Ça faisait un petit moment que j’entendais beaucoup de bien de cette série et j’ai récemment décidé de l’essayer.
On nous raconte l’histoire de Shoko, une jeune fille sourde, et de Shoya, un jeune garçon qui l’a autrefois harcelée.
Toute l’histoire tourne autour du handicap, de ses conséquences pour la personne concernée et l’impact sur son entourage, mais également du harcèlement, de sa cruauté gratuite et de la terrifiante facilité avec laquelle les gens le normalisent et se font entraîner par le mouvement.
La façon simple avec laquelle le personnage de Shoya passe de l’enfant turbulent qui trompe l’ennui à l’enfant brimeur croyant simplement faire des blagues pour faire rire la galerie est glaçante de vérité. L’indifférence généralisée à la souffrance de Shoko est, là aussi, bien amenée et réaliste (tout comme le fait que les gens l'ostracisent, parfois même sans se rendre compte).
C’est ça, vraiment, qui m’a bluffé dans cette lecture : le réalisme.
Moi aussi, dans ma jeunesse, je suis passée par-là. Surtout dans la peau de Shoko mais malheureusement aussi dans la peau de Shoya. Je peux vous dire que, quand j’ai lu la façon qu’avait l’autrice de dépeindre cette fine ligne entre le harceleur pour les uns et le harcelé pour les autres, le sentiment d’impuissance des personnes différentes face aux brimades collectives et ce désespoir et cette haine de soi qu’entraînent les remords et les blessures passées, je me suis prise une claque.
L’histoire parle de cette quête de rédemption, justement. De ce désir de Shoya de vouloir réparer ses erreurs, coûte que coûte, en sachant parfaitement que les actes passés ne pourront jamais être oubliés.
Et l’histoire est surprenamment positive. Dans sa quête de rendre Shoko heureuse, Shoya finit par se poser des questions sur ce qui fait les ami-e-s, sur le pardon mais aussi sur le fait de se reconstruire et d’aller de l’avant.
J’ai pleuré à la fin.
Le dessin, quant-à-lui, est simple mais beau. J’ai beaucoup apprécié certains partis pris visuels (comme les croix sur les visages des gens insignifiants aux yeux de Shoya et le fait que les mots des bulles qu’entends Shoko soient à moitié effacés).
Je note tout de même un défaut à cette série (bon, deux si on compte le fait que Tomohiro est parfois assez embêtant comme comic relief).
Je pense que l’histoire aurait pu se passer de la romance.
Je sais qu’il est parfaitement possible que cela arrive dans la vraie vie, mais je commence à en avoir un peu assez de cette manie de mettre en couple un-e tortionnaire et sa victime. Certes, la plupart du temps, on montre bien que lae tortionnaire a changé-e (ou tout du moins essaye de changer), sauf que pour vraiment changer sur cela, et surtout (re)créer des liens forts entre deux personnes autrefois en confrontation, il faut des efforts et du temps. Beaucoup de temps.
Ici, je doute que le laps de temps entre l’époque des brimades et l’époque de l’amitié suffise pour que cela fonctionne. Il est suffisant pour que les remords et la volonté de se racheter naissent, et que les personnages redeviennent ami-e-s, mais pas forcément pour une romance.
Bon, l’autrice a au moins eu le bon goût de terminer sur une fin ouverte à ce niveau-là.
Vraiment, à part ce bémol, ça reste très bon.
4 étoiles bien méritées.
J'ai eu du mal à quitter cette série tellement je me suis attaché au destin de Hakim et de son fils Hadi. J'avais déjà été séduit par ma précédente lecture de Fabien Toulmé avec son récit autobiographique de la naissance de sa seconde fille. L'auteur reste dans une narration biographique qu'il maîtrise à merveille. En effet le récit du voyage d'Hakim et de son fils de un an est passionnant en lui-même mais la qualité de la narration de Toulmé donne une dimension supplémentaire à cette dramatique aventure. Fabien Toulmé se range incontestablement parmi les meilleurs conteurs d'histoires de la BD de langue française actuelle. L'auteur ne s'éparpille pas et reste du début à la fin dans les limites de son sujet. Il veut nous faire découvrir l'histoire d'un réfugié migrant tout en sachant qu'il en existe mille autres plus "simples" (comme la famille de son épouse) ou plus dramatiques comme ces pauvres personnes violées, asservies en esclavage ou tuées sur leur route de l'espoir. Hakim lui est présenté par une amie journaliste. En frappant à sa porte il ne connait rien de lui comme nous quand nous ouvrons le T1. Simplement Toulmé se met à l'écoute d'un récit pour nous le transmettre tel quel, sans tricherie ni biais autre que celui de la langue. Jamais Toulmé ne verse dans le sensationnalisme ou le pathos facile. Il n'en a pas besoin tellement le déroulé du voyage du gentil Syrien porte sa propre tension dramatique. Hakim et son fils vont de l'avant montrant une résolution à vaincre l'adversité qui laisse le lecteur sans voix. Toulmé réussit la prouesse de synthétiser ces dizaines d'heures d'écoutes en un récit d'une fluidité cristalline.
Le ton est toujours juste sans jugement de valeur, la bêtise, la cruauté et l'injustice s'étalant d'elles-mêmes sans que l'auteur aie besoin d'en rajouter. Les trois tomes sont d'un égal niveau même si personnellement j'ai trouvé la T2 au summum d'un récit dramatique.
Graphiquement cette traversée d'un petit bout de la mer Egée restera longtemps gravée dans ma mémoire. La scène est très statique puisque personne ne peut bouger dans le Zodiac.
Pourtant, grâce au sublime des expressions des passagers (et surtout celles du petit Hadi) Toulmé parvient à nous faire sentir cette houle menaçante et cette eau glaciale qui envahit petit à petit la frêle embarcation. Ce passage rend le récit de Toulmé universel puisqu'il présente les deux fins possibles d'une telle situation ; la noyade ou le sauvetage. Car dès le début de cet insensé départ avec un petit de un an il n'y a pas d'autres alternatives : la noyade en mer, dans un camps ou sur le bord d'une route à la suite d'une mauvaise rencontre ou le sauvetage de toute une famille à Aix ou à Dortmund.
Toulmé hisse sa série au niveau des plus grands récits. Elle s'inscrit dans un environnement précis mais peut être lu comme l'universelle tragédie des déracinés de tous les siècles passés ou à venir.
Une lecture passionnante tout en justesse et en sensibilité. Un must.
Au moment où vous lisez ces lignes, des « migrants » sont peut-être en train de quitter le rivage libyen sur des canots pourris, d’autres dérivent au milieu de la Méditerranée dans des conditions critiques, avec probablement rien dans le ventre si ce n’est la peur… Leur objectif ? Rejoindre l’Europe dans l’espoir d’une vie meilleure, fuir avant tout la misère, la guerre ou les persécutions dans des pays en crise. Mais avant qu’ils ne puissent trouver une hypothétique terre d’asile, c’est encore un véritable parcours du combattant auquel ils seront confrontés. La plupart d’entre eux, venus d’Afrique subsaharienne, du Moyen-Orient voire du Bangladesh, convergeront vers la Lybie, un pays « accueillant » faisant office d’entonnoir, où les réseaux mafieux organisent des trafics d’êtres humains dans des conditions ignobles.
Pour témoigner de tout cela, Lucas Vallerie a pris place durant près d’un mois à bord du désormais célèbre Geo Barents, le navire de sauvetage de Médecins sans frontières qui a fait à plusieurs reprises les gros titres de la presse. Un vrai travail journalistique auquel il a imprimé son regard d’auteur-dessinateur, en décrivant le quotidien des sauveteurs de façon saisissante.
Loin d’être un documentaire convenu, « Traversées » parvient contre toute attente à captiver le lecteur de bout en bout. Vallerie ne se contente pas de décrire froidement ce qu’il a vécu, mais transforme son témoignage en aventure palpitante, en s’impliquant avec une sincérité très touchante et un réalisme qui nous absorbe littéralement. En côtoyant ces sauveteurs, qui font figure de héros des temps modernes (près de la moitié étant des femmes), l’auteur nous fait vivre des opérations parfois périlleuses qui nous font prendre conscience du désespoir de ces gens, un désespoir si profond qu’il les pousse à risquer leur vie pour traverser une Méditerranée souvent tumultueuse et imprévisible. A ce titre, on retiendra la scène terrible du naufrage page 63, qui provoquera la noyade de 30% des cent passagers d’un frêle esquif gonflable…
Autre point fort du récit, Lucas Vallerie donne un visage à ces personnes vues souvent par les médias comme des cohortes anonymes, voire par certaines publications extrémistes comme des envahisseurs cautionnant la théorie si chère à certains politiciens démagogues : le fameux « grand remplacement ». Ce faisant, il décrit leur parcours semé d’embuches, le plus tragique étant celui de la camerounaise Jeannette et sa fille Ina
L’auteur possède un trait simple et abouti, tout à fait sympathique, avec un sens du détail équilibré pour restituer la réalité de son séjour à bord du navire mais aussi pour aussi pour retranscrire les témoignages de plusieurs réfugiés. Les portraits qu’il nous donne à voir des sauveteurs ne sont rien de moins que des hommages mérités. Mais les autres qu’il a fait des personnes secourues, bien plus nombreux, provoquent une émotion irrépressible, sans pathos inutile. J’ai moi-même été bouleversé à plusieurs reprises, c’est dire à quel point ce récit comporte une puissance immersive.
On ne trouvera rien qui puisse jouer en défaveur de ce très beau documentaire empreint d’humanité, auquel Lucas Vallerie a même su glisser une touche d’humour, qui contrebalance à bon escient l’âpreté du propos et ne diminue en rien sa force. Aux réfractaires qui argumenteront probablement que l’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, précisons que « Traversées » se situe à l’écart de tout discours politique. En effet, les équipes du Geo Barents n’ont pour seul rôle d’agir comme tout humain digne de ce nom se devrait de le faire : sauver des vies, point barre. S’opposer à cela ne reviendrait-il pas à promouvoir la non-assistance à personne en danger ?
Coup de coeur pour "Swan" de Nejib !
Si le tome 1 était déjà très bon, le tome 2 est encore plus prenant. On y trouve un véritable souffle romanesque ainsi que des rebondissements crédibles et bien amenés. Les personnages sont attachants, consistants, ils ont l'épaisseur de personnages de roman, ça bouillonne, c'est la vie qui défile sous nos yeux avec toute la galerie des artistes du XIXème siècle que Nejib croque sans fioriture mais avec un talent évident.
J'ai également apprécié les dialogues ciselés qui font mouche et la présence de nombreuses oeuvres d'art jalonnant le récit (même si je ne les ai sans doute pas toutes repérées).
Le tome 3 qui vient conclure cette superbe histoire est peut-être un peu plus attendu, mais l'ensemble est vraiment bien ficelé. Une belle série sur l'histoire de l'art que je relirai avec plaisir !
Nejib poursuit donc son chemin en traitant un de ses thèmes de prédilection : la mémoire, la construction d'un souvenir, déjà présent dans Stupor Mundi tout en affinant au passage sa technique. Le trait est parfaitement adapté, dynamique, expressif et fluide.
Ce fut un grand plaisir de parcourir ce récit aux multiples enjeux et personnages et où tout est limpide. Nejib a vraiment un talent particulier pour raconter ses histoires. Pas d'effets de manche, de prétention, tout coule de source.
C'est instructif sans être pédant (et ça donne envie de s'informer davantage), l'auteur mêle personnages fictifs et personnalités marquantes du XIXème siècle avec une facilité déconcertante, il rend hommage aux artistes (mais ne se prive pas pour autant de les croquer avec humour) tout en nous contant une histoire familiale qui a de la chair, bravo !
Tout en connaissant le sujet du livre, j’ignorais beaucoup de son déroulement, n’ayant ni lu le roman original ni vu l’adaptation cinématographique. Cette bande dessinée m’a donc permis de combler ce vide. Et de bien belle manière !
Ce qui marque en premier, c’est le dessin d’Aimée de Jongh. Facile d’accès, bénéficiant de grandes cases et d’un découpage très aéré, ce trait est une vraie invitation à la lecture. Le découpage cinématographique et la fluidité d’ensemble ne font qu’accentuer cette facilité apparente. A la lecture, ça semble ‘évident’, facile… et pour moi c’est la preuve même que c’est très bien fait.
L’histoire ensuite, pour qui ne la connaitrait pas, nous est très bien racontée. Elle est autant prenante que source de réflexion. Ces enfants laissés à eux-mêmes qui finissent par s’entre-tuer en l’absence de règles morales, voilà un sujet extrêmement violent. Et autant on se prend d’affection pour plusieurs protagonistes, autant l’évolution du récit nous semble horriblement crédible.
D’un point de vue politique, Sa Majesté des Mouches mérite d’être analysé. Ce récit prône l’ordre et le respect des règles et montre les horribles dérives auxquelles peuvent mener l’anarchie et le pouvoir de la majorité. Adapter ce récit à l’époque actuelle me semble donc assez audacieux car sa conclusion va à l’encontre de ce que prônent beaucoup de bandes dessinées actuelles (ici, la liberté de choisir et de faire ce qui nous plait mène au chaos et à la violence, alors que le respect de règles et d’un code moral auraient dû permettre la survie de l’ensemble du groupe).
En résumé, j’ai trouvé là une œuvre joliment adaptée (même si on sent à l’occasion des coupures çà et là), des personnages marquants et un sujet digne d’intérêt. Une lecture qui touche et questionne à la fois. Vraiment pas mal du tout !
Il n'est pas évident pour nous d'imaginer ce que pouvait être la vie au début du XXème siècle. Il est encore moins possible d'imaginer que la population américaine pouvait être à ce point en difficulté dans l'entre 2 guerres.
Et pourtant c'est bien dans ce cadre, historiquement vrai que ce déroule la fiction d'Aimée De Jongh.
"Jours de sable" nous conte l'histoire d'un jeune photographe envoyé au cœur des Etats Unis qui sont touchés par des tempêtes de sables et des sécheresses à répétition.
Complétement ignorant de ces choses, je ne peux que louer le travail d'enquête réalisé par l'auteure pour arriver à caler sa fiction dans un contexte réel.
La petite documentation en fin d'ouvrage me laisse à penser qu'elle y est arrivée de manière optimale.
Le dessin est très plaisant à regarder et j'ai trouvé le choix des couleurs parfaitement adapté. Il n'y a aucune fausse note à ce niveau là.
Pour ma part je serai un peu plus indulgent que Gruizzli sur le personnage de John. Son histoire combinée à sa mission et tout ce qu'il en a appris ne m'ont pas choqué. Comme si le Dust Bowl avait balayé ses illusions et enterré ses démons pour lui faire prendre conscience du réel sens de la vie. Sur moi ce point a parfaitement fonctionné.
Ce qui a moins fonctionné c'est la fin dont j'ai trouvé l'arrivée très brutale, comme si il avait fallu conclure très rapidement car on manquait de pages. J'aurai préféré un développement un peu plus long de cette partie de l'histoire.
"Jours de sable" est un belle BD à offrir et à l'aube d'un changement climatique majeur un bon rappel que nous ne sommes que des grains de poussières face aux forces de la nature. Il conviendrait donc de la respecter un peu plus si nous espérons continuer à pouvoir vivre.
Il s’agit d’une des premières séries du célèbre Riad Sattouf, cela se ressent dans le dessin qui a un style plus simple et cartoon que sa célèbre série L'Arabe du futur, mais également dans l’atmosphère qui s'en dégage et qui se trouve être très début année 2000.
C’est l’histoire de Jérémie, un anti-héros comme Sattouf aime les créer qui est un peu loser et malchanceux dans la vie ainsi qu’avec les filles. Ses histoires s’entremêlent avec celles de ces amis Jean-Jacques et Sandrine qui sont des personnages tout autant comiques; certains passages sont vraiment hilarants.
Ça faisait longtemps que je n’avais pas sincèrement ri à voix haute en face d’une BD, c’est le travail le plus drôle de Sattouf.
Les trois albums peuvent se lire séparément et j’ai ma préférence pour le premier album Les Jolis pieds de Florence qui vaut vraiment le détour. Lire cette série rend heureux !
Le temps détruit tout. Pour une fois l'expression n'est pas galvaudée et disons le de suite : l'Orfèvre va vous retourner la tête au sens propre comme au figuré puisqu'on y raconte deux histoires se rejoignant quelque soit le choix initial du lecteur pour entamer sa lecture.
Partant d'un concept assez fou, ce travail sur 10 ans réalisé entièrement par un artiste inconnu dont c'est la première œuvre risque de marquer durablement votre rétine aussi bien sur le fond que la forme.
Sur le fond : il s'agit d'une enquête policière se déroulant dans une ville de Paris au XXième siècle sans plus de précisions au bord de tensions entre le peuple et les autorités. C'est dans ce contexte tendu que l'inspecteur Cisife va rechercher la vérité autour du meurtre sordide d'une femme inconnue dans une sombre ruelle écartée. Privilégiant la manière forte, les divers indices vont l'emmener un peu plus loin vers des personnages peu recommandables...
En parallèle, un autre flic va mettre sa vie en danger à l'autre bout de la ville pour sauver une autre femme traquée pour des souvenirs dont elle n'a plus connaissance....
Sur la forme : les deux histoires se rejoignent puisque les histoires se répondent par un jeu de miroirs : il faut en effet lire le livre uniquement sur les pages supérieures jusqu'à la fin de l'ouvrage puis le retourner et recommencer le même principe. Ce qui semble être un gadget narratif se révèle bien plus malin que cela et je n'ai eu de cesse d'aller au bout de l'aventure en écarquillant les yeux constamment, amusé par le procédé et entrainé par le rythme effréné de cette histoire policière à tiroirs.
Aurélien Lozes utilise un dessin écrit au bic noir dans un trait très précis et utilise des animaux anthropomorphes pour illustrer sa galerie de personnages ambigus de la même façon que Blacksad. C'est à la fois malin, audacieux et bourré de références cachées dont il ne convient pas ici de dévoiler pour laisser place à la surprise.
Le récit est assez violent et entrecoupé de scènes d'action réussies. Ce polar noir à la mise en scène audacieuse flirte fréquemment avec la raison mais également l'intelligence de son lecteur.
Il serait cruel d'en dévoiler davantage tout comme le fin mot de l'histoire s'il existe puisqu'on dénombre au minimum deux façons de lire cet ouvrage à moins qu'il s'agisse d'une boucle à l'infini ? Il y subsiste tellement de non dits et de mystères que l'envie de vite y retourner et s'y perdre littéralement me fait furieusement envie.
Voilà un album qui est resté trainer assez longtemps dans ma pile à lire. Je l’ai acheté par pure curiosité. Je suis rarement un grand fan des prix d’Angoulême, mais là l’audace créative faisait que je devais me faire mon propre avis.
Et j’ai pris beaucoup de plaisir dans ma lecture. Je trouve que Martin Panchaud réussit le pari audacieux de transformer des cercles colorés et une vue aérienne en une véritable expérience narrative. Difficile de croire qu’un tel minimalisme graphique puisse captiver, mais dès les premières pages, la magie opère. En tous cas, ça a très bien marché pour moi.
On pourrait penser que ce style, à la limite de l’abstraction, nuirait à l’immersion. Pourtant, il n’en est rien, cette représentation géométrique parvient étrangement à transmettre une profonde humanité.
Le récit suit Simon, un adolescent malmené par la vie, qui voit sa chance tourner après avoir gagné une grosse somme d’argent. Ce scénario, qui pourrait sembler convenu à première vue, prend une autre dimension sous la plume de Panchaud. Chaque rebondissement est minutieusement orchestré, avec une narration fluide et des surprises bien dosées. On se retrouve plongé dans une sorte de polar social, teinté d’humour noir, où la naïveté et la cruauté s’entremêlent avec brio. Ce qui pourrait n’être qu’un simple road movie se transforme en une aventure humaine, où chaque péripétie est une nouvelle épreuve pour ce jeune héros attachant. (oui je me suis attaché à un cercle !)
Là où Panchaud excelle, c’est dans l’alliance entre cette narration atypique et un scénario solide. Le graphisme, bien que déconcertant au premier abord, finit par devenir invisible, tant il sert le récit. On oublie que l’on suit des cercles colorés et on s’immerge totalement dans cette histoire qui mêle drame, suspense et critique sociale. Le style minimaliste pourrait en rebuter certains, mais il faut admettre que c’est précisément cette originalité qui donne toute sa force à l’ouvrage.
En définitive, “La Couleur des choses” n’est pas simplement une expérience graphique ; c’est une BD qui réussit à allier forme et fond de manière exemplaire. Panchaud nous prouve que l’art de la bande dessinée est loin d’être figé, et que même les choix les plus risqués peuvent aboutir à des œuvres marquantes. À la fois ludique et profond, ce livre est une véritable pépite, un OVNI dans le paysage du neuvième art, qui mérite largement les éloges qu’il a reçus. Un pari graphique audacieux, mais totalement réussi.
C'est ma première incursion en territoire Hanuka. Et c'est bien évidemment le titre (c'est d'actualité) qui m'a attiré vers le Juif Arabe.
C'est très bon. A commencer par ce graphisme minimaliste mais qui tire l'essentiel, que ce soit des expressions ou des paysages. Ça m'a énormément rappelé Ronson de César Sebastian, l'une de mes dernières lectures et gros coup de cœur. C'est tout à fait le genre de dessin que j'affectionne. Question couleurs, j'aime aussi beaucoup le choix de ces aplats de couleurs qui apportent un côté très dynamique. Enfin, Asaf Hanuka procède à une petite inversion des conventions qui, mine de rien, apporte un gros surplus de sens. En effet, les scènes censées se dérouler dans le présent sont en noir et blanc, contenant parfois une discrète touche de couleur qui fait, là encore, toujours sens (par exemple le bleu de la mer qui étincelle comme une lueur d'espoir, ou le rouge qui détoure le visage lors d'une scène tragique), alors que les flashbacks et les souvenirs racontés par le père de l'auteur (ou l'un de ses amis) sont en couleurs. Personnellement, j'y décèle une résonance forte avec la situation actuelle, terrible et embourbée (d'où les scènes actuelles en noir et blanc donc), bien que cette BD ait été réalisée bien avant les attentats du Hamas contre Israël et le massacre des palestiniens de Gaza par l'état hébreux (presque 40000 morts à ce jour). Toujours selon cette idée, les souvenirs, du point de vue de l'auteur, demeurent vivants et apportent toute la nuance que mérite la situation présente (d'où les scènes passées en couleurs).
Je ne veux rien dévoiler de l'histoire, sinon qu'elle est assez folledingue, et surtout très touchante, à commencer par le fait qu'elle soit vraie. En effet, l'auteur enquête sur son histoire familiale, occasion pour lui comme pour le lecteur, de plonger au cœur des relations intimes qui unissaient (autrefois) juifs et arabes. Mais elle est aussi bouleversante parce qu'elle résonne bien entendu on-ne-peut-plus fortement avec l'actualité. Ainsi, au fil des pages, on parvient à entrevoir toute la complexité de l'Histoire, et tout particulièrement celle de la famille de l'auteur, la petite histoire. Par ce biais, Hanuka apporte de la nuance ! Nuance salutaire, toujours, contre les prises de position radicales qui semblent désormais être devenue la norme dans notre monde numérisé, sommant les individus de prendre immédiatement position et de tenir cette position coute que coute, quitte à envenimer les choses. Non, "les choses" ne sont jamais noires ou blanches. C'est une idée à laquelle je crois dur comme fer. Il existe derrière toute situation une palette de couleurs subtiles, palette que l'auteur orchestre donc parfaitement.
Outre le fait que l'actualité vient percuter cette BD de plein fouet, il y a dans ces souvenirs une urgence que vient souligner un dénouement peu commun. Sans en dire plus, la tension monte progressivement à mesure que l'histoire avance. Le tissage scénaristique où s'entrecroisent passés et présents (je mets ces mots volontairement au pluriel) débouche sur une enquête en définitive presque policière, et quand le dénouement éclate, le lecteur en a partout sur lui et gros dans la tête, assez nourrir une réflexion sur le sujet. Une histoire magnifique au point qu'elle en devient presque une parabole, mais aussi un ouvrage salutaire et tout à fait bienvenu. Gros coup de cœur !
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Ça faisait un petit moment que j’entendais beaucoup de bien de cette série et j’ai récemment décidé de l’essayer. On nous raconte l’histoire de Shoko, une jeune fille sourde, et de Shoya, un jeune garçon qui l’a autrefois harcelée. Toute l’histoire tourne autour du handicap, de ses conséquences pour la personne concernée et l’impact sur son entourage, mais également du harcèlement, de sa cruauté gratuite et de la terrifiante facilité avec laquelle les gens le normalisent et se font entraîner par le mouvement. La façon simple avec laquelle le personnage de Shoya passe de l’enfant turbulent qui trompe l’ennui à l’enfant brimeur croyant simplement faire des blagues pour faire rire la galerie est glaçante de vérité. L’indifférence généralisée à la souffrance de Shoko est, là aussi, bien amenée et réaliste (tout comme le fait que les gens l'ostracisent, parfois même sans se rendre compte). C’est ça, vraiment, qui m’a bluffé dans cette lecture : le réalisme. Moi aussi, dans ma jeunesse, je suis passée par-là. Surtout dans la peau de Shoko mais malheureusement aussi dans la peau de Shoya. Je peux vous dire que, quand j’ai lu la façon qu’avait l’autrice de dépeindre cette fine ligne entre le harceleur pour les uns et le harcelé pour les autres, le sentiment d’impuissance des personnes différentes face aux brimades collectives et ce désespoir et cette haine de soi qu’entraînent les remords et les blessures passées, je me suis prise une claque. L’histoire parle de cette quête de rédemption, justement. De ce désir de Shoya de vouloir réparer ses erreurs, coûte que coûte, en sachant parfaitement que les actes passés ne pourront jamais être oubliés. Et l’histoire est surprenamment positive. Dans sa quête de rendre Shoko heureuse, Shoya finit par se poser des questions sur ce qui fait les ami-e-s, sur le pardon mais aussi sur le fait de se reconstruire et d’aller de l’avant. J’ai pleuré à la fin. Le dessin, quant-à-lui, est simple mais beau. J’ai beaucoup apprécié certains partis pris visuels (comme les croix sur les visages des gens insignifiants aux yeux de Shoya et le fait que les mots des bulles qu’entends Shoko soient à moitié effacés). Je note tout de même un défaut à cette série (bon, deux si on compte le fait que Tomohiro est parfois assez embêtant comme comic relief). Je pense que l’histoire aurait pu se passer de la romance. Je sais qu’il est parfaitement possible que cela arrive dans la vraie vie, mais je commence à en avoir un peu assez de cette manie de mettre en couple un-e tortionnaire et sa victime. Certes, la plupart du temps, on montre bien que lae tortionnaire a changé-e (ou tout du moins essaye de changer), sauf que pour vraiment changer sur cela, et surtout (re)créer des liens forts entre deux personnes autrefois en confrontation, il faut des efforts et du temps. Beaucoup de temps. Ici, je doute que le laps de temps entre l’époque des brimades et l’époque de l’amitié suffise pour que cela fonctionne. Il est suffisant pour que les remords et la volonté de se racheter naissent, et que les personnages redeviennent ami-e-s, mais pas forcément pour une romance. Bon, l’autrice a au moins eu le bon goût de terminer sur une fin ouverte à ce niveau-là. Vraiment, à part ce bémol, ça reste très bon. 4 étoiles bien méritées.
L'Odyssée d'Hakim
J'ai eu du mal à quitter cette série tellement je me suis attaché au destin de Hakim et de son fils Hadi. J'avais déjà été séduit par ma précédente lecture de Fabien Toulmé avec son récit autobiographique de la naissance de sa seconde fille. L'auteur reste dans une narration biographique qu'il maîtrise à merveille. En effet le récit du voyage d'Hakim et de son fils de un an est passionnant en lui-même mais la qualité de la narration de Toulmé donne une dimension supplémentaire à cette dramatique aventure. Fabien Toulmé se range incontestablement parmi les meilleurs conteurs d'histoires de la BD de langue française actuelle. L'auteur ne s'éparpille pas et reste du début à la fin dans les limites de son sujet. Il veut nous faire découvrir l'histoire d'un réfugié migrant tout en sachant qu'il en existe mille autres plus "simples" (comme la famille de son épouse) ou plus dramatiques comme ces pauvres personnes violées, asservies en esclavage ou tuées sur leur route de l'espoir. Hakim lui est présenté par une amie journaliste. En frappant à sa porte il ne connait rien de lui comme nous quand nous ouvrons le T1. Simplement Toulmé se met à l'écoute d'un récit pour nous le transmettre tel quel, sans tricherie ni biais autre que celui de la langue. Jamais Toulmé ne verse dans le sensationnalisme ou le pathos facile. Il n'en a pas besoin tellement le déroulé du voyage du gentil Syrien porte sa propre tension dramatique. Hakim et son fils vont de l'avant montrant une résolution à vaincre l'adversité qui laisse le lecteur sans voix. Toulmé réussit la prouesse de synthétiser ces dizaines d'heures d'écoutes en un récit d'une fluidité cristalline. Le ton est toujours juste sans jugement de valeur, la bêtise, la cruauté et l'injustice s'étalant d'elles-mêmes sans que l'auteur aie besoin d'en rajouter. Les trois tomes sont d'un égal niveau même si personnellement j'ai trouvé la T2 au summum d'un récit dramatique. Graphiquement cette traversée d'un petit bout de la mer Egée restera longtemps gravée dans ma mémoire. La scène est très statique puisque personne ne peut bouger dans le Zodiac. Pourtant, grâce au sublime des expressions des passagers (et surtout celles du petit Hadi) Toulmé parvient à nous faire sentir cette houle menaçante et cette eau glaciale qui envahit petit à petit la frêle embarcation. Ce passage rend le récit de Toulmé universel puisqu'il présente les deux fins possibles d'une telle situation ; la noyade ou le sauvetage. Car dès le début de cet insensé départ avec un petit de un an il n'y a pas d'autres alternatives : la noyade en mer, dans un camps ou sur le bord d'une route à la suite d'une mauvaise rencontre ou le sauvetage de toute une famille à Aix ou à Dortmund. Toulmé hisse sa série au niveau des plus grands récits. Elle s'inscrit dans un environnement précis mais peut être lu comme l'universelle tragédie des déracinés de tous les siècles passés ou à venir. Une lecture passionnante tout en justesse et en sensibilité. Un must.
Traversées - La Route de l'aventure
Au moment où vous lisez ces lignes, des « migrants » sont peut-être en train de quitter le rivage libyen sur des canots pourris, d’autres dérivent au milieu de la Méditerranée dans des conditions critiques, avec probablement rien dans le ventre si ce n’est la peur… Leur objectif ? Rejoindre l’Europe dans l’espoir d’une vie meilleure, fuir avant tout la misère, la guerre ou les persécutions dans des pays en crise. Mais avant qu’ils ne puissent trouver une hypothétique terre d’asile, c’est encore un véritable parcours du combattant auquel ils seront confrontés. La plupart d’entre eux, venus d’Afrique subsaharienne, du Moyen-Orient voire du Bangladesh, convergeront vers la Lybie, un pays « accueillant » faisant office d’entonnoir, où les réseaux mafieux organisent des trafics d’êtres humains dans des conditions ignobles. Pour témoigner de tout cela, Lucas Vallerie a pris place durant près d’un mois à bord du désormais célèbre Geo Barents, le navire de sauvetage de Médecins sans frontières qui a fait à plusieurs reprises les gros titres de la presse. Un vrai travail journalistique auquel il a imprimé son regard d’auteur-dessinateur, en décrivant le quotidien des sauveteurs de façon saisissante. Loin d’être un documentaire convenu, « Traversées » parvient contre toute attente à captiver le lecteur de bout en bout. Vallerie ne se contente pas de décrire froidement ce qu’il a vécu, mais transforme son témoignage en aventure palpitante, en s’impliquant avec une sincérité très touchante et un réalisme qui nous absorbe littéralement. En côtoyant ces sauveteurs, qui font figure de héros des temps modernes (près de la moitié étant des femmes), l’auteur nous fait vivre des opérations parfois périlleuses qui nous font prendre conscience du désespoir de ces gens, un désespoir si profond qu’il les pousse à risquer leur vie pour traverser une Méditerranée souvent tumultueuse et imprévisible. A ce titre, on retiendra la scène terrible du naufrage page 63, qui provoquera la noyade de 30% des cent passagers d’un frêle esquif gonflable… Autre point fort du récit, Lucas Vallerie donne un visage à ces personnes vues souvent par les médias comme des cohortes anonymes, voire par certaines publications extrémistes comme des envahisseurs cautionnant la théorie si chère à certains politiciens démagogues : le fameux « grand remplacement ». Ce faisant, il décrit leur parcours semé d’embuches, le plus tragique étant celui de la camerounaise Jeannette et sa fille Ina L’auteur possède un trait simple et abouti, tout à fait sympathique, avec un sens du détail équilibré pour restituer la réalité de son séjour à bord du navire mais aussi pour aussi pour retranscrire les témoignages de plusieurs réfugiés. Les portraits qu’il nous donne à voir des sauveteurs ne sont rien de moins que des hommages mérités. Mais les autres qu’il a fait des personnes secourues, bien plus nombreux, provoquent une émotion irrépressible, sans pathos inutile. J’ai moi-même été bouleversé à plusieurs reprises, c’est dire à quel point ce récit comporte une puissance immersive. On ne trouvera rien qui puisse jouer en défaveur de ce très beau documentaire empreint d’humanité, auquel Lucas Vallerie a même su glisser une touche d’humour, qui contrebalance à bon escient l’âpreté du propos et ne diminue en rien sa force. Aux réfractaires qui argumenteront probablement que l’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, précisons que « Traversées » se situe à l’écart de tout discours politique. En effet, les équipes du Geo Barents n’ont pour seul rôle d’agir comme tout humain digne de ce nom se devrait de le faire : sauver des vies, point barre. S’opposer à cela ne reviendrait-il pas à promouvoir la non-assistance à personne en danger ?
Swan
Coup de coeur pour "Swan" de Nejib ! Si le tome 1 était déjà très bon, le tome 2 est encore plus prenant. On y trouve un véritable souffle romanesque ainsi que des rebondissements crédibles et bien amenés. Les personnages sont attachants, consistants, ils ont l'épaisseur de personnages de roman, ça bouillonne, c'est la vie qui défile sous nos yeux avec toute la galerie des artistes du XIXème siècle que Nejib croque sans fioriture mais avec un talent évident. J'ai également apprécié les dialogues ciselés qui font mouche et la présence de nombreuses oeuvres d'art jalonnant le récit (même si je ne les ai sans doute pas toutes repérées). Le tome 3 qui vient conclure cette superbe histoire est peut-être un peu plus attendu, mais l'ensemble est vraiment bien ficelé. Une belle série sur l'histoire de l'art que je relirai avec plaisir ! Nejib poursuit donc son chemin en traitant un de ses thèmes de prédilection : la mémoire, la construction d'un souvenir, déjà présent dans Stupor Mundi tout en affinant au passage sa technique. Le trait est parfaitement adapté, dynamique, expressif et fluide. Ce fut un grand plaisir de parcourir ce récit aux multiples enjeux et personnages et où tout est limpide. Nejib a vraiment un talent particulier pour raconter ses histoires. Pas d'effets de manche, de prétention, tout coule de source. C'est instructif sans être pédant (et ça donne envie de s'informer davantage), l'auteur mêle personnages fictifs et personnalités marquantes du XIXème siècle avec une facilité déconcertante, il rend hommage aux artistes (mais ne se prive pas pour autant de les croquer avec humour) tout en nous contant une histoire familiale qui a de la chair, bravo !
Sa Majesté des Mouches
Tout en connaissant le sujet du livre, j’ignorais beaucoup de son déroulement, n’ayant ni lu le roman original ni vu l’adaptation cinématographique. Cette bande dessinée m’a donc permis de combler ce vide. Et de bien belle manière ! Ce qui marque en premier, c’est le dessin d’Aimée de Jongh. Facile d’accès, bénéficiant de grandes cases et d’un découpage très aéré, ce trait est une vraie invitation à la lecture. Le découpage cinématographique et la fluidité d’ensemble ne font qu’accentuer cette facilité apparente. A la lecture, ça semble ‘évident’, facile… et pour moi c’est la preuve même que c’est très bien fait. L’histoire ensuite, pour qui ne la connaitrait pas, nous est très bien racontée. Elle est autant prenante que source de réflexion. Ces enfants laissés à eux-mêmes qui finissent par s’entre-tuer en l’absence de règles morales, voilà un sujet extrêmement violent. Et autant on se prend d’affection pour plusieurs protagonistes, autant l’évolution du récit nous semble horriblement crédible. D’un point de vue politique, Sa Majesté des Mouches mérite d’être analysé. Ce récit prône l’ordre et le respect des règles et montre les horribles dérives auxquelles peuvent mener l’anarchie et le pouvoir de la majorité. Adapter ce récit à l’époque actuelle me semble donc assez audacieux car sa conclusion va à l’encontre de ce que prônent beaucoup de bandes dessinées actuelles (ici, la liberté de choisir et de faire ce qui nous plait mène au chaos et à la violence, alors que le respect de règles et d’un code moral auraient dû permettre la survie de l’ensemble du groupe). En résumé, j’ai trouvé là une œuvre joliment adaptée (même si on sent à l’occasion des coupures çà et là), des personnages marquants et un sujet digne d’intérêt. Une lecture qui touche et questionne à la fois. Vraiment pas mal du tout !
Jours de sable
Il n'est pas évident pour nous d'imaginer ce que pouvait être la vie au début du XXème siècle. Il est encore moins possible d'imaginer que la population américaine pouvait être à ce point en difficulté dans l'entre 2 guerres. Et pourtant c'est bien dans ce cadre, historiquement vrai que ce déroule la fiction d'Aimée De Jongh. "Jours de sable" nous conte l'histoire d'un jeune photographe envoyé au cœur des Etats Unis qui sont touchés par des tempêtes de sables et des sécheresses à répétition. Complétement ignorant de ces choses, je ne peux que louer le travail d'enquête réalisé par l'auteure pour arriver à caler sa fiction dans un contexte réel. La petite documentation en fin d'ouvrage me laisse à penser qu'elle y est arrivée de manière optimale. Le dessin est très plaisant à regarder et j'ai trouvé le choix des couleurs parfaitement adapté. Il n'y a aucune fausse note à ce niveau là. Pour ma part je serai un peu plus indulgent que Gruizzli sur le personnage de John. Son histoire combinée à sa mission et tout ce qu'il en a appris ne m'ont pas choqué. Comme si le Dust Bowl avait balayé ses illusions et enterré ses démons pour lui faire prendre conscience du réel sens de la vie. Sur moi ce point a parfaitement fonctionné. Ce qui a moins fonctionné c'est la fin dont j'ai trouvé l'arrivée très brutale, comme si il avait fallu conclure très rapidement car on manquait de pages. J'aurai préféré un développement un peu plus long de cette partie de l'histoire. "Jours de sable" est un belle BD à offrir et à l'aube d'un changement climatique majeur un bon rappel que nous ne sommes que des grains de poussières face aux forces de la nature. Il conviendrait donc de la respecter un peu plus si nous espérons continuer à pouvoir vivre.
Les Pauvres aventures de Jérémie
Il s’agit d’une des premières séries du célèbre Riad Sattouf, cela se ressent dans le dessin qui a un style plus simple et cartoon que sa célèbre série L'Arabe du futur, mais également dans l’atmosphère qui s'en dégage et qui se trouve être très début année 2000. C’est l’histoire de Jérémie, un anti-héros comme Sattouf aime les créer qui est un peu loser et malchanceux dans la vie ainsi qu’avec les filles. Ses histoires s’entremêlent avec celles de ces amis Jean-Jacques et Sandrine qui sont des personnages tout autant comiques; certains passages sont vraiment hilarants. Ça faisait longtemps que je n’avais pas sincèrement ri à voix haute en face d’une BD, c’est le travail le plus drôle de Sattouf. Les trois albums peuvent se lire séparément et j’ai ma préférence pour le premier album Les Jolis pieds de Florence qui vaut vraiment le détour. Lire cette série rend heureux !
L'Orfèvre (Lozes)
Le temps détruit tout. Pour une fois l'expression n'est pas galvaudée et disons le de suite : l'Orfèvre va vous retourner la tête au sens propre comme au figuré puisqu'on y raconte deux histoires se rejoignant quelque soit le choix initial du lecteur pour entamer sa lecture. Partant d'un concept assez fou, ce travail sur 10 ans réalisé entièrement par un artiste inconnu dont c'est la première œuvre risque de marquer durablement votre rétine aussi bien sur le fond que la forme. Sur le fond : il s'agit d'une enquête policière se déroulant dans une ville de Paris au XXième siècle sans plus de précisions au bord de tensions entre le peuple et les autorités. C'est dans ce contexte tendu que l'inspecteur Cisife va rechercher la vérité autour du meurtre sordide d'une femme inconnue dans une sombre ruelle écartée. Privilégiant la manière forte, les divers indices vont l'emmener un peu plus loin vers des personnages peu recommandables... En parallèle, un autre flic va mettre sa vie en danger à l'autre bout de la ville pour sauver une autre femme traquée pour des souvenirs dont elle n'a plus connaissance.... Sur la forme : les deux histoires se rejoignent puisque les histoires se répondent par un jeu de miroirs : il faut en effet lire le livre uniquement sur les pages supérieures jusqu'à la fin de l'ouvrage puis le retourner et recommencer le même principe. Ce qui semble être un gadget narratif se révèle bien plus malin que cela et je n'ai eu de cesse d'aller au bout de l'aventure en écarquillant les yeux constamment, amusé par le procédé et entrainé par le rythme effréné de cette histoire policière à tiroirs. Aurélien Lozes utilise un dessin écrit au bic noir dans un trait très précis et utilise des animaux anthropomorphes pour illustrer sa galerie de personnages ambigus de la même façon que Blacksad. C'est à la fois malin, audacieux et bourré de références cachées dont il ne convient pas ici de dévoiler pour laisser place à la surprise. Le récit est assez violent et entrecoupé de scènes d'action réussies. Ce polar noir à la mise en scène audacieuse flirte fréquemment avec la raison mais également l'intelligence de son lecteur. Il serait cruel d'en dévoiler davantage tout comme le fin mot de l'histoire s'il existe puisqu'on dénombre au minimum deux façons de lire cet ouvrage à moins qu'il s'agisse d'une boucle à l'infini ? Il y subsiste tellement de non dits et de mystères que l'envie de vite y retourner et s'y perdre littéralement me fait furieusement envie.
La Couleur des choses
Voilà un album qui est resté trainer assez longtemps dans ma pile à lire. Je l’ai acheté par pure curiosité. Je suis rarement un grand fan des prix d’Angoulême, mais là l’audace créative faisait que je devais me faire mon propre avis. Et j’ai pris beaucoup de plaisir dans ma lecture. Je trouve que Martin Panchaud réussit le pari audacieux de transformer des cercles colorés et une vue aérienne en une véritable expérience narrative. Difficile de croire qu’un tel minimalisme graphique puisse captiver, mais dès les premières pages, la magie opère. En tous cas, ça a très bien marché pour moi. On pourrait penser que ce style, à la limite de l’abstraction, nuirait à l’immersion. Pourtant, il n’en est rien, cette représentation géométrique parvient étrangement à transmettre une profonde humanité. Le récit suit Simon, un adolescent malmené par la vie, qui voit sa chance tourner après avoir gagné une grosse somme d’argent. Ce scénario, qui pourrait sembler convenu à première vue, prend une autre dimension sous la plume de Panchaud. Chaque rebondissement est minutieusement orchestré, avec une narration fluide et des surprises bien dosées. On se retrouve plongé dans une sorte de polar social, teinté d’humour noir, où la naïveté et la cruauté s’entremêlent avec brio. Ce qui pourrait n’être qu’un simple road movie se transforme en une aventure humaine, où chaque péripétie est une nouvelle épreuve pour ce jeune héros attachant. (oui je me suis attaché à un cercle !) Là où Panchaud excelle, c’est dans l’alliance entre cette narration atypique et un scénario solide. Le graphisme, bien que déconcertant au premier abord, finit par devenir invisible, tant il sert le récit. On oublie que l’on suit des cercles colorés et on s’immerge totalement dans cette histoire qui mêle drame, suspense et critique sociale. Le style minimaliste pourrait en rebuter certains, mais il faut admettre que c’est précisément cette originalité qui donne toute sa force à l’ouvrage. En définitive, “La Couleur des choses” n’est pas simplement une expérience graphique ; c’est une BD qui réussit à allier forme et fond de manière exemplaire. Panchaud nous prouve que l’art de la bande dessinée est loin d’être figé, et que même les choix les plus risqués peuvent aboutir à des œuvres marquantes. À la fois ludique et profond, ce livre est une véritable pépite, un OVNI dans le paysage du neuvième art, qui mérite largement les éloges qu’il a reçus. Un pari graphique audacieux, mais totalement réussi.
Le Juif arabe
C'est ma première incursion en territoire Hanuka. Et c'est bien évidemment le titre (c'est d'actualité) qui m'a attiré vers le Juif Arabe. C'est très bon. A commencer par ce graphisme minimaliste mais qui tire l'essentiel, que ce soit des expressions ou des paysages. Ça m'a énormément rappelé Ronson de César Sebastian, l'une de mes dernières lectures et gros coup de cœur. C'est tout à fait le genre de dessin que j'affectionne. Question couleurs, j'aime aussi beaucoup le choix de ces aplats de couleurs qui apportent un côté très dynamique. Enfin, Asaf Hanuka procède à une petite inversion des conventions qui, mine de rien, apporte un gros surplus de sens. En effet, les scènes censées se dérouler dans le présent sont en noir et blanc, contenant parfois une discrète touche de couleur qui fait, là encore, toujours sens (par exemple le bleu de la mer qui étincelle comme une lueur d'espoir, ou le rouge qui détoure le visage lors d'une scène tragique), alors que les flashbacks et les souvenirs racontés par le père de l'auteur (ou l'un de ses amis) sont en couleurs. Personnellement, j'y décèle une résonance forte avec la situation actuelle, terrible et embourbée (d'où les scènes actuelles en noir et blanc donc), bien que cette BD ait été réalisée bien avant les attentats du Hamas contre Israël et le massacre des palestiniens de Gaza par l'état hébreux (presque 40000 morts à ce jour). Toujours selon cette idée, les souvenirs, du point de vue de l'auteur, demeurent vivants et apportent toute la nuance que mérite la situation présente (d'où les scènes passées en couleurs). Je ne veux rien dévoiler de l'histoire, sinon qu'elle est assez folledingue, et surtout très touchante, à commencer par le fait qu'elle soit vraie. En effet, l'auteur enquête sur son histoire familiale, occasion pour lui comme pour le lecteur, de plonger au cœur des relations intimes qui unissaient (autrefois) juifs et arabes. Mais elle est aussi bouleversante parce qu'elle résonne bien entendu on-ne-peut-plus fortement avec l'actualité. Ainsi, au fil des pages, on parvient à entrevoir toute la complexité de l'Histoire, et tout particulièrement celle de la famille de l'auteur, la petite histoire. Par ce biais, Hanuka apporte de la nuance ! Nuance salutaire, toujours, contre les prises de position radicales qui semblent désormais être devenue la norme dans notre monde numérisé, sommant les individus de prendre immédiatement position et de tenir cette position coute que coute, quitte à envenimer les choses. Non, "les choses" ne sont jamais noires ou blanches. C'est une idée à laquelle je crois dur comme fer. Il existe derrière toute situation une palette de couleurs subtiles, palette que l'auteur orchestre donc parfaitement. Outre le fait que l'actualité vient percuter cette BD de plein fouet, il y a dans ces souvenirs une urgence que vient souligner un dénouement peu commun. Sans en dire plus, la tension monte progressivement à mesure que l'histoire avance. Le tissage scénaristique où s'entrecroisent passés et présents (je mets ces mots volontairement au pluriel) débouche sur une enquête en définitive presque policière, et quand le dénouement éclate, le lecteur en a partout sur lui et gros dans la tête, assez nourrir une réflexion sur le sujet. Une histoire magnifique au point qu'elle en devient presque une parabole, mais aussi un ouvrage salutaire et tout à fait bienvenu. Gros coup de cœur !