme avec Donjon, je suis complètement addict.
La partie graphique est agréable mais ce n’est pas sur ce point que l’œuvre marquera véritablement. Designs, couleurs et dessins sont efficaces, toujours fluides et lisibles. Cependant à mon goût, c’est limite un peu trop sobre parfois, mais il faut tenir la cadence de parution et ça accompagne sans fioriture le récit.
Amateur de GoT & co, j’ai retrouvé tout ce que j’aimais dans le genre et surtout le plaisir de découvrir un monde cohérent, intelligemment mis en œuvre. C’est faussement complexe avec les Très nombreux personnages et des intrigues à tiroirs, mais tout paraît cohérent et est passionnant à suivre.
J’aime le coté adulte, l’incertitude constante sur le destin des personnages et la façon d’explorer cet univers.
Chaque tome amène sa petite pierre et se termine systématiquement par une soif de découvrir la suite.
Chaque cycle dépeindra un continent et ses habitants avec en toile de fond le pouvoir sous toutes ses formes (Royal, politique, mafieux …).
Chaque parution, je fonce chez mon libraire.
Une parfaite et rare alchimie entre les auteurs, alors que je me méfiais un peu du côté « atelier ou artificiel », je suis vraiment ravi du résultat. Je suis archi confiant pour la suite. Bravo à eux.
Quel vent de fraîcheur !
J'ai adoré Majo No Michi qui mêle à la fois :
- de belles illustrations de Strasbourg et de l'Alsace
- une histoire avec des personnages principaux féminins
- un récit sur l'écologie, l'amitié, le vélo et le changement climatique
- de la sorcellerie !
Les illustrations sont très réussies et obnubilée par les détails des vélos ou de la cathédrale jamais je n'ai pris le temps de regarder des oreilles (wtf). J'ai apprécié les visages expressifs, le détail des décors et les scènes de vitesse avec des lignes rapides.
Concernant l'assistanat dont certain parle... Remettons le livre dans son contexte : les personnages sont jeunes et sortent d'école, elles ne sont pas encore pleinement dans la vie active. Le livre parle également de culpabilité de toucher des aides, de la volonté d'indépendance et de la nécessité de faire le bien autour de soit (écologie, société et du coup sorcellerie).
Je conseille cette ouvrage à toutes les personnes qui considèrent que participer à la société, contribuer à ralentir le changement climatique et défendre l'envrionnement sont des notions importantes. De même concernant l'amitié.
Ce livre est destiné à un public jeune optimiste et joyeux ! Ne l'offrez pas à votre oncle aigri ou à un étudiant en école de commerce qui souhaite travailler dans une banque ou un cabinet de conseil, ils risquent de passer à côté de la beauté des images et des messages.
Hâte de lire la suite !
On manque de représentations de nos vies complexes.
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Ce tome est le premier d’un diptyque, avec Fin de la parenthèse (2016). Sa première édition date également de 2016. Il a été réalisé par Joann Sfar pour le scénario et les dessins, et par Brigitte Findakly pour les couleurs. Il comprend quatre-vingt-dix pages de bande dessinée.
Seabearstein a invité du monde à dîner, des amis et des amies. Avec son voisin de table, il évoque la présence de la mort. Il n’est pas juste question de la mort du père : c’est une année où des êtres de son âge sont morts ou devenus malades. Il a revu le générique de son dernier film : déjà cinq morts depuis le tournage. Il fait le gros dos. Il ne veut pas que ça le transforme. Il souhaite se réveiller autant joyeux qu’avant. Sa compagne Mireilledarc passe dans la pièce, avec sa longue robe dénudant son dos jusqu’à la base de ses fesses. Son voisin répond de ne pas se plaindre à Seabearstein. Ce dernier n’a pas eu à faire une analyse de selles. Il explique : on donne un sachet et s’il suit le mode d’emploi ça se colle sur la lunette des toilettes et on est censé déféquer proprement dedans, puis refermer le paquet comme une enveloppe postale. Sauf que ça ne marche pas aussi bien que sur la notice. À titre personnel, il a fermé à clé la salle de bains et il a résolu de faire dans le seau de plage de sa fille. Ensuite, il a tout expédié pour analyses. Il termine en faisant observer que Seabearstein n’a pas fait ça, alors qu’il ne se plaigne pas. Il se tourne vers une personne qui amène la soupe de pavot : c’est l’heure de la soupe rouge.
Mireilledarc se joint à leur conversation : elle souhaite savoir de quoi ils parlent. Le convive répond qu’il disait que la vie mérite qu’on poursuive ses respirations, car il y a encore des vodkas à découvrir. Elle lui demande s’ils font vraiment la différence. Il reconnaît que la vodka a mauvaise réputation, soi-disant qu’elle ferait se dresser les poils des bras. En réalité, ça se boit comme de l’eau. Seabearstein continue : en l’état actuel de leurs observations, la plus intéressante est dans ce flacon noir pommelé d’un grand D, et serti d’un énorme diamant en plastique. Cette bouteille est le seul endroit où il offrirait un bijou toc à sa compagne. Lui et elle se lèvent de table et passent au salon. Il lui fait observer que ce soir elle n’est pas tellement cernée par les Juifs. Il y a juste sa copine à lui Natte, et lui. Tout le reste du régiment est russe, lithuanien, tatar. Mais c’est la Russie à l’envers. Il s’explique : ici la Lithuanie commande, et le Russe ou le Polac se font discrets. Ils ont raison. Il lui demande si elle aime ici, en l’appelant Lorelei von Darc. Elle répond qu’elle aime tout avec lui. Elle lui demande si la vieille dame le drague. Il répond que oui, et que c’est sa seule concurrente à elle. La vieille dame et Mireilledarc se mettent à l’écart sur les marches du perron pour papoter. La dame âgée indique qu’elle a les meilleurs parents du monde. Aucun d’eux n’est revenu d’Auschwitz. Ça donne une imagination folle. Elle ajoute qu’elle n’est pas orpheline. Elle attend que ses parents reviennent. Ses filles ont soixante ans et elles ne comprennent pas non plus.
C’est du Joann Sfar, donc ça intéresse le lecteur qui l’apprécie, et d’autres intrigués par les éléments mis en avant sur la quatrième de couverture : C’est l’histoire des meilleurs moments de l’amour ; et aussi : Une variation libre, brillante et enlevée sur le binôme éternel que forment la création artistique et l’amour. Comme souvent, ce créateur semble écrire au fil de l’eau, sous l’inspiration du moment, avec des dessins spontanés, et même une graphie très lâche pour les phylactères. Sans préambule, le lecteur se retrouve à table avec le narrateur (au nom bizarre), à discuter de la mort, de connaissances, puis d’un examen médical scatologique, puis des origines des invités, puis de parents morts en camp de concentration et d’extermination, puis du prépuce d’un homme circoncis, puis des vacances de Seabearstein et Mireilledarc avant, du fait que la vie est précieuse, presqu’une confidence entre les deux amants sur le lit. Chaque personnage, chaque élément de décor est détouré d’un trait fin et tremblotant, comme s’il était mal assuré. Cela permet à l’artiste de jouer avec les proportions anatomiques : mains trop petites, bras trop effilés et trop longs, nez proéminent au-delà du possible pour le personnage principal, yeux de biche pour elle, coiffure montée en choucroute pour la vieille dame, décors mouvant dans les arrière-plans, avec un degré de précision très fluctuant, palette de couleurs entre réalisme et impressionnisme.
Le lecteur se laisse porter par le flux légèrement indolent de la narration, une suite de scénettes au cours desquels les personnages expriment un vague malaise existentiel, quelques convictions, effectuent quelques constats pénétrants. Le récit se focalise sur les deux personnages principaux : un peintre et une modèle, ainsi que leur amour. Leur relation semble aller de soi, sans crise, sans jalousie, sans conflit, avec un peu de possessivité de la part de monsieur, et une touche élégante de cruauté badine pour madame. Seabearstein (quel nom bizarre à la connotation intentionnellement juive, peut-être une variation sur la prononciation de cyber-stein) doit réaliser une série de toiles sur le thème de L’origine du monde (1866) de Gustave Courbet (1819-1877), en se basant sur l’anatomie de sa compagne qu’il a surnommée Mireilledarc (en un seul mot et en hommage à l’actrice). D’une certaine manière, le récit se déroule sans conflit dans ce couple. En revanche, il règne une tension sexuelle du début jusqu’à la fin. Le lecteur considère le personnage principal comme un ami dont il serait le confident de certaines facettes de son intimité, en particulier sa relation avec sa compagne. Il voit un homme d’une trentaine d’année, peut-être tout juste la quarantaine, solidement charpenté, attentif et observateur, attentionné et amoureux de Mireilledarc, accaparé par son art, traversé de quelques questions sur son art et la manière de l’exercer. Il porte bien, souvent bien habillé, pratiquement toujours avec une chemise, affublé de grands yeux et d’un nez encore plus grand. Il est roux, ce qui n’empêche pas le lecteur de voir en lui un avatar de l’auteur, pas une projection littérale, plutôt un autre lui-même, ce qu’il aurait pu être dans un milieu parisien.
Le lecteur se rend compte que Mireilledarc rayonne d’une personnalité propre : elle ne peut pas être réduite à la chose du peintre. Outre le fait qu’elle n’accède pas à toutes les demandes du peintre, certaines de ses réflexions l’énoncent clairement. Dès la page quatorze, elle se fait la réflexion dans son for intérieur qu’elle aime bien le regarder à la dérobée, quand il l’attend. Elle continue : Elle le fait attendre tout le temps, elle ne sait pas pourquoi, il n’y a qu’avec lui qu’elle est tout le temps en retard. En page trente-neuf, elle étudie en petite tenue sur le lit et lui, tout nu, la regarde. Elle lui dit qu’elle a constaté qu’il bande, et que non, elle refuse de se sentir responsable de son état. Elle établit ainsi qu’elle n’est pas un objet et qu’elle ne sera pas sa chose. Elle a pleinement conscience de l’effet qu’elle produit sur la gent masculine, elle le dit : Être observée, ça va un temps, c’est le détonateur. Elle continue : elle entre dans une pièce et chaque homme ne regarde qu’elle, ça lui donne une joie, elle finit par trouver ça normal. Puis ça l’angoisse. Puis elle leur en veut de la regarder, alors elle abuse de la fascination qu’elle exerce. Quand elle a un boulot grâce à ça, elle se dit que le monde est terrible pour les femmes. Le lecteur se retrouve à adopter le comportement de Seabearstein et des autres hommes : il observe Mireilledarc comme si c’était un curieux animal. Il la voit à l’aise dans sa nudité, confiante en son compagnon qui ne l’agressera pas, joueuse et souvent dans la séduction avec lui, pleinement consciente de son effet sur lui, une belle femme au corps longiligne, élégante, mutine sans une once d’enfantillage. Sa pudeur semble limitée, tout en étant très consciente de l’effet de son corps sur les hommes en général. Par exemple, elle explique à son amant que son truc, en tant que nana, c’est dévoiler sans rien montrer. C’est sa principale préoccupation quand elle s’habille.
L’un et l’autre papotent sur tout et sur rien, entre eux, avec leurs amis respectifs, régulièrement au lit dans le premier cas dans la pénombre de leur chambre ou sur le canapé, et aussi avec un copain ou une copine en faisant du shopping, attablés au café, en marchant dans la rue, en faisant du vélo, à la piscine, dans une ruelle, dans un bar branché, sur la plage à Cuba. Comme à son habitude, sans avoir l’air de s’y investir beaucoup, l’artiste montre chaque endroit avec assez de caractéristiques pour le rendre particulier et unique : la salle à manger éclairée à la bougie, le grand centre commercial avec ses magasins de luxe pour les chaussures et les vêtements, l’appartement avec son grand escalier, l’immeuble des Galeries Lafayette, les pavés parisiens, les flotteurs pour séparer les couloirs de nage, l’hôtel Plaza Athénée, le studio dans lequel Raphaël Enthoven & Adèle van Reeth enregistrent leur émission de radio, etc. Le lecteur peut ainsi voir que les personnages évoluent dans un milieu aisé, n’éprouvent pas de difficultés financières, ont accès à des endroits selects, donnent l’image d’une vie chic et vaguement bohème, d’individus au cercle social assez limité, comme une forme d’entre soi, ou plutôt de très petits groupes de deux à trois individus, une même personne appartenant à deux ou trois groupes différents qui ne se rencontrent pas.
L’auteur a choisi une forme narrative qui suit à peu près le déroulement chronologique de la relation du couple, essentiellement par le truchement de conversations, et de quelques fils de pensées. Le lecteur ressent l’impression d’écouter des discussions à bâton rompu, effet assez délicat à bien rendre en bande dessinée où l’auteur ne maîtrise pas le rythme de lecture. Il constate que chaque échange vient apporter une touche de couleur participant à une vaste image d’ensemble. Il se laisse balloter d’un sujet à l’autre comme ils viennent : la mort du père et le règlement de la succession, les analyses médicales, faire attendre son mec, acheter des chaussures comme moyen de détente tout en les qualifiant de souliers, différentes facettes de la relation amoureuse, échanger sur son travail de peintre avec la mère de sa compagne et modèle, faire un cadeau égoïste en offrant un chat au lieu d’un chien, l’amitié entre copines (Mireilledarc & Protéine) en se montrant plus ou moins égocentrée, le décalage entre le désir masculin et le jeu de séduction féminin, la question du désir chez les célibataires, la superficialité d’acheter des godasses (Protéine déclarant que cela ne lui suffit plus) menant à l’envie de fonder une famille, le manque de films intelligents sur les hétérosexuels, la rencontre entre le peintre et son idole (Seabearstein rencontre la vraie Mireille Darc), la force de l’amour (entre Nosolo et Protéine, dans une arrière-cour contre les poubelles), les conventions de représentation et les stéréotypes, etc. S’il a lu les albums suivant de l’auteur, le lecteur se rend compte qu’un thème court tout du long de cet ouvrage : l’idolâtrie qui donnera lieu à Les idolâtres paru en 2024.
Un album très personnel, par sa narration visuelle aux partis pris graphiques très marqués : traits fins et cassants, comme mal assurés, jeu sur les proportions anatomiques, sur les perspectives, une véritable interprétation de la réalité. Une histoire amoureuse entre un peintre à l’abri des soucis financiers vouant un culte à Mireille Darc (Mireille Christiane Gabrielle Aimée Aigroz, 1938-2017) et une jeune femme modèle et indépendante. Une mise en scène de la relation entre artiste et modèle formant également un couple, le premier fasciné par elle, cette dernière éprouvant une véritable joie de capter ainsi l’attention des hommes, l’un et l’autre projetant leur représentation sur leur conjoint, sans vraiment le voir. Ensorcelant.
Je suis désolé de casser le consensus mais j'ai trop apprécié cette lecture pour me contenter d'un 4. Pourtant en découvrant cet improbable graphisme et l'épaisseur de la BD j'ai craint le pire. Que nenni, je suis immédiatement tombé sous le charme de cet humour absurde très présent dans le début du récit. Il faut dire que l'entrée en scène de Jean Doux ne manque pas d'originalité dans sa construction et son déroulé. Cette introduction permet à Valette de créer une ambiance de bureau 90's avec ses codes, son langage et sa technologie ( le minitel!) aux allures historico nostalgiques pleines de dérisions . C'est presque tout le temps très drôle avec un enchaînement de scènes qui donne une grande dynamique au récit. Ensuite Valette glisse doucement sur un polar industriel qui met au devant de la scène un outil reléguer dans un coin : le broyeur à papier. Au détour d'une petite anecdote signifiante, Valette rappelle que ce banal outil peut se montrer d'une importance vitale. Alors où veut nous conduire ce scénario loufoque mais si bien construit? Valette retombe sur ses pieds grâce à un final fantastique à la H.G Wells. Impossible d'en dire plus tellement le récit mérite la fraicheur de la découverte. Je veux mettre en exergue certaines trouvailles presque d'anthologie comme cette poursuite en chaises de bureau.
Pour compléter l'ambiance, Valette pioche dans le vieux graphismes des premiers jeux vidéos aux personnages sans relief et à l'allure saccadée. Mais l'auteur transforme le vintage en moderne. Ses personnages deviennent réellement dynamiques et expressifs.
Une excellente lecture qui exploite une idée originale avec beaucoup d'humour et de créativité.
Ah la Quête … inutile de vous dire que je ne serai pas des plus objectif (même si j’essaierai), les 3ers tomes m’ont toujours accompagné et la conclusion découverte plus tard en B.U. (un comble) reste un souvenir émouvant.
C’est le finish récent de son préquel qui m’a donné envie de me replonger dans cette série, histoire de voir et comparer … et il y a pas à tortiller du cul, la Quête c’est la Quête, un monument du 9eme art.
J’ai pris un pied absolu à relire cette série. Tout est là, ça ne vieillit pas et ça reste une référence dans le domaine. Cerise sur le gâteau et malgré son bel âge, mon édition bd sent bon, elle possède un parfum suranné des plus exquis.
Bref je m’égare mais qu’en était-il vraiment ?
2 jeunes auteurs, alors quasi inconnus, qui marqueront le paysage de la Fantasy.
Loisel impose sa patte d’office et son trait ne cessera de s’améliorer au fil des parutions. On critique pas mal les couleurs et son dessin dans les 2ers tomes mais je trouve le tout toujours très bon. J’aime la construction de ses planches et Akbar apparaît des plus vivantes, on y croit et on peut plonger totalement dans cet univers.
Univers que l’on va se faire une joie d’explorer sous les récits de Le Tendre. Chaque album monte en puissance et en maturité. J’ai bien mes préférences mais je les aime vraiment tous.
Le premier, bien sûr, lance l’aventure de belle façon. Un peu classique dans son déroulé mais il pose les bases d’un monde et d’une quête que l’on a soif de découvrir. L’ADN de la série est déjà là et tout est intelligemment amené pour les amateurs : les personnages, les marches, le bestiaire, la dangerosité de ce monde … un résultat fluide, équilibré et d’une belle richesse.
Le deuxième continue sur les mêmes bases mais n’oublie de voyager et d’amener d’autres peuples. Toujours aussi classique dans son déroulé mais c’est exécuté de main de maître, il n’y a rien à jeter, je ne vois pas comment il aurait pu être mieux. J’aime le lieu, Bodias, les péripéties et ce côté sombre qui plane.
Le troisième est une tuerie absolue, la quête se fait moins présente, nos héros rencontreront en chemin Le Rige … Ce tome est un vrai travail d’orfèvre niveau ambiance et émotions. Tout est parfaitement orchestré et millimétré, on saisit à travers des silences et non dits, le ressenti des personnages comme jamais. Un album magique qui m’attrape à chaque fois.
Le quatrième, enfin (ou à regret), conclue magistralement cette épopée. Nous quitterons nos héros avec ce sentiment de ah ouais ! on a lu un chouette truc là ! Une série loin d’être fade et qui vous marquera.
Pour moi c’est plus que culte, ça m’a évidemment marqué mais avec un peu de recul et l’âge, c’est franchement toujours aussi bon.
Une réalisation de haute volée qui s’affranchit des décennies, pour une histoire divertissante où le lecteur n’est pas pris pour un idiot. Un incontournable du genre.
A la fois classique et original, ce petit polar aura réussi à me surprendre tout en m’entrainant sur de rassurants sentiers balisés. Et c’est justement de cette association de style, entre réel hommage aux polars des années 50 et volonté de surprendre le lecteur via quelques développements inattendus qui est la cause de mon enthousiasme… Enfin, ça et la qualité du dessin d’Eric Stalner… et sa qualité d’écriture aussi ! Bons, soyons clairs, en fait même si je ne trouve rien d’absolument exceptionnel, j’estime que tout est bien voire franchement bien. Le rythme est bon, le découpage est soigné, la mise en page est maîtrisée, l’intrigue est régulièrement relancée, les personnages sont bien choisis, le début du récit est accrocheur et la fin est satisfaisante. Je ne sais pas quoi dire de plus : c’est bien ! Pas un chef-d’œuvre, pas un immanquable mais un récit qui comble toutes mes attentes dans le registre dans lequel je l’attendais.
3.5
On peut compter sur le Japon pour trouver les concepts les plus débiles et faire en sorte que ça marche !
L'histoire est simple: durant un combat avec le Joker, Batman est tombé dans des produits chimiques qui l'ont fait rajeunir et il est redevenu un bébé. Le Joker est désemparé, comment il peut s'amuser maintenant que son ennemi est un bébé ? Il décide alors de l'élever pour en faire un super-héros comme ça lorsque Batman va redevenir un adulte dans genre 20 ans il va pourvoir de nouveaux affronter le Joker !
Le récit est simple et efficace. L'humour fonctionne bien et ça fait du bien de revoir un Joker imprévisible et qui est capable d'être drôle. C'est vraiment que des situations semblent êtres du déjà vu si on connait des fictions mettant en vedette un ou plusieurs hommes qui ont de la difficulté à élever un bébé, mais cela ne m'a pas trop dérangé. Ce que j'ai moins aimé est ça se lit tout de même un peu trop rapidement, surtout que le manga contient moins de pages que dans la plupart des tomes de mangas (144 pages alors qu'habituellement il y a en 180-200 pages).
Le dessin est réussi. Le trait réaliste fait en sorte que le décalage entre le dessin et les situations loufoques rendent la série encore plus marrante !
Voilà un travail que j’ai trouvé excellent sur le fond et sur la forme. Certes, c’est parfois un peu ardu, c’est très dense et il faut s’enfiler un certain nombre de termes techniques, de connaissances économiques et d’organisation des marchés financiers et bancaires. Mais la narration est très fluide et claire.
C’est d’abord dû au dessin de Jérémy Van Houtte, qui aère la démonstration tout en la rendant agréable et lire.
C’est aussi dû bien sûr au très gros travail en amont (c’est du blindé en matière de connaissances exposées, et l’imposante bibliographie de fin de volume confirme ce travail préparatoire, et surtout confirme que les auteurs souhaitent que leurs lecteurs aillent plus loin).
Les rouages du système financier libéral – et plus largement du capitalisme financier actuel – sont bien mis en avant, avec les mécanismes qui font transiter l’argent – y compris public – jusqu’au actionnaires, dans un « ruissellement » inversé, mais aussi bien plus réel que celui annoncé par nos dirigeants depuis des décennies.
C’est à la fois limpide et écœurant. Mais on ne se contente pas de constater, puisque les dernières pages énumèrent un certain nombre de pistes pour remédier à ce creusement des inégalités au profit d’une minorité (qui plus est responsable d’autres maux, comme la pollution, le réchauffement climatique et quelques conflits). Avec une présentation intéressante de la convergence des luttes.
L’action des lobbies, des institutions européennes, le fonctionnement des banques, l’hypocrisie des « décideurs » (voir « mon ennemi c’est la finance » de Hollande !), tout ceci n’est certes pas réjouissant. Et les auteurs montrent bien comment toutes les luttes tendant à remettre en cause cet ordre établi par et pour un petit nombre sont dénigrées dans les médias, et sévèrement réprimées (voir les dernières années en France, avec les Gilets jaunes en particulier). Mais il se dégage à la fin un sentiment qu’il est possible de faire changer la donne.
Une lecture exigeante, mais instructive, jamais rébarbative ni sentencieuse, avec un ton léger. Bref, un documentaire à lire, pour nourrir réflexion, et éventuellement action.
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Les Cinq Vies de Lee Miller
Je ne peux pas fourrer mon pied dans une pantoufle de verre. - Ce tome contient une biographie de Lee Miller (1907-1977), modèle, photographe, reporter, égérie du surréalisme. La première édition date de 2013 pour la version originale en italien, et de 2024 pour la version française. Il a été réalisé par Eleonora Antonioni pour le scénario et les dessinés, et traduits par Laurent Lombard. Il comprend cent-cinquante-et-une pages de bande dessinée. Il se termine avec la présentation succincte de six des hommes de la vie de Lee (Theodore Miller, Man Ray, Erik Miller, Aziz Eloui Bey, David E. Scherman, Roland Penrose), et un lexique de toutes les autres personnes citées, chacune présentée avec ses dates de naissance et de mort, et un court paragraphe d’une phrase, au nombre de trente-cinq de George Antheil (1900-1959, pianiste, compositeur, écrivain) à Elizabeth Audrey Whithers (1905-2001, journaliste). Le tome s’achève avec une bibliographie minimale, des pages web intéressantes et des recherches iconographiques. En 1928, l’atelier de Neysa McMein, à New York, Elizabeth Miller, vingt-et-un ans, rejoint une tablée qui l’accueille avec les honneurs. Un homme fait observer qu’il paraît que les hommes se souviennent toujours des blondes. Une jeune femme fait remarquer que le visage de Lee est l’un des plus connus des revues de M. Condé Nast. Un autre note qu’il lui manque juste un joli pseudonyme pour se lancer. Elle répond : Lee Miller. Enfance et adolescence. Originaire de Pennsylvanie, déterminé, curieux et tenance, Theodore Miller a fait carrière dans le domaine technique jusqu’à devenir directeur des établissements De Laval à Poughkeepsie dans l’état de New York. Productrice d’équipements pour traire et traiter le lait, De Laval était la plus grande et la plus importante entreprise de Poughkeepsie. Lors de son précédent emploi à Utica, Theodore fit la connaissance d’une jeune infirmière : Florence Mac Donald. Les fiançailles furent longues, car il ne voulait pas se marier avant d’avoir trouvé une stabilité financière et professionnelle. C’est donc après son recrutement chez De Laval que le couple se marie et que Florence s’installe à Poughkeepsie. Florence Mac Donald, la jeune épouse, attire d’emblée l’attention des Daughters of the American Revolution qui l’invitent à faire partie de leur prestigieuse association patriotique. Invitation aussitôt retirée lorsqu’elles découvrent les origines canadiennes de Florence. En tout cas, cette anecdote n’empêche pas Florence de devenir une parfaite dame de la haute bourgeoisie comme l’exige la mode de l’époque. Outre sa passion pour la technologie, Theodore cultive un grand intérêt pour les arts, jusqu’à en faire un élément central de la vie familiale. Féru de photographie qu’il se plait à pratiquer en dilettante, il a recours à son épouse Florence comme modèle parmi ses sujets préférés, les nus féminins, selon lui, l’une des plus hautes expressions de l’art. Bien vite, Theodore et Florence ont des enfants : John naît en 1905, Ellizabeth en 1907, Erik en 1910. La petite et toute blonde Elizabeth, appelée Lili, conquiert Theodore au premier regard devenant, sans qu’il s’en cache trop, sa préférée. Peut-être que le lecteur a une vague conscience de l’existence de Lee Miller et de ses œuvres, ou qu’il n’en a jamais entendu parler : cette bande dessinée constitue l’occasion d’en apprendre plus sur elle. De fait, l’autrice réalise une biographie chronologique, à l’exception de la scène d’introduction. Elle raconte les différentes phases de la vie de cette femme, en cinq chapitres : Enfance et adolescence d’Elizabeth Miller, Surréalisme, Nuage, Barbelés, Coupure. En fonction de sa familiarité avec ladite biographie, le lecteur peut parfois se retrouver décontenancé. Par exemple, le récit montre bien les rencontres entre Lee Miller et différents artistes de l’époque comme Man Ray (Emmanuel Radnitsky, 1890-1976) ou Pablo Picasso (1881-1973), sans pour autant la mettre en scène comme étant l’égérie du surréalisme. Pour autant, il retrouve bien sa carrière de modèle, puis son apprentissage de la photographie et ses fréquentations avec les surréalistes, son engagement comme photographe de guerre, et sa carrière d’autrice de recettes culinaires. La personnalité de la narration visuelle apparaît tout de suite : des traits encrés très fins et solides, un noir & blanc rehaussé de jaune, la plupart du temps en une seule nuance, parfois deux. Une approche réaliste avec un degré de simplification allant vers l’élégance, avec un sens très sûr de la gestion de densité d’information par case, soit un luxe de détails, ou une focalisation sur les personnages en train de parler, ou des effets de texture. L’autrice insère son personnage dans le contexte historique à la fois par les événements évoqués, à la fois par les dessins. D’une certaine manière, le lecteur peut interpréter les caractéristiques graphiques comme une touche féminine délicate et élégante ; d’un autre côté, cela n’obère en rien l’investissement de la dessinatrice dans les représentations. La séquence introductive montre des jeunes gens de la haute bourgeoisie, bien habillés à l’occasion d’un rendez-vous mondain. Le lecteur remarque de suite l’attention portée aux tenues vestimentaires que ce soit la coupe des costumes pour les messieurs, ou les différentes robes avec leurs accessoires pour ces dames, y compris les bibis et les colliers. La présentation de Theodore Miller s’effectue par un dessin le représentant assis sur une chaise : belle veste avec un motif jaune, une paire de bottines à bouton. La présentation de Florence Mac Donald se déroule en deux temps : d’abord en robe simple avec tablier (et un petit chapeau), puis en robe habillée avec un chapeau plus sophistiqué et plus décoratif. L’artiste fait preuve du même degré d’implication tout du long de l’ouvrage pour les tenues vestimentaires : les habits plus simples des enfants, les robes de soirée ou pour faire la fête, les manteaux, les accessoires divers et variés, les uniformes militaires, jusqu’à la robe noire et simple avec tablier dans laquelle Lee Miller reçoit le journaliste à Farley’s Farm, à Chiddingly, Muddles Green, dans la dernière période de sa vie. De la même manière, la reconstitution historique se trouve dans chaque lieu, chaque environnement. Les lampes avec leur abat-jour dans l’atelier de Neysa McMein, les meubles et les pots de fleurs chez les Miller, le modèle du landau, les différentes voitures, les évocations d’œuvres artistiques de l’époque (dont celles de Man Ray et de Picasso), l’appartement d’Adolf Hitler à Berlin, et bien d’autres encore. Progressivement, le lecteur prend conscience que la bédéiste utilise de nombreuses possibilités offertes par la bande dessinée : case avec bordure ou sans, éléments de décor devenant une ornementation pour les autres cases, cases en trapèze ou en losange pour accentuer un mouvement, cases de la hauteur ou de la largeur de la page, dessins en pleine page, cases en insert, carte de la région pour accompagner les voyages de la photographe, etc. Elle joue également avec les phylactères et la typographie : écriture blanche sur fond noir, titres en barbelés quand Miller accompagne l’armée libératrice vers l’Est, etc. Si dans un premier temps, les personnages peuvent apparaître un peu simplifiés, en particulier pour les traits de visage, le lecteur se rend vite compte que la direction d’acteurs et les expressions de visage relèvent d’adultes aux émotions complexes, certains silences ou certaines pauses fugaces attestant de l’impact d’une situation ou d’un constat. Le lecteur mesure mieux les choix de l’autrice lorsqu’un médecin indique que : Elizabeth Lee a contracté une méchante maladie vénérienne, et que malheureusement le traitement sera long, que les parents devront surtout essayer de lui faire surmonter le traumatisme psychologique. Les deux pages suivantes montrent que la fillette se sent sale en permanence, puis elle se montre insupportable dans les différents établissements scolaires où elle est inscrite. En allant chercher plus d’informations, il apparaît qu’il s’agit d’un viol perpétré sur la fillette alors qu’elle avait sept ans, une façon déconcertante de présenter un tel crime et ses conséquences dévastatrices. Pour autant, lorsque Lee Miller accompagne l’armée américaine à Torgau, puis Dachau, puis Berlin, toute l’horreur de la guerre impacte de plein fouet la jeune femme. Le lecteur en déduit que cette biographie est racontée avec le point de vue de Lee Miller, en fonction de ce qu’elle ressent et de ce qu’elle peut exprimer, sa façon de se représenter le monde à chaque moment de sa vie. Il constate alors que l’autrice montre l’impact des événements, des expériences, des découvertes, de la manière dont l’artiste le ressent. Au fur et à mesure, le lecteur découvre la vie de cette femme, ou plutôt ses vies, de modèle pour photographes, à photographe de mode elle-même, photoreporter de guerre, autrice de recettes. En fonction de ses centres d’intérêt, il aurait pu souhaiter que telle ou telle facette de sa vie soit plus développée, tout en ayant conscience que cette biographie regorge d’informations et de moments sortant de l’ordinaire, qu’elle est riche et dense. Réaliser une biographie constitue un exercice compliqué entre hagiographie et enfilade aride de faits avérés. Celle-ci combine les éléments factuels avec la vision que Lee Miller a pu en avoir au moment de leur survenance dans le contexte de sa vie, et dans celui historique. L’autrice se livre à une reconstitution extraordinaire de références et de détails pertinents et opportuns, en sachant montrer l’environnement correspondant. Le lecteur accompagne une jeune femme séduisante et libérée, menant sa vie comme elle l’entend, connectée au monde, réussissant aussi bien une carrière de modèle que de photoreporter de guerre (jusque dans la baignoire d’Hitler), tout en en faisant l’expérience de son point de vue, moments de plaisir comme traumatismes. Une réussite exemplaire.
Anamnèse
Un très bon one-shot. Les thèmes utilisés dans l'album sont du déjà vu, mais l'auteur les utilisent de manières intelligentes. Il faut dire que le récit est construit de manière originale. La réalité et la fiction sont mélangées, mais sans jamais perdre le lecteur qui comprends bien ce qui se passe. Je ne veux pas trop spoiler ce qui se passe dans le récit et tout ce que je peux dire c'est que c'est remplis d'émotions, le scénario est prenant même lorsque je devinais un peu ce qui se passait et le personnage principal est terriblement attachant. J'ai vraiment aimé le dessin que je trouve très dynamique et les couleurs sont belles. La mise en scène est surprenante et audacieuse. Je trouve que jusqu'à présent c'est une des meilleurs bds de 2024 que j'ai lu. Elle a réussi à toucher mon âme d'enfant.
Les 5 Terres
Une série ambitieuse et qui n’est même pas encore à la moitié de ses tomes annoncés … et pourtant déjà culte pour moi. Je m’emballe peut être un peu mais en 2-3 tomes, cette série m’a littéralement conquis et depuis la suite ne vient pas ternir cette excellente impression. Un peu comme avec Donjon, je suis complètement addict. La partie graphique est agréable mais ce n’est pas sur ce point que l’œuvre marquera véritablement. Designs, couleurs et dessins sont efficaces, toujours fluides et lisibles. Cependant à mon goût, c’est limite un peu trop sobre parfois, mais il faut tenir la cadence de parution et ça accompagne sans fioriture le récit. Amateur de GoT & co, j’ai retrouvé tout ce que j’aimais dans le genre et surtout le plaisir de découvrir un monde cohérent, intelligemment mis en œuvre. C’est faussement complexe avec les Très nombreux personnages et des intrigues à tiroirs, mais tout paraît cohérent et est passionnant à suivre. J’aime le coté adulte, l’incertitude constante sur le destin des personnages et la façon d’explorer cet univers. Chaque tome amène sa petite pierre et se termine systématiquement par une soif de découvrir la suite. Chaque cycle dépeindra un continent et ses habitants avec en toile de fond le pouvoir sous toutes ses formes (Royal, politique, mafieux …). Chaque parution, je fonce chez mon libraire. Une parfaite et rare alchimie entre les auteurs, alors que je me méfiais un peu du côté « atelier ou artificiel », je suis vraiment ravi du résultat. Je suis archi confiant pour la suite. Bravo à eux.
Majo No Michi
Quel vent de fraîcheur ! J'ai adoré Majo No Michi qui mêle à la fois : - de belles illustrations de Strasbourg et de l'Alsace - une histoire avec des personnages principaux féminins - un récit sur l'écologie, l'amitié, le vélo et le changement climatique - de la sorcellerie ! Les illustrations sont très réussies et obnubilée par les détails des vélos ou de la cathédrale jamais je n'ai pris le temps de regarder des oreilles (wtf). J'ai apprécié les visages expressifs, le détail des décors et les scènes de vitesse avec des lignes rapides. Concernant l'assistanat dont certain parle... Remettons le livre dans son contexte : les personnages sont jeunes et sortent d'école, elles ne sont pas encore pleinement dans la vie active. Le livre parle également de culpabilité de toucher des aides, de la volonté d'indépendance et de la nécessité de faire le bien autour de soit (écologie, société et du coup sorcellerie). Je conseille cette ouvrage à toutes les personnes qui considèrent que participer à la société, contribuer à ralentir le changement climatique et défendre l'envrionnement sont des notions importantes. De même concernant l'amitié. Ce livre est destiné à un public jeune optimiste et joyeux ! Ne l'offrez pas à votre oncle aigri ou à un étudiant en école de commerce qui souhaite travailler dans une banque ou un cabinet de conseil, ils risquent de passer à côté de la beauté des images et des messages. Hâte de lire la suite !
Tu n'as rien à craindre de moi
On manque de représentations de nos vies complexes. - Ce tome est le premier d’un diptyque, avec Fin de la parenthèse (2016). Sa première édition date également de 2016. Il a été réalisé par Joann Sfar pour le scénario et les dessins, et par Brigitte Findakly pour les couleurs. Il comprend quatre-vingt-dix pages de bande dessinée. Seabearstein a invité du monde à dîner, des amis et des amies. Avec son voisin de table, il évoque la présence de la mort. Il n’est pas juste question de la mort du père : c’est une année où des êtres de son âge sont morts ou devenus malades. Il a revu le générique de son dernier film : déjà cinq morts depuis le tournage. Il fait le gros dos. Il ne veut pas que ça le transforme. Il souhaite se réveiller autant joyeux qu’avant. Sa compagne Mireilledarc passe dans la pièce, avec sa longue robe dénudant son dos jusqu’à la base de ses fesses. Son voisin répond de ne pas se plaindre à Seabearstein. Ce dernier n’a pas eu à faire une analyse de selles. Il explique : on donne un sachet et s’il suit le mode d’emploi ça se colle sur la lunette des toilettes et on est censé déféquer proprement dedans, puis refermer le paquet comme une enveloppe postale. Sauf que ça ne marche pas aussi bien que sur la notice. À titre personnel, il a fermé à clé la salle de bains et il a résolu de faire dans le seau de plage de sa fille. Ensuite, il a tout expédié pour analyses. Il termine en faisant observer que Seabearstein n’a pas fait ça, alors qu’il ne se plaigne pas. Il se tourne vers une personne qui amène la soupe de pavot : c’est l’heure de la soupe rouge. Mireilledarc se joint à leur conversation : elle souhaite savoir de quoi ils parlent. Le convive répond qu’il disait que la vie mérite qu’on poursuive ses respirations, car il y a encore des vodkas à découvrir. Elle lui demande s’ils font vraiment la différence. Il reconnaît que la vodka a mauvaise réputation, soi-disant qu’elle ferait se dresser les poils des bras. En réalité, ça se boit comme de l’eau. Seabearstein continue : en l’état actuel de leurs observations, la plus intéressante est dans ce flacon noir pommelé d’un grand D, et serti d’un énorme diamant en plastique. Cette bouteille est le seul endroit où il offrirait un bijou toc à sa compagne. Lui et elle se lèvent de table et passent au salon. Il lui fait observer que ce soir elle n’est pas tellement cernée par les Juifs. Il y a juste sa copine à lui Natte, et lui. Tout le reste du régiment est russe, lithuanien, tatar. Mais c’est la Russie à l’envers. Il s’explique : ici la Lithuanie commande, et le Russe ou le Polac se font discrets. Ils ont raison. Il lui demande si elle aime ici, en l’appelant Lorelei von Darc. Elle répond qu’elle aime tout avec lui. Elle lui demande si la vieille dame le drague. Il répond que oui, et que c’est sa seule concurrente à elle. La vieille dame et Mireilledarc se mettent à l’écart sur les marches du perron pour papoter. La dame âgée indique qu’elle a les meilleurs parents du monde. Aucun d’eux n’est revenu d’Auschwitz. Ça donne une imagination folle. Elle ajoute qu’elle n’est pas orpheline. Elle attend que ses parents reviennent. Ses filles ont soixante ans et elles ne comprennent pas non plus. C’est du Joann Sfar, donc ça intéresse le lecteur qui l’apprécie, et d’autres intrigués par les éléments mis en avant sur la quatrième de couverture : C’est l’histoire des meilleurs moments de l’amour ; et aussi : Une variation libre, brillante et enlevée sur le binôme éternel que forment la création artistique et l’amour. Comme souvent, ce créateur semble écrire au fil de l’eau, sous l’inspiration du moment, avec des dessins spontanés, et même une graphie très lâche pour les phylactères. Sans préambule, le lecteur se retrouve à table avec le narrateur (au nom bizarre), à discuter de la mort, de connaissances, puis d’un examen médical scatologique, puis des origines des invités, puis de parents morts en camp de concentration et d’extermination, puis du prépuce d’un homme circoncis, puis des vacances de Seabearstein et Mireilledarc avant, du fait que la vie est précieuse, presqu’une confidence entre les deux amants sur le lit. Chaque personnage, chaque élément de décor est détouré d’un trait fin et tremblotant, comme s’il était mal assuré. Cela permet à l’artiste de jouer avec les proportions anatomiques : mains trop petites, bras trop effilés et trop longs, nez proéminent au-delà du possible pour le personnage principal, yeux de biche pour elle, coiffure montée en choucroute pour la vieille dame, décors mouvant dans les arrière-plans, avec un degré de précision très fluctuant, palette de couleurs entre réalisme et impressionnisme. Le lecteur se laisse porter par le flux légèrement indolent de la narration, une suite de scénettes au cours desquels les personnages expriment un vague malaise existentiel, quelques convictions, effectuent quelques constats pénétrants. Le récit se focalise sur les deux personnages principaux : un peintre et une modèle, ainsi que leur amour. Leur relation semble aller de soi, sans crise, sans jalousie, sans conflit, avec un peu de possessivité de la part de monsieur, et une touche élégante de cruauté badine pour madame. Seabearstein (quel nom bizarre à la connotation intentionnellement juive, peut-être une variation sur la prononciation de cyber-stein) doit réaliser une série de toiles sur le thème de L’origine du monde (1866) de Gustave Courbet (1819-1877), en se basant sur l’anatomie de sa compagne qu’il a surnommée Mireilledarc (en un seul mot et en hommage à l’actrice). D’une certaine manière, le récit se déroule sans conflit dans ce couple. En revanche, il règne une tension sexuelle du début jusqu’à la fin. Le lecteur considère le personnage principal comme un ami dont il serait le confident de certaines facettes de son intimité, en particulier sa relation avec sa compagne. Il voit un homme d’une trentaine d’année, peut-être tout juste la quarantaine, solidement charpenté, attentif et observateur, attentionné et amoureux de Mireilledarc, accaparé par son art, traversé de quelques questions sur son art et la manière de l’exercer. Il porte bien, souvent bien habillé, pratiquement toujours avec une chemise, affublé de grands yeux et d’un nez encore plus grand. Il est roux, ce qui n’empêche pas le lecteur de voir en lui un avatar de l’auteur, pas une projection littérale, plutôt un autre lui-même, ce qu’il aurait pu être dans un milieu parisien. Le lecteur se rend compte que Mireilledarc rayonne d’une personnalité propre : elle ne peut pas être réduite à la chose du peintre. Outre le fait qu’elle n’accède pas à toutes les demandes du peintre, certaines de ses réflexions l’énoncent clairement. Dès la page quatorze, elle se fait la réflexion dans son for intérieur qu’elle aime bien le regarder à la dérobée, quand il l’attend. Elle continue : Elle le fait attendre tout le temps, elle ne sait pas pourquoi, il n’y a qu’avec lui qu’elle est tout le temps en retard. En page trente-neuf, elle étudie en petite tenue sur le lit et lui, tout nu, la regarde. Elle lui dit qu’elle a constaté qu’il bande, et que non, elle refuse de se sentir responsable de son état. Elle établit ainsi qu’elle n’est pas un objet et qu’elle ne sera pas sa chose. Elle a pleinement conscience de l’effet qu’elle produit sur la gent masculine, elle le dit : Être observée, ça va un temps, c’est le détonateur. Elle continue : elle entre dans une pièce et chaque homme ne regarde qu’elle, ça lui donne une joie, elle finit par trouver ça normal. Puis ça l’angoisse. Puis elle leur en veut de la regarder, alors elle abuse de la fascination qu’elle exerce. Quand elle a un boulot grâce à ça, elle se dit que le monde est terrible pour les femmes. Le lecteur se retrouve à adopter le comportement de Seabearstein et des autres hommes : il observe Mireilledarc comme si c’était un curieux animal. Il la voit à l’aise dans sa nudité, confiante en son compagnon qui ne l’agressera pas, joueuse et souvent dans la séduction avec lui, pleinement consciente de son effet sur lui, une belle femme au corps longiligne, élégante, mutine sans une once d’enfantillage. Sa pudeur semble limitée, tout en étant très consciente de l’effet de son corps sur les hommes en général. Par exemple, elle explique à son amant que son truc, en tant que nana, c’est dévoiler sans rien montrer. C’est sa principale préoccupation quand elle s’habille. L’un et l’autre papotent sur tout et sur rien, entre eux, avec leurs amis respectifs, régulièrement au lit dans le premier cas dans la pénombre de leur chambre ou sur le canapé, et aussi avec un copain ou une copine en faisant du shopping, attablés au café, en marchant dans la rue, en faisant du vélo, à la piscine, dans une ruelle, dans un bar branché, sur la plage à Cuba. Comme à son habitude, sans avoir l’air de s’y investir beaucoup, l’artiste montre chaque endroit avec assez de caractéristiques pour le rendre particulier et unique : la salle à manger éclairée à la bougie, le grand centre commercial avec ses magasins de luxe pour les chaussures et les vêtements, l’appartement avec son grand escalier, l’immeuble des Galeries Lafayette, les pavés parisiens, les flotteurs pour séparer les couloirs de nage, l’hôtel Plaza Athénée, le studio dans lequel Raphaël Enthoven & Adèle van Reeth enregistrent leur émission de radio, etc. Le lecteur peut ainsi voir que les personnages évoluent dans un milieu aisé, n’éprouvent pas de difficultés financières, ont accès à des endroits selects, donnent l’image d’une vie chic et vaguement bohème, d’individus au cercle social assez limité, comme une forme d’entre soi, ou plutôt de très petits groupes de deux à trois individus, une même personne appartenant à deux ou trois groupes différents qui ne se rencontrent pas. L’auteur a choisi une forme narrative qui suit à peu près le déroulement chronologique de la relation du couple, essentiellement par le truchement de conversations, et de quelques fils de pensées. Le lecteur ressent l’impression d’écouter des discussions à bâton rompu, effet assez délicat à bien rendre en bande dessinée où l’auteur ne maîtrise pas le rythme de lecture. Il constate que chaque échange vient apporter une touche de couleur participant à une vaste image d’ensemble. Il se laisse balloter d’un sujet à l’autre comme ils viennent : la mort du père et le règlement de la succession, les analyses médicales, faire attendre son mec, acheter des chaussures comme moyen de détente tout en les qualifiant de souliers, différentes facettes de la relation amoureuse, échanger sur son travail de peintre avec la mère de sa compagne et modèle, faire un cadeau égoïste en offrant un chat au lieu d’un chien, l’amitié entre copines (Mireilledarc & Protéine) en se montrant plus ou moins égocentrée, le décalage entre le désir masculin et le jeu de séduction féminin, la question du désir chez les célibataires, la superficialité d’acheter des godasses (Protéine déclarant que cela ne lui suffit plus) menant à l’envie de fonder une famille, le manque de films intelligents sur les hétérosexuels, la rencontre entre le peintre et son idole (Seabearstein rencontre la vraie Mireille Darc), la force de l’amour (entre Nosolo et Protéine, dans une arrière-cour contre les poubelles), les conventions de représentation et les stéréotypes, etc. S’il a lu les albums suivant de l’auteur, le lecteur se rend compte qu’un thème court tout du long de cet ouvrage : l’idolâtrie qui donnera lieu à Les idolâtres paru en 2024. Un album très personnel, par sa narration visuelle aux partis pris graphiques très marqués : traits fins et cassants, comme mal assurés, jeu sur les proportions anatomiques, sur les perspectives, une véritable interprétation de la réalité. Une histoire amoureuse entre un peintre à l’abri des soucis financiers vouant un culte à Mireille Darc (Mireille Christiane Gabrielle Aimée Aigroz, 1938-2017) et une jeune femme modèle et indépendante. Une mise en scène de la relation entre artiste et modèle formant également un couple, le premier fasciné par elle, cette dernière éprouvant une véritable joie de capter ainsi l’attention des hommes, l’un et l’autre projetant leur représentation sur leur conjoint, sans vraiment le voir. Ensorcelant.
Jean Doux et le Mystère de la Disquette Molle
Je suis désolé de casser le consensus mais j'ai trop apprécié cette lecture pour me contenter d'un 4. Pourtant en découvrant cet improbable graphisme et l'épaisseur de la BD j'ai craint le pire. Que nenni, je suis immédiatement tombé sous le charme de cet humour absurde très présent dans le début du récit. Il faut dire que l'entrée en scène de Jean Doux ne manque pas d'originalité dans sa construction et son déroulé. Cette introduction permet à Valette de créer une ambiance de bureau 90's avec ses codes, son langage et sa technologie ( le minitel!) aux allures historico nostalgiques pleines de dérisions . C'est presque tout le temps très drôle avec un enchaînement de scènes qui donne une grande dynamique au récit. Ensuite Valette glisse doucement sur un polar industriel qui met au devant de la scène un outil reléguer dans un coin : le broyeur à papier. Au détour d'une petite anecdote signifiante, Valette rappelle que ce banal outil peut se montrer d'une importance vitale. Alors où veut nous conduire ce scénario loufoque mais si bien construit? Valette retombe sur ses pieds grâce à un final fantastique à la H.G Wells. Impossible d'en dire plus tellement le récit mérite la fraicheur de la découverte. Je veux mettre en exergue certaines trouvailles presque d'anthologie comme cette poursuite en chaises de bureau. Pour compléter l'ambiance, Valette pioche dans le vieux graphismes des premiers jeux vidéos aux personnages sans relief et à l'allure saccadée. Mais l'auteur transforme le vintage en moderne. Ses personnages deviennent réellement dynamiques et expressifs. Une excellente lecture qui exploite une idée originale avec beaucoup d'humour et de créativité.
La Quête de l'Oiseau du Temps
Ah la Quête … inutile de vous dire que je ne serai pas des plus objectif (même si j’essaierai), les 3ers tomes m’ont toujours accompagné et la conclusion découverte plus tard en B.U. (un comble) reste un souvenir émouvant. C’est le finish récent de son préquel qui m’a donné envie de me replonger dans cette série, histoire de voir et comparer … et il y a pas à tortiller du cul, la Quête c’est la Quête, un monument du 9eme art. J’ai pris un pied absolu à relire cette série. Tout est là, ça ne vieillit pas et ça reste une référence dans le domaine. Cerise sur le gâteau et malgré son bel âge, mon édition bd sent bon, elle possède un parfum suranné des plus exquis. Bref je m’égare mais qu’en était-il vraiment ? 2 jeunes auteurs, alors quasi inconnus, qui marqueront le paysage de la Fantasy. Loisel impose sa patte d’office et son trait ne cessera de s’améliorer au fil des parutions. On critique pas mal les couleurs et son dessin dans les 2ers tomes mais je trouve le tout toujours très bon. J’aime la construction de ses planches et Akbar apparaît des plus vivantes, on y croit et on peut plonger totalement dans cet univers. Univers que l’on va se faire une joie d’explorer sous les récits de Le Tendre. Chaque album monte en puissance et en maturité. J’ai bien mes préférences mais je les aime vraiment tous. Le premier, bien sûr, lance l’aventure de belle façon. Un peu classique dans son déroulé mais il pose les bases d’un monde et d’une quête que l’on a soif de découvrir. L’ADN de la série est déjà là et tout est intelligemment amené pour les amateurs : les personnages, les marches, le bestiaire, la dangerosité de ce monde … un résultat fluide, équilibré et d’une belle richesse. Le deuxième continue sur les mêmes bases mais n’oublie de voyager et d’amener d’autres peuples. Toujours aussi classique dans son déroulé mais c’est exécuté de main de maître, il n’y a rien à jeter, je ne vois pas comment il aurait pu être mieux. J’aime le lieu, Bodias, les péripéties et ce côté sombre qui plane. Le troisième est une tuerie absolue, la quête se fait moins présente, nos héros rencontreront en chemin Le Rige … Ce tome est un vrai travail d’orfèvre niveau ambiance et émotions. Tout est parfaitement orchestré et millimétré, on saisit à travers des silences et non dits, le ressenti des personnages comme jamais. Un album magique qui m’attrape à chaque fois. Le quatrième, enfin (ou à regret), conclue magistralement cette épopée. Nous quitterons nos héros avec ce sentiment de ah ouais ! on a lu un chouette truc là ! Une série loin d’être fade et qui vous marquera. Pour moi c’est plus que culte, ça m’a évidemment marqué mais avec un peu de recul et l’âge, c’est franchement toujours aussi bon. Une réalisation de haute volée qui s’affranchit des décennies, pour une histoire divertissante où le lecteur n’est pas pris pour un idiot. Un incontournable du genre.
13h17 dans la vie de Jonathan Lassiter
A la fois classique et original, ce petit polar aura réussi à me surprendre tout en m’entrainant sur de rassurants sentiers balisés. Et c’est justement de cette association de style, entre réel hommage aux polars des années 50 et volonté de surprendre le lecteur via quelques développements inattendus qui est la cause de mon enthousiasme… Enfin, ça et la qualité du dessin d’Eric Stalner… et sa qualité d’écriture aussi ! Bons, soyons clairs, en fait même si je ne trouve rien d’absolument exceptionnel, j’estime que tout est bien voire franchement bien. Le rythme est bon, le découpage est soigné, la mise en page est maîtrisée, l’intrigue est régulièrement relancée, les personnages sont bien choisis, le début du récit est accrocheur et la fin est satisfaisante. Je ne sais pas quoi dire de plus : c’est bien ! Pas un chef-d’œuvre, pas un immanquable mais un récit qui comble toutes mes attentes dans le registre dans lequel je l’attendais.
One Operation Joker
3.5 On peut compter sur le Japon pour trouver les concepts les plus débiles et faire en sorte que ça marche ! L'histoire est simple: durant un combat avec le Joker, Batman est tombé dans des produits chimiques qui l'ont fait rajeunir et il est redevenu un bébé. Le Joker est désemparé, comment il peut s'amuser maintenant que son ennemi est un bébé ? Il décide alors de l'élever pour en faire un super-héros comme ça lorsque Batman va redevenir un adulte dans genre 20 ans il va pourvoir de nouveaux affronter le Joker ! Le récit est simple et efficace. L'humour fonctionne bien et ça fait du bien de revoir un Joker imprévisible et qui est capable d'être drôle. C'est vraiment que des situations semblent êtres du déjà vu si on connait des fictions mettant en vedette un ou plusieurs hommes qui ont de la difficulté à élever un bébé, mais cela ne m'a pas trop dérangé. Ce que j'ai moins aimé est ça se lit tout de même un peu trop rapidement, surtout que le manga contient moins de pages que dans la plupart des tomes de mangas (144 pages alors qu'habituellement il y a en 180-200 pages). Le dessin est réussi. Le trait réaliste fait en sorte que le décalage entre le dessin et les situations loufoques rendent la série encore plus marrante !
La Machine à détruire - Pourquoi il faut en finir avec la finance
Voilà un travail que j’ai trouvé excellent sur le fond et sur la forme. Certes, c’est parfois un peu ardu, c’est très dense et il faut s’enfiler un certain nombre de termes techniques, de connaissances économiques et d’organisation des marchés financiers et bancaires. Mais la narration est très fluide et claire. C’est d’abord dû au dessin de Jérémy Van Houtte, qui aère la démonstration tout en la rendant agréable et lire. C’est aussi dû bien sûr au très gros travail en amont (c’est du blindé en matière de connaissances exposées, et l’imposante bibliographie de fin de volume confirme ce travail préparatoire, et surtout confirme que les auteurs souhaitent que leurs lecteurs aillent plus loin). Les rouages du système financier libéral – et plus largement du capitalisme financier actuel – sont bien mis en avant, avec les mécanismes qui font transiter l’argent – y compris public – jusqu’au actionnaires, dans un « ruissellement » inversé, mais aussi bien plus réel que celui annoncé par nos dirigeants depuis des décennies. C’est à la fois limpide et écœurant. Mais on ne se contente pas de constater, puisque les dernières pages énumèrent un certain nombre de pistes pour remédier à ce creusement des inégalités au profit d’une minorité (qui plus est responsable d’autres maux, comme la pollution, le réchauffement climatique et quelques conflits). Avec une présentation intéressante de la convergence des luttes. L’action des lobbies, des institutions européennes, le fonctionnement des banques, l’hypocrisie des « décideurs » (voir « mon ennemi c’est la finance » de Hollande !), tout ceci n’est certes pas réjouissant. Et les auteurs montrent bien comment toutes les luttes tendant à remettre en cause cet ordre établi par et pour un petit nombre sont dénigrées dans les médias, et sévèrement réprimées (voir les dernières années en France, avec les Gilets jaunes en particulier). Mais il se dégage à la fin un sentiment qu’il est possible de faire changer la donne. Une lecture exigeante, mais instructive, jamais rébarbative ni sentencieuse, avec un ton léger. Bref, un documentaire à lire, pour nourrir réflexion, et éventuellement action.