Comme d’autres avant moi, je n’ai jamais lu le roman ni vu son adaptation filmique. Le nom du personnage éponyme m’évoquait vaguement quelque chose sans trop savoir de quoi il en retournait. Mais il n’y a pas besoin de s’être déjà immergé dans le bouquin ou le film pour apprécier cette suite non officielle, c’est exactement le même principe que sur Long John Silver avec une histoire qui prend pour point de départ un « et si... ». En l’occurrence ici, et si le tueur Zaroff avait survécu au piège tendu par sa proie Sanger Rainsford, que serait-il advenu de lui ?
Eh bien visiblement il a toujours ses mauvaises habitudes. Nouveau terrain de chasse, de nouveaux sbires, mais la passion de la chasse à l’homme est toujours là (enfin disons qu'il a besoin d'un stimuli mais comme Rocky Balboa dans le 6ème film, la bête "est toujours là, au fond"). C’est donc sur sa nouvelle île, à la géographie totalement fantastique mais j’y reviendrai, que le comte s’adonne au plaisir sadique de traquer et buter des proies humaines qui ont eu le malheur de s’aventurer trop prêt de son île sauvage. Pour éviter la redite, le scénariste Sylvain Runberg apporte un élément rocambolesque à cette suite : cette fois-ci le chasseur devient la proie, devra survivre et triompher de ses adversaires (je vous épargne le spoiler du pourquoi du comment). C’est plutôt marrant car j’imagine que dans le média de base il est plutôt perçu comme le méchant, bien que le personnage fascine déjà à ce moment là. Mais cette fois on le suit de prêt, on vit les évènements de son point de vu, et sans aller jusqu’à dire qu’on éprouve de la sympathie pour lui, on est amené à mieux comprendre ce qui le motive, sa nature profonde. Tous sont des pourris dans cette histoire, à l’exception de la famille de Zaroff, car oui, le diable a une sœur et des nièces, et il a même des principes ! On ne touche pas aux siens. Il me fait penser à ces génocidaires, certains tueurs en séries qui démontrent qu’on peut être la pire des raclures, l’homme est un loup pour l’homme, et en même temps avoir une facette d’homme cultivé, très courtois, qui présente bien etc. Donc voilà, le récit fait son taf niveau divertissement et en plus ce n’est pas dénué de fond, je me suis bien marré.
Graphiquement je savais à quoi m’attendre avec Miville-Deschênes qui est au sommet de son art ici. Je crois que pour lui aussi cette aventure représente un superbe terrain de jeu, lui qui adore dessiner des animaux, il s’en donne à cœur joie avec toute cette faune sauvage. L’île du comte Zaroff serait inspiré de l’île de King Kong que ça ne m’étonnerait pas. C’est un jungle luxuriante avec tout un tas de bestioles, mais à la géographie improbable : ça monte, ça descend, il y a des chutes d’eau, des ravins, des crevasses de plusieurs centaines de mètres, des marais de crocodiles, des grottes souterraines, une plage, etc. Un vrai décor fantastique propice à l’aventure et au suspens car du coup ce n’est pas seulement de l’homme dont il faut se méfier. J’apprécie beaucoup le style de ce québécois, au trait bien rond, net et semi-réaliste. De même que sa coloration, pour moi le plus impressionnant chez lui, un vrai travail d’artistes, c’est beau quoi, il joue subtilement avec sa palette, c’est du old school au pinceau et cela se voit.
Une bien bel objet à exposer dans sa bibliothèque tel un trophée de chasse. Un scénario honnête et plutôt bien torché, servi par un dessin sublime et dynamique, que demander de plus ?
Comme certains, je n'ai pas attendu la sortie de l'album en couleur pour me procurer la version n&b, tant je suis fan du dessin en n&b très épuré de Brüno. (je possède d'ailleurs l'ensemble de ses albums en n&b)
Ce livre s'ouvre sur la célèbre réplique de "L'homme qui tua Liberty Valance" de John Ford "quand la légende devient réalité, on imprime la légende", ce qui sied parfaitement à cette histoire.
Le scénario se base sur l'histoire de Chris Kyle (qui avait déjà fait l'objet d'un film "American sniper" de Clint Eastwood) mais surtout va beaucoup plus loin que le film, à travers notamment le portrait d'Eddie Ray Routh, le meurtrier.
En suivant ces deux personnages, Chris Kyle et Eddie Ray Routh, Fabien Nury nous dresse un portrait sans concession des États-Unis, empreints de nationalisme, de suprématie blanche, mais aussi et surtout très attachés aux armes à feu, et au business (le destin de la veuve de Chris Kyle est d'ailleurs à ce point remarquable).
Bien sûr cet album relève beaucoup plus du reportage dessiné que d'une aventure classique dont nous avaient habitués Nury et Brüno. D'ailleurs, il n'y a pas de dialogue ici (Fabien Nury s'en explique d'ailleurs dans le très bon dossier présent à la fin de l'album). Avec un découpage assez original, les auteurs utilisent les clip vidéo, les interviews TV données par les différents protagonistes pour nous livrer leur version de l'histoire. Certes on peut regretter un peu trop de copié/collé niveau dessin, mais sur la pagination (152 pages) cela passe. Graphiquement, le travail de Brüno est parfait, et je me contenterai uniquement de la version noir et blanc tant elle est parfaite à mes yeux.
Pour ceux qui s'attendaient à une aventure type Tyler Cross, jetez-y un coup d’œil tout de même, cela vaut le coup d’œil.
En tout cas , j'ai bien aimé cet album à la fois déconcertant sur la forme mais passionnant sur le fond.
Avant de noter ce Mahabharata 5 étoiles, je me suis posé la question de savoir ce qu’est une BD culte.
Une BD culte ce peut être une BD qui révolutionne un genre et qui marque son époque. Ce n’est peut-être pas le cas ici. Mais une BD culte c’est aussi une BD qui vous reste dans la tête longtemps après sa lecture. Une BD qu’on prend plaisir à rouvrir. Pas toujours pour la relire intégralement (cette BD fait quand même 440 pages) mais pour relire des passages, pour admirer certaines planches, certaines cases.
Car le dessin de Jean-Marie Michaud est ici excellent, avec une belle construction de planches très dynamiques et variées et, de temps à autre, de superbes planches en pleine page.
Le dessin est réalisé en couleurs directes sur du papier kraft et les planches laissent apparaître cette texture du kraft par endroits au gré des planches. Le Mahabharata est un livre dont le narrateur est également personnage et géniteur de la famille de rois et de héros qui vont s’affronter sous le regard des Dieux du panthéon indien (sous leurs regards mais aussi manipulés par Krishna...)
Le fait de faire apparaître dans les planches la texture du papier n’est donc, je pense, pas innocent et illustre les liens étroits entre le livre / la réalité, le narrateur / le géniteur / le personnage... je trouve que c’est vraiment très bien vu !
Avant ma lecture je ne connaissais rien du Mahabharata et je n’avais pas lu non plus le livre de Jean-Claude Carrière, dont la BD est adaptée. Je ne sais donc pas à quel point cette adaptation est fidèle (que ce soit au livre de Carrière ou à l’immense fresque indienne). Pour son Mahabharata, Carrière voulait rendre accessible la trame narrative principale en faisant abstraction de nombreuses trames secondaires. L’adaptation en BD de Jean-Marie Michaud est effectivement très fluide et réussit à rendre accessible une partie de cette mythologie.
Dans les premières planches, l’auteur parvient à faire passer avec humour une présentation des nombreux personnages qui aurait pu être rébarbative. Et après cette présentation, nous voilà embarqués dans une grande fresque mythologique, d’une mythologie que je ne connaissais pas... et personnellement, je n’ai pas lâché le bouquin jusqu’à la dernière page.
Comme Ro, j’ai noté les anachronismes. J’ai particulièrement apprécié cette partition de Jean-Sebastien Bach, au chevet d’un Krishna endormi... tout cela donne une dimension intemporelle à l’histoire...
Lecture vivement conseillée à tout amateur de mythologie, de grandes épopées, de culture indienne, ...
En fait je conseillerais même à tout amateur de BD !
Difficile d’évaluer une série démarrée il y a près de 60 ans, qui a connu 4 dessinateurs. Forcément on y trouve du bon et du moins bon, et la qualité des histoires peut varier selon les époques. Je me souviens ne pas avoir été enthousiasmé par les premières histoires d’Attanasio sur ce duo composé d’un colonel français et d’un Écossais amateur invétéré de whisky. J’ai même complètement arrêté la lecture de cette série lorsqu’elle fut reprise par l’assistant de Vance, Coria, tant son dessin était figé et les histoires lénifiantes.
Je me suis donc concentré sur les aventures de Bob Morane de la période William Vance, et j’ai été plutôt agréablement surpris.
D’abord par la qualité des histoires. Bob Morane c’est de l’aventure pure, et il ne faut donc rien attendre que du divertissement pur. Les héros vivent tantôt des aventures à une époque contemporaine et certains récits sont de vraies réussites ( « Panne sèche à Serado », « les 7 croix de plomb »), mais aussi des aventures qui les conduisent au moyen âge ou dans un futur apocalyptique ( « Les sortilèges de l’ombre jaune », « Les géants de Mu ») qui sont peut-être moins convaincantes pour moi, même s’il existe de belles réussites ( « Le temple des Dinosaures » , « La prisonnière de l’ombre jaune »).
Comme dans Blake et Mortimer ou Lefranc, on retrouve des méchants récurrents dont le célèbre « Ombre jaune ». Les personnages féminins sont également bien présentes, qu’elles soient du bon ou du mauvais côté, et autant dire que Vance, contrairement à Hermann, sait les dessiner. Entre 1969 et 1980, Vance a dessiné près de 18 histoires à un rythme de 2 histoires par an. Son style s’affirme progressivement, et c’est lors des deux derniers épisodes que Vance commence à atteindre sa maturité graphique avec « L’empreinte du crapaud » et « L’empereur de Macao » qui sont deux vraies réussites tant graphiquement qu’au niveau du scénario. Vance sort de ces planches aux multiples cases qui semblent être le seul échappatoire au format des récits en 44 planches. Il s’oriente vers un découpage plus cinématographique, avec des gros plans notamment, et dynamite les vieilles conventions de l’après-guerre. Il est également assisté par son épouse Petra qui amène un vrai plus au niveau des couleurs car il faut bien avouer que les premières mises en couleur sont vraiment catastrophiques.
C’est pourtant à ce moment que Vance abandonnera la série pour se lancer dans les séries qui l’ont rendu célèbre. C’est bien dommage. Les scénarios de Vernes tiennent plutôt la route en règle générale. A noter que « l’empereur de Macao » est écrit par Vance lui-même, et force est de reconnaître qu’il n’est pas maladroit dans cet exercice puisque l’album est peut être un des meilleurs qu’il ait dessiné. Je pense qu’il faut donc se replonger dans cette série pendant cette période, et l’on comprendra ainsi bien pourquoi celle-ci a eu les honneurs d’une chanson désormais fameuse du groupe « Indochine ».
A la base, ce sont le titre et le dessin qui ont attiré mon regard. Au final, je ne suis pas déçu de ma lecture.
Par ses propos, le livre invite à une réflexion interrogeant la place de l’homme sur la planète Terre et les dommages qu’il lui fait subir. En se projetant 500 000 ans dans le futur, les auteurs veulent prendre de la distance temporelle pour mieux cerner l’humain aujourd’hui. Est-on indispensable ? Si on redémarre l’humanité de zéro, est-ce qu’on ne répétera pas les erreurs du passé ? L’homme peut-il changer ? être meilleur ? Cette bd donne une vision de ce que tout cela pourrait être. Ce n’est pas franchement joyeux mais le parti pris reste cohérent dans son développement. Il y a quand même une lueur d’espoir en guise de conclusion (volontairement ouverte). Côté graphisme, j’aime les traits épurés et le choix réduit des tonalités de couleurs. Cela donne une ambiance particulièrement en adéquation avec les propos tenus.
A découvrir (si ce n’est déjà fait !).
Que d'originalités, cette bd est incomparable.
Tout commence par la couverture trouée pour simuler une paire de jumelles et ça continue avec la page de gauche qui décrit le moment et l'endroit de l'action et la page de droite montre ce que voit le personnage principal au même instant.
De la naissance à la mort, un instant de vie est photographié chaque année. Ce rythme annuel avec l'indication du lieu cadence la vie de notre personnage et l'auteur nous accroche avec des moments clés qui composent une vie.
Les moments les plus forts occupent plusieurs pages pour les marquer.
Une vie partagée par deux passions de l'infiniment grand à l'infiniment petit et le temps qui passe inexorablement, traversée par des naissances, des deuils, des rencontres et des séparations.
Un auteur qui fait passer beaucoup d'émotions avec un dessin très minimaliste et peu de couleurs employées mais des détails justes qui donnent presque la parole à certains dessins.
Le temps de lecture passe un peu trop vite à mon goût, comme la vie peut être.
Merci à l'auteur d'avoir osé un style narratif différent, quelle belle surprise.
Biribi ! Ce nom fait froid dans le dos. Ce sont les compagnies de discipline et d’établissements pénitentiaires qui étaient stationnés en Afrique du Nord, alors colonie française, et destinés à recevoir les militaires réfractaires ou indisciplinés de l’armée française. Dans ces bagnes, les soldats effectuaient des travaux de force soumis à un régime très dur.
Sylvain Ricard, le scénariste s’est documenté pour rendre cette première "grande évasion" authentique.
L’histoire se déroule au Maroc à Dar Bel Hamrit. Notre héros, Ange Lucciani condamné pour insubordination, effronterie, refus d’obéissance et tentative d’évasion - quel palmarès ! – découvre sa « nouvelle maison » et ses « colocataires ».
Il n’a qu’une envie. S’enfuir loin de ce cloaque où la torture, les brimades physiques et les humiliations sont le quotidien des prisonniers. L’univers des condamnés est terrifiant.
Le tatouage, théoriquement interdit, est un affront pour les gardiens. Vaincu, mais non dompté ! Malgré les traitements cruels infligés à Ange Lucciani, celui-ci est coriace et endure les brimades.
Une histoire exaltante soulignée par le graphisme d’Olivier Thomas au point que j'ai fait l’acquisition d’une planche originale il y a quelques années. Je recommande vivement cet album.
Biribi a perduré jusqu’à la décolonisation, même si son déclin est entamé dès les années 1930. Un pan de notre histoire pas très joli.
3 tomes, 3 dessinateurs, 3 époques, 3 ambiances, 3 mises en abyme...
Ca fait longtemps que j'avais repéré cette série, je ne saurais même pas trop dire pourquoi car je ne savais pas vraiment de quoi il était question. Sans doute que les couvertures, le dessin et le pitch avaient suscité ma curiosité. J'ai enfin eu l'occasion de lire ces 3 tomes, chose faite d'une traite tellement je suis rentré à fond dans ces récits.
Cette mise en abyme est un exercice de style qui ici prend la forme d'un mélange entre l'auteur et son oeuvre, et celle-ci lui échappe et le dépasse. Quand le roman raconte la vie de l'écrivain, alors que ce n'est pas lui qui tient la plume, quand la vie du réalisateur prend forme à l'écran alors que ce n'est pas lui qui tient la caméra, et que cela révèle des parts d'ombres de leur existence.
Exercice de style parfaitement maîtrisé par Valérie Mangin. Le premier tome met donc en scène un Balzac totalement dépassé par les événements. Cette histoire est à la fois une fiction, mais à la fois remplie de détails réels de la vie du romancier. J'adore quand une histoire sème le trouble entre la réalité et la fiction : qu'est ce qui est vrai ? qu'est ce qui est inventé pour les besoins du récit ? Je trouve qu'ici c'est très efficace, on se prend au jeu, et c'est assez amusant de voir Balzac perdre ses nerfs à essayer de démasquer celui qui cherche à lui nuire.
Le deuxième tome reprend le même procédé avec le réalisateur Clouzot. La mécanique est donc la même, l'effet de surprise en moins. Je comprends qu'on puisse trouver ça un peu répétitif. J'ai moi aussi trouvé ce second tome moins bien que le premier.
Quant au troisième tome, celui-ci met en abyme... la scénariste elle même, et son conjoint... qui est le dessinateur de l'album ! Mais quelle idée ! C'est audacieux et complètement fou même. Il fallait oser, moi je suis séduit par l'idée. Cette histoire raconte donc une grande partie de leur vie personnelle. Là aussi qu'est ce qui est vrai, qu'est ce qui est romancé pour les besoins de l'intrigue ? Je pense qu'une très grande partie des anecdotes est authentique. Du coup ce 3e tome dévoile une grande partie de leur intimité, parfois sans pudeur sur leurs sentiments. C'est osé, parfois presque gênant.
Et à coté de cet aspect intimiste, ce qui est amusant c'est que ce tome regorge de clins d’œil au monde de la BD. On y croise des auteurs, des éditeurs, on nous livre des anecdotes, des secrets de fabrication, on se ballade dans les allées du salon d'Angoulême... Peut être que ça ne parlera pas au grand public, mais pour un grand amateur de BD, je trouve tous ces clins d’œil extrêmement sympas et ils m'ont beaucoup fait sourire.
Quant au final, sans doute assez clivant, moi il m'a beaucoup plu. Je préfère largement cette fin à un truc plan-plan et quelconque. Là encore il y a un clin d’œil qui m'a vraiment parlé, à UW1 en l’occurrence. J'ai vraiment adhéré.
Au premier abord, cette série raconte 3 histoires distinctes, liées simplement par un même exercice de style. Alors qu'en fin de compte l'ensemble forme un tout cohérent uni par un fil conducteur logique qui nous est révélé à travers la vie de la scénariste et des anecdotes sur la série elle même. Anecdotes qui sont racontées au sein même du 3e tome de la série. Tordu ? Non fichtrement malin et bien vu.
J'ai vraiment accroché avec le dessin de Prudhomme avec cette BD précisément. Encore aujourd'hui, je l'ouvre régulièrement, et je suis sidéré à chaque fois par le talent de l'auteur pour capter des mouvements. Très proche du cinéma pour ce qui concerne le découpage et les angles de vue (ce qui est valable selon moi pour la bande-dessinée en général, mais particulièrement vrai pour Rébétiko), chaque case est un arrêt sur image qui parvient à capter un geste, un élan, une intention, un regard, une expression.
Outre le fait que Rébétiko a fait parvenir à mes oreilles une musique dont j'ignorais jusqu'à l’existence même, j'ai vraiment aimé partager cette journée (la BD se déroule sur 24H) avec cette joyeuse bande d'anarchistes qui ne disent pas leur nom. Ils emmerdent le pouvoir à leur manière : en maintenant leur art vivant. En vivant, tout simplement, appliquant en cela les précieux conseils d'un certain Baudelaire qui écrivait :
"Enivrez-vous. Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous. Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l'oiseau, l'horloge vous répondront il est l'heure de s'enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse, de vin, de poésie, de vertu, à votre guise."
Alors c'est ce que s'appliquent à faire les "rébètes", et c'est un peu ce que l'on fait soi-même en déambulant avec eux jusqu'au petit matin. En guise de fin, Prudhomme nous offre une scène de toute beauté au cours de laquelle les protagonistes traversent un bras de mer (ou descendent un fleuve, on ne sait pas mais qu'importe), accompagnés par le jour qui point peu à peu. Cette scène me renvoie à mes jeunes années de beuverie où encore saouls, nous regardions le soleil passer l'horizon, l'atmosphère nous grisant davantage de sa douce quiétude et nous conférant le sentiment d'avoir vaincu la nuit. Le sentiment d'être immortels.
J’ai découvert cette BD il y a peu et le moins qu’on puisse dire est qu’elle prend une dimension particulière dans le contexte actuel de pandémie et de confinement.
Cette œuvre inachevée de Pagnol a pu être terminée grâce au fait que celui-ci avait raconté la fin à sa femme et c’est grâce à Nicolas Pagnol, petit-fils de Marcel, que la BD a pu être réalisée.
La trame de l’histoire se base sur un fait réel : l’épidémie de peste qui sévit à Marseille en 1720 et qui eut des conséquences dramatiques. On y suit les habitants d’un quartier isolé qui tentent de survivre au fléau contre lequel il n’existait aucun remède à l’époque.
On y retrouve bien sûr le style de Pagnol avec sa truculence, son anticléricalisme et ses personnages hauts en couleur mais le propos est assez différent de ses autres œuvres car il s’agit ici d’un drame basé sur des événements qui se sont réellement passés et où l’on côtoie sans cesse la mort, ce qui n’empêche pas des touches d’humour à certains moments.
L’intrigue est extrêmement bien construite, les motivations de chacun sont très plausibles et les rebondissements nombreux jusqu’à un final inattendu.
Vous l’aurez compris : cette BD est un chef d’œuvre qui montre ce qu’était une épidémie au début du XVIIIème siècle. Lecture à conseiller à tous - sauf aux âmes sensibles et stressées par la pandémie actuelle, qui, même si elle est sévère et dramatique pour beaucoup, n’est en rien comparable avec ce qui pouvait se passer à une époque où la médecine était encore embryonnaire.
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Zaroff
Comme d’autres avant moi, je n’ai jamais lu le roman ni vu son adaptation filmique. Le nom du personnage éponyme m’évoquait vaguement quelque chose sans trop savoir de quoi il en retournait. Mais il n’y a pas besoin de s’être déjà immergé dans le bouquin ou le film pour apprécier cette suite non officielle, c’est exactement le même principe que sur Long John Silver avec une histoire qui prend pour point de départ un « et si... ». En l’occurrence ici, et si le tueur Zaroff avait survécu au piège tendu par sa proie Sanger Rainsford, que serait-il advenu de lui ? Eh bien visiblement il a toujours ses mauvaises habitudes. Nouveau terrain de chasse, de nouveaux sbires, mais la passion de la chasse à l’homme est toujours là (enfin disons qu'il a besoin d'un stimuli mais comme Rocky Balboa dans le 6ème film, la bête "est toujours là, au fond"). C’est donc sur sa nouvelle île, à la géographie totalement fantastique mais j’y reviendrai, que le comte s’adonne au plaisir sadique de traquer et buter des proies humaines qui ont eu le malheur de s’aventurer trop prêt de son île sauvage. Pour éviter la redite, le scénariste Sylvain Runberg apporte un élément rocambolesque à cette suite : cette fois-ci le chasseur devient la proie, devra survivre et triompher de ses adversaires (je vous épargne le spoiler du pourquoi du comment). C’est plutôt marrant car j’imagine que dans le média de base il est plutôt perçu comme le méchant, bien que le personnage fascine déjà à ce moment là. Mais cette fois on le suit de prêt, on vit les évènements de son point de vu, et sans aller jusqu’à dire qu’on éprouve de la sympathie pour lui, on est amené à mieux comprendre ce qui le motive, sa nature profonde. Tous sont des pourris dans cette histoire, à l’exception de la famille de Zaroff, car oui, le diable a une sœur et des nièces, et il a même des principes ! On ne touche pas aux siens. Il me fait penser à ces génocidaires, certains tueurs en séries qui démontrent qu’on peut être la pire des raclures, l’homme est un loup pour l’homme, et en même temps avoir une facette d’homme cultivé, très courtois, qui présente bien etc. Donc voilà, le récit fait son taf niveau divertissement et en plus ce n’est pas dénué de fond, je me suis bien marré. Graphiquement je savais à quoi m’attendre avec Miville-Deschênes qui est au sommet de son art ici. Je crois que pour lui aussi cette aventure représente un superbe terrain de jeu, lui qui adore dessiner des animaux, il s’en donne à cœur joie avec toute cette faune sauvage. L’île du comte Zaroff serait inspiré de l’île de King Kong que ça ne m’étonnerait pas. C’est un jungle luxuriante avec tout un tas de bestioles, mais à la géographie improbable : ça monte, ça descend, il y a des chutes d’eau, des ravins, des crevasses de plusieurs centaines de mètres, des marais de crocodiles, des grottes souterraines, une plage, etc. Un vrai décor fantastique propice à l’aventure et au suspens car du coup ce n’est pas seulement de l’homme dont il faut se méfier. J’apprécie beaucoup le style de ce québécois, au trait bien rond, net et semi-réaliste. De même que sa coloration, pour moi le plus impressionnant chez lui, un vrai travail d’artistes, c’est beau quoi, il joue subtilement avec sa palette, c’est du old school au pinceau et cela se voit. Une bien bel objet à exposer dans sa bibliothèque tel un trophée de chasse. Un scénario honnête et plutôt bien torché, servi par un dessin sublime et dynamique, que demander de plus ?
L'Homme qui tua Chris Kyle
Comme certains, je n'ai pas attendu la sortie de l'album en couleur pour me procurer la version n&b, tant je suis fan du dessin en n&b très épuré de Brüno. (je possède d'ailleurs l'ensemble de ses albums en n&b) Ce livre s'ouvre sur la célèbre réplique de "L'homme qui tua Liberty Valance" de John Ford "quand la légende devient réalité, on imprime la légende", ce qui sied parfaitement à cette histoire. Le scénario se base sur l'histoire de Chris Kyle (qui avait déjà fait l'objet d'un film "American sniper" de Clint Eastwood) mais surtout va beaucoup plus loin que le film, à travers notamment le portrait d'Eddie Ray Routh, le meurtrier. En suivant ces deux personnages, Chris Kyle et Eddie Ray Routh, Fabien Nury nous dresse un portrait sans concession des États-Unis, empreints de nationalisme, de suprématie blanche, mais aussi et surtout très attachés aux armes à feu, et au business (le destin de la veuve de Chris Kyle est d'ailleurs à ce point remarquable). Bien sûr cet album relève beaucoup plus du reportage dessiné que d'une aventure classique dont nous avaient habitués Nury et Brüno. D'ailleurs, il n'y a pas de dialogue ici (Fabien Nury s'en explique d'ailleurs dans le très bon dossier présent à la fin de l'album). Avec un découpage assez original, les auteurs utilisent les clip vidéo, les interviews TV données par les différents protagonistes pour nous livrer leur version de l'histoire. Certes on peut regretter un peu trop de copié/collé niveau dessin, mais sur la pagination (152 pages) cela passe. Graphiquement, le travail de Brüno est parfait, et je me contenterai uniquement de la version noir et blanc tant elle est parfaite à mes yeux. Pour ceux qui s'attendaient à une aventure type Tyler Cross, jetez-y un coup d’œil tout de même, cela vaut le coup d’œil. En tout cas , j'ai bien aimé cet album à la fois déconcertant sur la forme mais passionnant sur le fond.
Le Mahâbhârata
Avant de noter ce Mahabharata 5 étoiles, je me suis posé la question de savoir ce qu’est une BD culte. Une BD culte ce peut être une BD qui révolutionne un genre et qui marque son époque. Ce n’est peut-être pas le cas ici. Mais une BD culte c’est aussi une BD qui vous reste dans la tête longtemps après sa lecture. Une BD qu’on prend plaisir à rouvrir. Pas toujours pour la relire intégralement (cette BD fait quand même 440 pages) mais pour relire des passages, pour admirer certaines planches, certaines cases. Car le dessin de Jean-Marie Michaud est ici excellent, avec une belle construction de planches très dynamiques et variées et, de temps à autre, de superbes planches en pleine page. Le dessin est réalisé en couleurs directes sur du papier kraft et les planches laissent apparaître cette texture du kraft par endroits au gré des planches. Le Mahabharata est un livre dont le narrateur est également personnage et géniteur de la famille de rois et de héros qui vont s’affronter sous le regard des Dieux du panthéon indien (sous leurs regards mais aussi manipulés par Krishna...) Le fait de faire apparaître dans les planches la texture du papier n’est donc, je pense, pas innocent et illustre les liens étroits entre le livre / la réalité, le narrateur / le géniteur / le personnage... je trouve que c’est vraiment très bien vu ! Avant ma lecture je ne connaissais rien du Mahabharata et je n’avais pas lu non plus le livre de Jean-Claude Carrière, dont la BD est adaptée. Je ne sais donc pas à quel point cette adaptation est fidèle (que ce soit au livre de Carrière ou à l’immense fresque indienne). Pour son Mahabharata, Carrière voulait rendre accessible la trame narrative principale en faisant abstraction de nombreuses trames secondaires. L’adaptation en BD de Jean-Marie Michaud est effectivement très fluide et réussit à rendre accessible une partie de cette mythologie. Dans les premières planches, l’auteur parvient à faire passer avec humour une présentation des nombreux personnages qui aurait pu être rébarbative. Et après cette présentation, nous voilà embarqués dans une grande fresque mythologique, d’une mythologie que je ne connaissais pas... et personnellement, je n’ai pas lâché le bouquin jusqu’à la dernière page. Comme Ro, j’ai noté les anachronismes. J’ai particulièrement apprécié cette partition de Jean-Sebastien Bach, au chevet d’un Krishna endormi... tout cela donne une dimension intemporelle à l’histoire... Lecture vivement conseillée à tout amateur de mythologie, de grandes épopées, de culture indienne, ... En fait je conseillerais même à tout amateur de BD !
Bob Morane
Difficile d’évaluer une série démarrée il y a près de 60 ans, qui a connu 4 dessinateurs. Forcément on y trouve du bon et du moins bon, et la qualité des histoires peut varier selon les époques. Je me souviens ne pas avoir été enthousiasmé par les premières histoires d’Attanasio sur ce duo composé d’un colonel français et d’un Écossais amateur invétéré de whisky. J’ai même complètement arrêté la lecture de cette série lorsqu’elle fut reprise par l’assistant de Vance, Coria, tant son dessin était figé et les histoires lénifiantes. Je me suis donc concentré sur les aventures de Bob Morane de la période William Vance, et j’ai été plutôt agréablement surpris. D’abord par la qualité des histoires. Bob Morane c’est de l’aventure pure, et il ne faut donc rien attendre que du divertissement pur. Les héros vivent tantôt des aventures à une époque contemporaine et certains récits sont de vraies réussites ( « Panne sèche à Serado », « les 7 croix de plomb »), mais aussi des aventures qui les conduisent au moyen âge ou dans un futur apocalyptique ( « Les sortilèges de l’ombre jaune », « Les géants de Mu ») qui sont peut-être moins convaincantes pour moi, même s’il existe de belles réussites ( « Le temple des Dinosaures » , « La prisonnière de l’ombre jaune »). Comme dans Blake et Mortimer ou Lefranc, on retrouve des méchants récurrents dont le célèbre « Ombre jaune ». Les personnages féminins sont également bien présentes, qu’elles soient du bon ou du mauvais côté, et autant dire que Vance, contrairement à Hermann, sait les dessiner. Entre 1969 et 1980, Vance a dessiné près de 18 histoires à un rythme de 2 histoires par an. Son style s’affirme progressivement, et c’est lors des deux derniers épisodes que Vance commence à atteindre sa maturité graphique avec « L’empreinte du crapaud » et « L’empereur de Macao » qui sont deux vraies réussites tant graphiquement qu’au niveau du scénario. Vance sort de ces planches aux multiples cases qui semblent être le seul échappatoire au format des récits en 44 planches. Il s’oriente vers un découpage plus cinématographique, avec des gros plans notamment, et dynamite les vieilles conventions de l’après-guerre. Il est également assisté par son épouse Petra qui amène un vrai plus au niveau des couleurs car il faut bien avouer que les premières mises en couleur sont vraiment catastrophiques. C’est pourtant à ce moment que Vance abandonnera la série pour se lancer dans les séries qui l’ont rendu célèbre. C’est bien dommage. Les scénarios de Vernes tiennent plutôt la route en règle générale. A noter que « l’empereur de Macao » est écrit par Vance lui-même, et force est de reconnaître qu’il n’est pas maladroit dans cet exercice puisque l’album est peut être un des meilleurs qu’il ait dessiné. Je pense qu’il faut donc se replonger dans cette série pendant cette période, et l’on comprendra ainsi bien pourquoi celle-ci a eu les honneurs d’une chanson désormais fameuse du groupe « Indochine ».
L'Humain
A la base, ce sont le titre et le dessin qui ont attiré mon regard. Au final, je ne suis pas déçu de ma lecture. Par ses propos, le livre invite à une réflexion interrogeant la place de l’homme sur la planète Terre et les dommages qu’il lui fait subir. En se projetant 500 000 ans dans le futur, les auteurs veulent prendre de la distance temporelle pour mieux cerner l’humain aujourd’hui. Est-on indispensable ? Si on redémarre l’humanité de zéro, est-ce qu’on ne répétera pas les erreurs du passé ? L’homme peut-il changer ? être meilleur ? Cette bd donne une vision de ce que tout cela pourrait être. Ce n’est pas franchement joyeux mais le parti pris reste cohérent dans son développement. Il y a quand même une lueur d’espoir en guise de conclusion (volontairement ouverte). Côté graphisme, j’aime les traits épurés et le choix réduit des tonalités de couleurs. Cela donne une ambiance particulièrement en adéquation avec les propos tenus. A découvrir (si ce n’est déjà fait !).
A travers
Que d'originalités, cette bd est incomparable. Tout commence par la couverture trouée pour simuler une paire de jumelles et ça continue avec la page de gauche qui décrit le moment et l'endroit de l'action et la page de droite montre ce que voit le personnage principal au même instant. De la naissance à la mort, un instant de vie est photographié chaque année. Ce rythme annuel avec l'indication du lieu cadence la vie de notre personnage et l'auteur nous accroche avec des moments clés qui composent une vie. Les moments les plus forts occupent plusieurs pages pour les marquer. Une vie partagée par deux passions de l'infiniment grand à l'infiniment petit et le temps qui passe inexorablement, traversée par des naissances, des deuils, des rencontres et des séparations. Un auteur qui fait passer beaucoup d'émotions avec un dessin très minimaliste et peu de couleurs employées mais des détails justes qui donnent presque la parole à certains dessins. Le temps de lecture passe un peu trop vite à mon goût, comme la vie peut être. Merci à l'auteur d'avoir osé un style narratif différent, quelle belle surprise.
La Grande évasion - Biribi
Biribi ! Ce nom fait froid dans le dos. Ce sont les compagnies de discipline et d’établissements pénitentiaires qui étaient stationnés en Afrique du Nord, alors colonie française, et destinés à recevoir les militaires réfractaires ou indisciplinés de l’armée française. Dans ces bagnes, les soldats effectuaient des travaux de force soumis à un régime très dur. Sylvain Ricard, le scénariste s’est documenté pour rendre cette première "grande évasion" authentique. L’histoire se déroule au Maroc à Dar Bel Hamrit. Notre héros, Ange Lucciani condamné pour insubordination, effronterie, refus d’obéissance et tentative d’évasion - quel palmarès ! – découvre sa « nouvelle maison » et ses « colocataires ». Il n’a qu’une envie. S’enfuir loin de ce cloaque où la torture, les brimades physiques et les humiliations sont le quotidien des prisonniers. L’univers des condamnés est terrifiant. Le tatouage, théoriquement interdit, est un affront pour les gardiens. Vaincu, mais non dompté ! Malgré les traitements cruels infligés à Ange Lucciani, celui-ci est coriace et endure les brimades. Une histoire exaltante soulignée par le graphisme d’Olivier Thomas au point que j'ai fait l’acquisition d’une planche originale il y a quelques années. Je recommande vivement cet album. Biribi a perduré jusqu’à la décolonisation, même si son déclin est entamé dès les années 1930. Un pan de notre histoire pas très joli.
Abymes
3 tomes, 3 dessinateurs, 3 époques, 3 ambiances, 3 mises en abyme... Ca fait longtemps que j'avais repéré cette série, je ne saurais même pas trop dire pourquoi car je ne savais pas vraiment de quoi il était question. Sans doute que les couvertures, le dessin et le pitch avaient suscité ma curiosité. J'ai enfin eu l'occasion de lire ces 3 tomes, chose faite d'une traite tellement je suis rentré à fond dans ces récits. Cette mise en abyme est un exercice de style qui ici prend la forme d'un mélange entre l'auteur et son oeuvre, et celle-ci lui échappe et le dépasse. Quand le roman raconte la vie de l'écrivain, alors que ce n'est pas lui qui tient la plume, quand la vie du réalisateur prend forme à l'écran alors que ce n'est pas lui qui tient la caméra, et que cela révèle des parts d'ombres de leur existence. Exercice de style parfaitement maîtrisé par Valérie Mangin. Le premier tome met donc en scène un Balzac totalement dépassé par les événements. Cette histoire est à la fois une fiction, mais à la fois remplie de détails réels de la vie du romancier. J'adore quand une histoire sème le trouble entre la réalité et la fiction : qu'est ce qui est vrai ? qu'est ce qui est inventé pour les besoins du récit ? Je trouve qu'ici c'est très efficace, on se prend au jeu, et c'est assez amusant de voir Balzac perdre ses nerfs à essayer de démasquer celui qui cherche à lui nuire. Le deuxième tome reprend le même procédé avec le réalisateur Clouzot. La mécanique est donc la même, l'effet de surprise en moins. Je comprends qu'on puisse trouver ça un peu répétitif. J'ai moi aussi trouvé ce second tome moins bien que le premier. Quant au troisième tome, celui-ci met en abyme... la scénariste elle même, et son conjoint... qui est le dessinateur de l'album ! Mais quelle idée ! C'est audacieux et complètement fou même. Il fallait oser, moi je suis séduit par l'idée. Cette histoire raconte donc une grande partie de leur vie personnelle. Là aussi qu'est ce qui est vrai, qu'est ce qui est romancé pour les besoins de l'intrigue ? Je pense qu'une très grande partie des anecdotes est authentique. Du coup ce 3e tome dévoile une grande partie de leur intimité, parfois sans pudeur sur leurs sentiments. C'est osé, parfois presque gênant. Et à coté de cet aspect intimiste, ce qui est amusant c'est que ce tome regorge de clins d’œil au monde de la BD. On y croise des auteurs, des éditeurs, on nous livre des anecdotes, des secrets de fabrication, on se ballade dans les allées du salon d'Angoulême... Peut être que ça ne parlera pas au grand public, mais pour un grand amateur de BD, je trouve tous ces clins d’œil extrêmement sympas et ils m'ont beaucoup fait sourire. Quant au final, sans doute assez clivant, moi il m'a beaucoup plu. Je préfère largement cette fin à un truc plan-plan et quelconque. Là encore il y a un clin d’œil qui m'a vraiment parlé, à UW1 en l’occurrence. J'ai vraiment adhéré. Au premier abord, cette série raconte 3 histoires distinctes, liées simplement par un même exercice de style. Alors qu'en fin de compte l'ensemble forme un tout cohérent uni par un fil conducteur logique qui nous est révélé à travers la vie de la scénariste et des anecdotes sur la série elle même. Anecdotes qui sont racontées au sein même du 3e tome de la série. Tordu ? Non fichtrement malin et bien vu.
Rébétiko
J'ai vraiment accroché avec le dessin de Prudhomme avec cette BD précisément. Encore aujourd'hui, je l'ouvre régulièrement, et je suis sidéré à chaque fois par le talent de l'auteur pour capter des mouvements. Très proche du cinéma pour ce qui concerne le découpage et les angles de vue (ce qui est valable selon moi pour la bande-dessinée en général, mais particulièrement vrai pour Rébétiko), chaque case est un arrêt sur image qui parvient à capter un geste, un élan, une intention, un regard, une expression. Outre le fait que Rébétiko a fait parvenir à mes oreilles une musique dont j'ignorais jusqu'à l’existence même, j'ai vraiment aimé partager cette journée (la BD se déroule sur 24H) avec cette joyeuse bande d'anarchistes qui ne disent pas leur nom. Ils emmerdent le pouvoir à leur manière : en maintenant leur art vivant. En vivant, tout simplement, appliquant en cela les précieux conseils d'un certain Baudelaire qui écrivait : "Enivrez-vous. Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous. Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l'oiseau, l'horloge vous répondront il est l'heure de s'enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse, de vin, de poésie, de vertu, à votre guise." Alors c'est ce que s'appliquent à faire les "rébètes", et c'est un peu ce que l'on fait soi-même en déambulant avec eux jusqu'au petit matin. En guise de fin, Prudhomme nous offre une scène de toute beauté au cours de laquelle les protagonistes traversent un bras de mer (ou descendent un fleuve, on ne sait pas mais qu'importe), accompagnés par le jour qui point peu à peu. Cette scène me renvoie à mes jeunes années de beuverie où encore saouls, nous regardions le soleil passer l'horizon, l'atmosphère nous grisant davantage de sa douce quiétude et nous conférant le sentiment d'avoir vaincu la nuit. Le sentiment d'être immortels.
Les Pestiférés
J’ai découvert cette BD il y a peu et le moins qu’on puisse dire est qu’elle prend une dimension particulière dans le contexte actuel de pandémie et de confinement. Cette œuvre inachevée de Pagnol a pu être terminée grâce au fait que celui-ci avait raconté la fin à sa femme et c’est grâce à Nicolas Pagnol, petit-fils de Marcel, que la BD a pu être réalisée. La trame de l’histoire se base sur un fait réel : l’épidémie de peste qui sévit à Marseille en 1720 et qui eut des conséquences dramatiques. On y suit les habitants d’un quartier isolé qui tentent de survivre au fléau contre lequel il n’existait aucun remède à l’époque. On y retrouve bien sûr le style de Pagnol avec sa truculence, son anticléricalisme et ses personnages hauts en couleur mais le propos est assez différent de ses autres œuvres car il s’agit ici d’un drame basé sur des événements qui se sont réellement passés et où l’on côtoie sans cesse la mort, ce qui n’empêche pas des touches d’humour à certains moments. L’intrigue est extrêmement bien construite, les motivations de chacun sont très plausibles et les rebondissements nombreux jusqu’à un final inattendu. Vous l’aurez compris : cette BD est un chef d’œuvre qui montre ce qu’était une épidémie au début du XVIIIème siècle. Lecture à conseiller à tous - sauf aux âmes sensibles et stressées par la pandémie actuelle, qui, même si elle est sévère et dramatique pour beaucoup, n’est en rien comparable avec ce qui pouvait se passer à une époque où la médecine était encore embryonnaire.