J’ai attendu ma 1000ème chronique pour aviser « Peter Pan », c’est vous dire à quel point cette bande dessinée est un must absolu pour moi.
Je pense que tout a été dit sur cette série réalisée de A à Z par Régis Loisel, elle a eu un tel impact sur le public amateur du 9ème art qu’elle fut même l’objet d’un ouvrage qui explique la genèse de « Peter Pan ».
Pour ma part, j’ai découvert cette bande dessinée en me rendant chez un ami bédéphile à l’époque où les 3 premiers tomes avaient été publiés. Il m’avait dit que « Peter Pan » était pour lui une des meilleures séries qu’il a lues jusqu’à maintenant. Je ne l’avais pas cru car « Peter Pan » est, pour moi, en premier lieu un dessin animé de Walt Disney et… je n’aime pas trop leurs réalisations.
Du coup, il m’a fallu attendre bien plus tard lorsque j’eus découvert et adoré « La Quête de l'Oiseau du Temps » du même auteur, Régis Loisel, pour me mettre à feuilleter « Peter Pan » et ce fut… une sacrée claque ! (Rien à voir avec du Walt Disney !) Une des BD qui m’a le plus impressionné au niveau des émotions (du rire aux larmes, tout y passe !) ; d’ailleurs, rien qu’à écrire cet avis et à repenser à cette histoire, j’ai de nouveau des frissons, des poils qui hérissent !
Je ne vais pas vous écrire ce qui m’a exactement plu dans « Peter Pan » parce que, justement, j’ai tout adoré que ce soit du graphisme, le scénario, l’ambiance, les personnages, sa situation dans Londres victorienne, la mise en page… TOUT je vous dis !
Cette lecture interpelle.
Environnement toxique est un récit autobiographique dans lequel l’autrice partage son expérience comme ouvrière au sein de compagnies travaillant sur les sables bitumineux au Canada. Il s’agit d’un récit très personnel et touchant par plusieurs aspects.
Kate Beaton est autodidacte et cela se ressent dans son dessin comme dans son découpage. Le trait est parfois raide, les proportions ne sont pas toujours respectées. La bande dessinée en elle-même se présente plus comme une juxtaposition de scènes que comme un récit construit avec une vision d’ensemble. Elle présente donc un rythme assez syncopé. Enfin, malgré une volonté manifeste de l’autrice de bien caricaturer chaque personnage, il n’est pas toujours évident de savoir qui est qui (même si en règle général, le risque de confusion demeure très limité). Ceci pour vous dire qu’il ne faut pas lire ce récit pour ses qualités techniques mais bien plus pour ce que l’autrice a à nous dire.
Je m’attendais à lire un récit vaguement féministe mais surtout écologiste. Au final, j’ai eu l’inverse puisque l’essentiel du propos se centre sur les comportements sociaux entre collègues. J’ai beaucoup aimé son analyse de la situation, réfléchissant au sujet des comportements masculins sur des critères plus subtils que le simple « c’est un homme, donc un primate ». Ici, la structure des camps, le fait que les femmes soient en forte minorité, l’isolement ou le manque de prise en charge psychologique du personnel sont autant de critères qui viennent nourrir les réflexions de l’autrice, avec cette interrogation en point d’orgue : « et si mon père -image de l'homme protecteur, juste et droit- était ici, son comportement serait-il différent de celui des autres ? »
Mais cette analyse n’empêche pas l’émotion. Certains passages sont très durs (Kate Beaton sera violée à deux reprises) mais racontés avec beaucoup de pudeur, ce qui émeut d’autant plus.
Le récit étant chronologique, les questionnements sur l’environnement ou sur le sort des populations locales ne surviennent que dans le dernier tiers, soit au moment où ils commencent à faire débat dans la presse. Au fil des pages, l’autrice mûrit. De l’oie blanche qu’elle était à ses 21 ans et à son arrivée, elle devient une femme qui ose s’affirmer mais aussi s’interroger sur ses responsabilités. On a donc également droit au portrait d'une femme qui grandit, marquée par les traumatismes subis comme par les rencontres plus positives.
Dans l’ensemble, les deux aspects que je retiens prioritairement sont la qualité d’analyse de l’autrice et la pudeur avec laquelle elle relate les événements (on n’apprend ainsi que dans la postface qu’une de ses sœurs est décédée d’un cancer après avoir elle aussi travaillé sur ces sites durant de longs mois, l’autrice n’en parle absolument pas dans la bande dessinée en elle-même, comme si cette douleur-là, elle voulait la garder pour elle, sans l’exhiber). Cette lecture, malgré ses limites techniques, a donc réussi à me toucher et à m’interpeller. Et pour ça, je dis « franchement bien ! ».
Les Années Spoutnik est une BD extrêmement touchante et totalement intergénérationnelle. Mon fils de 9 ans a lu l'intégralité de la série 2 ou 3 fois et il a adoré, bien qu'il n'était pas très motivé au départ, mon insistance ayant payé.
Le talent de Baru éclabousse les 4 tomes, on prend un plaisir fou à observer la vie de ces gamins et de leurs familles dans cette cité ouvrière des années 50-60, qui me rappelle la rue de mes grands-parents, dans laquelle toutes les maisons se ressemblent. Les souvenirs racontés par mon père et mes oncles dans ce quartier communiste ouvrier, balancé entre papeterie et cimenterie, collent parfaitement avec ceux de Baru. C'est émouvant, on est face à un témoignage de la vie et des rêves de nos ascendants.
Et même moi, qui suis plus jeune, je me suis retrouvé dans plein de choses : la scène du pénalty évidemment, les bandes "rivales" (même si on ne se mettait pas des peignées comme ça !), le fait que n'importe quel endroit à l'extérieur pouvait nous servir de terrain de jeu. Je revois Alex, Alicia, Gwenaël, Gladys et d'autres, mes voisins avec qui je partais jouer toute la journée dans la forêt, sur le terrain de foot, dans le champ d'à côté, etc.
Les dialogues sont géniaux, ils ont réveillé en moi le passionné de langues, de jargons et de patois. Ils ont fait rire mon fils.
J'ai lu la série deux fois, et à chaque fois, j'ai pris un plaisir fou à lire et à décrypter ces sociolectes. Encore mieux, le mélange des cultures - et donc des langues - est un témoignage surpuissant des bienfaits, linguistiques et sociaux, de la diversité.
Sous ses abords de BD simple et légère, Baru nous livre une œuvre bien plus complexe sur notre histoire, sur la vie de nos parents et grands-parents. Et, si comme moi, vous êtes issus d'une famille modeste, communiste et ouvrière (mais heureuse), et qu'en plus vous vous intéressez de près au multiculturalisme et à la diversité linguistique et sociale, cette série doit trôner en haut de votre bédéthèque.
Les Années Spoutnik est un véritable trésor.
Un vrai bonheur de lecture que cette BD, qui est splendide à de multiples points de vue ! Le scénario est d’une grande richesse, au fil du parcours épique d’un trio que rien ne prédispose a priori à l’aventure : Tarid le débonnaire et rondelet eunuque bibliothécaire, Lubna l’esclave copiste qui travaille avec Tarid, et Marwan l’ancien élève de Tarid devenu petit voleur de rues bien peu doué. Trio et même quatuor car s’y adjoint la mémorable mule du titre, qui joue un rôle essentiel (et inattendu) dans l’histoire, et contribue à la force comique du récit,
Ce quatuor se retrouve constitué un peu par hasard, suite un terrible évènement d’ouverture qui va les jeter sur les routes : l’incendie de la bibliothèque décidé par un vizir, moins fanatique religieux que politique soucieux de s’attirer l’appui des religieux, essentiel à son ambition politique. En les accompagnant dans leur fuite désespérée destinée à sauver un poignée des trésors de la bibliothèque, nous allons vivre avec eux une bien riche et passionnante aventure.
Les auteurs ont fait un travail de recherche et de documentation d’une très grande précision, mis en images dans une très belle illustration des villes et paysages, qui nous transporte littéralement dans cet Espagne de Al Andalus, au temps de l’apogée politique de l’émirat de Cordoue. La postface très intéressante montre à quel point le livre est fidèle dans ce que nous connaissons de cette époque où cohabitaient (de façon plus ou moins pacifique selon les moments) en Espagne royaumes musulmans et chrétiens, et dans Al Andalus musulmans, chrétiens et juifs. Et dans le fil du récit on découvre d’étonnantes anecdotes authentiques, jusque dans le détail des péripéties inattendues d’un roi trop gros pour monter à cheval, ou sur les contrefaçons d’épées vikings circulant au 10ème siècle et que seul un œil averti pouvait identifier.
L’aventure est riche de rebondissements, d’humour et d’émotions multiples. L’histoire contient beaucoup de mystères relatifs aux personnages principaux dont on découvre progressivement l’histoire passée, y compris à travers des rêves quasiment fantastiques dont on découvre le sens ensuite. Dans la description de cette époque dure qui n’est pas présentée de façon idéalisée, nos antihéros se trouvent confrontés à des difficultés nombreuses, pourchassés de tous côtés, où beaucoup de leurs contemporains sont plus prédateurs que protecteurs et où pour nombre d’entre eux, les livres ne signifient rien, ou n’ont de valeur que marchande.
Tous les acteurs de cette fresque sont dessinés avec beaucoup de talent, qu’il s’agisse des personnages importants du récit, mais aussi de tous les nombreux personnages secondaires qui existent tous avec réalisme et une belle expressivité qui rend perceptible leur personnalité : intelligence, mesquinerie, générosité, douceur, ruse, brutalité…
Mais au-delà du récit épique, il y a un autre récit imbriqué, qui nous parle de l’amour des livres, de la richesse de la connaissance qu’ils permettent de partager et de ce qu’ils apportent à l’humanité. Il est fascinant de redécouvrir avec Tarid des intuitions anciennes et souvent méconnues aujourd’hui sur l’évolution des espèces ou sur les prémices de l’aviation ! Tout au fil des livres évoqués dans la BD, l’histoire réalise un bel hommage à la richesse de la littérature des savants d’Al Andalus et un rappel de leur rôle essentiel de passeurs qui nous ont permis de sauver les textes de nombreux grands auteurs antiques. Cet autre récit est aussi un rappel de la grande fragilité des livres, en butte à l’hostilité des obscurantismes religieux et des totalitarismes politiques car toujours susceptible de contenir des pensées qui les remettent en cause. Et dans un glissement progressif qui traverse les siècles jusqu’à notre époque, la très forte dernière double page devrait interpeller non seulement tous les lecteurs, mais tous les amoureux de la liberté de pensée et de l’accès à la connaissance dont les livres ont souvent été les vecteurs.
Enfin, et c’est logique pour une BD qui évoque si fortement l’amour des livres et des bibliothèques, « La bibliomule de Cordoue » est un beau livre : un bel objet qu’on aime tenir en main et parcourir. La réussite des auteurs est totale.
Fichtre! Quelle réussite que cet album que j'ai découvert après la bataille, plusieurs années après sa sortie! Si seulement je m'étais douté du moment de lecture extraordinaire qu'il me ferait passer...
Elles sont rares les BD qui m'ont ému à ce point ces dernières années. J'ai refermé celle-ci à regret car j'en aurais lu volontiers une centaine de pages supplémentaires.
J'ai grandi en lisant le journal de Spirou, de la fin des années 70 au début des années 90. J'ai retrouvé ici tout ce qui avait enchanté mes lectures d'enfance. Franck Pé est pour moi la synthèse de ce style développé par les éditions Dupuis. Son dessin, la composition de ses cases et de ses planches possèdent une force d'évocation hors du commun. Quant au scénario, il a trouvé un point d'équilibre rare entre les différentes émotions. Il se dégage de ce Spirou une grâce étonnante, inattendue pour moi avant d'en entamer la lecture et je m'incline devant le talent qui a été mis en œuvre ici.
Nom d'une pipe, qu'est-ce qu'il m'a touché ce bouquin!
Je voudrais faire une remarque sur une critique récurrente au sujet de l'histoire des champignons noirs développée en parallèle: certains se plaignent de l'inutilité de cet épisode. Sans vouloir leur manquer de respect, ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas compris qu'il n'y a pas de sens à cette partie du récit qui est fondamentalement liée aux autres parties. Les auteurs ne donnent pas d'explications à l'inverse de toutes les mauvaises séries tv qui aiment le faire en mâchant et pré-digérant pour le spectateur ce qu'il y a à comprendre, le rendant finalement paresseux et incapable de se débrouiller sans cette canne. Et c'est toute la force de cet album de nous donner à comprendre par l'entremise des pensées et des réflexions induites par les émotions qu'il sait faire naître.
A sa manière donc, et dans son style, La lumière de Bornéo est un chef d'œuvre qui parvient à convoquer tout le génie d'un journal et d'une tradition éditoriale pour en restituer l'exceptionnelle saveur.
Un mot pour finir sur l'objet lui même: les éditions Dupuis ont eu l'heureuse idée d'imprimer cet album sur un papier mat, blanc cassé, qui offre un plaisir de lecture décuplé. Le livre est beau, l'impression également, merci aux auteurs et à l'éditeurs qui semblent avoir donné le meilleur d'eux mêmes.
Il n'est pas évident de trouver des mots qui parlent à tous sur un sujet aussi brûlant que l'avenir. L'avenir proche, très proche.
A travers le regard de trois jeunes parisiens, cette histoire transporte le lecteur à la découverte d'un monde SENSationnel. L'auteur met en avant les vestiges d'une civilisation ancestrale, en perfusion, où les traditions d'un peuple autochtone (ici en Alaska) résistent tant bien que mal à l'appel séduisant de la technologie, de l'immédiateté et du tout à portée de main. Ces peuples sont les premiers témoins, malgré eux, d'un environnement en plein bouleversement et à l'inverse, les derniers porteurs d'une vision animiste, philosophie centrale dans ce récit.
Plus qu'une critique de la civilisation occidentale en tant que population, c'est une invitation à la réflexion en tant qu'individu sur un mode de vie en guerre contre le vivant, sur des regards détournés d'évidences criantes et plus globalement sur le sens du mot 'vivre' en ce monde.
Je viens de finir Sapiens de Yuval Noah Harrari et je trouve personnellement que 'Les Pizzlys' en est une belle conclusion. L'illustration d'une évolution (biologique, culturelle et sociale) progressive de plusieurs dizaines et centaines de milliers d'années en contraste d'une destruction accélérée à l'échelle de quelques générations humaines.
Depuis ma lecture du Discours de la panthère, j'apprécie de plus en plus ce style graphique propre à Jérémie Moreau.
L'ouvrage en lui-même est magnifique (les couleurs de la première de couverture et sa taille) et la lecture est d'une grande fluidité avec un nombre important de pages contemplatives !
Je recommande à tous la lecture :)
Note réelle : 4.5
Cet album est une dystopie futuriste dans laquelle le monde ne va plus très bien. L'atmosphère n'est pas au mieux, et les villes sont coupées de l'extérieur par des bulles géantes. Les robots ont pris une place prédominante dans notre société. Ils représentent une main d'oeuvre bien moins couteuse que les humains, ils travaillent plus longtemps et du coup ils exercent maintenant la quasi totalité des métiers. Chaque famille possède son propre dombot, c'est à dire son robot domestique personnel. Et comme souvent dans les histoires de robots, ils vont avoir des sentiments, des états d'âme, et la cohabitation avec les humains sera de plus en plus fragile.
En quelques pages les bases de cet univers sont posées. 2056 c'est demain, ce monde est un peu taré... mais en même temps on a l'impression que l'on s'y dirige tranquillement mais surement. Entre le réchauffement climatique et le toujours plus de numérique et de digital, on y est presque. On rentre donc bien facilement dans cette histoire.
Le ton est satirique, un peu décalé et ça fonctionne très bien. Il y a quelques situations grotesques du meilleur effet. Notamment grâce au père de famille un peu idiot, dépendant de son robot, qui le considère comme un membre de la famille. Dans ce contexte, il va nous livrer quelques répliques bien amusantes. Il y a aussi des séquences bien trouvées, comme le procès où l'accusé amène sa défense sur une clé USB, et un algorithme le jugera en 32 secondes.
Des petites phrases ciselées par ci, des scènes saugrenues par là, au final le récit contient pas mal de bonnes punchlines qui font sourire. La critique des dérives de notre société est faite de manière intelligente avec un ton décalé et rigolo. Une satire légère qui ne cherche pas à être moralisatrice, et le résultat est amusant.
Lecteur d'avis depuis quelques mois, je franchis le pas et donne mon premier ressenti sur cette bd choisie après consultation de bdtheque.
Au niveau des dessins, c'est toujours très subjectif (nous avons toutes et tous une notion du "beau" différente). Je trouve que le mélange peintures psychédéliques (à travers les cauchemars du héros) et croquis réalistes pour le reste de la bd est intéressant et agréable à parcourir.
Le scénario, lui, comme dit dans l'avis précédent est très cinématographique. On a vraiment envie d'aller au bout du récit pour voir où va nous mener ce peintre et les gens qui l'entourent.
Plusieurs personnages sont bien construits et éveillent l'intérêt : Joan le barman, le voisin, le marchand d'art....
Notre peintre maudit croise le chemin de personnalités connues du tout public : Johnny Cash, Andy Warhol, Bob Dylan (enfin presque!)
ces clins d'œil apportent humour et tendresse à un récit étrange qui nous mène au bout de ce diptyque avec une petite larme au bord de la joue, comme en écoutant certaines balades tristes de l'homme en noir.
Je lis des bd depuis mon plus jeune âge. Depuis que j'ai la chance d'être à la retraite, je dévore de plus en plus de papier imprimé et je suis toujours heureux d'en découvrir de nouvelles, qui me surprennent : Juke box Motel fait partie de celles-ci.
Bonne lecture à toutes et tous.
On apprend beaucoup de choses sur les expéditions en Antarctique dans ce grand volume (plus de 200 pages) de François et Emmanuel Lepage. Il s'agit d'un photographe et d'un dessinateur qui décident de suivre "le raid", ce convoi qui, tous les six mois, livre des tonnes de matériel aux stations scientifiques du Pôle sud. C'est une tâche très difficile, et le froid met à l'épreuve autant les machines que les scientifiques.
Au-delà de l'intérêt culturel, la BD est superbe, en niveaux de gris et parfois des couleurs pour les étapes importantes, mais aussi pour insister sur l'aspect hypnotisant des variantes infinies des motifs et des couleurs de la glace. Pas besoin d'en apprendre plus pour foncer sur ce qui est un coup de cœur de ma médiathèque, mais je détaille quand même:
Emmanuel Lepage retrace donc la totalité du projet, depuis les premières rencontres jusqu'au raid en lui-même. Le début présente même un récapitulatif des conquêtes historiques de l'Antarctique. Certains équipages du XXème siècle sont restés plusieurs années piégés au milieu des glaces. Ces conquêtes se terminent sur un accord scientifique qui permet de geler les revendications territoriales. Avec des milliers de données partagées en temps réel entre plusieurs pays, c'est l'une des plus grandes collaborations scientifiques, et un exemple rare d'humanité, où les frontières ont été abolies pour un dessein plus vaste.
L'aventure est éprouvante de bout en bout, ne serait-ce que l'attente d'un an à cause du projet retardé, mais aussi le mal de mer, la difficulté pour Emmanuel de dessiner par un climat glacial, mais aussi une intégration complexe.
Le dessinateur a failli ne pas partir, car il est difficile de justifier la présence dans le raid de conducteurs qui ne sont pas parfaitement experts. Un dessinateur et un photographe sont un peu incongrus dans cette équipe de colosses, ils doivent faire leurs preuves. Emmanuel parvient tout de même à négocier sa place sur le raid et à dompter les machines.
A la fin de la BD, le format se diversifie en interviews, dessins, photographies qui donnent plus d'informations sur la genèse du projet. Une douzaine de photographies en double page permettent de voir à quel point les frères Lepage se complètent artistiquement, et ont retranscrit la beauté hostile des lieux.
Décidément j'aime beaucoup les BD-reportages (voir Jours de sable) et la diversité des formats, le mélange de photographies et de dessins.
Je ne pouvais pas passer à côté de la série à succès de Marguerite Abouet. Ce "Dallas" made in Abidjan mérite à mon avis tout le bien écrit et dit sur cette série.
Ce type de récit soap n'est pas l'apanage des TV mexicaines ou brésiliennes. Les producteurs nigérians, camerounais ou ivoiriens savent très bien en proposer à leurs publics qui en sont friands.
Il n'est donc pas surprenant que l'autrice ait pu puiser dans cette veine. Ici les auteurs s'adressent avant tout à un public français qui ne possède pas forcément toutes les clés de compréhension des traditions familiales africaines.
La magie du scénario de Marguerite Abouet est que son récit possède une vitalité, une authenticité et une fraicheur qui suffisent à captiver le lecteur. Il y a une prouesse au niveau de la mise en scène et du découpage pour faire intervenir quatre familles principales plus des personnages (importants) isolés sans que cela ne devienne un horrible imbroglio incompréhensible.
On pourrait un peu reprocher à l'autrice, pour des raisons scénaristiques, de réduire les fratries à quelque chose de rare en Afrique, voire quelque chose d'incongru. En effet un homme d'importance peut difficilement accepter de se contenter d'un ou deux enfants. C'est un peu la seule entorse à l'authenticité africaine du récit que je note.
Pour le reste, c'est un vrai régal. Maguerite Abouet fait rentrer pendant les six premiers tomes, le pays, le quartier et le village dans nos froids salons européens. Tout y est, l'autorité par strate générationnelle, les relations au sein d'un même groupe horizontal (les frères et soeurs au sens africain), les problèmes avec le village et son chef qui possède une autorité incontournable. Il y a beaucoup d'autres thématiques développées avec un plein d'humour, ce qui alimente le rythme de la série.
Le tome 7 ne m'a pas autant enthousiasmé car les auteurs reprennent la série avec des thématiques plus européennes à mon goût (politique et manifs). Il y a aussi une perte dans la personnalité de certains personnages comme Moussa, Adjoua ou Mamadou.
Car dans les six premiers tomes on suit le parcours d'un nombre important de personnages avec un équilibre remarquable. Aya n'est même que secondaire dans beaucoup de parcours. J'ai beaucoup aimé les récits autour d'Innocent, de Moussa et particulièrement celui du retour forcé de Félicité.
Bien sûr le plus de la série tient dans les dialogues truculents et fruités que nous délivre l'autrice. Entendre chanter cette langue franco-ivoirienne m'a procuré des émotions dignes des meilleures poésies et des rires à n'en plus finir.
Le graphisme de Clément Oubrerie n'est pas, pour moi, à ce niveau d'excellence, mais il fait bien le travail dans un style humoristique. Les personnages sont bien reconnaissables, leurs gestuelles sont bien dans les rôles attribués à chacun. Le travail des regards est très bon et donne une formidable expressivité aux intervenants.
La mise en couleur participe au récit en soulignant les différences entre Paris et Abidjan.
Cette série est une vraie réussite et procure une lecture plaisir qui réchauffe le coeur.
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Peter Pan
J’ai attendu ma 1000ème chronique pour aviser « Peter Pan », c’est vous dire à quel point cette bande dessinée est un must absolu pour moi. Je pense que tout a été dit sur cette série réalisée de A à Z par Régis Loisel, elle a eu un tel impact sur le public amateur du 9ème art qu’elle fut même l’objet d’un ouvrage qui explique la genèse de « Peter Pan ». Pour ma part, j’ai découvert cette bande dessinée en me rendant chez un ami bédéphile à l’époque où les 3 premiers tomes avaient été publiés. Il m’avait dit que « Peter Pan » était pour lui une des meilleures séries qu’il a lues jusqu’à maintenant. Je ne l’avais pas cru car « Peter Pan » est, pour moi, en premier lieu un dessin animé de Walt Disney et… je n’aime pas trop leurs réalisations. Du coup, il m’a fallu attendre bien plus tard lorsque j’eus découvert et adoré « La Quête de l'Oiseau du Temps » du même auteur, Régis Loisel, pour me mettre à feuilleter « Peter Pan » et ce fut… une sacrée claque ! (Rien à voir avec du Walt Disney !) Une des BD qui m’a le plus impressionné au niveau des émotions (du rire aux larmes, tout y passe !) ; d’ailleurs, rien qu’à écrire cet avis et à repenser à cette histoire, j’ai de nouveau des frissons, des poils qui hérissent ! Je ne vais pas vous écrire ce qui m’a exactement plu dans « Peter Pan » parce que, justement, j’ai tout adoré que ce soit du graphisme, le scénario, l’ambiance, les personnages, sa situation dans Londres victorienne, la mise en page… TOUT je vous dis !
Environnement toxique
Cette lecture interpelle. Environnement toxique est un récit autobiographique dans lequel l’autrice partage son expérience comme ouvrière au sein de compagnies travaillant sur les sables bitumineux au Canada. Il s’agit d’un récit très personnel et touchant par plusieurs aspects. Kate Beaton est autodidacte et cela se ressent dans son dessin comme dans son découpage. Le trait est parfois raide, les proportions ne sont pas toujours respectées. La bande dessinée en elle-même se présente plus comme une juxtaposition de scènes que comme un récit construit avec une vision d’ensemble. Elle présente donc un rythme assez syncopé. Enfin, malgré une volonté manifeste de l’autrice de bien caricaturer chaque personnage, il n’est pas toujours évident de savoir qui est qui (même si en règle général, le risque de confusion demeure très limité). Ceci pour vous dire qu’il ne faut pas lire ce récit pour ses qualités techniques mais bien plus pour ce que l’autrice a à nous dire. Je m’attendais à lire un récit vaguement féministe mais surtout écologiste. Au final, j’ai eu l’inverse puisque l’essentiel du propos se centre sur les comportements sociaux entre collègues. J’ai beaucoup aimé son analyse de la situation, réfléchissant au sujet des comportements masculins sur des critères plus subtils que le simple « c’est un homme, donc un primate ». Ici, la structure des camps, le fait que les femmes soient en forte minorité, l’isolement ou le manque de prise en charge psychologique du personnel sont autant de critères qui viennent nourrir les réflexions de l’autrice, avec cette interrogation en point d’orgue : « et si mon père -image de l'homme protecteur, juste et droit- était ici, son comportement serait-il différent de celui des autres ? » Mais cette analyse n’empêche pas l’émotion. Certains passages sont très durs (Kate Beaton sera violée à deux reprises) mais racontés avec beaucoup de pudeur, ce qui émeut d’autant plus. Le récit étant chronologique, les questionnements sur l’environnement ou sur le sort des populations locales ne surviennent que dans le dernier tiers, soit au moment où ils commencent à faire débat dans la presse. Au fil des pages, l’autrice mûrit. De l’oie blanche qu’elle était à ses 21 ans et à son arrivée, elle devient une femme qui ose s’affirmer mais aussi s’interroger sur ses responsabilités. On a donc également droit au portrait d'une femme qui grandit, marquée par les traumatismes subis comme par les rencontres plus positives. Dans l’ensemble, les deux aspects que je retiens prioritairement sont la qualité d’analyse de l’autrice et la pudeur avec laquelle elle relate les événements (on n’apprend ainsi que dans la postface qu’une de ses sœurs est décédée d’un cancer après avoir elle aussi travaillé sur ces sites durant de longs mois, l’autrice n’en parle absolument pas dans la bande dessinée en elle-même, comme si cette douleur-là, elle voulait la garder pour elle, sans l’exhiber). Cette lecture, malgré ses limites techniques, a donc réussi à me toucher et à m’interpeller. Et pour ça, je dis « franchement bien ! ».
Les Années Spoutnik
Les Années Spoutnik est une BD extrêmement touchante et totalement intergénérationnelle. Mon fils de 9 ans a lu l'intégralité de la série 2 ou 3 fois et il a adoré, bien qu'il n'était pas très motivé au départ, mon insistance ayant payé. Le talent de Baru éclabousse les 4 tomes, on prend un plaisir fou à observer la vie de ces gamins et de leurs familles dans cette cité ouvrière des années 50-60, qui me rappelle la rue de mes grands-parents, dans laquelle toutes les maisons se ressemblent. Les souvenirs racontés par mon père et mes oncles dans ce quartier communiste ouvrier, balancé entre papeterie et cimenterie, collent parfaitement avec ceux de Baru. C'est émouvant, on est face à un témoignage de la vie et des rêves de nos ascendants. Et même moi, qui suis plus jeune, je me suis retrouvé dans plein de choses : la scène du pénalty évidemment, les bandes "rivales" (même si on ne se mettait pas des peignées comme ça !), le fait que n'importe quel endroit à l'extérieur pouvait nous servir de terrain de jeu. Je revois Alex, Alicia, Gwenaël, Gladys et d'autres, mes voisins avec qui je partais jouer toute la journée dans la forêt, sur le terrain de foot, dans le champ d'à côté, etc. Les dialogues sont géniaux, ils ont réveillé en moi le passionné de langues, de jargons et de patois. Ils ont fait rire mon fils. J'ai lu la série deux fois, et à chaque fois, j'ai pris un plaisir fou à lire et à décrypter ces sociolectes. Encore mieux, le mélange des cultures - et donc des langues - est un témoignage surpuissant des bienfaits, linguistiques et sociaux, de la diversité. Sous ses abords de BD simple et légère, Baru nous livre une œuvre bien plus complexe sur notre histoire, sur la vie de nos parents et grands-parents. Et, si comme moi, vous êtes issus d'une famille modeste, communiste et ouvrière (mais heureuse), et qu'en plus vous vous intéressez de près au multiculturalisme et à la diversité linguistique et sociale, cette série doit trôner en haut de votre bédéthèque. Les Années Spoutnik est un véritable trésor.
La Bibliomule de Cordoue
Un vrai bonheur de lecture que cette BD, qui est splendide à de multiples points de vue ! Le scénario est d’une grande richesse, au fil du parcours épique d’un trio que rien ne prédispose a priori à l’aventure : Tarid le débonnaire et rondelet eunuque bibliothécaire, Lubna l’esclave copiste qui travaille avec Tarid, et Marwan l’ancien élève de Tarid devenu petit voleur de rues bien peu doué. Trio et même quatuor car s’y adjoint la mémorable mule du titre, qui joue un rôle essentiel (et inattendu) dans l’histoire, et contribue à la force comique du récit, Ce quatuor se retrouve constitué un peu par hasard, suite un terrible évènement d’ouverture qui va les jeter sur les routes : l’incendie de la bibliothèque décidé par un vizir, moins fanatique religieux que politique soucieux de s’attirer l’appui des religieux, essentiel à son ambition politique. En les accompagnant dans leur fuite désespérée destinée à sauver un poignée des trésors de la bibliothèque, nous allons vivre avec eux une bien riche et passionnante aventure. Les auteurs ont fait un travail de recherche et de documentation d’une très grande précision, mis en images dans une très belle illustration des villes et paysages, qui nous transporte littéralement dans cet Espagne de Al Andalus, au temps de l’apogée politique de l’émirat de Cordoue. La postface très intéressante montre à quel point le livre est fidèle dans ce que nous connaissons de cette époque où cohabitaient (de façon plus ou moins pacifique selon les moments) en Espagne royaumes musulmans et chrétiens, et dans Al Andalus musulmans, chrétiens et juifs. Et dans le fil du récit on découvre d’étonnantes anecdotes authentiques, jusque dans le détail des péripéties inattendues d’un roi trop gros pour monter à cheval, ou sur les contrefaçons d’épées vikings circulant au 10ème siècle et que seul un œil averti pouvait identifier. L’aventure est riche de rebondissements, d’humour et d’émotions multiples. L’histoire contient beaucoup de mystères relatifs aux personnages principaux dont on découvre progressivement l’histoire passée, y compris à travers des rêves quasiment fantastiques dont on découvre le sens ensuite. Dans la description de cette époque dure qui n’est pas présentée de façon idéalisée, nos antihéros se trouvent confrontés à des difficultés nombreuses, pourchassés de tous côtés, où beaucoup de leurs contemporains sont plus prédateurs que protecteurs et où pour nombre d’entre eux, les livres ne signifient rien, ou n’ont de valeur que marchande. Tous les acteurs de cette fresque sont dessinés avec beaucoup de talent, qu’il s’agisse des personnages importants du récit, mais aussi de tous les nombreux personnages secondaires qui existent tous avec réalisme et une belle expressivité qui rend perceptible leur personnalité : intelligence, mesquinerie, générosité, douceur, ruse, brutalité… Mais au-delà du récit épique, il y a un autre récit imbriqué, qui nous parle de l’amour des livres, de la richesse de la connaissance qu’ils permettent de partager et de ce qu’ils apportent à l’humanité. Il est fascinant de redécouvrir avec Tarid des intuitions anciennes et souvent méconnues aujourd’hui sur l’évolution des espèces ou sur les prémices de l’aviation ! Tout au fil des livres évoqués dans la BD, l’histoire réalise un bel hommage à la richesse de la littérature des savants d’Al Andalus et un rappel de leur rôle essentiel de passeurs qui nous ont permis de sauver les textes de nombreux grands auteurs antiques. Cet autre récit est aussi un rappel de la grande fragilité des livres, en butte à l’hostilité des obscurantismes religieux et des totalitarismes politiques car toujours susceptible de contenir des pensées qui les remettent en cause. Et dans un glissement progressif qui traverse les siècles jusqu’à notre époque, la très forte dernière double page devrait interpeller non seulement tous les lecteurs, mais tous les amoureux de la liberté de pensée et de l’accès à la connaissance dont les livres ont souvent été les vecteurs. Enfin, et c’est logique pour une BD qui évoque si fortement l’amour des livres et des bibliothèques, « La bibliomule de Cordoue » est un beau livre : un bel objet qu’on aime tenir en main et parcourir. La réussite des auteurs est totale.
Le Spirou de Frank Pé et Zidrou - La Lumière de Bornéo
Fichtre! Quelle réussite que cet album que j'ai découvert après la bataille, plusieurs années après sa sortie! Si seulement je m'étais douté du moment de lecture extraordinaire qu'il me ferait passer... Elles sont rares les BD qui m'ont ému à ce point ces dernières années. J'ai refermé celle-ci à regret car j'en aurais lu volontiers une centaine de pages supplémentaires. J'ai grandi en lisant le journal de Spirou, de la fin des années 70 au début des années 90. J'ai retrouvé ici tout ce qui avait enchanté mes lectures d'enfance. Franck Pé est pour moi la synthèse de ce style développé par les éditions Dupuis. Son dessin, la composition de ses cases et de ses planches possèdent une force d'évocation hors du commun. Quant au scénario, il a trouvé un point d'équilibre rare entre les différentes émotions. Il se dégage de ce Spirou une grâce étonnante, inattendue pour moi avant d'en entamer la lecture et je m'incline devant le talent qui a été mis en œuvre ici. Nom d'une pipe, qu'est-ce qu'il m'a touché ce bouquin! Je voudrais faire une remarque sur une critique récurrente au sujet de l'histoire des champignons noirs développée en parallèle: certains se plaignent de l'inutilité de cet épisode. Sans vouloir leur manquer de respect, ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas compris qu'il n'y a pas de sens à cette partie du récit qui est fondamentalement liée aux autres parties. Les auteurs ne donnent pas d'explications à l'inverse de toutes les mauvaises séries tv qui aiment le faire en mâchant et pré-digérant pour le spectateur ce qu'il y a à comprendre, le rendant finalement paresseux et incapable de se débrouiller sans cette canne. Et c'est toute la force de cet album de nous donner à comprendre par l'entremise des pensées et des réflexions induites par les émotions qu'il sait faire naître. A sa manière donc, et dans son style, La lumière de Bornéo est un chef d'œuvre qui parvient à convoquer tout le génie d'un journal et d'une tradition éditoriale pour en restituer l'exceptionnelle saveur. Un mot pour finir sur l'objet lui même: les éditions Dupuis ont eu l'heureuse idée d'imprimer cet album sur un papier mat, blanc cassé, qui offre un plaisir de lecture décuplé. Le livre est beau, l'impression également, merci aux auteurs et à l'éditeurs qui semblent avoir donné le meilleur d'eux mêmes.
Les Pizzlys
Il n'est pas évident de trouver des mots qui parlent à tous sur un sujet aussi brûlant que l'avenir. L'avenir proche, très proche. A travers le regard de trois jeunes parisiens, cette histoire transporte le lecteur à la découverte d'un monde SENSationnel. L'auteur met en avant les vestiges d'une civilisation ancestrale, en perfusion, où les traditions d'un peuple autochtone (ici en Alaska) résistent tant bien que mal à l'appel séduisant de la technologie, de l'immédiateté et du tout à portée de main. Ces peuples sont les premiers témoins, malgré eux, d'un environnement en plein bouleversement et à l'inverse, les derniers porteurs d'une vision animiste, philosophie centrale dans ce récit. Plus qu'une critique de la civilisation occidentale en tant que population, c'est une invitation à la réflexion en tant qu'individu sur un mode de vie en guerre contre le vivant, sur des regards détournés d'évidences criantes et plus globalement sur le sens du mot 'vivre' en ce monde. Je viens de finir Sapiens de Yuval Noah Harrari et je trouve personnellement que 'Les Pizzlys' en est une belle conclusion. L'illustration d'une évolution (biologique, culturelle et sociale) progressive de plusieurs dizaines et centaines de milliers d'années en contraste d'une destruction accélérée à l'échelle de quelques générations humaines. Depuis ma lecture du Discours de la panthère, j'apprécie de plus en plus ce style graphique propre à Jérémie Moreau. L'ouvrage en lui-même est magnifique (les couleurs de la première de couverture et sa taille) et la lecture est d'une grande fluidité avec un nombre important de pages contemplatives ! Je recommande à tous la lecture :) Note réelle : 4.5
Not All Robots
Cet album est une dystopie futuriste dans laquelle le monde ne va plus très bien. L'atmosphère n'est pas au mieux, et les villes sont coupées de l'extérieur par des bulles géantes. Les robots ont pris une place prédominante dans notre société. Ils représentent une main d'oeuvre bien moins couteuse que les humains, ils travaillent plus longtemps et du coup ils exercent maintenant la quasi totalité des métiers. Chaque famille possède son propre dombot, c'est à dire son robot domestique personnel. Et comme souvent dans les histoires de robots, ils vont avoir des sentiments, des états d'âme, et la cohabitation avec les humains sera de plus en plus fragile. En quelques pages les bases de cet univers sont posées. 2056 c'est demain, ce monde est un peu taré... mais en même temps on a l'impression que l'on s'y dirige tranquillement mais surement. Entre le réchauffement climatique et le toujours plus de numérique et de digital, on y est presque. On rentre donc bien facilement dans cette histoire. Le ton est satirique, un peu décalé et ça fonctionne très bien. Il y a quelques situations grotesques du meilleur effet. Notamment grâce au père de famille un peu idiot, dépendant de son robot, qui le considère comme un membre de la famille. Dans ce contexte, il va nous livrer quelques répliques bien amusantes. Il y a aussi des séquences bien trouvées, comme le procès où l'accusé amène sa défense sur une clé USB, et un algorithme le jugera en 32 secondes. Des petites phrases ciselées par ci, des scènes saugrenues par là, au final le récit contient pas mal de bonnes punchlines qui font sourire. La critique des dérives de notre société est faite de manière intelligente avec un ton décalé et rigolo. Une satire légère qui ne cherche pas à être moralisatrice, et le résultat est amusant.
Jukebox motel
Lecteur d'avis depuis quelques mois, je franchis le pas et donne mon premier ressenti sur cette bd choisie après consultation de bdtheque. Au niveau des dessins, c'est toujours très subjectif (nous avons toutes et tous une notion du "beau" différente). Je trouve que le mélange peintures psychédéliques (à travers les cauchemars du héros) et croquis réalistes pour le reste de la bd est intéressant et agréable à parcourir. Le scénario, lui, comme dit dans l'avis précédent est très cinématographique. On a vraiment envie d'aller au bout du récit pour voir où va nous mener ce peintre et les gens qui l'entourent. Plusieurs personnages sont bien construits et éveillent l'intérêt : Joan le barman, le voisin, le marchand d'art.... Notre peintre maudit croise le chemin de personnalités connues du tout public : Johnny Cash, Andy Warhol, Bob Dylan (enfin presque!) ces clins d'œil apportent humour et tendresse à un récit étrange qui nous mène au bout de ce diptyque avec une petite larme au bord de la joue, comme en écoutant certaines balades tristes de l'homme en noir. Je lis des bd depuis mon plus jeune âge. Depuis que j'ai la chance d'être à la retraite, je dévore de plus en plus de papier imprimé et je suis toujours heureux d'en découvrir de nouvelles, qui me surprennent : Juke box Motel fait partie de celles-ci. Bonne lecture à toutes et tous.
La Lune est blanche
On apprend beaucoup de choses sur les expéditions en Antarctique dans ce grand volume (plus de 200 pages) de François et Emmanuel Lepage. Il s'agit d'un photographe et d'un dessinateur qui décident de suivre "le raid", ce convoi qui, tous les six mois, livre des tonnes de matériel aux stations scientifiques du Pôle sud. C'est une tâche très difficile, et le froid met à l'épreuve autant les machines que les scientifiques. Au-delà de l'intérêt culturel, la BD est superbe, en niveaux de gris et parfois des couleurs pour les étapes importantes, mais aussi pour insister sur l'aspect hypnotisant des variantes infinies des motifs et des couleurs de la glace. Pas besoin d'en apprendre plus pour foncer sur ce qui est un coup de cœur de ma médiathèque, mais je détaille quand même: Emmanuel Lepage retrace donc la totalité du projet, depuis les premières rencontres jusqu'au raid en lui-même. Le début présente même un récapitulatif des conquêtes historiques de l'Antarctique. Certains équipages du XXème siècle sont restés plusieurs années piégés au milieu des glaces. Ces conquêtes se terminent sur un accord scientifique qui permet de geler les revendications territoriales. Avec des milliers de données partagées en temps réel entre plusieurs pays, c'est l'une des plus grandes collaborations scientifiques, et un exemple rare d'humanité, où les frontières ont été abolies pour un dessein plus vaste. L'aventure est éprouvante de bout en bout, ne serait-ce que l'attente d'un an à cause du projet retardé, mais aussi le mal de mer, la difficulté pour Emmanuel de dessiner par un climat glacial, mais aussi une intégration complexe. Le dessinateur a failli ne pas partir, car il est difficile de justifier la présence dans le raid de conducteurs qui ne sont pas parfaitement experts. Un dessinateur et un photographe sont un peu incongrus dans cette équipe de colosses, ils doivent faire leurs preuves. Emmanuel parvient tout de même à négocier sa place sur le raid et à dompter les machines. A la fin de la BD, le format se diversifie en interviews, dessins, photographies qui donnent plus d'informations sur la genèse du projet. Une douzaine de photographies en double page permettent de voir à quel point les frères Lepage se complètent artistiquement, et ont retranscrit la beauté hostile des lieux. Décidément j'aime beaucoup les BD-reportages (voir Jours de sable) et la diversité des formats, le mélange de photographies et de dessins.
Aya de Yopougon
Je ne pouvais pas passer à côté de la série à succès de Marguerite Abouet. Ce "Dallas" made in Abidjan mérite à mon avis tout le bien écrit et dit sur cette série. Ce type de récit soap n'est pas l'apanage des TV mexicaines ou brésiliennes. Les producteurs nigérians, camerounais ou ivoiriens savent très bien en proposer à leurs publics qui en sont friands. Il n'est donc pas surprenant que l'autrice ait pu puiser dans cette veine. Ici les auteurs s'adressent avant tout à un public français qui ne possède pas forcément toutes les clés de compréhension des traditions familiales africaines. La magie du scénario de Marguerite Abouet est que son récit possède une vitalité, une authenticité et une fraicheur qui suffisent à captiver le lecteur. Il y a une prouesse au niveau de la mise en scène et du découpage pour faire intervenir quatre familles principales plus des personnages (importants) isolés sans que cela ne devienne un horrible imbroglio incompréhensible. On pourrait un peu reprocher à l'autrice, pour des raisons scénaristiques, de réduire les fratries à quelque chose de rare en Afrique, voire quelque chose d'incongru. En effet un homme d'importance peut difficilement accepter de se contenter d'un ou deux enfants. C'est un peu la seule entorse à l'authenticité africaine du récit que je note. Pour le reste, c'est un vrai régal. Maguerite Abouet fait rentrer pendant les six premiers tomes, le pays, le quartier et le village dans nos froids salons européens. Tout y est, l'autorité par strate générationnelle, les relations au sein d'un même groupe horizontal (les frères et soeurs au sens africain), les problèmes avec le village et son chef qui possède une autorité incontournable. Il y a beaucoup d'autres thématiques développées avec un plein d'humour, ce qui alimente le rythme de la série. Le tome 7 ne m'a pas autant enthousiasmé car les auteurs reprennent la série avec des thématiques plus européennes à mon goût (politique et manifs). Il y a aussi une perte dans la personnalité de certains personnages comme Moussa, Adjoua ou Mamadou. Car dans les six premiers tomes on suit le parcours d'un nombre important de personnages avec un équilibre remarquable. Aya n'est même que secondaire dans beaucoup de parcours. J'ai beaucoup aimé les récits autour d'Innocent, de Moussa et particulièrement celui du retour forcé de Félicité. Bien sûr le plus de la série tient dans les dialogues truculents et fruités que nous délivre l'autrice. Entendre chanter cette langue franco-ivoirienne m'a procuré des émotions dignes des meilleures poésies et des rires à n'en plus finir. Le graphisme de Clément Oubrerie n'est pas, pour moi, à ce niveau d'excellence, mais il fait bien le travail dans un style humoristique. Les personnages sont bien reconnaissables, leurs gestuelles sont bien dans les rôles attribués à chacun. Le travail des regards est très bon et donne une formidable expressivité aux intervenants. La mise en couleur participe au récit en soulignant les différences entre Paris et Abidjan. Cette série est une vraie réussite et procure une lecture plaisir qui réchauffe le coeur.