Rencontre aux sommets entre deux éminents artistes du Neuvième art, Alain Ayroles génial scénariste qui accumule les succès critiques et publics (Garulfo, De Cape et de Crocs, etc...) et Hervé Tanquerelle dessinateur classique aux style et traits facilement identifiables, le monsieur possède d'ailleurs lui aussi une bibliographie bien fournie et jalonnée de multiples pépites (Racontars Arctiques, Le Dernier Atlas).
Tout comme pour Les Indes fourbes, avec la formation d'un tel duo, les auteurs se savent attendus, le récit est ambitieux et s'étale sur plus de 250 pages. A trop vouloir en faire, en mettre, va-t-on sombrer dans la grandiloquence et le pompeux? Alors, quid du résultat ? Eh bien, autant le dire d'entrée, et vous l'aurez vu à ma note plus haut, l'éléphant a accouché d'une ......baleine…..Et à bosse* qui plus est! (*clin d'oeil au personnage principal!)
Véritable pièce de théâtre décliné en Bande Dessinée, "Shakespearienne" dans l'âme, cette tragédie haletante et sans fausses notes comble les attentes et rempli les attendus d'un tel exercice.
Proposant donc une structure théâtrale, un découpage en cinq actes et multiples scènes, le séquençage qui en découle est de ce fait ultra rythmée et sans réel temps mort, on lit (avale) le livre avec gourmandise. D'autres codes sont emprunter avec réussite tel l'apparté quand le personnage principal Richard s'addresse directement aux lecteurs.
Cette grande fresque nous conte l'histoire d'un personnage comme je les aime: Ambigus, retors, antipathique mais également parfois touchant et attachant, particulièrement révélé à travers ses multiples faiblesses dont la principale et plus évidente, son handicap physique.
En parfait contrepoint d'un personnage aussi complexe et charismatique, le récit, d'une grande richesse, fourmille de formidables personnages secondaires très travaillés et tout aussi intéressants et subtils.
L'écriture d'Ayroles, aussi bien dans le descriptif que dans les dialogues est de concert avec l'ambition et le propos, finement ciselé, parfaite. Le verbe, tout en équilibre et justesse, sonne fort et beau.
Le scénario et l'écriture qui va avec à eux seuls auraient suffît à en faire une très grande BD mais ils sont soutenus par un dessin très détaillé, sublime et admirable tout au long des 250 pages sans signe d'essoufflement qui la transforme derechef en immense BD. Le trait de Tanquerelle est je trouve d'ailleurs, tout en gardant sa griffe, plus grand public que précédemment, me rappelant par moment Matthieu Bonhomme.
Même pas besoin de mentionner que c'est un gigantesque coup de coeur. Ce sera difficile de faire mieux en 2025, la barre est placée très (trop!) haut.
Lu dans sa version Noir Et Blanc, hâtez vous de vous la procurez s'il en reste en magasin, sinon, faites comme moi et ruez vous sur la version couleur disponible début Avril (Du peu entrevue des pages disponibles sur le net, le travail de colorisation semble remarquable!).
Paul le Poulpe voit l'avenir, vous ne le regretterez pas (et paf, le prochain posteur mettra une étoile!).
A peine sortie et déjà UN CLASSIQUE.
Je viens de refermer l'album et je me suis régalé.
C'est certainement classique dans le genre, " On a déjà vu ça mille fois " diront sans doute des lecteurs ès science-fiction, mais que c'est bien fait !
Le dessin, très détaillé, est superbe (le souci de l'esthétisme et celui de la vraisemblance sont visibles jusque dans les tenues des personnages), on en prend plein les yeux : appartements futuristes, ruelles à l'atmosphère palpable, paysages immenses et personnages bien typés, charismatiques (je vous conseille de prendre connaissance du trombinoscope avant de vous lancer). A cela s'ajoutent de bons dialogues dans l'ensemble, des vaisseaux crédibles et qui ont de l'allure, alors attachez votre ceinture et c'est parti, dépaysement garanti !
Plusieurs quêtes se mêlent, on passe d'un lieu à l'autre, mais l'ensemble demeure fluide et prenant et on apprécie l'intrigue bien ficelée.
C'est pour l'instant un très bon tome d'introduction, l'histoire avance doucement, mais les personnages et les enjeux sont exposés clairement. Alors oui, il y a peut-être un passage notamment qui sent la testostérone, mais je ne me suis pas ennuyé une seconde.
Hâte de découvrir le prochain tome !
Autant le dire dès le début mais si vous cherchez une BD pour vous distraire et vous remonter le moral, passez directement votre chemin. Cette œuvre est froide, âpre, dure et sans espoir.
Cette nouvelle adaptation d'un roman par Larcenet est une nouvelle fois une réussite, après l'excellent Le Rapport de Brodeck qui m'avait également emballé (peut-être un poil plus d'ailleurs). Pourtant, au contraire de cette dernière œuvre, il semblait beaucoup plus difficile d'adapter le livre de Mc Carthy tant les émotions passent essentiellement par les silences entre un père et son fils et les descriptions de ce monde désolé. Cette BD est d'autant plus réussie que Larcenet arrive à s'approprier l'ouvrage initial tout en restant fidèle à l'histoire. A cet effet, la fin très ouverte qui rejoint à quelques détails près celle du film, reste pour moi la meilleure manière de finir cette histoire.
Ainsi, Larcenet arrive de très belle manière, par le dessin essentiellement, à transcrire cette amour entre un père et son fils dans un monde post-apocalyptique et déshumanisé ne laissant plus beaucoup de place à l'espoir. Les "alors d'accord" concluant chaque réponse du père aux questions parfois naïves mais toujours touchantes de son fils agissent comme autant de pincements au cœur du lecteur. Le sujet du suicide est également traité amenant chacun à se questionner sur ce qu'il ferait à pareille place.
Mais c'est bien par le dessin que cette œuvre de Larcenet mérite à mon sens la note ultime. Tout comme dans "Le rapport Bordeck", le trait est fin et soigné et le monde fourmille de détails. Les corps sont décharnés et les visages presque morts. Les teintes de gris nuancées parfois de rouge, de jaune, de mauve et d'ocre sont vraiment du plus bel effet et transcrivent de très belle manière le côté poussiéreux de cette Terre dévorée par les flammes et suffoquant de ses cendres.
Une œuvre magnifique qui a su me toucher. Le cœur me dit donc de réhausser ma note à 5/5.
SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 8,5/10
GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 9/10
NOTE GLOBALE : 17,5/20
Énorme coup de cœur pour La plus belle couleur du monde de Golo Zhao. Dès les premières pages, j’ai été happé par l’atmosphère délicate et intimiste de ce manhua, qui nous plonge dans le quotidien d’un jeune collégien chinois des années 90.
Nous suivons Rucheng, un adolescent passionné de dessin qui rêve d’intégrer les Beaux-Arts. Talentueux mais en quête de cette étincelle qui le fera progresser, il partage ses journées entre ses amis, ses cours de dessin du week-end et son amour naissant pour Yun, une camarade aussi douée que mystérieuse. Mais Yun est également proche de Wen Jun, le beau gosse issu d’une famille aisée, ce qui attise la jalousie et les rivalités. À cela s’ajoutent les préoccupations typiques de l’adolescence : les jeux de cartes à collectionner, les petites mesquineries, les rumeurs et même une affaire de racket qui, d’abord anodine, prend une tournure plus sérieuse…
Ce qui frappe avant tout, c’est la justesse du récit. Ici, pas d’esbroufe ni de rebondissements spectaculaires, mais une tranche de vie où chaque émotion sonne vrai. Les doutes, les questionnements, les élans de tendresse et les maladresses de l’adolescence sont retranscrits avec une finesse remarquable. L’écriture est douce, presque contemplative, et nous laisse savourer chaque instant aux côtés des personnages qui gagnent en profondeur au fil des pages.
Graphiquement, La plus belle couleur du monde est une merveille. Les illustrations à l’aquarelle sont sublimes, jouant avec les nuances et la lumière pour magnifier les ambiances et les émotions. Entre les chapitres, de superbes illustrations pleine page viennent renforcer cette impression de poésie visuelle. Chaque couleur semble avoir une signification, donnant à l’ensemble une touche encore plus immersive.
Avec ses 584 pages, cet album est une lecture à savourer chez soi, en prenant le temps d’apprécier chaque détail. Un récit ample et maîtrisé qui capture avec brio les tourments et les émerveillements de l’adolescence. Que vous soyez adolescent ou adulte, cette œuvre vous touchera en plein cœur.
Je suis sortie époustouflée de cet album. Et j'ai encore du mal à me l'expliquer !
C'est une histoire du quotidien : deux sœurs qui galèrent dans la vie de tous les jours... Deux personnages que l'on a déjà croisés, leurs conversations, leurs raisonnements sur la vie, leur humour... L'une mère solo et l'autre qui n'a pas encore trouvé sa place. Zigzagant entre parking de supermarché et plage, leur vie ensoleillée et engluée dans les difficultés économiques nous touche profondément.
Deux raisons à cela :
1. Les dialogues : tout proche du documentaire, mais sans jamais un mot de trop : une gestion des silences qui a quelque chose de cinématographique, on est dedans, c'est un miroir de nos vies ! Le flot des paroles se prolonge dans le flux de leurs pensées. Et le fait que l'auteur se soit inspiré de ses propres sœurs joue surement un rôle dans cet effet de véracité , il reconstitue les justifications qu'elles donnent à leurs choix à partir de ses souvenirs.
2. L'image : une aquarelle de banlieue qui frappe par sa couleur très bien observée et un contraste inattendu entre le flou général et la précision hyper-emouvante des visages. Jamais vu ça ! Si vous avez vu Journal Intime de Nani Moretti, où on suit une Vespa dans les rues de Rome, vous avez une idée de l'impression : tout Rome qui défile sans qu'on puisse faire la mise au point et la nuque du personnage qui reste nette. En film , ça fait mal à la tête, en BD ça nous jette dans un mouvement fictif.
Bref, je vous conseille vraiment cette expérience de lecture, tout-à-fait inédite pour ma part, qui ouvre le cœur et laisse une nostalgie étrange.
Bordesoules...Je retiendrai ce nom.
Pouah pouah pouah mais quelle BD. Un vrai coup de cœur !!
J’en ai lu des chouettes trucs de 2024 mais pour l’instant cet album sort clairement du lot. Il semble être malheureusement passé un peu inaperçu mais si je n’avais qu’un mot à dire, c’est : Foncez !
C’est une œuvre qui vous surprendra et vous charmera. Une petite pépite venue d’Égypte.
C’est rempli de spontanéité, de fraîcheur, d’émotions, d’intelligence, de trouvailles, de surprises … une lecture tout simplement excellente et magnifique. Je l’ai lu en 3 soirées et en espérant que ça ne s’arrête jamais.
Je vous renvoie au bien bel avis de Spooky pour en connaître davantage (que je remercie pour la découverte). Je passe juste pour vous encourager à tomber dessus le plus rapidement possible (pourquoi pas pour le prix bdtheque ? ;) ça serait mérité.
J’en suis sorti franchement bluffé, une autrice à suivre et de grands talents. Bravo à elle !!
J’ai adoré son univers et le soin apporté : c’est ponctué d’articles, chiffres dans la veine de doggybags ; il y a une belle variété dans le trait et couleurs (ne vous arrêtez pas à la galerie ou couverture) ; le message transmis est superbe, l’usage du conte judicieux, les personnages magnifiques …
Bon vous l’aurez compris je suis plus qu’enthousiaste, il s’en dégage une magie indéniable, je n’ai rien à redire. Plus qu’une bouffée d’air frais, une véritable bouteille d’oxygène.
Merci Mme Mohamed.
Très très bel album.
Avec comme cadre temporel la crise sanitaire du Covid, Jose Antonio Pérez Ledo nous conte l'histoire d'Omar, un jeune réfugié originaire du Maroc, qui es mis à la porte du foyer où il était hébergé le jour de ses 18ans. Il galère quelques temps, avant de trouver une activité, puis un abri providentiel, jusqu'au jour où Vicente, son bienfaiteur, fait un malaise dû au coronavirus...
deux mondes, deux modes de vie se rencontrent, avec carol qui elle choisit de s'isoler, et évite de rendre visite à son père pendant cette période si particulière... Tout en délicatesse, le scénariste nous fait d'abord suivre Carol, puis Omar, une fois qu'ils se sont rencontrés. C'est très finement amené, il y a de nombreuses plages de silence qui nous permettent de saisir la sidération, l'émerveillement ou juste la compassion dans les regards et les attitudes d'Omar, de Carole et de son père. Le contexte est dramatique (aujourd'hui encore, cinq ans après le début de la pandémie, on ignore le nombre exact de victimes au niveau mondial), mais nous faisons la rencontre de personnes ordinaires, isolées et bienveillantes. L'amitié et la solidarité vont sauver, quelque part, la vie de ces deux jeunes gens. Aucun misérabilisme, aucune fatalité, et même les agents de la guardia civil, qui doivent effectuer la tâche ingrate de contrôler toute personne trainant dehors pendant le confinement, n'est pas montrée comme une force de coercition. Ces nuances donnent à ce one shot une qualité rare, mais certaine.
Alex Orbe est le talentueux dessinateur, qui a d'ailleurs déjà travaille avec Pérez Ledo. Dans une ligne claire bicolore et des cases pleines de vie, il propose une impression visuelle quasi parfaite de cette histoire ordinaire.
J'entends déjà les gens s'écrier "5 étoiles ?! Mais c'est cinq fois plus que un !". Eh bien oui : 5 étoiles !
Pour moi, cette série mérite amplement un statut de culte. Les récits sont entraînants, les personnages attachants, les dialogues dynamiques et drôles, ... Bref, ça se lit bien.
Mais au delà d'être simplement agréable à lire, les récits sont aussi intelligents. Quelle claque je m'étais prise dans ma jeunesse lorsque j'étais tombée sur les problématiques soulevées dans ces histoires, et quelle admiration j'avais pour l'intelligence et la maturité dont faisaient preuve les protagonistes. Cela doit bien être la seule série jeunesse qui me vient en tête qui arrive à rendre accessibles et intéressantes les problématiques de la bioéthique à des enfants.
Parmi les diverses problématiques soulevées dans la série (scientifiques ou non), on pourra retrouver l'individualité d'un clone vis-à-vis de la personne de qui proviennent ses gènes, la question de Dieu et de la foi, ce qui fait ou non une famille, l'écologie, notre propre mortalité et surtout (surtout) l'égo scientifique - et même plus généralement humain.
Et encore, je suis sûre que je dois en oublier.
Chaque album est une aventure à part entière, soulevant ses questions propres, mais on y suit tout de même une évolution des personnages. Nos protagonistes, notamment, murissent beaucoup (tant physiquement que psychologiquement) aux gré de leurs aventures.
Tiens, à propos des protagonistes, il serait peut-être temps de les présenter.
Tout d'abord, il y a Jules, sans aucun doute LE protagonistes de ces histoires. C'est un enfant qui nous est presque présenté comme lambda dans le premier album. Il est jeune, vif, impétueux, fana de jeux-vidéos et désireux d'aventures. Il gagnera beaucoup en maturité au fur et à mesures des albums, finissant par devenir une figure plus calme et réfléchie (voir même quelques fois un peu en retrait). Il est également grandement défini par sa famille, chaotique au possible, avec sa mère constamment bloquée au foyer, son père assez égocentrique et étroit d'esprit, et son petit frère proprement idiot. C'est principalement par elleux (même si d'autres personnages secondaires aident aussi) que l'on marque la distinction entre les gens idiots et les autres. Attention ! Pas que la série tente nécessairement de faire un discours pédant, les personnages présentés comme intelligents dans cette série ne sont pas nécessairement présentés comme des scientifiques (malgré le fait qu'on parle beaucoup de science) et les idiots sont encore moins présentés comme des gens prédisposés à la bêtise. Non, dans cette série, les gens intelligents sont simplement celleux qui s'ouvrent à l'impossible, les rêveurs ou tout simplement les gens désireux de découvrir le monde qui les entoure. L'idiotie dans ces histoires n'est pas une fatalité mais un choix (et une source de gags). Peut-être faudrait-il d'ailleurs plus parler d'étroitesse d'esprit que de bêtise.
Mais Jules ne vit pas ses aventures seul et sera majoritairement accompagné de Janet (fille d'une éminente scientifique britannique), Tim (un alien télépathe à tendances sarcastiques), Salsifi (autre alien et souffre-douleur de Tim) et Bidule (son cochon-dinde). Et bon, sa famille aussi quelques fois, mais ça c'est bien contre le gré de ce pauvre Jules.
Voilà, j'espère ne pas avoir été trop lourde, trop longue dans ma présentation de cette série et de ces personnages. J'ai bataillé pour écrire cet avis, j'ai même tenté par quatre fois de le réécrire entièrement durant ces deux mois. Mais voilà, j'avais tant de choses à dire que je finissais toujours par devenir fouillis.
J'aime énormément ces personnages, leurs histoires et leurs dialogues. C'est sans conteste la meilleure série que j'avais découverte enfant (et elle a réussi à conserver ce statut de culte même après toutes ces années, même après le passage à l'âge adulte).
Vraiment, si vous ne connaissiez pas, que vous avez réussi à me lire jusqu'au bout et que j'ai (par miracle) réussi à vous convaincre de tenter cette lecture, foncez !
Après le magnifique Mahâbhârata d’après Jean-Claude Carrière, encore une belle adaptation de Jean-Marie Michaud. Cette fois-ci le livre original est de la plume de Marek Halter, qui a construit une œuvre autour des figures féminines de la Bible. J’ai lu ce roman duquel est tiré la BD. Je la trouve à la fois très fidèle et apportant un supplément d’âme au récit d’origine.
L’histoire est celle de la mythique reine de Saba, royaume situé de part et d’autre de la mer rouge, réunissant le Yémen et l’Ethiopie. Il va sans dire que maintenir à cette époque un royaume composé de deux régions si différentes ethniquement et si distantes de par cette séparation n’est pas une mince affaire et Makeba, reine de Saba, sera confrontée aux révoltes et aux trahisons.
L’histoire nous fais vivre la perte du contrôle de la partie yéménite et la réunification du royaume. Mais en parallèle de cette trame politique, diplomatique et stratégique, les auteurs nous invitent à la rencontre mythique entre la reine et le roi Salomon. Une version assez éloignée de celle de King Vidor : un roi d’Israel déjà âgé, face aux difficultés financières et politiques, mais avec une telle aura que la rencontre avec Makeba sera à la hauteur du mythe. Mais ici le premier rôle est bien tenu par la reine !
La mise en images de Jean-Marie Michaud est somptueuse. Il reprend la même technique que pour le Mahabharata : aquarelle sur papier kraft. Cette technique sur kraft (au delà de produire des ambiances et des couleurs extraordinaires) est tout aussi adaptée dans le cas présent : qu’il s’agisse d’un texte fondateur hindou ou judaïque, cette présence physique du papier ramène au Livre avec un grand L et contribue à élever l’histoire au rang de mythe. La bible réinterprétée par Marek Halter puis par Jean-Marie Michaud : c’est bien une caractéristique des mythes que de sans cesse se renouveler, se modifier. C’est sans doute en ce sens que ma lecture de cette version m’a parue encore plus aboutie, plus grandiose, que la version d’origine.
La narration est très maîtrisée. Au delà de l’aspect graphique dont j’ai déjà parlé, on retrouve ce qui semble être une signature de l’auteur : un goût pour l’histoire dans l’histoire (ici les récits hébraïques) avec une mise en image différente pour ces apartés. La présence de la mer rouge, parfois en furie, les ocres du désert, les chameaux, les éléphants, les chevaux et les oiseaux de Salomon, la beauté de la reine, offrent au dessinateur la possibilité de démontrer l’étendue de son talent.
Une BD qui pour moi mérite largement qu’on s’y intéresse : sa parution chez un petit éditeur, pas spécialisé dans la bande dessinée mais qui a fait du beau travail, semble être passée un peu trop inaperçue…
Soyons honnêtes : si j'écoutais ma raison, je noterais cette bande dessinée plutôt 4 étoiles, voire 3,5, parce qu'elle a quand même plusieurs défauts. Dieu merci, j'écoute mon cœur et ce dernier ne cesse de me dire d'augmenter encore plus ma note ! Alors nous y voilà.
Mais pourquoi un 5/5 alors que j'ai trouvé ce récit tout aussi convenu que ce qu'on en lit dans les critiques un peu partout ?
En effet, on ne pourra pas dire que l'originalité étouffe cette histoire. Les personnages sont bien construits, mais obéissent tous sans exception à des stéréotypes classiques du genre, frisant le manichéisme outrancier par moments. La progression narrative est si prévisible qu'arrivé à un tiers ou au mieux la moitié de l'album, je pouvais décrire exactement chacune des péripéties qui m'attendaient dans la suite de l'histoire. Le message et la vision des événements qui nous est proposée par les auteurs sont tellement déjà vus que j'aurais pu lever les yeux au ciel à chaque page face à cette pincée de démagogie allègrement naïve et sucrée qui parsème chaque feel-good movie que le cinéma nous sort chaque année, et leurs équivalents en littérature ou autres bandes dessinées.
Alors revenons à la question initiale : qu'est-ce qui me pousse à monter à 5/5 ?
La réponse tient en trois lettres : cette bande dessinée a une âme. Et quelle âme ! A l'image du magnifique trait de Stéphane Servain, sorte de réalisme lyrique mâtiné d'un brin d'impressionnisme, Ulysse & Cyrano n'est pas là pour épater la galerie, il ne cherche pas à nous en mettre plein les mirettes à grands renforts d'artifices éculés. Il cherche plutôt à nous toucher au plus profond de notre âme. Dès qu'on le prend en main, on sent dans cette magnifique toile cirée une authenticité qu'on trouve peu ailleurs.
Je soupçonne Cristau et Dorison d'être parfaitement conscients qu'ils nous baladent en terrain mille fois connu. Ils le savent d'autant mieux qu'ils ont compris que la seule excuse pour un artiste de nous amener là où on veut aller, c'est précisément de nous emmener exactement et seulement là où on veut aller, sans écarts. Exactement comme Ulysse et Cyrano qui préfèrent revenir aux bons vieux plats qui ont fait leurs preuves depuis des années (ne me dites pas que cette dimension méta n'était pas voulue), Cristau et Dorison nous ressortent un plat qu'on a déjà consommé. Mais il a été conçu avec tant de talent et d'amour qu'on a l'impression que nos papilles le découvrent pour la première fois !
Ainsi de Ulysse & Cyrano. Oui, on a déjà vu toutes ces ficelles scénaristiques ailleurs. Cela les rend-il mauvaises ou ringardes pour autant ? Quelle erreur commettraient ceux qui s'en persuaderaient !
Ulysse & Cyrano, c'est la beauté de la mécanique parfaitement huilée, du repas parfaitement ordonné et agencé. L'art de Dorison, qui n'a plus ses preuves à faire, touche ici son apogée avec le renfort d'Antoine Cristau pour nous offrir exactement ce qu'on veut avoir d'un tel récit. Une atmosphère de liberté totale, de douce euphorie, d'une sérénité qui peu à peu emplit notre âme. Car ce que nous donnent à voir Dorison et Cristau, ici, c'est cela, précisément : l'âme d'un terroir, avec tout ce qu'elle peut avoir de rassurant.
Après l'époque troublée de la Seconde Guerre mondiale et de l'Occupation, comment apaiser les blessures profondes qui ont fracturé le territoire national d'un pays qui, s'il peut se glorifier d'un certain nombre de succès face à l'occupant nazi, n'en a pas moins perdu son unité ? Par le terroir, justement. En ressuscitant cette âme profondément enfouie dans notre sol, Cyrano et son disciple Ulysse réussissent peu à peu à soigner des blessures si profondes qu'elles semblaient incurables.
Car finalement, l'âme de la France se trouve bien plus dans un poulet aux écrevisses servi entier que dans des discours politiques à l'odeur nauséabonde qui, en multipliant le nom de ce pays bien-aimé, ne font en réalité que le vider de son sens. C'est précisément dans ce poulet aux écrevisses qu'on retrouvera toute l'âme des Rabelais, des Hugo, des Péguy et des Pagnol.
Et ce miracle que les mots sont incapables de faire, les mets en sont capables. C'est par la nourriture que l'on peut redonner le goût de vivre à une mère de famille éplorée et impuissante face à la déchéance de son mari ou à la paresse de son fils. C'est par la nourriture que l'on peut faire revivre l'âme d'un village qui avait préféré à la douceur du pardon la facilité de la haine. C'est par la nourriture que l'on peut faire redécouvrir à un grand cuisinier parisien la beauté d'une simplicité qui n'a finalement rien de désuet. C'est par la nourriture qu'on peut recréer le lien avec un père devenu froid, distant, égoïste.
Cette nourriture n'est pas un objectif, elle n'est qu'un vecteur. Car en nous reconnectant au terroir, elle nous reconnecte à nos racines. Non pas les racines d'une nation trop secouée par les avanies de l'Histoire pour être brandie comme un étendard, mais les racines d'un peuple dont l'unité s'est toujours faite autour de et peut-être même par la bonne chère.
Cela pourrait prêter à rire, mais s'il est une chose que nous montre Ulysse & Cyrano, c'est bien à quel point - et c'est peut-être là la raison d'un final que certains ont trouvé trop sucré - l'art culinaire peut rendre un homme libre, à quel point il peut rendre tous les hommes égaux, à quel point il peut tous en faire... des frères.
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Rencontre aux sommets entre deux éminents artistes du Neuvième art, Alain Ayroles génial scénariste qui accumule les succès critiques et publics (Garulfo, De Cape et de Crocs, etc...) et Hervé Tanquerelle dessinateur classique aux style et traits facilement identifiables, le monsieur possède d'ailleurs lui aussi une bibliographie bien fournie et jalonnée de multiples pépites (Racontars Arctiques, Le Dernier Atlas). Tout comme pour Les Indes fourbes, avec la formation d'un tel duo, les auteurs se savent attendus, le récit est ambitieux et s'étale sur plus de 250 pages. A trop vouloir en faire, en mettre, va-t-on sombrer dans la grandiloquence et le pompeux? Alors, quid du résultat ? Eh bien, autant le dire d'entrée, et vous l'aurez vu à ma note plus haut, l'éléphant a accouché d'une ......baleine…..Et à bosse* qui plus est! (*clin d'oeil au personnage principal!) Véritable pièce de théâtre décliné en Bande Dessinée, "Shakespearienne" dans l'âme, cette tragédie haletante et sans fausses notes comble les attentes et rempli les attendus d'un tel exercice. Proposant donc une structure théâtrale, un découpage en cinq actes et multiples scènes, le séquençage qui en découle est de ce fait ultra rythmée et sans réel temps mort, on lit (avale) le livre avec gourmandise. D'autres codes sont emprunter avec réussite tel l'apparté quand le personnage principal Richard s'addresse directement aux lecteurs. Cette grande fresque nous conte l'histoire d'un personnage comme je les aime: Ambigus, retors, antipathique mais également parfois touchant et attachant, particulièrement révélé à travers ses multiples faiblesses dont la principale et plus évidente, son handicap physique. En parfait contrepoint d'un personnage aussi complexe et charismatique, le récit, d'une grande richesse, fourmille de formidables personnages secondaires très travaillés et tout aussi intéressants et subtils. L'écriture d'Ayroles, aussi bien dans le descriptif que dans les dialogues est de concert avec l'ambition et le propos, finement ciselé, parfaite. Le verbe, tout en équilibre et justesse, sonne fort et beau. Le scénario et l'écriture qui va avec à eux seuls auraient suffît à en faire une très grande BD mais ils sont soutenus par un dessin très détaillé, sublime et admirable tout au long des 250 pages sans signe d'essoufflement qui la transforme derechef en immense BD. Le trait de Tanquerelle est je trouve d'ailleurs, tout en gardant sa griffe, plus grand public que précédemment, me rappelant par moment Matthieu Bonhomme. Même pas besoin de mentionner que c'est un gigantesque coup de coeur. Ce sera difficile de faire mieux en 2025, la barre est placée très (trop!) haut. Lu dans sa version Noir Et Blanc, hâtez vous de vous la procurez s'il en reste en magasin, sinon, faites comme moi et ruez vous sur la version couleur disponible début Avril (Du peu entrevue des pages disponibles sur le net, le travail de colorisation semble remarquable!). Paul le Poulpe voit l'avenir, vous ne le regretterez pas (et paf, le prochain posteur mettra une étoile!). A peine sortie et déjà UN CLASSIQUE.
Sphères
Je viens de refermer l'album et je me suis régalé. C'est certainement classique dans le genre, " On a déjà vu ça mille fois " diront sans doute des lecteurs ès science-fiction, mais que c'est bien fait ! Le dessin, très détaillé, est superbe (le souci de l'esthétisme et celui de la vraisemblance sont visibles jusque dans les tenues des personnages), on en prend plein les yeux : appartements futuristes, ruelles à l'atmosphère palpable, paysages immenses et personnages bien typés, charismatiques (je vous conseille de prendre connaissance du trombinoscope avant de vous lancer). A cela s'ajoutent de bons dialogues dans l'ensemble, des vaisseaux crédibles et qui ont de l'allure, alors attachez votre ceinture et c'est parti, dépaysement garanti ! Plusieurs quêtes se mêlent, on passe d'un lieu à l'autre, mais l'ensemble demeure fluide et prenant et on apprécie l'intrigue bien ficelée. C'est pour l'instant un très bon tome d'introduction, l'histoire avance doucement, mais les personnages et les enjeux sont exposés clairement. Alors oui, il y a peut-être un passage notamment qui sent la testostérone, mais je ne me suis pas ennuyé une seconde. Hâte de découvrir le prochain tome !
La Route
Autant le dire dès le début mais si vous cherchez une BD pour vous distraire et vous remonter le moral, passez directement votre chemin. Cette œuvre est froide, âpre, dure et sans espoir. Cette nouvelle adaptation d'un roman par Larcenet est une nouvelle fois une réussite, après l'excellent Le Rapport de Brodeck qui m'avait également emballé (peut-être un poil plus d'ailleurs). Pourtant, au contraire de cette dernière œuvre, il semblait beaucoup plus difficile d'adapter le livre de Mc Carthy tant les émotions passent essentiellement par les silences entre un père et son fils et les descriptions de ce monde désolé. Cette BD est d'autant plus réussie que Larcenet arrive à s'approprier l'ouvrage initial tout en restant fidèle à l'histoire. A cet effet, la fin très ouverte qui rejoint à quelques détails près celle du film, reste pour moi la meilleure manière de finir cette histoire. Ainsi, Larcenet arrive de très belle manière, par le dessin essentiellement, à transcrire cette amour entre un père et son fils dans un monde post-apocalyptique et déshumanisé ne laissant plus beaucoup de place à l'espoir. Les "alors d'accord" concluant chaque réponse du père aux questions parfois naïves mais toujours touchantes de son fils agissent comme autant de pincements au cœur du lecteur. Le sujet du suicide est également traité amenant chacun à se questionner sur ce qu'il ferait à pareille place. Mais c'est bien par le dessin que cette œuvre de Larcenet mérite à mon sens la note ultime. Tout comme dans "Le rapport Bordeck", le trait est fin et soigné et le monde fourmille de détails. Les corps sont décharnés et les visages presque morts. Les teintes de gris nuancées parfois de rouge, de jaune, de mauve et d'ocre sont vraiment du plus bel effet et transcrivent de très belle manière le côté poussiéreux de cette Terre dévorée par les flammes et suffoquant de ses cendres. Une œuvre magnifique qui a su me toucher. Le cœur me dit donc de réhausser ma note à 5/5. SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 8,5/10 GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 9/10 NOTE GLOBALE : 17,5/20
La plus belle couleur du monde
Énorme coup de cœur pour La plus belle couleur du monde de Golo Zhao. Dès les premières pages, j’ai été happé par l’atmosphère délicate et intimiste de ce manhua, qui nous plonge dans le quotidien d’un jeune collégien chinois des années 90. Nous suivons Rucheng, un adolescent passionné de dessin qui rêve d’intégrer les Beaux-Arts. Talentueux mais en quête de cette étincelle qui le fera progresser, il partage ses journées entre ses amis, ses cours de dessin du week-end et son amour naissant pour Yun, une camarade aussi douée que mystérieuse. Mais Yun est également proche de Wen Jun, le beau gosse issu d’une famille aisée, ce qui attise la jalousie et les rivalités. À cela s’ajoutent les préoccupations typiques de l’adolescence : les jeux de cartes à collectionner, les petites mesquineries, les rumeurs et même une affaire de racket qui, d’abord anodine, prend une tournure plus sérieuse… Ce qui frappe avant tout, c’est la justesse du récit. Ici, pas d’esbroufe ni de rebondissements spectaculaires, mais une tranche de vie où chaque émotion sonne vrai. Les doutes, les questionnements, les élans de tendresse et les maladresses de l’adolescence sont retranscrits avec une finesse remarquable. L’écriture est douce, presque contemplative, et nous laisse savourer chaque instant aux côtés des personnages qui gagnent en profondeur au fil des pages. Graphiquement, La plus belle couleur du monde est une merveille. Les illustrations à l’aquarelle sont sublimes, jouant avec les nuances et la lumière pour magnifier les ambiances et les émotions. Entre les chapitres, de superbes illustrations pleine page viennent renforcer cette impression de poésie visuelle. Chaque couleur semble avoir une signification, donnant à l’ensemble une touche encore plus immersive. Avec ses 584 pages, cet album est une lecture à savourer chez soi, en prenant le temps d’apprécier chaque détail. Un récit ample et maîtrisé qui capture avec brio les tourments et les émerveillements de l’adolescence. Que vous soyez adolescent ou adulte, cette œuvre vous touchera en plein cœur.
Azur Asphalte
Je suis sortie époustouflée de cet album. Et j'ai encore du mal à me l'expliquer ! C'est une histoire du quotidien : deux sœurs qui galèrent dans la vie de tous les jours... Deux personnages que l'on a déjà croisés, leurs conversations, leurs raisonnements sur la vie, leur humour... L'une mère solo et l'autre qui n'a pas encore trouvé sa place. Zigzagant entre parking de supermarché et plage, leur vie ensoleillée et engluée dans les difficultés économiques nous touche profondément. Deux raisons à cela : 1. Les dialogues : tout proche du documentaire, mais sans jamais un mot de trop : une gestion des silences qui a quelque chose de cinématographique, on est dedans, c'est un miroir de nos vies ! Le flot des paroles se prolonge dans le flux de leurs pensées. Et le fait que l'auteur se soit inspiré de ses propres sœurs joue surement un rôle dans cet effet de véracité , il reconstitue les justifications qu'elles donnent à leurs choix à partir de ses souvenirs. 2. L'image : une aquarelle de banlieue qui frappe par sa couleur très bien observée et un contraste inattendu entre le flou général et la précision hyper-emouvante des visages. Jamais vu ça ! Si vous avez vu Journal Intime de Nani Moretti, où on suit une Vespa dans les rues de Rome, vous avez une idée de l'impression : tout Rome qui défile sans qu'on puisse faire la mise au point et la nuque du personnage qui reste nette. En film , ça fait mal à la tête, en BD ça nous jette dans un mouvement fictif. Bref, je vous conseille vraiment cette expérience de lecture, tout-à-fait inédite pour ma part, qui ouvre le cœur et laisse une nostalgie étrange. Bordesoules...Je retiendrai ce nom.
Shubeik Lubeik
Pouah pouah pouah mais quelle BD. Un vrai coup de cœur !! J’en ai lu des chouettes trucs de 2024 mais pour l’instant cet album sort clairement du lot. Il semble être malheureusement passé un peu inaperçu mais si je n’avais qu’un mot à dire, c’est : Foncez ! C’est une œuvre qui vous surprendra et vous charmera. Une petite pépite venue d’Égypte. C’est rempli de spontanéité, de fraîcheur, d’émotions, d’intelligence, de trouvailles, de surprises … une lecture tout simplement excellente et magnifique. Je l’ai lu en 3 soirées et en espérant que ça ne s’arrête jamais. Je vous renvoie au bien bel avis de Spooky pour en connaître davantage (que je remercie pour la découverte). Je passe juste pour vous encourager à tomber dessus le plus rapidement possible (pourquoi pas pour le prix bdtheque ? ;) ça serait mérité. J’en suis sorti franchement bluffé, une autrice à suivre et de grands talents. Bravo à elle !! J’ai adoré son univers et le soin apporté : c’est ponctué d’articles, chiffres dans la veine de doggybags ; il y a une belle variété dans le trait et couleurs (ne vous arrêtez pas à la galerie ou couverture) ; le message transmis est superbe, l’usage du conte judicieux, les personnages magnifiques … Bon vous l’aurez compris je suis plus qu’enthousiaste, il s’en dégage une magie indéniable, je n’ai rien à redire. Plus qu’une bouffée d’air frais, une véritable bouteille d’oxygène. Merci Mme Mohamed.
L'Envahisseur
Très très bel album. Avec comme cadre temporel la crise sanitaire du Covid, Jose Antonio Pérez Ledo nous conte l'histoire d'Omar, un jeune réfugié originaire du Maroc, qui es mis à la porte du foyer où il était hébergé le jour de ses 18ans. Il galère quelques temps, avant de trouver une activité, puis un abri providentiel, jusqu'au jour où Vicente, son bienfaiteur, fait un malaise dû au coronavirus... deux mondes, deux modes de vie se rencontrent, avec carol qui elle choisit de s'isoler, et évite de rendre visite à son père pendant cette période si particulière... Tout en délicatesse, le scénariste nous fait d'abord suivre Carol, puis Omar, une fois qu'ils se sont rencontrés. C'est très finement amené, il y a de nombreuses plages de silence qui nous permettent de saisir la sidération, l'émerveillement ou juste la compassion dans les regards et les attitudes d'Omar, de Carole et de son père. Le contexte est dramatique (aujourd'hui encore, cinq ans après le début de la pandémie, on ignore le nombre exact de victimes au niveau mondial), mais nous faisons la rencontre de personnes ordinaires, isolées et bienveillantes. L'amitié et la solidarité vont sauver, quelque part, la vie de ces deux jeunes gens. Aucun misérabilisme, aucune fatalité, et même les agents de la guardia civil, qui doivent effectuer la tâche ingrate de contrôler toute personne trainant dehors pendant le confinement, n'est pas montrée comme une force de coercition. Ces nuances donnent à ce one shot une qualité rare, mais certaine. Alex Orbe est le talentueux dessinateur, qui a d'ailleurs déjà travaille avec Pérez Ledo. Dans une ligne claire bicolore et des cases pleines de vie, il propose une impression visuelle quasi parfaite de cette histoire ordinaire.
Une épatante aventure de Jules
J'entends déjà les gens s'écrier "5 étoiles ?! Mais c'est cinq fois plus que un !". Eh bien oui : 5 étoiles ! Pour moi, cette série mérite amplement un statut de culte. Les récits sont entraînants, les personnages attachants, les dialogues dynamiques et drôles, ... Bref, ça se lit bien. Mais au delà d'être simplement agréable à lire, les récits sont aussi intelligents. Quelle claque je m'étais prise dans ma jeunesse lorsque j'étais tombée sur les problématiques soulevées dans ces histoires, et quelle admiration j'avais pour l'intelligence et la maturité dont faisaient preuve les protagonistes. Cela doit bien être la seule série jeunesse qui me vient en tête qui arrive à rendre accessibles et intéressantes les problématiques de la bioéthique à des enfants. Parmi les diverses problématiques soulevées dans la série (scientifiques ou non), on pourra retrouver l'individualité d'un clone vis-à-vis de la personne de qui proviennent ses gènes, la question de Dieu et de la foi, ce qui fait ou non une famille, l'écologie, notre propre mortalité et surtout (surtout) l'égo scientifique - et même plus généralement humain. Et encore, je suis sûre que je dois en oublier. Chaque album est une aventure à part entière, soulevant ses questions propres, mais on y suit tout de même une évolution des personnages. Nos protagonistes, notamment, murissent beaucoup (tant physiquement que psychologiquement) aux gré de leurs aventures. Tiens, à propos des protagonistes, il serait peut-être temps de les présenter. Tout d'abord, il y a Jules, sans aucun doute LE protagonistes de ces histoires. C'est un enfant qui nous est presque présenté comme lambda dans le premier album. Il est jeune, vif, impétueux, fana de jeux-vidéos et désireux d'aventures. Il gagnera beaucoup en maturité au fur et à mesures des albums, finissant par devenir une figure plus calme et réfléchie (voir même quelques fois un peu en retrait). Il est également grandement défini par sa famille, chaotique au possible, avec sa mère constamment bloquée au foyer, son père assez égocentrique et étroit d'esprit, et son petit frère proprement idiot. C'est principalement par elleux (même si d'autres personnages secondaires aident aussi) que l'on marque la distinction entre les gens idiots et les autres. Attention ! Pas que la série tente nécessairement de faire un discours pédant, les personnages présentés comme intelligents dans cette série ne sont pas nécessairement présentés comme des scientifiques (malgré le fait qu'on parle beaucoup de science) et les idiots sont encore moins présentés comme des gens prédisposés à la bêtise. Non, dans cette série, les gens intelligents sont simplement celleux qui s'ouvrent à l'impossible, les rêveurs ou tout simplement les gens désireux de découvrir le monde qui les entoure. L'idiotie dans ces histoires n'est pas une fatalité mais un choix (et une source de gags). Peut-être faudrait-il d'ailleurs plus parler d'étroitesse d'esprit que de bêtise. Mais Jules ne vit pas ses aventures seul et sera majoritairement accompagné de Janet (fille d'une éminente scientifique britannique), Tim (un alien télépathe à tendances sarcastiques), Salsifi (autre alien et souffre-douleur de Tim) et Bidule (son cochon-dinde). Et bon, sa famille aussi quelques fois, mais ça c'est bien contre le gré de ce pauvre Jules. Voilà, j'espère ne pas avoir été trop lourde, trop longue dans ma présentation de cette série et de ces personnages. J'ai bataillé pour écrire cet avis, j'ai même tenté par quatre fois de le réécrire entièrement durant ces deux mois. Mais voilà, j'avais tant de choses à dire que je finissais toujours par devenir fouillis. J'aime énormément ces personnages, leurs histoires et leurs dialogues. C'est sans conteste la meilleure série que j'avais découverte enfant (et elle a réussi à conserver ce statut de culte même après toutes ces années, même après le passage à l'âge adulte). Vraiment, si vous ne connaissiez pas, que vous avez réussi à me lire jusqu'au bout et que j'ai (par miracle) réussi à vous convaincre de tenter cette lecture, foncez !
La Reine de Saba
Après le magnifique Mahâbhârata d’après Jean-Claude Carrière, encore une belle adaptation de Jean-Marie Michaud. Cette fois-ci le livre original est de la plume de Marek Halter, qui a construit une œuvre autour des figures féminines de la Bible. J’ai lu ce roman duquel est tiré la BD. Je la trouve à la fois très fidèle et apportant un supplément d’âme au récit d’origine. L’histoire est celle de la mythique reine de Saba, royaume situé de part et d’autre de la mer rouge, réunissant le Yémen et l’Ethiopie. Il va sans dire que maintenir à cette époque un royaume composé de deux régions si différentes ethniquement et si distantes de par cette séparation n’est pas une mince affaire et Makeba, reine de Saba, sera confrontée aux révoltes et aux trahisons. L’histoire nous fais vivre la perte du contrôle de la partie yéménite et la réunification du royaume. Mais en parallèle de cette trame politique, diplomatique et stratégique, les auteurs nous invitent à la rencontre mythique entre la reine et le roi Salomon. Une version assez éloignée de celle de King Vidor : un roi d’Israel déjà âgé, face aux difficultés financières et politiques, mais avec une telle aura que la rencontre avec Makeba sera à la hauteur du mythe. Mais ici le premier rôle est bien tenu par la reine ! La mise en images de Jean-Marie Michaud est somptueuse. Il reprend la même technique que pour le Mahabharata : aquarelle sur papier kraft. Cette technique sur kraft (au delà de produire des ambiances et des couleurs extraordinaires) est tout aussi adaptée dans le cas présent : qu’il s’agisse d’un texte fondateur hindou ou judaïque, cette présence physique du papier ramène au Livre avec un grand L et contribue à élever l’histoire au rang de mythe. La bible réinterprétée par Marek Halter puis par Jean-Marie Michaud : c’est bien une caractéristique des mythes que de sans cesse se renouveler, se modifier. C’est sans doute en ce sens que ma lecture de cette version m’a parue encore plus aboutie, plus grandiose, que la version d’origine. La narration est très maîtrisée. Au delà de l’aspect graphique dont j’ai déjà parlé, on retrouve ce qui semble être une signature de l’auteur : un goût pour l’histoire dans l’histoire (ici les récits hébraïques) avec une mise en image différente pour ces apartés. La présence de la mer rouge, parfois en furie, les ocres du désert, les chameaux, les éléphants, les chevaux et les oiseaux de Salomon, la beauté de la reine, offrent au dessinateur la possibilité de démontrer l’étendue de son talent. Une BD qui pour moi mérite largement qu’on s’y intéresse : sa parution chez un petit éditeur, pas spécialisé dans la bande dessinée mais qui a fait du beau travail, semble être passée un peu trop inaperçue…
Ulysse & Cyrano
Soyons honnêtes : si j'écoutais ma raison, je noterais cette bande dessinée plutôt 4 étoiles, voire 3,5, parce qu'elle a quand même plusieurs défauts. Dieu merci, j'écoute mon cœur et ce dernier ne cesse de me dire d'augmenter encore plus ma note ! Alors nous y voilà. Mais pourquoi un 5/5 alors que j'ai trouvé ce récit tout aussi convenu que ce qu'on en lit dans les critiques un peu partout ? En effet, on ne pourra pas dire que l'originalité étouffe cette histoire. Les personnages sont bien construits, mais obéissent tous sans exception à des stéréotypes classiques du genre, frisant le manichéisme outrancier par moments. La progression narrative est si prévisible qu'arrivé à un tiers ou au mieux la moitié de l'album, je pouvais décrire exactement chacune des péripéties qui m'attendaient dans la suite de l'histoire. Le message et la vision des événements qui nous est proposée par les auteurs sont tellement déjà vus que j'aurais pu lever les yeux au ciel à chaque page face à cette pincée de démagogie allègrement naïve et sucrée qui parsème chaque feel-good movie que le cinéma nous sort chaque année, et leurs équivalents en littérature ou autres bandes dessinées. Alors revenons à la question initiale : qu'est-ce qui me pousse à monter à 5/5 ? La réponse tient en trois lettres : cette bande dessinée a une âme. Et quelle âme ! A l'image du magnifique trait de Stéphane Servain, sorte de réalisme lyrique mâtiné d'un brin d'impressionnisme, Ulysse & Cyrano n'est pas là pour épater la galerie, il ne cherche pas à nous en mettre plein les mirettes à grands renforts d'artifices éculés. Il cherche plutôt à nous toucher au plus profond de notre âme. Dès qu'on le prend en main, on sent dans cette magnifique toile cirée une authenticité qu'on trouve peu ailleurs. Je soupçonne Cristau et Dorison d'être parfaitement conscients qu'ils nous baladent en terrain mille fois connu. Ils le savent d'autant mieux qu'ils ont compris que la seule excuse pour un artiste de nous amener là où on veut aller, c'est précisément de nous emmener exactement et seulement là où on veut aller, sans écarts. Exactement comme Ulysse et Cyrano qui préfèrent revenir aux bons vieux plats qui ont fait leurs preuves depuis des années (ne me dites pas que cette dimension méta n'était pas voulue), Cristau et Dorison nous ressortent un plat qu'on a déjà consommé. Mais il a été conçu avec tant de talent et d'amour qu'on a l'impression que nos papilles le découvrent pour la première fois ! Ainsi de Ulysse & Cyrano. Oui, on a déjà vu toutes ces ficelles scénaristiques ailleurs. Cela les rend-il mauvaises ou ringardes pour autant ? Quelle erreur commettraient ceux qui s'en persuaderaient ! Ulysse & Cyrano, c'est la beauté de la mécanique parfaitement huilée, du repas parfaitement ordonné et agencé. L'art de Dorison, qui n'a plus ses preuves à faire, touche ici son apogée avec le renfort d'Antoine Cristau pour nous offrir exactement ce qu'on veut avoir d'un tel récit. Une atmosphère de liberté totale, de douce euphorie, d'une sérénité qui peu à peu emplit notre âme. Car ce que nous donnent à voir Dorison et Cristau, ici, c'est cela, précisément : l'âme d'un terroir, avec tout ce qu'elle peut avoir de rassurant. Après l'époque troublée de la Seconde Guerre mondiale et de l'Occupation, comment apaiser les blessures profondes qui ont fracturé le territoire national d'un pays qui, s'il peut se glorifier d'un certain nombre de succès face à l'occupant nazi, n'en a pas moins perdu son unité ? Par le terroir, justement. En ressuscitant cette âme profondément enfouie dans notre sol, Cyrano et son disciple Ulysse réussissent peu à peu à soigner des blessures si profondes qu'elles semblaient incurables. Car finalement, l'âme de la France se trouve bien plus dans un poulet aux écrevisses servi entier que dans des discours politiques à l'odeur nauséabonde qui, en multipliant le nom de ce pays bien-aimé, ne font en réalité que le vider de son sens. C'est précisément dans ce poulet aux écrevisses qu'on retrouvera toute l'âme des Rabelais, des Hugo, des Péguy et des Pagnol. Et ce miracle que les mots sont incapables de faire, les mets en sont capables. C'est par la nourriture que l'on peut redonner le goût de vivre à une mère de famille éplorée et impuissante face à la déchéance de son mari ou à la paresse de son fils. C'est par la nourriture que l'on peut faire revivre l'âme d'un village qui avait préféré à la douceur du pardon la facilité de la haine. C'est par la nourriture que l'on peut faire redécouvrir à un grand cuisinier parisien la beauté d'une simplicité qui n'a finalement rien de désuet. C'est par la nourriture qu'on peut recréer le lien avec un père devenu froid, distant, égoïste. Cette nourriture n'est pas un objectif, elle n'est qu'un vecteur. Car en nous reconnectant au terroir, elle nous reconnecte à nos racines. Non pas les racines d'une nation trop secouée par les avanies de l'Histoire pour être brandie comme un étendard, mais les racines d'un peuple dont l'unité s'est toujours faite autour de et peut-être même par la bonne chère. Cela pourrait prêter à rire, mais s'il est une chose que nous montre Ulysse & Cyrano, c'est bien à quel point - et c'est peut-être là la raison d'un final que certains ont trouvé trop sucré - l'art culinaire peut rendre un homme libre, à quel point il peut rendre tous les hommes égaux, à quel point il peut tous en faire... des frères.