Et si tout n'était que mensonges ?
Évidemment, avec ce titre, la religion va être au centre du récit. D'abord avec Judas Iscariot en personnage principal, mais deux autres protagonistes vont avoir des rôles majeurs : Jésus et le diable.
Si Judas n'avait pas facilité l'arrestation de Jésus, l'histoire n'aurait plus la même résonance, il n'aurait pas été jugé par Ponce Pilate, crucifié sur la croix et ressuscité trois jours plus tard. Car comme le souligne l'apôtre Paul : « Et si le Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est vaine, et vaine aussi est votre foi. », sa résurrection est le cœur de la foi chrétienne.
A sa mort Jésus descend à l'Hadès et là... Jeff Loveness nous en donne sa version, en réunissant nos trois personnages pour un "Qui a trahi qui ?".
Un scénario inventif et bien construit, il puise dans la bible pour être au plus proche des évangiles. C'est cet aspect du récit qui met du grain à moudre dans la tête du lecteur, tout en suivant en parallèle les interrogations de Judas. Un Judas qui dégage une belle humanité. Rien n'est totalement noir ou totalement blanc.
Une fin qui ne pouvait que se terminer ainsi, et elle me satisfait.
Si j'ai autant aimé ce récit, Jakub Rebelka n'y est pas étranger. Sa composition graphique est totalement immersive avec le grand soin apporté aux décors, aux détails vestimentaires, à sa mise en page, à son trait gras et géométrie et à ses choix de couleurs. Un style à nul autre pareil, d'une efficacité redoutable.
Une reconstitution minutieuse de cette période historique et la partie se situant aux enfers sent le souffre et la putréfaction.
Très très beau !
Un comics très original sur le fond et sur la forme.
Mais un comics que je ne peux ni conseiller, ni déconseiller, le sujet risque d'en laisser certains sur le carreau.
Coup de cœur.
"Nul n'a plus grand amour que celui-ci : Donner sa vie pour ses amis."
Jean,15 : 13.
tome 1
La première chose que l'on remarque avec cette bd, c'est sa qualité éditoriale, une couverture remarquable, et un album de 135 pages qui pèse plus d'un kilo !
Certes, le prix est assez élevé, et un choix éditorial autre à un moindre coût aurait pu l'emporter mais c'est vrai que cette option, assez luxueuse, est discutable mais passons...
Ce qui frappe en ouvrant cet album, c'est le dessin de Thimothée Montaigne. J'avais découvert cet auteur avec la série Le Troisième Testament - Julius qu'il avait repris au pied levé avec un certain brio, il faut l'avouer. Certes son dessin lorgne sans ambiguïté aucune, vers celui de Mathieu Lauffray, avec lequel il avait collaboré sur Long John Silver.
Il n’y a rien à dire sur le dessin, c'est superbe, on en prend plein la vue avec quelques pleines pages ou doubles pages incroyables (je pense notamment à la découverte du Jakata, pages 22 et 23.)
En débutant la lecture, j'ai immédiatement songé au personnage de Lady Hasting de Long John Silver avec Lucretia Hans, qui veut rejoindre son époux, au delà des mers.
Je reste subjugué par la beauté des planches, malgré la noirceur de l'intrigue, au fil des pages.
Le scénario de Xavier Dorison n'est pas en reste, l'intrigue est très sombre, les personnages très tourmentés, et ce premier volume retrace avec une efficacité remarquable, l'atmosphère qui règne sur un navire où une mutinerie couve....
Parti d'un choix éditorial très discutable sur le coût, cet album rejoint, à mes yeux, un des meilleurs albums que j'ai lus cette année, bref un incontournable de cette année.
tome 2
La lecture du premier volume fut , pour moi, jubilatoire. Je ne connaissais pas du tout ce fait maritime, et je me suis fait souffrance pour ne pas aller en découvrir davantage , pour mieux appréhender ce second volume.
Je dois dire que cet album est époustouflant à tout point de vue. Un dessin de Thimothée Montaigne magnifique voire exceptionnel, les pleines pages sont d'une beauté à couper le souffle.
Mais c'est surtout le rythme du récit qui tient en haleine le lecteur, d'ailleurs je n'ai pas réussi à lâcher ce livre avant d'en connaitre le dénouement. On a du mal à imaginer tant d'atrocités dans ce récit, bien qu'il soit très fortement inspiré de faits réels. Le travail de Xavier Dorison est, une de fois de plus, remarquable dans cette adaptation.
J'ai bien évidement relu le premier volume de ce diptyque avant de me lancer dans cet album, et à mon avis, ce second tome dépasse encore le précédent, c'est dire!
Une de mes meilleures lectures de cette année.
Et je passe sous silence la qualité éditoriale de l'album,et son prix, certes élevé, mais lorsque le scénario et le dessin sont d'une telle qualité, on ne peut passer à côté d'un tel chef d’œuvre.
Ben Stenbeck s'est fait connaître pour ses collaborations avec Mike Mignola (qui signe d'ailleurs la préface de cet album). Pour ma part, c'est avec Hellboy et B.P.R.D. - Origines que j'ai découvert cet auteur. Le voici qui signe son premier album solo dans un registre qui sort du fantastique pour lequel on le connaissait pour nous proposer un album SF post-apo' d'une grande force.
Comme le relève la présentation de l'éditeur, on est ici dans un univers proche de Mad Max. C'est sur les pas agiles d'un jeune garçon sauvage et le regard curieux d'une IA en mission sur Terre que nous allons découvrir cet univers ravagé où pullulent des tribus cannibales. Un seul objectif : survivre. Pour y parvenir tout est permis, et ça notre jeune l'a bien compris. Quant à notre IA, son petit côté philanthrope va lui jouer des tours, car c'est en voulant venir en aide au garçon que tout ce petit monde va se retrouver impliqué dans une tragique chasse à l'homme. Chasseur, chassé, les rôles tournent, les têtes aussi et volent parfois : ça va saigner sec !
Voilà en tout cas un album surprenant, certainement un des meilleurs albums de SF lus depuis pas mal de temps. On se laisse en effet rapidement prendre par cette histoire âpre et noire où importe juste le fait de survivre. Les personnages sont bien campés et originaux, que ce soit notre mystérieux garçon, le duo d'IA ou même les personnages composants la meute humaine qui poursuit notre protagoniste.
Côté graphisme, le style épuré de Ben Stenbeck très bien mis en valeur par la colorisation sobre de Dave Stewart est d'une redoutable efficacité.
Un très bon one shot, qui donnerait presque envie de voir d'autres albums étoffer cet univers !
Musique d’ambiance : Ghost in the Shell – Nightstalker
Dans le making-of, Guillaume – Blaky – Singelin évoque des films d’animations tels qu’Akira ou Ghost in the Shell entre autres, parmi ses inspirations du décorum de P.T.S.D. et c’est effectivement ce qui m’a le plus frappé à ma lecture, je voulais donc l’évoquer en premier. L’action se situe dans une ville tentaculaire, étouffante de par le climat mais aussi parce que ça grouille d’êtres humains, la pauvreté, la misère sont partout, du plus bas de la ville parmi les rats et les miséreux, jusqu’au sommet des buildings tenus par les gangs.
J’ai grandement apprécié les inspirations asiatiques sur cet aspect là, qui sont aussi présents concernant le charadesign des personnages, quasi mangagesques avec leurs grands yeux expressifs. Les scènes de bouffe également ont un côté très « Miyazaki » dans l’approche, ça réchauffe les cœurs et pense les blessures aussi bien physiques que mentales. Les proportions des corps sont parfois un peu chelou mais cela fait partie du style du dessinateur, plutôt cool. Et puis ça contraste avec le code couleurs, très chaud souvent, exotique, c’est la ville dans la jungle on a l’impression. Et comme on nous raconte l’histoire d’une soldate sniper d’élite jamais totalement revenue de la guerre (qui s’apparente à celle du Vietnam), c’est un choix assez pertinent et intelligent.
L’histoire donc, c’est la fusion de First Blood, L’échelle de Jacob et Dredd, c’est G.I. Jane à la confrontation des gangs de rue. Mais que fait la police d’ailleurs?!
Enfin ça c’est pour les apparences, il y a tout un récit sur la rédemption, qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire, un discours aussi sur l’entraide, le fait qu’on est plus fort ensemble que seul dans son coin. Certains trouveront ça un peu bateau peut être, moi j’ai trouvé que c’était une bonne piqûre de rappel, et puis que c’était bougrement bien mené. C’est tour à tour touchant et violent.
À ne pas rater.
Ce one-shot a été l'occasion de me (re)plonger dans la courte mais prolifique carrière de Robert Capa, considéré comme l'uns des tous meilleurs photographes de tous les temps et un pionnier du photojournalisme.
La bande dessinée revient sur les 20 dernières de sa vie, c'est à dire à partir du moment où sa compagne de l'époque Gerda Taro (autre photographe de guerre de génie) a l'idée d'un pseudonyme plus vendeur. Il s'agira de Robert Capa, plutot que Endre Friedmann, cela donne une sonorité plus américain et permettra au couple de vendre plus cher leurs clichés.
Je dois reconnaitre que j'ai eu un peu de mal à rentrer dans l'histoire et je pense que ça tient surtout à la narration, assez lente. Il n'y a quasiment pas de dialogues, ce sont essentiellement les pensées de Robert Capa, retranscrites à la première personne, en voix off, en support de l'image. Sans doute l'idée de l'auteur était-elle de donner à l'oeuvre un coté journal intime ou carnet de bord. Mais j'ai trouvé que ça n'aidait pas forcément à une lecture tres fluide. Et puis au fur et à mesure que l'on tourne les pages, l'ensemble gagne en cohérence, en consistence. Cette approche intimiste nous fait mieux comprendre les sentiments de Capa, son attente surtout, quasi maladive entre les conflits, son besoin d'action, d'être au plus près des combats, d'entendre les balles qui fusent autour de lui. Le point d'orgue étant le 6 juin 1944 avec ce débarquement sur les plages de Normandie, retranscrit avec beaucoup de force et d'émotion.
J'ai trouvé le dessin tres fin et très élégant, et les couleurs majoritairement sépias, aident parfaitement à inscrire le récit dans ce contexte de photojournalisme de guerre, qui était essentiellement en noir et blanc. La seule touche de couleur arrive avec la derniere planche, évidemment pour souligner la dramaturgie du moment et on pense bien évidemment à la liste de Schindler de Spielberg.
Plus que les différents conflits connus que Capa a couverts (la guerre civile en Espagne, la deuxième guerre mondiale, la guerre d'Indochine), ça a surtout été pour moi l'occasion de prendre la mesure du destin incroyable de Capa. Il aura en moins d'une vingtaine d'années rencontré et cotoyé (entre autres) Hemingway, Picasso, Matisse, Ingrid Bergman, Hitchcock, Roosevelt, Steinbeck. Il aura vécu en Europe, aux Etats Unis, en Asie, ... Ce que montre bien finalement cette BD c'est son coté insatiable et entier: joueur de poker invétéré (et visiblement pas très bon), buveur, et surtout avec cette envie constante de se retrouver sans cesse sur la ligne de front quelle qu'elle soit, à risquer sa vie à chaque instant. On finit meme par se demander si immortaliser l'instant et informer l'interessent finalement moins que l'adrénaline et la prise de risque. L'auteur réussit vraiment bien nous faire vivre cela. Cela fait d'ailleurs écho à un film sorti cette année sur le même thème: Civil War. Dans un futur proche on y voit des journalistes tout risquer également pour une photo et on se demande surtout si leur véritable motivation n'est pas cet éternel shoot adrénaline.
Belle BD donc à découvrir sur ce type incroyable qu'a été Robert Capa.
Voilà exactement une BD dont j'avais besoin.
J'ai lu quelques-uns des auteurs majeurs de son histoire, comme beaucoup de gens je pense, tels que Herman Melville, Henry James (qui était américain au départ avant de mal tourner et de devenir anglais), ou même Nathaniel Hawthorne. Mais je n'avais pas vraiment une vue d'ensemble des débuts de cette littérature, que l'autrice Catherine Mory place au début du XIXème siècle. Je pense qu'il y a eu quelques auteurs auparavant, mais qu'ils n'ont pas eu le rayonnement de la quinzaine de noms qui sont traités ici. L'enjeu est ici de nous montrer comment, à partir de James Fenimore Cooper (auteur du Dernier des Mohicans entre autres), ces femmes et ces hommes ont construit une véritable légende, une mythologie pour leur pays si disparate, si difficile à saisir. On notera au passage qu'une seule femme est présente dans ce casting, qu'à ma grande honte je ne connaissais pas, à part en ayant croisé son nom sans aller bien plus loin.
On nous présente donc la vie et l'œuvre de chacune de ces augustes personnes, en nous indiquant dans quel milieu il ou elle a grandi, comment il ou elle s'est construit(e) mais aussi les œuvres remarquables de chacun(e). Et c'est fait de façon assez accessible, didactique sans être lourdingue. Il y a des pincées d'humour, mais sans en rajouter. Catherine Mory, enseignante en littérature, est clairement dans son élément, aidée par ses éditeurs dont le nom figure en couverture. J'avoue que j'ai bien aimé ma lecture, j'ai appris énormément de choses en parcourant ce premier tome qui fait un tour d'horizon de l'autrice et de l'auteur nés au XIXème siècle, certains ayant terminé leur carrière et leur vie au début du XXème. Après chaque épisode bio-bibliographique, un arbre nous propose en un clin d'œil de voir qui sont les héritier(e)s de chaque grand nom au XXème siècle, de quoi prolonger les recherches ou piocher des idées de lecture en attendant le deuxième tome qui traitera du XXème.
Dans ce deuxième tome, on continue sur les mêmes bases, à savoir un panorama des auteurs majeurs de la littérature américaine. Je dis bien "auteurs", car malheureusement peu de femmes sont présentes : une seule sur les dix noms présentés, même si à l'issue de chaque chapitre, un arbre permet de voir quel(le)s autres auteurs/trices chacun(e) a pu influencer. C'est donc Flannery O'Connor, qui a écrit des romans noirs, empreints de son Sud profond, qui a l'honneur de représenter la gent féminine. C'est d'ailleurs celle dont la vie me semble la mieux décrite, de manière un peu moins scolaire que celle de gars comme Hemingway, Capote ou Tennessee Williams... Comme le souligne Gaston dans son avis, il est un peu dommage que l'on ait droit à des résumés entiers des œuvres, alors que la vocation d'une telle collection est plutôt de donner envie de découvrir les écrits de tel ou tel auteur... Mais cela reste pertinent, passionnant et indispensable.
Le dessin est assuré par Jean-Baptiste Hostache, qui a fait son petit bout de chemin depuis Clockwerx, et propose un style mêlant une certaine rigueur dans les costumes avec un relâchement à la Blutch dans les postures et les expressions des personnages parfois.
Bref, c'est passionnant, c'est indispensable, c'est très plaisant, je recommande évidemment.
Ça faisait un petit moment que j’entendais beaucoup de bien de cette série et j’ai récemment décidé de l’essayer.
On nous raconte l’histoire de Shoko, une jeune fille sourde, et de Shoya, un jeune garçon qui l’a autrefois harcelée.
Toute l’histoire tourne autour du handicap, de ses conséquences pour la personne concernée et l’impact sur son entourage, mais également du harcèlement, de sa cruauté gratuite et de la terrifiante facilité avec laquelle les gens le normalisent et se font entraîner par le mouvement.
La façon simple avec laquelle le personnage de Shoya passe de l’enfant turbulent qui trompe l’ennui à l’enfant brimeur croyant simplement faire des blagues pour faire rire la galerie est glaçante de vérité. L’indifférence généralisée à la souffrance de Shoko est, là aussi, bien amenée et réaliste (tout comme le fait que les gens l'ostracisent, parfois même sans se rendre compte).
C’est ça, vraiment, qui m’a bluffé dans cette lecture : le réalisme.
Moi aussi, dans ma jeunesse, je suis passée par-là. Surtout dans la peau de Shoko mais malheureusement aussi dans la peau de Shoya. Je peux vous dire que, quand j’ai lu la façon qu’avait l’autrice de dépeindre cette fine ligne entre le harceleur pour les uns et le harcelé pour les autres, le sentiment d’impuissance des personnes différentes face aux brimades collectives et ce désespoir et cette haine de soi qu’entraînent les remords et les blessures passées, je me suis prise une claque.
L’histoire parle de cette quête de rédemption, justement. De ce désir de Shoya de vouloir réparer ses erreurs, coûte que coûte, en sachant parfaitement que les actes passés ne pourront jamais être oubliés.
Et l’histoire est surprenamment positive. Dans sa quête de rendre Shoko heureuse, Shoya finit par se poser des questions sur ce qui fait les ami-e-s, sur le pardon mais aussi sur le fait de se reconstruire et d’aller de l’avant.
J’ai pleuré à la fin.
Le dessin, quant-à-lui, est simple mais beau. J’ai beaucoup apprécié certains partis pris visuels (comme les croix sur les visages des gens insignifiants aux yeux de Shoya et le fait que les mots des bulles qu’entends Shoko soient à moitié effacés).
Je note tout de même un défaut à cette série (bon, deux si on compte le fait que Tomohiro est parfois assez embêtant comme comic relief).
Je pense que l’histoire aurait pu se passer de la romance.
Je sais qu’il est parfaitement possible que cela arrive dans la vraie vie, mais je commence à en avoir un peu assez de cette manie de mettre en couple un-e tortionnaire et sa victime. Certes, la plupart du temps, on montre bien que lae tortionnaire a changé-e (ou tout du moins essaye de changer), sauf que pour vraiment changer sur cela, et surtout (re)créer des liens forts entre deux personnes autrefois en confrontation, il faut des efforts et du temps. Beaucoup de temps.
Ici, je doute que le laps de temps entre l’époque des brimades et l’époque de l’amitié suffise pour que cela fonctionne. Il est suffisant pour que les remords et la volonté de se racheter naissent, et que les personnages redeviennent ami-e-s, mais pas forcément pour une romance.
Bon, l’autrice a au moins eu le bon goût de terminer sur une fin ouverte à ce niveau-là.
Vraiment, à part ce bémol, ça reste très bon.
4 étoiles bien méritées.
J'ai eu du mal à quitter cette série tellement je me suis attaché au destin de Hakim et de son fils Hadi. J'avais déjà été séduit par ma précédente lecture de Fabien Toulmé avec son récit autobiographique de la naissance de sa seconde fille. L'auteur reste dans une narration biographique qu'il maîtrise à merveille. En effet le récit du voyage d'Hakim et de son fils de un an est passionnant en lui-même mais la qualité de la narration de Toulmé donne une dimension supplémentaire à cette dramatique aventure. Fabien Toulmé se range incontestablement parmi les meilleurs conteurs d'histoires de la BD de langue française actuelle. L'auteur ne s'éparpille pas et reste du début à la fin dans les limites de son sujet. Il veut nous faire découvrir l'histoire d'un réfugié migrant tout en sachant qu'il en existe mille autres plus "simples" (comme la famille de son épouse) ou plus dramatiques comme ces pauvres personnes violées, asservies en esclavage ou tuées sur leur route de l'espoir. Hakim lui est présenté par une amie journaliste. En frappant à sa porte il ne connait rien de lui comme nous quand nous ouvrons le T1. Simplement Toulmé se met à l'écoute d'un récit pour nous le transmettre tel quel, sans tricherie ni biais autre que celui de la langue. Jamais Toulmé ne verse dans le sensationnalisme ou le pathos facile. Il n'en a pas besoin tellement le déroulé du voyage du gentil Syrien porte sa propre tension dramatique. Hakim et son fils vont de l'avant montrant une résolution à vaincre l'adversité qui laisse le lecteur sans voix. Toulmé réussit la prouesse de synthétiser ces dizaines d'heures d'écoutes en un récit d'une fluidité cristalline.
Le ton est toujours juste sans jugement de valeur, la bêtise, la cruauté et l'injustice s'étalant d'elles-mêmes sans que l'auteur aie besoin d'en rajouter. Les trois tomes sont d'un égal niveau même si personnellement j'ai trouvé la T2 au summum d'un récit dramatique.
Graphiquement cette traversée d'un petit bout de la mer Egée restera longtemps gravée dans ma mémoire. La scène est très statique puisque personne ne peut bouger dans le Zodiac.
Pourtant, grâce au sublime des expressions des passagers (et surtout celles du petit Hadi) Toulmé parvient à nous faire sentir cette houle menaçante et cette eau glaciale qui envahit petit à petit la frêle embarcation. Ce passage rend le récit de Toulmé universel puisqu'il présente les deux fins possibles d'une telle situation ; la noyade ou le sauvetage. Car dès le début de cet insensé départ avec un petit de un an il n'y a pas d'autres alternatives : la noyade en mer, dans un camps ou sur le bord d'une route à la suite d'une mauvaise rencontre ou le sauvetage de toute une famille à Aix ou à Dortmund.
Toulmé hisse sa série au niveau des plus grands récits. Elle s'inscrit dans un environnement précis mais peut être lu comme l'universelle tragédie des déracinés de tous les siècles passés ou à venir.
Une lecture passionnante tout en justesse et en sensibilité. Un must.
Au moment où vous lisez ces lignes, des « migrants » sont peut-être en train de quitter le rivage libyen sur des canots pourris, d’autres dérivent au milieu de la Méditerranée dans des conditions critiques, avec probablement rien dans le ventre si ce n’est la peur… Leur objectif ? Rejoindre l’Europe dans l’espoir d’une vie meilleure, fuir avant tout la misère, la guerre ou les persécutions dans des pays en crise. Mais avant qu’ils ne puissent trouver une hypothétique terre d’asile, c’est encore un véritable parcours du combattant auquel ils seront confrontés. La plupart d’entre eux, venus d’Afrique subsaharienne, du Moyen-Orient voire du Bangladesh, convergeront vers la Lybie, un pays « accueillant » faisant office d’entonnoir, où les réseaux mafieux organisent des trafics d’êtres humains dans des conditions ignobles.
Pour témoigner de tout cela, Lucas Vallerie a pris place durant près d’un mois à bord du désormais célèbre Geo Barents, le navire de sauvetage de Médecins sans frontières qui a fait à plusieurs reprises les gros titres de la presse. Un vrai travail journalistique auquel il a imprimé son regard d’auteur-dessinateur, en décrivant le quotidien des sauveteurs de façon saisissante.
Loin d’être un documentaire convenu, « Traversées » parvient contre toute attente à captiver le lecteur de bout en bout. Vallerie ne se contente pas de décrire froidement ce qu’il a vécu, mais transforme son témoignage en aventure palpitante, en s’impliquant avec une sincérité très touchante et un réalisme qui nous absorbe littéralement. En côtoyant ces sauveteurs, qui font figure de héros des temps modernes (près de la moitié étant des femmes), l’auteur nous fait vivre des opérations parfois périlleuses qui nous font prendre conscience du désespoir de ces gens, un désespoir si profond qu’il les pousse à risquer leur vie pour traverser une Méditerranée souvent tumultueuse et imprévisible. A ce titre, on retiendra la scène terrible du naufrage page 63, qui provoquera la noyade de 30% des cent passagers d’un frêle esquif gonflable…
Autre point fort du récit, Lucas Vallerie donne un visage à ces personnes vues souvent par les médias comme des cohortes anonymes, voire par certaines publications extrémistes comme des envahisseurs cautionnant la théorie si chère à certains politiciens démagogues : le fameux « grand remplacement ». Ce faisant, il décrit leur parcours semé d’embuches, le plus tragique étant celui de la camerounaise Jeannette et sa fille Ina
L’auteur possède un trait simple et abouti, tout à fait sympathique, avec un sens du détail équilibré pour restituer la réalité de son séjour à bord du navire mais aussi pour aussi pour retranscrire les témoignages de plusieurs réfugiés. Les portraits qu’il nous donne à voir des sauveteurs ne sont rien de moins que des hommages mérités. Mais les autres qu’il a fait des personnes secourues, bien plus nombreux, provoquent une émotion irrépressible, sans pathos inutile. J’ai moi-même été bouleversé à plusieurs reprises, c’est dire à quel point ce récit comporte une puissance immersive.
On ne trouvera rien qui puisse jouer en défaveur de ce très beau documentaire empreint d’humanité, auquel Lucas Vallerie a même su glisser une touche d’humour, qui contrebalance à bon escient l’âpreté du propos et ne diminue en rien sa force. Aux réfractaires qui argumenteront probablement que l’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, précisons que « Traversées » se situe à l’écart de tout discours politique. En effet, les équipes du Geo Barents n’ont pour seul rôle d’agir comme tout humain digne de ce nom se devrait de le faire : sauver des vies, point barre. S’opposer à cela ne reviendrait-il pas à promouvoir la non-assistance à personne en danger ?
Coup de coeur pour "Swan" de Nejib !
Si le tome 1 était déjà très bon, le tome 2 est encore plus prenant. On y trouve un véritable souffle romanesque ainsi que des rebondissements crédibles et bien amenés. Les personnages sont attachants, consistants, ils ont l'épaisseur de personnages de roman, ça bouillonne, c'est la vie qui défile sous nos yeux avec toute la galerie des artistes du XIXème siècle que Nejib croque sans fioriture mais avec un talent évident.
J'ai également apprécié les dialogues ciselés qui font mouche et la présence de nombreuses oeuvres d'art jalonnant le récit (même si je ne les ai sans doute pas toutes repérées).
Le tome 3 qui vient conclure cette superbe histoire est peut-être un peu plus attendu, mais l'ensemble est vraiment bien ficelé. Une belle série sur l'histoire de l'art que je relirai avec plaisir !
Nejib poursuit donc son chemin en traitant un de ses thèmes de prédilection : la mémoire, la construction d'un souvenir, déjà présent dans Stupor Mundi tout en affinant au passage sa technique. Le trait est parfaitement adapté, dynamique, expressif et fluide.
Ce fut un grand plaisir de parcourir ce récit aux multiples enjeux et personnages et où tout est limpide. Nejib a vraiment un talent particulier pour raconter ses histoires. Pas d'effets de manche, de prétention, tout coule de source.
C'est instructif sans être pédant (et ça donne envie de s'informer davantage), l'auteur mêle personnages fictifs et personnalités marquantes du XIXème siècle avec une facilité déconcertante, il rend hommage aux artistes (mais ne se prive pas pour autant de les croquer avec humour) tout en nous contant une histoire familiale qui a de la chair, bravo !
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Judas
Et si tout n'était que mensonges ? Évidemment, avec ce titre, la religion va être au centre du récit. D'abord avec Judas Iscariot en personnage principal, mais deux autres protagonistes vont avoir des rôles majeurs : Jésus et le diable. Si Judas n'avait pas facilité l'arrestation de Jésus, l'histoire n'aurait plus la même résonance, il n'aurait pas été jugé par Ponce Pilate, crucifié sur la croix et ressuscité trois jours plus tard. Car comme le souligne l'apôtre Paul : « Et si le Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est vaine, et vaine aussi est votre foi. », sa résurrection est le cœur de la foi chrétienne. A sa mort Jésus descend à l'Hadès et là... Jeff Loveness nous en donne sa version, en réunissant nos trois personnages pour un "Qui a trahi qui ?". Un scénario inventif et bien construit, il puise dans la bible pour être au plus proche des évangiles. C'est cet aspect du récit qui met du grain à moudre dans la tête du lecteur, tout en suivant en parallèle les interrogations de Judas. Un Judas qui dégage une belle humanité. Rien n'est totalement noir ou totalement blanc. Une fin qui ne pouvait que se terminer ainsi, et elle me satisfait. Si j'ai autant aimé ce récit, Jakub Rebelka n'y est pas étranger. Sa composition graphique est totalement immersive avec le grand soin apporté aux décors, aux détails vestimentaires, à sa mise en page, à son trait gras et géométrie et à ses choix de couleurs. Un style à nul autre pareil, d'une efficacité redoutable. Une reconstitution minutieuse de cette période historique et la partie se situant aux enfers sent le souffre et la putréfaction. Très très beau ! Un comics très original sur le fond et sur la forme. Mais un comics que je ne peux ni conseiller, ni déconseiller, le sujet risque d'en laisser certains sur le carreau. Coup de cœur. "Nul n'a plus grand amour que celui-ci : Donner sa vie pour ses amis." Jean,15 : 13.
1629 ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta
tome 1 La première chose que l'on remarque avec cette bd, c'est sa qualité éditoriale, une couverture remarquable, et un album de 135 pages qui pèse plus d'un kilo ! Certes, le prix est assez élevé, et un choix éditorial autre à un moindre coût aurait pu l'emporter mais c'est vrai que cette option, assez luxueuse, est discutable mais passons... Ce qui frappe en ouvrant cet album, c'est le dessin de Thimothée Montaigne. J'avais découvert cet auteur avec la série Le Troisième Testament - Julius qu'il avait repris au pied levé avec un certain brio, il faut l'avouer. Certes son dessin lorgne sans ambiguïté aucune, vers celui de Mathieu Lauffray, avec lequel il avait collaboré sur Long John Silver. Il n’y a rien à dire sur le dessin, c'est superbe, on en prend plein la vue avec quelques pleines pages ou doubles pages incroyables (je pense notamment à la découverte du Jakata, pages 22 et 23.) En débutant la lecture, j'ai immédiatement songé au personnage de Lady Hasting de Long John Silver avec Lucretia Hans, qui veut rejoindre son époux, au delà des mers. Je reste subjugué par la beauté des planches, malgré la noirceur de l'intrigue, au fil des pages. Le scénario de Xavier Dorison n'est pas en reste, l'intrigue est très sombre, les personnages très tourmentés, et ce premier volume retrace avec une efficacité remarquable, l'atmosphère qui règne sur un navire où une mutinerie couve.... Parti d'un choix éditorial très discutable sur le coût, cet album rejoint, à mes yeux, un des meilleurs albums que j'ai lus cette année, bref un incontournable de cette année. tome 2 La lecture du premier volume fut , pour moi, jubilatoire. Je ne connaissais pas du tout ce fait maritime, et je me suis fait souffrance pour ne pas aller en découvrir davantage , pour mieux appréhender ce second volume. Je dois dire que cet album est époustouflant à tout point de vue. Un dessin de Thimothée Montaigne magnifique voire exceptionnel, les pleines pages sont d'une beauté à couper le souffle. Mais c'est surtout le rythme du récit qui tient en haleine le lecteur, d'ailleurs je n'ai pas réussi à lâcher ce livre avant d'en connaitre le dénouement. On a du mal à imaginer tant d'atrocités dans ce récit, bien qu'il soit très fortement inspiré de faits réels. Le travail de Xavier Dorison est, une de fois de plus, remarquable dans cette adaptation. J'ai bien évidement relu le premier volume de ce diptyque avant de me lancer dans cet album, et à mon avis, ce second tome dépasse encore le précédent, c'est dire! Une de mes meilleures lectures de cette année. Et je passe sous silence la qualité éditoriale de l'album,et son prix, certes élevé, mais lorsque le scénario et le dessin sont d'une telle qualité, on ne peut passer à côté d'un tel chef d’œuvre.
Poussière d'os
Ben Stenbeck s'est fait connaître pour ses collaborations avec Mike Mignola (qui signe d'ailleurs la préface de cet album). Pour ma part, c'est avec Hellboy et B.P.R.D. - Origines que j'ai découvert cet auteur. Le voici qui signe son premier album solo dans un registre qui sort du fantastique pour lequel on le connaissait pour nous proposer un album SF post-apo' d'une grande force. Comme le relève la présentation de l'éditeur, on est ici dans un univers proche de Mad Max. C'est sur les pas agiles d'un jeune garçon sauvage et le regard curieux d'une IA en mission sur Terre que nous allons découvrir cet univers ravagé où pullulent des tribus cannibales. Un seul objectif : survivre. Pour y parvenir tout est permis, et ça notre jeune l'a bien compris. Quant à notre IA, son petit côté philanthrope va lui jouer des tours, car c'est en voulant venir en aide au garçon que tout ce petit monde va se retrouver impliqué dans une tragique chasse à l'homme. Chasseur, chassé, les rôles tournent, les têtes aussi et volent parfois : ça va saigner sec ! Voilà en tout cas un album surprenant, certainement un des meilleurs albums de SF lus depuis pas mal de temps. On se laisse en effet rapidement prendre par cette histoire âpre et noire où importe juste le fait de survivre. Les personnages sont bien campés et originaux, que ce soit notre mystérieux garçon, le duo d'IA ou même les personnages composants la meute humaine qui poursuit notre protagoniste. Côté graphisme, le style épuré de Ben Stenbeck très bien mis en valeur par la colorisation sobre de Dave Stewart est d'une redoutable efficacité. Un très bon one shot, qui donnerait presque envie de voir d'autres albums étoffer cet univers !
P.T.S.D.
Musique d’ambiance : Ghost in the Shell – Nightstalker Dans le making-of, Guillaume – Blaky – Singelin évoque des films d’animations tels qu’Akira ou Ghost in the Shell entre autres, parmi ses inspirations du décorum de P.T.S.D. et c’est effectivement ce qui m’a le plus frappé à ma lecture, je voulais donc l’évoquer en premier. L’action se situe dans une ville tentaculaire, étouffante de par le climat mais aussi parce que ça grouille d’êtres humains, la pauvreté, la misère sont partout, du plus bas de la ville parmi les rats et les miséreux, jusqu’au sommet des buildings tenus par les gangs. J’ai grandement apprécié les inspirations asiatiques sur cet aspect là, qui sont aussi présents concernant le charadesign des personnages, quasi mangagesques avec leurs grands yeux expressifs. Les scènes de bouffe également ont un côté très « Miyazaki » dans l’approche, ça réchauffe les cœurs et pense les blessures aussi bien physiques que mentales. Les proportions des corps sont parfois un peu chelou mais cela fait partie du style du dessinateur, plutôt cool. Et puis ça contraste avec le code couleurs, très chaud souvent, exotique, c’est la ville dans la jungle on a l’impression. Et comme on nous raconte l’histoire d’une soldate sniper d’élite jamais totalement revenue de la guerre (qui s’apparente à celle du Vietnam), c’est un choix assez pertinent et intelligent. L’histoire donc, c’est la fusion de First Blood, L’échelle de Jacob et Dredd, c’est G.I. Jane à la confrontation des gangs de rue. Mais que fait la police d’ailleurs?! Enfin ça c’est pour les apparences, il y a tout un récit sur la rédemption, qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire, un discours aussi sur l’entraide, le fait qu’on est plus fort ensemble que seul dans son coin. Certains trouveront ça un peu bateau peut être, moi j’ai trouvé que c’était une bonne piqûre de rappel, et puis que c’était bougrement bien mené. C’est tour à tour touchant et violent. À ne pas rater.
Capa - L'Etoile filante
Ce one-shot a été l'occasion de me (re)plonger dans la courte mais prolifique carrière de Robert Capa, considéré comme l'uns des tous meilleurs photographes de tous les temps et un pionnier du photojournalisme. La bande dessinée revient sur les 20 dernières de sa vie, c'est à dire à partir du moment où sa compagne de l'époque Gerda Taro (autre photographe de guerre de génie) a l'idée d'un pseudonyme plus vendeur. Il s'agira de Robert Capa, plutot que Endre Friedmann, cela donne une sonorité plus américain et permettra au couple de vendre plus cher leurs clichés. Je dois reconnaitre que j'ai eu un peu de mal à rentrer dans l'histoire et je pense que ça tient surtout à la narration, assez lente. Il n'y a quasiment pas de dialogues, ce sont essentiellement les pensées de Robert Capa, retranscrites à la première personne, en voix off, en support de l'image. Sans doute l'idée de l'auteur était-elle de donner à l'oeuvre un coté journal intime ou carnet de bord. Mais j'ai trouvé que ça n'aidait pas forcément à une lecture tres fluide. Et puis au fur et à mesure que l'on tourne les pages, l'ensemble gagne en cohérence, en consistence. Cette approche intimiste nous fait mieux comprendre les sentiments de Capa, son attente surtout, quasi maladive entre les conflits, son besoin d'action, d'être au plus près des combats, d'entendre les balles qui fusent autour de lui. Le point d'orgue étant le 6 juin 1944 avec ce débarquement sur les plages de Normandie, retranscrit avec beaucoup de force et d'émotion. J'ai trouvé le dessin tres fin et très élégant, et les couleurs majoritairement sépias, aident parfaitement à inscrire le récit dans ce contexte de photojournalisme de guerre, qui était essentiellement en noir et blanc. La seule touche de couleur arrive avec la derniere planche, évidemment pour souligner la dramaturgie du moment et on pense bien évidemment à la liste de Schindler de Spielberg. Plus que les différents conflits connus que Capa a couverts (la guerre civile en Espagne, la deuxième guerre mondiale, la guerre d'Indochine), ça a surtout été pour moi l'occasion de prendre la mesure du destin incroyable de Capa. Il aura en moins d'une vingtaine d'années rencontré et cotoyé (entre autres) Hemingway, Picasso, Matisse, Ingrid Bergman, Hitchcock, Roosevelt, Steinbeck. Il aura vécu en Europe, aux Etats Unis, en Asie, ... Ce que montre bien finalement cette BD c'est son coté insatiable et entier: joueur de poker invétéré (et visiblement pas très bon), buveur, et surtout avec cette envie constante de se retrouver sans cesse sur la ligne de front quelle qu'elle soit, à risquer sa vie à chaque instant. On finit meme par se demander si immortaliser l'instant et informer l'interessent finalement moins que l'adrénaline et la prise de risque. L'auteur réussit vraiment bien nous faire vivre cela. Cela fait d'ailleurs écho à un film sorti cette année sur le même thème: Civil War. Dans un futur proche on y voit des journalistes tout risquer également pour une photo et on se demande surtout si leur véritable motivation n'est pas cet éternel shoot adrénaline. Belle BD donc à découvrir sur ce type incroyable qu'a été Robert Capa.
Il était une fois l'Amérique - Une histoire de la littérature américaine
Voilà exactement une BD dont j'avais besoin. J'ai lu quelques-uns des auteurs majeurs de son histoire, comme beaucoup de gens je pense, tels que Herman Melville, Henry James (qui était américain au départ avant de mal tourner et de devenir anglais), ou même Nathaniel Hawthorne. Mais je n'avais pas vraiment une vue d'ensemble des débuts de cette littérature, que l'autrice Catherine Mory place au début du XIXème siècle. Je pense qu'il y a eu quelques auteurs auparavant, mais qu'ils n'ont pas eu le rayonnement de la quinzaine de noms qui sont traités ici. L'enjeu est ici de nous montrer comment, à partir de James Fenimore Cooper (auteur du Dernier des Mohicans entre autres), ces femmes et ces hommes ont construit une véritable légende, une mythologie pour leur pays si disparate, si difficile à saisir. On notera au passage qu'une seule femme est présente dans ce casting, qu'à ma grande honte je ne connaissais pas, à part en ayant croisé son nom sans aller bien plus loin. On nous présente donc la vie et l'œuvre de chacune de ces augustes personnes, en nous indiquant dans quel milieu il ou elle a grandi, comment il ou elle s'est construit(e) mais aussi les œuvres remarquables de chacun(e). Et c'est fait de façon assez accessible, didactique sans être lourdingue. Il y a des pincées d'humour, mais sans en rajouter. Catherine Mory, enseignante en littérature, est clairement dans son élément, aidée par ses éditeurs dont le nom figure en couverture. J'avoue que j'ai bien aimé ma lecture, j'ai appris énormément de choses en parcourant ce premier tome qui fait un tour d'horizon de l'autrice et de l'auteur nés au XIXème siècle, certains ayant terminé leur carrière et leur vie au début du XXème. Après chaque épisode bio-bibliographique, un arbre nous propose en un clin d'œil de voir qui sont les héritier(e)s de chaque grand nom au XXème siècle, de quoi prolonger les recherches ou piocher des idées de lecture en attendant le deuxième tome qui traitera du XXème. Dans ce deuxième tome, on continue sur les mêmes bases, à savoir un panorama des auteurs majeurs de la littérature américaine. Je dis bien "auteurs", car malheureusement peu de femmes sont présentes : une seule sur les dix noms présentés, même si à l'issue de chaque chapitre, un arbre permet de voir quel(le)s autres auteurs/trices chacun(e) a pu influencer. C'est donc Flannery O'Connor, qui a écrit des romans noirs, empreints de son Sud profond, qui a l'honneur de représenter la gent féminine. C'est d'ailleurs celle dont la vie me semble la mieux décrite, de manière un peu moins scolaire que celle de gars comme Hemingway, Capote ou Tennessee Williams... Comme le souligne Gaston dans son avis, il est un peu dommage que l'on ait droit à des résumés entiers des œuvres, alors que la vocation d'une telle collection est plutôt de donner envie de découvrir les écrits de tel ou tel auteur... Mais cela reste pertinent, passionnant et indispensable. Le dessin est assuré par Jean-Baptiste Hostache, qui a fait son petit bout de chemin depuis Clockwerx, et propose un style mêlant une certaine rigueur dans les costumes avec un relâchement à la Blutch dans les postures et les expressions des personnages parfois. Bref, c'est passionnant, c'est indispensable, c'est très plaisant, je recommande évidemment.
A Silent voice
Ça faisait un petit moment que j’entendais beaucoup de bien de cette série et j’ai récemment décidé de l’essayer. On nous raconte l’histoire de Shoko, une jeune fille sourde, et de Shoya, un jeune garçon qui l’a autrefois harcelée. Toute l’histoire tourne autour du handicap, de ses conséquences pour la personne concernée et l’impact sur son entourage, mais également du harcèlement, de sa cruauté gratuite et de la terrifiante facilité avec laquelle les gens le normalisent et se font entraîner par le mouvement. La façon simple avec laquelle le personnage de Shoya passe de l’enfant turbulent qui trompe l’ennui à l’enfant brimeur croyant simplement faire des blagues pour faire rire la galerie est glaçante de vérité. L’indifférence généralisée à la souffrance de Shoko est, là aussi, bien amenée et réaliste (tout comme le fait que les gens l'ostracisent, parfois même sans se rendre compte). C’est ça, vraiment, qui m’a bluffé dans cette lecture : le réalisme. Moi aussi, dans ma jeunesse, je suis passée par-là. Surtout dans la peau de Shoko mais malheureusement aussi dans la peau de Shoya. Je peux vous dire que, quand j’ai lu la façon qu’avait l’autrice de dépeindre cette fine ligne entre le harceleur pour les uns et le harcelé pour les autres, le sentiment d’impuissance des personnes différentes face aux brimades collectives et ce désespoir et cette haine de soi qu’entraînent les remords et les blessures passées, je me suis prise une claque. L’histoire parle de cette quête de rédemption, justement. De ce désir de Shoya de vouloir réparer ses erreurs, coûte que coûte, en sachant parfaitement que les actes passés ne pourront jamais être oubliés. Et l’histoire est surprenamment positive. Dans sa quête de rendre Shoko heureuse, Shoya finit par se poser des questions sur ce qui fait les ami-e-s, sur le pardon mais aussi sur le fait de se reconstruire et d’aller de l’avant. J’ai pleuré à la fin. Le dessin, quant-à-lui, est simple mais beau. J’ai beaucoup apprécié certains partis pris visuels (comme les croix sur les visages des gens insignifiants aux yeux de Shoya et le fait que les mots des bulles qu’entends Shoko soient à moitié effacés). Je note tout de même un défaut à cette série (bon, deux si on compte le fait que Tomohiro est parfois assez embêtant comme comic relief). Je pense que l’histoire aurait pu se passer de la romance. Je sais qu’il est parfaitement possible que cela arrive dans la vraie vie, mais je commence à en avoir un peu assez de cette manie de mettre en couple un-e tortionnaire et sa victime. Certes, la plupart du temps, on montre bien que lae tortionnaire a changé-e (ou tout du moins essaye de changer), sauf que pour vraiment changer sur cela, et surtout (re)créer des liens forts entre deux personnes autrefois en confrontation, il faut des efforts et du temps. Beaucoup de temps. Ici, je doute que le laps de temps entre l’époque des brimades et l’époque de l’amitié suffise pour que cela fonctionne. Il est suffisant pour que les remords et la volonté de se racheter naissent, et que les personnages redeviennent ami-e-s, mais pas forcément pour une romance. Bon, l’autrice a au moins eu le bon goût de terminer sur une fin ouverte à ce niveau-là. Vraiment, à part ce bémol, ça reste très bon. 4 étoiles bien méritées.
L'Odyssée d'Hakim
J'ai eu du mal à quitter cette série tellement je me suis attaché au destin de Hakim et de son fils Hadi. J'avais déjà été séduit par ma précédente lecture de Fabien Toulmé avec son récit autobiographique de la naissance de sa seconde fille. L'auteur reste dans une narration biographique qu'il maîtrise à merveille. En effet le récit du voyage d'Hakim et de son fils de un an est passionnant en lui-même mais la qualité de la narration de Toulmé donne une dimension supplémentaire à cette dramatique aventure. Fabien Toulmé se range incontestablement parmi les meilleurs conteurs d'histoires de la BD de langue française actuelle. L'auteur ne s'éparpille pas et reste du début à la fin dans les limites de son sujet. Il veut nous faire découvrir l'histoire d'un réfugié migrant tout en sachant qu'il en existe mille autres plus "simples" (comme la famille de son épouse) ou plus dramatiques comme ces pauvres personnes violées, asservies en esclavage ou tuées sur leur route de l'espoir. Hakim lui est présenté par une amie journaliste. En frappant à sa porte il ne connait rien de lui comme nous quand nous ouvrons le T1. Simplement Toulmé se met à l'écoute d'un récit pour nous le transmettre tel quel, sans tricherie ni biais autre que celui de la langue. Jamais Toulmé ne verse dans le sensationnalisme ou le pathos facile. Il n'en a pas besoin tellement le déroulé du voyage du gentil Syrien porte sa propre tension dramatique. Hakim et son fils vont de l'avant montrant une résolution à vaincre l'adversité qui laisse le lecteur sans voix. Toulmé réussit la prouesse de synthétiser ces dizaines d'heures d'écoutes en un récit d'une fluidité cristalline. Le ton est toujours juste sans jugement de valeur, la bêtise, la cruauté et l'injustice s'étalant d'elles-mêmes sans que l'auteur aie besoin d'en rajouter. Les trois tomes sont d'un égal niveau même si personnellement j'ai trouvé la T2 au summum d'un récit dramatique. Graphiquement cette traversée d'un petit bout de la mer Egée restera longtemps gravée dans ma mémoire. La scène est très statique puisque personne ne peut bouger dans le Zodiac. Pourtant, grâce au sublime des expressions des passagers (et surtout celles du petit Hadi) Toulmé parvient à nous faire sentir cette houle menaçante et cette eau glaciale qui envahit petit à petit la frêle embarcation. Ce passage rend le récit de Toulmé universel puisqu'il présente les deux fins possibles d'une telle situation ; la noyade ou le sauvetage. Car dès le début de cet insensé départ avec un petit de un an il n'y a pas d'autres alternatives : la noyade en mer, dans un camps ou sur le bord d'une route à la suite d'une mauvaise rencontre ou le sauvetage de toute une famille à Aix ou à Dortmund. Toulmé hisse sa série au niveau des plus grands récits. Elle s'inscrit dans un environnement précis mais peut être lu comme l'universelle tragédie des déracinés de tous les siècles passés ou à venir. Une lecture passionnante tout en justesse et en sensibilité. Un must.
Traversées - La Route de l'aventure
Au moment où vous lisez ces lignes, des « migrants » sont peut-être en train de quitter le rivage libyen sur des canots pourris, d’autres dérivent au milieu de la Méditerranée dans des conditions critiques, avec probablement rien dans le ventre si ce n’est la peur… Leur objectif ? Rejoindre l’Europe dans l’espoir d’une vie meilleure, fuir avant tout la misère, la guerre ou les persécutions dans des pays en crise. Mais avant qu’ils ne puissent trouver une hypothétique terre d’asile, c’est encore un véritable parcours du combattant auquel ils seront confrontés. La plupart d’entre eux, venus d’Afrique subsaharienne, du Moyen-Orient voire du Bangladesh, convergeront vers la Lybie, un pays « accueillant » faisant office d’entonnoir, où les réseaux mafieux organisent des trafics d’êtres humains dans des conditions ignobles. Pour témoigner de tout cela, Lucas Vallerie a pris place durant près d’un mois à bord du désormais célèbre Geo Barents, le navire de sauvetage de Médecins sans frontières qui a fait à plusieurs reprises les gros titres de la presse. Un vrai travail journalistique auquel il a imprimé son regard d’auteur-dessinateur, en décrivant le quotidien des sauveteurs de façon saisissante. Loin d’être un documentaire convenu, « Traversées » parvient contre toute attente à captiver le lecteur de bout en bout. Vallerie ne se contente pas de décrire froidement ce qu’il a vécu, mais transforme son témoignage en aventure palpitante, en s’impliquant avec une sincérité très touchante et un réalisme qui nous absorbe littéralement. En côtoyant ces sauveteurs, qui font figure de héros des temps modernes (près de la moitié étant des femmes), l’auteur nous fait vivre des opérations parfois périlleuses qui nous font prendre conscience du désespoir de ces gens, un désespoir si profond qu’il les pousse à risquer leur vie pour traverser une Méditerranée souvent tumultueuse et imprévisible. A ce titre, on retiendra la scène terrible du naufrage page 63, qui provoquera la noyade de 30% des cent passagers d’un frêle esquif gonflable… Autre point fort du récit, Lucas Vallerie donne un visage à ces personnes vues souvent par les médias comme des cohortes anonymes, voire par certaines publications extrémistes comme des envahisseurs cautionnant la théorie si chère à certains politiciens démagogues : le fameux « grand remplacement ». Ce faisant, il décrit leur parcours semé d’embuches, le plus tragique étant celui de la camerounaise Jeannette et sa fille Ina L’auteur possède un trait simple et abouti, tout à fait sympathique, avec un sens du détail équilibré pour restituer la réalité de son séjour à bord du navire mais aussi pour aussi pour retranscrire les témoignages de plusieurs réfugiés. Les portraits qu’il nous donne à voir des sauveteurs ne sont rien de moins que des hommages mérités. Mais les autres qu’il a fait des personnes secourues, bien plus nombreux, provoquent une émotion irrépressible, sans pathos inutile. J’ai moi-même été bouleversé à plusieurs reprises, c’est dire à quel point ce récit comporte une puissance immersive. On ne trouvera rien qui puisse jouer en défaveur de ce très beau documentaire empreint d’humanité, auquel Lucas Vallerie a même su glisser une touche d’humour, qui contrebalance à bon escient l’âpreté du propos et ne diminue en rien sa force. Aux réfractaires qui argumenteront probablement que l’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, précisons que « Traversées » se situe à l’écart de tout discours politique. En effet, les équipes du Geo Barents n’ont pour seul rôle d’agir comme tout humain digne de ce nom se devrait de le faire : sauver des vies, point barre. S’opposer à cela ne reviendrait-il pas à promouvoir la non-assistance à personne en danger ?
Swan
Coup de coeur pour "Swan" de Nejib ! Si le tome 1 était déjà très bon, le tome 2 est encore plus prenant. On y trouve un véritable souffle romanesque ainsi que des rebondissements crédibles et bien amenés. Les personnages sont attachants, consistants, ils ont l'épaisseur de personnages de roman, ça bouillonne, c'est la vie qui défile sous nos yeux avec toute la galerie des artistes du XIXème siècle que Nejib croque sans fioriture mais avec un talent évident. J'ai également apprécié les dialogues ciselés qui font mouche et la présence de nombreuses oeuvres d'art jalonnant le récit (même si je ne les ai sans doute pas toutes repérées). Le tome 3 qui vient conclure cette superbe histoire est peut-être un peu plus attendu, mais l'ensemble est vraiment bien ficelé. Une belle série sur l'histoire de l'art que je relirai avec plaisir ! Nejib poursuit donc son chemin en traitant un de ses thèmes de prédilection : la mémoire, la construction d'un souvenir, déjà présent dans Stupor Mundi tout en affinant au passage sa technique. Le trait est parfaitement adapté, dynamique, expressif et fluide. Ce fut un grand plaisir de parcourir ce récit aux multiples enjeux et personnages et où tout est limpide. Nejib a vraiment un talent particulier pour raconter ses histoires. Pas d'effets de manche, de prétention, tout coule de source. C'est instructif sans être pédant (et ça donne envie de s'informer davantage), l'auteur mêle personnages fictifs et personnalités marquantes du XIXème siècle avec une facilité déconcertante, il rend hommage aux artistes (mais ne se prive pas pour autant de les croquer avec humour) tout en nous contant une histoire familiale qui a de la chair, bravo !