Difficile de rester de marbre au sortir de cette lecture tant la mise en situation historique magistrale est aussi crue que militante. Voilà une BD et des auteurs qui proposent d'intégrer de petites histoires dans la Grande !
Et on retiendra surtout la grande. J'ai pu prendre connaissance de la Commune à travers 1 ou 2 livres EXTRAscolaires. Ce qui est navrant, environ 20.000 citoyens français morts par l'État français, ça mérite une explication plutôt qu'une place dans la fosse commune de l'histoire officielle républicaine... J'ai aussi lu les Mémoires d'un révolté, trilogie écrite par Jules Vallès, et je ne doute pas trop à dire que Vautrin a suivi les pas du journaliste communard de l'époque pour écrire son récit, qui permet notamment de retrouver tout le jargon populaire parisien de l'époque. A ce niveau là c'est un régal! Et ça ne me dérange pas d'avoir des discours à rallonge si c'est pour y placer les expressions d'antan.
Au niveau du dessin, quel bonheur. Dans l'univers de la BD, l'inconscient collectif nous tourne vers Tardi pour adapter ce roman dans un Paris populaire, franchouillard, où les arrondissements et les rues sillonnent les phylactères. Et ça me paraît juste ! Avec sa patte, Tardi réussit à me faire entrer dans chaque scène, à me faire dégoûter des plus vils individus, à me faire ressentir l'espoir porté par la populace, à me faire haïr les guerres et la fierté de ses vainqueurs égoïstes.
Les intrigues des personnages sont plus classiques et se trouveront à la pénombre du récit historique. La Commune prend peu à peu le pas sur le reste, ce qui est pour moi une évolution logique. Tous les personnages sont forcément rivés sur les dernières nouvelles des combats plutôt que sur leur souci personnel. Il n'y aura qu'un personnage qui restera fixé sur sa vengeance, lui qui est contraint de rester caché. Sauf qu'il subira sans cesse l'actualité d'un versaillais qui prend plaisir à raconter la reconquête de Thiers et ses sbires, et ne lésinera pas sur les détails macabres.
L'ensemble grouille d'informations, de dialogues, de personnages historiques, etc. On ne risque pas de s'ennuyer lors des relectures...
A lire absolument pour connaître l'histoire et les valeurs de la Commune combattante et pour découvrir un point de vue tranché sur cette période qui mérite plus d'études et qui permet de comprendre une partie des péripéties du mouvement anarchiste.
Et bien les aminches, encore un truc pas piqué des hannetons qui me tombe entre les mains !
Car avec ce "Colt & Pepper", ce n'est certainement pas dans ce registre que j'attendais les deux auteurs de Marshal Bass ! Attiré par une couverture que je trouve magnifique, quelle surprise dès la première page ! Nous voilà plongé dans un univers de fantasy en pleine Amérique du XVIIe siècle, avec un graphisme d'une rare finesse, rehaussé par une colorisation un peu surannée qui nous dépayse d'emblée.
C'est dans ce monde étrange qu'évolue notre héros, le capitaine de la garde de Paragusa, Salomon Culpepper, "Pepper" pour les intimes. La retraite est proche, et par cette belle matinée qui s'annonce Pepper profite de ses derniers jours de notoriété pour faire le tour de la ville quand éclate une manifestation qui va tout bouleverser. Un des agitateurs n'est autre que son neveu qui, après que la manifestation ait dégénéré, se retrouve dans une situation épouvantable. Pepper va bien malgré lui devoir faire un bras d'honneur à sa retraite paisible pour sortir son neveu Colt de cette situation.
Il est étonnant de voir à quel point nos deux auteurs ont réussi à construire un univers complexe et riche qui tient aussi bien la marée malgré tous les ingrédients paraissant si peu compatibles qu'ils ont utilisés. Pourtant, passée la surprise des premières pages, on se laisse porter par ces personnages truculents, ces créatures fantasques qui égayent les cases si riches de détails et qui imposent un univers foisonnant. Plus on avance et plus le fantastique s'impose avec quelques scènes vraiment hallucinantes !
Il n'y a qu'une chose qui m'a dérangé dans cet album, c'est le choix de la police des bulles que je trouve mauvais. D'une part à cause de sa mauvaise lisibilité et aussi à cause du côté un peu ampoulé qu'elle donne aux textes.
Alors si le bizarre et l'étrange ne vous font pas peur, voici une série étonnante qui pourrait bien finir sur vos rayonnages ! J'attends la suite avec beaucoup de curiosité !
*** Tome 2 ***
Revoilà donc nos deux héros fugitifs dans cet univers fantasque emplis de doutes... Colt après son expérience du côté des morts en est à se demander s'il a toujours une âme, et Pepper qui fuyait Paragusa avec son neveu pensant avoir tuer le Duc se demande quant à lui si ce dernier est bien mort... Lassés de fuir, ils décident donc d'aller affronter leurs incertitudes et le nécromant Ossus en revenant à Paragusa : tout l'art de se jeter dans la gueule du loup ! Mais le chemin vers la capitale est déjà loin d'être un long fleuve tranquille ; de puissantes créatures manquent de les anéantir et vont conforter Colt dans ses angoisses. Paragusa quant à elle n'est plus que l'ombre d'elle même. La vie trépidante et la vitalité qui caractérisent les capitales ont disparues, tout semble bien trop calme, et l'aura d'Ossus le nécromant plane sur la ville. Ce dernier attend de pied ferme nos deux héros pour un affrontement dantesque...
C'est donc avec ce deuxième tome que se conclue cette fresque épique et fantastique. C'est un plaisir de retrouver nos deux personnages évoluer dans un monde aussi riche et inventif. Les décors sont toujours aussi magnifiques, les créatures imaginées hallucinantes, et les pouvoirs d'Ossus impressionnants, surtout mis en image de si belle manière. La bataille finale vaut vraiment le détour !
Mes seules petites frustrations tiennent au peu de réponses apportées à l'origine de la transformation de ce monde et à cette fin ouverte. En même temps, ces deux petites choses peuvent laisser espérer qu'une suite voit le jour et qu'on puisse approfondir la découverte de cet univers merveilleux.
La Patrie des frères Werner est une fiction qui s’enchâsse dans le fil de l’Histoire avec une telle plausibilité que je me suis longuement demandé où s’arrêtaient les faits véridiques et où commençaient les faits inventés. Le match au centre du récit a bien entendu eu lieu et, dans le dossier fouillé offert en fin d’album, plusieurs faits évoqués sont reprécisés (dont une malle qui devait permettre de rapatrier en toute discrétion tout Est-Allemand candidat à la fuite vers l’Ouest vers sa mère patrie). Par contre, ces frères et leur destin sont pures fictions. Et découvrir ce fait m’a finalement quelque peu frustré tant j’ai aimé leur histoire.
Ceci dit !
Ceci dit, j’ai adoré ma lecture. L’aspect historique et le contexte politique et sportif, déjà, font partie des sujets qui naturellement m’attirent. Ensuite vient la relation entre ces deux frères, l’endoctrinement, les convictions, les aspirations –soit ce qui doucement va les séparer- les épreuves traversées ensemble, la solidarité, le soutien fraternel –soit ce qui les lie par-dessus tout- sont autant d’éléments qui nourrissent ce récit, rendant cette relation forte et poignante.
Et comme j’ai bien aimé le dessin (personnages bien typés, décors riches et soignés, lisibilité jamais prise en défaut) et sa colorisation monochrome (qui simplifie encore la lisibilité de l’album), je ressors de ma lecture ravi.
Il s’agit donc à mes yeux d’un très bon récit où les sentiments fraternels qui unissent les frères Werner s’opposent à leurs convictions idéologiques, reflet de ces deux Allemagnes de 1974, frères ennemis d’une coupe du monde historique.
C’est typiquement le genre de roman graphique que j’affectionne tant en termes de contenu que de dessin.
J’ai tout d’abord savouré la façon dont John Marc DeMatteis introduit son témoignage autobiographique, en philosophant sur le degré limité de vérité que nous réussissons à transmettre, notre perception humaine étant imparfaite.
Une fois cette précaution liminaire prise, il se lance dans un récit introspectif, frisant parfois la psychanalyse, pas une démarche purement mentale, mais quelque chose de beaucoup plus vivant, de son enfance jusqu’à son année de terminale.
C’est admirablement réalisé, via la superposition de 2 codes graphiques distincts, d’une part un narrateur adulte crayonné ou en aquarelle sombre quelque peu brumeuse, et d’autre part un dessin plus classique ligne claire représentant son enfance, sa vie qui défile. Ces 2 frises s’enchevêtrent de façon subtile et pertinente, l’adulte portant un regard que l’on ressent compréhensif, bienveillant, sur le jeune en souffrance qu’il était alors.
L’adulte est d’ailleurs parfois seul dans le noir, assis ou dans une posture pouvant suggérer qu’il est en train de suivre une psychanalyse.
J’ai adoré la profondeur et la richesse de cette histoire : toute l’évolution psychique du jeune John Marc DeMatteis, de par les cahots de sa vie, ses expériences notamment psychotropes, ses passions solitaires, ses rencontres déterminantes, ses premiers émois amoureux puis surtout son questionnement mystique et existentiel.
Il évoque aussi les 15 années qu’il lui a fallu pour guérir ses souffrances intérieures, ce qui pourrait faire l’objet d’un nouveau roman graphique.
Niveau dessin, c’est un superbe noir & blanc, il y a du Eisner dans la façon dont Glenn Barr croque les travers familiaux, c’est jubilatoire, cela m’a rappelé Affaires de famille (Une affaire de famille).
Son dessin me fait aussi penser à l’argentin Eduardo Risso, que j’apprécie beaucoup, notamment pour la réalisation de la couverture.
J’espère ardemment que l’auteur nous offrira une suite à ce premier opus !
Que voilà un excellent documentaire sur le sujet. Tout d'abord très agréable à lire, pas lourdingue pour deux sous malgré le sujet, avec une mise en page aérée et colorée. Ceux qui connaissent Lécroart savent ses talents de raconteur et d'illustrateur, tout cela est bel et bien fait.
Maintenant sur les tenants et aboutissants de ce dérèglement climatique qui nous concerne tous, il s'est adjoint un mathématicien spécialiste du chaos et de l'économique (qui, soit dit en passant, a inspiré le personnage du Dr Malcolm de Jurassik park). Les auteurs ont entamé l'ouvrage en 2020, ce qui permet d'avoir des données récentes par rapport aux autres bds traitant du sujet, je pense forcément au non moins excellent Saison brune qui n'a que l'inconvénient de dater d'avant Fukushima.
Un choix que j'ai grandement apprécié dans ce documentaire, c'est de ne finalement s'attarder que peu sur la « technique » du dérèglement climatique, ainsi que sur ses conséquences physiques. Ces sujets sont maintenant suffisamment évoqués par divers médias, des reportages télé (bon, ça dépend sur quelles chaînes) pour que tout un chacun puisse connaître à peu près ce qui se passe déjà et ce qui nous attend.
Là, on a une approche bien historique de l'économie mondialisée. Bien sûr, ce commerce mondial ne date pas d'hier mais l'ouvrage montre bien l'évolution parallèle du commerce, de l'industrie, de la finance et de ce qu'il faut bien appeler le capitalisme effréné. On voit bien ce mouvement qui a conduit à la situation actuelle, mais ce n'est pas manichéen. Les auteurs évoquent bien sûr le progrès que cette progression du commerce a engendré, sur le plan sanitaire (sauf Covid évidemment), sur le confort obtenu dans les pays riches …. au prix bien sûr d'une dépendance de plus en plus forte aux énergies fossiles.
Je ne suis nullement une férue de finance et parfois je peine dans les émissions sur l'économie politique à vraiment comprendre le fond des choses. J'ai eu droit ici à un cours que j'ai trouvé extrêmement bien fait. Je n'avais nullement imaginé l'impact des guerres mondiales sur l'essor, post conflit, des industries au XXe siècle par exemple.
Les auteurs montrent bien également les freins à la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre, que ce soit de par notre mode de vie, nos politiques toujours soumises aux impératifs économiques, la publicité, et l'agriculture conventionnelle qui n'est pas épargnée.
C'était passionnant, je le relirai. J'ai déjà promis à mon bibliothécaire municipal que je lui prêterai pour qu'il en commande un et le diffuse au maximum. Le seul petit regret que je pourrai avoir : les chiffres et statistiques donnés ne sont pas sourcés directement sur la page concernée, toutes les sources scientifiques sont regroupées en fin d'album, certes ça a le mérite d'aérer la mise en page mais on retrouve moins facilement d'où vient quoi.
Je n'ai pas l'habitude de mettre 5 étoiles, « culte » c'est énorme. Mais là, je ne peux pas faire autrement. Donc culte.
Qu'est-ce qui fait qu'une lecture est remarquable ?
Un certain nombre de critères, sans doute. En l'occurrence, quand une lecture a marqué son lecteur et qu'il y pense toujours après quelques temps, quand il se dit que, quand même, il y a dans cette histoire de la richesse, de la matière et ce même si elle n'est pas forcément facile d'accès, quand, ayant lu ce livre il se dit que oui, il va vouloir le relire, et quand l'ayant emprunté il se dit que oui, il va l'acheter, alors sans doute peut-on considérer que cette lecture a été remarquable.
Pourtant je ne savais pas à quoi m'attendre. Les ambiances colorées assez monochromatiques par chapitre m'ont tout de suite plu. Le dessin aussi, fin, précis, soigné, avec des personnages ayant de vraies gueules. Même si j'ai plus loin été un peu déçu quand pour les têtes des personnages il devenait plus doux et moins réaliste, j'ai été époustouflé par les scène marines de toute beauté, avec ce bateau aux prises avec les vagues rageuses.
Mais ce qui est le plus marquant pour moi, c'est bien sûr le personnage de Loup Larsen. Terrifiant, détestable, insaisissable. Capitaine despote s'arrogeant le droit de vie, de mort et de souffrance sur son équipage, embarquer sur son navire revient à entrer dans un enfer sur mer. Personnage d'une brutalité sans nom, représenté comme une bête sauvage ou un démon ou encore un titan, manipulateur, il s'avérera pourtant cultivé, presqu'autant que Humphrey Van Weyden.
Et ce point est très intéressant, car d'abord perçu comme une brute par nature, Loup Larsen se révèle une brute par choix. Désabusé, nihiliste. On aura donc non seulement une dichotomie sur la civilisation et la domination par la force - la loi de la nature - mais aussi et peut-être surtout sur la moralité ou son absence, l'amoralité.
Humphrey et le capitaine semblent d'abord être aussi éloignés l'un de l'autre qu'il est possible de l'être. Pourtant ils seront étroitement liés, et Humphrey sera fortement influencé par le capitaine. Personnage poli, civilisé et pour tout dire intellectuel bourgeois imbu de lui-même, il ne sortira de cette histoire qu'en portant la marque indélébile de ce capitaine.
Vous ferez peut-être quelque chose de votre vie finalement ! Déjà vous commencez à marcher par vous-même, lui dit d'ailleurs ce dernier.
En refermant ce livre aux ambiances fortes, au discours brutal et implacable, aux idées sombres et violentes, j'ai vraiment eu le sentiment d'une lecture riche et marquante. C'est donc avec grand plaisir que je l'ai choisi pour mon 1000ème avis.
Oh le bel ouvrage tout en délicatesse que voilà. Enfin "délicatesse", il faut le dire vite car cette histoire va faire preuve d'une violence assez inouïe mais je n'en dirai pas plus...
J'entends par "délicatesse", la façon dont est racontée l'histoire tout en subtilité et surtout la beauté du trait d'Olivier Grenson ainsi que sa manière de représenter ses personnages. J'aime m'attarder sur leurs gestes, leurs regards expressifs, touchants parfois terrifiants suivant les circonstances et leurs postures justes qui communiquent beaucoup de choses en ce qui me concerne. Je ressens cela aussi avec le style de Servais, c'est ainsi, question de sensibilité personnelle sans doute.
Grenson avait déjà fleurté avec le drame psychologique dans La Femme accident parue au éditions Dupuis en 2008 et il récidive ici en compagnie de son épouse Sylvie Roge dont c'est la première bande dessinée. Pour une première, c'est assez réussi, la lecture se fait sans accroc, la mise en scène est soignée, claire et la tension dramatique monte de plusieurs crans au fil de la lecture. Celle-ci est fort attractive, on apprend à connaître doucement les divers protagonistes, on se prend d'affection pour eux, particulièrement ces deux soeurs jumelles qui paraissent si réelles et on se dit que cette histoire a déjà dû exister de par le monde. Il suffit de voir les faits divers dramatiques du quotidien.
Par ailleurs, les thèmes abordés sont vastes et finement élaborés, il est question de l'enfance, de l'amour fraternel, du rejet parental avec toutes les frustrations qui en découlent... les choses de la vie en somme.
Ce n'est pas un énième récit larmoyant, cela va plus loin et les auteurs évitent la caricature qu'on peut parfois rencontrer dans le style "drame social".
Coup de cœur pour moi car la fin possède une belle force émotionnelle.
J'ai rarement été aussi pris par une bd.
J'ai lu l'intégrale sans m'arrêter.
Ce qui fait véritablement la force de ce récit, outre le fait que ce soit une histoire vraie, c'est la dualité entre l'époque "actuelle" et les récits de la guerre et des camps. C'est cela qui nous fait entrer dans la réalité de la chose et non comme une vague histoire racontée. Les personnages paraissent réels car ils le sont et cela donne un impact rarement atteint dans une bd.
De plus, les personnages sont dépeints avec leurs défauts et leurs qualités. Rien ne semble avoir été ommis et l'auteur s'écorche lui-même en se montrant s'énervant ou déprimé. Ca ne fait que renforcer cette sensation de "retranscription" plutôt que de récit qui donne sa force à l'oeuvre.
Je ne mets pas de coup de coeur, car je ne peux décemment pas avoir de coup de coeur pour une histoire à propos du massacre de millions d'innocents.
Mais cette oeuvre est définitivement culte et mérite assurément d'être lue par tout un chacun.
Et elle devrait, selon moi, également trouver sa place dans l'éducation, aux côtés du Journal d'Anne Frank (l'original, pas la BD de Soleil...).
Comme l'a dit le posteur précédent, Delcourt publie un roman graphique qui sera sans nul doute un des albums de l'année. Ce livre évoque le destin tragique de Michel Magne musicien prolifique des années 60-70, souvent novateur dans son travail et parfois génie incompris.
Je dois bien dire que je connaissais mal Michel Magne ; de lui, je connaissais surtout ses compositions des musiques de films pour Jean Yanne, ou encore celle des tontons flingueurs. Cela n'est qu'une infime partie de son œuvre car il a fait d'innombrables choses dans des domaines assez variés (il suffit de voir à la fin du livre le nombre de ses œuvres et de ses collaborations).
Les auteurs Yann Le Quellec au scénario et Romain Ronzeau au dessin s'intéressent surtout à l'histoire du château d'Hérouville qui servit de salle d'enregistrement à des groupes aussi mythiques que Canned Heat, Magma, T Rex ou encore à des chanteurs solo comme David Bowie ou Eddy Mitchell. Le château, acheté par Michel Magne en 1962, d'abord destiné à des événements festifs devient réellement un grand studio d'enregistrement en 1969 après l'incendie qu'il a connu.
Les auteurs montrent toute la démesure de Michel Magne qui dépense sans compter achetant les meilleures bouteilles pour ses convives et qui se retrouve vite en difficulté financière ainsi que sa relation tumultueuse avec sa compagne Marie-Claude beaucoup plus jeune que lui.
L'album est comme constitué de chapitres entrecoupés par des entractes biographiques évoquant la vie et la carrière de Magne avant 1969 où alternent des pages illustrées quasi en roman-photo et des illustrations de l'auteur. Cela a parfois tendance à alourdir la narration. Le trait de Ronzeau est assez intéressant et traduit bien le côté bouillonnant de la vie qui se déroule au Château (qui fut -Magne ne cessant de le rappeler-un endroit que fréquentèrent Chopin et Sand).
Le château est donc un élément essentiel de l'histoire ; l'on y croise un certain nombre de groupes et de pop-stars de l'époque. Il faut quand même avoir une bonne connaissance de ces années et cela fera quand même plus d'effets à un nostalgique des années 70. Le concert des Grateful Dead au château est un morceau d'anthologie, avec -histoire vraie- des policiers chargés de la sécurité sous LSD.
La relation de couple entre Michel Magne et Marie-Claude sert aussi de fil narratif. Les auteurs ont d'ailleurs eu les confidences de Marie-Claude, comme nous pouvons le voir à la fin de l'ouvrage. Elle montre le côté sombre de Michel Magne car comme souvent les histoires d'amour finissent mal.
On apprend donc beaucoup sur cette époque et sur ce compositeur un peu oublié et cela vaut clairement l'achat pour des passionnés d'une période beaucoup plus insouciante que celle d'aujourd'hui.
Très bonne BD : à recommander.
J'avais lu le roman Pereira prétend , et c'est à peu prêt la seule connaissance que j'avais de la période Salazar au Portugal. Je vis par ailleurs dans un petit village où quelques immigrés portugais, anciens ouvriers de la carrière, prennent parfois le soleil sur un banc.
Ces deux approches me donnaient un point de vue tragique et mystérieux sur le Portugal de cette époque, et pas forcément adapté à la lecture insouciante d'un beau dimanche de printemps.
Pourtant "Sur un air de fado" réussit à marier un coté documentaire historique avec une vraie histoire touchante. Le caractère du héros, le docteur Pais, désinvolte et ironique, rappelle Nestor Burma par ses tendances volages et sa manière aujourd'hui un peu surannée d'allumer une cigarette pour se donner une contenance. (Je vois que Barral a d'ailleurs adapté des Burma "dans l'esprit de Tardi") L'ironie se mélange à la gravité des situations qui le poussent au delà de ses fragiles convictions. La beauté des visages et des paysages, l'espièglerie des mioches, le sordide de la police lazariste, la naïveté des militants démocrates, une fratrie dissymétrique, un ami écrivain et homosexuel...
Tous ces ingrédients concourent à la description nuancée, sans pathos, mais avec humanité de la vie sous une dictature arbitraire. Le personnage principal est très bien campé et toute la constellation des liens qu'il entretient avec les autres personnages est abordée par petites touches, avec au besoin, quelques flash-back. Les amours du docteur et ses engagements se créent un chemin entre la pression policière, sa famillle et ses amis. Les dialogues sont très justes. Contrairement à Pereira prétend, nous ne sommes pas dans la tête du héros, nous voyons ses actes, nous entendons sa voix, et le reste : à nous de l'imaginer.
Et par dessus tout le dessin et la couleur sont extrêmement séduisants. La lumière du sud nous laisse imaginer le vent du large. Le trait parfois très gras autour des personnages devient très fin dans les paysages, les rues, les trottoirs pavés, les azuléjos, les dégagements vers l'océan.
Bref, c'est un souffle d'humanité et de dépaysement.
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Le Cri du Peuple
Difficile de rester de marbre au sortir de cette lecture tant la mise en situation historique magistrale est aussi crue que militante. Voilà une BD et des auteurs qui proposent d'intégrer de petites histoires dans la Grande ! Et on retiendra surtout la grande. J'ai pu prendre connaissance de la Commune à travers 1 ou 2 livres EXTRAscolaires. Ce qui est navrant, environ 20.000 citoyens français morts par l'État français, ça mérite une explication plutôt qu'une place dans la fosse commune de l'histoire officielle républicaine... J'ai aussi lu les Mémoires d'un révolté, trilogie écrite par Jules Vallès, et je ne doute pas trop à dire que Vautrin a suivi les pas du journaliste communard de l'époque pour écrire son récit, qui permet notamment de retrouver tout le jargon populaire parisien de l'époque. A ce niveau là c'est un régal! Et ça ne me dérange pas d'avoir des discours à rallonge si c'est pour y placer les expressions d'antan. Au niveau du dessin, quel bonheur. Dans l'univers de la BD, l'inconscient collectif nous tourne vers Tardi pour adapter ce roman dans un Paris populaire, franchouillard, où les arrondissements et les rues sillonnent les phylactères. Et ça me paraît juste ! Avec sa patte, Tardi réussit à me faire entrer dans chaque scène, à me faire dégoûter des plus vils individus, à me faire ressentir l'espoir porté par la populace, à me faire haïr les guerres et la fierté de ses vainqueurs égoïstes. Les intrigues des personnages sont plus classiques et se trouveront à la pénombre du récit historique. La Commune prend peu à peu le pas sur le reste, ce qui est pour moi une évolution logique. Tous les personnages sont forcément rivés sur les dernières nouvelles des combats plutôt que sur leur souci personnel. Il n'y aura qu'un personnage qui restera fixé sur sa vengeance, lui qui est contraint de rester caché. Sauf qu'il subira sans cesse l'actualité d'un versaillais qui prend plaisir à raconter la reconquête de Thiers et ses sbires, et ne lésinera pas sur les détails macabres. L'ensemble grouille d'informations, de dialogues, de personnages historiques, etc. On ne risque pas de s'ennuyer lors des relectures... A lire absolument pour connaître l'histoire et les valeurs de la Commune combattante et pour découvrir un point de vue tranché sur cette période qui mérite plus d'études et qui permet de comprendre une partie des péripéties du mouvement anarchiste.
Colt & Pepper
Et bien les aminches, encore un truc pas piqué des hannetons qui me tombe entre les mains ! Car avec ce "Colt & Pepper", ce n'est certainement pas dans ce registre que j'attendais les deux auteurs de Marshal Bass ! Attiré par une couverture que je trouve magnifique, quelle surprise dès la première page ! Nous voilà plongé dans un univers de fantasy en pleine Amérique du XVIIe siècle, avec un graphisme d'une rare finesse, rehaussé par une colorisation un peu surannée qui nous dépayse d'emblée. C'est dans ce monde étrange qu'évolue notre héros, le capitaine de la garde de Paragusa, Salomon Culpepper, "Pepper" pour les intimes. La retraite est proche, et par cette belle matinée qui s'annonce Pepper profite de ses derniers jours de notoriété pour faire le tour de la ville quand éclate une manifestation qui va tout bouleverser. Un des agitateurs n'est autre que son neveu qui, après que la manifestation ait dégénéré, se retrouve dans une situation épouvantable. Pepper va bien malgré lui devoir faire un bras d'honneur à sa retraite paisible pour sortir son neveu Colt de cette situation. Il est étonnant de voir à quel point nos deux auteurs ont réussi à construire un univers complexe et riche qui tient aussi bien la marée malgré tous les ingrédients paraissant si peu compatibles qu'ils ont utilisés. Pourtant, passée la surprise des premières pages, on se laisse porter par ces personnages truculents, ces créatures fantasques qui égayent les cases si riches de détails et qui imposent un univers foisonnant. Plus on avance et plus le fantastique s'impose avec quelques scènes vraiment hallucinantes ! Il n'y a qu'une chose qui m'a dérangé dans cet album, c'est le choix de la police des bulles que je trouve mauvais. D'une part à cause de sa mauvaise lisibilité et aussi à cause du côté un peu ampoulé qu'elle donne aux textes. Alors si le bizarre et l'étrange ne vous font pas peur, voici une série étonnante qui pourrait bien finir sur vos rayonnages ! J'attends la suite avec beaucoup de curiosité ! *** Tome 2 *** Revoilà donc nos deux héros fugitifs dans cet univers fantasque emplis de doutes... Colt après son expérience du côté des morts en est à se demander s'il a toujours une âme, et Pepper qui fuyait Paragusa avec son neveu pensant avoir tuer le Duc se demande quant à lui si ce dernier est bien mort... Lassés de fuir, ils décident donc d'aller affronter leurs incertitudes et le nécromant Ossus en revenant à Paragusa : tout l'art de se jeter dans la gueule du loup ! Mais le chemin vers la capitale est déjà loin d'être un long fleuve tranquille ; de puissantes créatures manquent de les anéantir et vont conforter Colt dans ses angoisses. Paragusa quant à elle n'est plus que l'ombre d'elle même. La vie trépidante et la vitalité qui caractérisent les capitales ont disparues, tout semble bien trop calme, et l'aura d'Ossus le nécromant plane sur la ville. Ce dernier attend de pied ferme nos deux héros pour un affrontement dantesque... C'est donc avec ce deuxième tome que se conclue cette fresque épique et fantastique. C'est un plaisir de retrouver nos deux personnages évoluer dans un monde aussi riche et inventif. Les décors sont toujours aussi magnifiques, les créatures imaginées hallucinantes, et les pouvoirs d'Ossus impressionnants, surtout mis en image de si belle manière. La bataille finale vaut vraiment le détour ! Mes seules petites frustrations tiennent au peu de réponses apportées à l'origine de la transformation de ce monde et à cette fin ouverte. En même temps, ces deux petites choses peuvent laisser espérer qu'une suite voit le jour et qu'on puisse approfondir la découverte de cet univers merveilleux.
La Patrie des frères Werner
La Patrie des frères Werner est une fiction qui s’enchâsse dans le fil de l’Histoire avec une telle plausibilité que je me suis longuement demandé où s’arrêtaient les faits véridiques et où commençaient les faits inventés. Le match au centre du récit a bien entendu eu lieu et, dans le dossier fouillé offert en fin d’album, plusieurs faits évoqués sont reprécisés (dont une malle qui devait permettre de rapatrier en toute discrétion tout Est-Allemand candidat à la fuite vers l’Ouest vers sa mère patrie). Par contre, ces frères et leur destin sont pures fictions. Et découvrir ce fait m’a finalement quelque peu frustré tant j’ai aimé leur histoire. Ceci dit ! Ceci dit, j’ai adoré ma lecture. L’aspect historique et le contexte politique et sportif, déjà, font partie des sujets qui naturellement m’attirent. Ensuite vient la relation entre ces deux frères, l’endoctrinement, les convictions, les aspirations –soit ce qui doucement va les séparer- les épreuves traversées ensemble, la solidarité, le soutien fraternel –soit ce qui les lie par-dessus tout- sont autant d’éléments qui nourrissent ce récit, rendant cette relation forte et poignante. Et comme j’ai bien aimé le dessin (personnages bien typés, décors riches et soignés, lisibilité jamais prise en défaut) et sa colorisation monochrome (qui simplifie encore la lisibilité de l’album), je ressors de ma lecture ravi. Il s’agit donc à mes yeux d’un très bon récit où les sentiments fraternels qui unissent les frères Werner s’opposent à leurs convictions idéologiques, reflet de ces deux Allemagnes de 1974, frères ennemis d’une coupe du monde historique.
Brooklyn Dreams
C’est typiquement le genre de roman graphique que j’affectionne tant en termes de contenu que de dessin. J’ai tout d’abord savouré la façon dont John Marc DeMatteis introduit son témoignage autobiographique, en philosophant sur le degré limité de vérité que nous réussissons à transmettre, notre perception humaine étant imparfaite. Une fois cette précaution liminaire prise, il se lance dans un récit introspectif, frisant parfois la psychanalyse, pas une démarche purement mentale, mais quelque chose de beaucoup plus vivant, de son enfance jusqu’à son année de terminale. C’est admirablement réalisé, via la superposition de 2 codes graphiques distincts, d’une part un narrateur adulte crayonné ou en aquarelle sombre quelque peu brumeuse, et d’autre part un dessin plus classique ligne claire représentant son enfance, sa vie qui défile. Ces 2 frises s’enchevêtrent de façon subtile et pertinente, l’adulte portant un regard que l’on ressent compréhensif, bienveillant, sur le jeune en souffrance qu’il était alors. L’adulte est d’ailleurs parfois seul dans le noir, assis ou dans une posture pouvant suggérer qu’il est en train de suivre une psychanalyse. J’ai adoré la profondeur et la richesse de cette histoire : toute l’évolution psychique du jeune John Marc DeMatteis, de par les cahots de sa vie, ses expériences notamment psychotropes, ses passions solitaires, ses rencontres déterminantes, ses premiers émois amoureux puis surtout son questionnement mystique et existentiel. Il évoque aussi les 15 années qu’il lui a fallu pour guérir ses souffrances intérieures, ce qui pourrait faire l’objet d’un nouveau roman graphique. Niveau dessin, c’est un superbe noir & blanc, il y a du Eisner dans la façon dont Glenn Barr croque les travers familiaux, c’est jubilatoire, cela m’a rappelé Affaires de famille (Une affaire de famille). Son dessin me fait aussi penser à l’argentin Eduardo Risso, que j’apprécie beaucoup, notamment pour la réalisation de la couverture. J’espère ardemment que l’auteur nous offrira une suite à ce premier opus !
Urgence climatique
Que voilà un excellent documentaire sur le sujet. Tout d'abord très agréable à lire, pas lourdingue pour deux sous malgré le sujet, avec une mise en page aérée et colorée. Ceux qui connaissent Lécroart savent ses talents de raconteur et d'illustrateur, tout cela est bel et bien fait. Maintenant sur les tenants et aboutissants de ce dérèglement climatique qui nous concerne tous, il s'est adjoint un mathématicien spécialiste du chaos et de l'économique (qui, soit dit en passant, a inspiré le personnage du Dr Malcolm de Jurassik park). Les auteurs ont entamé l'ouvrage en 2020, ce qui permet d'avoir des données récentes par rapport aux autres bds traitant du sujet, je pense forcément au non moins excellent Saison brune qui n'a que l'inconvénient de dater d'avant Fukushima. Un choix que j'ai grandement apprécié dans ce documentaire, c'est de ne finalement s'attarder que peu sur la « technique » du dérèglement climatique, ainsi que sur ses conséquences physiques. Ces sujets sont maintenant suffisamment évoqués par divers médias, des reportages télé (bon, ça dépend sur quelles chaînes) pour que tout un chacun puisse connaître à peu près ce qui se passe déjà et ce qui nous attend. Là, on a une approche bien historique de l'économie mondialisée. Bien sûr, ce commerce mondial ne date pas d'hier mais l'ouvrage montre bien l'évolution parallèle du commerce, de l'industrie, de la finance et de ce qu'il faut bien appeler le capitalisme effréné. On voit bien ce mouvement qui a conduit à la situation actuelle, mais ce n'est pas manichéen. Les auteurs évoquent bien sûr le progrès que cette progression du commerce a engendré, sur le plan sanitaire (sauf Covid évidemment), sur le confort obtenu dans les pays riches …. au prix bien sûr d'une dépendance de plus en plus forte aux énergies fossiles. Je ne suis nullement une férue de finance et parfois je peine dans les émissions sur l'économie politique à vraiment comprendre le fond des choses. J'ai eu droit ici à un cours que j'ai trouvé extrêmement bien fait. Je n'avais nullement imaginé l'impact des guerres mondiales sur l'essor, post conflit, des industries au XXe siècle par exemple. Les auteurs montrent bien également les freins à la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre, que ce soit de par notre mode de vie, nos politiques toujours soumises aux impératifs économiques, la publicité, et l'agriculture conventionnelle qui n'est pas épargnée. C'était passionnant, je le relirai. J'ai déjà promis à mon bibliothécaire municipal que je lui prêterai pour qu'il en commande un et le diffuse au maximum. Le seul petit regret que je pourrai avoir : les chiffres et statistiques donnés ne sont pas sourcés directement sur la page concernée, toutes les sources scientifiques sont regroupées en fin d'album, certes ça a le mérite d'aérer la mise en page mais on retrouve moins facilement d'où vient quoi. Je n'ai pas l'habitude de mettre 5 étoiles, « culte » c'est énorme. Mais là, je ne peux pas faire autrement. Donc culte.
Le Loup des Mers
Qu'est-ce qui fait qu'une lecture est remarquable ? Un certain nombre de critères, sans doute. En l'occurrence, quand une lecture a marqué son lecteur et qu'il y pense toujours après quelques temps, quand il se dit que, quand même, il y a dans cette histoire de la richesse, de la matière et ce même si elle n'est pas forcément facile d'accès, quand, ayant lu ce livre il se dit que oui, il va vouloir le relire, et quand l'ayant emprunté il se dit que oui, il va l'acheter, alors sans doute peut-on considérer que cette lecture a été remarquable. Pourtant je ne savais pas à quoi m'attendre. Les ambiances colorées assez monochromatiques par chapitre m'ont tout de suite plu. Le dessin aussi, fin, précis, soigné, avec des personnages ayant de vraies gueules. Même si j'ai plus loin été un peu déçu quand pour les têtes des personnages il devenait plus doux et moins réaliste, j'ai été époustouflé par les scène marines de toute beauté, avec ce bateau aux prises avec les vagues rageuses. Mais ce qui est le plus marquant pour moi, c'est bien sûr le personnage de Loup Larsen. Terrifiant, détestable, insaisissable. Capitaine despote s'arrogeant le droit de vie, de mort et de souffrance sur son équipage, embarquer sur son navire revient à entrer dans un enfer sur mer. Personnage d'une brutalité sans nom, représenté comme une bête sauvage ou un démon ou encore un titan, manipulateur, il s'avérera pourtant cultivé, presqu'autant que Humphrey Van Weyden. Et ce point est très intéressant, car d'abord perçu comme une brute par nature, Loup Larsen se révèle une brute par choix. Désabusé, nihiliste. On aura donc non seulement une dichotomie sur la civilisation et la domination par la force - la loi de la nature - mais aussi et peut-être surtout sur la moralité ou son absence, l'amoralité. Humphrey et le capitaine semblent d'abord être aussi éloignés l'un de l'autre qu'il est possible de l'être. Pourtant ils seront étroitement liés, et Humphrey sera fortement influencé par le capitaine. Personnage poli, civilisé et pour tout dire intellectuel bourgeois imbu de lui-même, il ne sortira de cette histoire qu'en portant la marque indélébile de ce capitaine. Vous ferez peut-être quelque chose de votre vie finalement ! Déjà vous commencez à marcher par vous-même, lui dit d'ailleurs ce dernier. En refermant ce livre aux ambiances fortes, au discours brutal et implacable, aux idées sombres et violentes, j'ai vraiment eu le sentiment d'une lecture riche et marquante. C'est donc avec grand plaisir que je l'ai choisi pour mon 1000ème avis.
La Fée Assassine
Oh le bel ouvrage tout en délicatesse que voilà. Enfin "délicatesse", il faut le dire vite car cette histoire va faire preuve d'une violence assez inouïe mais je n'en dirai pas plus... J'entends par "délicatesse", la façon dont est racontée l'histoire tout en subtilité et surtout la beauté du trait d'Olivier Grenson ainsi que sa manière de représenter ses personnages. J'aime m'attarder sur leurs gestes, leurs regards expressifs, touchants parfois terrifiants suivant les circonstances et leurs postures justes qui communiquent beaucoup de choses en ce qui me concerne. Je ressens cela aussi avec le style de Servais, c'est ainsi, question de sensibilité personnelle sans doute. Grenson avait déjà fleurté avec le drame psychologique dans La Femme accident parue au éditions Dupuis en 2008 et il récidive ici en compagnie de son épouse Sylvie Roge dont c'est la première bande dessinée. Pour une première, c'est assez réussi, la lecture se fait sans accroc, la mise en scène est soignée, claire et la tension dramatique monte de plusieurs crans au fil de la lecture. Celle-ci est fort attractive, on apprend à connaître doucement les divers protagonistes, on se prend d'affection pour eux, particulièrement ces deux soeurs jumelles qui paraissent si réelles et on se dit que cette histoire a déjà dû exister de par le monde. Il suffit de voir les faits divers dramatiques du quotidien. Par ailleurs, les thèmes abordés sont vastes et finement élaborés, il est question de l'enfance, de l'amour fraternel, du rejet parental avec toutes les frustrations qui en découlent... les choses de la vie en somme. Ce n'est pas un énième récit larmoyant, cela va plus loin et les auteurs évitent la caricature qu'on peut parfois rencontrer dans le style "drame social". Coup de cœur pour moi car la fin possède une belle force émotionnelle.
Maus
J'ai rarement été aussi pris par une bd. J'ai lu l'intégrale sans m'arrêter. Ce qui fait véritablement la force de ce récit, outre le fait que ce soit une histoire vraie, c'est la dualité entre l'époque "actuelle" et les récits de la guerre et des camps. C'est cela qui nous fait entrer dans la réalité de la chose et non comme une vague histoire racontée. Les personnages paraissent réels car ils le sont et cela donne un impact rarement atteint dans une bd. De plus, les personnages sont dépeints avec leurs défauts et leurs qualités. Rien ne semble avoir été ommis et l'auteur s'écorche lui-même en se montrant s'énervant ou déprimé. Ca ne fait que renforcer cette sensation de "retranscription" plutôt que de récit qui donne sa force à l'oeuvre. Je ne mets pas de coup de coeur, car je ne peux décemment pas avoir de coup de coeur pour une histoire à propos du massacre de millions d'innocents. Mais cette oeuvre est définitivement culte et mérite assurément d'être lue par tout un chacun. Et elle devrait, selon moi, également trouver sa place dans l'éducation, aux côtés du Journal d'Anne Frank (l'original, pas la BD de Soleil...).
Les Amants d'Hérouville - Une histoire vraie
Comme l'a dit le posteur précédent, Delcourt publie un roman graphique qui sera sans nul doute un des albums de l'année. Ce livre évoque le destin tragique de Michel Magne musicien prolifique des années 60-70, souvent novateur dans son travail et parfois génie incompris. Je dois bien dire que je connaissais mal Michel Magne ; de lui, je connaissais surtout ses compositions des musiques de films pour Jean Yanne, ou encore celle des tontons flingueurs. Cela n'est qu'une infime partie de son œuvre car il a fait d'innombrables choses dans des domaines assez variés (il suffit de voir à la fin du livre le nombre de ses œuvres et de ses collaborations). Les auteurs Yann Le Quellec au scénario et Romain Ronzeau au dessin s'intéressent surtout à l'histoire du château d'Hérouville qui servit de salle d'enregistrement à des groupes aussi mythiques que Canned Heat, Magma, T Rex ou encore à des chanteurs solo comme David Bowie ou Eddy Mitchell. Le château, acheté par Michel Magne en 1962, d'abord destiné à des événements festifs devient réellement un grand studio d'enregistrement en 1969 après l'incendie qu'il a connu. Les auteurs montrent toute la démesure de Michel Magne qui dépense sans compter achetant les meilleures bouteilles pour ses convives et qui se retrouve vite en difficulté financière ainsi que sa relation tumultueuse avec sa compagne Marie-Claude beaucoup plus jeune que lui. L'album est comme constitué de chapitres entrecoupés par des entractes biographiques évoquant la vie et la carrière de Magne avant 1969 où alternent des pages illustrées quasi en roman-photo et des illustrations de l'auteur. Cela a parfois tendance à alourdir la narration. Le trait de Ronzeau est assez intéressant et traduit bien le côté bouillonnant de la vie qui se déroule au Château (qui fut -Magne ne cessant de le rappeler-un endroit que fréquentèrent Chopin et Sand). Le château est donc un élément essentiel de l'histoire ; l'on y croise un certain nombre de groupes et de pop-stars de l'époque. Il faut quand même avoir une bonne connaissance de ces années et cela fera quand même plus d'effets à un nostalgique des années 70. Le concert des Grateful Dead au château est un morceau d'anthologie, avec -histoire vraie- des policiers chargés de la sécurité sous LSD. La relation de couple entre Michel Magne et Marie-Claude sert aussi de fil narratif. Les auteurs ont d'ailleurs eu les confidences de Marie-Claude, comme nous pouvons le voir à la fin de l'ouvrage. Elle montre le côté sombre de Michel Magne car comme souvent les histoires d'amour finissent mal. On apprend donc beaucoup sur cette époque et sur ce compositeur un peu oublié et cela vaut clairement l'achat pour des passionnés d'une période beaucoup plus insouciante que celle d'aujourd'hui.
Sur un air de Fado
Très bonne BD : à recommander. J'avais lu le roman Pereira prétend , et c'est à peu prêt la seule connaissance que j'avais de la période Salazar au Portugal. Je vis par ailleurs dans un petit village où quelques immigrés portugais, anciens ouvriers de la carrière, prennent parfois le soleil sur un banc. Ces deux approches me donnaient un point de vue tragique et mystérieux sur le Portugal de cette époque, et pas forcément adapté à la lecture insouciante d'un beau dimanche de printemps. Pourtant "Sur un air de fado" réussit à marier un coté documentaire historique avec une vraie histoire touchante. Le caractère du héros, le docteur Pais, désinvolte et ironique, rappelle Nestor Burma par ses tendances volages et sa manière aujourd'hui un peu surannée d'allumer une cigarette pour se donner une contenance. (Je vois que Barral a d'ailleurs adapté des Burma "dans l'esprit de Tardi") L'ironie se mélange à la gravité des situations qui le poussent au delà de ses fragiles convictions. La beauté des visages et des paysages, l'espièglerie des mioches, le sordide de la police lazariste, la naïveté des militants démocrates, une fratrie dissymétrique, un ami écrivain et homosexuel... Tous ces ingrédients concourent à la description nuancée, sans pathos, mais avec humanité de la vie sous une dictature arbitraire. Le personnage principal est très bien campé et toute la constellation des liens qu'il entretient avec les autres personnages est abordée par petites touches, avec au besoin, quelques flash-back. Les amours du docteur et ses engagements se créent un chemin entre la pression policière, sa famillle et ses amis. Les dialogues sont très justes. Contrairement à Pereira prétend, nous ne sommes pas dans la tête du héros, nous voyons ses actes, nous entendons sa voix, et le reste : à nous de l'imaginer. Et par dessus tout le dessin et la couleur sont extrêmement séduisants. La lumière du sud nous laisse imaginer le vent du large. Le trait parfois très gras autour des personnages devient très fin dans les paysages, les rues, les trottoirs pavés, les azuléjos, les dégagements vers l'océan. Bref, c'est un souffle d'humanité et de dépaysement.