Auteurs et autrices / Interview de Benoît Sokal
Benoît Sokal tient une place à part dans le paysage de la bande dessinée franco-belge. Mais depuis quelques années, Sokal mène également une carrière de designer/producteur/directeur de création/scénariste dans le domaine du jeu vidéo.
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Justement de films noirs des années 50… l’époque était aussi celle de la découverte ou re-découverte de romans noirs américains, Chandler, Hammett. La dimension « animalière » m’a semblé naturelle, c’est le cas de la dire. Et puis, en commençant à dessiner, cela s’est imposé. Je ne pensais pas forcément que Canardo allait vivre si longtemps.
Curieusement, la série Canardo est centrée sur la psychologie de ses personnages, alors que vos jeux vidéo font la part belle aux décors, à l’imagination, même si le personnage de Kate Walker est intéressant en lui-même… Le cynisme de votre canard détective détonne par rapport au message d’espoir contenu dans Syberia 2…
Mon dernier jeu, Paradise, est à nouveau assez sombre. J’oscille en permanence entre ces deux tentations, celle de l’espoir et celle de la noirceur.
Vous dites que votre maître à penser est Hugo Pratt… De lui, vous semblez avoir hérité le goût des grands espaces, du dépaysement, mais aussi une vocation à raconter de belles histoires… Quelles autres influences revendiquez-vous ?
Beaucoup d’influences « classiques ». Les romanciers américains en littérature, et plus particulièrement Hemingway. Werner Herzog au cinéma. Mais de manière générale, je me nourris beaucoup du quotidien. Je peux intégrer une partie d’une série TV « à la mode » dans mon imaginaire, et le retranscrire sous une forme différente quelques années plus tard. Je ne me souviendrais d’ailleurs plus nécessairement d’où vient ce bout d’inspiration :)
Vous avez fait deux infidélités à Canardo, en tant que dessinateur : Sanguine en 1988 et Le vieil homme qui n’écrivait plus en 1996. C’étaient des récréations ? Des envies d’essayer un autre style ?
Oui, bien sur. C’est essentiel de s’offrir de nouvelles perspectives régulièrement. C’est après ces deux albums que j’ai commencé mon travail dans le jeu vidéo avec « Amerzone ». Aujourd’hui, j’ai des envies de cinéma. J’estime qu’il faut aller « là où va l’image ».
Essayerez-vous d’autres « échappées » ?
Oui. Je suis en train de travailler à un projet de long-métrage d’animation. J’ai envie de concevoir une série TV également.
Dans Le vieil homme qui n’écrivait plus, l’un des personnages s’appelle Voralberg, comme dans Syberia et sa suite. Une volonté d’unir vos différents univers ?
Non, plutôt un clin d’œil à mes lecteurs « transversaux ».
En 1996 vous vous lancez dans l’aventure du jeu vidéo, en adaptant L’Amerzone, album éponyme de la série Canardo. Casterman vous soutient à fond, et trouve en Microïds le partenaire technique idéal. Parlez-nous de cette aventure…
Vous l’avez en partie résumée dans votre question. J’ai abordé « Amerzone » avec énormément d’enthousiasme mais une assez piètre connaissance des enjeux spécifiques au jeu vidéo. J’ai démarré avec l’ambition de créer de très belles images en 3D, différentes du style que l’on rencontrait habituellement dans les jeux. J’ai dit à Casterman : « il y en a pour un an, et cela devrait coûter quelques centaines de milliers de francs ». Au final, j’y ai travaillé 3 ans, et le jeu a coûté 5 millions de francs. Un certain décalage… Mais le jeu a immédiatement été récompensé par de très bonnes ventes et un accueil très positif de la presse.
Comment en êtes-vous venu à faire des jeux vidéo ? Etes-vous vous-même joueur ? Quels sont vos jeux vidéos préférés, ancien ou plus récents ?
J’ai eu un choc visuel en voyant « Myst » (et puis « Riven »). Franchement, je joue peu. Mes associés sont joueurs, les équipes de White Birds aussi, mes fils jouent. Mais moi, assez peu. Je regarde beaucoup de titres pour me faire une opinion graphique et aussi demeurer à jour dans cet univers qui évolue très vite, mais je consacre peu de temps au jeu lui-même.
En 2003 vous créez le studio White Birds Production, du nom d’étranges oiseaux que l’on peut voir dans L’Amerzone. Pourquoi avoir voulu monter votre propre structure ?
Pour être plus libre. Et surtout pour pouvoir explorer tous les champs du possible. Quand vous travaillez pour le compte d’un éditeur de jeu, il ne voit que cette dimension dans votre travail, et ne sera pas ou faiblement intéressé par vos projets dans d’autres univers ou médias.
Que pensez-vous de la conjoncture actuelle de l’industrie vidéo ludique (coûts de production exorbitants rendant la vie difficile pour les petits studios, créativité et innovation de plus en plus rares…)
De plus en plus difficile. Je veux croire que la créativité demeure un des ressorts essentiels, même si ce marché est dominé par des logiques de « sequels ». Une des clés de la réussite tient peut être à la diversification des supports : PC, consoles, « portables », Internet…
Le jeu vidéo Paradise est la première production de votre studio. Une bande dessinée éponyme est sortie presque simultanément. Pourquoi ne pas en avoir assuré le dessin vous-même ?
Parce que je voulais donner sa chance à Brice Bingono, qui est un jeune dessinateur talentueux. Le jeu me prenait déjà beaucoup de temps et d’énergie. Et puis je voulais voir ce qu’un autre regard sur un de mes scénarios donnerait.
4 albums sont prévus sur cette série. L’envie d’explorer à fond ce nouvel univers ?
Le scénario l’autorise. Il est assez riche pour faire 4 albums. Ce découpage correspond aussi aux quatre « mondes » du jeu vidéo.
Vous y développez encore une fois une faune extravagante, ainsi qu’un environnement assez original… C’est votre marque de fabrique ?
Dans le jeu, en tout cas, oui. C’est quelque chose que j’apprécie énormément : créer comme cela des espèces animales ou végétales imaginaires.
Vous avez un projet de jeu vidéo avec François Schuiten, intitulé Aquarica. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est d’abord un projet de long-métrage. Nous en parlons depuis longtemps François Schuiten et moi, et puis nous nous sommes mis au boulot et avons creusé cette idée de départ un peu folle de baleines géantes. Aquarica est une histoire de baleines géantes, si vastes qu’elles semblent des îlots tropicaux aux yeux des hommes. Elles ont une vie léthargique dans les mers chaudes et se dissimulent en recouvrant leur dos de terre et en y laissant pousser de la végétation. Mais une fois par siècle, elles entreprennent le voyage vers les mers glacées du grand Nord pour s’y reproduire.
Et parallèlement à tous ces projets, vous continuez à publier un Canardo par an ! Pas fatigué ?
Ca dépend des jours :) Canardo, c’est mon vieux complice.
Avez-vous d’autres projets, en BD, jeu vidéo ou autre ?
Toujours. A titre personnel, j’ai toujours de 5 à 10 idées qui me trottent dans la tête. Toutes ne deviennent pas des réalisations, mais j’y consacre toujours du temps. Et puis, de temps en temps, une s’impose davantage et se concrétise. Avec White Birds, nous avons près de 4 projets sur lesquels nous travaillons en ce moment.
Merci beaucoup Benoît Sokal !
De rien.
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