Auteurs et autrices / Interview de Georges Ramaïoli - suite
Une carrière de 35 ans, et des moments inoubliables pour Georges Ramaïoli, auteur de BD historiques et d’autres choses. Une interview patrimoniale, avec un auteur au franc-parler inimitable.
La série qui vous a révélé est sans conteste L'Indien Français, écrite par René Durand. A côté du western un peu écolo, on est surpris de trouver une dimension fantastique et SF. Cette orientation avait un but précis ? Surprendre le lectorat pour mieux l’accrocher ?
La rencontre avec Glénat valait déjà son pesant de cacahuètes... Un jour (je ne me rappelle plus si j'avais envoyé un dossier chez lui, ou s'il avait vu Charlie et obtenu mon numéro aux "Ponts et Chaussées"), téléphone donc "JACQUES GLENAT-GUTTIN, EDITEUR ! Vous habitez Nice, je vous donne RDV Samedi chez mon "Rédacteur en Chef" Numa Sadoul qui habite Cagnes sur Mer..." EDITEUR ! REDAC/CHEF, ça avait l'air du sérieux… Je me retrouve chez un jeune homme froid, taiseux (depuis c'est devenu et resté un ami), manifestement très mécontent que je n'aie pas soumis mes BD à lui d'abord, regardant avec un œil assez méprisant mes dessins... Jacques Glénat va arriver... Donc on poireaute tous les deux les mains dans le dos devant sa baie vitrée, sans un mot, pendant un temps interminable...
Finalement arrive un gamin en bicyclette avec un carton à chaussures sur le porte-bagage... Il ouvre le carton sort un pantalon qu'il enfile sur son short…"Voilà Jacques !" Et il se présente J.GLENAT GUTTIN EDITEUR !!! J'ai failli éclater de rire… C’étaient donc des gentils fanzineux qui m'ont pris finalement une première version noir et blanc de La Terre de la bombe pour Le Canard sauvage... C'était folklo les débuts des boîtes BD avec un côté très débutant, très copains/famille... Une chose que j'ignorais totalement c'est que Dionnet haïssait Glénat, il m'en a voulu à mort d'être allé chez le rival, m'a fermé la porte de Métal hurlant malgré Giraud… Glénat m'appelait souvent à mon bureau pour parler BD, publications, projets… Souvent aussi pour justifier des retards de paiement... Une fois, il avait failli se tuer en voiture en allant faire imprimer en Italie !!! (je trouvais l'excuse grosse, mais elle était vraie)... Pour quelqu'un habitué à des feuilles de paye de fonctionnaire, ce métier de saltimbanque c'était quelque chose… Courir autour de la table de Choron pour le coincer et lui faire remplir un chèque, se demander s'il est en bois ou pas... Aller traquer au fin fond du Var un directeur de collection de Kesselring qui m'avait pris des covers SF pour se faire payer... Toutes ces revues nouvelles étaient distribuées par La Marge/ Kesselring... Le type à la base, quand il a vu l'ampleur des ventes, a foutu le camp avec la caisse, les mettant en péril, en tuant plusieurs dont Le Canard Sauvage...
Un ou deux ans plus tard, j'étais bien résigné à continuer ma carrière d'ingénieur (que je détestais) quand en vacances en Italie à Pise, je vois qu'à la ville d’à coté, Lucca, il y a un Festival International des "Fumetti". Et là, je rencontre Jacques Glénat qui se morfondait sur son stand... On a mangé ensemble, parlé de Circus, évoqué une formule différente, plus luxueuse, que faudrait-il dedans ?... Des séries maison… Du polar, de la SF, du western, de l'humour... Jacques me dit "Tu ferais un western en couleurs ?" Tu parles... J'ai cogité toute la nuit à Pise... En rentrant j'ai appelé Durand, je ne me sentais pas assez littéraire pour écrire seul… Durand était partant mais il m'a proposé plusieurs critères à mon idée, et il avait raison… D'abord surtout pas de héros parisien (je voulais traiter de la commune de 70 au début pour mon exilé aux USA) puis ajouter des ingrédients SF... Il y avait déjà pléthore de westerns traditionnels… Blueberry, Cartland, Mac Coy, Buddy Longway, Jerry Spring... Il fallait se démarquer et partir dans des pistes plus poétiques, plus politiques, plus dures aussi... Quand ils ont vu le résultat chez Glénat, ils étaient plus que dubitatifs (Surtout Henri Filippini qui acceptait très mal que je traite tout avec le "boss" sans jamais passer par lui)... Nous pensions que l'Indien ne serait qu'un One shot et contre l'attente de tous il a bien fonctionné et on m'en parle toujours comme d'une "série culte"... Moi, je ne peux y voir que les énormes défauts, mais il faut croire qu'il y avait une énergie, un enthousiasme derrière qui l'a fait fonctionner quand même… Je m'élève en faux quand on me dit "série western fantastique"... Pour moi, c'est de la science-fiction... Frankenstein c'est de la SF... Dracula c'est du fantastique... Il n'y a rien dans L'Indien Français qui ne s'explique par l'irréel, le fantasmagorique. Tout est plausible dans une science utopique ou futuriste...
Peu de temps après, et donc parallèlement à L'Indien Français, vous entamez La terre de la Bombe, ouvertement post-apocalyptique. Qui a initié la série ? René Durand est-il un spécialiste, ou souhaitiez-vous approfondir le genre SF ?
René Durand était prof de lettres, écrivain de SF... Il amenait tout à la SF, l'écologie, la politique. On sortait de 68 et on avait l'utopie que des écrits transposés changeraient les mentalités... De mon côté, je me chargeais de la partie western la plus précise possible (dates, tribus, costumes etc.). Comme je vous l'ai déjà dit La Terre de la bombe était bien antérieure à L'Indien Français... C'était du pur Durand avec des outrances qu'on voulait bien marquantes pour secouer le cocotier, pour soulever le couvercle d'une BD un peu trop gentille. "La Terre..." nous a attiré des haines incroyables pendant des années jusqu'à ce que nous vîmes des suiveurs voulant nous supplanter dans la violence ou le malsain... Surenchère qui ne m'intéressait absolument plus... Les premiers tomes de l’Indien avaient été rachetés par Dupuis pour les diffusions belges : cartonnés Dupuis en français et brochés en néerlandais... Dupuis avait demandé que je change quelques images hyper violentes, ou de nudité... A la réédition, Glénat a gardé ces versions censurées. Elles n'existent plus que dans l'EO… Un jour Kesselring me demande de lui céder "La Terre..." parue dans Le Canard... J'en parle à Glénat qui me dit "Jamais de la vie ! tu le fais chez moi !". Donc on a repris la "Terre de la Bombe" pour Circus à la rage de Filippini qui nous éreintait systématiquement dans chaque Schtroumpfanzine... Glénat a eu très peur de nos audaces... Il m'a fait changer quelques images limite pornographiques (alors qu'il publiait Pichard !!!) mais le public visé était différent… Il a quand même fait mettre sur le T1 "POUR ADULTES"... Là aussi, contrairement à tous les avis, l'album s'est bien vendu… (c'était une période bénie, où tout se vendait !!!) moins que "L'Indien" mais bien...
Nous nous retrouvions avec deux séries en alternance, du travail constant… Une revue qui de bimestrielle devenait mensuelle et là, je ne pouvais plus suivre...
En 1978, je suis devenu papa (en même temps que j'ai sorti mon 1er album) et il est paru un décret autorisant les papas à prendre un "congé sans solde d'éducation parentale" ; j'ai sauté sur l'occasion pour ne faire que de la BD… Puis Glénat m'a dit : "Travaille sans arrêt pour moi, tu seras journaliste, avec salaire et 13ème mois comme dans ton administration" et de fait, je ne suis plus jamais retourné dans l'Administration...
On osait beaucoup dans nos séries, et malgré les tiraillements de la rédaction, Glénat nous soutenait.... Le problème c'est que Durand n'avait guère une vue d'ensemble des séries… C'étaient des coups par coups… De plus, il m'entraînait dans des trucs parallèles sous-produits de la "Bombe" en plus déconneurs comme "Mado et Maildur"... Il avait son boulot de prof et les scénarios traînaient… Si bien que j'ai commencé à suppléer… 2, 3 "Indiens" sont presque entièrement de moi… J'ai participé assez fort aux 3 premiers "Terre" puis pris par des tas d'autres trucs. Redessiner entièrement les westerns de "Charlie" (les planches avaient été volées ou jetées aux Editions du Square) plus d'autres en couleurs pour le one shot "Ouest terne", attaquer "Cortez" chez Larousse… J'ai laissé la bride sur le cou à René pour le T.4 de la "Bombe" quand j'ai réalisé combien son scénario était mauvais… C'était un peu tard. J'ai essayé de redresser la barre pour le T.5… Mais c'était l'hallali de tous les adversaires de la "Bombe"... La série était quasi condamnée. Mais aussi par des tas d'autres problèmes internes à Glénat... Enfin, je n'ai pas trop pleuré sur elle... Ce n'était pas vraiment mon univers...
J'ai vu exactement la même évolution chez Glénat que chez Soleil ensuite, et ai commis les mêmes erreurs, comme quoi, on ne se refait pas... J'ai supporté les mêmes quolibets au début… "Tu bosses chez cet éditeur minable, voleur, provincial !!!" puis après le "boum" Bourgeon… J’ai vu venir les mêmes détracteurs mendier du boulot chez l'éditeur provincial. Toutes les sangsues du métier venir se greffer puis grenouiller pour essayer d'éliminer les anciens… Ce doit être la logique de toutes les boîtes. J'étais bien et fidèle chez Glénat, en plus j'assumais avec Numa Sadoul la rubrique ciné, moi qui ai toujours été cinéphile passionné. Carte de critique et ciné gratuit. Mais le temps des journaux allait avoir une fin. Il aurait fallu que je sois aussi requin que les autres, ou plus souple... Glénat m'avait promis un salaire constant. C'était mon exigence, mon seul but. Le jour ou cela a été remis en cause… ça a malheureusement fini en procès. Je les ai gagnés (presque 4 ans de combats) bien sûr, mais je me serais passé de l'épreuve... Administration et Glénat : 13 ans chez chaque et l'un chevauchant l'autre pendant au moins 5 ans...
Peut-on dire que Zoulouland, qui compte 18 tomes, est votre grand œuvre ? A présent que la série est terminée, quel regard portez-vous dessus ?
Après mon licenciement abusif de chez Glénat, j'ai eu une très courte (heureusement) période de panique où je me suis retrouvé 3/4 mois au chômage, je me disais avoir quitté la proie pour l'ombre et avais l'angoisse de ne pas retrouver de boulot ou de place de salarié... Un ami de longue date François Corteggiani m'avait fort poussé à attaquer Glénat, il devait se sentir un peu embêté de ma situation, aussi il m'a aidé à entrer aux éditions Milan, où j'ai pu subsister en pigiste et en dessinant 2 albums sur scénario de François sur l'Egypte ancienne... Hélas, Milan n'était pas une boîte qui croyait beaucoup en l'album et le 3ème tome de notre série ne s’est jamais fait...
Par les gens qui avaient travaillé chez Larousse et par René Durand, j'ai été présenté chez Lavauzelle qui venait (conseillé par Yves Bordes entre autres) d'éditer 3 séries à caractère historique... Ils étaient demandeurs d'autres projets... Dans ma toute petite enfance, comme je l'ai raconté, j'avais déjà vu chez mon cousin dans ses "Spirou" la vie de Baden-Powell dessinée par Jijé... Quelques années plus tard, au tout début des années 50 un petit voisin m'a prêté longuement l'album Dupuis qui venait de sortir... C'était quelque chose de rarissime un bel album cartonné toilé surtout dans les milieux populaires... Je me souviens avoir été marqué et avoir rêvé longtemps sur la magnifique peinture de couverture et ce Zoulou avec son grand bouclier... Dans les années 60, j'ai vu au cinéma le film Zulu de Cy Enfield avec Stanley Baker, les impies zoulous, les britanniques en grand uniforme rouge, encore plus flamboyant que la BD de Jijé… Je me suis dit "Si par bonheur un jour je fais de la BD, il faudra que je traite ce sujet-là !". Au fil des années j'ai amassé les documents et me suis aperçu que le sujet était beaucoup plus riche que le film et l'épisode Baden-Powell... Lors de séjours à Londres, j'ai dévalisé les librairies et tout ce qui avait rapport aux Zoulous et à l'armée britannique de cette période. Quand est venue l'heure de Lavauzelle, j'étais fin prêt et leur ai proposé Zoulouland, aussitôt accepté... Comme je devais cette introduction à René, je l'ai associé à mon projet. Les frères Chagnaud se chargeraient de la mise en couleurs... Bordes, qui faisait à l'époque la série Foc chez Dargaud avec Durand se targuait de ventes à 50 000 ex et avait fait tirer les 3 premiers tomes Lavauzelle à un chiffre astronomique… Quand ils m'ont dit "On va vous tirer à 50 000 !" J'ai dit "Vous êtes fous... Je vends l'Indien français en mise en place entre 15-17000. Vous serez toujours à temps de retirer !"... Ils ont baissé le chiffre à 24 000... Durand ne suivait pas. Il a participé à très peu de pages : un petit tiers au début, sur lequel je n'ai gardé que peu de ses idées, ensuite je ne pouvais attendre, j'ai bouclé seul. L'album est quand même sorti avec son nom comme scénariste… Très belle ambiance couleurs des Chagnaud, il s'est vendu à 15 000 ex... Sans être payé j'avais déjà attaqué la suite, j'avais le plan général dans la tête et du temps… Durand n'a pas voulu y travailler sans rémunération. En fait ce que je pressentais et craignais s'est passé, Lavauzelle n'avait pas envisagé les retours un an après. Les 3 premières séries tirées à 50 000 n'avaient guère dépassé les 5 000 ex. Seul Zoulouland avait fait un score honorable de 15 sur 24... C'était un énorme bouillon pour Lavauzelle… Arrêt des séries. Exit Lavauzelle...
Je me retrouvais avec 2 tomes de ce que j'envisageais une série de longue haleine, un déjà paru ailleurs avec une réputation de "flop"… Heureusement des gens avaient vu l'album et l'avaient apprécié. Jacky Goupil chez Vents d’Ouest m'a contacté, a demandé à voir le T.2... M'a dit "OK ! On prend…" Porte-moi les planches, RDV à Grenoble ! Premier Festival qui se voulait enterrer Angoulême... J'y allais pour Milan... Donc je me pointe au stand Vents d’Ouest et Goupil me dit "C'est OK, mais on a un nouveau directeur de collection Laurent Galmot, il a des corrections à te faire faire !?". Déjà que quelqu'un, directeur ou pas, se mêle de m'expliquer mon boulot, ça passe mal, mais enfin ça pouvait être constructif. Je tombe sur un pontifiant qui se dit très déçu par la qualité de mes albums, qui entreprend de me donner des cours, me montre des planches d'un collègue en me disant "CA ! C'est de la bonne BD !! c'est comme ça qu'il faut faire !!!" Sans dénigrer le travail du collègue qui était dans un beau registre mais aux antipodes de ce que je faisais, qui plus est, était chez Milan comme moi... Je lui ai dit : "Je sais ce que je vends, je sais ce que vend untel ! Si vous voulez que je vende comme lui, moi pas ! Je ne toucherai pas à un trait, ni une virgule de mon travail. C'est vous les demandeurs, pas moi ! Première et unique fois que je mettrai les pieds chez vous !" Quels chance et hasard du destin que j'aie été aussi catégorique et tombé sur ce nullard. Moins d'un an après "Vents d'Ouest" était racheté par Glénat, dirigé par l'ordure de directeur de l'époque de Glénat, qui m'avait licencié et avec qui j'étais toujours en procès. J'aurais été mort et Zoulouland avec...
Juste sorti de chez "Vents d’Ouest" encore tremblant de colère, d'indignation et d'angoisse du futur, je tombe sur Mourad Boudjellal que je connaissais du Festival d'Hyères et pour être allé plusieurs fois dédicacer dans sa librairie. Je savais qu'il avait une toute petite édition, qu'il publiait quelques séries de Spirou que Dupuis ne jugeait pas suffisantes pour en faire des albums, de plus était diffusé par Glénat... Il me parle de Zoulouland et me demande de le faire chez lui… T 1, T2 et suite si ça marche. J'ai dit "Attends Mourad ! Tu as une édition pour les enfants, c'est une série longue, adulte et de plus diffusée par Glénat avec qui je suis en procès, c'est du suicide". Il m'a dit "Je change de diffuseur, on crée un label sur ta série, on en fait d'autres, tu as carte blanche". J'ai hésité, Mourad n'avait pas la meilleure des réputations et puis après tout qu'est-ce que je risquais... Mon deal, mon besoin absolu à l'époque était d'être salarié, c'est ma condition !" Ca posait des problèmes, Mourad a calculé tout ça il a fini par dire OK !!! On a monté "Soleil" sur Zoulouland. J'ai fait venir mes copains : Durand qui a réédité "Le Nain rouge" de chez Lavauzelle, puis Foc de chez Dargaud, Corteggiani qui a convaincu Chéret... Par bonheur Zoulouland et "Le Nain rouge" ont cartonné comme Mourad n'avait pas encore connu... C'était parti pour une nouvelle carrière... 18 tomes en presque 20 ans. Tout ce que je voulais dire sur le sujet en 3 cycles... Pas mal d'aléas et de couleuvres à avaler... Des débuts bricolos et sympathiques puis la même chose que chez Glénat, tous les détracteurs, parasites arapèdes qui se moquaient de ceux qui travaillaient pour "l'arabe voleur" et qui venaient ensuite s'incruster et jouer les "Iznogoud"… enfin… J'ai au moins tenu jusqu'à ma retraite et la fin des séries importantes Zoulouland et Vae Victis… Sur Zoulouland Durand, que je voulais toujours associer, a vaguement fait une tentative sur 2/3 pages puis il m'a dit "C'est gentil, mais c'est tellement ton sujet, que je suis un intrus là-dedans"… On a enlevé son nom au retirage... Bordes quand il a vu ça, a convaincu Mourad de faire de même pour ses séries, alors que Durand était vraiment le scénariste, ce qui a engendré un procès et la disparition de Durand du monde de la BD…
Les tomes qui suivirent de Zoulouland baissèrent en qualité de couleur. Un jour à Angoulême vient une fille qui me dit "vous êtes content des couleurs de Zoulouland ?" Ben non ! Ca baisse..." "C'est moi qui les fais !!!" Stupeur… Les Chagnaud sous-traitaient à des coloristes lambdas !!! Exit les Chagnaud !!! Il y a eu un tome colorié par le studio Léonardo conseillé par un Mourad convaincu (Il est une nullité dans le domaine des couleurs). Ils m'ont transformé mes zoulous en schtroumpfs bleus et violets... En plus je commençais à avoir des problèmes de vue vers la cinquantaine et mon trait s'épaississait... Le deuxième cycle partait mal, le public a commencé à ne bien le comprendre qu'avec le troisième et appréhender ce que je voulais faire... Une somme globale de l'histoire du peuple Zoulou... Heureusement aussi, j'ai rencontré Jocelyne Charrance qui m'a magnifiquement mis en couleurs tous mes derniers albums Soleil... Je suis fier du travail accompli, mais je n'en vois quand même que les défauts, les manques, les erreurs. Les à refaire... Je peste sur une édition qui n'a pas mesuré ce qu'elle éditait, a souvent bâclé l'impression, rogné sur la qualité, pas réédité les tomes épuisés… Mais bon ! C'est fait, la page est tournée... On me crédite d'un travail de fourmi, d'historien, on étudie Zoulouland même en mémoire de fac... Je ne suis pas un historien, un conteur d'histoires, oui, j'essaye d'être précis c'est tout...
Quelque chose qui m'a fait quand même un grand plaisir. Un jour, sur un stand, il y avait des dessinateurs de BD Africains. Je regardais leur travail quand l’un d’entre eux, un peu exalté, m'a un peu pris à partie "Un blanc qui s'intéresserait à la BD Africaine !!!" Son collègue d'à côté lui a dit "Malheureux ! Tu ne sais pas qui c'est ? C'est l'auteur de Zoulouland !!!" et l'autre est venu s'excuser en me disant : Je ne savais pas que vous étiez Ramaïoli !!!"... Ma fille m'a souvent dit aussi, même dans ses études, ce qui la rendait furax, qu’on lui disait "Vous êtes apparenté à l'auteur de Zoulouland ?"... Ne serait-ce que pour ça, d'avoir concrétisé un rêve de gosse, d'en avoir vécu pendant au moins 18 ans… J'en suis quand même un peu fier et reconnaissant. Comme je le suis au crétin qui m'a fait fuir Vents d’Ouest. Chaque fois que je le voyais je lui disais merci !! Il ne devait pas comprendre pourquoi... Grâce à lui et à son incompétence, j'ai fait une seconde carrière rêvée...
La série "Wanted" est bizarrement construite : un premier cycle de 5 tomes puis un récit séparé pour finir… N’avez-vous pas envie de revenir dessus un de ces jours ?
Le premier cycle faisait 5 tomes... Un deuxième cycle était prévu pareil, peut-être raccourci à au moins 3 tomes... Thierry Girod est un excellent dessinateur qui malheureusement n'a jamais réussi à se sortir de l'influence énorme de l'autre Giraud... Il n'en a pas moins progressé de façon spectaculaire. Très contesté au début chez Soleil. Je l'ai soutenu à bout de bras "Laissez-le devenir !!!" Thierry n'a pas un sens stratégique de son récit et du découpage... Si on le laisse faire, il fait de superbes images, mais on perd la narration... Entre les derniers "Wanted" il a tellement travaillé la beauté de ses dessins, qu'il a laissé passer les années… 4 ans entre 2 tomes. De quoi plomber la série !!! Là-dessus est arrivé Swolfs chez Soleil avec comme exigence que Thierry travaille sur "Durango"... C'était le choix de Thierry, la volonté de Mourad. Son merci à l'avoir tellement aidé de fusiller "Wanted"... Je reconnais que Thierry y a vu son intérêt (de prestige et financier) mais pour moi un auteur qui abandonne sa création pour aller faire du sous-produit, et là du sous-produit de sous-produit (je déteste le western "spaghetti"), n'a plus le qualificatif d'auteur... C'est un exécutant lambda qui profite d'un succès qui n'est pas le sien. Je sais devant l'appât du gain, l'homme est prêt à toutes les bassesses. Il n'empêche, un Franquin qui pourtant a porté "Spirou et Fantasio" au delà de toute autre interprétation, en a été malade toute sa vie d'avoir dû illustrer ce personnage aux dépens de sa création propre... Un jour on m'a proposé de reprendre Mac Coy… J'aurais préféré des années de chômedu plutôt que de toucher à cette m....
Donc "Wanted" est mort. Désolé pour les lecteurs qui sont restés sur leur faim. Mais avec Soleil ils savaient à quoi s'attendre...
En 1984 vous réalisez un tome de la série pédagogique "Les grandes batailles de l’histoire en BD" pour Larousse. Quelle était votre marge de manœuvres sur cette œuvre de commande ?
Je me suis toujours passionné pour les "Natives" américains, africains, polynésiens etc. S’il y a une constance dans ma "production" c'est la colonisation et la résistance que les "Natives" ont pu lui opposer, avec des éphémères victoires (Zoulous, Sioux, Ethiopiens, Aztèques, Gaulois) mais qui ont fait quelques dégâts chez les colonisateurs trop sûrs d'eux. Quand il a été question d'un projet historique chez Larousse, je me suis proposé pour la Conquête du Mexique... Hélas on m'a imposé une scénariste, écrivaine niçoise d'origine ibérique qui avait (a toujours) une vision totalement opposée à la mienne sur les "conquistadors", grands pourvoyeurs de religion et de civilisation chez des barbares demeurés qu'il valait mieux exterminer... Elle en allait jusqu'à travestir l'histoire, décrivant des assauts glorieux, là où il y avait eu traîtrise et pure canonnade de caciques pacifiques… Je me suis insurgé, ai réussi à rétablir pas mal, mais pas tout…
En plus de cela, le style de dessins demandés était une sorte de ligne claire et les textes étaient calligraphiés tous pareils sur la collection (la calligraphie est aussi importante à une BD que la parole à son auteur, elle fait partie intégrante d'un tout. Je déteste les textes tous pareils à l'ordinateur, ça manque de respiration, de vie). Il y avait un soi-disant conseiller historique qui n'en savait pas la moitié de ce que je connaissais du sujet... Enfin, expérience décevante, mais qui m'a permis de montrer que je savais dessiner des architectures, bien que depuis les "Ponts et Chaussées" je déteste ça. Et faire la connaissance des frères Chagnaud qui à cette époque faisaient de superbes couleurs…
En 1991, vous commencez à publier des albums sous le pseudonyme de Simon Rocca, en tant que scénariste. Pourquoi changer de nom ? Et pourquoi ce nom-là ? Une cinquantaine d’albums sous ce nom, c’est à peu près autant que sous votre véritable identité. Sentez-vous un dédoublement de personnalité chez l’auteur qui est en vous ?
J'avais été toutes ces années un dessinateur qui illustrait les scénarii des autres (bien que ne pouvant m'empêcher d'intervenir énormément, sauf avec François qui me présentait un vrai travail de pro, bien carré !). J'avais tâté plus ou moins de l'écriture et finalement sauté le pas avec Zoulouland. J'avais des tas d'idées en tête et qu'une main pour les dessiner... Soleil était demandeur de projets, j'avais carte blanche, j'ai donc commencé à écrire pour les autres... Comme nous étions alors peu nombreux chez Soleil et que je m'occupais des projets je ne voulais pas qu'il y ait du Ramaïoli à toutes les sauces, ni handicaper les autres dessinateurs par mon nom (connu que par le dessin) ni qu'on dise que j'accaparais tout le terrain (un peu comme un Arleston quand le succès est venu...) aussi je me suis caché derrière un pseudo. Simon Rocca... Mon troisième prénom et le nom de jeune fille de ma mère... Mon 2ème prénom ça faisait Michel Rocca, à l'époque Michel Rocard était premier ministre, ça n'allait pas trop. Mes deux prénoms Michel Simon, ça faisait rigoler (bien que maintenant plus personne ne sache qui était ce prodigieux comédien)... C’a été très amusant et j'espère que ça a aidé les dessinateurs avec qui je travaillais à les laisser eux, sous les projecteurs...
Des fois à côté de moi, j'entendais parler de Rocca... J'ai reçu des tas de lettres de fans (par le biais de l'édition) avec des tas de flatteries et de compliments. J'aurais pu en être ultra fier, seulement je recevais exactement les mêmes pour Ramaïoli... Toute une population qui réclame en retour des dédicaces, des dessins, systématiquement à tous les auteurs, sans doute pour les monnayer ensuite... tout flatteur vivant aux dépens de celui qui l'écoute... Une fois on s'était un peu frités avec Jean-Yves Mitton. Il m'avait dit "Je constate que sur Vae Victis tu tires la couverture à toi !"... J'ai dit "Attends, Jean-Yves ! Il y a marqué G. RAMAIOLI sur les albums ? Tu crois que c'est pour me mettre en avant que je me cache derrière un pseudo ?"... "Euh Oui ! Excuse moi, j'ai dit une c....!". Voilà ! Ca a servi à ça Rocca !!!! Sinon scénario, dessin, Rocca, Ramaïoli... C'est le même, je n'ai jamais fait de schizophrénie, ni de dédoublement de la personnalité... En ce qui concerne la répartition des titres, je crois que la proportion est moindre, je n’ai pas vraiment compté, mais ce doit être plus proche de 40 Rocca pour 60 Ramaïoli...
En 1999, vous écrivez un scénario sous votre véritable nom, c’est "Starblood", rebaptisé "John Sorrow", pour Serge Fino…
Non ! Erreur, ça a bien été écrit chez Soleil avec Rocca comme nom… Ce n'est qu'à la réeddition chez "Clair de Lune" qu'on a mis Ramaïoli... Rocca est mort avec l'arrêt de mes travaux chez Soleil...
Au départ, c'était une idée de polar, très peu futuriste, mais Serge Fino ne voulait pas dessiner de l'actuel... Je l'ai transposé dans l'espace et ça m'a donné des idées supplémentaires… Je ne suis pas contre la SF, et j'ai toujours des idées dessus, non abouties... Seulement je ne voulais pas tomber dans la crétinerie ambiante chez Soleil, les multiples sous-produits Héroïc-Fantasy de "Lanfeust de Troy"... J'ai fait des essais avec Biancarelli d'une guerre de l'espace qui transposait la WWII, mais ça n'a pas été concluant... "Starblood" s'est ramassé, "John Sorrow" pareil chez Clair de Lune... J'avais prévu des suites. Serge a préféré tenter d'autres pistes... Tant pis... Les avis sont très partagés… On me dit que c'était un bon scénario. D'autres trouvent que c’est le pire que j'ai écrit... ???
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