Oh le bel ouvrage tout en délicatesse que voilà. Enfin "délicatesse", il faut le dire vite car cette histoire va faire preuve d'une violence assez inouïe mais je n'en dirai pas plus...
J'entends par "délicatesse", la façon dont est racontée l'histoire tout en subtilité et surtout la beauté du trait d'Olivier Grenson ainsi que sa manière de représenter ses personnages. J'aime m'attarder sur leurs gestes, leurs regards expressifs, touchants parfois terrifiants suivant les circonstances et leurs postures justes qui communiquent beaucoup de choses en ce qui me concerne. Je ressens cela aussi avec le style de Servais, c'est ainsi, question de sensibilité personnelle sans doute.
Grenson avait déjà fleurté avec le drame psychologique dans La Femme accident parue au éditions Dupuis en 2008 et il récidive ici en compagnie de son épouse Sylvie Roge dont c'est la première bande dessinée. Pour une première, c'est assez réussi, la lecture se fait sans accroc, la mise en scène est soignée, claire et la tension dramatique monte de plusieurs crans au fil de la lecture. Celle-ci est fort attractive, on apprend à connaître doucement les divers protagonistes, on se prend d'affection pour eux, particulièrement ces deux soeurs jumelles qui paraissent si réelles et on se dit que cette histoire a déjà dû exister de par le monde. Il suffit de voir les faits divers dramatiques du quotidien.
Par ailleurs, les thèmes abordés sont vastes et finement élaborés, il est question de l'enfance, de l'amour fraternel, du rejet parental avec toutes les frustrations qui en découlent... les choses de la vie en somme.
Ce n'est pas un énième récit larmoyant, cela va plus loin et les auteurs évitent la caricature qu'on peut parfois rencontrer dans le style "drame social".
Coup de cœur pour moi car la fin possède une belle force émotionnelle.
J'ai rarement été aussi pris par une bd.
J'ai lu l'intégrale sans m'arrêter.
Ce qui fait véritablement la force de ce récit, outre le fait que ce soit une histoire vraie, c'est la dualité entre l'époque "actuelle" et les récits de la guerre et des camps. C'est cela qui nous fait entrer dans la réalité de la chose et non comme une vague histoire racontée. Les personnages paraissent réels car ils le sont et cela donne un impact rarement atteint dans une bd.
De plus, les personnages sont dépeints avec leurs défauts et leurs qualités. Rien ne semble avoir été ommis et l'auteur s'écorche lui-même en se montrant s'énervant ou déprimé. Ca ne fait que renforcer cette sensation de "retranscription" plutôt que de récit qui donne sa force à l'oeuvre.
Je ne mets pas de coup de coeur, car je ne peux décemment pas avoir de coup de coeur pour une histoire à propos du massacre de millions d'innocents.
Mais cette oeuvre est définitivement culte et mérite assurément d'être lue par tout un chacun.
Et elle devrait, selon moi, également trouver sa place dans l'éducation, aux côtés du Journal d'Anne Frank (l'original, pas la BD de Soleil...).
Comme l'a dit le posteur précédent, Delcourt publie un roman graphique qui sera sans nul doute un des albums de l'année. Ce livre évoque le destin tragique de Michel Magne musicien prolifique des années 60-70, souvent novateur dans son travail et parfois génie incompris.
Je dois bien dire que je connaissais mal Michel Magne ; de lui, je connaissais surtout ses compositions des musiques de films pour Jean Yanne, ou encore celle des tontons flingueurs. Cela n'est qu'une infime partie de son œuvre car il a fait d'innombrables choses dans des domaines assez variés (il suffit de voir à la fin du livre le nombre de ses œuvres et de ses collaborations).
Les auteurs Yann Le Quellec au scénario et Romain Ronzeau au dessin s'intéressent surtout à l'histoire du château d'Hérouville qui servit de salle d'enregistrement à des groupes aussi mythiques que Canned Heat, Magma, T Rex ou encore à des chanteurs solo comme David Bowie ou Eddy Mitchell. Le château, acheté par Michel Magne en 1962, d'abord destiné à des événements festifs devient réellement un grand studio d'enregistrement en 1969 après l'incendie qu'il a connu.
Les auteurs montrent toute la démesure de Michel Magne qui dépense sans compter achetant les meilleures bouteilles pour ses convives et qui se retrouve vite en difficulté financière ainsi que sa relation tumultueuse avec sa compagne Marie-Claude beaucoup plus jeune que lui.
L'album est comme constitué de chapitres entrecoupés par des entractes biographiques évoquant la vie et la carrière de Magne avant 1969 où alternent des pages illustrées quasi en roman-photo et des illustrations de l'auteur. Cela a parfois tendance à alourdir la narration. Le trait de Ronzeau est assez intéressant et traduit bien le côté bouillonnant de la vie qui se déroule au Château (qui fut -Magne ne cessant de le rappeler-un endroit que fréquentèrent Chopin et Sand).
Le château est donc un élément essentiel de l'histoire ; l'on y croise un certain nombre de groupes et de pop-stars de l'époque. Il faut quand même avoir une bonne connaissance de ces années et cela fera quand même plus d'effets à un nostalgique des années 70. Le concert des Grateful Dead au château est un morceau d'anthologie, avec -histoire vraie- des policiers chargés de la sécurité sous LSD.
La relation de couple entre Michel Magne et Marie-Claude sert aussi de fil narratif. Les auteurs ont d'ailleurs eu les confidences de Marie-Claude, comme nous pouvons le voir à la fin de l'ouvrage. Elle montre le côté sombre de Michel Magne car comme souvent les histoires d'amour finissent mal.
On apprend donc beaucoup sur cette époque et sur ce compositeur un peu oublié et cela vaut clairement l'achat pour des passionnés d'une période beaucoup plus insouciante que celle d'aujourd'hui.
Très bonne BD : à recommander.
J'avais lu le roman Pereira prétend , et c'est à peu prêt la seule connaissance que j'avais de la période Salazar au Portugal. Je vis par ailleurs dans un petit village où quelques immigrés portugais, anciens ouvriers de la carrière, prennent parfois le soleil sur un banc.
Ces deux approches me donnaient un point de vue tragique et mystérieux sur le Portugal de cette époque, et pas forcément adapté à la lecture insouciante d'un beau dimanche de printemps.
Pourtant "Sur un air de fado" réussit à marier un coté documentaire historique avec une vraie histoire touchante. Le caractère du héros, le docteur Pais, désinvolte et ironique, rappelle Nestor Burma par ses tendances volages et sa manière aujourd'hui un peu surannée d'allumer une cigarette pour se donner une contenance. (Je vois que Barral a d'ailleurs adapté des Burma "dans l'esprit de Tardi") L'ironie se mélange à la gravité des situations qui le poussent au delà de ses fragiles convictions. La beauté des visages et des paysages, l'espièglerie des mioches, le sordide de la police lazariste, la naïveté des militants démocrates, une fratrie dissymétrique, un ami écrivain et homosexuel...
Tous ces ingrédients concourent à la description nuancée, sans pathos, mais avec humanité de la vie sous une dictature arbitraire. Le personnage principal est très bien campé et toute la constellation des liens qu'il entretient avec les autres personnages est abordée par petites touches, avec au besoin, quelques flash-back. Les amours du docteur et ses engagements se créent un chemin entre la pression policière, sa famillle et ses amis. Les dialogues sont très justes. Contrairement à Pereira prétend, nous ne sommes pas dans la tête du héros, nous voyons ses actes, nous entendons sa voix, et le reste : à nous de l'imaginer.
Et par dessus tout le dessin et la couleur sont extrêmement séduisants. La lumière du sud nous laisse imaginer le vent du large. Le trait parfois très gras autour des personnages devient très fin dans les paysages, les rues, les trottoirs pavés, les azuléjos, les dégagements vers l'océan.
Bref, c'est un souffle d'humanité et de dépaysement.
C’est en souvenir du « Voyage des Pères » premier cycle que j’ai acheté le « L’Exode selon Yona ». En effet, j’y avais bien aimé le style de David Ratte, l’humour employé et les personnages.
Au fait, « L’Exode selon Yona » est le prequel du « Voyage des Pères », ça se passe 1500 ans avant JC… justement en plein pendant la période égyptienne et les fameuses « aventures » de Moïse. Bon, sachez cependant que l’histoire est centrée sur Yona, un riche égyptien râleur qui veut épouser une juive afin d’avoir (enfin) des héritiers… et il tombe sur Libi, une (très) jeune et belle femme qui n’a pas sa langue dans la poche…
Ce prequel m’est apparu également très humoristique grâce à l’emploi par l’auteur de conversations -que je dirais- très « actuelles ». Et c’est ce gros contraste entre dialogues modernes et la période où se passe cette histoire qui -à mon avis- fait son intérêt principal. A la rigueur, on se passerait bien volontiers des péripéties du peuple juif et de son « sauveur » sauf que ces situations ubuesques nous apportent des moments de franche rigolade (et aussi de tristesse) autour de nos deux protagonistes, du pharaon, de Moïse et toute une flopée de personnages secondaires riches en couleurs.
Le graphisme de David Ratte est -à mon avis- parfaitement en adéquation avec son récit. On y a droit à un style à la fois tout en rondeur et en caricature, cela permet de proposer un dessin très agréable à contempler et très expressif. La mise en couleurs de Myriam Lavialle est dans la même lignée que celle du « Voyage des Pères » : les tons employés y sont très plaisants même s’ils sont moins pastels que sur la première série.
Mais ce que j’apprécie le plus dans « L’Exode selon Yona », c’est que j’y trouve mon compte d’émotions : bien entendu, le ton y est résolument humoristique ; cependant, certaines scènes sont vraiment touchantes… c’est ce que j’aime découvrir dans une bande dessinée : pouvoir me procurer des sentiments qui oscillent entre le rire et la tristesse, c’est ce que je retiens de ma lecture de « l’Exode selon Yona ».
Bien sûr, je vois que des lecteurs me diront que c’est un récit qui s’inspire d’un mythe religieux, ce qui fera hérisser les athées, les autres adeptes de religions plus ou moins éloignées du judaïsme, etc… mais si vous laissez de côté ces considérations religieuses et votre premier degré de "sériosité", il y a de fortes chances que vous passerez un bon moment de lecture en compagnie de ces personnages loufoques et de leurs conversations décalées par rapport au contexte historique de cette époque.
Une BD que j'ai lue plusieurs fois, et surtout que j'ouvre parfois à n'importe quelle page pour m'étonner, rire, réfléchir.
J'ai toujours aimé le style de Mathieu Sapin, c'est son style petit bonhomme, on aime ou pas, c'est le même dans ses derniers volumes. Il sait en tous cas comme personne rapporter les détails insignifiants et pourtant tellement instructifs qu'il perçoit avec une grande sagacité. Clairement, avec Gérard il y avait de la matière à exploiter, tandis que dans "le Château", son passage à l'Elysée était très creux. Par contre, les deux BD se répondent puisque Gérard et François se croisent, ce qui est très fun.
Gérard Depardieu, je ne suis pas dans son fan club, le personnage lui-même m'avait toujours rebuté (je ne l'apprécie que dans ses rôles comiques). Je dois dire que cette BD m'a permis de comprendre l'engin, c'est stupéfiant ce mélange de raffinement et de grossièreté, sa richesse intérieure, sa souffrance. Loin de tout voyeurisme stupide ou de toute starification, cette BD qui aurait pu s'appeler "dans la peau de Gérard Depardieu", nous fait voir autrement cet être, et tous les êtres humains. On en vient à comprendre toutes les contradictions de Gérard, ses phrases tranchées : on n'en tombe pas d'accord, mais on en comprend l'origine et on la respecte. Imaginez la vie d'un Pascal Brutal qui ne serait pas macho et qui serait tout en sensibilité, (et en puissance 10), et vous avez la vie de Gérard.
Pour moi, j'y vois quantité de citations pénétrantes, philosophiques qui font échos avec d'autres lectures, il y a un second sens derrière chaque incongruité. Si vous lisez attentivement, vous apprendrez des détails très importants sur comment survivre dans ces conditions émotionnelles extrêmes, sur la relation aux autres, sur le plaisir.
Le plus étonnant, c'est que je n'ai jamais autant prêté une BD à autant de monde, peut-être douze à quinze personnes, là où mon meilleur score devait être de trois prêts. Tout le monde voulait lire Gérard ! La plupart ont bien aimé et une minorité a détesté.
Une claque pour le récit, une deuxième pour le dessin. Quelle poignante surprise, quel voyage. Avec Riff Reb's, vogue la galère! Il faut que je lise à tout prix les autres créations/adaptations de cet auteur.
Il y a des BD où on comprend tout, où on saisit ce que veut transmettre l'auteur. Du moins on trouve un sens qui nous est propre. Et cette BD, ça m'parle. Tous ces individus qui naissent dans la misère ou qui tombent dedans si violemment qu'ils ne réussiront jamais à remonter la pente. Tous ceux-là, qui ne trouveront jamais leur place dans la société, elle qui les laisse se perdre en mer, dans la brume de leurs pipes et la cécité de leur ivresse. A cette époque, ceux-là pouvaient devenir de viles canailles, dont seul le code des pirates pouvait encore leur permettre de garder une espèce ce dignité. La piraterie, c'est le dernier voyage avant le trépas. Si tu t'éloignes trop longtemps de la mer, la vie ne vaut pas un sou. Et si tu n'es plus pirate, tu n'existes plus.
Ils sont cruels oui, mais ils sont aussi humains. Cette mort, ils la rejettent tous aussi longtemps qu'ils leur restent un souffle de vie et un espoir pour retourner à bord de leur navire. On ne trouve plus de beauté chez ces hommes. Elle existe, mais elle est enfouie. Pourtant parfois, elle veut se présenter lorsqu'on l'appelle : un discours de 5 ou 6 lignes sur une mer étoilée (sublime), ce chant si mélodieux qu'il peut briser le plus fort cœur de pirate, ou encore le portrait d'un doux et innocent visage qui leur est tombé entre les mains... Mais non, leur secrète beauté restera bien cachée, ils n'y croient pas et préfèrent se débarrasser de tout ça, soi-disant sans état d'âme. Ils choisissent d'aller jusqu'au bout de leur aventure de misère qui n'indique pas le nord, et courir après leur dernier rêve qui se résumera être en réalité une course à la survie à chaque quinzaine, si ce n'est moins.
Le dessin est tellement profond avec ces ombres et ces courbes, ces marins à la trogne pas possible, cette mer qui nous emporte avec eux... Et puis l'écriture, ahhh mais cette écriture ! Je ne sais pas si beaucoup des textes sont tirés du roman. Si oui, c'est la sélection la plus intelligente au monde, si non alors l'auteur possède un talent d'une richesse sans nom.
Culte pour moi, et qu'on vienne pas me l'enlever ! C'est mon trésor ! :)
La claque !
Non vraiment la claque !
Graphiquement, j'ai adoré.
Ça fait plaisir d'avoir le coloriste apparaissant au même titre que le dessinateur-scénariste sur la couverture. C'est justice. Il y a un travail du coloriste remarquable.
Alors certes, rapidement, on voit où nous emmène le scénario. Je me suis dit que c'était un énième lessivage des thèmes liés à l'univers de Batman. Et pourtant, comme graphiquement j'étais tellement dedans, je me suis aussi laissé embarquer par l'histoire qui, dans le fond, propose du super neuf avec du super vieux et c'est terriblement efficace.
La reprise graphique des méchants, des batmobiles et de l'ensemble de l'univers est géniale.
Je lis assez peu de comics, par méconnaissance principalement. S'il y a un tome 2, j'irai l'acheter sans sourciller.
Mille fois recommandé.
Voici une bande dessinée chinoise, dessinée et écrite par Tang Xiao diplômé de la Beijing Film Academy en 2011 et qui a sorti son premier livre Summer Vacation en 2014 à Hong Kong avant de remporter le Golden Award de la 12e Japan International Manga Award en 2019.
Dans une petite ville de la Chine des années 90, le jeune Yang Hao partage son temps entre l'école où il adore rédiger des rédactions, ses amis avec qui il joue aux jeux vidéos et sa famille, surtout composée de sa mère puisque son père est le grand absent. Mais cela change le jour où il se fait remarquer pour un de ses textes, qu'il se fait menacer par un autre écolier et que son père rentre. Tout alors se met en branle pour lui prouver que la vie n'est pas immuable mais au contraire qu'elle est très changeante.
C'est donc un récit "tranche de vie" assez bien mené. On suit la vie d'un petit écolier de ans, Yang Hao. Le récit est simple, réaliste. Aucun artifice ou grand rebondissement, juste des petits moments de vie. Et malgré cela, on est captivé par le récit.
En effet, le petit Yang Hao est adorable, très attachant. Il vit dans une famille qui d'un premier abord est assez banale, mais qui au final sera l'un des éléments majeurs de l'histoire. Son père est souvent absent parce qu'il doit partir loin pour pouvoir trouver du travail. Sa mère est femme au foyer et s'occupe donc de lui avec sa propre mère. Tout se passe bien sauf que quand son père revient, celui-ci est inéluctablement attiré par l'univers des parties de mah-jong de ses amis et ne peut s'empêcher d'y passer ses soirées. Cela crée des tensions dans le couple, ce que ressent et entend très bien le petit garçon. C'est déchirant de le voir assister à tout ça et on en vient vite à détester ce père qui ne saisit pas bien son rôle aussi bien de parent que d'époux. On a de la peine pour sa femme et son fils, qui va devoir apprendre à vivre dans cette famille loin du modèle parfait qu'il aimerait avoir.
Le récit est extrêmement riche. Il aborde aussi bien la vie d'un écolier chinois, son rapport aux jeux (vidéos et autres), ses relations avec ses aînés, la composition de la famille traditionnelle chinoise avec la place des anciens, les ravages de l'absence de travail à la campagne, les tensions dans les couples qui se répercutent sur les enfants, les répercussions d'un divorce, etc.
La culture chinoise est également un élément majeur ici. On parle de la vie à la campagne. On nous dépeint les transports rudimentaires à vélo, la place des aînés, les hommes qui doivent aller travailler au loin. On évoque aussi ces jeux traditionnels que sont le mah-jong et le xiangqi. Le décor est vraiment superbement retranscrit et cela rend le récit d'autant plus immersif.
Le dessin est également superbe. Il est rempli de poésie, de mélancolie. J'ai souvent eu le cœur au bord des lèvres en lisant ce texte.
Un excellent récit de vie, puissant, poétique et mélancolique.
4 étoiles
MAUPERTUIS, OSE ET RIT !
Je crois n'avoir jamais mis de 5 étoiles à une Bd récente, mais voila c'est fait, je n'ai pu résister à cet album qui m'a en plus replongé dans des souvenirs de jeunesse exaltants ; j'ai en effet vu très jeune, alors que j'étais ado ou pré-ado le film de Shoedsack et Pichel au ciné-club de la 2 que présentait Claude-Jean Philippe à la fin d'Apostrophes chez Pivot, c'est vous dire si ça remonte. Mais le souvenir est tellement vivace, ce film m'a tellement marqué, c'est un chef-d'oeuvre du cinéma fantastique, et je me souviens que dans la semaine qui suivit je voyais aussi le Frankenstein de James Whale et le King Kong de 1933 car le ciné-club consacrait un cycle au ciné fantastique des années 30. D'un coup, je faisais mon éducation ciné avec 3 énormes classiques.
Les Chasses du comte Zaroff (the Most dangerous game) a été tourné en 1932 par la même équipe que King Kong ; on y retrouvait Shoedsack à la réalisation avec Merian C. Cooper, puis la même actrice Fay Wray, et la musique était signée aussi par le légendaire Max Steiner ; les décors utilisaient le même plateau, avec des décors de jungle issus de Skull Island, les scènes de King Kong étaient tournées le jour par Cooper, et la nuit Shoedsack prenait le relais et tournait celles du Comte Zaroff qui visiblement était une petite production de la RKO devant servir de test au prestigieux projet mené par Shoedsack et Cooper : King Kong. Mais ce soi-disant petit film possédait d'indéniables qualités artistiques et techniques où la traque, la forteresse vaguement gothique, les marécages brumeux, la forêt dense constituaient une atmosphère hostile et angoissante, et qui faisait de Zaroff un aristocrate raffiné et cruel tout à fait fascinant. D'où le fait que ce film a fait date et qu'il a inspiré plusieurs remakes ; j'en citerai 2 qui présentent des qualités intéressantes : la Chasse sanglante en 1974 qui revisitait le mythe de façon plus bestiale et beaucoup plus violente, et la même année, la Comtesse perverse, un film espagnol de Jess Franco, le maître de l'érotisme et de l'horrifique bis, où sa comtesse chassait nue des vierges sur son île, un film qui je me souviens, avait émoustillé ma libido de très jeune adulte au début des années 80. On peut y ajouter Chasse à l'homme, remake moderne et premier film américain de John Woo qui lançait le cogneur belge Jean-Claude Van Damme chassé par d'horribles riches oisifs en Louisiane.
Après ce cours d'histoire cinématographique, parlons de la Bd de Runberg et Miville-Deschênes, un album qui m'a entièrement ravi et où j'ai retrouvé plein de sensations. En fait, c'est une extrapolation d'un film mythique, lui-même adapté fidèlement d'une nouvelle, puisque Runberg imagine ce qui se passe après le film, c'est donc un prolongement librement interprété ; les auteurs résument le film dans les premières pages en une sorte de noir & blanc, qui permettent de comprendre la chronologie des événements précédents. Ce qui fait la force de ce scénario, c'est bien évidemment le dessin de Miville-Deschênes que j'avais déjà tellement admiré sur Reconquêtes, précedente Bd d'antic-fantasy du duo Runberg-MD. Ce dessin est toujours aussi somptueux et saisissant, MD crée un background hyper consistant qui donne une force incroyable à ce récit, à tel point que ça en devient presque immersif. Le décor de cette île maléfique constitué d'une jungle luxuriante, d'affrontements, et d'animaux sauvages (déjà MD se régalait avec ses bêtes monstrueuses dans Reconquêtes), tout ceci forme un univers extraordinaire et fantasmé. Certaines images renvoient à l'imaginaire des romans d'aventure du XIXème siècle, c'est proprement fabuleux.
Au final, ce récit qui revisite le film avec 2 groupes de chasseurs qui se chassent mutuellement, et tout aussi psychopathes l'un que l'autre, est non seulement haletant, mais surtout parfaitement construit et bien conduit, quelle idée formidable de réinventer cette trame et de n'avoir pas cherché simplement à faire une banale adaptation du film, l'ambiance est parfaitement recréée, ça sera sans doute moins probant pour ceux qui n'ont pas vu le film évidemment, je pense qu'ils perdent beaucoup, mais je peux vous assurer que pour un gars comme moi qui a baigné dans cette atmosphère très jeune qui plus est, je suis tombé à la renverse devant tant d'excellence. Un album sensationnel à lire absolument !
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La Fée Assassine
Oh le bel ouvrage tout en délicatesse que voilà. Enfin "délicatesse", il faut le dire vite car cette histoire va faire preuve d'une violence assez inouïe mais je n'en dirai pas plus... J'entends par "délicatesse", la façon dont est racontée l'histoire tout en subtilité et surtout la beauté du trait d'Olivier Grenson ainsi que sa manière de représenter ses personnages. J'aime m'attarder sur leurs gestes, leurs regards expressifs, touchants parfois terrifiants suivant les circonstances et leurs postures justes qui communiquent beaucoup de choses en ce qui me concerne. Je ressens cela aussi avec le style de Servais, c'est ainsi, question de sensibilité personnelle sans doute. Grenson avait déjà fleurté avec le drame psychologique dans La Femme accident parue au éditions Dupuis en 2008 et il récidive ici en compagnie de son épouse Sylvie Roge dont c'est la première bande dessinée. Pour une première, c'est assez réussi, la lecture se fait sans accroc, la mise en scène est soignée, claire et la tension dramatique monte de plusieurs crans au fil de la lecture. Celle-ci est fort attractive, on apprend à connaître doucement les divers protagonistes, on se prend d'affection pour eux, particulièrement ces deux soeurs jumelles qui paraissent si réelles et on se dit que cette histoire a déjà dû exister de par le monde. Il suffit de voir les faits divers dramatiques du quotidien. Par ailleurs, les thèmes abordés sont vastes et finement élaborés, il est question de l'enfance, de l'amour fraternel, du rejet parental avec toutes les frustrations qui en découlent... les choses de la vie en somme. Ce n'est pas un énième récit larmoyant, cela va plus loin et les auteurs évitent la caricature qu'on peut parfois rencontrer dans le style "drame social". Coup de cœur pour moi car la fin possède une belle force émotionnelle.
Maus
J'ai rarement été aussi pris par une bd. J'ai lu l'intégrale sans m'arrêter. Ce qui fait véritablement la force de ce récit, outre le fait que ce soit une histoire vraie, c'est la dualité entre l'époque "actuelle" et les récits de la guerre et des camps. C'est cela qui nous fait entrer dans la réalité de la chose et non comme une vague histoire racontée. Les personnages paraissent réels car ils le sont et cela donne un impact rarement atteint dans une bd. De plus, les personnages sont dépeints avec leurs défauts et leurs qualités. Rien ne semble avoir été ommis et l'auteur s'écorche lui-même en se montrant s'énervant ou déprimé. Ca ne fait que renforcer cette sensation de "retranscription" plutôt que de récit qui donne sa force à l'oeuvre. Je ne mets pas de coup de coeur, car je ne peux décemment pas avoir de coup de coeur pour une histoire à propos du massacre de millions d'innocents. Mais cette oeuvre est définitivement culte et mérite assurément d'être lue par tout un chacun. Et elle devrait, selon moi, également trouver sa place dans l'éducation, aux côtés du Journal d'Anne Frank (l'original, pas la BD de Soleil...).
Les Amants d'Hérouville - Une histoire vraie
Comme l'a dit le posteur précédent, Delcourt publie un roman graphique qui sera sans nul doute un des albums de l'année. Ce livre évoque le destin tragique de Michel Magne musicien prolifique des années 60-70, souvent novateur dans son travail et parfois génie incompris. Je dois bien dire que je connaissais mal Michel Magne ; de lui, je connaissais surtout ses compositions des musiques de films pour Jean Yanne, ou encore celle des tontons flingueurs. Cela n'est qu'une infime partie de son œuvre car il a fait d'innombrables choses dans des domaines assez variés (il suffit de voir à la fin du livre le nombre de ses œuvres et de ses collaborations). Les auteurs Yann Le Quellec au scénario et Romain Ronzeau au dessin s'intéressent surtout à l'histoire du château d'Hérouville qui servit de salle d'enregistrement à des groupes aussi mythiques que Canned Heat, Magma, T Rex ou encore à des chanteurs solo comme David Bowie ou Eddy Mitchell. Le château, acheté par Michel Magne en 1962, d'abord destiné à des événements festifs devient réellement un grand studio d'enregistrement en 1969 après l'incendie qu'il a connu. Les auteurs montrent toute la démesure de Michel Magne qui dépense sans compter achetant les meilleures bouteilles pour ses convives et qui se retrouve vite en difficulté financière ainsi que sa relation tumultueuse avec sa compagne Marie-Claude beaucoup plus jeune que lui. L'album est comme constitué de chapitres entrecoupés par des entractes biographiques évoquant la vie et la carrière de Magne avant 1969 où alternent des pages illustrées quasi en roman-photo et des illustrations de l'auteur. Cela a parfois tendance à alourdir la narration. Le trait de Ronzeau est assez intéressant et traduit bien le côté bouillonnant de la vie qui se déroule au Château (qui fut -Magne ne cessant de le rappeler-un endroit que fréquentèrent Chopin et Sand). Le château est donc un élément essentiel de l'histoire ; l'on y croise un certain nombre de groupes et de pop-stars de l'époque. Il faut quand même avoir une bonne connaissance de ces années et cela fera quand même plus d'effets à un nostalgique des années 70. Le concert des Grateful Dead au château est un morceau d'anthologie, avec -histoire vraie- des policiers chargés de la sécurité sous LSD. La relation de couple entre Michel Magne et Marie-Claude sert aussi de fil narratif. Les auteurs ont d'ailleurs eu les confidences de Marie-Claude, comme nous pouvons le voir à la fin de l'ouvrage. Elle montre le côté sombre de Michel Magne car comme souvent les histoires d'amour finissent mal. On apprend donc beaucoup sur cette époque et sur ce compositeur un peu oublié et cela vaut clairement l'achat pour des passionnés d'une période beaucoup plus insouciante que celle d'aujourd'hui.
Sur un air de Fado
Très bonne BD : à recommander. J'avais lu le roman Pereira prétend , et c'est à peu prêt la seule connaissance que j'avais de la période Salazar au Portugal. Je vis par ailleurs dans un petit village où quelques immigrés portugais, anciens ouvriers de la carrière, prennent parfois le soleil sur un banc. Ces deux approches me donnaient un point de vue tragique et mystérieux sur le Portugal de cette époque, et pas forcément adapté à la lecture insouciante d'un beau dimanche de printemps. Pourtant "Sur un air de fado" réussit à marier un coté documentaire historique avec une vraie histoire touchante. Le caractère du héros, le docteur Pais, désinvolte et ironique, rappelle Nestor Burma par ses tendances volages et sa manière aujourd'hui un peu surannée d'allumer une cigarette pour se donner une contenance. (Je vois que Barral a d'ailleurs adapté des Burma "dans l'esprit de Tardi") L'ironie se mélange à la gravité des situations qui le poussent au delà de ses fragiles convictions. La beauté des visages et des paysages, l'espièglerie des mioches, le sordide de la police lazariste, la naïveté des militants démocrates, une fratrie dissymétrique, un ami écrivain et homosexuel... Tous ces ingrédients concourent à la description nuancée, sans pathos, mais avec humanité de la vie sous une dictature arbitraire. Le personnage principal est très bien campé et toute la constellation des liens qu'il entretient avec les autres personnages est abordée par petites touches, avec au besoin, quelques flash-back. Les amours du docteur et ses engagements se créent un chemin entre la pression policière, sa famillle et ses amis. Les dialogues sont très justes. Contrairement à Pereira prétend, nous ne sommes pas dans la tête du héros, nous voyons ses actes, nous entendons sa voix, et le reste : à nous de l'imaginer. Et par dessus tout le dessin et la couleur sont extrêmement séduisants. La lumière du sud nous laisse imaginer le vent du large. Le trait parfois très gras autour des personnages devient très fin dans les paysages, les rues, les trottoirs pavés, les azuléjos, les dégagements vers l'océan. Bref, c'est un souffle d'humanité et de dépaysement.
Le Voyage des Pères - L'Exode selon Yona
C’est en souvenir du « Voyage des Pères » premier cycle que j’ai acheté le « L’Exode selon Yona ». En effet, j’y avais bien aimé le style de David Ratte, l’humour employé et les personnages. Au fait, « L’Exode selon Yona » est le prequel du « Voyage des Pères », ça se passe 1500 ans avant JC… justement en plein pendant la période égyptienne et les fameuses « aventures » de Moïse. Bon, sachez cependant que l’histoire est centrée sur Yona, un riche égyptien râleur qui veut épouser une juive afin d’avoir (enfin) des héritiers… et il tombe sur Libi, une (très) jeune et belle femme qui n’a pas sa langue dans la poche… Ce prequel m’est apparu également très humoristique grâce à l’emploi par l’auteur de conversations -que je dirais- très « actuelles ». Et c’est ce gros contraste entre dialogues modernes et la période où se passe cette histoire qui -à mon avis- fait son intérêt principal. A la rigueur, on se passerait bien volontiers des péripéties du peuple juif et de son « sauveur » sauf que ces situations ubuesques nous apportent des moments de franche rigolade (et aussi de tristesse) autour de nos deux protagonistes, du pharaon, de Moïse et toute une flopée de personnages secondaires riches en couleurs. Le graphisme de David Ratte est -à mon avis- parfaitement en adéquation avec son récit. On y a droit à un style à la fois tout en rondeur et en caricature, cela permet de proposer un dessin très agréable à contempler et très expressif. La mise en couleurs de Myriam Lavialle est dans la même lignée que celle du « Voyage des Pères » : les tons employés y sont très plaisants même s’ils sont moins pastels que sur la première série. Mais ce que j’apprécie le plus dans « L’Exode selon Yona », c’est que j’y trouve mon compte d’émotions : bien entendu, le ton y est résolument humoristique ; cependant, certaines scènes sont vraiment touchantes… c’est ce que j’aime découvrir dans une bande dessinée : pouvoir me procurer des sentiments qui oscillent entre le rire et la tristesse, c’est ce que je retiens de ma lecture de « l’Exode selon Yona ». Bien sûr, je vois que des lecteurs me diront que c’est un récit qui s’inspire d’un mythe religieux, ce qui fera hérisser les athées, les autres adeptes de religions plus ou moins éloignées du judaïsme, etc… mais si vous laissez de côté ces considérations religieuses et votre premier degré de "sériosité", il y a de fortes chances que vous passerez un bon moment de lecture en compagnie de ces personnages loufoques et de leurs conversations décalées par rapport au contexte historique de cette époque.
Gérard - Cinq années dans les pattes de Depardieu
Une BD que j'ai lue plusieurs fois, et surtout que j'ouvre parfois à n'importe quelle page pour m'étonner, rire, réfléchir. J'ai toujours aimé le style de Mathieu Sapin, c'est son style petit bonhomme, on aime ou pas, c'est le même dans ses derniers volumes. Il sait en tous cas comme personne rapporter les détails insignifiants et pourtant tellement instructifs qu'il perçoit avec une grande sagacité. Clairement, avec Gérard il y avait de la matière à exploiter, tandis que dans "le Château", son passage à l'Elysée était très creux. Par contre, les deux BD se répondent puisque Gérard et François se croisent, ce qui est très fun. Gérard Depardieu, je ne suis pas dans son fan club, le personnage lui-même m'avait toujours rebuté (je ne l'apprécie que dans ses rôles comiques). Je dois dire que cette BD m'a permis de comprendre l'engin, c'est stupéfiant ce mélange de raffinement et de grossièreté, sa richesse intérieure, sa souffrance. Loin de tout voyeurisme stupide ou de toute starification, cette BD qui aurait pu s'appeler "dans la peau de Gérard Depardieu", nous fait voir autrement cet être, et tous les êtres humains. On en vient à comprendre toutes les contradictions de Gérard, ses phrases tranchées : on n'en tombe pas d'accord, mais on en comprend l'origine et on la respecte. Imaginez la vie d'un Pascal Brutal qui ne serait pas macho et qui serait tout en sensibilité, (et en puissance 10), et vous avez la vie de Gérard. Pour moi, j'y vois quantité de citations pénétrantes, philosophiques qui font échos avec d'autres lectures, il y a un second sens derrière chaque incongruité. Si vous lisez attentivement, vous apprendrez des détails très importants sur comment survivre dans ces conditions émotionnelles extrêmes, sur la relation aux autres, sur le plaisir. Le plus étonnant, c'est que je n'ai jamais autant prêté une BD à autant de monde, peut-être douze à quinze personnes, là où mon meilleur score devait être de trois prêts. Tout le monde voulait lire Gérard ! La plupart ont bien aimé et une minorité a détesté.
A bord de l'Etoile Matutine
Une claque pour le récit, une deuxième pour le dessin. Quelle poignante surprise, quel voyage. Avec Riff Reb's, vogue la galère! Il faut que je lise à tout prix les autres créations/adaptations de cet auteur. Il y a des BD où on comprend tout, où on saisit ce que veut transmettre l'auteur. Du moins on trouve un sens qui nous est propre. Et cette BD, ça m'parle. Tous ces individus qui naissent dans la misère ou qui tombent dedans si violemment qu'ils ne réussiront jamais à remonter la pente. Tous ceux-là, qui ne trouveront jamais leur place dans la société, elle qui les laisse se perdre en mer, dans la brume de leurs pipes et la cécité de leur ivresse. A cette époque, ceux-là pouvaient devenir de viles canailles, dont seul le code des pirates pouvait encore leur permettre de garder une espèce ce dignité. La piraterie, c'est le dernier voyage avant le trépas. Si tu t'éloignes trop longtemps de la mer, la vie ne vaut pas un sou. Et si tu n'es plus pirate, tu n'existes plus. Ils sont cruels oui, mais ils sont aussi humains. Cette mort, ils la rejettent tous aussi longtemps qu'ils leur restent un souffle de vie et un espoir pour retourner à bord de leur navire. On ne trouve plus de beauté chez ces hommes. Elle existe, mais elle est enfouie. Pourtant parfois, elle veut se présenter lorsqu'on l'appelle : un discours de 5 ou 6 lignes sur une mer étoilée (sublime), ce chant si mélodieux qu'il peut briser le plus fort cœur de pirate, ou encore le portrait d'un doux et innocent visage qui leur est tombé entre les mains... Mais non, leur secrète beauté restera bien cachée, ils n'y croient pas et préfèrent se débarrasser de tout ça, soi-disant sans état d'âme. Ils choisissent d'aller jusqu'au bout de leur aventure de misère qui n'indique pas le nord, et courir après leur dernier rêve qui se résumera être en réalité une course à la survie à chaque quinzaine, si ce n'est moins. Le dessin est tellement profond avec ces ombres et ces courbes, ces marins à la trogne pas possible, cette mer qui nous emporte avec eux... Et puis l'écriture, ahhh mais cette écriture ! Je ne sais pas si beaucoup des textes sont tirés du roman. Si oui, c'est la sélection la plus intelligente au monde, si non alors l'auteur possède un talent d'une richesse sans nom. Culte pour moi, et qu'on vienne pas me l'enlever ! C'est mon trésor ! :)
Batman - White Knight
La claque ! Non vraiment la claque ! Graphiquement, j'ai adoré. Ça fait plaisir d'avoir le coloriste apparaissant au même titre que le dessinateur-scénariste sur la couverture. C'est justice. Il y a un travail du coloriste remarquable. Alors certes, rapidement, on voit où nous emmène le scénario. Je me suis dit que c'était un énième lessivage des thèmes liés à l'univers de Batman. Et pourtant, comme graphiquement j'étais tellement dedans, je me suis aussi laissé embarquer par l'histoire qui, dans le fond, propose du super neuf avec du super vieux et c'est terriblement efficace. La reprise graphique des méchants, des batmobiles et de l'ensemble de l'univers est géniale. Je lis assez peu de comics, par méconnaissance principalement. S'il y a un tome 2, j'irai l'acheter sans sourciller. Mille fois recommandé.
L'Enfant ébranlé
Voici une bande dessinée chinoise, dessinée et écrite par Tang Xiao diplômé de la Beijing Film Academy en 2011 et qui a sorti son premier livre Summer Vacation en 2014 à Hong Kong avant de remporter le Golden Award de la 12e Japan International Manga Award en 2019. Dans une petite ville de la Chine des années 90, le jeune Yang Hao partage son temps entre l'école où il adore rédiger des rédactions, ses amis avec qui il joue aux jeux vidéos et sa famille, surtout composée de sa mère puisque son père est le grand absent. Mais cela change le jour où il se fait remarquer pour un de ses textes, qu'il se fait menacer par un autre écolier et que son père rentre. Tout alors se met en branle pour lui prouver que la vie n'est pas immuable mais au contraire qu'elle est très changeante. C'est donc un récit "tranche de vie" assez bien mené. On suit la vie d'un petit écolier de ans, Yang Hao. Le récit est simple, réaliste. Aucun artifice ou grand rebondissement, juste des petits moments de vie. Et malgré cela, on est captivé par le récit. En effet, le petit Yang Hao est adorable, très attachant. Il vit dans une famille qui d'un premier abord est assez banale, mais qui au final sera l'un des éléments majeurs de l'histoire. Son père est souvent absent parce qu'il doit partir loin pour pouvoir trouver du travail. Sa mère est femme au foyer et s'occupe donc de lui avec sa propre mère. Tout se passe bien sauf que quand son père revient, celui-ci est inéluctablement attiré par l'univers des parties de mah-jong de ses amis et ne peut s'empêcher d'y passer ses soirées. Cela crée des tensions dans le couple, ce que ressent et entend très bien le petit garçon. C'est déchirant de le voir assister à tout ça et on en vient vite à détester ce père qui ne saisit pas bien son rôle aussi bien de parent que d'époux. On a de la peine pour sa femme et son fils, qui va devoir apprendre à vivre dans cette famille loin du modèle parfait qu'il aimerait avoir. Le récit est extrêmement riche. Il aborde aussi bien la vie d'un écolier chinois, son rapport aux jeux (vidéos et autres), ses relations avec ses aînés, la composition de la famille traditionnelle chinoise avec la place des anciens, les ravages de l'absence de travail à la campagne, les tensions dans les couples qui se répercutent sur les enfants, les répercussions d'un divorce, etc. La culture chinoise est également un élément majeur ici. On parle de la vie à la campagne. On nous dépeint les transports rudimentaires à vélo, la place des aînés, les hommes qui doivent aller travailler au loin. On évoque aussi ces jeux traditionnels que sont le mah-jong et le xiangqi. Le décor est vraiment superbement retranscrit et cela rend le récit d'autant plus immersif. Le dessin est également superbe. Il est rempli de poésie, de mélancolie. J'ai souvent eu le cœur au bord des lèvres en lisant ce texte. Un excellent récit de vie, puissant, poétique et mélancolique. 4 étoiles MAUPERTUIS, OSE ET RIT !
Zaroff
Je crois n'avoir jamais mis de 5 étoiles à une Bd récente, mais voila c'est fait, je n'ai pu résister à cet album qui m'a en plus replongé dans des souvenirs de jeunesse exaltants ; j'ai en effet vu très jeune, alors que j'étais ado ou pré-ado le film de Shoedsack et Pichel au ciné-club de la 2 que présentait Claude-Jean Philippe à la fin d'Apostrophes chez Pivot, c'est vous dire si ça remonte. Mais le souvenir est tellement vivace, ce film m'a tellement marqué, c'est un chef-d'oeuvre du cinéma fantastique, et je me souviens que dans la semaine qui suivit je voyais aussi le Frankenstein de James Whale et le King Kong de 1933 car le ciné-club consacrait un cycle au ciné fantastique des années 30. D'un coup, je faisais mon éducation ciné avec 3 énormes classiques. Les Chasses du comte Zaroff (the Most dangerous game) a été tourné en 1932 par la même équipe que King Kong ; on y retrouvait Shoedsack à la réalisation avec Merian C. Cooper, puis la même actrice Fay Wray, et la musique était signée aussi par le légendaire Max Steiner ; les décors utilisaient le même plateau, avec des décors de jungle issus de Skull Island, les scènes de King Kong étaient tournées le jour par Cooper, et la nuit Shoedsack prenait le relais et tournait celles du Comte Zaroff qui visiblement était une petite production de la RKO devant servir de test au prestigieux projet mené par Shoedsack et Cooper : King Kong. Mais ce soi-disant petit film possédait d'indéniables qualités artistiques et techniques où la traque, la forteresse vaguement gothique, les marécages brumeux, la forêt dense constituaient une atmosphère hostile et angoissante, et qui faisait de Zaroff un aristocrate raffiné et cruel tout à fait fascinant. D'où le fait que ce film a fait date et qu'il a inspiré plusieurs remakes ; j'en citerai 2 qui présentent des qualités intéressantes : la Chasse sanglante en 1974 qui revisitait le mythe de façon plus bestiale et beaucoup plus violente, et la même année, la Comtesse perverse, un film espagnol de Jess Franco, le maître de l'érotisme et de l'horrifique bis, où sa comtesse chassait nue des vierges sur son île, un film qui je me souviens, avait émoustillé ma libido de très jeune adulte au début des années 80. On peut y ajouter Chasse à l'homme, remake moderne et premier film américain de John Woo qui lançait le cogneur belge Jean-Claude Van Damme chassé par d'horribles riches oisifs en Louisiane. Après ce cours d'histoire cinématographique, parlons de la Bd de Runberg et Miville-Deschênes, un album qui m'a entièrement ravi et où j'ai retrouvé plein de sensations. En fait, c'est une extrapolation d'un film mythique, lui-même adapté fidèlement d'une nouvelle, puisque Runberg imagine ce qui se passe après le film, c'est donc un prolongement librement interprété ; les auteurs résument le film dans les premières pages en une sorte de noir & blanc, qui permettent de comprendre la chronologie des événements précédents. Ce qui fait la force de ce scénario, c'est bien évidemment le dessin de Miville-Deschênes que j'avais déjà tellement admiré sur Reconquêtes, précedente Bd d'antic-fantasy du duo Runberg-MD. Ce dessin est toujours aussi somptueux et saisissant, MD crée un background hyper consistant qui donne une force incroyable à ce récit, à tel point que ça en devient presque immersif. Le décor de cette île maléfique constitué d'une jungle luxuriante, d'affrontements, et d'animaux sauvages (déjà MD se régalait avec ses bêtes monstrueuses dans Reconquêtes), tout ceci forme un univers extraordinaire et fantasmé. Certaines images renvoient à l'imaginaire des romans d'aventure du XIXème siècle, c'est proprement fabuleux. Au final, ce récit qui revisite le film avec 2 groupes de chasseurs qui se chassent mutuellement, et tout aussi psychopathes l'un que l'autre, est non seulement haletant, mais surtout parfaitement construit et bien conduit, quelle idée formidable de réinventer cette trame et de n'avoir pas cherché simplement à faire une banale adaptation du film, l'ambiance est parfaitement recréée, ça sera sans doute moins probant pour ceux qui n'ont pas vu le film évidemment, je pense qu'ils perdent beaucoup, mais je peux vous assurer que pour un gars comme moi qui a baigné dans cette atmosphère très jeune qui plus est, je suis tombé à la renverse devant tant d'excellence. Un album sensationnel à lire absolument !