Auteurs et autrices / Interview de Christian De Metter
Exigeant, surprenant, précis, Christian de Metter est tout ça. Mais il a avant tout du talent, graphique, mais aussi en tant que conteur et adaptateur.
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J'ai travaillé comme illustrateur dans la presse rock vers la fin des années 80. Puis j'ai commencé à réaliser un projet qui était dans un premier temps une sorte de texte illustré puis petit à petit ce projet à pris la forme d'une bande dessinée. C'était Emma. 10 ans plus tard, grâce à Frédéric Poincelet mais aussi à Richard Marazano et Denis Bajram, Emma a trouvé un éditeur. En ce qui concerne la peinture, j'aimerais avoir le temps et un peu d'espace pour m'y consacrer, histoire de voir si j'ai quelque chose à y faire. J'en ai fait pas mal avant la bande dessinée mais rien de bien intéressant selon moi.
Avez-vous eu des difficultés à imposer votre style très pictural dans le monde de la bd où on aime bien séparer encrage et colorisation ?
Je ne sais pas trop. Depuis le début avec Emma je n'ai pas cessé d'être édité. Il y a une grande partie du public qui n'adhère pas a ce style de dessin ou d'univers, mais j'ai également l'impression que petit à petit un autre public s'y intéresse. Souvent des gens qui lisent peu voire pas du tout de bandes dessinées d'ailleurs.
Vous sentez-vous proche du travail de Denis Deprez ? Votre style pictural respectif et votre goût pour l'adaptation semblent vous rapprocher...
Oui j'aime beaucoup son travail et j'aimerais trouver un projet qui me permette d'être encore plus dans la suggestion comme le fait souvent Denis. Il ose des choses que j'envie parfois et que je ne m'autorise pas ou plus. En fait, je raconte avant tout une histoire et mon dessin essaye de coller à l'ambiance de l'histoire. Il passe donc après l'histoire et les personnages. Je suis souvent contraint d'être plus réaliste que je ne le souhaiterais réellement. Des images plus floues par exemple comme les peintures d'Eugène Carrière m'attirent beaucoup.
Graphiquement, quels sont vos modèles ?
Eugène Carrière justement, mais aussi Lucian Freud, Klimt, Schiele, Manet, Degas, etc. Côté illustration, Andrew Wyeth, Kent Williams, John J. Muth, Dave Mc Kean.
La série Swinging London est-elle en stand-by ou définitivement arrêtée ? Si oui, avait-elle sa place chez Soleil ? On est quand même loin de leur fonds de commerce habituel...
Soleil a décidé d'arrêter et je n'en connais pas les raisons. Le deuxième bouquin était à peine sorti qu'un mail nous a été envoyé à Thomas Benet et moi-même pour nous faire part de cette décision. Le tirage était faible et donc les ventes également je pense mais comme le deuxième (qui bouclait la première histoire) n'était pas encore réellement sorti, il me semble difficile de tirer des conclusions si rapidement. Bref, erreur de casting d'un côté comme de l'autre. En fait, je me suis retrouvé chez Soleil lorsqu'ils ont racheté les éditions Triskel chez qui j'étais à l'époque. Je me devais donc contractuellement de leur proposer mes projets et ils semblaient vraiment intéressés et puis... peu importe, c'est du passé. Bien sûr Swinging London est mort et les droits leur appartiennent, donc... Dommage, on avait plein d'idées comme sortir les albums de musique des faux groupes de rock que l'on inventait. Celui des "Queen bees" existe en partie.
Même question concernant Dusk, qui semble en perdition chez les Humanos...
Dusk est également mort en ce qui me concerne. Comme les Humanos il me semble. Que ce soit chez eux ou chez Soleil, il était très difficile d'être payé en temps et en heure par exemple. Cela entraînait des rapports tendus et des conditions de travail détestables. J'ai besoin de plus de sérénité et cela passe par un minimum d'estime de la part de son éditeur. Je me rends compte à quel point je suis privilégié aujourd'hui chez Casterman, mes rapports avec eux sont idéaux, en tout cas pour l'instant. La plupart de mes amis ne sont pas suivis par leur éditeur, cela n'a de cesse de m'étonner. On dirait même que certains éditeurs font tout pour qu'un bouquin ne marche pas. C'est étrange.
Emma est un triptyque superbe, qui montre tout votre amour pour la peinture ; l’ensemble se lit cependant un peu vite. N’auriez-vous pas aimé prolonger un peu cette atmosphère, ces personnages, dans un quatrième tome, ou un one shot ?
C'est une bande dessinée que j'ai réalisée juste pour moi, pour voir si j'étais capable d'aller au bout d'un gros projet. Je ne connaissais rien à la BD et encore moins à l'édition, aux contraintes du nombre de pages, etc. Je n'avais pas de scénario, j'avançais au jour le jour avec un rapport quasi amoureux à la planche. C'était un peu étrange mais aussi assez génial à vivre.
Ca peut se lire "premier degré" avec une histoire assez simple, mais à d'autres niveaux il y a plein de choses très personnelles qui parlent notamment d'identité, de sa construction et de sa destruction, de la "création" et de la difficulté de la maîtriser, etc. Emma (le personnage) symbolise cela. L'inspiration qui vient et s'en va quand elle veut sans que l'on sache si un jour on la recroisera et de la dépendance, puis de la frustration et pourquoi pas d'une certaine violence que cela peut engendrer. Plein de choses sans doute très prétentieuses mais j'avais 20 ans et j'avais besoin de passer par cela. Aujourd'hui, j'ai toujours des doutes et des questions mais moins d'angoisses.
Figurec est l’adaptation du roman éponyme de Fabrice Caro. Qu’avez-vous gardé par rapport au roman original ?
L'esprit j'espère. J'adore ce que fait Fabrice et j'avais comme but de ne pas abîmer son travail. J'ai gardé le gros de la structure car il y a une mécanique assez précise dans le roman que j'aurais pu casser si j'avais pris trop de libertés. J'ai essayé de garder le ton et l'humour acide. Bien sûr, j'ai dû couper pas mal mais c'est obligatoire avec le nombre de pages que l'on a dans la BD, même si j'en avais 70 je crois, ce qui n'est déjà pas si mal.
Shutter Island va bientôt être adapté en film, réalisé par Martin Scorsese et avec Leonardo di Caprio comme acteur : avez-vous été informé de cela au cours de la création de la bande dessinée ou après ? Pensez-vous que les créateurs du film aient eu connaissance ou aient lu votre BD ?
Je l'ai su alors que j'avais déjà réalisé une vingtaine de pages. Casterman a envoyé la bande dessinée à l'attachée de presse de Monsieur Scorsese je crois. C'est tout ce que je sais.
Un problème de date a alimenté les discussions parmi les lecteurs de Shutter Island : à la page 10, un texte dit "Baie de Boston, mars 1954", à la page 110, sur la feuille de papier, on apprend que Andrew Laeddis est arrivé à l'hôpital le 26/05/1956... soit 2 ans après le début de l'histoire ? Il est effectivement supposé y être depuis 2 ans... mais la date sur le papier ne devrait pas être 1952 ?
C'est une erreur de ma part. Jusqu'à ce jour je ne m'en étais pas rendu compte. Il faut lire "Baie de Boston, mars 1958" bien sûr. Je vais voir s'il est possible de changer cela pour une prochaine édition. Il y a eu d'autres erreurs de dates dans la toute première édition. Je m'étais mélangé les pinceaux avec le décompte des jours. Il y avait deux "troisième jour". Cela a été corrigé depuis. Il y a un moment où on ne voit plus trop les détails qui pourtant sont cruciaux. Merci pour l'info.
Suite au bon accueil de Shutter Island, seriez-vous tenté par d'autres adaptations de Dennis Lehane ? Les aventures de Kenzie & Gennaro pourraient même devenir une série de bd...
Je ne me vois pas partir sur une longue série. Et ce qui est intéressant avec Kensie et Gennaro c'est également les rapports entre eux qui évoluent au fur et à mesure des bouquins. En faire juste un ou deux serait dommage. Mais tous...
A part les premières BD vous réalisez le dessin et le scénario. Un choix délibéré, une préférence, une liberté ou est-ce dur de travailler en collaboration ?
J'ai toujours été au moins en partie sur le scénar. Je suis incapable de n'être qu'un exécutant. Si je ne suis pas impliqué personnellement dans l'histoire et les personnages je deviens le pire des dessinateurs. Peut-être que je le suis déjà ceci dit... bref, j'ai besoin de développer les thèmes qui me travaillent et donc être au moins à 50% à l'écriture de l'histoire. J'avoue que j'apprécie d'être seul aux commandes du bateau. Si je me plante je ne peux pas mettre ça sur le dos d'un autre.
Quand on regarde l’ensemble de votre production, on remarque quand même qu’il s’agit souvent d’histoires sombres, torturées, voire morbides parfois. La face sombre de la nature humaine est-elle plus intéressante à explorer que sa face éclairée ?
Mon dessin colle plus à ce type d'univers... et inversement. Et j'ai besoin pour vivre mieux de me débarrasser de certaines choses, d'une noirceur, d'une violence, et de certaines angoisses qui sont en moi. Une fois mises sur le papier, ces choses sont plus légères à porter. Si je n'avais pas la possibilité de m'exprimer, même si je me rends compte d'une certaine inutilité de tout cela, je serais peut-être dangereux pour la société :) Cela a au moins cette utilité-là, finalement.
Quels sont vos prochaines sorties, vos projets ?
Une histoire avec Marilyn Monroe comme personnage principal. Chez Casterman of course, logiquement pour l'automne mais j'ai pris un peu de retard.
Christian, merci.
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