Cinq ans après sa brillante trilogie « intoxicante », Charles Burns revient avec cette nouvelle série, où comme à son habitude, l’aventure va se jouer dans les tréfonds les plus obscurs de l’âme humaine. Et comme à son habitude, l’auteur de Black Hole fera naître plus de questions qu’il n’apportera de réponses au grand mystère de la vie.
De manière peu surprenante, « Dédales », avec sa mystérieuse couverture qui nous tourne le dos, raconte une histoire entre rêve et réalité, où le surréalisme des situations s’entrechoque avec le réalisme du trait. Encore une fois, Burns dépeint le quotidien ordinaire d’adolescents ordinaires où l’onirisme, faisant irruption sans crier gare, produit une atmosphère étrange et inquiétante. Le personnage principal, Brian, un garçon timide et solitaire, semble se complaire dans un univers fictif. Mal à l’aise face aux avances de sa copine Laurie, mal à l’aise dans les fêtes organisées par ses amis, le jeune homme préfère se réfugier dans ses propres obsessions, à travers sa passion du cinéma de science-fiction et du dessin (le double de l’auteur ?). C’est d’ailleurs un film, « Invasion of the Body Snatchers » (« L’Invasion des profanateurs de sépulture », de Don Siegel), où il est question d’entités extraterrestres infiltrant le corps des humains, qui va servir de fil rouge au récit et inspirer Brian dans son art. Bien au-delà d’un quotidien trivial, ses obsessions de « weirdo » nous questionnent sur nos origines, avec cette image forte qui imprègne l’histoire, issue des dessins du jeune homme : une sorte de cerveau (celui de Burns ?) muni de tentacules et se déplaçant doucement dans les airs telle une montgolfière…
N’imaginez pas Charles Burns va vous donner les explications pour une lecture accessible du récit, ce serait mal le connaître ! Américain sur la forme mais européen sur le fond, l’auteur se contente de distiller au fil des pages de rares indices, qui ne font qu’amener de nouvelles interrogations. Un cauchemar horripilant pour le lecteur avide de réponses prémâchées… et pour les autres, forcément subjugués, non seulement par l’histoire mais par ce trait toujours aussi envoûtant et ces magnifiques ombres et lumières, si caractéristiques, un seul désir : s’enfoncer plus profondément dans ces « Dédales ». Vivement la suite…
Une série que je n'aurais sans doute jamais découverte sans ce merveilleux site. Je précise que je n'ai lu que les albums parus chez Mosquito et d'ailleurs je n'ai pas trop apprécié comment cet éditeur a traité cette série. En effet, elle ne s'est concentrée que sur les épisodes dessinés par le même dessinateur et non tous les épisodes de la série. J'aurais préféré que l'on publie la série du début jusqu'à la fin (ou du moins aussi loin que l'éditeur pouvait se le permettre) parce que j'aime bien voir l'évolution d'une série, mais aussi parce que les épisodes sont plus ou moins indépendants. On peut prendre un tome par hasard et le scénario n'est pas confus, mais on fait souvent référence à des aventures qui ont déjà eu lieu et c'est frustrant de voir des rappels pour des épisodes qui n'ont pas été traduits. Le pire est le traitement du personnage de Hogan, présenté comme l'ennemi juré du héros sauf que comme il est déjà apparu lorsqu'il fait sa première apparition dans les albums traduits par Mosquito, c'est pas trop clair pourquoi les deux sont ennemis. Enfin, la fin du tome 8 donne une piste sur les vraies motivations de Hogan et c'est frustrant parce que je ne verrais probablement jamais comment évolue la relation entre les ennemis jurés.
Bon, même je vais expliquer pourquoi j'ai autant aimé cette série. C'est du western classique qui reprend les codes du genre, mais il les utilise habilement. Plusieurs fois, je pensais que j'avais deviné ce qui allait se passer et le scénariste m'a surpris. Certains personnages sont plus complexes qu'ils n'y paraissent à première vue. Les scénarios sont prenants et mélangent habilement psychologie, aventure, western et fantastique. Ce dernier élément varie au fil des histoires : parfois le fantastique ne fait qu'une timide apparition et d'autres fois c'est le point central du récit, notamment lorsque Esprit du Vent doit affronter des monstres fantastiques. Les histoires sont solides et seul le tome 5 m'aura un peu déçu. Le dessin est du très beau noir et blanc comme savent le faire les dessinateurs italiens.
Bref, un exemple de BD populaire italienne (celle où il y a un nouvel épisode de pratiquement 100 pages qui sort chaque mois) réussi et intelligent. Un must pour les amateurs de western.
J'ai trouvé cette bd autobiographique très intéressante. On suit le parcours de l'auteure et son rapport à son corps et à son poids. Navie est "obèse morbide", avec une IMC de 53 ; ce qui est beaucoup. Quand un médecin lui dit qu'elle porte en permanence sur elle une femme de poids moyen, cette deuxième ''Elle'' se matérialise, et devient l'ennemi.
"Moi en double" n'est pas un récit qui se borne à raconter la perte de poids, la lutte pour maigrir. En fait, c'est presque secondaire. Le thème principal est de trouver le bonheur, se sentir bien, et en bonne santé. Navie se montre sans pudeur et étale ses peurs, ses angoisses, ses inquiétudes, tout ce qui peut passer par la tête d'une personne grosse (j'utilise volontairement ce mot car c'est celui qui est utilisé dans la bd). On sent que ce livre sonne un peu comme le point final d'une lutte de plusieurs années, l'acceptation totale pas seulement de son corps mais plus généralement de soi. Car perdre du poids ne règle pas tout, ce n'est pas le but final, l'achèvement. Ce n'est qu'un outil pour tendre vers le bonheur, qui ne peut se résumer à ça. Perdre du poids aide l'héroïne à aller mieux, mais ce n'est pas la baguette magique. C'est quelque chose à intégrer dans un ensemble plus vaste et plus complexe.
C'est personnel et touchant, je trouve qu'on s'identifie très bien au personnage. Il n'y en a pas de trop, on ne tombe jamais dans le pathétique. Tous les sujets sont abordés, de l'obsession de la nourriture au sexe, et tous le sont de façon très simple et naturelle. Il y a également quelques touches d'humour qui allègent le sujet d'ensemble qui est tout de même un peu lourd (sans mauvais jeu de mots).
Si j'ai autant apprécié cette œuvre, c'est aussi grâce au dessin. Le noir et blanc est parfaitement à propos, avec seulement le fameux double en rouge, comme pour souligner son importance et son caractère néfaste. Le trait en lui même est assez doux, rond, pas du tout anguleux. Ca donne quelque chose de tout à fait agréable. C'est le genre de dessin qui rend très bien les expressions des personnages, et c'est exactement ce qu'il fallait pour servir le scénario. Simple et efficace.
On ne peut s’empêcher de penser à Come Prima à la lecture de ce nouvel opus d’Alfred, le premier point commun étant évidemment l’Italie. Mais là où le premier était un « road-novel », le second reste limité géographiquement à un seul lieu, le voyage ayant plus à voir avec l’onirisme... De même, l’auteur s’est une nouvelle fois occupé de la narration, ce qui lui avait très bien réussi en 2014 puisqu’il avait décroché le fauve d’or à Angoulême pour sa ballade italienne…
La particularité de cette histoire est de débuter comme une comédie à l’italienne pour évoluer vers quelque chose de beaucoup plus intimiste, dans une sorte de contraste entre le jour et la nuit. Pour Germano, principal protagoniste, l’histoire commence dans une gare bruyante sous une chaleur étouffante pour se poursuivre dans ce palace un peu vétuste perdu dans la campagne et entouré d’un immense parc, où se déroule une fête de mariage, puis glisser peu à peu vers la sérénité nocturne, le moment où les masques tombent et les âmes se révèlent… Et quand ces âmes esseulées, celles de Germano et Elena, se rencontrent après s’être cherché tout un après-midi avec maladresse, et une certaine drôlerie – en grande partie à cause du côté lunaire et timide de Germano, qui par ailleurs s’est trompé d’une semaine sur la date ! -, le récit va bifurquer vers une dimension tout autre, celle d’un onirisme facilité par la tombée de la nuit et la présence même de ce parc magnifique et intemporel qui semble avancer « à mesure qu’on s’y promène ». Les deux amants d’un soir vont vivre une aventure extraordinaire et poétique, un voyage immobile entre rêve et réalité qui les arrachera pendant quelques heures — voire plus si affinités — à la pesanteur du quotidien et des angoisses existentielles…
Et si l’histoire est belle, le dessin d’Alfred vient la magnifier dans ce qui ressemble à une déclaration d’amour à la vie et, dans une autre mesure, à l’Italie, seconde patrie de l’auteur par ses origines paternelles. Pour ce qui est des personnages, on retrouve sa patte habituelle, fluide et stylisée, tandis que les paysages, tout particulièrement ceux représentant le parc et l’hôtel, se laissent admirer comme de véritables tableaux, sur une page entière ou deux. La douce atmosphère méditerranéenne assaille le regard autant que l’esprit dans un festival de couleurs et de sensations. Quel émerveillement que de contempler ces cyprès dominant les ruines du parc sous la voûte étoilée !
« Senso » est donc une belle réussite, et son titre italien en synthétise parfaitement le contenu. Le mot « Senso » veut dire tout à la fois « sens » et « sensation », deux termes qui reflètent bien cette comédie existentielle, sans parler de sa sonorité très SENSuelle… Il est de ces moments magiques dont il serait dommage de se priver. Tel un oasis de douceur, une pause bienvenue dans la course contre la montre de nos vies modernes, le roman d'Alfred nous suggère qu’une autre voie possible…
10 ans après Lulu Femme Nue, qui traitait de la crise de la quarantaine au travers du destin d’une femme, Etienne Davodeau s’attaque avec ces Couloirs aériens à la crise… de la cinquantaine. Petite différence ici : il ne s’y attaque pas seul puisque cet album est l’œuvre de trois têtes pensantes (Etienne Davodeau, Joub et Christophe Hermenier), chacune ayant un double rôle (outre leurs rôles de scénaristes, Etienne Davodeau en est également le dessinateur, Joub le coloriste et Christophe Hermenier le photographe).
Autre différence, de taille celle-ci : le personnage central est un homme. Et on sent de suite que le caractère autobiographique de ce récit est bien plus présent que sur Lulu femme nue. La préface nous révèle d’ailleurs quelques détails sur ce sujet et sur la genèse du projet.
Et alors que la crise de la quarantaine s’apparentait à une fuite en avant, la crise de la cinquantaine telle que racontée par les trois acolytes se présente bien plus comme un regard tourné vers le passé et une perte de vision d’avenir…
Wouhouuuu, rions ensemble ! Ça tombe bien, je vais justement avoir sous peu mes 50 balais et donc ce récit me parle énormément. Les interrogations, les états d’âme, le spleen du personnage central trouvent un réel écho dans mon propre vécu et mes questionnements actuels. Je me rends compte à cette occasion que si j’accroche aussi souvent aux œuvres de Davodeau, c’est très certainement en partie dû au fait que nous avons plus ou moins le même âge et que ses sujets de livres tombent donc souvent à point nommé dans mon parcours de vie.
Soyons clairs : j’ai dévoré ce bouquin, y retrouvant l’humanité et le sens de la dérision dont sont coutumiers Etienne Davodeau mais aussi Joub. J’ai également beaucoup apprécié cette insertion de planches entières de photographies d’objets désuets du quotidien (le personnage central photographie tout ce qu’il trouve dans les caisses provenant de la maison de ses parents décédés). Il y a dans ces planches tout le poids du temps qui passe et tout le caractère dérisoire de l’existence. Cette accumulation d’objets hétéroclites… c’est à la fois dur, ironique, triste, drôle et touchant. En fait, ça résume assez bien l’ensemble du bouquin, dans lequel des passages amusants succèdent à des interrogations plus graves.
J’ai beaucoup apprécié ce personnage central finalement assez complexe et j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de justesse dans cette analyse de caractère… mais sans que ça devienne lourd, la dérision n’est jamais loin pour venir alléger les passages qui auraient pu verser dans un pathos trop insistant.
Cependant, si cet album m’a beaucoup parlé, je crains qu’il n’en aille pas de même avec d’autres lecteurs, moins concernés par ce passage de nos existences. Du coup, si je trouve ces Couloirs aériens excellents, je n’en conseillerais pas la lecture à n’importe qui. Mais si vous approchez du demi siècle, si les récits du quotidien vous attirent, si le fait qu’il n’y ait pas de véritable intrigue à un récit ne vous dérange pas… si vous êtes prêts à lire l’histoire banale d’un gars banal à un instant finalement banal de son existence (mais racontée avec un talent peu banal), et bien je vous invite à emprunter ces Couloirs aériens.
Adapter une œuvre d’un medium à un autre est souvent casse-gueule (combien de romans retranscrits en films ou séries télé déçoivent les fans ?). Les adaptations de romans en BD sont courantes (766 séries référencées sur le site au moment où j’écris ces lignes) mais l’exercice est difficile. Manu Larcenet réussit pour moi un sans-faute, et évite les pièges classiques (textes trop abondants et grosses coupures scénaristiques).
Le dessin n’est pas « juste » magnifique, avec ce noir et blanc d’une précision remarquable, et ces scènes contemplatives d’une poésie rarement égalée. Non, ce qui est remarquable selon moi dans le dessin, c’est qu’il accomplit parfaitement son rôle dans l’adaptation : il capture le texte original, les descriptions, les émotions, et les retranscrit dans le medium de la BD : le dessin. Les regards et les silences en disent long, les paysages sont un personnage à part entière. Seuls les dialogues factuels ont été conservés, ce qui donne une narration légère et fluide.
L’histoire de Philippe Claudel est sombre au possible, et parle de l’âme humaine, de la peur de l’autre, de la lâcheté face au danger… bref, vous voyez le tableau. Je suis ressorti de ma lecture bouleversé.
« Le Rapport de Brodeck » est pour moi un diptyque parfait. Je me retrouve complètement incapable de justifier une note autre que 5/5… et je vois que je ne suis pas le seul.
Nantes, durant la longue période des guerres de Vendée (où Les Blancs et Les Bleus s’affrontaient), le lieutenant Varenne et son acolyte Uncas, sont engagés pour retrouver le colonel Schreb. Celui-ci, surnommé l’Ange de la terreur, s’est retiré dans des marécages bretons, en compagnie de toute une armée d’oubliés. Son exil est considéré comme une vendetta et si Varenne le trouve, il doit l’abattre.
Transposer le célèbre court roman ‘Au cœur des ténèbres’ de Joseph Conrad doit être un sacré défi. C’est un roman intense au caractère très sombre. Il compte le récit d’un périple au cœur de l’Afrique noire d’un jeune officier de la marine marchande britannique envoyé pour rétablir des liens commerciaux, concernant le business de l’ivoire, en pleine jungle, avec un certain Kurtz qui ne donne plus de nouvelles. Je pense qu’après tout le monde doit connaître ce roman de Conrad même si jamais lu via Apocalypse now, le film de Francis Ford Coppola, en transposant le récit durant la guerre du Vietman avec ce duo inoubliable qui est Martin Sheen et Marlon Brando.
Jean-Pierre Pécau replace donc les événements de la nouvelle de Conrad avec brio puisqu’il arrive à sublimer ce récit étrange et terrible. Tout en restant sur le thème du conflit, il met en place la sédition d’un homme face à l’horreur de la guerre et met en avant un épisode sanglant et sombre de l’histoire de France : les guerres de Vendée. Les thèmes abordés sont forts et nous dévoilent toute l'angoisse de cette période de l’après Terreur. De plus, Jean-Pierre Pécau arrive à garder le côté exotique, mot à prendre avec des pincettes, du récit de Conrad qui se déroule en Afrique noire, avec le personnage de Uncas, un peau-rouge de la tribu Mohawk, venu s’engager dans l’armée française. De même que le récit de Conrad se déroule sur un fleuve d’Afrique noire au milieu de la jungle, présentement le récit se déroule sur un canoë dans des marécages touffus.
Le côté graphique est absolument réussi et atypique. Le trait de Benjamin Bachelier s’harmonise avec la plume de Jean-Pierre Pécau et nous applaudissons le choix de ce duo qui est en total symbiose. Tout en gris, les traits marqués des personnages nous envahissent et nous crient leur horreur, souvent nous sommes à la limite de déchiffrer comme dans un brouillard. Ils ont des regards et des expressions happés par la folie. Des regards hagards, pétris de douleur et de souvenirs sanglants. Et tout d’un coup, des touches de couleurs, très vives, qui nous font monter en pression ! Boum ! Tout en se terminant comme dans une explosion de douleurs ! C’est beau, très beau, très émouvant et très délicat en fait. Je pense que cela peut rebuter au premier coup d’œil car le rendu est presque grossier mais c’est de l’art totalement maîtrisé.
Bravo aux auteurs et à l’éditeur qui a su porter à bien ce projet totalement réussi.
Arrivé presque à la fin de l’album, j’ai réalisé qu’il restait un ultime chapitre… et j’ai compris à quel rôle était destiné un personnage dont longtemps on ne comprend pas trop ce qu’il vient faire là…
Et là, je me suis dit qu’Edward Abbey, l’auteur du livre dont est adaptée cette bande dessinée, n’était qu’un « p*** de b*** de m*** de l’enc*** de sa race ! », qu’il ne pouvait pas nous faire ça (ni à Jack Burns, son personnage de fiction, ni à moi, simple lecteur) ! Le salaud avait préparé son coup depuis le début et il m’a fallu attendre de voir qu’il restait ce chapitre pour le comprendre !!! Et je ne pouvais m’empêcher de penser « Non ! Pas ça ! Ne lui donne pas ce rôle-là ! Allez ! Sois sympa ! » Mais non, les rôles étaient distribués et l’inéluctable arrive… comme prévu…
Et là-dessus, voilà qu’Hugo Piette en rajoute encore une petite couche pour la route et nous gratifie d’une ultime planche qui sonne comme un glas dans un désert navajo… Une page muette qui m’a rendu sourd.
J’ai refermé le livre à moitié K.O.
C’est pour ça que je lis des bandes dessinées, pour ressentir ce genre d’émotion, d’empathie pour des personnages qui, au départ, ne me semblent pourtant pas spécialement attachants !! Alors, messieurs les auteurs, pour ce pur instant d’émotion : merci !
Pourtant, tout avait commencé assez mollement. Le début du récit ne m’a guère passionné. Je m’attardais alors plus sur le dessin d’Hugo Piette, et sa colorisation qui rend autant hommage au Lucky Luke de Morris qu’à celui de Matthieu Bonhomme. Le personnage principal du récit m’énervait un peu, les événements s’enchaînaient dans un rythme très lent… En fait, je ne voyais pas vraiment où les auteurs voulaient en venir mais le personnage central se construisait peu à peu…
Puis vient la seconde partie du récit ! Bordel ! La seconde partie du récit ! Cette chasse à l’homme improbable, où toute la bêtise humaine semble s’être liguée contre Jack Burns et sa soif inextinguible de liberté, qu’est-ce qu’elle est bien foutue.
Seuls sont les indomptés est une ode à la liberté mais aussi le triste constat qu’à notre époque les cowboys solitaires n’ont plus vraiment leur place.
(Et si je n’ai rien dit du travail de Max de Radiguès, c’est parce que je ne vois pas ce que je pourrais en dire tant cette bande dessinée ne souffre jamais du fait qu’il s’agit d’une adaptation, tant les dialogues sonnent juste, tant le découpage est bon. Il n’y a rien d’exceptionnel, mais simplement une justesse parfaite).
Grandiose, magnifique, chef d’œuvre.
Oui je sais je commence de manière dithyrambique et avec ces termes il est vrai que je place la barre très haut. Mais excusez du peu, librement inspiré du grand roman gothique Dracula et Georges Bess au dessin, il y a de quoi s'enflammer. Pour moi cet album est au delà du chef d’œuvre, tout concourt à en faire un incontournable de la BD de cette année, si Georges Bess recevait le grand prix à Angoulême l'an prochain pour l'ensemble de son œuvre et en particulier ce ne serait pas volé.
Dracula, ou si l'on préfère de son nom complet VladIII, Tépes, Comte Orlok, Nosferatu, Comte Dracula, Prince de Valachie est un roman épistolaire qui date de 1897 écrit par Bram Stoker. Celui-ci n'a pas inventé la figure du vampire, il lui a juste donné sa forme moderne en en faisant la figure qu'aujourd'hui tout le monde connait au travers des nombreuses adaptations cinématographiques. Avec ce personnage, Stoker s'inscrit dans la lignée des écrivains gothiques de son temps que sont R.L. Stevenson avec "L'étrange cas du docteur Jekyll et de Mister Hyde" mais également d'O.Wilde et "Le portrait de Dorian Gray" et des textes antérieurs de Sheridan Le Fanu, le docteur Polidori et Marie Shelley.
Pour rendre justice au texte de Stoker, texte d'ailleurs repris en grande partie du moins dans la première moitié de l'ouvrage et qui donne un ton fin XIXème juste parfait, de même l'emploi de ce texte parfois suranné loin d'être plombant ajoute du gothique au gothique. Ce texte donc est sublimé par le dessin de G. Bess qui avait déjà abordé le thème du vampire dans sa trilogie Le Vampire de Bénarès. Ici le trait se fait acéré, les encrages sont surpuissants, de grandes lignes partent à l’assaut des planches pour nous envouter avec des paysages gothiques de châteaux, de montagnes, le romantisme affleure dans un mélange de noirceur comme l'âme du comte, mais ces lignes peuvent aussi être d'une grande douceur lorsqu'il s'agit de décrire la vie Post victorienne du bord de mer où vivent Mine et Lucy, femmes rendues évanescentes par le génie du dessin.
Ce dessin en noir et blanc arrive à vous prendre aux tripes tant il semble comme le comte doté d'un pouvoir hypnotique, ensorcelant. La figure même de Dracula n'en devient que plus complexe qu'il n'y parait, oscillant entre le monstre sanguinaire et pervers que beaucoup y ont vu et en fait une victime représentative d'une société engoncée dans un carcan de certitudes morales.
Qu’ajouter de plus, les mots me semblent superflus et bien pauvres pour vous décrire cette fabuleuse bande dessinée dont j’ai fait mon coup de cœur, j'aurais aimé que l'avis de la semaine existe encore avec la V3 afin d'y être nommé pour cet avis, non pour ma gloriole personnelle mais pour qu'il soit lu par le plus grand nombre et la BD donc achetée.
Je n'ai aucune action chez Glénat et ne suis pas ami avec l'auteur.
Incontournable. Indispensable. Immanquable.
Le premier cycle date des années 80 mais n’a pas pris une ride. La méticulosité de l’auteur l’a préservé des ravages des modes. Bourgeon nous raconte une histoire dans un décor finement planté et nous embarque avec son Isa à travers les océans découvrir les terres nouvelles et les horreurs dont les Hommes sont capables.
Plus contemplatif, le second cycle était attendu au tournant. Ben, il tient largement la dragée haute au premier. Les décors de bayou et de plantations fourmillent de détails. Les traits des visages se sont affinés. Là encore, comment ne pas se laisser porter par Zabo et Isa dans cette Louisiane en guerre?
Le troisième cycle me laisse plus circonspect. L’atmosphère du Montmartre de la Commune est parfaitement représentée. Bourgeon a construit, après recherches sur plans et photos d’époque une maquette du quartier pour s’assurer de la cohérence de ses décors. C’est très beau mais d’une telle précision et relève d’une telle exigence de fidélité que ça finit par manquer d’âme à mon goût. Espérons que, dans le second tome, le personnage de Klervi prenne un peu d’ampleur.
Au-delà des immenses qualités du dessin, ce sont peut-être ces héroïnes en avance sur leur temps qui donnent un côté indémodable à cette BD.
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Dédales (Burns)
Cinq ans après sa brillante trilogie « intoxicante », Charles Burns revient avec cette nouvelle série, où comme à son habitude, l’aventure va se jouer dans les tréfonds les plus obscurs de l’âme humaine. Et comme à son habitude, l’auteur de Black Hole fera naître plus de questions qu’il n’apportera de réponses au grand mystère de la vie. De manière peu surprenante, « Dédales », avec sa mystérieuse couverture qui nous tourne le dos, raconte une histoire entre rêve et réalité, où le surréalisme des situations s’entrechoque avec le réalisme du trait. Encore une fois, Burns dépeint le quotidien ordinaire d’adolescents ordinaires où l’onirisme, faisant irruption sans crier gare, produit une atmosphère étrange et inquiétante. Le personnage principal, Brian, un garçon timide et solitaire, semble se complaire dans un univers fictif. Mal à l’aise face aux avances de sa copine Laurie, mal à l’aise dans les fêtes organisées par ses amis, le jeune homme préfère se réfugier dans ses propres obsessions, à travers sa passion du cinéma de science-fiction et du dessin (le double de l’auteur ?). C’est d’ailleurs un film, « Invasion of the Body Snatchers » (« L’Invasion des profanateurs de sépulture », de Don Siegel), où il est question d’entités extraterrestres infiltrant le corps des humains, qui va servir de fil rouge au récit et inspirer Brian dans son art. Bien au-delà d’un quotidien trivial, ses obsessions de « weirdo » nous questionnent sur nos origines, avec cette image forte qui imprègne l’histoire, issue des dessins du jeune homme : une sorte de cerveau (celui de Burns ?) muni de tentacules et se déplaçant doucement dans les airs telle une montgolfière… N’imaginez pas Charles Burns va vous donner les explications pour une lecture accessible du récit, ce serait mal le connaître ! Américain sur la forme mais européen sur le fond, l’auteur se contente de distiller au fil des pages de rares indices, qui ne font qu’amener de nouvelles interrogations. Un cauchemar horripilant pour le lecteur avide de réponses prémâchées… et pour les autres, forcément subjugués, non seulement par l’histoire mais par ce trait toujours aussi envoûtant et ces magnifiques ombres et lumières, si caractéristiques, un seul désir : s’enfoncer plus profondément dans ces « Dédales ». Vivement la suite…
Esprit du vent
Une série que je n'aurais sans doute jamais découverte sans ce merveilleux site. Je précise que je n'ai lu que les albums parus chez Mosquito et d'ailleurs je n'ai pas trop apprécié comment cet éditeur a traité cette série. En effet, elle ne s'est concentrée que sur les épisodes dessinés par le même dessinateur et non tous les épisodes de la série. J'aurais préféré que l'on publie la série du début jusqu'à la fin (ou du moins aussi loin que l'éditeur pouvait se le permettre) parce que j'aime bien voir l'évolution d'une série, mais aussi parce que les épisodes sont plus ou moins indépendants. On peut prendre un tome par hasard et le scénario n'est pas confus, mais on fait souvent référence à des aventures qui ont déjà eu lieu et c'est frustrant de voir des rappels pour des épisodes qui n'ont pas été traduits. Le pire est le traitement du personnage de Hogan, présenté comme l'ennemi juré du héros sauf que comme il est déjà apparu lorsqu'il fait sa première apparition dans les albums traduits par Mosquito, c'est pas trop clair pourquoi les deux sont ennemis. Enfin, la fin du tome 8 donne une piste sur les vraies motivations de Hogan et c'est frustrant parce que je ne verrais probablement jamais comment évolue la relation entre les ennemis jurés. Bon, même je vais expliquer pourquoi j'ai autant aimé cette série. C'est du western classique qui reprend les codes du genre, mais il les utilise habilement. Plusieurs fois, je pensais que j'avais deviné ce qui allait se passer et le scénariste m'a surpris. Certains personnages sont plus complexes qu'ils n'y paraissent à première vue. Les scénarios sont prenants et mélangent habilement psychologie, aventure, western et fantastique. Ce dernier élément varie au fil des histoires : parfois le fantastique ne fait qu'une timide apparition et d'autres fois c'est le point central du récit, notamment lorsque Esprit du Vent doit affronter des monstres fantastiques. Les histoires sont solides et seul le tome 5 m'aura un peu déçu. Le dessin est du très beau noir et blanc comme savent le faire les dessinateurs italiens. Bref, un exemple de BD populaire italienne (celle où il y a un nouvel épisode de pratiquement 100 pages qui sort chaque mois) réussi et intelligent. Un must pour les amateurs de western.
Moi en double
J'ai trouvé cette bd autobiographique très intéressante. On suit le parcours de l'auteure et son rapport à son corps et à son poids. Navie est "obèse morbide", avec une IMC de 53 ; ce qui est beaucoup. Quand un médecin lui dit qu'elle porte en permanence sur elle une femme de poids moyen, cette deuxième ''Elle'' se matérialise, et devient l'ennemi. "Moi en double" n'est pas un récit qui se borne à raconter la perte de poids, la lutte pour maigrir. En fait, c'est presque secondaire. Le thème principal est de trouver le bonheur, se sentir bien, et en bonne santé. Navie se montre sans pudeur et étale ses peurs, ses angoisses, ses inquiétudes, tout ce qui peut passer par la tête d'une personne grosse (j'utilise volontairement ce mot car c'est celui qui est utilisé dans la bd). On sent que ce livre sonne un peu comme le point final d'une lutte de plusieurs années, l'acceptation totale pas seulement de son corps mais plus généralement de soi. Car perdre du poids ne règle pas tout, ce n'est pas le but final, l'achèvement. Ce n'est qu'un outil pour tendre vers le bonheur, qui ne peut se résumer à ça. Perdre du poids aide l'héroïne à aller mieux, mais ce n'est pas la baguette magique. C'est quelque chose à intégrer dans un ensemble plus vaste et plus complexe. C'est personnel et touchant, je trouve qu'on s'identifie très bien au personnage. Il n'y en a pas de trop, on ne tombe jamais dans le pathétique. Tous les sujets sont abordés, de l'obsession de la nourriture au sexe, et tous le sont de façon très simple et naturelle. Il y a également quelques touches d'humour qui allègent le sujet d'ensemble qui est tout de même un peu lourd (sans mauvais jeu de mots). Si j'ai autant apprécié cette œuvre, c'est aussi grâce au dessin. Le noir et blanc est parfaitement à propos, avec seulement le fameux double en rouge, comme pour souligner son importance et son caractère néfaste. Le trait en lui même est assez doux, rond, pas du tout anguleux. Ca donne quelque chose de tout à fait agréable. C'est le genre de dessin qui rend très bien les expressions des personnages, et c'est exactement ce qu'il fallait pour servir le scénario. Simple et efficace.
Senso
On ne peut s’empêcher de penser à Come Prima à la lecture de ce nouvel opus d’Alfred, le premier point commun étant évidemment l’Italie. Mais là où le premier était un « road-novel », le second reste limité géographiquement à un seul lieu, le voyage ayant plus à voir avec l’onirisme... De même, l’auteur s’est une nouvelle fois occupé de la narration, ce qui lui avait très bien réussi en 2014 puisqu’il avait décroché le fauve d’or à Angoulême pour sa ballade italienne… La particularité de cette histoire est de débuter comme une comédie à l’italienne pour évoluer vers quelque chose de beaucoup plus intimiste, dans une sorte de contraste entre le jour et la nuit. Pour Germano, principal protagoniste, l’histoire commence dans une gare bruyante sous une chaleur étouffante pour se poursuivre dans ce palace un peu vétuste perdu dans la campagne et entouré d’un immense parc, où se déroule une fête de mariage, puis glisser peu à peu vers la sérénité nocturne, le moment où les masques tombent et les âmes se révèlent… Et quand ces âmes esseulées, celles de Germano et Elena, se rencontrent après s’être cherché tout un après-midi avec maladresse, et une certaine drôlerie – en grande partie à cause du côté lunaire et timide de Germano, qui par ailleurs s’est trompé d’une semaine sur la date ! -, le récit va bifurquer vers une dimension tout autre, celle d’un onirisme facilité par la tombée de la nuit et la présence même de ce parc magnifique et intemporel qui semble avancer « à mesure qu’on s’y promène ». Les deux amants d’un soir vont vivre une aventure extraordinaire et poétique, un voyage immobile entre rêve et réalité qui les arrachera pendant quelques heures — voire plus si affinités — à la pesanteur du quotidien et des angoisses existentielles… Et si l’histoire est belle, le dessin d’Alfred vient la magnifier dans ce qui ressemble à une déclaration d’amour à la vie et, dans une autre mesure, à l’Italie, seconde patrie de l’auteur par ses origines paternelles. Pour ce qui est des personnages, on retrouve sa patte habituelle, fluide et stylisée, tandis que les paysages, tout particulièrement ceux représentant le parc et l’hôtel, se laissent admirer comme de véritables tableaux, sur une page entière ou deux. La douce atmosphère méditerranéenne assaille le regard autant que l’esprit dans un festival de couleurs et de sensations. Quel émerveillement que de contempler ces cyprès dominant les ruines du parc sous la voûte étoilée ! « Senso » est donc une belle réussite, et son titre italien en synthétise parfaitement le contenu. Le mot « Senso » veut dire tout à la fois « sens » et « sensation », deux termes qui reflètent bien cette comédie existentielle, sans parler de sa sonorité très SENSuelle… Il est de ces moments magiques dont il serait dommage de se priver. Tel un oasis de douceur, une pause bienvenue dans la course contre la montre de nos vies modernes, le roman d'Alfred nous suggère qu’une autre voie possible…
Les Couloirs aériens
10 ans après Lulu Femme Nue, qui traitait de la crise de la quarantaine au travers du destin d’une femme, Etienne Davodeau s’attaque avec ces Couloirs aériens à la crise… de la cinquantaine. Petite différence ici : il ne s’y attaque pas seul puisque cet album est l’œuvre de trois têtes pensantes (Etienne Davodeau, Joub et Christophe Hermenier), chacune ayant un double rôle (outre leurs rôles de scénaristes, Etienne Davodeau en est également le dessinateur, Joub le coloriste et Christophe Hermenier le photographe). Autre différence, de taille celle-ci : le personnage central est un homme. Et on sent de suite que le caractère autobiographique de ce récit est bien plus présent que sur Lulu femme nue. La préface nous révèle d’ailleurs quelques détails sur ce sujet et sur la genèse du projet. Et alors que la crise de la quarantaine s’apparentait à une fuite en avant, la crise de la cinquantaine telle que racontée par les trois acolytes se présente bien plus comme un regard tourné vers le passé et une perte de vision d’avenir… Wouhouuuu, rions ensemble ! Ça tombe bien, je vais justement avoir sous peu mes 50 balais et donc ce récit me parle énormément. Les interrogations, les états d’âme, le spleen du personnage central trouvent un réel écho dans mon propre vécu et mes questionnements actuels. Je me rends compte à cette occasion que si j’accroche aussi souvent aux œuvres de Davodeau, c’est très certainement en partie dû au fait que nous avons plus ou moins le même âge et que ses sujets de livres tombent donc souvent à point nommé dans mon parcours de vie. Soyons clairs : j’ai dévoré ce bouquin, y retrouvant l’humanité et le sens de la dérision dont sont coutumiers Etienne Davodeau mais aussi Joub. J’ai également beaucoup apprécié cette insertion de planches entières de photographies d’objets désuets du quotidien (le personnage central photographie tout ce qu’il trouve dans les caisses provenant de la maison de ses parents décédés). Il y a dans ces planches tout le poids du temps qui passe et tout le caractère dérisoire de l’existence. Cette accumulation d’objets hétéroclites… c’est à la fois dur, ironique, triste, drôle et touchant. En fait, ça résume assez bien l’ensemble du bouquin, dans lequel des passages amusants succèdent à des interrogations plus graves. J’ai beaucoup apprécié ce personnage central finalement assez complexe et j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de justesse dans cette analyse de caractère… mais sans que ça devienne lourd, la dérision n’est jamais loin pour venir alléger les passages qui auraient pu verser dans un pathos trop insistant. Cependant, si cet album m’a beaucoup parlé, je crains qu’il n’en aille pas de même avec d’autres lecteurs, moins concernés par ce passage de nos existences. Du coup, si je trouve ces Couloirs aériens excellents, je n’en conseillerais pas la lecture à n’importe qui. Mais si vous approchez du demi siècle, si les récits du quotidien vous attirent, si le fait qu’il n’y ait pas de véritable intrigue à un récit ne vous dérange pas… si vous êtes prêts à lire l’histoire banale d’un gars banal à un instant finalement banal de son existence (mais racontée avec un talent peu banal), et bien je vous invite à emprunter ces Couloirs aériens.
Le Rapport de Brodeck
Adapter une œuvre d’un medium à un autre est souvent casse-gueule (combien de romans retranscrits en films ou séries télé déçoivent les fans ?). Les adaptations de romans en BD sont courantes (766 séries référencées sur le site au moment où j’écris ces lignes) mais l’exercice est difficile. Manu Larcenet réussit pour moi un sans-faute, et évite les pièges classiques (textes trop abondants et grosses coupures scénaristiques). Le dessin n’est pas « juste » magnifique, avec ce noir et blanc d’une précision remarquable, et ces scènes contemplatives d’une poésie rarement égalée. Non, ce qui est remarquable selon moi dans le dessin, c’est qu’il accomplit parfaitement son rôle dans l’adaptation : il capture le texte original, les descriptions, les émotions, et les retranscrit dans le medium de la BD : le dessin. Les regards et les silences en disent long, les paysages sont un personnage à part entière. Seuls les dialogues factuels ont été conservés, ce qui donne une narration légère et fluide. L’histoire de Philippe Claudel est sombre au possible, et parle de l’âme humaine, de la peur de l’autre, de la lâcheté face au danger… bref, vous voyez le tableau. Je suis ressorti de ma lecture bouleversé. « Le Rapport de Brodeck » est pour moi un diptyque parfait. Je me retrouve complètement incapable de justifier une note autre que 5/5… et je vois que je ne suis pas le seul.
Coeur de Ténèbres (Delcourt)
Nantes, durant la longue période des guerres de Vendée (où Les Blancs et Les Bleus s’affrontaient), le lieutenant Varenne et son acolyte Uncas, sont engagés pour retrouver le colonel Schreb. Celui-ci, surnommé l’Ange de la terreur, s’est retiré dans des marécages bretons, en compagnie de toute une armée d’oubliés. Son exil est considéré comme une vendetta et si Varenne le trouve, il doit l’abattre. Transposer le célèbre court roman ‘Au cœur des ténèbres’ de Joseph Conrad doit être un sacré défi. C’est un roman intense au caractère très sombre. Il compte le récit d’un périple au cœur de l’Afrique noire d’un jeune officier de la marine marchande britannique envoyé pour rétablir des liens commerciaux, concernant le business de l’ivoire, en pleine jungle, avec un certain Kurtz qui ne donne plus de nouvelles. Je pense qu’après tout le monde doit connaître ce roman de Conrad même si jamais lu via Apocalypse now, le film de Francis Ford Coppola, en transposant le récit durant la guerre du Vietman avec ce duo inoubliable qui est Martin Sheen et Marlon Brando. Jean-Pierre Pécau replace donc les événements de la nouvelle de Conrad avec brio puisqu’il arrive à sublimer ce récit étrange et terrible. Tout en restant sur le thème du conflit, il met en place la sédition d’un homme face à l’horreur de la guerre et met en avant un épisode sanglant et sombre de l’histoire de France : les guerres de Vendée. Les thèmes abordés sont forts et nous dévoilent toute l'angoisse de cette période de l’après Terreur. De plus, Jean-Pierre Pécau arrive à garder le côté exotique, mot à prendre avec des pincettes, du récit de Conrad qui se déroule en Afrique noire, avec le personnage de Uncas, un peau-rouge de la tribu Mohawk, venu s’engager dans l’armée française. De même que le récit de Conrad se déroule sur un fleuve d’Afrique noire au milieu de la jungle, présentement le récit se déroule sur un canoë dans des marécages touffus. Le côté graphique est absolument réussi et atypique. Le trait de Benjamin Bachelier s’harmonise avec la plume de Jean-Pierre Pécau et nous applaudissons le choix de ce duo qui est en total symbiose. Tout en gris, les traits marqués des personnages nous envahissent et nous crient leur horreur, souvent nous sommes à la limite de déchiffrer comme dans un brouillard. Ils ont des regards et des expressions happés par la folie. Des regards hagards, pétris de douleur et de souvenirs sanglants. Et tout d’un coup, des touches de couleurs, très vives, qui nous font monter en pression ! Boum ! Tout en se terminant comme dans une explosion de douleurs ! C’est beau, très beau, très émouvant et très délicat en fait. Je pense que cela peut rebuter au premier coup d’œil car le rendu est presque grossier mais c’est de l’art totalement maîtrisé. Bravo aux auteurs et à l’éditeur qui a su porter à bien ce projet totalement réussi.
Seuls sont les indomptés
Arrivé presque à la fin de l’album, j’ai réalisé qu’il restait un ultime chapitre… et j’ai compris à quel rôle était destiné un personnage dont longtemps on ne comprend pas trop ce qu’il vient faire là… Et là, je me suis dit qu’Edward Abbey, l’auteur du livre dont est adaptée cette bande dessinée, n’était qu’un « p*** de b*** de m*** de l’enc*** de sa race ! », qu’il ne pouvait pas nous faire ça (ni à Jack Burns, son personnage de fiction, ni à moi, simple lecteur) ! Le salaud avait préparé son coup depuis le début et il m’a fallu attendre de voir qu’il restait ce chapitre pour le comprendre !!! Et je ne pouvais m’empêcher de penser « Non ! Pas ça ! Ne lui donne pas ce rôle-là ! Allez ! Sois sympa ! » Mais non, les rôles étaient distribués et l’inéluctable arrive… comme prévu… Et là-dessus, voilà qu’Hugo Piette en rajoute encore une petite couche pour la route et nous gratifie d’une ultime planche qui sonne comme un glas dans un désert navajo… Une page muette qui m’a rendu sourd. J’ai refermé le livre à moitié K.O. C’est pour ça que je lis des bandes dessinées, pour ressentir ce genre d’émotion, d’empathie pour des personnages qui, au départ, ne me semblent pourtant pas spécialement attachants !! Alors, messieurs les auteurs, pour ce pur instant d’émotion : merci ! Pourtant, tout avait commencé assez mollement. Le début du récit ne m’a guère passionné. Je m’attardais alors plus sur le dessin d’Hugo Piette, et sa colorisation qui rend autant hommage au Lucky Luke de Morris qu’à celui de Matthieu Bonhomme. Le personnage principal du récit m’énervait un peu, les événements s’enchaînaient dans un rythme très lent… En fait, je ne voyais pas vraiment où les auteurs voulaient en venir mais le personnage central se construisait peu à peu… Puis vient la seconde partie du récit ! Bordel ! La seconde partie du récit ! Cette chasse à l’homme improbable, où toute la bêtise humaine semble s’être liguée contre Jack Burns et sa soif inextinguible de liberté, qu’est-ce qu’elle est bien foutue. Seuls sont les indomptés est une ode à la liberté mais aussi le triste constat qu’à notre époque les cowboys solitaires n’ont plus vraiment leur place. (Et si je n’ai rien dit du travail de Max de Radiguès, c’est parce que je ne vois pas ce que je pourrais en dire tant cette bande dessinée ne souffre jamais du fait qu’il s’agit d’une adaptation, tant les dialogues sonnent juste, tant le découpage est bon. Il n’y a rien d’exceptionnel, mais simplement une justesse parfaite).
Dracula (Bess)
Grandiose, magnifique, chef d’œuvre. Oui je sais je commence de manière dithyrambique et avec ces termes il est vrai que je place la barre très haut. Mais excusez du peu, librement inspiré du grand roman gothique Dracula et Georges Bess au dessin, il y a de quoi s'enflammer. Pour moi cet album est au delà du chef d’œuvre, tout concourt à en faire un incontournable de la BD de cette année, si Georges Bess recevait le grand prix à Angoulême l'an prochain pour l'ensemble de son œuvre et en particulier ce ne serait pas volé. Dracula, ou si l'on préfère de son nom complet VladIII, Tépes, Comte Orlok, Nosferatu, Comte Dracula, Prince de Valachie est un roman épistolaire qui date de 1897 écrit par Bram Stoker. Celui-ci n'a pas inventé la figure du vampire, il lui a juste donné sa forme moderne en en faisant la figure qu'aujourd'hui tout le monde connait au travers des nombreuses adaptations cinématographiques. Avec ce personnage, Stoker s'inscrit dans la lignée des écrivains gothiques de son temps que sont R.L. Stevenson avec "L'étrange cas du docteur Jekyll et de Mister Hyde" mais également d'O.Wilde et "Le portrait de Dorian Gray" et des textes antérieurs de Sheridan Le Fanu, le docteur Polidori et Marie Shelley. Pour rendre justice au texte de Stoker, texte d'ailleurs repris en grande partie du moins dans la première moitié de l'ouvrage et qui donne un ton fin XIXème juste parfait, de même l'emploi de ce texte parfois suranné loin d'être plombant ajoute du gothique au gothique. Ce texte donc est sublimé par le dessin de G. Bess qui avait déjà abordé le thème du vampire dans sa trilogie Le Vampire de Bénarès. Ici le trait se fait acéré, les encrages sont surpuissants, de grandes lignes partent à l’assaut des planches pour nous envouter avec des paysages gothiques de châteaux, de montagnes, le romantisme affleure dans un mélange de noirceur comme l'âme du comte, mais ces lignes peuvent aussi être d'une grande douceur lorsqu'il s'agit de décrire la vie Post victorienne du bord de mer où vivent Mine et Lucy, femmes rendues évanescentes par le génie du dessin. Ce dessin en noir et blanc arrive à vous prendre aux tripes tant il semble comme le comte doté d'un pouvoir hypnotique, ensorcelant. La figure même de Dracula n'en devient que plus complexe qu'il n'y parait, oscillant entre le monstre sanguinaire et pervers que beaucoup y ont vu et en fait une victime représentative d'une société engoncée dans un carcan de certitudes morales. Qu’ajouter de plus, les mots me semblent superflus et bien pauvres pour vous décrire cette fabuleuse bande dessinée dont j’ai fait mon coup de cœur, j'aurais aimé que l'avis de la semaine existe encore avec la V3 afin d'y être nommé pour cet avis, non pour ma gloriole personnelle mais pour qu'il soit lu par le plus grand nombre et la BD donc achetée. Je n'ai aucune action chez Glénat et ne suis pas ami avec l'auteur.
Les Passagers du vent
Incontournable. Indispensable. Immanquable. Le premier cycle date des années 80 mais n’a pas pris une ride. La méticulosité de l’auteur l’a préservé des ravages des modes. Bourgeon nous raconte une histoire dans un décor finement planté et nous embarque avec son Isa à travers les océans découvrir les terres nouvelles et les horreurs dont les Hommes sont capables. Plus contemplatif, le second cycle était attendu au tournant. Ben, il tient largement la dragée haute au premier. Les décors de bayou et de plantations fourmillent de détails. Les traits des visages se sont affinés. Là encore, comment ne pas se laisser porter par Zabo et Isa dans cette Louisiane en guerre? Le troisième cycle me laisse plus circonspect. L’atmosphère du Montmartre de la Commune est parfaitement représentée. Bourgeon a construit, après recherches sur plans et photos d’époque une maquette du quartier pour s’assurer de la cohérence de ses décors. C’est très beau mais d’une telle précision et relève d’une telle exigence de fidélité que ça finit par manquer d’âme à mon goût. Espérons que, dans le second tome, le personnage de Klervi prenne un peu d’ampleur. Au-delà des immenses qualités du dessin, ce sont peut-être ces héroïnes en avance sur leur temps qui donnent un côté indémodable à cette BD.