Auteurs et autrices / Interview de Kris - suite
Kris est un auteur comme on n’en croise pas souvent. A son look de chanteur altermondialiste il oppose une rigueur dans le travail hors du commun, un perfectionnisme rare. Mais c’est aussi un garçon charmant, amateur de vieilles charrues et de ping-pong.
On vient de l'évoquer, tes débuts éditoriaux se sont faits chez Delcourt, mais depuis 2006 et la parution de Un homme est mort, tu es passé chez Futuropolis. Comment s’est passée ta rencontre avec cet éditeur ? Comment se passe cette collaboration ?
La rencontre s’est faite par Luc Brunschwig, quand Sébastien Gnaedig, directeur éditorial de Futuropolis, était éditeur chez Dupuis. Luc devait devenir une sorte d’accompagnateur de jeunes auteurs signant chez Dupuis. On avait sympathisé grâce au net, suite à diverses interventions sur des forums. Ayant lu et aimé Toussaint 66, il m’a alors appelé pour savoir si j’avais des projets dans les cartons. Et j’avais justement Un homme est mort qui « végétait » chez Delcourt. Davodeau, qui devait à l’origine diriger l’album pour Delcourt (et non pas le dessiner), avait démissionné. Et je ne sentais pas Guy plus motivé que ça. C’était peut-être une fausse impression mais c’était la mienne à ce moment-là en tout cas. Du coup, à tout hasard, j’ai envoyé le scénario à Luc qui, après lecture, l’a aussitôt passé à Gnaedig. Moins d’une semaine après, j’avais une proposition de contrat chez Aire Libre, alors même que j’étais quasi-inconnu et qu’il n’y avait pas encore de dessinateur réellement choisi pour m’accompagner !
De plus, Gnaedig m’a demandé si j’avais autre chose. Et j’avais. Coupures irlandaises et un autre diptyque qui devrait sortir seulement (et enfin !) en 2010 (ça s’appelle "En novembre, quand elle viendra…", une histoire sur l’invention du Rock’n Roll. Oui, en toute simplicité). Et du coup, une nouvelle semaine plus tard, j’avais deux autres propositions de contrat, toujours chez Aire Libre, et bien qu’il n’y ait, là non plus, pas encore de dessinateurs pour aucun des projets…
Et puis là, boum patatras, Média Participations rachète Dupuis et Sébastien décide de partir. Comme je n’avais encore rien signé chez Dupuis, j’ai décidé d’être fidèle à l’éditeur qui m’avait immédiatement fait vraiment confiance et je l’ai suivi chez Futuropolis lorsqu’il en a repris les rênes. J’avais donc dès le départ, au même titre qu’un certain nombre d’autres auteurs très fidèles à Gnaedig, un rapport particulier et très proche avec Sébastien. Et ça n’a toujours pas changé d’un pouce aujourd’hui, bien au contraire. Nous avons souvent de longues et passionnantes discussions sur la BD en général, sur la stratégie de Futuro à tous niveaux, sur les livres qui sortent ou en devenir, etc., bref, tout ce qui fait qu’un auteur se sent impliqué, pas seulement dans la réalisation de ses « petits » bouquins à lui mais aussi dans l’existence de la structure toute entière. On peut s’en foutre. On a même tout à fait le droit de le faire en tant qu’auteur. Mais moi, j’aime bien avancer les yeux ouverts sur tout ce qui m’entoure… De plus, l’équipe qui a été constituée pour accompagner Gnaedig m’a immédiatement séduit et elle n’a cessé de se renforcer depuis deux ans. Futuropolis, c’est une petite équipe commando qui accomplit un travail extraordinaire au quotidien et le tout, avec des valeurs humaines et professionnelles qui me sont très proches. Sans compter les livres qui y sont édités. Il ne faut pas se leurrer, pour un auteur, l’environnement du catalogue est aussi très important. Et la plupart des livres Futuros m’excite, me remue, me donne envie, etc., etc. En festival, les repas Futuros sont toujours de vrais bons moments de partage et de bonheur, il faut bien l’avouer…
En résumé, le nouveau Futuropolis, et quoiqu’en aient pensé certains au départ, c’est presque une douce utopie qui dure depuis plus de trois ans maintenant. Je ne sais pas combien de temps ça durera mais je brûle un cierge à Saint-Editeur chaque matin pour que ça soit le plus longtemps possible… Et en attendant, j’ai la conscience très claire de vivre des moments formidables et j’essaie d’en jouir de façon encore plus éhontée que ma mauvaise foi…
Qui a trouvé le titre des Ensembles contraires ? Il est plein de sens et correspond à merveille au contenu de la BD.
Ha ben merci… En fait, ça a été une vraie galère à trouver ce titre ! Depuis le départ, nous avions donné un nom de code au projet : « Rencontre du 2ème type ». On trouvait que ça collait parfaitement mais c’était évidemment trop référencé pour être gardé (et en plus une référence qui n’avait rien à voir). A un moment donné, il a bien fallu se décider à trouver un vrai titre donc. Et là, c’était l’enfer, surtout après s’être habitué au premier pendant des années (la genèse du projet date déjà de dix ans…). En général, je trouve le titre dès le départ, c’est même parfois ce qui me donne l’idée de base ! Et là, on a tout essayé, sans succès et pourtant tout le monde s’y est mis, jusqu’à Didier Gonord, le directeur artistique de Futuro. Allez, je vous en livre quelques-uns pour que vous puissiez rire un peu, vous aussi : « Rencontre », « Un ami », « Un ami, mon frère », « Binôme », « Un ami de toujours », « Une longue amitié », « Le radeau de la méduse », « Une autre histoire », « Les œufs brouillés », « Le double », « Double-je », « Jusqu’à ce que la mort nous sépare » et j’en passe… Pour les « œufs brouillés », il faudra demander à Gonord. Moi aussi un an après, je n’ai toujours pas compris… :o)
Et puis, je suis reparti de zéro. Je cherchais du côté des mathématiques ou de la physique, quelque chose qui ne pouvait absolument pas cohabiter ensemble, deux corps étrangers, un truc comme ça. Et là me sont venues des images de mes cours de 6ème avec ces ensembles contenant des points ou des chiffres et qui parfois s’interpénétraient (rien de sexuel là-dedans. Ou alors, c’est du refoulé…). Et brusquement l’illumination des « Ensembles contraires » donc. J’ai retrouvé le mail où je l’annonçais aux autres. Ça s’intitulait : « J’ai trouvé ! ». Visiblement oui…
Combien de tomes sont prévus ?
Deux. On achève actuellement ce deuxième tome qui paraîtra le 17 septembre et fera 224 pages, un peu plus long que le premier. On aurait pu développer plus car résumer dix ans, même en 400 pages, ce n’est pas simple. Mais nous sortons tous trois un peu épuisés par le rythme qu’il a déjà fallu tenir pour réaliser ces 400 pages en deux ans. Et faire un 3ème chapitre ne se justifiait pas scénaristiquement. C’est aussi le récit d’une chute puis d’une rédemption. Donc deux tomes.
Coupures irlandaises est une BD passionnante, mais je trouve dommage que ni la BD, ni le « making of » en fin de BD n’expliquent clairement les origines du conflit. Ne trouves-tu pas que c’est une occasion manquée d’expliquer ce conflit aux plus jeunes ? Ce n’était peut-être pas le but que vous vous étiez fixé ?
Question difficile. Je vais faire une réponse de Normand : dans le récit, non ce n’était pas le but. Lorsque nous sommes rentrés, ni moi, ni mon ami Nicolas n’avions réellement compris quoi que ce soit à ce conflit, si ce n’est quelques idées un peu réductrices (catholiques = gentils opprimés, protestants/anglais = méchants oppresseurs en gros) mais néanmoins éprouvées à la réalité des situations vécues ou entrevues. Je me souviens qu’on ne savait même pas qui étaient ces foutus orangistes dont on nous rebattait les oreilles ! C’est un conflit extrêmement complexe. Il suffit de signaler que les fondateurs du républicanisme irlandais, aujourd’hui apanage des populations dites « catholiques » et indépendantistes, étaient principalement protestants au début du 19ème siècle par exemple… Alors, avec la barrière de la langue par-dessus et nos 14 ans seulement… Bref, mon idée dès le départ était de laisser le lecteur au même niveau de compréhension que le nôtre à l’époque, afin de permettre cette vraie identification/empathie dont je parlais plus haut. Ce n’est pas un manuel d’histoire. C’est un récit de vacances adolescentes et irlandaises. Un récit qui marque la fin de l’innocence, de la naissance d’une révolte et d’un éveil à l’engagement politique. Rien de plus, rien de moins.
Je ne crois pas aux récits neutres. Thèse, antithèse, synthèse, c’est du scolaire. Pas du récit, qu’il soit réel ou fictionnel. Une histoire rêve, imagine ou raconte les murs à détruire ou ceux à construire mais elle n’a pas à s’encombrer d’un niveau pour vérifier à chaque case si le mur penche d’un côté ou de l’autre. Un récit peut donner à réfléchir évidemment mais il doit avant tout « embarquer » son destinataire. Et on embarque dans un train en marche, lancé à pleine vitesse vers une révolte ou une adhésion, pas dans un ordinateur qui s’arrête pour vérifier si la destination est bonne à chaque intersection. Chacun son métier, on va dire. Un auteur n’est pas un aiguilleur. C’est un cheminot fou qui fonce droit devant en hurlant de rage ou de joie… Et qui l’aime le suive ! :o)
Néanmoins, dans le cas de « Coupures… », je désirais « profiter de l’occasion », comme vous dites, pour « édifier » un peu plus les lecteurs sur ce sujet méconnu et qui me tient à cœur. D’où le dossier final. Mais après avoir à peu près fait le tour de la question, on s’est retrouvé avec… 30 pages de dossier ! Impossible à éditer tel quel et il a fallu sabrer à la hache en enlevant des articles entiers, d’autant que nous étions pris par le temps.
Du coup, il est sans doute perfectible et rate peut-être son but, je ne sais pas, ce n’est pas à moi de le dire. Ou peut-être n’avait-il tout simplement pas sa place dans ce livre, là aussi, je ne sais pas. Autant j’étais, et suis toujours, content du dossier final de Un homme est mort qui, je pense, arrive à combiner le côté pédagogique et l’aspect « aventure humaine », autant je sens bien, avec le recul, que celui de Coupures irlandaises marche peut-être sur une jambe. Mais tous les livres que j’ai lus sur le sujet m’ont fait le même effet : soit trop complexes, soit trop réducteurs. Encore une fois, la « question irlandaise » est extrêmement compliquée et très difficile à soumettre à une pédagogie efficace. On peut faire « ressentir » l’Irlande. Sorj Chalandon le fait de façon extraordinaire dans son roman Mon traître par exemple. Et c’est aussi ça que je recherchais dans « Coupures… ». Mais l’expliquer, je ne crois pas, en fait…
Tout cela fait partie des remises en question permanentes à chaque nouveau livre. J’ai fait deux dossiers ainsi, à la fin de deux livres très importants pour moi. Mais je sais déjà que je n’en ferai pas d’autres. Pas de la même façon en tout cas. Je ne veux pas que ça devienne une recette même si celui de Un homme est mort a aussi contribué au succès du livre. Bref, je continue d’y réfléchir pour chaque bouquin. Dans "Svoboda !" par exemple, un prochain triptyque à sortir j’espère en 2010 et qui se déroule durant la révolution russe, j’intègre carrément cet aspect au récit en lui-même : les deux personnages principaux étant l’un écrivain, l’autre illustrateur et le tout formant un carnet de guerre imaginaire, mélangeant BD classique mais aussi croquis, photos, plans, écrits, etc. soi-disant d’époque.
Un voyage à l’adolescence dans Coupures irlandaises ; tes premiers émois amoureux avec Les Ensembles contraires ; quel épisode de ta vie vas-tu raconter dans ta prochaine BD ?
Ha ! Ha !… Pour un auteur parfois taxé de « communiste » comme je le suis parfois, je tombe pour le moins dans la littérature « bourgeoise » et nombriliste, oui ! :o)
En fait, il n’y a pas de vaste plan pré-établi. Je raconte les histoires qui me touchent et qui, je pense, peuvent aussi en toucher d’autres. Certaines choses que j’ai vécues donc, forcément. Mais pas seulement, heureusement. Dans les prochains albums prévus, rien pour l’instant que j’ai vécu de près ou de loin : je n’ai été ni poilu de 14-18, ni légionnaire tchèque pendant la révolution russe, ni inventeur du Rock’n Roll, ni adolescent juif fuyant les Nazis, ni ouvrière et actrice de théâtre, ni jeune fille télépathe, ni prisonnier japonais des soviétiques, ni footballeur professionnel… Enfin, je ne crois pas. Mais comme ça, vous commencez à savoir sur quoi je travaille pour la décennie suivante !
Lors de la parution de Un homme est mort tu avais été « bousculé » sur un forum par un anonyme qui discutait (si je me rappelle bien) la validité de ton propos et de tes sources. Tu avais brillamment remis les choses au point… mais cet « incident » t’a-t-il un peu refroidi ? Es-tu toujours tenté par l’écriture de récits engagés ? Par les forums internet ?
« Refroidi » ?! Ha non, sûrement pas ! J’aurais même aimé, et je m’attendais à ce qu’il y en ait plus ! Ce genre de livres est aussi là pour ouvrir un vrai débat sur des sujets qui en ont été trop longtemps privés. Et puis, cet homme m’a tendu une merveilleuse perche pour effectivement, mettre les choses au clair et développer plein d’aspects qui n’apparaissaient pas dans le livre, notamment sur notre méthode de travail et sur des sources non-publiables. J’étais juste un peu énervé car il est allé poster partout où il pouvait, parfois plusieurs fois sous des pseudos différents et que je n’ai pas voulu le suivre à la trace et poster ma réponse également partout. Poster 9 pages de commentaires sur le site de la FNAC, ce n’est pas possible… Et surtout, une fois son forfait accompli, ce type n’est jamais venu nous voir. Nous avons fait énormément de rencontres dans la région brestoise, d’où il devait être originaire vue sa connaissance du terrain politique local, et on n’a jamais eu de ses nouvelles. A part lui donc et un gendarme qui devait passer par là un jour où nous étions en dédicace, personne ne nous a vraiment asticotés. A la manière glaciale dont ce dernier nous a abordés, René Vautier et moi, nous avons vite compris que c’était un gendarme justement. Celui-ci nous a posé des questions de détail, mais ça n’est pas vraiment allé plus loin.
Alors c’est marrant, parce que dans l’un des albums que je prépare, « Notre-Mère la Guerre », il y a un personnage de gendarme, attachant, catholique et patriote. Du coup, j’ai commencé à solliciter le musée de la gendarmerie à Melun. Je ne leur ai pas dit que j’avais fait Un homme est mort, mais peut-être que dans le cadre de l’édition « définitive » du livre, prévue pour 2010, je pourrais rentrer en contact avec plus de gendarmes. J’aurais aimé faire se rencontrer Pierre Cauzien, un de nos témoins, avec un membre des forces de l’ordre présent le 17 avril 1950. Pierre n’avait pas de colère contre eux, mais contre l’appareil d’Etat, qui a caché tout ça depuis soixante ans. Il est malheureusement décédé au début de l’année et ce ne sera donc plus possible, mais si je pouvais retrouver un gendarme qui a vécu tous ces événements, ce serait déjà extrêmement intéressant. Je n’ai pas perdu tout espoir là-dessus…
Est-ce que d'autres projets sont prévus avec Davodeau ?
Pas véritablement de nouveau projet. Il y a cette nouvelle édition de Un homme est mort qui paraîtra en octobre 2010. Ce ne sera pas une édition augmentée, mais un rajout à l’édition originale. Pour tous ceux qui ont acheté le livre, ce sera un album supplémentaire de 30 à 40 pages, vendu à part. Il y aura une partie de planches inédites, notamment une scène qu’on n’a pas pu garder concernant la fusillade (NDLR : voir l'image ci-contre), d’autres planches réalisées spécialement pour l’occasion, une sélection de documents qu’on n’a pas le droit de diffuser avant mai 2010 mais qu’on aura récupérés d’ici là, ainsi que des articles sur la censure ou le rôle des catholiques dans le soutien aux grévistes par exemple. Les pages avec Etienne seront faites vers Noël prochain. Celui-ci doit d’abord finir Lulu Femme Nue tome 2, après lequel il enchaînera certainement sur un nouveau projet. Pour l’heure nous sommes donc suffisamment occupés tous les deux. De toute façon Etienne travaille en général tout seul, c’est un auteur complet et il a suffisamment de beaux projets pour ne pas avoir besoin de moi. Maintenant, vu comment s’est passée la collaboration sur Un homme est mort, il n’y a aucun souci pour qu’on retravaille ensemble un jour si je lui sortais de nouveau un scénario qui le passionnait. Ce n’est juste pas d’actualité, même si on a évoqué plusieurs fois des pistes de documentaires qui pourraient nous intéresser tous les deux. Faire ce livre a été une aventure commune formidable mais, pour autant, on ne va pas chercher à retravailler ensemble à n’importe quel prix. L’avantage de la BD, c’est qu’on peut se faire plein d’infidélités entre auteurs tout en restant amis ! :) Autant en profiter, non ?...
Sur cet album, c’est Oxo qui avait commencé le projet. As-tu d’autres projets avec lui ?
C’est évidemment ultra-subjectif mais Oxo est peut-être l’un des auteurs les plus intéressants que j’ai côtoyé. Son problème est d’aller au bout d’un long récit. Lui-même ne sait pas s’il est fait pour la bande dessinée, celle de 60, 80 pages, vu sa façon de travailler très… personnelle on va dire. Après Un homme est mort, il a remonté d’autres projets avec d’autres scénaristes, on a évoqué ensemble d’autres pistes mais sans vraiment les développer. A côté, il fait aussi pas mal d’illustration, mais à l’heure actuelle, non, nous n’avons pas de projet ensemble.
Concernant Le Monde de Lucie, cette série est prévue en 6 tomes !!! (96 X 6 = 576 pages) Est ce que la trame globale est déjà écrite ou te donnes-tu une marge au cas où de nouvelles idées pointeraient le bout de leur nez ?
Nous sommes en train de finir le tome 3 actuellement, qui sera finalement le dernier de la série. On va dire les choses clairement, la collection « 32 » dans son ensemble n’a pas marché, mis à part Holmes, mais comme il n’y avait eu qu’un tome, ils ont pu le « reformater » très vite derrière. Le Monde de Lucie est, avec une autre, la série qui s'en sort le mieux, entre guillemets. C’est 6 000 exemplaires vendus en gros. Or, il s‘agit quand même d’albums de 96 pages couleurs, payés et vendus comme des albums classiques et, sur ces chiffres-là, Futuropolis perd beaucoup d’argent à chaque bouquin. De plus, le tome 1 de 96 pages, compilation des trois premiers « 32 pages » est paru comme une intégrale, les précommandes n’ont donc pas été énormes. Mais du coup, celles du tome 2 de 96 pages ont été à l’avenant alors qu’il s’agissait cette fois d’un inédit complet ! Nous avons quand même un public de fidèles et ça aurait pu se développer, mais à un moment donné Futuro a estimé qu’ils n’étaient peut-être pas faits pour faire ce genre de livre. D’autres y arrivent très bien –Dargaud, Delcourt- c’est peut-être moins leur créneau, donc on préfère mettre plus de temps dans d’autres de nos projets, à moi et Guillaume (Martinez), qui soient plus dans le style de Futuro. Là aussi, il faut savoir accepter, entre guillemets encore, l’échec.
Et on va quand même aller au bout de cette histoire puisque, dans le projet initial j’avais prévu deux cycles de 3 volumes. On peut donc finir le premier. Le second cycle était assez différent, il se passait 5 ans après, etc. J’ai donc fait un ajout de 16 pages par rapport au cycle 1 initial, une sorte d’épilogue, permettant vraiment de clore la série. Ça sortira vers début 2010, et après on partira vers d’autres choses. Quoiqu’on en pense, cette série a été en permanence improvisée. On avait de très grandes lignes au départ, mais on s’est laissé beaucoup de liberté avec Guillaume, pour rebondir en permanence sur des lectures, des personnages qu’on imaginait. Bref, Le Monde de Lucie, c’est un chaos complet ! Ça ne se voit pas au final, tant mieux, et ça peut être très rigolo de bosser sans filet, comme ça. C’était un peu comme pour une série TV américaine, on se met autour d’une table, et avant la fin de la journée il faut qu’on ait trouvé la scène suivante. On se colle dans des culs-de-sac dont il faut se sortir coûte que coûte. C’est donc plutôt grisant et intéressant de travailler ainsi. Mais maintenant je dois aussi constater que, jusqu’à présent, j’ai deux échecs dans ma carrière et il s’agit de deux séries. Je n’en tire pas encore de conclusion définitive évidemment, mais pour l’instant je n’arrive pas à gérer les contraintes narratives d’une série comme je peux le faire sur un récit court de 1 à 3 volumes maximum. Dans ma tête ce ne sont pas des séries, mais des récits qui ont une ou deux césures, pas des aventures différentes avec un héros récurrent, etc.
L’autre échec, c’est Le Déserteur ?
C’est « Le Déserteur », oui. C’était le premier scénario que j’ai écrit, pas le premier sorti. Du coup, il a « subi » un certain nombre d’expériences… Enfin bref, j’ai donc du mal à gérer les séries pour l’instant, sans doute parce que je veux trop en mettre alors que mes récits courts développent en général un seul postulat, très fort mais relativement simple, et que la narration y mène tout droit. Ça ne veut pas dire que je ne vais plus faire de séries, mais il faut que je travaille encore sur la façon dont je veux les développer.
Comment fais-tu pour jongler avec des scénarii aussi différents ?
En fait, ils ne sont pas si différents que ça, parce que ce qui m’intéresse avant tout, comme dit plus haut, c’est de travailler des personnages. Après, le décor, le lieu, c’est un peu « accessoire ». Mes histoires sont, je pense, transposables dans pas mal d’univers. De plus, en tant que lecteur, j’ai toujours eu des goûts très multiples : il y a des livres pour les dimanches après-midi pluvieux et glandeurs, d’autres pour les lundis matins où on part conquérir le monde… Et dans ma vie quotidienne, j’alterne très bien les deux ! Maintenant je me rends compte que ce pour quoi je me passionne vraiment c’est le côté faits réels, historiques ou pas, l’épaisseur des personnages, l’intime malgré tout, mais parfois confronté au collectif. Et je ne fais pas de la bande dessinée pour m’ennuyer ! Bon, dans les autres boulots que je faisais, je ne m’ennuyais pas spécialement, mais ça m’est arrivé de faire des travaux presque de commande. J’ai par exemple fini Angus Powderhill, car Luc Brunschwig a arrêté au milieu du tome 3 et m’a demandé si je pouvais achever l’histoire. En tant que lecteur, j’adorais la série mais, en fait, ce n’était pas mon univers d’auteur. Et j’en ai vraiment chié, du coup... :)
En fait, écrire, pour moi, c’est faire des recherches, inventer des histoires, mettre en scène. L’écriture pure, c’est un peu chiant. Si mon cerveau pouvait être une sorte de cinématographe qui projetterait directement mes histoires sur un écran, je m’en passerais très bien de l’écriture (rires) ! Soyons francs : si je ne pouvais rien branler de la journée et si je pouvais ne faire que lire des bouquins et raconter des histoires à des amis autour d’une table, je ferais ça. Pour tout dire, je crois bien être un fainéant contrarié... Mais je suis obligé d’écrire pour que mes histoires soient mises en images par le biais de la bande dessinée, puisque c’est mon medium d’expression naturel. Du coup, j’écris des histoires très différentes pour ne pas m’ennuyer et parce que ça me permet de découvrir des tas de gens et de choses différentes.
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