Auteurs et autrices / Interview de Georges Ramaïoli

Une carrière de 35 ans, et des moments inoubliables pour Georges Ramaïoli, auteur de BD historiques et d’autres choses. Une interview patrimoniale, avec un auteur au franc-parler inimitable.

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Au programme : 1/ Les débuts - 2/ La maturité, la diversité des projets - 3/ Le bilan

Georges Ramaïoli Bonjour Georges, comment vous présenteriez-vous ?
Bonjour, je pourrais me présenter de façon bien immodeste en paraphrasant le cinéaste John Ford que je révère en disant "Je m'appelle Georges Ramaïoli et je fais des westerns"… Hélas je suis très loin d'avoir le dixième du talent de Ford, alors comme j'ai tâté d'à peu près tous les postes de ce métier, dessinateur, scénariste, coloriste, directeur de collec, éditeur, maintenant je rame sur scanneur et maquettiste... Je dis que je suis un "pro" de la BD !!!

Votre première bande dessinée rémunérée est sortie à Tahiti, curieusement. Pouvez-vous faire un petit retour sur ces années de jeunesse ?
Je suis né dans la BD ! Tombé dedans tout petit... Mon oncle avait le magasin le plus connu et côté de coiffure de Nice... Il coiffait la famille de Monaco, les stars des studios de la Victorine... Plein aux as, divorcé, un fils unique, mon cousin à qui il achetait absolument tout ce qu'il voulait en illustrés, albums et joujoux. Son frère (mon père) était aussi pauvre que lui était riche, ma mère travaillait et me confiait à la bonne de mon oncle. Celle-ci me fourrait dans la chambre du cousin, véritable caverne d'Ali-Baba, où je passais des jours entiers le nez dans les BD… Tarzan, Les Aventures de Tintin, Spirou et Fantasio, "Big-Bill", "Plutos", etc. A la maison j'en redemandais, mais comme mes parents ne pouvaient s'aligner, ils m'achetaient quand même les tout petits pockets pas chers "Prairie", "Cassidy", "Pecos Bill" (il faut dire que fin des années 40, début 50 le western était le genre roi)... Je ne savais pas encore lire et d'après la légende familiale, il paraît que j'étais tellement avide de savoir ce qu'il y avait dans les bulles que j'ai appris comme ça avant l'école !

Mon grand-père maternel, d'origine Italienne, était "frescatore", il en peignait dans les églises, restaurait, et comme le travail était assez rare, il était venu s'installer à Nice où au début du 20ème siècle toutes les maisons/villas étaient décorées de fresques et de frises aussi bien intérieures qu'extérieures. De l'alimentaire à l'année pour les "artistes" italiens... J'ai toujours le souvenir chez mes grands- parents de tableaux, de dessins, d'aquarelles de crayons de couleurs... Sauté une génération ou pas, si je ne savais pas lire, j'essayais déjà de raconter avec les crayons du grand-père les aventures de "Pecos Bill" ou autres… Je ne sais plus ce que ça pouvait donner en qualité, certainement pas mieux que tous les gosses qui gribouillent, mais peut-être déjà du niveau des Sfar ou Trondheim actuels...

Chaque fois que je disais « je veux devenir dessinateur », ma mère poussait les hauts cris « Tu seras ingénieur, mon fils ! » et pour ne pas décevoir mes braves parents qui se sont saignés aux 4 veines, j'ai donc fait des études en fonction... Comme je dessinais tout le temps, ma mère m'a quand même mis le jeudi vers mes 12/13 ans dans un cours de dessin municipal. Là, après une année de "plâtres" j'ai eu le premier prix et ils ont convoqué mes parents en disant que je perdais mon temps en classe de début, qu'il fallait me faire sauter 2 ou 3 ans et commencer les anatomies... Ma mère a dit "en quoi consistent les anatomies ? en gens nus ? des nus intégraux ? des hommes et des FEMMES ? avec des POILS ?" Outrée elle m'a retiré de l'école. "Un enfant de 13 ans ne verra pas des femmes à poil !!" à mon grand désespoir et frustration qui m'ont poursuivi toute ma vie et qui font que je dessine des anatomies comme un manche !

Mes parents n'ayant plus un sou, je n'ai jamais achevé mes études d'ingénieurs, mais j'avais quand même un bagage suffisant pour tenir le poste (projeteur spécialisé, faisant fonction d'ingénieur), ce que j'ai fait 13 ans aux "Ponts et Chaussées" (ministère de l'Equipement de nos jours). J'étais spécialiste des ouvrages d'art, ponts, tunnels, échangeurs autoroutiers et l'on me doit une très grande partie de la défiguration routière de la Côte d'Azur... Mais la BD me titillait toujours et j'en rêvais et en dessinais à côté du boulot officiel... J'avais dans mon service un collègue qui avait le même rêve, lui dans le domaine comique, moi dans le réaliste… Il avait montré ses dessins à Peyo qui était OK pour le prendre dans son studio, mais il a opté pour la Riviéra au lieu de la Belgique et est resté dans le bâtiment... Un jour ce collègue (ça a été long, mais j'y arrive) m'amène une annonce sur Nice-Matin : "Journal de Tahiti cherche dessinateurs BD"… On a postulé tous les deux. Un type créait un hebdo à Tahiti et il voulait plusieurs BD, du comique qu'assurait mon copain, une sorte de Rahan tahitien mêlé de SF : "TUPAPAU" qui expliquerait l'origine des Esprits malins tahitiens dont je me chargeais... On était payés en Francs CFA (plus cher qu'en métropole) ; le problème que le type n'avait pas appréhendé c'est que là-bas absolument personne ne lisait la presse, encore moins un hebdo… On a tenu quelques semaines, moi moins, parce que le réaliste intéressait encore moins que le comique à gags (muets autant que possible) ; le copain a du tenir 2 ou 3 numéros de plus que moi et après c'est mort...

Accéder à la BD L'Indien Français Vous avez toujours dessiné, mais votre premier album ne sort qu’en 1978. Pourquoi cette publication relativement tardive ?
Les albums étaient rarissimes à l'époque… ça démarrait à peine. L'Indien Français était un des premiers albums de création BD chez Glénat. Il y avait Casque d’Or aussi et 2, 3 trucs… Glénat au début publiait des rééditions de style "L'Âge d'Or" et des livres de gags de Serre… et moi de mon côté, j'assumais 2 boulots à la fois : ingénieur de jour et dessinateur de BD la nuit et les week-ends… Ma femme devenait folle !!! Mais vaut mieux reprendre dans la chronologie pour comprendre...

Pourtant, quatre ans auparavant, vous aviez pu publier une histoire écrite par Jean Giraud dans Charlie Mensuel. Joli parrainage. Quelles ont été vos influences à vos débuts ?
Oui, je me suis toujours essayé à la BD. J’ai fait des tentatives infructueuses chez Pilote, Tintin... Puis est arrivé 68 et l'éclosion des fanzines de toutes sortes, tous demandeurs de matos gratos. Et j'ai donné ainsi, je ne sais combien de BD, d'essais de trucs plus ou moins achevés… L'un d'entre eux a fini dans un journal BD de Cuba, je ne sais par quel biais ? C'est Glénat plus tard qui l'a trouvé et me l'a envoyé : "Drôlement fort d'être publié chez Castro" !!! Tahiti et Cuba c'était bien loin de mes buts !!

Je n'y croyais plus trop quand Jean (Moebius) Giraud est venu dédicacer à Nice un été (73 sans doute puisque le Charlie est de 74)... Comme tous, j'étais une éponge, mais mon phare était Jijé, à coté de toutes les autres influences US, Tintinesques (Cuvelier surtout, Funcken, Martin)... Jijé +Western (le jour de total bonheur a été la première page de Jerry Spring dans Spirou) : je ne pouvais manquer ce Giraud qui avait assisté le maître, puis créé Blueberry que je suivais passionnément (je faisais le mur de la caserne pour aller voir les pages du Pilote hebdo, je n'avais pas de thune pour l'acheter !!), avec quelle envie aussi… Cette BD qui me faisait rêver. Qui fleurait l'authentique, mon cher Ouest de cinéma… J'ai dû hésiter 1 heure devant la librairie où Jean et Druillet dédicaçaient... Jean avait peu de monde, la queue était devant Druillet qui, honteux, disait "Vous savez, le bon c'est lui, ce n'est pas moi !" (Il y avait même mon prof de dessin du lycée qui me sacquait toujours, détestant la BD… Le crétin faisait dédicacer Druillet et pas Giraud !!). Bref, j'ai osé montrer mes trucs à Jean… qui m'a dit "on est en vacances à St Jean Cap Ferrat, viens demain on parlera plus longuement !!!". Je ne sais pas si j'ai dormi cette nuit-là ?... Le lendemain à la villa que se partageaient Giraud, Druillet, Got, Dionnet et leurs familles, j'ai été reçu par Dionnet (dont je ne savais rien et me perdait en conjectures sur qui pouvait être ce gamin ?), Druillet qui tenait à tout prix à me monter ses dernières planches de "Delirius" impressionnantes de toutes sortes de décorations et de cases éclatées… Mais, bêtement ça me laissait froid. Je voulais voir Giraud !!!

Accéder à la BD Cortès le conquistador Voilà, j'ai passé une après-midi avec lui, il m'a démoli gentiment mes dessins nullards, mais il a dû y trouver un petit kekchose. Car il m'a dit "Avec Dionnet, on va créer une revue, Snark chez Nathan je crois (?) je te raconte une histoire, si tu sais la mettre en dessins on te la prend !! Le paradis !! J'ai foncé chez moi tasser son histoire en 5 pages de 4 bandes... Quand je lui ai envoyé le résultat, il me l'a redécoupé en 10 pages de 3 bandes... Le temps que je redessine le tout le projet chez Nathan avait avorté, mais j'ai quand même été indemnisé... Giraud m'a fait cadeau de l'histoire : "Va voir qui tu veux avec !!!" J'ai pris des rendez-vous dans toutes les rédacs de l'époque. Le premier RDV était avec Wolinski chez "Charlie" qui m'a dit "Je déteste le western, mais c'est de Moebius, alors je prends". Moi, je voulais le montrer ailleurs, mais c'était le premier... Je lui ai dit OK, je peux quand même le montrer à d'autres et vous le ramener après... En fait à tous mes autres RDV on me l'aurait pris aussi, ne serait-ce que parce que c'était de Giraud... Chose promise chose due, c'est paru dans "Charlie" et là Wolinski qui n'aimait pas le western m'en a commandé un autre auquel j'ai associé Durand (mais c'est une autre histoire)...

Donc j'ai continué mon boulot administratif et bidouillé dans la BD… Dans ces années là, il y avait une revue libertaire, "Actuel" avec des BD et des annonces gratuites. Un jour, je lis "SCENARISTE BD SF, WESTERN cherche dessinateurs". C'était René DURAND, il avait reçu dans l'ordre des réponses de Patrice Sanahujas, Georges Ramaïoli, André Juillard... Il a dit OK à Patrice et à moi et non à Juillard car il avait déjà 2 dessinateurs ! Depuis qu'il s'en mord les doigts, il doit en être à l'épaule !!! Il a confié à Sanahujas un projet qui devait être les prémices de "La Terre de la Bombe" et avec moi on a bidouillé sur un projet "Vampires parodique"... Puis je ne sais plus trop comment, Glénat qui avait vu le western avec Giraud m'a contacté... A l'époque il avait une revue fanzineuse Le Canard Sauvage... Sanahujas étant parti à l'armée, Durand m'a fait plancher sur "La Terre de la Bombe"... Glénat a accepté ce projet osé et nous avons commencé ainsi avec une parution très dispersée dans le temps des épisodes de la "Terre" en noir et blanc…

Puis la revue a capoté ; Glénat a monté Circus... Les premiers numéros étaient composés presque uniquement de matériel Hachette... Ce n'est qu'au 7 ou 8 que Glénat a commencé à publier les BD qui allaient créer son catalogue… Donc là il m'a demandé un western en couleurs et nous avons planché sur L'Indien Français... Circus était trimestriel, ça me laissait du temps entre chaque épisode, puis bimestriel, ça devenait plus dur, puis mensuel et là avec mes deux boulots, ça devenait problématique... La presse tenait plus de place que l'album alors, et il fallait qu'une histoire soit bien rodée pour ensuite passer à l'album. Je crois que pas mal de matériel des débuts de Circus, Métal Hurlant ou même A Suivre n'ont jamais vu le jour en albums… Enfin oui, il a dû se passer 4 ans entre Charlie et la sortie de mon premier album...

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Interview réalisée le 01/09/2009, par Spooky.