Les derniers avis (266 avis)

Couverture de la série Alt-Life
Alt-Life

Sommes-nous des êtres de chair ? Le bonheur, c’est la contrepartie du malheur ? Un monde sans contrainte peut-il amener ce bonheur ? Qui sommes-nous ? Qu’est-ce qui fait de nous des humains ? Tant de questions posées dans Alt-Life ! Une longue attente pour une juste anticipation Alt-Life, je l’attendais avec impatience. J’avais une vague impression que cette BD serait un de ces trucs qui sort du lot, qui ne reste pas sur le chemin de brique jaune. Et je ne m’étais pas trompé ! Elle représente très bien ce qu’est notre époque et anticipe où nous allons. Une immersion totale Nous suivons l’histoire de 2 pionniers, Josiane et René, qui ont accepté de faire un avec la machine pour intégrer leur esprit dans le nouveau monde virtuel où l’humanité ira les rejoindre après une année de tests et d’évolution de ce projet qui se nomme « la génération ». Plus de retour en arrière possible pour eux, c’est une fusion parfaite entre l’homme et la machine où l’esprit est absorbé dans ce nouvel univers. Dans ce nouveau monde, pas de contrainte, ou si peu. Plus besoins de manger, de boire, d’aller aux toilettes, de prendre de douche. Tout est géré et conditionné par la machine. On peut y créer ce qu’on veut, on peut y faire ce qu’on veut, aucune limite à part notre imagination. Bref, c’est l’immersion totale. L’expérience ne sera pas vécue de la même manière par nos 2 aventuriers du virtuel. Au début, Josiane laisse libre cours à ces pulsions sexuelles inassouvies. René aura plus de difficulté à basculer complètement dans ce type de relation et se questionnera sur la réalité de la chose. Les 2 personnages évoluent dans cet univers différemment pour à la fin se retrouver tous les 2 dans une quête d’humanité. Une fois leur année passée, le reste des gens viendront les rejoindre mais avec un accès moins élevé dans leur possibilité de création mais surtout d’espace qui leur est donné. Ici aussi, dans cet univers, la disparité entre les classes sociales est présente. Les riches ont plus d’espace, les pauvres moins. Pas beaucoup d’évolution sociale! L’humanité en question Il est difficile de bien décrire Alt-Life tant cette BD est complexe et regorge d’éléments philosophiques et de questionnements sur notre humanité. En fait, pour bien la comprendre vous allez devoir la lire ! Alt-Life est tellement collée sur notre époque que ça peut paraître épeurant en lecture. Tant de ressemblance avec nous, ce que nous vivons, ce que nous sommes. Et cette anticipation de devenir de pur esprit de la machine dans un nouveau monde est bien présente dans les diverses formes d’art depuis très longtemps. Quand j’ai terminé ma 1re lecture, j’ai ressenti plusieurs émotions. La peur, la peur de voir cet avenir arriver. Un avenir où on laisse tomber notre monde pour s’enfuir dans un nouveau qui, malgré les précautions, ressemblera de plus en plus à notre ancien monde. La colère, la colère de participer tacitement à cette inexorable évolution de notre société pour le meilleur et le pire. L’excitation, car je suis un être de pulsions et avoir la possibilité de vivre ces pulsions sans contrainte et conséquence est tentante mais tout aussi troublante. L’espoir, car à la fin de cette histoire, Josiane et René recherche cette réalité, la réalité qui pue, qui fait mal, qui nous fait pleurer, qui nous frustre mais aussi qui nous stimule, qui nous rend heureux, qui nous donne du plaisir, qui fait de nous des humains. Car la grande question de cette BD, et elle est très Dickienne cette question, qu’est-ce qui fait de nous des humains ? Une BD qui porte à réflexion Alors, lisez Alt-Life ! Pour la grande qualité du scénario : quand vous aurez terminé de la lire, elle vous restera en tête fort longtemps. Pour la qualité graphique qui colle à l’histoire de façon parfaite avec son petit côté psychédélique dans la couleur et les dessins. Pour la profonde réflexion qu’elle vient mettre en nous. Une grande BD !

25/05/2022 (modifier)
Par Canarde
Note: 4/5
Couverture de la série Nettoyage à sec
Nettoyage à sec

Rarement vu une aussi grande BD. Par le format, bien-sûr, qui magnifie un dessin extrêmement expressif où le destin pluvieux du héros est représenté avec tellement de vérité qu'on a peine à croire, en refermant le livre, que nous soyons en période de sècheresse et de forte chaleur. Dans la galerie (très généreuse sur ce coup là) on voit à la fois les vues de la ville (avec ses lumières artificielles, ses reflets de feux rouges et de phares de voitures, de vitrines et de salles de brasseries, mais à voir en vrai, c'est beaucoup mieux) et la description la plus près de la réalité que j'ai jamais vue, de la première cigarette, avant de partir au boulot. Dans un film ça ferait maniéré, esthétisant, mais dans une BD, ça touche : le réalisme en devient poétique. L'alternance de grilles serrées et de pleines pages est somptueuse tout en laissant voir tous les traits de construction, ce n'est pas simple à faire et c'est très réussi. Ensuite l'histoire évoque les films des années 60, (j'ai pensé à Mélodie en sous-sol par certains aspects) avec des types en costard, des 404 et des déesses, mais aussi les chansons de Renaud qui décrivent des petites vies foireuses... C'est poignant, on ne sait pas si on doit rire ou pleurer, mais je ne pense pas que ce serait utile de vous raconter l'histoire, la galerie fait le boulot. C'est parfaitement construit et les dialogues sont savoureux, les personnages, peu nombreux, ont de l'épaisseur. Évidemment quand c'est bien, c'est toujours trop court. Bref, 140 pages à lire absolument, je vous le recommande.

22/05/2022 (modifier)
Par Cacal69
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Raptor
Raptor

Ce "Raptor" est envoûtant, mystique et poétique. Le Pays de Galles au XIX° siècle, l'histoire de deux hommes, l'un, Arthur, a perdu sa femme, l'autre, Sókol (faucon en slave) erre dans un monde fantastique chassant les monstres. Mon troisième McKean et ils ont tous un point commun, celui d'avoir comme fil conducteur un animal. Le chat pour Cages, le chien pour Black Dog - Les Rêves de Paul Nash et ici un rapace et plus particulièrement un faucon. Dans la mythologie celtes, le faucon est la mémoire du monde, un symbole ascensionnel, il annonce aussi la victoire de la lumière sur les ténèbres. Il aura toute sa place dans ce récit. Une narration a deux niveaux, l'un ancré dans le réel et l'autre dans l'imaginaire. Je me suis laissé aller au gré des ressacs, les ressacs de l'art, la nature, la vie et la mort. Des thèmes exploités de façon lyrique. Quelle maestria ! Visuellement c'est toujours aussi beau et les couleurs sont superbes. Du travail d'orfèvre. Une lecture immersive. Un diamant ciselé. Note réelle : 4,5.

09/05/2022 (modifier)
Par karibou79
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Nains
Nains

Yes Yes Yes !!! Je suis à genoux devant l'œuvre monumentale de Jarry, ce gars doit avoir une porte spatio-temporelle dans sa chambre pour retranscrire ce qui se passe dans le vrai monde de la fantasy. Les nains, ces cognards dont on se fout du gueuloir dans les livres de trousse-pets, s'exposent ici pleinement comme ce qu'ils ont été, sont et seront toujours: des durs, des cupides, des passionnés, des bourrus... L'idée géniale est de présenter tout leur panel au travers des 5 ordres qui fondent leur peuple, à la fois soudé et furieusement axé sur le "chacun pour sa gueule". Et comment chacun de ces ordres a ses propres coutumes, héros et modes de fonctionnement, chaque lecteur y trouvera des affinités ou réticences. Approchez approchez, mesdames et messieurs, on a de tout: - la forge et ses légendes (le cycle culte de Redwin est devenu pour moi une référence, achat de la trilogie obligatoire!) - le talion et ses marionnettistes contrôlant le pouvoir (le moins emballant pour moi mais qui expliquent bien des choses sur le monde dans sa globalité) - le temple et ses apports mystiques (quelle galerie, on ne s'attend pas à autant de diversité) - les errants et ses servitudes (mais aussi ses libertés de choix même s'ils auront toujours un coût monstrueux) - le bouclier et ses batailles incessantes (se faire botter le cul durant tant d'années pour casser des peaux vertes durant des siècles, ça impose le respect) On s'attache aux personnes, les quitte à regret puis les retrouve avec plaisir lors d'un tome suivant, merveilleuses croisées de destins. Beaucoup d'histoires font du fan service pour d'autres types de lecteurs qui auront une bonne raison pour se lancer dans cette série (on y revit des scènes du film 300 ou Braveheart, de la série Game of Thrones, de livres fantastiques divers et variés. Seul reproche, les histoires devant se terminer en 1 tome, il y a parfois de grosses ellipses et la fin un peu vite expédiée. Mais ce n'est que pour mieux se réjouir de découvrir d'autres personnages le tomes suivants. Ah et autre chose, faut un peu vous calmer avec ces effets de colorisation numérique, on n'est pas aux States les gars. Reste maintenant à découvrir les autres séries de cet univers : Elfes, Orcs et gobelins, Mages... que de belles choses à découvrir, merci à vous !

06/05/2022 (modifier)
Couverture de la série L'Aigle sans orteils
L'Aigle sans orteils

Lax est un maître conteur en humanité ! Je ne sais pas si sa formidable histoire d'Amédée Fario est pure fiction ou possède un fond de réalité mais peu importe. Mon premier avis sur le site était dédié à Marathon, c'est dire si l'effort solitaire avec un dépassement de soi gratuit m'attire. Même si mes légendes sont plutôt Zatopek, Mimoun ou Abebe Bikila, j'ai aussi rêvé sur les noms de Gaul, Coppi, Bahamontes Thévenet ou Hinault. Petit-Breton est un nom que l'on se transmettait de génération en génération comme le trésor d'un patrimoine sportif historique qu'il ne faut pas oublier. Merci à Lax de nous rendre ce patrimoine en images si belles. Au-delà de la belle histoire d'Amédée, c'est la formidable histoire des premiers Tours que l'auteur fait revivre. Effort, solidarité, créativité de la technique et de l'hygiène sportive, vision des organisateurs sur l'impact populaire d'un grand événement sportif, il y a tous ces thèmes très bien mis en valeur dans l'ouvrage. Evidemment, 1910,1911,1912,1913, le récit s'égraine comme une pendule tragique qui avance vers l'indicible. L'ombre portée de la guerre est toujours présent dans l'esprit du lecteur. Toutes ces vies, ces histoires non écrites à cause de ces vieillards ventripotents et galonnés qui vont envoyer des millions d'Amédée à la mort et produire des monstres encore plus terrifiants. 100 ans après, j'en ai encore de l'amertume dans la bouche et un ouvrage comme celui de Lax nous rappelle ce monstrueux gâchis. Je suis fan du dessin de Lax depuis ma lecture du Choucas. Lax ne nous vend pas de la Pin-up ou du BG body buildé (encore que Amédée est BG et Adeline à croquer) mais ses visages dans l'effort sont magnifiques. Son trait presque caricatural se prête bien aux rictus grotesques qu'ont tous les sportifs (moi le premier) au bout de leurs forces. Lax partage avec Cosey ses grandioses descriptions de montagne. Ici nous sommes gâtés. C'est dur, caillouteux, anguleux et froid mais c'est beau. Les teintes jaunes et bleutées sont piles dans les ambiances voulues. Lax revient aussi sur le thème du handicap surmonté, probablement un hommage à son frère, cela enrichit aussi un récit qui n'a aucune faiblesse à mes yeux. Pour finir, voilà une histoire qui crée de l'émotion, de l'empathie pour tous les personnages. Une lecture qui ne m'a pas laissé insensible.

01/05/2022 (modifier)
Par Borh
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Wika
Wika

J'ai vraiment pris une véritable claque graphique comme je me souviens pas en avoir pris dans de la BD franco-belge. Ce n'est pas la première BD que je lis dessinée par Ledroit. J'avais lu "les Chroniques de la Lune Noire", sans finir, et j'étais pas fan, le dessin de Ledroit à l'époque était plutôt criard et brouillon. J'avais lu Sha (en entier) et commencé Requiem, Chevalier Vampire sans finir. Le dessin de Ledroit s'était grandement amélioré, c'était même bon, je trouve, mais pas vraiment dans mon style, car trop agressif. Mais dans Wika, il a passé un énorme cap, je trouve que chaque planche est magnifique, ça donne l'impression de lire un artbook avec un scénario. Même si le principal intérêt de cette BD est graphique, le scénario est pas mal. Normalement, j'apprécie quand les dessins servent bien le scénario, même c'est pour moi l'intérêt d'une BD comparée à un roman. Là c'est plutôt le contraire, le scénario sert bien les dessins. Il fait le boulot, même si c'est pas ce que retiendrai principalement de cette BD.

24/04/2022 (modifier)
Par Yann135
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Bugaled Breizh - 37 secondes
Bugaled Breizh - 37 secondes

Pas besoin d’être un breton pour découvrir cet album magnifique. Pascal Bresson et Erwan Le Saëc ont su nous replonger dans l’affaire du Bugaled Breizh, chalutier qui a coulé mystérieusement en janvier 2004 dans les eaux britanniques au sud du Cap Lizard emportant 5 malheureux marins. A travers un journaliste sur le déclin mais fort en gueule, nous suivons l’enquête. Les incohérences sont nombreuses. C’est palpitant. Vous ne pouvez lire ce récit que d’une seule traite ! La question sous-jacente que pose cet album… pouvons-nous avoir foi aveuglement en l’état et à son armée ? On peut en douter. 18 ans après ce drame, les familles de ces marins sont toujours en attente, afin de comprendre ce qui s’est passé réellement. Deux scénarios s’affrontent. Celui d’un malheureux accident ou plus certainement d’un accrochage avec un sous-marin au cours d’un exercice militaire. Ne serions-nous pas devant un mensonge d’Etat ? Difficile de comprendre pourquoi si nous étions sur un banal accident, certains éléments sont toujours classés secret défense ! Les zones d’ombres sont nombreuses. Au-delà du scénario parfaitement maitrisé, je suis subjugué par le graphisme d’Erwan Le Saëc. Le trait est précis et fin. Les paysages et les scènes maritimes sont sublissimes. L’effet wahou est là ! Un plaisir pour les yeux cet album. Et que dire de la couverture avec son océan de sang et une ombre inquiétante ! c’est admirable. BD a vous procurer en urgence car malheureusement toujours d’actualité. Un gros coup de coeur.

16/04/2022 (modifier)
Couverture de la série Ours
Ours

Gros coup de cœur pour ce récit que je trouve à la fois touchant, intelligent et instructif. Déjà l’idée de départ : nous raconter l’histoire d’un chien d’aveugle… lui-même frappé de cécité. Voilà qui est original et, surtout, qui va provoquer pas mal de choses chez le lecteur. Tout d’abord, il est difficile de ne pas s’attacher à cette boule de poils loyale, intelligente et dévouée à son maître. Ensuite, lorsque Ours (c’est son nom) se retrouve aveugle, les spécificités de sa race (canine) ouvrent des champs d’exploration sensorielle (ouïe, odorat) qui permettent au lecteur de mieux appréhender l’univers d’une personne aveugle. C’est intelligent, instructif et si ce livre se destine prioritairement aux enfants, il est tout sauf infantilisant ! Ensuite, le fil du récit, qui va mener Ours dans un périple dangereux avec pour espoir de retrouver la vue. Son amitié avec un véritable ours, la manière dont le dessinateur illustre ce que « voit » Ours, les différentes rencontres, tout incite constamment à poursuivre la lecture tout en surprenant avec intelligence. A nouveau, ce déroulé offre aux auteurs bien des moments durant lesquels ils peuvent nous apprendre certaines choses sur les chiens d’aveugles, les aveugles, les chiens, les ours, les chauves-souris, les ratons-laveurs… tout ça sans jamais que ce ne devienne lourd car l’aventure reste au centre du récit. Enfin, le happy-end final, bien en accord avec un récit jeunesse. Bourré de bons sentiments mais sans mièvrerie inutile… A titre personnel, je peux vous assurer que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce récit mais aussi que j’ai moi-même appris pas mal de choses et pris conscience d’autres alors même que ce livre est parfaitement adapté à son lectorat (8-10 ans, me semble-t-il) ! Franchement, dans le genre « jeunesse », c’est une belle réussite.

01/04/2022 (modifier)
Par grogro
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Petar & Liza
Petar & Liza

Miroslav Sekulic-Struja a réalisé quelques années auparavant ce diptyque détonnant et sombre qu'est Pelote dans la fumée, injustement ignoré du grand public, et puis plus rien. Nous étions alors en 2013. Neuf ans, rendez-vous compte ! Entre temps, l'homme semble s'être consacré à sa carrière de peintre, délaissant temporairement le 9eme art. Il revient avec ce pavé réjouissant (et un peu moins sombre). D'abord, son dessin est encore meilleur. Le contraire eut été étonnant. Dans ce nouveau livre, l'essentiel est conservé, c'est à dire ce qui confère toute l'originalité à son œuvre. En effet, les personnages lunaires envahissent le récit, et le lecteur demeure dans un état de veille surréaliste, oscillant entre songe poisseux et doux cauchemar, si l'on peut dire, traversant des moment de pure rêverie. Parce que ce n'est pas exactement cauchemardesque, ou alors, un cauchemardesque poétique. Miroslav crée un vocabulaire imagé vraiment original qu'il est difficile de définir, comme si la violence de cette société post-moderniste qu'il dépeint lui était inhérente, mais que ses personnages débordant d'une grande tendresse l'évacuaient, refusant sa dictature. D'où, peut-être, cette impression étrange de naviguer parmi une foule de portraits déglingués et d'êtres qui se cherchent tout comme ils cherchent un endroit où vivre pleinement leur bohème, les entraînant inévitablement aux marges. Ainsi, ce sont deux mondes qui se côtoient : celui de cette réalité sordide imposée par les valeurs matérialistes bourgeoise, et à laquelle il est décidemment bien difficile d'échapper, et celui des aspirations à la liberté de tous les rêveurs du monde, dont la plupart constituent les hordes de sacrifiés peuplant les faubourgs oubliés de l'économie de marché, ceux que la bien-pensance nomme pudiquement "les marginaux". On constate également au fil des pages que les ciels sont davantage travaillés, que les couleurs sont moins ternes, que les expressions des personnages sont mieux fixées. La mise en case varie un brin avec de grandes pages muettes et pleines ou des gaufriers irréguliers aux mouvements décomposés, ce qui renforce encore cette impression de fourmillement. Chaque case se savoure et nécessite d'être apprivoiser. C'est un plaisir pour les yeux, ce que j'attends avant tout d'une bonne bande dessinée. Voilà bien une œuvre réellement atypique dans le paysage ! Objet pictural autant que bande dessinée, Petar & Liza est une immersion totale chez les paumés de l'ex-Yougoslavie, les punks, les révoltés, les invisibles, les cabossés de tous poils. Les dessins, pour ne pas dire les peintures, vous gobent tout entier. A mi-chemin entre les tableaux de Bruegel qui fourmillent de détails et ceux du Douanier Rousseau et leur style naïf, Petar & Liza est une ode à la vie, avec ses inévitables malheurs. A quelques jours des élections, moi je mets mon billet à Miroslav Sekulic-Struja pour le prochain Fauve d'or...

24/03/2022 (modifier)
Par Blue boy
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Le Spectateur
Le Spectateur

Un des gros atouts de ce roman graphique tout à fait singulier, c’est d’abord de réussir à nous captiver dès la scène d’ouverture, où l’on assiste à l’accouchement de Samuel. Ou plutôt, c’est Samuel qui assiste à son propre accouchement — le parti-pris du livre étant une narration en vue subjective, par les yeux du personnage —, car déjà il semble assez éveillé pour le faire, mais déjà, à peine sorti du ventre de sa mère, il inquiète. Il ne poussera aucun cri comme le fait tout nouveau-né, et fixera sa génitrice en silence, allant même jusqu’à provoquer le malaise de cette dernière. Cet enfant étrange, spectateur muet du monde qui l’entoure et ne le comprend pas, va ainsi grandir dans une solitude froide et acceptée, sans états d’âme (Souffre-t-il ? Est-il heureux ? en colère ? Impossible de le savoir…), contrairement à l’ensemble des vivants qui préfère masquer la peur qu’elle suscite par un verbiage souvent illusoire. Samuel apparaît ainsi comme un miroir renvoyant une image de l’humanité peu reluisante. Car Samuel voit tout, et son silence semble parfois plus éloquent que n’importe quel commentaire, plus impitoyable encore. Par les réactions d’incompréhension qu’il provoque, il met à jour la mesquinerie et la cupidité des adultes, notamment celles de ce père égoïste et absent. Mais les enfants n’échappent pas pour autant à son regard, se révélant souvent odieux, voire plus cruels encore. Trois personnages semblent trouver grâce à ses yeux, les seuls à ne pas être perturbés par son silence : sa mère (qui connaîtra une fin tragique), son ami Yacine et Judith, sa camarade de classe dont il est secrètement (évidemment) amoureux, n’exprimant son amour que par les portraits qu’il fait d’elle. Et pour revenir au parti pris narratif en vue subjective, c’est la grande originalité de l’album qui fonctionne très bien par la fascination exercée sur le lecteur. Théo Grosjean va ainsi s’amuser de notre curiosité (malsaine ?) de voir à quoi ressemble Samuel, qui, c’est certain, ne peut qu’avoir l’apparence d’un monstre ! Bon prince, l’auteur consentira à nous dévoiler dans de rares passages le visage de son « spectateur » lorsqu’il se regardera dans la glace de la salle de bains. Une sorte de jeu de miroir entre sujet et objet, puisqu’avec ce récit, il est beaucoup question de réflexions, et ce dans tous les sens du terme… Ce conte noir nous offre donc une vision assez désabusée de l’humanité, mais comme tout conte noir, il possède une part de merveilleux. Et la très belle présentation y contribue largement. D’abord par le choix d’une palette de verts à la fois sombres et lumineux, magnifiés par le cadrage noir. Avec sa belle ligne claire simplissime, à la fois très graphique et un brin naïve, assez proche du courant alternatif U.S., Théo Grosjean nous ramène au monde de l’enfance, tout en osant quelques digressions proches de l’abstraction, qui, par contraste, nous portent vers des territoires mystérieux, quasi-métaphysiques, évoquant des organismes traversés par des formes bizarres, entre cristaux et bactéries, comme peut-être une invitation à l’introspection. Quant au corbeau de la couverture, s’il constitue la part la plus inquiétante de Samuel, il ne les tue pourtant jamais, ne faisant que les conserver dans des boîtes, comme fasciné par leur décomposition. Un simple besoin, légitime chez l’enfant mais choquant pour l’adulte, celui d’approcher le mystère de la vie et de la mort. D’un point de vue graphique encore, on retiendra quelques scènes magnifiques, celle notamment où Yacine emmène Samuel dans un endroit secret, sur les toits du Sacré-Cœur, ou encore celle du séjour à la montagne où le même Samuel admirera les étoiles en compagnie de Judith. Si le livre se termine de façon si incongrue qu’on ne saurait décrire ce que l’on ressent, nous laissant avec nos questionnements sur la personnalité de Samuel et ses aspirations, il faut bien convenir que des explications n’auraient été ici que pure redondance. La scène finale, très suggestive, évoque des bouts de verres brisés, ou d’un miroir peut-être, celui franchi par Samuel, lien judicieux entre rêve et réalité. Ainsi, la boucle est bouclée, et l’on referme l’ouvrage en se disant que, oui, on est infiniment reconnaissant à son auteur de nous avoir fait partager les nobles et sublimes visions de son Spectateur, au milieu des brumes obscures de la condition humaine.

14/03/2022 (modifier)