Auteurs et autrices / Interview de Fuat Erkol, Christian Simon et Guillaume Poux
Fuat Erkol est venu nous présenter le tome 1 de Lenny Valentino sur le forum de BDThèque. Quelques échanges de mails plus loin, voici un entretien avec la sympathique équipe qui réalise la série.
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Guillaume Poux : Je m’appelle Guillaume Poux, j’ai 26 ans. Je suis le dessinateur de Lenny Valentino. Je vis en région parisienne…
Fuat Erkol : J’ai 35 ans depuis peu. Il ne me reste donc plus que 5 ans avant la crise de la quarantaine ! (rires) Je vis à Liège en Belgique et je suis un des deux scénaristes de Lenny Valentino.
Christian Simon : J’ai 33 ans, je vis aussi à Liège, en Belgique et je suis l’autre scénariste de Lenny Valentino.
Quels sont vos parcours ?
G.P. : En juin 2004, je suis sorti diplômé de l’école Emile Cohl à Lyon, une école d’art spécialisée dans l’illustration, la BD… Depuis, je travaille pour différents éditeurs ou magazines, en illustration (Albin Michel Jeunesse, Sciences et Vie Junior…) et en BD (Bamboo). Lenny Valentino est mon premier album.
F. E : J’ai fait des études de cinéma en Communication à l’université de Liège. C’est là que j’ai rencontré mon compère Christian. Passionné de BD depuis toujours, je l’ai poussé à lire autre chose que Bob et Bobette et Gaston Lagaffe. Ce ne fut pas chose facile (rires). Par la suite, après une collaboration sur un scénario de court-métrage dans le cadre d’un atelier de scénario, je lui ai proposé d’écrire des scénarii de BD. J’ai tout de suite vu des dollars dans ses yeux et il a accepté (rires). Et 4 – 5 ans plus tard, après moult déconvenues, nous avons signé notre premier album chez Albin Michel : La marque du démon. Lenny Valentino est notre deuxième série à voir le jour.
C. S. : Je suis licencié en Communication de l’université de Liège, section cinéma. À l’époque, j’avais envie de devenir réalisateur de films. Mais comme la Belgique n’est pas très réputée pour ses films de SF, de Fantastique et de Fantasy à gros budgets… j’ai rapidement abandonné cette idée. Mon envie de raconter des histoires étant quand même la plus forte, je me suis tourné vers d’autres moyens d’expression : l’écriture de nouvelles (quelques-unes ont été publiées dont une dans le Lanfeust mag), de livres pour enfants, de romans et… de BD ! Merci Fuat ! Mais ça faisait longtemps que je ne lisais plus Bob et Bobette, tu sais, j’étais passé à Druuna ! (rires) Pour le reste, Fuat l’a dit, nous avons accouché de La Marque du Démon puis de Lenny Valentino… et on espère fonder une grande famille car nous avons en réserve pas mal de scénarii qui ne demandent qu’à voir le jour.
La série La Marque du Démon n’a pas connu de second album. Que s’est-il passé ?
F. E. et C. S. : Le tome 2, qui clôturait l’histoire, était entièrement terminé. Albin Michel avait réalisé la photogravure de l’album, programmé la date de sortie… mais peu avant la parution, nous avons appris que l’album ne sortirait pas. L’éditeur nous a avoué que la mise en place du premier tome avait été trop faible et que les ventes s’en étaient évidemment ressenties. Aujourd’hui, on se rend compte que La Marque du démon n’a pas été la seule BD « réaliste » de leur catalogue à être passée à la trappe. Albin Michel a arrêté pas mal d’autres séries en cours de route…
Pouvez-vous nous présenter Lenny Valentino ?
G.P. : C’est une histoire de gangsters. Visuellement dans la plus pure tradition des histoires de gangsters, mais scénaristiquement, je crois qu’il y a quelque chose en plus. Les personnages sont assez fouillés et ont un passé qui va influer sur l’histoire présente. De ce côté-là, on a quelque chose de moins manichéen qu’une histoire de gangsters classique où policiers et malfaiteurs s’affrontent à coup de mitrailleuses… C’est ce qui fait l’originalité de Lenny, je crois…
F. E. et C. S. : C’est une série qui se déroule à la fin des années 20 aux USA. C’est une époque qui nous plaît beaucoup et qui nous a permis de mêler les genres que nous aimons comme le film noir, le western, les films de gangsters… Nous avons une vision très cinématographique de cette époque, une vision assez romantique qui se retrouve un peu dans nos personnages. Comme le dit Guillaume, nous avons essayé d’insuffler de l’originalité dans un cadre classique et balisé, en nous attardant sur les personnages et leurs interactions, notamment grâce à un passé tragique commun qui lie certains des personnages.
On y trouve pas mal de thèmes : la dépression, la prohibition, la mafia, le KKK… c’est une véritable plongée dans les Etats-Unis des années folles. Vous avez dû pas mal vous documenter, non ?
G.P. : Visuellement, cette époque nécessite beaucoup de documentation. Il a fallu chercher des photos du Chicago de l’époque, des photos des voitures, avions, side-cars présents dans l’album.
Le travail de documentation est vraiment une partie importante pour ce genre d’histoire, il faut être le plus juste possible, pour que le lecteur soit réellement immergé dans l’album. Les années 20-30 aux USA colportent beaucoup de clichés : les vieilles voitures, les mitrailleuses Thompson, les costumes bien coupés… Il faut faire attention à ce que tout ce « folklore visuel » soit respecté le plus possible, c’est ce que le lecteur attend d’une histoire de gangsters…
Heureusement, il y a Internet, qui permet de trouver toute la doc assez facilement et rapidement, ça simplifie beaucoup le travail de documentation.
F. E et C. S. : Si la documentation est essentielle pour le dessinateur, elle l’est aussi pour les scénaristes. Lorsqu’on prend un cadre réaliste et historique, on ne peut pas se permettre de faire n’importe quoi. Les films mais surtout Internet nous ont été d’un grand secours. Par exemple, dans le tome 2 nous avions envie d’utiliser un fusil longue portée… mais y en avait-il à cette époque et si oui, comment se présentait-il ? Suspense, vous le saurez dans le tome 2 (rires).
Comment vous répartissez-vous le scénario ?
F. E et C. S. : Il n’y a pas vraiment de répartition, nous travaillons souvent toutes les étapes ensemble : brainstorming, synopsis, séquencier, découpage… L’idée de départ vient de l’un ou de l’autre, puis on développe jusqu’à ce qu’on soit tous les deux satisfaits à 100 % du résultat. Il y a parfois quelques désaccords, quelques divergences de point de vue sur certains aspects du scénario mais après discussions, nous arrivons toujours à les dépasser. Et souvent, le résultat final est meilleur que ce que l’un ou l’autre avait proposé au départ. C’est là un des avantages de travailler à deux car on a toujours deux points de vue sur notre travail. C’est plus enrichissant. Et puis, lorsqu’on nous fait des critiques sur le scénario, on peut toujours rejeter la faute sur l’autre, c’est pratique (rires).
Comment avez-vous rencontré Guillaume Poux, votre dessinateur ?
F. E et C. S. : Nous avons découvert le travail de Guillaume sur le site de bdparadisio où il avait exposé quelques planches dans la rubrique « coup de pouce aux jeunes auteurs ». Nous avons d’emblée été conquis par son style et son sens du découpage. Nous lui avons donc proposé un projet qui collait bien à son dessin : Lenny Valentino. Anecdote amusante : du montage du dossier jusqu’à la réalisation complète de l’album, tout s’est fait uniquement par Internet ! Nous ne nous sommes réellement rencontrés de visu qu’après la sortie de l’album, lors d’une présentation à la presse.
On a l’impression que le dessin de Guillaume évolue au fil de l’album… En combien de temps a-t-il été réalisé ?
G.P. : Entre les premières recherches de personnages et le bouclage de l’album, il s’est écoulé deux ans. J’ai eu le temps de pas mal évoluer, en effet. Mes travaux en illustration à côté de la BD m’ont également permis d’expérimenter quelques trucs que j’ai ensuite placé dans ma manière de dessiner l’album.
De plus, je ne pense pas avoir encore trouvé mon style définitif, certaines planches sont encore « hésitantes », avec le recul. Reste à savoir si l’évolution est positive… ?? J’espère. L’important, c’est qu’il y ait du progrès, il faut continuer à avancer, chercher, sinon, on s’ennuie… !
La série semble prévue en cycles de 2 tomes. Pourquoi ce choix narratif ?
F. E et C. S. : La ligne éditoriale de la collection Grand Angle est de faire des cycles courts de deux ou trois tomes. Les lecteurs préfèrent avoir le fin mot de l’histoire rapidement plutôt que de devoir attendre dix volumes. Les cycles courts sont aussi une garantie pour les auteurs d’avoir l’occasion de mener leur histoire jusqu’au bout même si la série n’est pas un grand succès. Aujourd’hui, il est en effet difficile pour des jeunes auteurs et des nouvelles séries de s’imposer sur le marché très encombré de la BD. Mais c’est aussi un choix personnel, tous nos projets tournent autour de deux à quatre tomes, avec éventuellement une ouverture sur d’autres cycles en fonction de nos envies et de l’accueil du public.
Dans cette série, Lenny n’est, au final, qu’un personnage parmi d’autres. Stump et Rudy Boy jouent aussi un rôle plutôt important…
G.P. : Finalement, chaque personnage est le rouage d’une histoire qui se met en place implacablement. Après, certains personnages sont de plus ou moins gros rouages, mais chacun a son rôle dans l’histoire qui se déroule… Tous les personnages sont liés entre eux.
F. E et C. S. : Lenny Valentino est le personnage central de série, c’est lui qui fait le lien avec tous les autres personnages. Il n’est toutefois pas le seul à tenir le haut de l’affiche. Stump, Kowalski, Rudy Boy, le Don et Magdalena ont autant d’importance que lui dans ce premier cycle. Nous voulions que chaque personnage apparaissant dans l’album soit bien construit, bien campé et participe à l’histoire.
Il y a pas mal d’éléments intéressants dans cet album. Le personnage de Rudy, l’ellipse narrative entre Lenny, Kowalski et Stump, le cliffhanger à la fin du tome 1… Que nous réserve le tome 2 ?
F. E et C. S. : Les réponses aux questions soulevées dans le tome 1, ainsi que quelques surprises. Comme le laisse présager la fin du tome 1, le tome 2 sera plus sombre et plus dramatique. Nous n’en dirons pas plus !?
Quels sont les auteurs que vous admirez ? Qui vous inspirent ?
G.P. : Mon premier choc en BD c’est la découverte du travail de Moebius, qui m’a vraiment donné envie de faire de la BD. Ensuite, j’ai découvert des artistes comme Olivier Vatine (un autre choc !), Claire Wendling, Mathieu Lauffray, et plus récemment Kyle Baker, Jordi Bernet, Mike Mignola, Frederik Peeters, Jamie Hewlett, Carlos Meglia, Guy Davis, Hiraoki Samura… J’en oublie sûrement…
Ce sont des sources d’inspiration intarissables, chacun de ces artistes a eu ou a encore une influence sur mon style…
F. E : Adolescent, j’étais passionné par les aventures de Chevalier Ardent de François Craenhals. Je garde toujours un certain attachement pour cette série qui m’a ramené à la BD. Sinon, ma plus grande claque, c’est Alan Moore qui me l’a administrée avec son V pour Vendetta. J’aime aussi, en vrac : Makyo, Jodorowski, Charlier, Rossi, Gibrat, Loisel, Lauffray, Franz, Hermann, Rosinski, Marini, Riff Reb’s, Severin, Cothias, Yann, Dufaux, Brunschwig, Bonhomme, Van Hamme, Giroud, Michetz, Juillard… De là à parler d’inspiration, c’est difficile à dire. L’inspiration vient de partout (cinéma, littérature, faits divers, le quotidien…).
C. S. : En BD, je citerais Loisel, Marini, Dufaux, Rosinski, Van Hamme, Jodorowski, … Mais c’est le roman Hypérion de Dan Simmons qui fut mon plus grand choc car c’est lui qui m’a donné l’envie d’écrire. Les littératures de l’imaginaire tiennent une place importante dans ma vie et j’aime des auteurs comme Tolkien et son Seigneur des Anneaux, Arthur C Clarke, Philip K Dick, Ray Bradbury, Terry Pratchett, Kim Stanley Robinson, Lucius Shepard… En cinéma, j’adore Sergio Leone, John Woo, Peter Jackson, James Cameron, Steven Spielberg, Clint Eastwood, Ridley Scott, Alex Proyas, Mel Gibson… Mais comme Fuat, je dirais que l’inspiration vient de partout, qu’il suffit d’être à l’écoute.
Quels sont vos projets ?
G.P. : En ce moment, je travaille donc sur le deuxième tome de Lenny, qui devrait sortir en septembre 2007 si tout va bien. Et j’ai deux projets qui en sont encore à l’état embryonnaire… Un western, et une autre histoire, avec un scénariste assez connu, qui promet d’être assez fun !
F. E : Le tome 2 de Lenny Valentino et le premier tome de Awrah, un récit plus intimiste situé au 9ème siècle en Arabie. Cet album, dessiné par une talentueuse jeune dessinatrice brésilienne, paraîtra chez Daniel Maghen début 2008. Nous avons, avec Christian, d’autres projets sur le feu, ainsi que d’autres idées de séries que nous allons développer.
C. S. : J’ai plein de projets, un peu trop même pour tout concilier. En BD, c’est la même chose que Fuat puisqu’on bosse toujours ensemble dans ce domaine. Nous bossons également ensemble sur des scénarii de dessins animés et des livres pour enfants. En parallèle, j’ai un recueil de nouvelles en préparation ; plusieurs romans en cours, certains en solo et d’autres en co-écriture et je suis en train d’adapter une de mes nouvelles en scénario pour un court-métrage. Si vous voulez plus d’infos sur mes projets et ceux de Fuat, allez jeter un œil sur mon site www.azaram.be ! Dans quelques temps, j’y laisserai certainement traîner une planche du deuxième tome de Lenny Valentino :-)
Fuat, en parallèle à tes scenarii de BD, tu mènes une carrière d’acteur amateur… Comment concilies-tu les deux ?
F. E : Houlà, « carrière » est un bien grand mot. J’ai une formation de comédien de théâtre. J’ai joué dans quelques pièces et fait quelques figurations au cinéma. Je n’ai jamais eu de difficulté à concilier cette activité avec la BD. Je prenais cela comme une récréation.
Aujourd’hui, j’ai mis cette activité en « stand by ». L’envie est un peu moins forte qu’il y a deux ans. Cela étant dit, si Spielberg ou James Cameron me contactent pour leur prochain film, j’étudierai attentivement leurs propositions ! (rires)
Fuat, Christian et Guillaume, merci.
G.P., F. E. et C. S. : Merci à vous !
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