Les derniers avis (112 avis)

Par Cacal69
Note: 4/5
Couverture de la série Eurydice
Eurydice

Encore un bon cru 2024. Un nectar corsé, qui tient longtemps en bouche, issus de deux cépages de qualité. Un Lou Lubie que toutes les bonnes librairies exposent en bonne place en rayonnage, et une nouvelle arrivée dans le domaine du neuvième art : Solen Guivre. Bon, je fais le mariole, mais c'est la première fois que je goûte un Lou Lubie. Elle nous propose une réécriture du mythe d'Orphée et Eurydice et pour le coup, c'est une belle réussite. La trame vertébrale est conservée, par contre quelques modifications y sont apportées et pas des moindres, comme la présence de Pygmalion, elles apportent une nouvelle dimension au mythe. Une intrigue dense et féministe où l'amour sera évidemment au centre du récit, mais des sujets de société vont s'y glisser au fil des pages : La précarité des femmes, le diktat de la beauté, l'indépendance, le droit de choisir l'être aimé et la place de l'art. Un récit mené de main de maître, une narration fluide et intelligente avec son lot de surprises. J'ai particulièrement aimé la fin (le choix d'Eurydice). Une revisite moderne de cette tragédie. Pour Solen Guivre c'est la première incursion dans le domaine de la BD, et c'est grâce à une annonce de Lou Lubie sur Instagram qu'elle a été choisi pour mettre en image cette histoire. Un dessin au très beau rendu qui convient parfaitement à ce récit mythologique, il est d'une richesse folle, aussi bien dans les décors que pour les costumes des personnages, mais aussi dans la diversité des corps et des visages. J'ai été conquis par la mise en page et par les couleurs numériques. La visite des enfers est inquiétante à souhait. De l'excellent travail. Une très agréable lecture que je recommande, forcément.

05/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Paul dans le Nord
Paul dans le Nord

Mon 2eme Paul et encore une franche réussite !! Paul a un travail d'été m’avait déjà agréablement interpellé, mais là l’auteur enfonce le clou. J’ai retrouvé avec plaisir l’univers de Michel Rabagliati, la période explorée est plus ou moins la même, à savoir son adolescence. Cette fois, la structure est légèrement différente puisqu’à la place d’une longue histoire nous aurons droit à un ensemble de saynètes/portraits/expériences qui forme petit à petit un beau tableau. Si ce n’est pour le langage, une œuvre pas bien dépaysante (on a tous été jeune) mais il y a eu clairement un truc à ma lecture. Indépendamment les histoires sont sympas mais c’est leur cohésion qui fait tout le sel. Je tire encore une fois mon chapeau à l’auteur, j’aime l’intelligence de sa narration, sa sincérité, la maîtrise de son dessin (grandement améliorée en 13 ans) et comment avec « rien » il arrive à me passionner. Ses fins d’album sont à chaque fois très réussies. Je découvre son style sur le tard mais j’en suis assez fan. Plus qu’à lire les autres :)

05/12/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5
Couverture de la série Eva
Eva

Malsain !… Sain !… Ce sont des notions subjectives !… - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première édition date de 1985. L'histoire a fait l'objet d'une prépublication dans les numéros 72 à 78 du magazine (À suivre) en 1984. Elle a été réalisée par Didier Comès (1942-2013) pour le scénario et les dessins. Elle se développe sur soixante-dix-neuf pages en noir & blanc. La réédition de 2023 par Casterman comprend une introduction de trois pages, intitulée Éva ou l'éloge de la rupture, rédigée par Thierry Bellefroid, auteur d'une monographie sur ce bédéiste. À l'étage d'une belle demeure à l'écart de tout, une belle femme, Éva est assise immobile dans sa chaise roulante, dans une belle robe noire avec un profond décolleté qui laisse voir le début de ses auréoles, des bas résille, des chaussures à talon, un beau collier, une longue boucle d'oreille à gauche. Elle observe son frère Yves silencieusement. Celui-ci est train de lire assis dans fauteuil confortable. À l'extérieur, une jeune femme approche à pied. Elle monte les quelques marches du perron et pousse la porte d'entrée : celle-ci est ouverte. Elle pénètre dans le hall, avec son grand escalier qui mène à l'étage. Elle appelle : Y a-t-il quelqu'un ? À l'étage, Éva indique à son frère qu'il s'agit d'une voix de fille et elle le traite d'imbécile, l'accusant d'avoir encore oublié de fermer la porte d'entrée. Il se lève lui disant de ne pas s'inquiéter : il va voir. Il sort de la bibliothèque et se penche par-dessus la rambarde. Voyant la silhouette de Neige, il lui demande ce qu'elle veut. Neige s'excuse, sa voiture vient de tomber en panne : pourrait-elle téléphoner à un garagiste ? Yves descend les marches et répond qu'elle ne trouvera pas de garagiste qui acceptera de se déplacer à cette heure. Il veut bien l'aider en l'hébergeant jusqu'à demain, mais il doit auparavant en référer à sa sœur jumelle. Il remonte les marches en ajoutant qu'elle vit avec lui, et elle est gravement handicapée, elle ne sait plus marcher. De retour dans la bibliothèque, Yves suppose qu'Éva a entendu. Elle lui demande si Neige lui plaît. Il répond qu'il ne l'a pas bien vue, il fait sombre dans le hall, et puis cela ne l'intéresse pas. Il ajoute qu'ils ne peuvent pas laisser cette jeune femme toute seule dans la nuit. Elle répond qu'il fasse ce qu'il veut, mais s'il arrive quelque chose, il en sera responsable. Yves redescend au rez-de-chaussée et indique à Neige que sa sœur est d'accord. Il va lui montrer sa chambre. Une fois dans la chambre, il la prévient : l'appartement d'Éva se trouve à l'autre bout du couloir, elle doit éviter d'y aller car sa sœur déteste les intrus. Son caractère s'est aigri depuis son accident, aussi vaut-il mieux respecter son besoin de solitude. Un dernier conseil : elle se déplace en chaise roulante, si Neige la rencontre, elle doit se méfier car l'attitude d'Éva est parfois bizarre. Il sort, Neige referme la porte, se déshabille et se glisse nue dans les draps, pendant qu'à l'étage Yves déshabille sa sœur puis la serre dans ses bras. L’œuvre de ce bédéiste est passé à la postérité pour Silence (1980), Belette (1983) et Éva. Dans l'introduction, Bellefroid indique que cette BD se démarque des précédentes dans la mesure où elle ne met pas en scène le milieu rural des Ardennes en particulier. L'intrigue s'avère linéaire et simple : un huis-clos dans une grande demeure dotée d'un grand terrain, entre trois individus Éva et Yves qui sont jumeaux, et Neige, une jolie jeune femme dont la voiture est tombée en panne. le récit s'ouvre avec une planche muette dont la moitié supérieure se compose de deux bandes de quatre cases chacune, une suite de gros plans partant de la roue arrière de la chaise roulante pour remonter jusqu'au visage d'Éva. Le lecteur apprécie le noir et blanc, les contrastes afférents, le sens du cadrage et du plan de prise de vue. L'étrangère entre dans la maison dès la deuxième planche, et la tension est déjà palpable du fait des remarques décalées aux sous-entendus critiques de la femme handicapée, des réponses conciliantes de son frère, et de l'indépendance qui se devine chez Neige. L'artiste se focalise sur la représentation de quelques éléments structurants par case, avec une proportion significative de cases composées d'un gros plan sur le visage de l'interlocuteur en train de s'exprimer, et une représentation à la fois simplifiée et interprétative du visage, plutôt que réaliste. Le lecteur observe ce huis-clos, pas trop étouffant : les personnages passent d'une pièce à une autre, Neige sort dans le parc dès le lendemain matin pour se promener, puis ressort avec le garagiste Monsieur Linou pour aller voir sa voiture, pour un jeu de séduction entre elle et Yves, dans des pages et des cases plus aérées, ou les zones blanches prédominent sur les noires. Pour autant, le lecteur ressent bien la sensation d'oppression de ce genre de récit. La superbe couverture de l'édition de 2023 met en avant la chaise roulante, les bas résille, le vernis des chaussures, tout en dissimulant le visage d'Éva. Les huit cases de la moitié supérieure de la première page s'attardent sur des détails en gros plan, d'un côté comme une forme de fétichisme, de l'autre laissant la charge au lecteur de se faire une image complète en prenant du recul. Neige perçoit la forme de la demeure en ombre chinoise de nuit, avec une contre-plongée qui la rend très imposante. Les aplats de noir occupent une surface plus importante que les blancs dans la majorité des cases, soit avec des zones franches, soit avec des contours biscornus, introduisant une sensation à la fois pesante, à la fois déstabilisante en fonction des contours plutôt ronds ou plutôt anguleux. En effet en tant directeur de la photographie, l'artiste pousse la composition des cases parfois jusqu'à occulter les éléments de décors en arrière-plan au profit d'aplats de noir géométriques, venant encadrer les personnes, ou occupant tout le fond de case pour une tête ressortant alors avec un effet sinistre, ou partageant le fond en deux zones la silhouette ou le visage des personnages étant alors comme présent pour partie dans l'obscurité pour partie dans la lumière. En fonction de la séquence, du moment, l'artiste ajuste son niveau de représentation entre de nombreux détails ou une approche minimaliste. Par exemple lorsqu'Yves ouvre la porte de la chambre de Neige, le lecteur peut voir le lit, la fenêtre, un fauteuil, une commode avec un vase, deux tableaux, la lampe de chevet avec son abat-jour, une plante verte, tout ça dans une seule case. Lorsqu'elle ouvre la porte de la cuisine, il peut voir Yves debout avec la cafetière à la main, le carrelage sur le mur du plan de travail, les placards au mur, la cuisinière, des ustensiles de cuisine accrochés au mur, une corbeille de fruits, des pots, la table, des chaises, des verres, le beurrier, etc., tout ça également dans une seule case. Par opposition, quand Yves fait visiter son atelier à Neige, la première bande de quatre cases appartient au registre conceptuel, presqu'abstrait, avec uniquement des rectangles noirs, et des contours blancs. Durant cette séquence de huit pages, l'arrière-plan de chaque case ne comprend aucun élément représenté ou dessiné, uniquement des jeux de formes noires en rectangles, en trapèze, et de compléments en blancs. Cette mise en scène a pour effet de focaliser le regard du lecteur sur les visages, et de le faire s'interroger sur ce contient cet atelier, sur ce qu'il peut recéler, peut-être de dangereux. En tout cas, c'est préoccupant, voire inquiétant. Le dispositif narratif s'avère simple : un homme, deux femmes, une tension palpable, pour partie sexuelle. La situation d'Éva peut évoquer celle de l'handicapé qui dépend d'un proche, en l'occurrence son frère, pour les gestes de tous les jours, limité en mobilité et ayant développé une capacité d'observation importante. Il peut aussi faire penser à Fenêtre sur cour (1963) d'Alfred Hitchcock (1899-1980), ou encore à Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? (1962, What Ever Happened to Baby Jane?) de Robert Aldrich (1918-1983), avec Bette Davis (1908-1989) & Joan Crawford (1904-1977). En fonction de sa culture, le lecteur peut également identifier le visage caractéristique de Klaus Nomi (1944-1983), Marlene Dietrich (1901-1992) dans L'ange bleu (1930), de Josef von Sternberg (1894-1969). À un moment, Neige regarde la télévision et elle reconnaît Harpie (1979), court métrage réalisé par Raoul Servais (1928-2023). Une case utilise la vue depuis l'intérieur du canon d'un pistolet, typique du générique des films de James Bond. Comme l'écrit le préfacier : Il n'est pas nécessaire de connaître ces références pour apprécier la lecture. Il continue : Comès narre son récit à l'aide d'une grammaire très cinématographique, ce qui lui permet de rendre au cinéma tout ce que celui-ci lui a donné. Selon sa sensibilité, le lecteur peut anticiper une partie des révélations du récit, l'auteur donnant assez d'indices pour comprendre ce qui se joue réellement entre Éva et Yves, ainsi que le déséquilibre introduit par Neige dans leur relation. Il relève la fluctuation des rapports de force, qui domine la situation quand, et il apprécie que Neige dispose d'un solide caractère qui évite qu'elle n'endosse le rôle de victime sans défense. Il comprend que les compétences d'Yves en matière d'automates servent l'intrigue, et il ressent qu'elles introduisent aussi une métaphore sur son rapport aux êtres humains, ainsi que sur les relations entre individus, certains en manipulant d'autres. En plus des thèmes cités dans l'introduction (gémellité, bisexualité, identité sexuelle, érotisme), les interactions saines ou malsaines (des notions subjectives comme le fait remarquer Yves à Neige) entre ces trois personnes jouent sur le déni de réalité, sur le désir de possession et de contrôle de l'autre, sur l'emprise. Une jeune femme forcée par une panne de voiture, de passer la nuit sous le toit de jumeaux, dont une personne à mobilité réduite en fauteuil roulant. Une narration visuelle sophistiquée, avec des plans de prise de vue et de cadrages savamment composés, mettant à profit des classiques du cinéma. Une tension engendrée par un suspense psychologique. Une intrigue vénéneuse qui n'a rien perdu de sa toxicité.

05/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Dieu qui pue, Dieu qui pète
Dieu qui pue, Dieu qui pète

Passons sur ce titre provocateur et racoleur qui ne ressemble ni à l'esprit de la série ni à la maison Milan. L'histoire qui lui correspond est en outre bien drôle mais un tel titre ne serait probablement pas accepté dans la majorité des pays africains. Pour le reste Vehlmann et Duchazeau proposent quelques histoires courtes de 4 planches bien dans l'esprit du continent. C'est tonique et diversifié alternant l'humour, la sagesse ou la poésie. Le vocabulaire et l'humour qu'utilisent Vehlmann a une musique très européenne ce qui nuit à la l'authenticité mais ouvre à un plus large public. Le graphisme très moderne de Duchazeau s'adresse plus à un public adulte à mon avis. Cela produit une narration visuelle très dynamique et bien élaborée assez formatrice pour un public assez jeune. Enfin , je veux souligner une mise en couleur très réussie qui apporte beaucoup à l'ambiance de ces contes. Une lecture sympathique accessible à un large public.

04/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Les Vies de Charlie
Les Vies de Charlie

Oh, c'est dommage, j'aurais sincèrement voulu aimer davantage ce récit. C'est du très bon, hein, pas de panique, mais c'est typiquement le genre de récit que j'adore et je me retrouve donc déçue de ne trouver qu'un résultat très bon alors que cela aurait pu être excellent. L'histoire est celle de Charlie employé modèle au sein d'une gigantesque entreprise chargée de "recycler les morts". Tout va pour le mieux dans sa vie jusqu'au jours ou un enfant l'appel pour savoir ce qu'il était advenu de l'âme de sa mère. Ne sachant quoi lui répondre, Charlie va partir en quête de réponse sur ce qu'il advient des âmes après la mort. Ce n'est pas forcément nouveau, mais j'ai beaucoup apprécié ce contraste entre l'univers très carré et froid d'une entreprise et les questionnements spirituels et plus joyeux autour de la question de l'âme. L'œuvre, comme beaucoup d'œuvres traitant le sujet de la mort, parle en réalité beaucoup de la vie et de ce qui en fait le sel. Les choix visuel de représenter le monde des vivants en noir et blanc et celui des morts et des âmes par des couleurs vives (et presque chaleureuses) n'est, là encore, pas nouveau mais très bon. Les dessins de Guarino sont très jolis, d'ailleurs. Vraiment, ignorez volontiers mon petit ronchonnement de début d'avis, j'ai vraiment bien aimé cet album, j'ai simplement été déçue sur la forme et le changement de ton de la résolution qui aurait pu être étoffée. Cela reste une œuvre très sympathique. (Note réelle 3,5)

04/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Black Dog - Les Rêves de Paul Nash
Black Dog - Les Rêves de Paul Nash

Comme Alix je n’ai pas forcément tout saisi. Mais avec ce genre d’œuvre j’accepte aisément de laisser des questions sans réponse. Ne pas comprendre n’empêche en effet pas d’être « pris » par une œuvre, qu’elle nous transporte – jusqu’où ? Inspiré de la personne et des œuvres de Paul Nash, cet album permet surtout à McKean de laisser libre cours à son imagination. On est ici embarqué dans un univers très poétique (textes et images), auquel j’ai été sensible. Il faut dire que le travail de McKean est ici mis en valeur par un format très très grand. Cela permet d’apprécier toutes les techniques qu’il utilise. En effet, on a droit à des dessins – avec des styles différents, une colorisation très changeante aussi –, de la peinture, des collages, le tout se mariant très bien. Surréalisme, expressionnisme et cubisme se succèdent, et donnent une vision de la guerre où parfois seule la folie permet de sortir de l’horreur quotidienne. Un album parfois plus livre illustré que BD, que j’ai davantage regardé que lu. Mais c’est une agréable découverte. Note réelle 3,5/5.

04/12/2024 (modifier)
Par grogro
Note: 4/5
Couverture de la série Alan Turing
Alan Turing

Malgré cette couverture assez quelconque, difficile de ne pas ouvrir cette BD. Turing est une légende, et il y a deux ans, il se trouve que j'étais à Manchester, devant le monument célébrant sa mémoire. Bien m'en a pris puisque j'ai été enthousiasmé par le dessin d'Aleksi Cavaillez. Si ses lignes noires ne font pas dans l'épat', qu'est-ce que c'est soigné ! Réduit à la simple expression d'un trait crayeux, il donne une assise forte à cette histoire, et à un personnage qui ne l'est pas moins. On pourra toujours ergoter sur les visages tous assez peu dissemblables (ce n'est cependant pas très gênant au cours de la lecture), mais Cavaillez a de l'or dans les doigts, c'est indéniable. Au passage, je réalise que c'est lui qui avait déjà illustré la BD sur Célestin Freinet que je m'étais promis de lire (sans en avoir eu l'opportunité jusqu'à présent - un truc de plus à mettre sur la To Do List). Bref ! Pour le reste, même si j'émettrais quelques réserves sur le scénario, c'est une bonne BD qui se lit d'une traite (même si parfois on s'attarde un peu trop dans l'anecdotique). Je m'attendais néanmoins à quelque chose de moins poétique. Notez que je n'ai absolument rien contre la poésie, bien au contraire, mais connaissant un peu l'homme (Alan Turing) et son œuvre, j'aurais aimé quelque chose de plus historique, et de plus scientifique. Or, les scénaristes passent relativement brièvement sur son invention (la fameuse machine qui a permis le décryptage d'Enigma) et le titre de sauveur du monde qu'il est en droit de recevoir. En tout, c'est à peine une trentaine de pages sur 250 que comporte cette BD qui lui est consacrée. Cela aurait à mon sens mérité qu'on y consacrât d'avantage de temps, car sans lui encore une fois, l'Europe serait probablement tombée aux mains des nazis, et ce n'est pas moi qui le dis. (au passage, le film Imitation Game s'étend quant à lui un peu trop sur l'aspect technique et néglige certains éléments biographiques qui auraient pour le coup mérités d'être mis en perspective. Rhooooo, il est jamais content celui-là, hein ?) Turing était gay, et il a à ce titre été traité comme un chien et ne reçut pour toute reconnaissance de son travail qu'un traitement médical immonde censé le détourner de ses penchants "contre nature", et il était difficile de passer toute cette affaire sous silence. Au contraire, il était nécessaire de le faire. Mais je trouve dommage de réduire le personnage à une "simple" histoire de sexualité qui aurait tout aussi bien pu être celle d'un quidam lambda. Son homosexualité prend un peu trop de place. Non pas que ça me pose problème, loin de là, mais cela relève à mon sens de la sphère intime, et j'aurais probablement écrit exactement la même chose s'il se fut agit de sexualité hétérosexuelle (purée ! je ne sais pas ce que j'ai avec la concordance des temps aujourd'hui !). Par exemple, j'ai adoré Anora, le dernier film de Sean Baker, mais les scènes de cul du début prennent beaucoup trop de place, et il s'agit bien là d'hétérosexualité... Bref ! Nulle homophobie de ma part, mais faut être un peu prudent en ce moment avec ce sujet. Revenons à nos moutons : Turing est tout sauf un quidam lambda, il est encore une fois THE sauveur du monde, en même temps que le père de l'informatique ! Et puis pas un mot non plus (ou alors cela m'a échappé) sur son affection pour Blanche Neige et la fameuse pomme... Mais à part ça, il y a de bonnes choses, voire de très bonnes choses, telles les dernières pages où on voit notre homme sombrer dans les hallucinations sans aucun doute dues à la "thérapie de conversion" que le tribunal lui a infligée. Ce Alan Turing est une excellente alternative à une biographie écrite en offrant à la fois un panorama assez complet de qui il fut, mais également de quoi se rincer l'œil graphiquement parlant.

04/12/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Borges - Le Labyrinthe de l'infini
Borges - Le Labyrinthe de l'infini

Comment imaginait-il son rédempteur ? - Ce tome contient une évocation biographique de l’écrivain Jorge Luis Borges (1899-1986). L’édition originale en langue espagnole date de 2017 en Colombie. Il a été réalisé par Õscar Pantoja pour le scénario, par Nicolás Castell pour les dessins et les couleurs. La traduction a été effectuée par Benjamine des Courtils, et l’adaptation française par Emmanuel Proust. Il compte cent-trente-cinq pages. 1926, la maison de la rue Tronador : Anglaise, innombrable et un ange. Jorge Luis Borges et sa petite sœur Norah Lange arrivent à pied de nuit vers une grande demeure. Elle fait observer que les lumières sont éteintes, il en déduit qu’ils sont sûrement sortis. Elle propose de passer par la porte de derrière. La porte du sous-sol est béante : ils y descendent, bien que Jorge ait des problèmes de vue. Ils remontent à l’intérieur par l’escalier. Il n’y a personne, Norah se demande ce qu’elle va pouvoir se mettre. Elle rétorque à son frère que c’est la réception la plus élégante du mois, elle doit porter quelque chose de spécial. Il ne l’écoute que distraitement, il admire la maison, elle est devenue son refuge. Elle va se préparer et elle choisit une belle robe de soirée verte. Pendant ce temps-là, il observe les livres dans la bibliothèque, puis il prend une photographie de de sa sœur dans un cadre, posée sur une étagère. Elle revient dans la pièce, magnifique dans sa tenue de soirée. Elle lui demande comment il la trouve, il répond qu’elle est un ange. Il lui propose d’aller à pied à la soirée. Il aime bien se promener dans Buenos Aires, ses rues ressemblent à de vieux patios, mais c’est elle qui l’inspire. Il pense que tout écrivain a une muse, un univers dont il s’inspire. Elle rétorque que ce n’est pas elle, elle écrit aussi, et elle ne veut inspirer personne. Ils reprennent leur marche. Jorge et Norah arrivent à l’adresse où se tient la soirée. Ils rentrent dans la demeure. Dans la grande salle, le poète Girondo se tient debout devant l’assemblée attablée et il fanfaronne : La littérature est un prétexte ! Une imposture ! Ce qui compte, c’est vivre, jouir, bomber le torse. Il continue : il est un ivrogne, et aussi un génie, mais un génie avant tout. Norah demande à son frère de lui présenter le poète, ce qu’il fait. Elle est sous le charme. Après quelques verres et de la musique, Girondo et Norah sortent et prennent la voiture du poète. Jorge les voit partir et il reste en arrière. 1900, la bibliothèque du père. Le tout jeune Jorge est sur les genoux de sa mère, qui tient un livre. Son père indique à Jorge que voilà où est sa place dans cette maison, il sera écrivain, dans le meilleur des cas ils le seront tous les deux. Quelques années plus tard, le jeune Jorge va prendre un tome dans la bibliothèque : Les Aventures de Huckleberry Finn, de Mark Twain. Il lit le livre posé sur une table, avec à côté une assiette de gâteaux et une boisson chaude. Sa petite sœur vient lui demander ce qu’il est en train de faire. Il répond qu’il veut traduire un conte, l’histoire d’un prince et d’une hirondelle, écrit par Oscar Wilde. Elle aime bien cet auteur. Un peu plus tard, elle revient lui demander d’arrêter de lire, pour aller jouer avec Quilos et Moulin-à-vent, leurs deux amis imaginaires. Découvrir un écrivain par une bande dessinée biographique : une proposition aguichante, surtout si les auteurs s’aventurent un peu au-delà d’un déroulé chronologique factuel, et mettent en lumière le lien entre la vie et l’œuvre de l’auteur. Les titres des dix chapitres montrent en effet une chronologie légèrement réarrangée : 1926 La maison de la rue Tronador, 1900 La bibliothèque du père, 1954 Un coucher de soleil singulier, 1927 La blessure infinie, 1934 L’hôtel à Adrogué, 1934 Le rêve, 1939 La divine comédie, 1944 L’univers infini, 1960 Les grands-mères, 1960 La bibliothèque. Les auteurs font en sorte que Jorge Luis Borges soit immédiatement identifiable du début à la fin, quel que soit son âge. D’un autre côté, le lecteur ressent rapidement que la narration s’appuie sur une connaissance préalable de l’écrivain. Les auteurs n’évoquent pas son œuvre, ni par ses titres d’ouvrage, ni par leurs thèmes. Il vaut mieux disposer d’une connaissance superficielle de son recueil Fictions (1944, et des nouvelles Tlön Uqbar Orbis Tertius, Les ruines circulaires, La Bibliothèque de Babel), et le recueil L’Aleph (1967, en particulier les nouvelles La demeure d’Asterion, L’Aleph), pour saisir certains passages comme celui sur le Minotaure, l’obsession pour les bibliothèques, ou encore le concept de possibilités infinies. Pour autant, le lecteur ne se sent pas trop intimidé pour débuter sa lecture. Les auteurs ont choisi de mettre en exergue une citation très explicite sur leur approche de la vie de l’auteur, en s’appuyant sur ses propres mots : En définitive, toute littérature est autobiographique, tout est poétique lorsqu’il est question de destin et qu’il se laisse entrevoir. D’un certain point de vue, ils montrent des moments clé de la vie de Jorge Luis Borges : sa relation possessive avec sa sœur Norah et l’abandon qu’il ressent quand elle vit sa vie à elle. Les différentes bibliothèques qui ont laissé une marque indélébile dans son esprit, influençant son imaginaire à jamais, à commencer par celle de son père. La liberté de son imagination en inventant deux amis imaginaires avec sa sœur, et en inventant des aventures avec eux. Les vacances familiales dans la pampa. Le jouet Kaléidoscope. La cécité qui s’installe progressivement. En revanche, il faut être familier de sa biographie pour reconnaître une bibliothèque municipale quand il y travaille en 1938, puis la bibliothèque nationale quand il en devient le directeur en 1955. Toujours de ce premier point de vue, la narration visuelle facilite l’accès au récit. L’artiste réalise des dessins descriptifs et réalistes. Il utilise un trait de contour assez fin, et assuré pour détourer chaque forme. Il s’investit dans la représentation des environnements pour leur donner une réelle consistance : les différentes habitations, aussi bien vues de l’extérieur que les pièces en intérieur. Le lecteur regarde aussi bien cette grande maison avec un étage que l’ameublement de son salon, une vue du ciel du quartier de Buenos Aires traversé à pied que la décoration de la grande salle ou se tient la réception donnée en l’honneur de Girondo, les automobiles garées dans la rue, le tigre dans sa cage, une grande gare avec une ligne de tramway devant, le paysage ouvert et désertique de la pampa, les quais bondés d’une gare, une armurerie où Borges va acheter un revolver, l’intérieur d’une voiture de tramway, l’immense salle de lecture de la bibliothèque nationale, etc. Les personnes sont également représentées de manière réaliste, sans exagération anatomiques, si ce n’est des silhouettes parfois un peu allongées. La mise en couleurs montre un monde un peu terne, ou plutôt un peu assombri, à l’exception de belles journées ensoleillées comme à la campagne pour les vacances, ou en pleine rue. D’un autre point de vue, le récit de cette vie porte la marque des thèmes principaux de l’écrivain, y compris des éléments fantastiques. Le mode de représentation du dessinateur se prête très bien à ces éléments : l’imagination des enfants alors qu’ils accompagnent leurs deux amis imaginaires, la révélation de la nuée infinie des anges alors que Jorges s’apprête à se suicider, le cadavre du Minotaure dans son labyrinthe, la découverte de la cité des immortels et d’Argos, l’apparition de Norah en plein désert, la vision de l’Aleph, la perception de l’immensité de l’univers par Jorge Luis encore enfant. Ainsi les auteurs réussissent à faire apparaître le lien organique entre la vie de l’auteur et son œuvre, la nature autobiographique de celle-ci. D’une certaine manière, ils mettent en lumière quelques-unes de ses sources d’inspiration, illustrant le fait que personne ne crée à partir de rien, tout en faisant également ressortir le caractère unique de ce que l’écrivain a fait de ces matériaux. D’une autre manière, il est possible de considérer que les auteurs sont partis à rebours : en ayant connaissance de l’œuvre de Jorge Luis Borges, ils interprètent les éléments biographiques connus pour leur faire porter un sens prédéterminé. Par ce truchement, ils font ressortir les circonstances de la vie qui leur semblent avoir le plus de poids sur l’individu qu’est Borges. Cela amène le lecteur à considérer ces circonstances à s’interroger sur leurs conséquences, sur l’impact qu’elles auraient pu avoir sur sa propre vie. Le lien très fort qui unit Jorge Luis à sa petite sœur, jusqu’à la voir comme sa muse, et à devenir possessif. La valeur que son père donne aux livres au travers de la taille imposante des meubles de sa bibliothèque aux étagères chargées de livres, empreinte psychique et émotionnelle renforcée par les propos de sa mère. La perception que la vie ne tient qu’à des détails, qu’elle pourrait être différente, partir dans de nombreuses autres directions si les circonstances étaient différentes. Dans le même temps, cela implique que le déroulement de la vie vécue écarte toutes ces autres potentialités, qu’il convient de découvrir ce cheminement unique comme au travers d’un labyrinthe. Les auteurs parviennent même à faire ressentir le trouble généré par la répétition des caractères MCV : chaque lettre pouvait influencer la suivante, et la valeur de MCV sur la troisième ligne de la page 23 n’était pas la même que si elle se trouvait sur la première ligne de la page 71… Pour évoquer la vie de Jorge Luis Borges, les auteurs prennent le parti de partir des éléments contenus dans son œuvre, pour interpréter sa biographie à travers ses thèmes de prédilection. S’il n’est pas familier de l’œuvre de l’écrivain, le lecteur pourra rester dubitatif devant des scènes dont certains éléments semblent parachutés, avec une narration visuelle parfois planplan. S’il connaît quelques-uns des thèmes de l’écrivain, le lecteur ressent immédiatement une familiarité avec cet éclairage qui fait sens, et la cohérence de la narration visuelle lui apparaît, tout à fait adaptée pour mettre sur le même plan les faits concrets et la vie intérieure de l’écrivain.

04/12/2024 (modifier)
Par Alex_WT
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Sombre Sel
Sombre Sel

En tant que scénariste de cette BD, je conseille cet ouvrage aux adeptes d'histoires d'aventure avec une pointe de fantastique. Le personnage principal est Eryn, une jeune femme à la recherche de son frère disparu. L'intrigue est sous forme d'enquête, où vous accompagnerez Eryn dans son périple à travers un mystérieux village et son inquiétante mine de sel. C'est en explorant les profondeurs de cette mine qu'Eryn découvrira l'étrange minerais de Sombre Sel ! Cette BD a été développée sur le thème des ombres qui existent tout autour de nous. Que ce soient les ombres imaginaires, celles tapies dans les recoins les plus obscurs, ou encore les ombres enfouies en chacun de nous… Ce qui nous nuit le plus est parfois en nous-même, et le plus effrayant est souvent ce que l'on ne peut voir... Le récit de la BD permet d’explorer différentes facettes de ce thème grâce au mystère qui plane autour du Sombre Sel... Les planches sont réalisées par Nicolas en technique traditionnelle, c'est-à-dire que tout est fait sur papier, avec les dessins au crayon et la couleur à l'aquarelle. Le premier tiers des planches de la BD est en couleurs, et le reste est en noir et blanc (toujours à l'aquarelle). C'est un choix graphique pour mettre en valeur certains aspects de la narration de la BD. Bonne lecture ! Alexandre

04/12/2024 (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5
Couverture de la série Par la force des arbres
Par la force des arbres

Voila une histoire originale, je dois bien dire ! Sur un récit autobiographique, la BD est une petite bouffée de paix, de sérénité qui invite à arrêter la course contre le temps et de se poser, attendre et observer. Vivre, surtout. L'histoire semble classique de prime abord : un paysan ruiné par un système agricole dont la stupidité au dernier degré semble toujours aller plus loin, qui se retrouve tout à coup face à lui-même et proche du suicide, et qui décide de monter dans un arbre plutôt que se descendre. Et pourtant, la BD est plus proche d'un récit comme L'Oasis qui propose justement de s'arrêter, regarder les merveilles de la nature qui nous entourent et se poser des questions sur notre mode de vie. Le récit est donc lent, puisque l'action est inexistante et consiste surtout à observer tout comme lui ce qui l'entoure, avec des petits retours-arrière sur son parcours de vie. Le dessin contribue à cette lenteur contemplative, avec force de représentations arboricole et botanique. C'est le genre de BD qu'il faut lire lorsqu'on aime l'introspection, le temps qui s'écoule lentement et l'observation minutieuse de ce qui nous entoure. J'ai beaucoup aimé ce récit, qui raconte comment un homme, juste avant le confinement, à senti le besoin de se couper des hommes et repenser sa vie. Je comprends tout à fait cet homme, ses doutes et ses questions (même si nos vies sont très différentes). C'est une BD qui incite à lever le pied dans sa vie, a se rendre compte de notre impact sur la nature qui nous environne et surtout à repenser notre mode de vie. Le genre de BD dont la lecture fait du bien, que je ne peux que vous recommander.

03/12/2024 (modifier)