Auteurs et autrices / Interview de Antoine Bauza et Maël
« L'Encre du Passé » rencontre un fort succès critique sur BDT, et s’impose comme le coup de coeur de cet été 2009… rencontre avec ses deux auteurs, Antoine Bauza et Maël.
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J'ai 31 ans, je suis marié et je vis actuellement dans ma Drôme natale. Je suis professeur des écoles à temps partiel et j'utilise le temps restant pour concevoir des jeux de société et parfois écrire, un peu. J'ai commencé à écrire pendant mes études, d'abord des jeux de rôles, puis des histoires pour la jeunesse et quelques scénarios de BD. L'encre du passé est mon premier album BD édité et j'ai préalablement participé à un recueil de contes avec une histoire ayant pour thème... le Japon.
Petite particularité originale de ton parcours tu es avant tout l’auteur de plusieurs jeux de sociétés. Comment devient-on « inventeur » d’un jeu ?
Ma formation initiale me destinait à travailler dans l'industrie du jeu vidéo (comme game/level designer ou scénariste). Malheureusement, j'ai terminé mes études dans la mauvaise période du jeu vidéo en France et je n'ai pas trouvé de travail. Je me suis alors tourné vers mon deuxième centre d'intérêt, l'enseignement. C'est à partir de ce moment que j'ai commencé à travailler sur mes premiers jeux de société, faute d'accéder à l'univers du jeu vidéo.
Peut-on comparer l’univers du jeu et celui de la BD ? Y a-t-il des points communs dans le boulot d’un scénariste et dans celui d’un créateur de jeu ?
Dans les deux cas, l'auteur veut faire partager quelque chose issu de son imagination, de son univers personnel, mais les procédés créatifs sont très différents. L'histoire est livrée achevée au lectorat alors que le jeu doit se confronter très tôt à un groupe de testeurs et évoluer vers sa version finale en fonction des impressions de ces joueurs. L'écriture est une relation duelle entre l'auteur et l'oeuvre, le jeu fait intervenir un grand nombre de joueurs dès les premières étapes de la création. Il reste que concevoir un jeu, c'est raconter une histoire, d'un type un peu particulier certes, mais une histoire quand même...
Est-ce qu’il est aussi difficile d’arriver à trouver un éditeur pour un jeu que pour une BD ?
J'ai l'impression que c'est plus facile pour le jeu, principalement parce que c'est un milieu plus petit, et également parce que le jeu est un média plus "liant" que la bande dessinée. Il est en effet plus facile de se retrouver assis à une table autour d'un jeu plutôt que les yeux rivés sur un scénario. Ceci dit ma vision est peut-être faussée par le fait que je gravite beaucoup plus près de la planète jeu que de la planète BD...
Quels sont tes gouts en matière de BD ou de manga ? Est-ce que certaines de ces œuvres influencent ton travail ?
Ma bibliothèque accueille de la bande dessinée franco-belge, asiatique et américaine sans distinction. Parmi les auteurs que j'apprécie particulièrement, je citerai Mike Mignola, Bill Watterson, Jiro Taniguchi, Stan Sakaï, Frédérick Peters, Lewis Trondheim. J'apprécie également les grands classiques de l'école franco-belge...
Certains mangas ont très certainement influencé l'encre du passé mais mes références pour cette histoire sont plutôt cinématographiques : la filmographie d'Akira Kurosawa en tête, suivi des longs-métrages du Studio Ghibli. En fait, du côté narratif comme du côté ludique, mon travail puise de l'inspiration dans tout un tas de médias (littérature, BD, cinéma, musique, jeu vidéo) ainsi que dans mes voyages et dans diverses expériences de la vie quotidienne.
L'Encre du Passé est donc ta première BD. Peux-tu rapidement nous la présenter ?
L'histoire est née de mon attrait pour le Japon et de mon envie de raconter une histoire qui ne s'articule pas autour de la facette guerrière des samuraïs, déjà très exploitées en BD comme ailleurs. Je voulais mettre en scène quelque chose de différent, un personnage qui n'aurait de samuraï que le titre, presque oublié, un homme d'art plutôt qu'un homme d'épée. Un homme de plume.
L'histoire s'articule autour de la rencontre entre ce personnage, Môhitsu, et une jeune fille chez qui il croit déceler un don pour la peinture. Il décide de la prendre sous son aile et de la mener auprès d'un peintre réputé de la capitale nipponne afin qu'elle y suive son enseignement. L'album raconte cette rencontre, le chemin que suivent ensemble ces personnages, le lien qui se crée entre eux et leur relation à l'art qu'ils pratiquent.
Je crois que tu as écrit le scénario il y a plusieurs années. Pourquoi celle-ci ne sort-elle que maintenant ? Il t’a fallu quelques années pour laisser murir l’histoire ?
J'ai débuté l'écriture en 2003. Initialement, l'histoire était plus courte et ne correspondait qu'à la première partie de l'album actuel. Quand nous l'avons présenté à Dupuis, j'ai évoqué l'idée de suite que j'avais déjà en tête. Cette idée de prolongement a beaucoup plus et je l'ai donc écrite. L'histoire se présentait alors sous la forme de deux tomes indépendants. Mais, après une nouvelle réflexion, nous avons décidé de conserver l'intégralité de l'histoire dans un volume unique. J'ai donc réécrit une nouvelle fois la totalité du scénario.
Ces réécritures ont pris beaucoup temps mais cette période nous as permis d'intégrer Pascal Krieger dans le projet. Il a réalisé les calligraphies de l'album, leur donnant la crédibilité qu'elles méritaient de par leur importance dans l'histoire. Enfin, l'album comporte 78 planches que Maël a entièrement exécutées, dessin et couleur à l'aquarelle. Tout ceci mis bout-à-bout fait que l'album est paru six années plus tard. Mais je pense que le résultat est à la hauteur de la gestation !
D’une manière générale il semblerait que le Japon constitue une grande source d’inspiration dans tes créations. Pourquoi cette influence ?
Le Japon exerce sur moi une fascination depuis de nombreuses années. Mes premières créations ont donc largement puisé dans sa culture, ses traditions et sa mythologie. J'ai pratiqué plusieurs disciplines d'origine japonaise (les arts martiaux, la calligraphie, l'origami) et j'ai eu envie de mettre en mots (ou en jeu) ces expériences. Mais je promets de laisser un peu de côté le pays du soleil levant dans mes nouveaux travaux ;o)
Comment as-tu rencontré Maël le dessinateur ?
Je connaissais Maël avant d'écrire la première version du scénario, en fait. A l'époque où je lui ai parlé de L'encre du passé, il travaillait sur Tamino. Je lui ai donné une copie du scénario, principalement pour avoir son avis et ses retours. L'histoire l'a immédiatement séduit, il a mis en lumière la plupart de ses faiblesses, ce qui m'a permis de retourner à ma table de travail. Quelques temps plus tard, nous décidions de présenter ensemble ce projet.
Comment s’est passée votre collaboration ? Etais tu assez directif au niveau du découpage, des mises en pages ?
Pas vraiment. Je ne suis en aucun cas "directif". Quand j'écris, j'ai ma propre vision de la mise en scène mais j'aime laisser le dessinateur s'approprier l'histoire et lui imprimer la sienne. Il y a bien sûr certaines scènes clés pour lesquelles j'avais une vision très précises de la mise en image. Celles-ci ont donné lieu à des discussions avec Maël mais rien à été imposé d'un côté comme de l'autre. Et puisqu'on parle de collaboration, il faut préciser que Pascal Krieger nous as apporté, en plus de sa maîtrise de la calligraphie, son expérience et sa connaissance de la culture nipponne (il a vécu de nombreuses années au Japon).
Il parait qu’il manque « quelques chose » dans l’album ? Un petit scoop à nous révéler ? ;-)
En effet ! Nous clôturons l'album sur un haiku emprunté au poète Ryôkan (1758-1831) et son nom a disparu de l'album. Je profite de cet espace numérique pour lui rendre son dû et vous donner la prononciation japonaise : horoyoi no - ashimoto karushi - haru no kaze.
Et après quels sont tes autres projets ? Une autre BD ? D’autres jeux ?
J'ai plusieurs projets de jeux en cours de développement, ce qui ne laisse pas beaucoup de temps pour écrire. Je compte néanmoins récidiver en BD avec deux projets en cours d'écriture : le premier dans un style complètement différent de l'encre du passé, situé dans un univers médiéval-humoristique, pour lequel je suis en quête d'un dessinateur, et un deuxième dans un esprit similaire mais prenant place bien loin du Japon...
Pour conclure un petit mot à faire passer aux visiteurs de BDThèque ?
Je ne suis pas un habitué des sites consacrés à la BD et je n'ai découvert BDthèque que très récemment (honte à moi, je sais !). D'emblée, j'ai particulièrement apprécié la richesse des commentaires laissés par les internautes. Il est très plaisant de lire des commentaires complets et bien argumentés. Merci à ces lecteurs qui prennent le temps de livrer leurs impressions avec détails et sensibilité.
Bonjour Maël, comment es-tu venu à la bande dessinée ?
C'était un rêve de gosse ! Je crois avoir appris à dessiner en lisant Lucky Luke... J'ai suivi d'autres directions pour commencer (études à Sciences Po, puis dans une école de graphisme), et après deux ans passés à travailler comme graphiste, j'ai réalisé des histoires courtes que j'ai montrées à Angoulême, ainsi qu'à des amis illustrateurs. Les retours étaient encourageants, et au bout de quelques mois, une des co-scénaristes de Tamino, Nathal, m'a contacté pour travailler sur ce projet, qui avait séduit Didier Convard chez Glénat. J'ai donc fait mes premiers pas avec "Tamino", en 2003.
Tu débutes en 2004 par un diptyque chez Glénat, dans la collection Loge noire. Comment s’est passé cet apprentissage ? Cette série est-elle terminée ?
"Tamino" devait être un triptyque, qui reste à ce jour inachevé.
Didier Convard m'a donné pas mal de bons conseils et d'encouragements... J'apprenais au fil des planches, je cherchais une expression graphique en clair-obscur proche des travaux de Mognola au Risso, mais j'étais frustré de ne pas avoir la main sur les mises en couleurs... Après le premier tome, l'entente avec Nathal s'est rapidement dégradée, elle s'est brouillée avec sa co-scénariste, puis avec moi, puis avec l'éditeur, et finalement n'a pas voulu écrire le troisième tome. Devant ces difficultés, et constatant ma relative frustration, Didier Convard a décidé qu'il était préférable pour tout le monde d'arrêter. Ce fut donc un apprentissage difficile, mais plein d'enseignements pour la suite.
Je regrette évidemment que la série soit inachevée, d'autant que l'idée sous-jacente du scénario était très prometteuse. Je regrette aussi la tournure graphique qu'ont prises certaines séquences, si je pouvais je referais les deux-tiers de ces planches maintenant...
Très vite après le tome 2 de cette série, tu enchaînes avec Les Rêves de Milton, première collaboration avec Sylvain Ricard (et Frédéric Féjard), avec qui tu feras plus tard Dans la colonie pénitentiaire, adaptation du roman éponyme de Franz Kafka. As-tu d’autres projets avec ce scénariste ?
Le diptyque Les Rêves de Milton marque ma vraie naissance en bande dessinée, et le début d'une collaboration avec Sylvain Ricard que j'espère loin d'être terminée. Sylvain a une approche de l'écriture assez instinctive, et il associe très tôt les dessinateurs avec qui il travaille à l'élaboration du récit, en termes de rythme, de conception des personnages... Bref, c'est quelque chose qui me plaît, c'est une façon très ouverte de collaborer.
Nous avons un autre projet ensemble, encore une adaptation, mais il est un peu tôt pour en parler, d'une part parce qu'elle est suspendue à une histoire de droits qu'il faudra régler au préalable, d'autre part parce que je veux auparavant écrire mes propres histoires, parallèlement au dessin des trois tomes de Notre Mère la Guerre. Ce projet se fera, mais il faudra attendre quelques années avant de le voir émerger !
Et maintenant, L'Encre du Passé remporte un vif succès, en tous les cas auprès de nos internautes. Comment es-tu venu sur ce projet ?
Je suis très heureux de l'accueil réservé à ce livre par les lecteurs. Antoine m'a fait lire une première version de cette histoire en 2003 je crois. Quelque chose m'a plu immédiatement, cette relation entre Mohitsu et Atsuko, mais aussi cette façon très peu vue de parler du Japon de cette époque, loin des sempiternels combats de sabre... Je voyais déjà les paysages, les personnages, le rythme...
Comme j'étais déjà engagé sur Les Rêves de Milton puis Dans la colonie pénitentiaire, il a fallu attendre un peu avant de développer ce projet, ce que nous avons fait patiemment sur les conseils de Louis-Antoine Dujardin puis José-Louis Bocquet, des éditions Dupuis. Nous savions que ce récit était fait pour Aire Libre... Au final, il aura fallu encore deux ans pour terminer ce livre, que j'ai dessiné parallèlement à "Notre Mère la Guerre".
Actuellement tu termines "Notre-Mère la Guerre", sur un scénario de Kris. J’ai pu voir quelques planches, le résultat sera certainement superbe. As-tu dû utiliser beaucoup de documentation sur cet album ?
Merci pour le compliment !
Bien entendu, pour cette histoire qui se déroule pendant la Première Guerre Mondiale, la charge documentaire est considérable. D'autant plus que quant on aborde cette période en bande-dessinée, l'ombre tutélaire de Tardi vient rapidement peser sur vos petites épaules de dessinateur. Pour autant, même si nous essayons, avec Kris, d'être rigoureux sur la documentation, je n'en fais pas un pensum à chaque case. Ce qui m'intéresse en premier lieu, ce sont les personnages et la mise en scène. Je privilégierai toujours la justesse des personnages à l'exactitude de la reconstitution. Mais pour la crédibilité de l'histoire, il faut essayer au maximum de satisfaire à ces deux priorités.
Quels sont tes projets ?
"Notre Mère la Guerre" est un récit en trois tomes, il en reste donc deux à réaliser - comme nous ne voulons pas faire attendre nos lecteurs, ils sortiront à douze mois d'intervalle, ce qui me laisse peu de temps pour autre chose - et pourtant, j'ai plein de projets !
En particulier, celui d'écrire mes propres scénarii. C'est en cours avec le "Crépuscule d'Aurore", un récit axé autour de George Sand, dont je remanie en ce moment une première version. Il est très probable que j'avance sur ce sujet parallèlement à "Notre Mère la Guerre", avec une technique différente. J'ai deux ou trois autres départs de scénario dans les valises, mais je ne sais pas par lequel commencer, ça dépendra de l'humeur. Et puis il y a cette deuxième adaptation avec Sylvain Ricard... Je crois qu'après trois ans de boue et de tranchées, j'aurai envie d'explorer des horizons plus lumineux !
Antoine et Maël, merci !
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Le site de Antoine Bauza
Les jeux de Antoine Bauza
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