Auteurs et autrices / Interview de Nancy Peña

A l’occasion de la sortie de La Guilde de la mer chez La Boite à Bulles, Ro s’en va interviewer sa jeune auteur, Nancy Peña. Au programme : BD, couture et chocolat !

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Nancy Peña Bonjour. Pourrais-tu te présenter brièvement à ceux qui ne te connaissent pas encore ?
Bonjour, je suis Nancy, jeune prof de 26 ans en arts appliqués, toulousaine d’origine, bisontine d’adoption, auteur de BD à ses heures perdues, amatrice de bouquins, dévoreuse de chocolat.

Qu'est-ce qui t'a amené vers la création de BD ?
Mon père est collectionneur de BD et passionné de mythologie, ma mère est une grande lectrice de romans. J’ai toujours dessiné, et j’ai toujours eu envie de raconter des histoires, alors voilà.

Quelles ont été les premières BDs que tu as publiées ? Dans quelles circonstances ?
Le tout premier album que j’ai publié est Le cabinet chinois, chez la Boîte à Bulles. J’avais dessiné quelques pages, sans penser à une histoire, et je les avais envoyées sur le site de BDSélection pour avoir un avis sur mon dessin. Vincent Henry, un des modérateurs du site, m’a contactée pour me dire qu’il était intéressé par ces pages s’il y avait un projet derrière. Evidemment j’ai dit oui. Je n’avais pratiquement pas dessiné de planches avant, cet album a vraiment fait office d’école. Ensuite, j’ai juste publié un tout petit fanzine chez le Reb’, le Péril léporide. Cette année, il va enfin y avoir plus de sorties, avec la Guilde de la mer, les nouvelles aventures du chat botté chez Six pieds sous terre, et un petit album chez Carabas.

La Guilde de la mer Depuis combien de temps mûrissais-tu l'idée de la Guilde de la Mer ?
Depuis pas mal de temps, parce que je voulais d’abord en faire un site internet, avec une grande carte maritime et plusieurs histoires s’y rattachant géographiquement. D’où cette idée d’avoir plusieurs races et civilisations cohabitant entre elles. Ensuite, comment l’histoire s’est précisée, je n’en ai moi-même aucune idée.

En combien de tomes est prévue cette série ?
Je voudrais faire un premier cycle de trois ou quatre tomes, et ensuite, on verra !

Penses-tu avoir été inspirée par d'autres œuvres pour cette BD et son univers qui ne ressemble quasiment à aucun autre à ma connaissance ?
Sans aucun doute par les histoires de pirates, L’île au trésor étant mon livre de chevet quand j’étais petite. Et comme dans le Cabinet chinois, j’aime bien montrer comment plusieurs civilisations vivent au même moment. C’est fou de penser que lorsque la Chine était gouvernée par une caste d’intellectuels, Charlemagne signait ses décrets d’une croix seulement ! Le monde de la Guilde de la mer me permet d’inventer ce genre de confrontations, à ma petite échelle.

Dans la Guilde de la Mer, dans ce monde et dans ton récit, la place de la couture est forte : c'est particulièrement original. La chose est-elle amenée à devenir encore plus présente dans les tomes suivants ?
Oui, la couture est un élément qui va rester important par la suite. C’est un univers que j’aime dessiner, et j’aime aussi tout le vocabulaire qui s’y rattache. Le rapport qu’on a à ses vêtements m’intéresse, quand je vois la proportion que ça prend pour certains de mes élèves par exemple. Il y a toute une hiérarchie liée aux marques, au style… et c’est ce qu’on retrouve un peu dans le monde de la Guilde.

La Guilde de la mer D'où te viennent les inspirations de ces costumes ? As-tu utilisé une bibliographie précise ou as-tu laissé ton imagination agir ?
J'ai voulu diversifier les costumes en fonction des différentes sociétés, puisque c'est là l'élément essentiel de l'histoire. Les costumes reflètent donc la vision que j'ai de chacune des îles et de leur culture. Les lycaniens, peuple d'ambassadeurs et de négociateurs, portent des costumes plutôt victoriens, les sinois des costumes orientaux... C'est aussi un élément qui m'a aidé à définir l'île de a Guilde, que j'imagine comme une Venise renaissante. Par exemple le Mâchelier, d'origine lycanienne, porte le costume en usage dans son pays, mais pour les grandes occasions, il est habillé comme un doge. Pour tout ça j'ai un grand livre d'histoire des costumes, et je pioche un peu au hasard dedans.

Le monde de la Guilde de la Mer semble se situer en terme de niveau du développement à peu près au 17e siècle Terrestre et non pas dans un monde féodal comme beaucoup de mondes fantasy du monde de la BD. Est-ce une époque qui t’intéressait particulièrement ?
Oui, les techniques de tissage, couture, teinture... me semblaient plus intéressantes dans cette période, et aussi tout ce qui concerne le commerce, les voies maritimes... et c'est sans doute ce qui donne ce ton à l'album. J'aime beaucoup ce monde de manufactures, de corporations... Pourtant, certains costumes contredisent l'époque.

La Guilde de la mer Le ton de ce tome 1 oscille entre le dramatique et quelques touches plus joyeuses. La série de la Guilde de la Mer aura-t-elle pour vocation de jouer la carte du sérieux voire de la tragédie, ou abordera-t-elle der l'aventure sur un ton joyeux voire parfois humoristique ?
Au départ, je voulais faire un récit d'aventure joyeux... Et puis c'est devenu de plus en plus noir, et cela le sera encore plus dans le deuxième tome. Ce n'est pas quelque chose que je maîtrise, l'histoire se déroule d'elle même et on verra bien quel chemin elle prendra !

Presque comme un clin d'oeil inversé à Maus de Spiegelmann, le début de la Guilde de la Mer commence dans un décor où un peuple de souris opprime un peuple de chats. Le clin d'oeil est-il voulu ou totalement involontaire ?
Oui, le clin d'oeil est un peu volontaire. Dans Maus, le choix des animaux est symbolique et je voulais prendre une autre voie. Je ne raconte pas une fable ou une parabole sur le monde existant, ou alors de manière vraiment indirecte. Les rats oppriment les chats parce que ce sont eux qui ont développé ce système politique, et c'est tout. Ce qui va d'ailleurs changer au cours du deuxième tome...

Certaines planches de ce tome 1 représentent en réalité une grande image unique sur laquelle on suit les personnages au fil d'une narration visuelle très réussie. Pourrais-tu décrire la façon dont tu as travaillé ces planches ?
Ca s'est fait un peu intuitivement sur chacune de ces planches, j'ai essayé de donner à chaque fois un fil conducteur graphique dans les images (les escaliers de la prison, l'eau sur l'île de la Guilde... ) et de positionner les bulles pour guider l'oeil du lecteur. J'ai toujours trouvé intéressant de considérer la page comme un territoire, ou du point de vue cartographique, comme dans les cartes du moyen age ou les cartes chinoises, qui se situent entre les codes de la cartographie et le dessin. J'ai d'ailleurs pour projet de dessiner une petite histoire avec ce procédé.

Ton style graphique, plus particulièrement ton encrage, est différent entre ton oeuvre précédente "le Cabinet Chinois" et "la Guilde de la Mer". Ton trait parait plus ténu. Est-ce le fait de t'être adaptée à la couleur ?
Il fallait effectivement laisser de la place à la couleur, ça n’a pas été facile pour moi de savoir en quelles proportions, notamment pour la lumière. Et je n’ai plus aussi peur du blanc de la page, comme pour le Cabinet chinois où je remplissais chaque espace libre ! Le fait de travailler mes noirs en à-plats ou au pinceau m’a aidée à mieux composer mes cases.

La Guilde de la mer Tu vis à Besançon, ton éditeur est Parisien, et pour les couleurs de la Guilde de la Mer, Miss Gally vit à Nice et Feyd est Toulousain : comment échangez-vous vos travaux ? Via Internet uniquement, en main propre, à dos d'Ordragon ? Est-ce facile de travailler ainsi ?
Les Ordragons ont disparu, voyons ! On s’est donc rabattu sur internet. Ca pose plutôt problème aux coloristes pour pouvoir étalonner les couleurs. Mais on se débrouille bien !

Combien de temps cela t'a-t-il pris pour réaliser le premier tome de La Guilde de la Mer ?
J’ai perdu pratiquement une année de travail lors de ma première année d’enseignement particulièrement douloureuse. Donc j’y ai travaillé deux ans, mais c’est beaucoup trop long. J’espère aller plus vite pour le deuxième tome, parce que sinon je vais vite m’essouffler.

Les tomes suivants sont-ils déjà créés ou en cours de création ?
Quatre planches seulement sont finies pour le deuxième tome... Pourvu que mon éditeur ne tombe pas sur cette interview.

Questions typiques pour terminer cet interview : quels sont les auteurs qui t'inspirent le plus ? Tes goûts en matière de BD ?
Mon mentor, c’est Will Eisner, le grand choc de ma carrière de lectrice ! Ensuite j’adore des albums comme Isaac le pirate, les Ogres, Professeur Bell, Le capitaine écarlate, Mish Mash, De capes et de crocs… On retrouve mes goûts romanesques (Calvino, Stevenson, Yourcenar, Per Olov Enquist…)

Et pour la question finale, saurais-tu nous donner une date pour la sortie du tome 2 de la Guilde de la Mer ?
Je me donne un an, donc, en avril 2007 si tout va bien ! Mais il faut d'abord que le premier tome marche bien.

Merci Nancy. On te le souhaite !

La Guilde de la mer
Pages : 48 (cartonnée)
Prix : 12.80 €
Date de sortie: 6 avril 2006 (La Boite à Bulles)


Interview réalisée le 01/03/2006, par Ro.