Il ne m'a pas fallu plus de quelques secondes pour craquer en librairie sur cette nouvelle série de Rick Remender. Ce monsieur est un scénariste assez prolifique qui a signé entre Fear Agent et The Last Days of American Crime quelques-un de mes plus beaux souvenirs de lecture de comics indépendants.
De surcroit il sait s'entourer de dessinateurs talentueux développant chacun leur style particulier et je vous laisse regarder sa production pour en avoir le coeur net.
Pour le présent titre, on ne déroge pas à cette tradition avec le trait d'un dessinateur portugais proche des dessins de Moebius, Geof Darrow ou de Katsuhiro Otomo, excusez du peu !
Si cette histoire avare en dialogues semble se lire bien vite, le tout réside dans les détails créant une sensation de mal être et de suspens de chaque instant. On suit ici les déambulations d'un homme d'origine Asiatique dans Vancouver sans savoir ce qui va se tramer ni quels sont les desseins du héros pour atterrir dans une sombre histoire de meurtres sanglants et de complot.
Amateurs de la série Breaking Bad, vous allez être aux anges ! Imaginez un polar urbain où tout peut basculer du calme vers la tempête en un claquement de doigts. Que ce soit l'environnement ou le découpage, tout est parfaitement mis en condition pour passer un moment de lecture des plus délectables. La série se clôture en deux tomes et ne perd pas de temps en allant droit à l'essentiel tout en conservant beaucoup de subtilité comme de mystères mais offre une conclusion des plus jouissives et satisfaisantes que je ne peux dévoiler ici.
J’avais déjà beaucoup aimé Les Sauveurs chez le même éditeur, mais « Nées Rebelles » m’a encore plus ému.
Le principe est similaire : les auteurs brossent le portrait de jeunes femmes voulant changer le monde, quitte à faire face à des ogres effrayants : les talibans, la National Rifle Association… et puis l’opinion générale et les trolls sur Internet, aussi… leur détermination inspire, et leur impact aussi, puisqu’elles ont toutes réussi à faire bouger les choses. Greta Thunberg n’est plus à présenter, et sa diatribe « how dare you » à l’ONU a fait le tour du monde… son histoire AVANT d’être connue m’a cependant beaucoup touché. Et que dire de Emma González… son discours à elle, prononcé suite à la fusillade de Parkland, m’a fait fondre en larmes. Une photo des jeunes filles conclut judicieusement chaque chapitre, ce qui les humanise encore plus.
Je note aussi le rôles des parents. Ils sont dépeints comme ouverts, et encouragent leurs enfants à poursuivre leurs rêves et leurs idéaux… être un model pour ses enfants est plus important que jamais.
Il parait futile de parler de réalisation technique… je note toutefois que la narration est parfaite, et que les différents styles graphiques apportent une variété appréciable entre les chapitres.
Un album d’intérêt général, à mettre entre toutes les mains… et plus particulièrement celles des jeunes filles, qui ont plus que jamais besoin de modèles autres que Kim Kardashian et toutes ces influenceuses TikTok à la vacuité sans fond.
Woua ! Il y a tout ce que j'aime dedans cette BD ! Je sors de ma lecture absolument charmé. Détails :
D'abord, un dessin ultra chouette, fin, original, en particulier les (rares) scènes de nuit, splendides. Une ligne claire souple qui flatte le regard. On ne fait pas trop gaffe en survolant, mais franchement, c'est un trait de génie, dans tous les sens du terme. Les couleurs aussi fonctionnent très très bien, imprimant une ambiance forte et dynamique à l'ensemble.
L'univers, en grande partie dépendant du dessin, est super original. Les auteurs font du neuf avec du vieux. Et que je te reprends cette bonne vieille légende arthurienne ! Et que je t'ajoute une bonne dose d'humour, de cool-trash (chais pas trop ce que ça veut dire, mais je trouve que ça correspond :) ainsi qu'un brin de baroque avec aussi un peu de satanisme (Merlin n'en est que plus pervers). Les dialogues sont quant à eux très frais, et mis au goût du jour.
Les personnages sont très typés, que ce soit Arthur lui-même, en pleine décadence et baignant littéralement dans son caca, le comte de Cumbre (qui a une identité double, mais chuuuuut !) et son petit zizi au bol, le grand taiseux de Claude, ou tout simplement l'héroïne, une jeune femme pleine de vie et éprise de liberté. Bref ! On a affaire à une galerie de portraits tous plus incroyables les uns que les autres.
Le scénario enfin. Ce n'est pas un scénario en fait, mais une course effrénée. Ca bombarde à deux mille à l'heure, avec des rebondissements en veux-tu-en voilà. Qui plus est, ça coupe sans arrêt l'herbe sous le pied. Franchement une très belle mécanique. La fin est pour le moins assez inattendue, et si, comme le dit MacArthur, on a affaire à une allégorie du pouvoir, les auteurs poussent le bouchon encore plus loin en achevant cette épopée sur une dualité bien/mal, création/destruction... qu'ils semblent présenter comme une composante indissociable de la vie elle-même. Avec là au milieu, l'Homme (en l'occurrence la Femme) qui demeure entièrement libre de prêter le flanc à l'une ou l'autre, ou de tout simplement suivre son propre chemin. Moi, ça me convient parfaitement en tout cas. Mine de rien, c'est hyper finaud !
Ajoutons que ça plaira sans aucun doute à papa comme à sa fifille. On dit intergénérationnel, non ?
J'ai adoré, un thriller haletant dans la même veine que Colorado train.
Contrition est un village du comté de Palm Beach, les habitants sont tous des délinquants sexuels, ils s'y sont regroupés du fait du chapitre 775 section 210 des statuts de la Floride qui interdit à toute personne condamnée pour certains délits sexuels de vivre à moins de 1000 pieds d'une école, crèche, parc ou cour de récréation. Bref la création d'un ghetto.
Marcia Harris est journaliste au Palm Beach Sun et elle va mener une enquête sur la mort d'un pédophile dans la ville de Contrition. Et son entêtement va la mener au bord du gouffre, malmenant sa vie personnelle.
Je ne vais rien dévoiler de plus, mais sachez que le récit sera d'une noirceur extrême et qu'il explorera des thèmes tel que la pédophilie, le harcèlement scolaire, le suicide, la vengeance et la rédemption. Un récit sombre, dur et poignant. Sachez aussi que tous les personnages sont psychologiquement très travaillés, que les dialogues sonnent juste et que les surprises seront au rendez-vous. Une narration non linéaire qui prend le temps de mettre en place toutes les pièces du puzzle.
Un récit qui explore sous différents angles et tout en nuances la face cachée d'une société loin d'être idyllique.
Une réussite !
Visuellement, un noir et blanc très noir et légèrement charbonneux qui met de suite dans une ambiance glauque qui sera présente de la première à la dernière page. Une mise en page somptueuse.
Magnifique !
Une symbiose parfaite entre le graphisme et l'intrigue. Je recommande chaudement à tous les amateurs de polars, mais ce récit est bien plus qu'un simple thriller.
Carlos Portela et Keko, deux immences artistes.
Après relecture, je passe à 5 étoiles. Très gros coup de cœur
"S'ils ne peuvent pas vivre parmi les autres, pourquoi on les relâche ?"
"Je simplifie peut-être, ce qu'il faut retenir, c'est que faire des mauvaises choses ne fait pas nécessairement de vous une mauvaise personne."
J’ai attendu ma 1000ème chronique pour aviser « Peter Pan », c’est vous dire à quel point cette bande dessinée est un must absolu pour moi.
Je pense que tout a été dit sur cette série réalisée de A à Z par Régis Loisel, elle a eu un tel impact sur le public amateur du 9ème art qu’elle fut même l’objet d’un ouvrage qui explique la genèse de « Peter Pan ».
Pour ma part, j’ai découvert cette bande dessinée en me rendant chez un ami bédéphile à l’époque où les 3 premiers tomes avaient été publiés. Il m’avait dit que « Peter Pan » était pour lui une des meilleures séries qu’il a lues jusqu’à maintenant. Je ne l’avais pas cru car « Peter Pan » est, pour moi, en premier lieu un dessin animé de Walt Disney et… je n’aime pas trop leurs réalisations.
Du coup, il m’a fallu attendre bien plus tard lorsque j’eus découvert et adoré « La Quête de l'Oiseau du Temps » du même auteur, Régis Loisel, pour me mettre à feuilleter « Peter Pan » et ce fut… une sacrée claque ! (Rien à voir avec du Walt Disney !) Une des BD qui m’a le plus impressionné au niveau des émotions (du rire aux larmes, tout y passe !) ; d’ailleurs, rien qu’à écrire cet avis et à repenser à cette histoire, j’ai de nouveau des frissons, des poils qui hérissent !
Je ne vais pas vous écrire ce qui m’a exactement plu dans « Peter Pan » parce que, justement, j’ai tout adoré que ce soit du graphisme, le scénario, l’ambiance, les personnages, sa situation dans Londres victorienne, la mise en page… TOUT je vous dis !
Cette lecture interpelle.
Environnement toxique est un récit autobiographique dans lequel l’autrice partage son expérience comme ouvrière au sein de compagnies travaillant sur les sables bitumineux au Canada. Il s’agit d’un récit très personnel et touchant par plusieurs aspects.
Kate Beaton est autodidacte et cela se ressent dans son dessin comme dans son découpage. Le trait est parfois raide, les proportions ne sont pas toujours respectées. La bande dessinée en elle-même se présente plus comme une juxtaposition de scènes que comme un récit construit avec une vision d’ensemble. Elle présente donc un rythme assez syncopé. Enfin, malgré une volonté manifeste de l’autrice de bien caricaturer chaque personnage, il n’est pas toujours évident de savoir qui est qui (même si en règle général, le risque de confusion demeure très limité). Ceci pour vous dire qu’il ne faut pas lire ce récit pour ses qualités techniques mais bien plus pour ce que l’autrice a à nous dire.
Je m’attendais à lire un récit vaguement féministe mais surtout écologiste. Au final, j’ai eu l’inverse puisque l’essentiel du propos se centre sur les comportements sociaux entre collègues. J’ai beaucoup aimé son analyse de la situation, réfléchissant au sujet des comportements masculins sur des critères plus subtils que le simple « c’est un homme, donc un primate ». Ici, la structure des camps, le fait que les femmes soient en forte minorité, l’isolement ou le manque de prise en charge psychologique du personnel sont autant de critères qui viennent nourrir les réflexions de l’autrice, avec cette interrogation en point d’orgue : « et si mon père -image de l'homme protecteur, juste et droit- était ici, son comportement serait-il différent de celui des autres ? »
Mais cette analyse n’empêche pas l’émotion. Certains passages sont très durs (Kate Beaton sera violée à deux reprises) mais racontés avec beaucoup de pudeur, ce qui émeut d’autant plus.
Le récit étant chronologique, les questionnements sur l’environnement ou sur le sort des populations locales ne surviennent que dans le dernier tiers, soit au moment où ils commencent à faire débat dans la presse. Au fil des pages, l’autrice mûrit. De l’oie blanche qu’elle était à ses 21 ans et à son arrivée, elle devient une femme qui ose s’affirmer mais aussi s’interroger sur ses responsabilités. On a donc également droit au portrait d'une femme qui grandit, marquée par les traumatismes subis comme par les rencontres plus positives.
Dans l’ensemble, les deux aspects que je retiens prioritairement sont la qualité d’analyse de l’autrice et la pudeur avec laquelle elle relate les événements (on n’apprend ainsi que dans la postface qu’une de ses sœurs est décédée d’un cancer après avoir elle aussi travaillé sur ces sites durant de longs mois, l’autrice n’en parle absolument pas dans la bande dessinée en elle-même, comme si cette douleur-là, elle voulait la garder pour elle, sans l’exhiber). Cette lecture, malgré ses limites techniques, a donc réussi à me toucher et à m’interpeller. Et pour ça, je dis « franchement bien ! ».
Les Années Spoutnik est une BD extrêmement touchante et totalement intergénérationnelle. Mon fils de 9 ans a lu l'intégralité de la série 2 ou 3 fois et il a adoré, bien qu'il n'était pas très motivé au départ, mon insistance ayant payé.
Le talent de Baru éclabousse les 4 tomes, on prend un plaisir fou à observer la vie de ces gamins et de leurs familles dans cette cité ouvrière des années 50-60, qui me rappelle la rue de mes grands-parents, dans laquelle toutes les maisons se ressemblent. Les souvenirs racontés par mon père et mes oncles dans ce quartier communiste ouvrier, balancé entre papeterie et cimenterie, collent parfaitement avec ceux de Baru. C'est émouvant, on est face à un témoignage de la vie et des rêves de nos ascendants.
Et même moi, qui suis plus jeune, je me suis retrouvé dans plein de choses : la scène du pénalty évidemment, les bandes "rivales" (même si on ne se mettait pas des peignées comme ça !), le fait que n'importe quel endroit à l'extérieur pouvait nous servir de terrain de jeu. Je revois Alex, Alicia, Gwenaël, Gladys et d'autres, mes voisins avec qui je partais jouer toute la journée dans la forêt, sur le terrain de foot, dans le champ d'à côté, etc.
Les dialogues sont géniaux, ils ont réveillé en moi le passionné de langues, de jargons et de patois. Ils ont fait rire mon fils.
J'ai lu la série deux fois, et à chaque fois, j'ai pris un plaisir fou à lire et à décrypter ces sociolectes. Encore mieux, le mélange des cultures - et donc des langues - est un témoignage surpuissant des bienfaits, linguistiques et sociaux, de la diversité.
Sous ses abords de BD simple et légère, Baru nous livre une œuvre bien plus complexe sur notre histoire, sur la vie de nos parents et grands-parents. Et, si comme moi, vous êtes issus d'une famille modeste, communiste et ouvrière (mais heureuse), et qu'en plus vous vous intéressez de près au multiculturalisme et à la diversité linguistique et sociale, cette série doit trôner en haut de votre bédéthèque.
Les Années Spoutnik est un véritable trésor.
Un vrai bonheur de lecture que cette BD, qui est splendide à de multiples points de vue ! Le scénario est d’une grande richesse, au fil du parcours épique d’un trio que rien ne prédispose a priori à l’aventure : Tarid le débonnaire et rondelet eunuque bibliothécaire, Lubna l’esclave copiste qui travaille avec Tarid, et Marwan l’ancien élève de Tarid devenu petit voleur de rues bien peu doué. Trio et même quatuor car s’y adjoint la mémorable mule du titre, qui joue un rôle essentiel (et inattendu) dans l’histoire, et contribue à la force comique du récit,
Ce quatuor se retrouve constitué un peu par hasard, suite un terrible évènement d’ouverture qui va les jeter sur les routes : l’incendie de la bibliothèque décidé par un vizir, moins fanatique religieux que politique soucieux de s’attirer l’appui des religieux, essentiel à son ambition politique. En les accompagnant dans leur fuite désespérée destinée à sauver un poignée des trésors de la bibliothèque, nous allons vivre avec eux une bien riche et passionnante aventure.
Les auteurs ont fait un travail de recherche et de documentation d’une très grande précision, mis en images dans une très belle illustration des villes et paysages, qui nous transporte littéralement dans cet Espagne de Al Andalus, au temps de l’apogée politique de l’émirat de Cordoue. La postface très intéressante montre à quel point le livre est fidèle dans ce que nous connaissons de cette époque où cohabitaient (de façon plus ou moins pacifique selon les moments) en Espagne royaumes musulmans et chrétiens, et dans Al Andalus musulmans, chrétiens et juifs. Et dans le fil du récit on découvre d’étonnantes anecdotes authentiques, jusque dans le détail des péripéties inattendues d’un roi trop gros pour monter à cheval, ou sur les contrefaçons d’épées vikings circulant au 10ème siècle et que seul un œil averti pouvait identifier.
L’aventure est riche de rebondissements, d’humour et d’émotions multiples. L’histoire contient beaucoup de mystères relatifs aux personnages principaux dont on découvre progressivement l’histoire passée, y compris à travers des rêves quasiment fantastiques dont on découvre le sens ensuite. Dans la description de cette époque dure qui n’est pas présentée de façon idéalisée, nos antihéros se trouvent confrontés à des difficultés nombreuses, pourchassés de tous côtés, où beaucoup de leurs contemporains sont plus prédateurs que protecteurs et où pour nombre d’entre eux, les livres ne signifient rien, ou n’ont de valeur que marchande.
Tous les acteurs de cette fresque sont dessinés avec beaucoup de talent, qu’il s’agisse des personnages importants du récit, mais aussi de tous les nombreux personnages secondaires qui existent tous avec réalisme et une belle expressivité qui rend perceptible leur personnalité : intelligence, mesquinerie, générosité, douceur, ruse, brutalité…
Mais au-delà du récit épique, il y a un autre récit imbriqué, qui nous parle de l’amour des livres, de la richesse de la connaissance qu’ils permettent de partager et de ce qu’ils apportent à l’humanité. Il est fascinant de redécouvrir avec Tarid des intuitions anciennes et souvent méconnues aujourd’hui sur l’évolution des espèces ou sur les prémices de l’aviation ! Tout au fil des livres évoqués dans la BD, l’histoire réalise un bel hommage à la richesse de la littérature des savants d’Al Andalus et un rappel de leur rôle essentiel de passeurs qui nous ont permis de sauver les textes de nombreux grands auteurs antiques. Cet autre récit est aussi un rappel de la grande fragilité des livres, en butte à l’hostilité des obscurantismes religieux et des totalitarismes politiques car toujours susceptible de contenir des pensées qui les remettent en cause. Et dans un glissement progressif qui traverse les siècles jusqu’à notre époque, la très forte dernière double page devrait interpeller non seulement tous les lecteurs, mais tous les amoureux de la liberté de pensée et de l’accès à la connaissance dont les livres ont souvent été les vecteurs.
Enfin, et c’est logique pour une BD qui évoque si fortement l’amour des livres et des bibliothèques, « La bibliomule de Cordoue » est un beau livre : un bel objet qu’on aime tenir en main et parcourir. La réussite des auteurs est totale.
Fichtre! Quelle réussite que cet album que j'ai découvert après la bataille, plusieurs années après sa sortie! Si seulement je m'étais douté du moment de lecture extraordinaire qu'il me ferait passer...
Elles sont rares les BD qui m'ont ému à ce point ces dernières années. J'ai refermé celle-ci à regret car j'en aurais lu volontiers une centaine de pages supplémentaires.
J'ai grandi en lisant le journal de Spirou, de la fin des années 70 au début des années 90. J'ai retrouvé ici tout ce qui avait enchanté mes lectures d'enfance. Franck Pé est pour moi la synthèse de ce style développé par les éditions Dupuis. Son dessin, la composition de ses cases et de ses planches possèdent une force d'évocation hors du commun. Quant au scénario, il a trouvé un point d'équilibre rare entre les différentes émotions. Il se dégage de ce Spirou une grâce étonnante, inattendue pour moi avant d'en entamer la lecture et je m'incline devant le talent qui a été mis en œuvre ici.
Nom d'une pipe, qu'est-ce qu'il m'a touché ce bouquin!
Je voudrais faire une remarque sur une critique récurrente au sujet de l'histoire des champignons noirs développée en parallèle: certains se plaignent de l'inutilité de cet épisode. Sans vouloir leur manquer de respect, ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas compris qu'il n'y a pas de sens à cette partie du récit qui est fondamentalement liée aux autres parties. Les auteurs ne donnent pas d'explications à l'inverse de toutes les mauvaises séries tv qui aiment le faire en mâchant et pré-digérant pour le spectateur ce qu'il y a à comprendre, le rendant finalement paresseux et incapable de se débrouiller sans cette canne. Et c'est toute la force de cet album de nous donner à comprendre par l'entremise des pensées et des réflexions induites par les émotions qu'il sait faire naître.
A sa manière donc, et dans son style, La lumière de Bornéo est un chef d'œuvre qui parvient à convoquer tout le génie d'un journal et d'une tradition éditoriale pour en restituer l'exceptionnelle saveur.
Un mot pour finir sur l'objet lui même: les éditions Dupuis ont eu l'heureuse idée d'imprimer cet album sur un papier mat, blanc cassé, qui offre un plaisir de lecture décuplé. Le livre est beau, l'impression également, merci aux auteurs et à l'éditeurs qui semblent avoir donné le meilleur d'eux mêmes.
Il n'est pas évident de trouver des mots qui parlent à tous sur un sujet aussi brûlant que l'avenir. L'avenir proche, très proche.
A travers le regard de trois jeunes parisiens, cette histoire transporte le lecteur à la découverte d'un monde SENSationnel. L'auteur met en avant les vestiges d'une civilisation ancestrale, en perfusion, où les traditions d'un peuple autochtone (ici en Alaska) résistent tant bien que mal à l'appel séduisant de la technologie, de l'immédiateté et du tout à portée de main. Ces peuples sont les premiers témoins, malgré eux, d'un environnement en plein bouleversement et à l'inverse, les derniers porteurs d'une vision animiste, philosophie centrale dans ce récit.
Plus qu'une critique de la civilisation occidentale en tant que population, c'est une invitation à la réflexion en tant qu'individu sur un mode de vie en guerre contre le vivant, sur des regards détournés d'évidences criantes et plus globalement sur le sens du mot 'vivre' en ce monde.
Je viens de finir Sapiens de Yuval Noah Harrari et je trouve personnellement que 'Les Pizzlys' en est une belle conclusion. L'illustration d'une évolution (biologique, culturelle et sociale) progressive de plusieurs dizaines et centaines de milliers d'années en contraste d'une destruction accélérée à l'échelle de quelques générations humaines.
Depuis ma lecture du Discours de la panthère, j'apprécie de plus en plus ce style graphique propre à Jérémie Moreau.
L'ouvrage en lui-même est magnifique (les couleurs de la première de couverture et sa taille) et la lecture est d'une grande fluidité avec un nombre important de pages contemplatives !
Je recommande à tous la lecture :)
Note réelle : 4.5
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Une soif légitime de vengeance
Il ne m'a pas fallu plus de quelques secondes pour craquer en librairie sur cette nouvelle série de Rick Remender. Ce monsieur est un scénariste assez prolifique qui a signé entre Fear Agent et The Last Days of American Crime quelques-un de mes plus beaux souvenirs de lecture de comics indépendants. De surcroit il sait s'entourer de dessinateurs talentueux développant chacun leur style particulier et je vous laisse regarder sa production pour en avoir le coeur net. Pour le présent titre, on ne déroge pas à cette tradition avec le trait d'un dessinateur portugais proche des dessins de Moebius, Geof Darrow ou de Katsuhiro Otomo, excusez du peu ! Si cette histoire avare en dialogues semble se lire bien vite, le tout réside dans les détails créant une sensation de mal être et de suspens de chaque instant. On suit ici les déambulations d'un homme d'origine Asiatique dans Vancouver sans savoir ce qui va se tramer ni quels sont les desseins du héros pour atterrir dans une sombre histoire de meurtres sanglants et de complot. Amateurs de la série Breaking Bad, vous allez être aux anges ! Imaginez un polar urbain où tout peut basculer du calme vers la tempête en un claquement de doigts. Que ce soit l'environnement ou le découpage, tout est parfaitement mis en condition pour passer un moment de lecture des plus délectables. La série se clôture en deux tomes et ne perd pas de temps en allant droit à l'essentiel tout en conservant beaucoup de subtilité comme de mystères mais offre une conclusion des plus jouissives et satisfaisantes que je ne peux dévoiler ici.
Nées Rebelles
J’avais déjà beaucoup aimé Les Sauveurs chez le même éditeur, mais « Nées Rebelles » m’a encore plus ému. Le principe est similaire : les auteurs brossent le portrait de jeunes femmes voulant changer le monde, quitte à faire face à des ogres effrayants : les talibans, la National Rifle Association… et puis l’opinion générale et les trolls sur Internet, aussi… leur détermination inspire, et leur impact aussi, puisqu’elles ont toutes réussi à faire bouger les choses. Greta Thunberg n’est plus à présenter, et sa diatribe « how dare you » à l’ONU a fait le tour du monde… son histoire AVANT d’être connue m’a cependant beaucoup touché. Et que dire de Emma González… son discours à elle, prononcé suite à la fusillade de Parkland, m’a fait fondre en larmes. Une photo des jeunes filles conclut judicieusement chaque chapitre, ce qui les humanise encore plus. Je note aussi le rôles des parents. Ils sont dépeints comme ouverts, et encouragent leurs enfants à poursuivre leurs rêves et leurs idéaux… être un model pour ses enfants est plus important que jamais. Il parait futile de parler de réalisation technique… je note toutefois que la narration est parfaite, et que les différents styles graphiques apportent une variété appréciable entre les chapitres. Un album d’intérêt général, à mettre entre toutes les mains… et plus particulièrement celles des jeunes filles, qui ont plus que jamais besoin de modèles autres que Kim Kardashian et toutes ces influenceuses TikTok à la vacuité sans fond.
Furieuse
Woua ! Il y a tout ce que j'aime dedans cette BD ! Je sors de ma lecture absolument charmé. Détails : D'abord, un dessin ultra chouette, fin, original, en particulier les (rares) scènes de nuit, splendides. Une ligne claire souple qui flatte le regard. On ne fait pas trop gaffe en survolant, mais franchement, c'est un trait de génie, dans tous les sens du terme. Les couleurs aussi fonctionnent très très bien, imprimant une ambiance forte et dynamique à l'ensemble. L'univers, en grande partie dépendant du dessin, est super original. Les auteurs font du neuf avec du vieux. Et que je te reprends cette bonne vieille légende arthurienne ! Et que je t'ajoute une bonne dose d'humour, de cool-trash (chais pas trop ce que ça veut dire, mais je trouve que ça correspond :) ainsi qu'un brin de baroque avec aussi un peu de satanisme (Merlin n'en est que plus pervers). Les dialogues sont quant à eux très frais, et mis au goût du jour. Les personnages sont très typés, que ce soit Arthur lui-même, en pleine décadence et baignant littéralement dans son caca, le comte de Cumbre (qui a une identité double, mais chuuuuut !) et son petit zizi au bol, le grand taiseux de Claude, ou tout simplement l'héroïne, une jeune femme pleine de vie et éprise de liberté. Bref ! On a affaire à une galerie de portraits tous plus incroyables les uns que les autres. Le scénario enfin. Ce n'est pas un scénario en fait, mais une course effrénée. Ca bombarde à deux mille à l'heure, avec des rebondissements en veux-tu-en voilà. Qui plus est, ça coupe sans arrêt l'herbe sous le pied. Franchement une très belle mécanique. La fin est pour le moins assez inattendue, et si, comme le dit MacArthur, on a affaire à une allégorie du pouvoir, les auteurs poussent le bouchon encore plus loin en achevant cette épopée sur une dualité bien/mal, création/destruction... qu'ils semblent présenter comme une composante indissociable de la vie elle-même. Avec là au milieu, l'Homme (en l'occurrence la Femme) qui demeure entièrement libre de prêter le flanc à l'une ou l'autre, ou de tout simplement suivre son propre chemin. Moi, ça me convient parfaitement en tout cas. Mine de rien, c'est hyper finaud ! Ajoutons que ça plaira sans aucun doute à papa comme à sa fifille. On dit intergénérationnel, non ?
Contrition
J'ai adoré, un thriller haletant dans la même veine que Colorado train. Contrition est un village du comté de Palm Beach, les habitants sont tous des délinquants sexuels, ils s'y sont regroupés du fait du chapitre 775 section 210 des statuts de la Floride qui interdit à toute personne condamnée pour certains délits sexuels de vivre à moins de 1000 pieds d'une école, crèche, parc ou cour de récréation. Bref la création d'un ghetto. Marcia Harris est journaliste au Palm Beach Sun et elle va mener une enquête sur la mort d'un pédophile dans la ville de Contrition. Et son entêtement va la mener au bord du gouffre, malmenant sa vie personnelle. Je ne vais rien dévoiler de plus, mais sachez que le récit sera d'une noirceur extrême et qu'il explorera des thèmes tel que la pédophilie, le harcèlement scolaire, le suicide, la vengeance et la rédemption. Un récit sombre, dur et poignant. Sachez aussi que tous les personnages sont psychologiquement très travaillés, que les dialogues sonnent juste et que les surprises seront au rendez-vous. Une narration non linéaire qui prend le temps de mettre en place toutes les pièces du puzzle. Un récit qui explore sous différents angles et tout en nuances la face cachée d'une société loin d'être idyllique. Une réussite ! Visuellement, un noir et blanc très noir et légèrement charbonneux qui met de suite dans une ambiance glauque qui sera présente de la première à la dernière page. Une mise en page somptueuse. Magnifique ! Une symbiose parfaite entre le graphisme et l'intrigue. Je recommande chaudement à tous les amateurs de polars, mais ce récit est bien plus qu'un simple thriller. Carlos Portela et Keko, deux immences artistes. Après relecture, je passe à 5 étoiles. Très gros coup de cœur "S'ils ne peuvent pas vivre parmi les autres, pourquoi on les relâche ?" "Je simplifie peut-être, ce qu'il faut retenir, c'est que faire des mauvaises choses ne fait pas nécessairement de vous une mauvaise personne."
Peter Pan
J’ai attendu ma 1000ème chronique pour aviser « Peter Pan », c’est vous dire à quel point cette bande dessinée est un must absolu pour moi. Je pense que tout a été dit sur cette série réalisée de A à Z par Régis Loisel, elle a eu un tel impact sur le public amateur du 9ème art qu’elle fut même l’objet d’un ouvrage qui explique la genèse de « Peter Pan ». Pour ma part, j’ai découvert cette bande dessinée en me rendant chez un ami bédéphile à l’époque où les 3 premiers tomes avaient été publiés. Il m’avait dit que « Peter Pan » était pour lui une des meilleures séries qu’il a lues jusqu’à maintenant. Je ne l’avais pas cru car « Peter Pan » est, pour moi, en premier lieu un dessin animé de Walt Disney et… je n’aime pas trop leurs réalisations. Du coup, il m’a fallu attendre bien plus tard lorsque j’eus découvert et adoré « La Quête de l'Oiseau du Temps » du même auteur, Régis Loisel, pour me mettre à feuilleter « Peter Pan » et ce fut… une sacrée claque ! (Rien à voir avec du Walt Disney !) Une des BD qui m’a le plus impressionné au niveau des émotions (du rire aux larmes, tout y passe !) ; d’ailleurs, rien qu’à écrire cet avis et à repenser à cette histoire, j’ai de nouveau des frissons, des poils qui hérissent ! Je ne vais pas vous écrire ce qui m’a exactement plu dans « Peter Pan » parce que, justement, j’ai tout adoré que ce soit du graphisme, le scénario, l’ambiance, les personnages, sa situation dans Londres victorienne, la mise en page… TOUT je vous dis !
Environnement toxique
Cette lecture interpelle. Environnement toxique est un récit autobiographique dans lequel l’autrice partage son expérience comme ouvrière au sein de compagnies travaillant sur les sables bitumineux au Canada. Il s’agit d’un récit très personnel et touchant par plusieurs aspects. Kate Beaton est autodidacte et cela se ressent dans son dessin comme dans son découpage. Le trait est parfois raide, les proportions ne sont pas toujours respectées. La bande dessinée en elle-même se présente plus comme une juxtaposition de scènes que comme un récit construit avec une vision d’ensemble. Elle présente donc un rythme assez syncopé. Enfin, malgré une volonté manifeste de l’autrice de bien caricaturer chaque personnage, il n’est pas toujours évident de savoir qui est qui (même si en règle général, le risque de confusion demeure très limité). Ceci pour vous dire qu’il ne faut pas lire ce récit pour ses qualités techniques mais bien plus pour ce que l’autrice a à nous dire. Je m’attendais à lire un récit vaguement féministe mais surtout écologiste. Au final, j’ai eu l’inverse puisque l’essentiel du propos se centre sur les comportements sociaux entre collègues. J’ai beaucoup aimé son analyse de la situation, réfléchissant au sujet des comportements masculins sur des critères plus subtils que le simple « c’est un homme, donc un primate ». Ici, la structure des camps, le fait que les femmes soient en forte minorité, l’isolement ou le manque de prise en charge psychologique du personnel sont autant de critères qui viennent nourrir les réflexions de l’autrice, avec cette interrogation en point d’orgue : « et si mon père -image de l'homme protecteur, juste et droit- était ici, son comportement serait-il différent de celui des autres ? » Mais cette analyse n’empêche pas l’émotion. Certains passages sont très durs (Kate Beaton sera violée à deux reprises) mais racontés avec beaucoup de pudeur, ce qui émeut d’autant plus. Le récit étant chronologique, les questionnements sur l’environnement ou sur le sort des populations locales ne surviennent que dans le dernier tiers, soit au moment où ils commencent à faire débat dans la presse. Au fil des pages, l’autrice mûrit. De l’oie blanche qu’elle était à ses 21 ans et à son arrivée, elle devient une femme qui ose s’affirmer mais aussi s’interroger sur ses responsabilités. On a donc également droit au portrait d'une femme qui grandit, marquée par les traumatismes subis comme par les rencontres plus positives. Dans l’ensemble, les deux aspects que je retiens prioritairement sont la qualité d’analyse de l’autrice et la pudeur avec laquelle elle relate les événements (on n’apprend ainsi que dans la postface qu’une de ses sœurs est décédée d’un cancer après avoir elle aussi travaillé sur ces sites durant de longs mois, l’autrice n’en parle absolument pas dans la bande dessinée en elle-même, comme si cette douleur-là, elle voulait la garder pour elle, sans l’exhiber). Cette lecture, malgré ses limites techniques, a donc réussi à me toucher et à m’interpeller. Et pour ça, je dis « franchement bien ! ».
Les Années Spoutnik
Les Années Spoutnik est une BD extrêmement touchante et totalement intergénérationnelle. Mon fils de 9 ans a lu l'intégralité de la série 2 ou 3 fois et il a adoré, bien qu'il n'était pas très motivé au départ, mon insistance ayant payé. Le talent de Baru éclabousse les 4 tomes, on prend un plaisir fou à observer la vie de ces gamins et de leurs familles dans cette cité ouvrière des années 50-60, qui me rappelle la rue de mes grands-parents, dans laquelle toutes les maisons se ressemblent. Les souvenirs racontés par mon père et mes oncles dans ce quartier communiste ouvrier, balancé entre papeterie et cimenterie, collent parfaitement avec ceux de Baru. C'est émouvant, on est face à un témoignage de la vie et des rêves de nos ascendants. Et même moi, qui suis plus jeune, je me suis retrouvé dans plein de choses : la scène du pénalty évidemment, les bandes "rivales" (même si on ne se mettait pas des peignées comme ça !), le fait que n'importe quel endroit à l'extérieur pouvait nous servir de terrain de jeu. Je revois Alex, Alicia, Gwenaël, Gladys et d'autres, mes voisins avec qui je partais jouer toute la journée dans la forêt, sur le terrain de foot, dans le champ d'à côté, etc. Les dialogues sont géniaux, ils ont réveillé en moi le passionné de langues, de jargons et de patois. Ils ont fait rire mon fils. J'ai lu la série deux fois, et à chaque fois, j'ai pris un plaisir fou à lire et à décrypter ces sociolectes. Encore mieux, le mélange des cultures - et donc des langues - est un témoignage surpuissant des bienfaits, linguistiques et sociaux, de la diversité. Sous ses abords de BD simple et légère, Baru nous livre une œuvre bien plus complexe sur notre histoire, sur la vie de nos parents et grands-parents. Et, si comme moi, vous êtes issus d'une famille modeste, communiste et ouvrière (mais heureuse), et qu'en plus vous vous intéressez de près au multiculturalisme et à la diversité linguistique et sociale, cette série doit trôner en haut de votre bédéthèque. Les Années Spoutnik est un véritable trésor.
La Bibliomule de Cordoue
Un vrai bonheur de lecture que cette BD, qui est splendide à de multiples points de vue ! Le scénario est d’une grande richesse, au fil du parcours épique d’un trio que rien ne prédispose a priori à l’aventure : Tarid le débonnaire et rondelet eunuque bibliothécaire, Lubna l’esclave copiste qui travaille avec Tarid, et Marwan l’ancien élève de Tarid devenu petit voleur de rues bien peu doué. Trio et même quatuor car s’y adjoint la mémorable mule du titre, qui joue un rôle essentiel (et inattendu) dans l’histoire, et contribue à la force comique du récit, Ce quatuor se retrouve constitué un peu par hasard, suite un terrible évènement d’ouverture qui va les jeter sur les routes : l’incendie de la bibliothèque décidé par un vizir, moins fanatique religieux que politique soucieux de s’attirer l’appui des religieux, essentiel à son ambition politique. En les accompagnant dans leur fuite désespérée destinée à sauver un poignée des trésors de la bibliothèque, nous allons vivre avec eux une bien riche et passionnante aventure. Les auteurs ont fait un travail de recherche et de documentation d’une très grande précision, mis en images dans une très belle illustration des villes et paysages, qui nous transporte littéralement dans cet Espagne de Al Andalus, au temps de l’apogée politique de l’émirat de Cordoue. La postface très intéressante montre à quel point le livre est fidèle dans ce que nous connaissons de cette époque où cohabitaient (de façon plus ou moins pacifique selon les moments) en Espagne royaumes musulmans et chrétiens, et dans Al Andalus musulmans, chrétiens et juifs. Et dans le fil du récit on découvre d’étonnantes anecdotes authentiques, jusque dans le détail des péripéties inattendues d’un roi trop gros pour monter à cheval, ou sur les contrefaçons d’épées vikings circulant au 10ème siècle et que seul un œil averti pouvait identifier. L’aventure est riche de rebondissements, d’humour et d’émotions multiples. L’histoire contient beaucoup de mystères relatifs aux personnages principaux dont on découvre progressivement l’histoire passée, y compris à travers des rêves quasiment fantastiques dont on découvre le sens ensuite. Dans la description de cette époque dure qui n’est pas présentée de façon idéalisée, nos antihéros se trouvent confrontés à des difficultés nombreuses, pourchassés de tous côtés, où beaucoup de leurs contemporains sont plus prédateurs que protecteurs et où pour nombre d’entre eux, les livres ne signifient rien, ou n’ont de valeur que marchande. Tous les acteurs de cette fresque sont dessinés avec beaucoup de talent, qu’il s’agisse des personnages importants du récit, mais aussi de tous les nombreux personnages secondaires qui existent tous avec réalisme et une belle expressivité qui rend perceptible leur personnalité : intelligence, mesquinerie, générosité, douceur, ruse, brutalité… Mais au-delà du récit épique, il y a un autre récit imbriqué, qui nous parle de l’amour des livres, de la richesse de la connaissance qu’ils permettent de partager et de ce qu’ils apportent à l’humanité. Il est fascinant de redécouvrir avec Tarid des intuitions anciennes et souvent méconnues aujourd’hui sur l’évolution des espèces ou sur les prémices de l’aviation ! Tout au fil des livres évoqués dans la BD, l’histoire réalise un bel hommage à la richesse de la littérature des savants d’Al Andalus et un rappel de leur rôle essentiel de passeurs qui nous ont permis de sauver les textes de nombreux grands auteurs antiques. Cet autre récit est aussi un rappel de la grande fragilité des livres, en butte à l’hostilité des obscurantismes religieux et des totalitarismes politiques car toujours susceptible de contenir des pensées qui les remettent en cause. Et dans un glissement progressif qui traverse les siècles jusqu’à notre époque, la très forte dernière double page devrait interpeller non seulement tous les lecteurs, mais tous les amoureux de la liberté de pensée et de l’accès à la connaissance dont les livres ont souvent été les vecteurs. Enfin, et c’est logique pour une BD qui évoque si fortement l’amour des livres et des bibliothèques, « La bibliomule de Cordoue » est un beau livre : un bel objet qu’on aime tenir en main et parcourir. La réussite des auteurs est totale.
Le Spirou de Frank Pé et Zidrou - La Lumière de Bornéo
Fichtre! Quelle réussite que cet album que j'ai découvert après la bataille, plusieurs années après sa sortie! Si seulement je m'étais douté du moment de lecture extraordinaire qu'il me ferait passer... Elles sont rares les BD qui m'ont ému à ce point ces dernières années. J'ai refermé celle-ci à regret car j'en aurais lu volontiers une centaine de pages supplémentaires. J'ai grandi en lisant le journal de Spirou, de la fin des années 70 au début des années 90. J'ai retrouvé ici tout ce qui avait enchanté mes lectures d'enfance. Franck Pé est pour moi la synthèse de ce style développé par les éditions Dupuis. Son dessin, la composition de ses cases et de ses planches possèdent une force d'évocation hors du commun. Quant au scénario, il a trouvé un point d'équilibre rare entre les différentes émotions. Il se dégage de ce Spirou une grâce étonnante, inattendue pour moi avant d'en entamer la lecture et je m'incline devant le talent qui a été mis en œuvre ici. Nom d'une pipe, qu'est-ce qu'il m'a touché ce bouquin! Je voudrais faire une remarque sur une critique récurrente au sujet de l'histoire des champignons noirs développée en parallèle: certains se plaignent de l'inutilité de cet épisode. Sans vouloir leur manquer de respect, ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas compris qu'il n'y a pas de sens à cette partie du récit qui est fondamentalement liée aux autres parties. Les auteurs ne donnent pas d'explications à l'inverse de toutes les mauvaises séries tv qui aiment le faire en mâchant et pré-digérant pour le spectateur ce qu'il y a à comprendre, le rendant finalement paresseux et incapable de se débrouiller sans cette canne. Et c'est toute la force de cet album de nous donner à comprendre par l'entremise des pensées et des réflexions induites par les émotions qu'il sait faire naître. A sa manière donc, et dans son style, La lumière de Bornéo est un chef d'œuvre qui parvient à convoquer tout le génie d'un journal et d'une tradition éditoriale pour en restituer l'exceptionnelle saveur. Un mot pour finir sur l'objet lui même: les éditions Dupuis ont eu l'heureuse idée d'imprimer cet album sur un papier mat, blanc cassé, qui offre un plaisir de lecture décuplé. Le livre est beau, l'impression également, merci aux auteurs et à l'éditeurs qui semblent avoir donné le meilleur d'eux mêmes.
Les Pizzlys
Il n'est pas évident de trouver des mots qui parlent à tous sur un sujet aussi brûlant que l'avenir. L'avenir proche, très proche. A travers le regard de trois jeunes parisiens, cette histoire transporte le lecteur à la découverte d'un monde SENSationnel. L'auteur met en avant les vestiges d'une civilisation ancestrale, en perfusion, où les traditions d'un peuple autochtone (ici en Alaska) résistent tant bien que mal à l'appel séduisant de la technologie, de l'immédiateté et du tout à portée de main. Ces peuples sont les premiers témoins, malgré eux, d'un environnement en plein bouleversement et à l'inverse, les derniers porteurs d'une vision animiste, philosophie centrale dans ce récit. Plus qu'une critique de la civilisation occidentale en tant que population, c'est une invitation à la réflexion en tant qu'individu sur un mode de vie en guerre contre le vivant, sur des regards détournés d'évidences criantes et plus globalement sur le sens du mot 'vivre' en ce monde. Je viens de finir Sapiens de Yuval Noah Harrari et je trouve personnellement que 'Les Pizzlys' en est une belle conclusion. L'illustration d'une évolution (biologique, culturelle et sociale) progressive de plusieurs dizaines et centaines de milliers d'années en contraste d'une destruction accélérée à l'échelle de quelques générations humaines. Depuis ma lecture du Discours de la panthère, j'apprécie de plus en plus ce style graphique propre à Jérémie Moreau. L'ouvrage en lui-même est magnifique (les couleurs de la première de couverture et sa taille) et la lecture est d'une grande fluidité avec un nombre important de pages contemplatives ! Je recommande à tous la lecture :) Note réelle : 4.5