A la fin des années 80, 2 auteurs ont révolutionné le monde du comics: Alan Moore avec Watchmen et Frank Miller avec The Dark Night Returns et Electra Assassin. Je comprends que certains puissent être désarçonnés par cette histoire tant elle est novatrice.
Novatrice par le scénario: énormément de « Off », avec l’utilisation d’un vocabulaire très cru dans une histoire foisonnante où se croisent une Ninja conditionnée à abattre une créature monstrueuse qui aurait pris les traits d’un futur président des États Unis. Une sorte de JFK en puissance au sourire « ultra brite », des agents secrets Américains reconstruits de toute pièce par une société qui en fait des sur hommes. Un président Americain en fonction représenté sous les traits d’un Nixon obsédé par la bombe atomique qu’il dit pouvoir activer a tout moment. Le tout sur fond de régîmes Sud Américain déstabilisés par les services secrets des États Unis, qui dans les années 80 avaient encore la phobie d’inavoué des régimes communistes à leurs portes. Si Elektra agit et combat, elle ne parle jamais tel l’agent tueur qu’elle est devenue. Seule référence au monde des comics classique, son idylle brève avec Daredevil sur lequel Frank Miller s’est longuement attardé par ailleurs chez Marvel.
Cette mini série est également novatrice par le dessin de Bill Sienkiewicz: des dessins qui semblent être réalisés en couleurs directes, des collages également puisque la tête du futur président Ken Wind est systématiquement représentée par une photo ou on le voit avec un sourire figé. Je me souviens qu à la fin des années 80 ce graphisme a vraiment été un choc visuel pour beaucoup, et c’est toujours le cas aujourd’hui. Un classique que les amateurs de Comics doivent avoir lu au moins une fois dans leur vie.
Ce sont les avis précédents qui m'ont convaincu pour l'achat et effectivement je confirme que cet album mérite toutes ces critiques positives.
Un album composé de quatre chapitres distincts centrés sur un personnage différent donne à l'ensemble un récit dynamique qui ne faiblira pas jusqu'à la dernière page.
Dieu-fauve est une bd mêlant fantasy et aventure dans une ambiance apocalyptique avec comme référence le mythe du déluge. Sensé laver le monde du mal, ce déluge va au contraire raviver la soif du pouvoir des survivants et notre héros profite du désastre pour se venger. En résumé, une aventure sans pitié pour tous les protagonistes qui vivent dans un monde où le plus fort est celui qui dirige.
Le dessin donne vie efficacement aux combats et aux scènes d'actions. L'utilisation de peu de couleurs par case détermine instantanément l'ambiance et procure du confort à la lecture.
Un superbe moment de lecture
Les bd abordant quelques problématiques actuelles ne sont pas légions, du moins c'est une des premières que je découvre qui va en ce sens et qui pousse à la réflexion. Alors certes, parfois cela paraît manichéen (pour reprendre les termes de mes prédécesseurs), ça ne retranscrit pas parfaitement la réalité mais ça à le mérite d'éveiller les consciences, d'ouvrir les yeux et de comprendre qu'effectivement l'or ne pousse pas sur les arbres, que les lobby pharmaceutiques ne sont pas là pour votre bien être, que les droits dont nous jouissons ne sont pas sortis de terre comme une patate en automne mais qu'ils résultent d'une lutte acharnée entre travailleurs et patrons, que bon nombre d'écosystèmes sont bafoués pour une montagne de deniers, etc... Ça c'est la réalité, ne tient qu'à vous, lecteur, de compléter cet influx avec d'autres bouquins.
Je ne parle même pas des "problématiques" sociales, lié à l'enfance, le rôle de parent, l'envie de se réaliser dans un monde qui nous conditionne, etc... bref une belle oeuvre vouée à déclencher une pagaille entre nos neurones alanguis.
Si les personnages peuvent paraître caricaturaux, ce n'est pas tant un défaut, ils représentent à merveille les badauds peuplant notre petite planète et créent des interactions tout bonnement splendides entre les générations, les milieux de vies, etc...
Évidement c'est excessivement bien amené avec de l'humour, des personnages attachants et un dessins caricaturales qui colle parfaitement au récit.
Enfin une lecture un minimum engagé en toute légèreté... non mais quelle prouesse ! Chapeau bas à ce duo qui a réussi un coup de maître avec ces 6 premiers albums.
Keum Suk Gendry-kim est une autrice et traductrice sud-coréenne.
Elle a d’abord étudié à Sejong avant de rejoindre Strasbourg et qui, après quelques années en France, est retournée vivre en Corée. En plus de ses nombreux travaux de traduction, elle est à la fois l’autrice de bande dessinée jeunesse (dont certaines inédites en francophonie) et de bandes dessinées autobiographiques et reportages.
Son ouvrage, "Les Mauvaises Herbes" est paru une première fois aux éditions Delcourt en 2018. Il a été publié en 7 langues et a reçu de nombreux prix à travers le monde. Il ressort aujourd’hui aux éditions Futuropolis et mérite amplement un nouveau coup de projecteur
Les « Mauvaises Herbes » est une histoire vraie. Elle est basée sur le témoignage et les souvenirs d’une dame, Lee Oksun, que l’autrice rencontre au détour de la visite d’un centre pour « femmes de réconfort ». Les femmes de réconfort, c’est ainsi que l’on appelait les esclaves sexuelles de l’armée japonaise, en 1943, en pleine guerre du Pacifique. A l’époque, la Corée se trouvait sous occupation nippone. Oksun, a 16 ans et est vendue par ses parents adoptifs comme esclave sexuelle à l'armée japonaise basée en Chine. Après avoir vécu 60 ans loin de son pays, Sun revient sur sa terre natale. Sa rencontre avec Keum Suk Gendry-kim va lui permettre de relater l’enfer qu’elle a vécu à l’époque… un enfer qu’elle décrit de façon très factuelle et qui ne fait que souligner l’horreur qu’on vécues des tas de femmes durant cette période méconnue de l’histoire.
C’est un ouvrage long de 500 pages que nous propose l’autrice et, le moins que l’on puisse dire c’est que la force et la puissance de ce témoignage nous fait difficilement arrêter la lecture. Keum Suk Gendry-kim alterne sa narration entre ses rencontres avec une Oksun âgée et le récit imagée de la jeunesse (et du calvaire) de cette dernière. En ce sens, l’histoire rappelle Maus un autre grand témoignage en bande dessinée récit qui lui aussi alternait entre l’horreur des camps de concentrations et le témoignage qu’un homme en faisait à son fils.
Keum Suk Gendry-kim relate avec beaucoup de simplicité et de force un récit empli de tristesse, de violence, voire parfois d’un certain nihilisme. Le détachement avec lequel Oksun raconte certains passage de sa vie en captivité est parfois glaçant. On a le cœur brisé pour cette femme qui tant bien que mal, construite , s’est construite une vie malgré les horreurs qu’elle a vécu enfant et jeune femme. De son propre aveu, Oksun semble avoir fait le deuil d’un bonheur qu’elle n’aura finalement jamais connu. La narration que propose Keum Suk Gendry-kim est à la fois dure, pudique et très poétique. On ressent au plus profond de notre chaire les brimades, les humiliations et l’injustice que vivent Oksun et ces autres « femmes de réconfort ». On se sent finalement impuissant face à une profonde et honteuse injustice qui, malheureusement fait partie d’une histoire trop peu racontée.
Le trait de Keum Suk Gendry-kim est fascinant. Son dessin est en noir et blanc, son trait est « gras », réalisé au pinceau et à la plume (nous semble-t-il) et constitué de gros aplats noirs. C’est un dessin aussi brut que l’histoire qu’il raconte (et sans doute que le témoignage d’Oksun) et dont parfois ressortent des vrais moments de grâces, notamment dans la représentation de la végétation (dont les « mauvaises herbes » qui ont, en partie, inspiré le titre) et de certaines scènes entre ces différentes femmes de réconfort.
Cet ouvrage est véritablement un témoignage coup de poing. A titre personnel, c’est une partie de l’histoire que je ne connaissais que trop peu, voire pas du tout. Découvrir le traitement que ces femmes ont subies il y a à peine 80 ans (quasiment rien à l’échelle de l’histoire humaine) a quelque chose de profondément choquant, déstabilisant, éprouvant…
La vie d’Oksun, telle que décrite dans ce livre, a été une succession d’épreuves et d’injustices. Des épreuves que la jeune femme a traversé avec une colère étouffée et, parfois, une résignation perturbante et glaçante. Quand on réalise à quel point la situation de cette jeune femme et de ses camarades d’infortunes était désespérée (ainsi que celle, dans une moindre mesure, de certains des militaires japonais, pris eux aussi dans un engrenage malsain), on ne peut que saluer la force de caractère et d’abnégation de cette femme qui se sera, envers et contre tout, accrochée à un instinct de survie. Un instinct de survie dans tout ce qu’il a de plus primaire. Une volonté de vivre qui lui aura permis de croiser la route de Keum Suk Gendry-kim et de faire en sorte que son histoire ne soit jamais oubliée
« Les Mauvaises Herbes » est un récit dévastateur qui ne vous laissera pas indemne. Une histoire froide et profondément humaine qui donne, enfin, une voix, à celles qui en ont été privées pendant trop longtemps. Une histoire qui, nous l’espérons, accordera à leur courage toute la place qu’il mérite dans l’histoire de l’humanité.
Je vais commencer mon avis par le petit descriptif repris ci-dessus, il résume parfaitement cette magnifique BD : Une plongée passionnante dans notre histoire contemporaine, construite comme une enquête, qui interroge la culpabilité d'une famille allemande ordinaire sous le nazisme.
J'étais à la recherche d'une lecture intéressante, j'ai pris cette BD dans les mains et j'ai commencé à la feuilleter et deux mots ont piqué ma curiosité : Berlin et Riga (Deux villes que j'adore). Puis à la lecture de la quatrième de couverture, mon choix était fait, elle sera mienne. Et je ne le regrette pas, car cet album recèle de merveilleuses qualités.
Bianca Schaalburg, avec cet ouvrage, nous dévoile les lourds secrets de sa famille. Une enquête longue et difficile, de nombreux documents ont été détruit avant la fin de la seconde guerre mondiale. Une enquête qui commence dans les années 20 avec la création du NSDAP (Parti national-socialiste des travailleurs allemands).
Et la question que pose ce récit : Peut-on réellement ne rien savoir des horreurs perpétrées par les nazis lorsqu'on est Aryen vivant à Berlin ?
L'obstination de l'autrice allemande pour faire éclater la vérité m'a touché, car elle ne cherche pas d'excuse à sa famille. Elle veut juste la vérité, rien que la vérité même si elle doit lui faire mal.
Une lecture exigeante, les personnages sont nombreux et la narration avec les incessants allers-retours sur les différentes périodes demandent de la concentration.
Une lecture qui m'a beaucoup appris, le massacre de Rumbala en Lettonie, la commission de dézanification et ses quatre degrés d'implication (coupables, compromis, peu compromis et suiveurs) et bien d'autres choses...
Un récit historique - et presque documentaire - aussi puisqu'il retrace le passé de l'Allemagne, des heures noires à sa réunification en passant par la guerre froide.
L'odeur des pins est la même, à Berlin ou à Riga.
Un dessin simple et efficace avec beaucoup de charme, au trait légèrement gras.
J'ai beaucoup aimé la colorisation, elle joue un rôle important dans la narration. Une couleur dominante pour chaque période, qui elle-même évolue suivant les années. On débute avec un triste marron pour les années hitlériennes, un vert pâle pour les années d'après guerre et 1950, un bleu terne pour la décennie suivante, le orange pour les seventies et enfin le rose pour les années 2000/2010. La couverture reprend les codes couleurs.
Quelques photos des personnages sont présentes ci et là, elles apportent de l'authenticité au récit.
Un plus indéniable à mon plaisir de lecture.
Un gros dossier, en fin d'album, sur les villes de Berlin et Riga et sur les tortionnaires nazis, vient compléter le récit. Un vrai plus.
Une BD qui mérite ton attention !
"Le travail de mémoire est sans fin. Il n'y a pas de rédemption pour notre histoire. Car si nous ne nous souvenons pas, nous perdrons notre avenir."
Frank-Walter Steinmeier (Président Fédéral d'Allemagne).
Je rejoins les très bons avis précédents sur cette BD, la première de Singelin que je lis, et qui constitue pour moi un mini coup de cœur. Je l'ai achetée suite à l'avalanche de critiques dithyrambiques que j'ai lues à son sujet et je ne le regrette aucunement !
Il est difficile de décrire la poésie qui se dégage de cette œuvre dont les thèmes sont assez variés (écologie, consumérisme, sens de la vie, amitié, etc.) mais je l'ai refermée en sentant que quelque chose s'était passé. C'est ce qui pour moi différencie une très bonne BD d'une BD sympa qui nous fait simplement passer un bon moment.
Je ne reviendrai pas sur l'histoire qui a déjà été largement décrite précédemment mais sur les plus gros points forts de cette BD :
- Un très bel ouvrage dans son ensemble avec ce côté métallique et fluo collant bien à l'univers de la SF ;
- Un dessin magnifique qui fourmille de détails et aux très belles couleurs pastels. La rondeur et le côté enfantin des personnages tranchent d'ailleurs beaucoup avec certaines séquences assez dures de l'histoire (passage à tabac d'Alex par exemple) ;
- Une histoire très poétique, sans que l'on sache forcément où elle va nous mener, même si comme le souligne Ro, on pourra critiquer par moment la bien-pensance et le côté un peu "fleur-bleue" des réactions de nos 3 héros, pourtant issus de milieux et de conditions sociales très différentes.
Une BD ressourçante et inspirante devant faire partie de toute bonne bdthèque selon moi.
Originalité - Histoire : 8/10
Dessin - Mise en couleurs : 9/10
NOTE GLOBALE : 17/20
Il est assez rare qu'une lecture parvienne à m'émouvoir. M'amuser, me distraire, m'énerver, me porter, me toucher, oui. M'émouvoir, c'est plus difficile. Parce que je suis un garçon et qu'on m'a appris à ne rien laisser paraitre, surtout. Et pourtant, de temps en temps, une lecture me touche et m'émeut. Lorsque le volume est reposé, j'ai une larme au coin de l’œil et je sens que quelque chose à remué en moi. Un écho à ma propre vie, qui agite mes émotions.
Cette lecture fait partie de celles-ci.
Je connaissais déjà Lucile Gomez à travers les blogs-bd où elle postait des dessins, et j'avais noté son trait en personnage filiforme, avec un usage de la couleur qui m'avait déjà tapé dans l’œil et une absence de case comme pour être plus libre. J'avais apprécié plusieurs de ses BD et c'est un vrai plaisir de pouvoir lire à nouveau quelque chose de sa main.
Mais là, c'est vraiment l'histoire qui m'a pris au tripes. Et c'est parce que, pour une fois, j'ai été porté par le récit qui m'a fait clairement écho à ma propre vie. J'ai déjà reproché à des BD de faire, selon moi, un portait de jeunesse dans lequel je ne me reconnaissais pas du tout et surtout qui me semblait trop superficielles dans leurs traitements (Génération Y ou Ce que font les gens normaux notamment). Là, ça n'a pas du tout été le cas. Sans doute parce que je suis plus proche de ces milieux là, des questionnements présents dans la BD ou simplement parce qu'elle m'a semblé plus pertinente, mais Lucile Gomez fait, à travers son personnage, une synthèse diablement efficace de la jeunesse.
C'est des artistes en devenir sans travail, un monde de l'emploi catastrophique pour les nouveaux arrivants, des considérations sur l'écologie et le capitalisme, la question de nos positions dans ce monde (entre volontés et réalités), la portée de nos convictions, les idéaux, le patriarcat ... C'est riche, dense (près de 200 planches tout de même) et surtout riche de réponses.
La BD exploite beaucoup de procédés que j'ai trouvé très bon. Déjà les doubles pages, présentes plusieurs fois dans la BD, des idées de mises en scène par le découpage (je pense aux cases à la fenêtre qui enferment le personnage habituellement libre) ou encore l'utilisation du chat. C'était un procédé couramment utilisé dans les blogs-bd pour pouvoir faire une discussion (Frantico, Gally ou Lucile Gomez s'en servaient) mais je le trouve très bien utilisé ici. Cette voix intérieure, mélange de conscience, de reste d'éducation parentale et de nos peurs, qui revient nous hanter et nous parler régulièrement. La narration exploite aussi les bulles, disposées parfois de façon peu conventionnelles, et le dessin, avec cet ami qui semble flou dans son corps et sa voix, décoloré pour montrer son décalage avec le monde autour de lui.
Je pourrais parler longuement de ce qui m'a plu ici : les débats et les questionnements, les attaques contre ce monde détesté, les remarques entendus en tant que jeune, les coups durs de la vie pour te rappeler ta place, les moments tendres, drôles, durs. C'est une plongée dans l'enfer de ce que peut être la jeunesse pleine d'espoir qui sort de diplômes et découvre le capitalisme, le libéralisme et le chômage. Bienvenu dans la réalité, prenez un siège ...
Et pourtant, Lucile Gomez fait une histoire au final presque heureux, même s'il n'est clairement pas le Happy End qu'on attendrait. Plein d'espoirs, plus que plein de joie, il m'a tiré une larme parce qu'il incarne parfaitement ce qu'on doit garder en tête après toute cette noirceur. Et rien que pour ça, j'ai trouvé la BD extraordinaire. Il y a quelques passages de poésie dans les dialogues qui m'ont particulièrement touchés.
C'est une BD que je vais garder précieusement. Parce qu'elle me rappelle des gens, des situations, parce qu'elle est juste dans ce qu'elle montre et ce qu'elle dénonce, mais aussi qu'elle laisse place à l'espoir. Un espoir qui est ce qu'il reste, en fin de compte. L'avenir est encore à nous, même s'il s'annonce sombre. Et j'aime beaucoup la tendresse qui se dégage de cette BD.
Je ne m'attendais pas à grand chose, j'ai été époustouflé par ce récit. L'autrice à fait preuve d'une grande maitrise dans la narration pour donner cette synthèse réussie. A mon sens, c'est une excellente BD.
Il y a des BD qui vous informent factuellement sur des évènements bien précis. Il y en a d'autres qui vous les font ressentir. Petit pays fait partie de ces dernières, et elle le fait d'une telle manière qu'elle pousse immanquablement le lecteur à vouloir se renseigner davantage sur un sujet éminemment complexe.
Inspiré des souvenirs du rappeur et écrivain franco-rwandais Gaël Faye, le roman Petit Pays, paru en 2016, raconte l'histoire du jeune Gabriel qui vit une enfance heureuse au Burundi malgré une ambiance étrange qui laisse présager le génocide des Tutsis à venir dans le Rwanda voisin. Sa mère étant Tutsi et exilée au Burundi depuis plus de 10 ans, celle-ci ressent de très près les tensions marquantes entre Hutus et Tutsis et la situation politique sur le fil du rasoir dans son pays d'origine. Mais hormis le conflit que cette situation crée entre sa mère et son père, expatrié belge un peu à côté de la plaque, le petit Gabriel est protégé autant que possible de la terrible réalité et vit une enfance joyeuse avec ses amis et voisins. Cependant, tandis que la situation se tend de plus en plus, l'enfant va être témoin de plus en plus de changements dans sa vie jusqu'à ce que la tragédie impacte irrémédiablement le Rwanda et par extension le Burundi aussi, de même que la famille et les proches de Gabriel.
C'est un récit réalisé avec brio. Les éléments se mettent en place avec le plus grand naturel. D'une situation nostalgique d'enfance heureuse, on passe doucement mais sûrement à une situation dramatique avec des impacts géopolitiques majeurs et des conséquences familiales tout aussi importantes. Et le tout vu par les yeux d'un enfant intelligent et sensible, avec à la fois les non-dits mais aussi une véritable compréhension instinctive de la bizarrerie et du danger de cette situation. Le pire étant qu'en 1994, à l'époque de ce récit, j'étais au lycée dans la capitale du Kenya voisin, avec des Rwandais dans ma propre classe, et que tout comme les enfants de cette histoire je n'avais qu'une vision tronquée de ce qui se déroulait dans leur pays au même moment.
Le dessin de Savoia est parfait pour cet ouvrage. Ses décors du Burundi sont aussi beaux et exotiques que poignants quand on pense à l'horreur qui s'y déroule et qui va défigurer ce paradis pour occidentaux. J'y ai retrouvé en grande partie l'ambiance de ma propre jeunesse africaine. Et tant sa représentation des personnages que son sens de la mise en scène permet une lecture d'une grande fluidité et d'une parfaite efficacité graphique. C'est beau et bien raconté.
Alors que ce récit se déroule au Burundi voisin, j'ai appris davantage avec cette BD sur le génocide rwandais que dans toutes mes lectures précédentes. C'est avant tout la question de la haine ethnique et de son absurdité qui est présentée ici, ainsi que les ravages que cela va causer. La manière dont elle va dévaster des familles et des amitiés frappe aussi le lecteur de plein fouet. Très dur et cruel tout en restant toujours dans la retenue et la sobriété, cette représentation de l'horreur sait se rendre lisible et compréhensible par tous. On pourrait lui reprocher son manque d'explications sur les causes, les parties en présence et sur le déroulement précis des faits de génocide, mais c'est justement vers la recherche de davantage d'informations que cet album nous pousse, pour comprendre comment les choses ont pu en arriver là et savoir poser des faits sur ce que l'on vient de ressentir.
J'ai refermé cet album la gorge nouée et avec l'impression d'avoir bien mieux compris non pas une énumération de faits mais bien toute l'émotion qui a impacté une région entière de l'Afrique centrale et tous les peuples et individus qui l'habitaient.
Ils ne le dompteront pas.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, présentant la particularité d’être narrée sans texte, ni mot. Sa première édition date de 1919. Il a été réalisé par Frans Masereel, pour le scénario et les dessins, par le procédé de gravure sur bois. Il s’ouvre avec une préface de deux pages, écrite par Jacques Tardi, accompagnée par une illustration pleine page de sa main. Il se termine avec une postface rédigée par Samuel Degardin, intitulée Portrait de l’artiste et son double, un article d’une page de Martin de Halleux (De l’encre de Chine au bois gravé), un autre sur les détails (un œil au centre d’un triangle), un dossier photographique de seize pages sur l’auteur, une biographie chronologique de quatre pages. Il s’agit du deuxième roman graphique, à raison d’une case par page, sans texte, de cet auteur, après 25 images de la passion d’un homme (1918).
Le train arrive en gare et l’homme agite le bras par la fenêtre, alors que s’échappe quelques petits nuages de vapeur. Le train est arrivé en gare, les voyageurs descendent, certains se précipitent dans les bras de membres de leur famille pour des retrouvailles. L’homme descend tranquillement, le dernier à sortir de son wagon. En remontant le quai, il prend le temps de s’arrêter pour examiner une des grandes roues de la locomotive à moitié cachée par un jet de vapeur. À la sortie de la gare, il se retrouve au milieu de la foule, des hommes portant tous un chapeau, alors que lui se trouve nue tête, des hommes marchant rapidement, alors que lui se tient immobile en train d’observer. Il traverse la rue et il se retrouve au milieu de la chaussée, alors que les automobiles passent de chaque côté. À nouveau il se tient immobile en observant. Il continue sa déambulation et il se retrouve dans un autre quartier : plus de femmes, toutes portant un couvre-chef, et quelques hommes eux aussi en chapeau. Il continue encore et se retrouve à l’arrière d’un petit groupe en train d’écouter un homme qui fait un discours en pointant du doigt.
L’homme continue à marcher et il se retrouve à longer une parcelle dans laquelle s’active les ouvriers sur un gros chantier, avec des grues et des échafaudages, un moteur à vapeur actionnant une machine-outil. Un peu plus loin, le calme est revenu : l’homme longe un long mur de clôture aveugle, derrière lequel se trouve des pavillons, et un peu derrière une grande cheminée d’usine. Cette fois-ci, il s’arrête devant des grandes roues mues par un moteur, avec des courroies les reliant entre elles : il semble s’interroger sur leur fonction. Il décide de parcourir la rue suivante en courant, à nouveau un mur aveugle derrière lequel se trouve une grande halle abritant une usine. Il passe maintenant devant les guichets d’une banque et il touche le bras d’un pickpocket en train de subtiliser le portefeuille d’un homme réalisant un paiement au guichet.
S’il a déjà lu 25 images de la passion d’un homme, le lecteur sait à quoi s’attendre, sinon il découvre une œuvre au format original. Le créateur réalise des dessins sur des blocs de bois, par xylographie, et l’ouvrage présente une image par page, sans aucun mot. La lecture s’avère rapide et facile : des dessins assimilables et compréhensibles au premier coup d’œil dans un noir & blanc très contrasté, autant de situations différentes avec un passage du temps fluctuant entre deux cases, soit un bref instant, soit plusieurs jours, semaines ou mois. Les dessins présentent de grosses masses noires, des traits de contours épais, une description simplifiée avec un bon niveau de détails. Le personnage principal est un homme qui n’est jamais nommé et qui est présent dans chacune des images. Cet homme est aisément repérable dans chaque case, soit parce qu’il est tout seul ou seulement avec une autre personne, mais également du fait de sa grande taille, de sa silhouette élancée, ou par de l’absence de port de chapeau, à de rares occasions par la continuité de son activité d’une page à l’autre. Comparé à 25 images de la passion d’un homme, il s’agit à la fois d’une fresque de plus grande ampleur emmenant le personnage dans d’autres pays, à la fois un peu plus réduite puisque le récit commence avec l’arrivée de l’homme dans la grande ville, et pas à partir de sa conception et de sa naissance.
La narration présente une forme très particulière : un dessin par page, aucun mot, du noir & blanc. La suite d’images forme bien une histoire, avec une intrigue (cette phase de la vie du personnage principal), une chronologie linéaire, et des liens de cause à effet ou de succession temporelle évidents. La qualité de la reprographie impressionne par sa netteté. Les aplats de noirs et les traits de contour forment des masses épaisses, aux bords parfois irréguliers, parfois bien nets et droits quand il s’agit de structures métalliques. Dans son introduction, Jacques Tardi met en avant les caractéristiques suivantes : Masereel met en scène, en utilisant toutes les ressources et les codes visuels nécessaires à l’évocation expressionniste de la ville bruyante, des quartiers ouvriers, des intérieurs divers, de la foule de la rue, et aussi les tourments intimes du personnage qu’il incarne. Il court, se moque, s’épuise, rit et pleure. Désespoir et colère s’expriment tour à tour. Partir à la campagne, faire du patin à glace, aller au théâtre, acheter un chou-fleur sur le marché et le faire cuire dans cuisine, boire, jouer de l’accordéon, danser, grimper au sommet du mât de cocagne, labourer un champ, participer à une réunion syndicale, s’informer s’instruire de la réalité sociale, des luttes ouvrières, ne pas être dupe, partager avec ses semblables… désillusion amoureuse, une autre femme, et la mort au bout de cette nouvelle aventure. Oublier, voyager, rentrer, boire, refuser de porter les armes, refuser la médaille, montrer son cul à un ecclésiastique et mourir au milieu des tournesols, le cœur brisé, la tête dans les étoiles !
Le lecteur n’apprendra rien du passé du personnage qu’il est tenté de prénommer Frans, supposant qu’il exprime la vision du monde que l’auteur peut avoir. Il arrive en ville et se montre curieux de chaque situation qu’il peut observer, rue par rue, quartier par quartier. Il participe à la vie sociale, aussi bien par le travail que par les moments de détente, de divertissement, d’activités en commun. Il finit par éprouver le besoin de prendre du recul, littéralement de prendre le large pour aller voir du pays, d’autres pays, de la page 110 à la page 135. Puis il revient dans cette mégapole qui n’est pas nommée. Il raconte à d’autres habitants les merveilles qu’il a vues, les amitiés qu’il a nouées. Le lecteur retrouve tous les éléments disparates énumérés par Tardi dans son introduction, dans le déroulement linéaire de la vie de Frans. De fait, l’artiste épate le lecteur encore et encore par l’expressivité de ses illustrations, par sa capacité à choisir des moments édifiants et parlants, par son art de faire partager la palette des émotions et des états d’esprit de Frans. Son assurance et sa confiance en tant qu’étranger curieux de tout dans une étrange ville. En tant qu’être humain faisant la démarche de se cultiver : lire le journal, se rendre dans les musées pour admirer les œuvres d’art, se plonger dans des livres. Aider son prochain, soit un homme qui pousse une charrette chargée, soit jouer innocemment avec des enfants. Participer à une fête. Éprouver l’amour. Etc. Son empathie lui fait ressentir la souffrance de la condition ouvrière et il n’hésite pas à lutter avec eux contre un système les exploitant, dans des pages rappelant un passage similaire de 25 images de la passion d’un homme. Le lecteur ne s’attendait pas à ce que de simples images puissent rendre compte avec une telle sensibilité du ressenti intérieur d’un être humain, ou de situations sociales complexes avec une telle clarté. L’intention de l’auteur semble avoir traversé intacte les décennies séparant sa création du lecteur.
La forme de la narration visuelle produit d’étranges effets sur le mode de lecture. D’un côté, il s’agit bien évidemment d’une suite d’images, chacune isolée sur une page. Du coup, le lecteur les considère une à une, chacune prise pour elle-même. Il accorde plus d’attention que d’habitude à chaque dessin, que s’il s’agissait d’une bande dessinée classique. Dans la première, il s’amuse du mode de représentation de la vapeur du train : des gros arcs de cercle, délimitant une surface bien blanche, plus importante que les autres surfaces laissées en blanc dans cette image. Il se dit également que le bras de Frans est un peu plus long qu’il ne le devrait, accentuant légèrement une forme de naïveté, le rendant touchant et drôle. En page quarante-neuf, il voit Frans (toujours avec des bras longs) aider une femme avec des béquilles, à traverser une rue pavée. Le rendu de ceux-ci se situe entre une description soignée rendant compte de l’irrégularité du pavage, mais aussi d’abstraction avec leur forme rectangulaire un peu trop géométrique. La silhouette de l’homme et celle de la femme évoquent la gravure sur bois, c’est-à-dire la technique utilisée par l’artiste. Les deux silhouettes en arrière-plan relèvent plus des ombres chinoises, une autre technique de représentation. L’arrière de la cariole s’apparente à un grand rectangle noir, alors que chacun des treize rayons de la roue est silhouetté par une bande laissée blanche, se détachant ainsi clairement. En page cent-treize, Frans, debout sur un rocher, contemple un coucher de soleil : les traits noirs tirent vers une représentation conceptuelle des reflets sur l’océan, des rayons du soleil, Frans n’étant qu’une vague ombre chinoise. Page cent-quarante-six, Frans conduit une automobile à tombeau ouvert dans une représentation naïve. La dernière séquence dans la forêt évoque l’art naïf. Alors que les images en noir & blanc peuvent sembler austères et faire craindre une forme de monotonie, il suffit que le lecteur s’y attarde un instant pour se rendre compte de leur diversité, de leur richesse, de leur conception soignée et réfléchie.
Qu’il ait déjà lu un autre ouvrage de Frans Masereel ou non, le lecteur n’a pas idée de la richesse du récit dans lequel il plonge. La narration visuelle s’avère sophistiquée sur le plan graphique, très empathique, et capable de rendre compte de situations complexes et délicates en une unique image, toujours aussi parlante après toutes ces décennies passées. Le parcours de vie du personnage révèle son humanité et son humanise, son refus des compromissions de ses idéaux, sa soif de fraternité et d’entraide. Poignant.
A l’annonce de l’adaptation du chef d’œuvre de Cormac McCarthy « The Road » par Manu Larcenet, j’étais dubitatif. Ayant lu le roman, pas évident de trouver la bonne formule pour dessiner un texte si contemplatif et si avare en parole.
Pas que je doutais des capacités de cet auteur, mais je me demandais comment son style graphique allait pouvoir épouser de manière réaliste la profonde noirceur du roman et allait soutenir ces images de désolation dans la répétitivité et sans lasser.
Les premières images disponibles sur internet m’avait pleinement rassuré mais ne m’avait pas préparé à un tel choc en tenant l’objet physiquement (les objets en fait i.e. La version noir et blanc et la version couleur !) entre mes mains et en ouvrant et parcourant les pages. MAGISTRAL !
D'ailleurs, si vous hésitez entre la version noir et blanc et la version couleur, un conseil, achetez les deux !
Chaque planche et je dis bien chaque planche est un régal pour les yeux.
Le Rapport de Brodeck avait fait très fort à l'époque mais l’auteur pousse le curseur beaucoup beaucoup plus loin dans la perfection de son trait. La mise en couleur est incroyable de nuances et embelli le tout. Ne vous y trompez pas toutefois, même si des étincelles de joie apparaissent ici ou là, tout n’est que cendres, âpreté et désespérance.
Manu Larcenet a su rester fidèle à l'oeuvre originel qui n'est point dénaturée mais sublimée en y apportant sa touche personnelle.
Emouvante, terrifiante, brillantissime, insurpassable, etc... Je vais m’arrêter là avec les superlatifs car je pourrais les enfiler un à un comme des perles.
Manu Larcenet a totalement réussi son pari, il m’a même donné l’envie de relire le livre. C'est dire !
Chef d’œuvre absolu, si j'avais pu mettre six étoiles, je l'aurais fait !
En France, les livres sont au même prix partout. C'est la loi !
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La création de Cultura repose sur une vision de la culture, accessible et contributive. Nous avons ainsi considéré depuis toujours notre responsabilité sociétale, et par conviction, développé les pratiques durables et sociales. C’est maintenant au sein de notre stratégie de création de valeur et en accord avec les Objectifs de Développement Durable que nous déployons nos actions. Nous traitons avec lucidité l’impact de nos activités, avec une vision de long terme. Mais agir en responsabilité implique d’aller bien plus loin, en contribuant positivement à trois grands enjeux de développement durable.
Nos enjeux environnementaux
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Nous accordons une attention particulière au bien-être de nos collaborateurs à la diversité, l’inclusion et l’égalité des chances, mais aussi à leur épanouissement, en encourageant l’expression des talents artistiques.
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Elektra (Delcourt)
A la fin des années 80, 2 auteurs ont révolutionné le monde du comics: Alan Moore avec Watchmen et Frank Miller avec The Dark Night Returns et Electra Assassin. Je comprends que certains puissent être désarçonnés par cette histoire tant elle est novatrice. Novatrice par le scénario: énormément de « Off », avec l’utilisation d’un vocabulaire très cru dans une histoire foisonnante où se croisent une Ninja conditionnée à abattre une créature monstrueuse qui aurait pris les traits d’un futur président des États Unis. Une sorte de JFK en puissance au sourire « ultra brite », des agents secrets Américains reconstruits de toute pièce par une société qui en fait des sur hommes. Un président Americain en fonction représenté sous les traits d’un Nixon obsédé par la bombe atomique qu’il dit pouvoir activer a tout moment. Le tout sur fond de régîmes Sud Américain déstabilisés par les services secrets des États Unis, qui dans les années 80 avaient encore la phobie d’inavoué des régimes communistes à leurs portes. Si Elektra agit et combat, elle ne parle jamais tel l’agent tueur qu’elle est devenue. Seule référence au monde des comics classique, son idylle brève avec Daredevil sur lequel Frank Miller s’est longuement attardé par ailleurs chez Marvel. Cette mini série est également novatrice par le dessin de Bill Sienkiewicz: des dessins qui semblent être réalisés en couleurs directes, des collages également puisque la tête du futur président Ken Wind est systématiquement représentée par une photo ou on le voit avec un sourire figé. Je me souviens qu à la fin des années 80 ce graphisme a vraiment été un choc visuel pour beaucoup, et c’est toujours le cas aujourd’hui. Un classique que les amateurs de Comics doivent avoir lu au moins une fois dans leur vie.
Le Dieu-Fauve
Ce sont les avis précédents qui m'ont convaincu pour l'achat et effectivement je confirme que cet album mérite toutes ces critiques positives. Un album composé de quatre chapitres distincts centrés sur un personnage différent donne à l'ensemble un récit dynamique qui ne faiblira pas jusqu'à la dernière page. Dieu-fauve est une bd mêlant fantasy et aventure dans une ambiance apocalyptique avec comme référence le mythe du déluge. Sensé laver le monde du mal, ce déluge va au contraire raviver la soif du pouvoir des survivants et notre héros profite du désastre pour se venger. En résumé, une aventure sans pitié pour tous les protagonistes qui vivent dans un monde où le plus fort est celui qui dirige. Le dessin donne vie efficacement aux combats et aux scènes d'actions. L'utilisation de peu de couleurs par case détermine instantanément l'ambiance et procure du confort à la lecture. Un superbe moment de lecture
Les Vieux Fourneaux
Les bd abordant quelques problématiques actuelles ne sont pas légions, du moins c'est une des premières que je découvre qui va en ce sens et qui pousse à la réflexion. Alors certes, parfois cela paraît manichéen (pour reprendre les termes de mes prédécesseurs), ça ne retranscrit pas parfaitement la réalité mais ça à le mérite d'éveiller les consciences, d'ouvrir les yeux et de comprendre qu'effectivement l'or ne pousse pas sur les arbres, que les lobby pharmaceutiques ne sont pas là pour votre bien être, que les droits dont nous jouissons ne sont pas sortis de terre comme une patate en automne mais qu'ils résultent d'une lutte acharnée entre travailleurs et patrons, que bon nombre d'écosystèmes sont bafoués pour une montagne de deniers, etc... Ça c'est la réalité, ne tient qu'à vous, lecteur, de compléter cet influx avec d'autres bouquins. Je ne parle même pas des "problématiques" sociales, lié à l'enfance, le rôle de parent, l'envie de se réaliser dans un monde qui nous conditionne, etc... bref une belle oeuvre vouée à déclencher une pagaille entre nos neurones alanguis. Si les personnages peuvent paraître caricaturaux, ce n'est pas tant un défaut, ils représentent à merveille les badauds peuplant notre petite planète et créent des interactions tout bonnement splendides entre les générations, les milieux de vies, etc... Évidement c'est excessivement bien amené avec de l'humour, des personnages attachants et un dessins caricaturales qui colle parfaitement au récit. Enfin une lecture un minimum engagé en toute légèreté... non mais quelle prouesse ! Chapeau bas à ce duo qui a réussi un coup de maître avec ces 6 premiers albums.
Mauvaises Herbes
Keum Suk Gendry-kim est une autrice et traductrice sud-coréenne. Elle a d’abord étudié à Sejong avant de rejoindre Strasbourg et qui, après quelques années en France, est retournée vivre en Corée. En plus de ses nombreux travaux de traduction, elle est à la fois l’autrice de bande dessinée jeunesse (dont certaines inédites en francophonie) et de bandes dessinées autobiographiques et reportages. Son ouvrage, "Les Mauvaises Herbes" est paru une première fois aux éditions Delcourt en 2018. Il a été publié en 7 langues et a reçu de nombreux prix à travers le monde. Il ressort aujourd’hui aux éditions Futuropolis et mérite amplement un nouveau coup de projecteur Les « Mauvaises Herbes » est une histoire vraie. Elle est basée sur le témoignage et les souvenirs d’une dame, Lee Oksun, que l’autrice rencontre au détour de la visite d’un centre pour « femmes de réconfort ». Les femmes de réconfort, c’est ainsi que l’on appelait les esclaves sexuelles de l’armée japonaise, en 1943, en pleine guerre du Pacifique. A l’époque, la Corée se trouvait sous occupation nippone. Oksun, a 16 ans et est vendue par ses parents adoptifs comme esclave sexuelle à l'armée japonaise basée en Chine. Après avoir vécu 60 ans loin de son pays, Sun revient sur sa terre natale. Sa rencontre avec Keum Suk Gendry-kim va lui permettre de relater l’enfer qu’elle a vécu à l’époque… un enfer qu’elle décrit de façon très factuelle et qui ne fait que souligner l’horreur qu’on vécues des tas de femmes durant cette période méconnue de l’histoire. C’est un ouvrage long de 500 pages que nous propose l’autrice et, le moins que l’on puisse dire c’est que la force et la puissance de ce témoignage nous fait difficilement arrêter la lecture. Keum Suk Gendry-kim alterne sa narration entre ses rencontres avec une Oksun âgée et le récit imagée de la jeunesse (et du calvaire) de cette dernière. En ce sens, l’histoire rappelle Maus un autre grand témoignage en bande dessinée récit qui lui aussi alternait entre l’horreur des camps de concentrations et le témoignage qu’un homme en faisait à son fils. Keum Suk Gendry-kim relate avec beaucoup de simplicité et de force un récit empli de tristesse, de violence, voire parfois d’un certain nihilisme. Le détachement avec lequel Oksun raconte certains passage de sa vie en captivité est parfois glaçant. On a le cœur brisé pour cette femme qui tant bien que mal, construite , s’est construite une vie malgré les horreurs qu’elle a vécu enfant et jeune femme. De son propre aveu, Oksun semble avoir fait le deuil d’un bonheur qu’elle n’aura finalement jamais connu. La narration que propose Keum Suk Gendry-kim est à la fois dure, pudique et très poétique. On ressent au plus profond de notre chaire les brimades, les humiliations et l’injustice que vivent Oksun et ces autres « femmes de réconfort ». On se sent finalement impuissant face à une profonde et honteuse injustice qui, malheureusement fait partie d’une histoire trop peu racontée. Le trait de Keum Suk Gendry-kim est fascinant. Son dessin est en noir et blanc, son trait est « gras », réalisé au pinceau et à la plume (nous semble-t-il) et constitué de gros aplats noirs. C’est un dessin aussi brut que l’histoire qu’il raconte (et sans doute que le témoignage d’Oksun) et dont parfois ressortent des vrais moments de grâces, notamment dans la représentation de la végétation (dont les « mauvaises herbes » qui ont, en partie, inspiré le titre) et de certaines scènes entre ces différentes femmes de réconfort. Cet ouvrage est véritablement un témoignage coup de poing. A titre personnel, c’est une partie de l’histoire que je ne connaissais que trop peu, voire pas du tout. Découvrir le traitement que ces femmes ont subies il y a à peine 80 ans (quasiment rien à l’échelle de l’histoire humaine) a quelque chose de profondément choquant, déstabilisant, éprouvant… La vie d’Oksun, telle que décrite dans ce livre, a été une succession d’épreuves et d’injustices. Des épreuves que la jeune femme a traversé avec une colère étouffée et, parfois, une résignation perturbante et glaçante. Quand on réalise à quel point la situation de cette jeune femme et de ses camarades d’infortunes était désespérée (ainsi que celle, dans une moindre mesure, de certains des militaires japonais, pris eux aussi dans un engrenage malsain), on ne peut que saluer la force de caractère et d’abnégation de cette femme qui se sera, envers et contre tout, accrochée à un instinct de survie. Un instinct de survie dans tout ce qu’il a de plus primaire. Une volonté de vivre qui lui aura permis de croiser la route de Keum Suk Gendry-kim et de faire en sorte que son histoire ne soit jamais oubliée « Les Mauvaises Herbes » est un récit dévastateur qui ne vous laissera pas indemne. Une histoire froide et profondément humaine qui donne, enfin, une voix, à celles qui en ont été privées pendant trop longtemps. Une histoire qui, nous l’espérons, accordera à leur courage toute la place qu’il mérite dans l’histoire de l’humanité.
L'Odeur des pins - Ma famille et ses secrets
Je vais commencer mon avis par le petit descriptif repris ci-dessus, il résume parfaitement cette magnifique BD : Une plongée passionnante dans notre histoire contemporaine, construite comme une enquête, qui interroge la culpabilité d'une famille allemande ordinaire sous le nazisme. J'étais à la recherche d'une lecture intéressante, j'ai pris cette BD dans les mains et j'ai commencé à la feuilleter et deux mots ont piqué ma curiosité : Berlin et Riga (Deux villes que j'adore). Puis à la lecture de la quatrième de couverture, mon choix était fait, elle sera mienne. Et je ne le regrette pas, car cet album recèle de merveilleuses qualités. Bianca Schaalburg, avec cet ouvrage, nous dévoile les lourds secrets de sa famille. Une enquête longue et difficile, de nombreux documents ont été détruit avant la fin de la seconde guerre mondiale. Une enquête qui commence dans les années 20 avec la création du NSDAP (Parti national-socialiste des travailleurs allemands). Et la question que pose ce récit : Peut-on réellement ne rien savoir des horreurs perpétrées par les nazis lorsqu'on est Aryen vivant à Berlin ? L'obstination de l'autrice allemande pour faire éclater la vérité m'a touché, car elle ne cherche pas d'excuse à sa famille. Elle veut juste la vérité, rien que la vérité même si elle doit lui faire mal. Une lecture exigeante, les personnages sont nombreux et la narration avec les incessants allers-retours sur les différentes périodes demandent de la concentration. Une lecture qui m'a beaucoup appris, le massacre de Rumbala en Lettonie, la commission de dézanification et ses quatre degrés d'implication (coupables, compromis, peu compromis et suiveurs) et bien d'autres choses... Un récit historique - et presque documentaire - aussi puisqu'il retrace le passé de l'Allemagne, des heures noires à sa réunification en passant par la guerre froide. L'odeur des pins est la même, à Berlin ou à Riga. Un dessin simple et efficace avec beaucoup de charme, au trait légèrement gras. J'ai beaucoup aimé la colorisation, elle joue un rôle important dans la narration. Une couleur dominante pour chaque période, qui elle-même évolue suivant les années. On débute avec un triste marron pour les années hitlériennes, un vert pâle pour les années d'après guerre et 1950, un bleu terne pour la décennie suivante, le orange pour les seventies et enfin le rose pour les années 2000/2010. La couverture reprend les codes couleurs. Quelques photos des personnages sont présentes ci et là, elles apportent de l'authenticité au récit. Un plus indéniable à mon plaisir de lecture. Un gros dossier, en fin d'album, sur les villes de Berlin et Riga et sur les tortionnaires nazis, vient compléter le récit. Un vrai plus. Une BD qui mérite ton attention ! "Le travail de mémoire est sans fin. Il n'y a pas de rédemption pour notre histoire. Car si nous ne nous souvenons pas, nous perdrons notre avenir." Frank-Walter Steinmeier (Président Fédéral d'Allemagne).
Frontier
Je rejoins les très bons avis précédents sur cette BD, la première de Singelin que je lis, et qui constitue pour moi un mini coup de cœur. Je l'ai achetée suite à l'avalanche de critiques dithyrambiques que j'ai lues à son sujet et je ne le regrette aucunement ! Il est difficile de décrire la poésie qui se dégage de cette œuvre dont les thèmes sont assez variés (écologie, consumérisme, sens de la vie, amitié, etc.) mais je l'ai refermée en sentant que quelque chose s'était passé. C'est ce qui pour moi différencie une très bonne BD d'une BD sympa qui nous fait simplement passer un bon moment. Je ne reviendrai pas sur l'histoire qui a déjà été largement décrite précédemment mais sur les plus gros points forts de cette BD : - Un très bel ouvrage dans son ensemble avec ce côté métallique et fluo collant bien à l'univers de la SF ; - Un dessin magnifique qui fourmille de détails et aux très belles couleurs pastels. La rondeur et le côté enfantin des personnages tranchent d'ailleurs beaucoup avec certaines séquences assez dures de l'histoire (passage à tabac d'Alex par exemple) ; - Une histoire très poétique, sans que l'on sache forcément où elle va nous mener, même si comme le souligne Ro, on pourra critiquer par moment la bien-pensance et le côté un peu "fleur-bleue" des réactions de nos 3 héros, pourtant issus de milieux et de conditions sociales très différentes. Une BD ressourçante et inspirante devant faire partie de toute bonne bdthèque selon moi. Originalité - Histoire : 8/10 Dessin - Mise en couleurs : 9/10 NOTE GLOBALE : 17/20
Tout est possible mais rien n'est sûr
Il est assez rare qu'une lecture parvienne à m'émouvoir. M'amuser, me distraire, m'énerver, me porter, me toucher, oui. M'émouvoir, c'est plus difficile. Parce que je suis un garçon et qu'on m'a appris à ne rien laisser paraitre, surtout. Et pourtant, de temps en temps, une lecture me touche et m'émeut. Lorsque le volume est reposé, j'ai une larme au coin de l’œil et je sens que quelque chose à remué en moi. Un écho à ma propre vie, qui agite mes émotions. Cette lecture fait partie de celles-ci. Je connaissais déjà Lucile Gomez à travers les blogs-bd où elle postait des dessins, et j'avais noté son trait en personnage filiforme, avec un usage de la couleur qui m'avait déjà tapé dans l’œil et une absence de case comme pour être plus libre. J'avais apprécié plusieurs de ses BD et c'est un vrai plaisir de pouvoir lire à nouveau quelque chose de sa main. Mais là, c'est vraiment l'histoire qui m'a pris au tripes. Et c'est parce que, pour une fois, j'ai été porté par le récit qui m'a fait clairement écho à ma propre vie. J'ai déjà reproché à des BD de faire, selon moi, un portait de jeunesse dans lequel je ne me reconnaissais pas du tout et surtout qui me semblait trop superficielles dans leurs traitements (Génération Y ou Ce que font les gens normaux notamment). Là, ça n'a pas du tout été le cas. Sans doute parce que je suis plus proche de ces milieux là, des questionnements présents dans la BD ou simplement parce qu'elle m'a semblé plus pertinente, mais Lucile Gomez fait, à travers son personnage, une synthèse diablement efficace de la jeunesse. C'est des artistes en devenir sans travail, un monde de l'emploi catastrophique pour les nouveaux arrivants, des considérations sur l'écologie et le capitalisme, la question de nos positions dans ce monde (entre volontés et réalités), la portée de nos convictions, les idéaux, le patriarcat ... C'est riche, dense (près de 200 planches tout de même) et surtout riche de réponses. La BD exploite beaucoup de procédés que j'ai trouvé très bon. Déjà les doubles pages, présentes plusieurs fois dans la BD, des idées de mises en scène par le découpage (je pense aux cases à la fenêtre qui enferment le personnage habituellement libre) ou encore l'utilisation du chat. C'était un procédé couramment utilisé dans les blogs-bd pour pouvoir faire une discussion (Frantico, Gally ou Lucile Gomez s'en servaient) mais je le trouve très bien utilisé ici. Cette voix intérieure, mélange de conscience, de reste d'éducation parentale et de nos peurs, qui revient nous hanter et nous parler régulièrement. La narration exploite aussi les bulles, disposées parfois de façon peu conventionnelles, et le dessin, avec cet ami qui semble flou dans son corps et sa voix, décoloré pour montrer son décalage avec le monde autour de lui. Je pourrais parler longuement de ce qui m'a plu ici : les débats et les questionnements, les attaques contre ce monde détesté, les remarques entendus en tant que jeune, les coups durs de la vie pour te rappeler ta place, les moments tendres, drôles, durs. C'est une plongée dans l'enfer de ce que peut être la jeunesse pleine d'espoir qui sort de diplômes et découvre le capitalisme, le libéralisme et le chômage. Bienvenu dans la réalité, prenez un siège ... Et pourtant, Lucile Gomez fait une histoire au final presque heureux, même s'il n'est clairement pas le Happy End qu'on attendrait. Plein d'espoirs, plus que plein de joie, il m'a tiré une larme parce qu'il incarne parfaitement ce qu'on doit garder en tête après toute cette noirceur. Et rien que pour ça, j'ai trouvé la BD extraordinaire. Il y a quelques passages de poésie dans les dialogues qui m'ont particulièrement touchés. C'est une BD que je vais garder précieusement. Parce qu'elle me rappelle des gens, des situations, parce qu'elle est juste dans ce qu'elle montre et ce qu'elle dénonce, mais aussi qu'elle laisse place à l'espoir. Un espoir qui est ce qu'il reste, en fin de compte. L'avenir est encore à nous, même s'il s'annonce sombre. Et j'aime beaucoup la tendresse qui se dégage de cette BD. Je ne m'attendais pas à grand chose, j'ai été époustouflé par ce récit. L'autrice à fait preuve d'une grande maitrise dans la narration pour donner cette synthèse réussie. A mon sens, c'est une excellente BD.
Petit pays
Il y a des BD qui vous informent factuellement sur des évènements bien précis. Il y en a d'autres qui vous les font ressentir. Petit pays fait partie de ces dernières, et elle le fait d'une telle manière qu'elle pousse immanquablement le lecteur à vouloir se renseigner davantage sur un sujet éminemment complexe. Inspiré des souvenirs du rappeur et écrivain franco-rwandais Gaël Faye, le roman Petit Pays, paru en 2016, raconte l'histoire du jeune Gabriel qui vit une enfance heureuse au Burundi malgré une ambiance étrange qui laisse présager le génocide des Tutsis à venir dans le Rwanda voisin. Sa mère étant Tutsi et exilée au Burundi depuis plus de 10 ans, celle-ci ressent de très près les tensions marquantes entre Hutus et Tutsis et la situation politique sur le fil du rasoir dans son pays d'origine. Mais hormis le conflit que cette situation crée entre sa mère et son père, expatrié belge un peu à côté de la plaque, le petit Gabriel est protégé autant que possible de la terrible réalité et vit une enfance joyeuse avec ses amis et voisins. Cependant, tandis que la situation se tend de plus en plus, l'enfant va être témoin de plus en plus de changements dans sa vie jusqu'à ce que la tragédie impacte irrémédiablement le Rwanda et par extension le Burundi aussi, de même que la famille et les proches de Gabriel. C'est un récit réalisé avec brio. Les éléments se mettent en place avec le plus grand naturel. D'une situation nostalgique d'enfance heureuse, on passe doucement mais sûrement à une situation dramatique avec des impacts géopolitiques majeurs et des conséquences familiales tout aussi importantes. Et le tout vu par les yeux d'un enfant intelligent et sensible, avec à la fois les non-dits mais aussi une véritable compréhension instinctive de la bizarrerie et du danger de cette situation. Le pire étant qu'en 1994, à l'époque de ce récit, j'étais au lycée dans la capitale du Kenya voisin, avec des Rwandais dans ma propre classe, et que tout comme les enfants de cette histoire je n'avais qu'une vision tronquée de ce qui se déroulait dans leur pays au même moment. Le dessin de Savoia est parfait pour cet ouvrage. Ses décors du Burundi sont aussi beaux et exotiques que poignants quand on pense à l'horreur qui s'y déroule et qui va défigurer ce paradis pour occidentaux. J'y ai retrouvé en grande partie l'ambiance de ma propre jeunesse africaine. Et tant sa représentation des personnages que son sens de la mise en scène permet une lecture d'une grande fluidité et d'une parfaite efficacité graphique. C'est beau et bien raconté. Alors que ce récit se déroule au Burundi voisin, j'ai appris davantage avec cette BD sur le génocide rwandais que dans toutes mes lectures précédentes. C'est avant tout la question de la haine ethnique et de son absurdité qui est présentée ici, ainsi que les ravages que cela va causer. La manière dont elle va dévaster des familles et des amitiés frappe aussi le lecteur de plein fouet. Très dur et cruel tout en restant toujours dans la retenue et la sobriété, cette représentation de l'horreur sait se rendre lisible et compréhensible par tous. On pourrait lui reprocher son manque d'explications sur les causes, les parties en présence et sur le déroulement précis des faits de génocide, mais c'est justement vers la recherche de davantage d'informations que cet album nous pousse, pour comprendre comment les choses ont pu en arriver là et savoir poser des faits sur ce que l'on vient de ressentir. J'ai refermé cet album la gorge nouée et avec l'impression d'avoir bien mieux compris non pas une énumération de faits mais bien toute l'émotion qui a impacté une région entière de l'Afrique centrale et tous les peuples et individus qui l'habitaient.
Mon livre d'heures
Ils ne le dompteront pas. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, présentant la particularité d’être narrée sans texte, ni mot. Sa première édition date de 1919. Il a été réalisé par Frans Masereel, pour le scénario et les dessins, par le procédé de gravure sur bois. Il s’ouvre avec une préface de deux pages, écrite par Jacques Tardi, accompagnée par une illustration pleine page de sa main. Il se termine avec une postface rédigée par Samuel Degardin, intitulée Portrait de l’artiste et son double, un article d’une page de Martin de Halleux (De l’encre de Chine au bois gravé), un autre sur les détails (un œil au centre d’un triangle), un dossier photographique de seize pages sur l’auteur, une biographie chronologique de quatre pages. Il s’agit du deuxième roman graphique, à raison d’une case par page, sans texte, de cet auteur, après 25 images de la passion d’un homme (1918). Le train arrive en gare et l’homme agite le bras par la fenêtre, alors que s’échappe quelques petits nuages de vapeur. Le train est arrivé en gare, les voyageurs descendent, certains se précipitent dans les bras de membres de leur famille pour des retrouvailles. L’homme descend tranquillement, le dernier à sortir de son wagon. En remontant le quai, il prend le temps de s’arrêter pour examiner une des grandes roues de la locomotive à moitié cachée par un jet de vapeur. À la sortie de la gare, il se retrouve au milieu de la foule, des hommes portant tous un chapeau, alors que lui se trouve nue tête, des hommes marchant rapidement, alors que lui se tient immobile en train d’observer. Il traverse la rue et il se retrouve au milieu de la chaussée, alors que les automobiles passent de chaque côté. À nouveau il se tient immobile en observant. Il continue sa déambulation et il se retrouve dans un autre quartier : plus de femmes, toutes portant un couvre-chef, et quelques hommes eux aussi en chapeau. Il continue encore et se retrouve à l’arrière d’un petit groupe en train d’écouter un homme qui fait un discours en pointant du doigt. L’homme continue à marcher et il se retrouve à longer une parcelle dans laquelle s’active les ouvriers sur un gros chantier, avec des grues et des échafaudages, un moteur à vapeur actionnant une machine-outil. Un peu plus loin, le calme est revenu : l’homme longe un long mur de clôture aveugle, derrière lequel se trouve des pavillons, et un peu derrière une grande cheminée d’usine. Cette fois-ci, il s’arrête devant des grandes roues mues par un moteur, avec des courroies les reliant entre elles : il semble s’interroger sur leur fonction. Il décide de parcourir la rue suivante en courant, à nouveau un mur aveugle derrière lequel se trouve une grande halle abritant une usine. Il passe maintenant devant les guichets d’une banque et il touche le bras d’un pickpocket en train de subtiliser le portefeuille d’un homme réalisant un paiement au guichet. S’il a déjà lu 25 images de la passion d’un homme, le lecteur sait à quoi s’attendre, sinon il découvre une œuvre au format original. Le créateur réalise des dessins sur des blocs de bois, par xylographie, et l’ouvrage présente une image par page, sans aucun mot. La lecture s’avère rapide et facile : des dessins assimilables et compréhensibles au premier coup d’œil dans un noir & blanc très contrasté, autant de situations différentes avec un passage du temps fluctuant entre deux cases, soit un bref instant, soit plusieurs jours, semaines ou mois. Les dessins présentent de grosses masses noires, des traits de contours épais, une description simplifiée avec un bon niveau de détails. Le personnage principal est un homme qui n’est jamais nommé et qui est présent dans chacune des images. Cet homme est aisément repérable dans chaque case, soit parce qu’il est tout seul ou seulement avec une autre personne, mais également du fait de sa grande taille, de sa silhouette élancée, ou par de l’absence de port de chapeau, à de rares occasions par la continuité de son activité d’une page à l’autre. Comparé à 25 images de la passion d’un homme, il s’agit à la fois d’une fresque de plus grande ampleur emmenant le personnage dans d’autres pays, à la fois un peu plus réduite puisque le récit commence avec l’arrivée de l’homme dans la grande ville, et pas à partir de sa conception et de sa naissance. La narration présente une forme très particulière : un dessin par page, aucun mot, du noir & blanc. La suite d’images forme bien une histoire, avec une intrigue (cette phase de la vie du personnage principal), une chronologie linéaire, et des liens de cause à effet ou de succession temporelle évidents. La qualité de la reprographie impressionne par sa netteté. Les aplats de noirs et les traits de contour forment des masses épaisses, aux bords parfois irréguliers, parfois bien nets et droits quand il s’agit de structures métalliques. Dans son introduction, Jacques Tardi met en avant les caractéristiques suivantes : Masereel met en scène, en utilisant toutes les ressources et les codes visuels nécessaires à l’évocation expressionniste de la ville bruyante, des quartiers ouvriers, des intérieurs divers, de la foule de la rue, et aussi les tourments intimes du personnage qu’il incarne. Il court, se moque, s’épuise, rit et pleure. Désespoir et colère s’expriment tour à tour. Partir à la campagne, faire du patin à glace, aller au théâtre, acheter un chou-fleur sur le marché et le faire cuire dans cuisine, boire, jouer de l’accordéon, danser, grimper au sommet du mât de cocagne, labourer un champ, participer à une réunion syndicale, s’informer s’instruire de la réalité sociale, des luttes ouvrières, ne pas être dupe, partager avec ses semblables… désillusion amoureuse, une autre femme, et la mort au bout de cette nouvelle aventure. Oublier, voyager, rentrer, boire, refuser de porter les armes, refuser la médaille, montrer son cul à un ecclésiastique et mourir au milieu des tournesols, le cœur brisé, la tête dans les étoiles ! Le lecteur n’apprendra rien du passé du personnage qu’il est tenté de prénommer Frans, supposant qu’il exprime la vision du monde que l’auteur peut avoir. Il arrive en ville et se montre curieux de chaque situation qu’il peut observer, rue par rue, quartier par quartier. Il participe à la vie sociale, aussi bien par le travail que par les moments de détente, de divertissement, d’activités en commun. Il finit par éprouver le besoin de prendre du recul, littéralement de prendre le large pour aller voir du pays, d’autres pays, de la page 110 à la page 135. Puis il revient dans cette mégapole qui n’est pas nommée. Il raconte à d’autres habitants les merveilles qu’il a vues, les amitiés qu’il a nouées. Le lecteur retrouve tous les éléments disparates énumérés par Tardi dans son introduction, dans le déroulement linéaire de la vie de Frans. De fait, l’artiste épate le lecteur encore et encore par l’expressivité de ses illustrations, par sa capacité à choisir des moments édifiants et parlants, par son art de faire partager la palette des émotions et des états d’esprit de Frans. Son assurance et sa confiance en tant qu’étranger curieux de tout dans une étrange ville. En tant qu’être humain faisant la démarche de se cultiver : lire le journal, se rendre dans les musées pour admirer les œuvres d’art, se plonger dans des livres. Aider son prochain, soit un homme qui pousse une charrette chargée, soit jouer innocemment avec des enfants. Participer à une fête. Éprouver l’amour. Etc. Son empathie lui fait ressentir la souffrance de la condition ouvrière et il n’hésite pas à lutter avec eux contre un système les exploitant, dans des pages rappelant un passage similaire de 25 images de la passion d’un homme. Le lecteur ne s’attendait pas à ce que de simples images puissent rendre compte avec une telle sensibilité du ressenti intérieur d’un être humain, ou de situations sociales complexes avec une telle clarté. L’intention de l’auteur semble avoir traversé intacte les décennies séparant sa création du lecteur. La forme de la narration visuelle produit d’étranges effets sur le mode de lecture. D’un côté, il s’agit bien évidemment d’une suite d’images, chacune isolée sur une page. Du coup, le lecteur les considère une à une, chacune prise pour elle-même. Il accorde plus d’attention que d’habitude à chaque dessin, que s’il s’agissait d’une bande dessinée classique. Dans la première, il s’amuse du mode de représentation de la vapeur du train : des gros arcs de cercle, délimitant une surface bien blanche, plus importante que les autres surfaces laissées en blanc dans cette image. Il se dit également que le bras de Frans est un peu plus long qu’il ne le devrait, accentuant légèrement une forme de naïveté, le rendant touchant et drôle. En page quarante-neuf, il voit Frans (toujours avec des bras longs) aider une femme avec des béquilles, à traverser une rue pavée. Le rendu de ceux-ci se situe entre une description soignée rendant compte de l’irrégularité du pavage, mais aussi d’abstraction avec leur forme rectangulaire un peu trop géométrique. La silhouette de l’homme et celle de la femme évoquent la gravure sur bois, c’est-à-dire la technique utilisée par l’artiste. Les deux silhouettes en arrière-plan relèvent plus des ombres chinoises, une autre technique de représentation. L’arrière de la cariole s’apparente à un grand rectangle noir, alors que chacun des treize rayons de la roue est silhouetté par une bande laissée blanche, se détachant ainsi clairement. En page cent-treize, Frans, debout sur un rocher, contemple un coucher de soleil : les traits noirs tirent vers une représentation conceptuelle des reflets sur l’océan, des rayons du soleil, Frans n’étant qu’une vague ombre chinoise. Page cent-quarante-six, Frans conduit une automobile à tombeau ouvert dans une représentation naïve. La dernière séquence dans la forêt évoque l’art naïf. Alors que les images en noir & blanc peuvent sembler austères et faire craindre une forme de monotonie, il suffit que le lecteur s’y attarde un instant pour se rendre compte de leur diversité, de leur richesse, de leur conception soignée et réfléchie. Qu’il ait déjà lu un autre ouvrage de Frans Masereel ou non, le lecteur n’a pas idée de la richesse du récit dans lequel il plonge. La narration visuelle s’avère sophistiquée sur le plan graphique, très empathique, et capable de rendre compte de situations complexes et délicates en une unique image, toujours aussi parlante après toutes ces décennies passées. Le parcours de vie du personnage révèle son humanité et son humanise, son refus des compromissions de ses idéaux, sa soif de fraternité et d’entraide. Poignant.
La Route
A l’annonce de l’adaptation du chef d’œuvre de Cormac McCarthy « The Road » par Manu Larcenet, j’étais dubitatif. Ayant lu le roman, pas évident de trouver la bonne formule pour dessiner un texte si contemplatif et si avare en parole. Pas que je doutais des capacités de cet auteur, mais je me demandais comment son style graphique allait pouvoir épouser de manière réaliste la profonde noirceur du roman et allait soutenir ces images de désolation dans la répétitivité et sans lasser. Les premières images disponibles sur internet m’avait pleinement rassuré mais ne m’avait pas préparé à un tel choc en tenant l’objet physiquement (les objets en fait i.e. La version noir et blanc et la version couleur !) entre mes mains et en ouvrant et parcourant les pages. MAGISTRAL ! D'ailleurs, si vous hésitez entre la version noir et blanc et la version couleur, un conseil, achetez les deux ! Chaque planche et je dis bien chaque planche est un régal pour les yeux. Le Rapport de Brodeck avait fait très fort à l'époque mais l’auteur pousse le curseur beaucoup beaucoup plus loin dans la perfection de son trait. La mise en couleur est incroyable de nuances et embelli le tout. Ne vous y trompez pas toutefois, même si des étincelles de joie apparaissent ici ou là, tout n’est que cendres, âpreté et désespérance. Manu Larcenet a su rester fidèle à l'oeuvre originel qui n'est point dénaturée mais sublimée en y apportant sa touche personnelle. Emouvante, terrifiante, brillantissime, insurpassable, etc... Je vais m’arrêter là avec les superlatifs car je pourrais les enfiler un à un comme des perles. Manu Larcenet a totalement réussi son pari, il m’a même donné l’envie de relire le livre. C'est dire ! Chef d’œuvre absolu, si j'avais pu mettre six étoiles, je l'aurais fait !