Auteurs et autrices / Interview de Kris - suite et fin
Kris est un auteur comme on n’en croise pas souvent. A son look de chanteur altermondialiste il oppose une rigueur dans le travail hors du commun, un perfectionnisme rare. Mais c’est aussi un garçon charmant, amateur de vieilles charrues et de ping-pong.

Un gros lecteur, il ne faut pas exagérer… Je suis loin des très gros lecteurs, mais dans la masse de ce que je lis, il y a au bas mot une bonne moitié de mangas, ça c’est sûr. Ce n’est pas forcément au niveau narratif que se trouve mon plaisir de les lire, mais plutôt le fait de retrouver un peu l’esprit des gros pavés de bds « populaires » qu’on achetait pas cher dans les bureaux de tabac. Jusqu’à 12-13 ans, ce que je lisais c’était les Mon Journal, les trucs de western, de guerre, de suspense, ce que tu voudras, mais pour 5 balles tu avais 300 ou 400 pages à lire. C’est à ça que je passais mes week-ends, pendant que mes parents rénovaient notre maison.
Avec le manga, j’ai retrouvé ce plaisir du petit bouquin pas cher, avec un nombre conséquent de pages, découpé en une foule d’épisodes à suivre, etc. Et une grande variété de sujets. Les Asiatiques arrivent à écrire des histoires intéressantes autour du vin, du jardinage... La liberté de sujet est plus large que ce qu’on avait nous à une époque, où on n’était là que pour faire de l’aventure ou de l’humour, point barre. Ç’a éclaté à ce niveau-là chez nous aussi, mais on est loin de la variété nipponne. C’est un continent immense, qu’il faudra du temps pour explorer. Ça fait 7-8 ans que j’ai commencé à m’y intéresser, mais je suis loin d’avoir tout lu évidemment. Et je prends du retard chaque année par rapport à tout ce qui sort ! M’enfin bref, j’adore ça, c’est pas cher, c’est chouette, quoi. Après, narrativement ça ne m’a pas encore influencé parce qu’on ne travaille pas du tout de la même façon : on n’est pas un pool de scénaristes ou de rédacteurs, on n’a pas des studios avec 5 ou 6 auteurs, voire plus, qui travaillent au dessin. Bref, je reste encore très « franco-belge » dans mes scénarios. Ceci dit, on peut faire des histoires intéressantes, quel que soit le format narratif évidemment. Il faut « juste » arriver à toucher le lectorat. C’est une alchimie qu’on cherche en permanence et qu’on trouve… Parfois.

Ho plus que ça ! Mais dernièrement… Disons Zipang. Ça me fascine. J’avais aussi adoré Nimitz, retour vers l’enfer, un vieux film qui reprend le même postulat mais cette fois avec un navire moderne américain qui se retrouve projeté en 1941 la veille de Pearl Harbor... Zipang, c’est la série pour laquelle je vais tous les mois chez le libraire pour savoir quand sort le prochain. Comme un gamin, vraiment. Il y a aussi Les Gouttes de Dieu. Je privilégie plutôt les courtes séries, des titres comme Monster et 20th Century Boys m’ayant un peu épuisé sur la fin (enfin, avec Zipang, je me contredis déjà…). J’ai acheté Death Note pour voir si ça me plairait. Mais pour l’heure je ne suis pas trop rentré dedans.

J’ai trois gros projets, dont je ne vais pas spécialement parler, mais il s’agit de fresques historiques. Ils ont pour cadre la France, la Russie et une dernière, l’Amérique. Ces projets sont en discussion et en gestation, mais ça pourrait être intéressant, je crois... Un des projets rejoint toutes mes obsessions d’auteur dit « engagé ». Tiens, je vais vous donner un exemple que je ne vais pas traiter : l’affaire Dreyfus. Celle-ci est symptomatique de l’engagement des intellectuels autour d’un problème précis, démontrant que ça ne veut pas rien dire d’écrire des livres, d’écrire pour une cause. Il y a eu des morts dans cette affaire, des suicidés, des carrières brisées... Aujourd’hui, on a parfois un certain détachement, voire carrément un cynisme « confortable » à tenir par rapport au livre, aux écrits et ce qu’ils peuvent représenter ou développer comme influence. Or, je pense exactement le contraire et je crois au besoin de le rappeler. Le récit que je prépare va montrer cette importance de l’écrit, du livre, mais aussi celle des auteurs qui les imaginent, en particulier ceux qui n’ont pas fait semblant d’y aller, qui ont parfois laissé leur vie là-dedans. Ça se passe au vingtième siècle. A part ça, comme le dit Etienne Davodeau, tous les personnages méritent d’être racontés si on les prend sous le bon angle. Je pense que cette affirmation vaut aussi pour les histoires et pour l’Histoire avec un grand « H ». Pour moi, l’important est qu’il y ait toujours une résonance avec le monde dans lequel on vit. Un homme est mort, Coupures irlandaises ont des résonances avec notre société actuelle. J’ai une fascination pour l’Histoire, mais dans le sens où elle me permet, chaque jour, de mieux comprendre et appréhender ce que je vois, ce que je lis, ce que je découvre, ce que je rencontre tout autour de moi. Et c’est donc aussi ce que je cherche à faire avec mes propres récits historiques.


Le prochain à sortir (le 17 septembre prochain) c’est "Notre-Mère la Guerre", l’histoire d’une escouade d’adolescents pendant la guerre 14-18. Ces adolescents, jetés en prison pour des crimes plus ou moins importants, en ont été sortis pour aller au front, en échange d’une remise de peine. C’est une histoire vraie, très peu connue. On mentait sur leur âge pour qu’ils puissent partir à la guerre. Après, j’ai imaginé une fiction où des femmes sont assassinées, justement dans le secteur où ces gamins sont cantonnés, ce qui en fait des suspects tout désignés. Mais au-delà de l’enquête policière, c’est, avant tout, une histoire sur des hommes en guerre, sur comment on devient un assassin « légal » pendant quatre ans et comment on s’en sort… Ou pas. En l’occurrence, pas.
Les Ensembles contraires tome 2 va sortir en même temps également, et deux autres récits vont suivre. D’abord l’adaptation d’Un Sac de billes, avec Vincent Bailly au dessin, qui avance bien et devrait paraître en mai 2010. Et une autre histoire de la naissance du rock n’roll, avec Thierry Martin, et qui s’appelle En novembre quand elle viendra, et qui sortira j’espère fin 2010. Enfin, un récit sur la naissance de la Tchécoslovaquie et l’aventure des légionnaires tchèques pendant la guerre civile russe. Ça se passe au fin fond de la Sibérie, c’est une histoire absolument incroyable.

Avec tout ça, on est surtout, et de nouveau, dans l’Histoire. Même si En novembre quand elle viendra se rapprochera plus de Toussaint 66, ce sera une sorte de ballade un peu rêvée, fantasmée sur les « racines tordues du rock n’roll », comme disait Nick Tosches.
Les projets de Kris en images :
- Notre-Mère la Guerre : Une planche - une autre - le dessin de la page-titre - un tiré à part
- Les Ensembles contraires tome 2 : Une planche - une autre
- Un Sac de billes : Une planche - Des croquis de Jo, Maurice et Anna et le père Joffo
- En novembre quand elle viendra : Une planche - des croquis de Tommy Lee - des croquis divers
- Le monde de Lucie tome 3 : Une planche - une autre - un dessin

Moi je rêve d’un tournoi « gentlemen » lors d’un festival de bande dessinée ! Ça n’a encore jamais été organisé, malgré la présence de pongistes de valeur. Corbeyran a été classé 45, moi je suis 25. Christin ou Makyo, je ne sais plus, a aussi été classé. J’ai découvert ça au cours d’un séminaire sur le projet "Destins", auquel je participe (nouveau projet dirigé par Franck Giroud et regroupant 13 scénaristes et 13 dessinateurs différents autour de la même histoire. Ça doit sortir chez Glénat à partir de fin 2009, début 2010). Corbeyran avait sa raquette dans sa voiture, alors qu’il ne savait même pas qu’il y avait une table… En fait, il ne se déplace jamais sans ! On a fait des matches, c’était bien sympa. J’ai découvert un lecteur aussi, en dédicace, qui, comme moi, a joué longtemps en nationale, lui à Caen, moi à Brest. Bref, il y aurait de quoi faire… (rires)


Un truc assez chouette dans le syndicat c’est qu’il n’est pas du tout personnalisé, il n’y a pas de leader, pas de chef. Nous avons un comité de pilotage, qui comporte une quinzaine d’auteurs et la « boutique » tourne principalement grâce à ça. Mais en même temps, pour des actions bien précises, nous faisons appel à d’autres auteurs adhérents. Je pense par exemple à Charles Berbérian, quand nous avons eu besoin de rencontrer le Ministère de la Culture, on l’a envoyé parce qu’il est grand Prix d’Angoulême, alors qu’il ne fait pas partie du comité de pilotage. Pour la Ministre, le nom voulait dire quelque chose. Le gros avantage c’est que le syndicat a été créé par des auteurs, soit très connus (Trondheim, Arleston, Giroud, etc.), soit par des auteurs encore jeunes et disons, encore en phase de reconnaissance mais en pleine « ascension » comme Cyril Pedrosa ou Fabien Vehlmann par exemple. Il n’y a pas le côté « auteurs frustrés », au contraire, nous vivons bien dans notre métier, nous avons juste envie de continuer à améliorer les choses, de bien appréhender les réalités de notre métier et ce qu’il va devenir, etc.



Site réalisé avec CodeIgniter, jQuery, Bootstrap, fancyBox, Open Iconic, typeahead.js, Google Charts, Google Maps, echo
Copyright © 2001 - 2025 BDTheque | Contact | Les cookies sur le site | Les stats du site