Auteurs et autrices / Interview de Georges Ramaïoli - suite
Une carrière de 35 ans, et des moments inoubliables pour Georges Ramaïoli, auteur de BD historiques et d’autres choses. Une interview patrimoniale, avec un auteur au franc-parler inimitable.

La rencontre avec Glénat valait déjà son pesant de cacahuètes... Un jour (je ne me rappelle plus si j'avais envoyé un dossier chez lui, ou s'il avait vu Charlie et obtenu mon numéro aux "Ponts et Chaussées"), téléphone donc "JACQUES GLENAT-GUTTIN, EDITEUR ! Vous habitez Nice, je vous donne RDV Samedi chez mon "Rédacteur en Chef" Numa Sadoul qui habite Cagnes sur Mer..." EDITEUR ! REDAC/CHEF, ça avait l'air du sérieux… Je me retrouve chez un jeune homme froid, taiseux (depuis c'est devenu et resté un ami), manifestement très mécontent que je n'aie pas soumis mes BD à lui d'abord, regardant avec un œil assez méprisant mes dessins... Jacques Glénat va arriver... Donc on poireaute tous les deux les mains dans le dos devant sa baie vitrée, sans un mot, pendant un temps interminable...
Finalement arrive un gamin en bicyclette avec un carton à chaussures sur le porte-bagage... Il ouvre le carton sort un pantalon qu'il enfile sur son short…"Voilà Jacques !" Et il se présente J.GLENAT GUTTIN EDITEUR !!! J'ai failli éclater de rire… C’étaient donc des gentils fanzineux qui m'ont pris finalement une première version noir et blanc de La Terre de la bombe pour Le Canard sauvage... C'était folklo les débuts des boîtes BD avec un côté très débutant, très copains/famille... Une chose que j'ignorais totalement c'est que Dionnet haïssait Glénat, il m'en a voulu à mort d'être allé chez le rival, m'a fermé la porte de Métal hurlant malgré Giraud… Glénat m'appelait souvent à mon bureau pour parler BD, publications, projets… Souvent aussi pour justifier des retards de paiement... Une fois, il avait failli se tuer en voiture en allant faire imprimer en Italie !!! (je trouvais l'excuse grosse, mais elle était vraie)... Pour quelqu'un habitué à des feuilles de paye de fonctionnaire, ce métier de saltimbanque c'était quelque chose… Courir autour de la table de Choron pour le coincer et lui faire remplir un chèque, se demander s'il est en bois ou pas... Aller traquer au fin fond du Var un directeur de collection de Kesselring qui m'avait pris des covers SF pour se faire payer... Toutes ces revues nouvelles étaient distribuées par La Marge/ Kesselring... Le type à la base, quand il a vu l'ampleur des ventes, a foutu le camp avec la caisse, les mettant en péril, en tuant plusieurs dont Le Canard Sauvage...

René Durand était prof de lettres, écrivain de SF... Il amenait tout à la SF, l'écologie, la politique. On sortait de 68 et on avait l'utopie que des écrits transposés changeraient les mentalités... De mon côté, je me chargeais de la partie western la plus précise possible (dates, tribus, costumes etc.). Comme je vous l'ai déjà dit La Terre de la bombe était bien antérieure à L'Indien Français... C'était du pur Durand avec des outrances qu'on voulait bien marquantes pour secouer le cocotier, pour soulever le couvercle d'une BD un peu trop gentille. "La Terre..." nous a attiré des haines incroyables pendant des années jusqu'à ce que nous vîmes des suiveurs voulant nous supplanter dans la violence ou le malsain... Surenchère qui ne m'intéressait absolument plus... Les premiers tomes de l’Indien avaient été rachetés par Dupuis pour les diffusions belges : cartonnés Dupuis en français et brochés en néerlandais... Dupuis avait demandé que je change quelques images hyper violentes, ou de nudité... A la réédition, Glénat a gardé ces versions censurées. Elles n'existent plus que dans l'EO… Un jour Kesselring me demande de lui céder "La Terre..." parue dans Le Canard... J'en parle à Glénat qui me dit "Jamais de la vie ! tu le fais chez moi !". Donc on a repris la "Terre de la Bombe" pour Circus à la rage de Filippini qui nous éreintait systématiquement dans chaque Schtroumpfanzine... Glénat a eu très peur de nos audaces... Il m'a fait changer quelques images limite pornographiques (alors qu'il publiait Pichard !!!) mais le public visé était différent… Il a quand même fait mettre sur le T1 "POUR ADULTES"... Là aussi, contrairement à tous les avis, l'album s'est bien vendu… (c'était une période bénie, où tout se vendait !!!) moins que "L'Indien" mais bien...
Nous nous retrouvions avec deux séries en alternance, du travail constant… Une revue qui de bimestrielle devenait mensuelle et là, je ne pouvais plus suivre...
En 1978, je suis devenu papa (en même temps que j'ai sorti mon 1er album) et il est paru un décret autorisant les papas à prendre un "congé sans solde d'éducation parentale" ; j'ai sauté sur l'occasion pour ne faire que de la BD… Puis Glénat m'a dit : "Travaille sans arrêt pour moi, tu seras journaliste, avec salaire et 13ème mois comme dans ton administration" et de fait, je ne suis plus jamais retourné dans l'Administration...

J'ai vu exactement la même évolution chez Glénat que chez Soleil ensuite, et ai commis les mêmes erreurs, comme quoi, on ne se refait pas... J'ai supporté les mêmes quolibets au début… "Tu bosses chez cet éditeur minable, voleur, provincial !!!" puis après le "boum" Bourgeon… J’ai vu venir les mêmes détracteurs mendier du boulot chez l'éditeur provincial. Toutes les sangsues du métier venir se greffer puis grenouiller pour essayer d'éliminer les anciens… Ce doit être la logique de toutes les boîtes. J'étais bien et fidèle chez Glénat, en plus j'assumais avec Numa Sadoul la rubrique ciné, moi qui ai toujours été cinéphile passionné. Carte de critique et ciné gratuit. Mais le temps des journaux allait avoir une fin. Il aurait fallu que je sois aussi requin que les autres, ou plus souple... Glénat m'avait promis un salaire constant. C'était mon exigence, mon seul but. Le jour ou cela a été remis en cause… ça a malheureusement fini en procès. Je les ai gagnés (presque 4 ans de combats) bien sûr, mais je me serais passé de l'épreuve... Administration et Glénat : 13 ans chez chaque et l'un chevauchant l'autre pendant au moins 5 ans...

Après mon licenciement abusif de chez Glénat, j'ai eu une très courte (heureusement) période de panique où je me suis retrouvé 3/4 mois au chômage, je me disais avoir quitté la proie pour l'ombre et avais l'angoisse de ne pas retrouver de boulot ou de place de salarié... Un ami de longue date François Corteggiani m'avait fort poussé à attaquer Glénat, il devait se sentir un peu embêté de ma situation, aussi il m'a aidé à entrer aux éditions Milan, où j'ai pu subsister en pigiste et en dessinant 2 albums sur scénario de François sur l'Egypte ancienne... Hélas, Milan n'était pas une boîte qui croyait beaucoup en l'album et le 3ème tome de notre série ne s’est jamais fait...
Par les gens qui avaient travaillé chez Larousse et par René Durand, j'ai été présenté chez Lavauzelle qui venait (conseillé par Yves Bordes entre autres) d'éditer 3 séries à caractère historique... Ils étaient demandeurs d'autres projets... Dans ma toute petite enfance, comme je l'ai raconté, j'avais déjà vu chez mon cousin dans ses "Spirou" la vie de Baden-Powell dessinée par Jijé... Quelques années plus tard, au tout début des années 50 un petit voisin m'a prêté longuement l'album Dupuis qui venait de sortir... C'était quelque chose de rarissime un bel album cartonné toilé surtout dans les milieux populaires... Je me souviens avoir été marqué et avoir rêvé longtemps sur la magnifique peinture de couverture et ce Zoulou avec son grand bouclier... Dans les années 60, j'ai vu au cinéma le film Zulu de Cy Enfield avec Stanley Baker, les impies zoulous, les britanniques en grand uniforme rouge, encore plus flamboyant que la BD de Jijé… Je me suis dit "Si par bonheur un jour je fais de la BD, il faudra que je traite ce sujet-là !". Au fil des années j'ai amassé les documents et me suis aperçu que le sujet était beaucoup plus riche que le film et l'épisode Baden-Powell... Lors de séjours à Londres, j'ai dévalisé les librairies et tout ce qui avait rapport aux Zoulous et à l'armée britannique de cette période. Quand est venue l'heure de Lavauzelle, j'étais fin prêt et leur ai proposé Zoulouland, aussitôt accepté... Comme je devais cette introduction à René, je l'ai associé à mon projet. Les frères Chagnaud se chargeraient de la mise en couleurs... Bordes, qui faisait à l'époque la série Foc chez Dargaud avec Durand se targuait de ventes à 50 000 ex et avait fait tirer les 3 premiers tomes Lavauzelle à un chiffre astronomique… Quand ils m'ont dit "On va vous tirer à 50 000 !" J'ai dit "Vous êtes fous... Je vends l'Indien français en mise en place entre 15-17000. Vous serez toujours à temps de retirer !"... Ils ont baissé le chiffre à 24 000... Durand ne suivait pas. Il a participé à très peu de pages : un petit tiers au début, sur lequel je n'ai gardé que peu de ses idées, ensuite je ne pouvais attendre, j'ai bouclé seul. L'album est quand même sorti avec son nom comme scénariste… Très belle ambiance couleurs des Chagnaud, il s'est vendu à 15 000 ex... Sans être payé j'avais déjà attaqué la suite, j'avais le plan général dans la tête et du temps… Durand n'a pas voulu y travailler sans rémunération. En fait ce que je pressentais et craignais s'est passé, Lavauzelle n'avait pas envisagé les retours un an après. Les 3 premières séries tirées à 50 000 n'avaient guère dépassé les 5 000 ex. Seul Zoulouland avait fait un score honorable de 15 sur 24... C'était un énorme bouillon pour Lavauzelle… Arrêt des séries. Exit Lavauzelle...
Quelque chose qui m'a fait quand même un grand plaisir. Un jour, sur un stand, il y avait des dessinateurs de BD Africains. Je regardais leur travail quand l’un d’entre eux, un peu exalté, m'a un peu pris à partie "Un blanc qui s'intéresserait à la BD Africaine !!!" Son collègue d'à côté lui a dit "Malheureux ! Tu ne sais pas qui c'est ? C'est l'auteur de Zoulouland !!!" et l'autre est venu s'excuser en me disant : Je ne savais pas que vous étiez Ramaïoli !!!"... Ma fille m'a souvent dit aussi, même dans ses études, ce qui la rendait furax, qu’on lui disait "Vous êtes apparenté à l'auteur de Zoulouland ?"... Ne serait-ce que pour ça, d'avoir concrétisé un rêve de gosse, d'en avoir vécu pendant au moins 18 ans… J'en suis quand même un peu fier et reconnaissant. Comme je le suis au crétin qui m'a fait fuir Vents d’Ouest. Chaque fois que je le voyais je lui disais merci !! Il ne devait pas comprendre pourquoi... Grâce à lui et à son incompétence, j'ai fait une seconde carrière rêvée...

Le premier cycle faisait 5 tomes... Un deuxième cycle était prévu pareil, peut-être raccourci à au moins 3 tomes... Thierry Girod est un excellent dessinateur qui malheureusement n'a jamais réussi à se sortir de l'influence énorme de l'autre Giraud... Il n'en a pas moins progressé de façon spectaculaire. Très contesté au début chez Soleil. Je l'ai soutenu à bout de bras "Laissez-le devenir !!!" Thierry n'a pas un sens stratégique de son récit et du découpage... Si on le laisse faire, il fait de superbes images, mais on perd la narration... Entre les derniers "Wanted" il a tellement travaillé la beauté de ses dessins, qu'il a laissé passer les années… 4 ans entre 2 tomes. De quoi plomber la série !!! Là-dessus est arrivé Swolfs chez Soleil avec comme exigence que Thierry travaille sur "Durango"... C'était le choix de Thierry, la volonté de Mourad. Son merci à l'avoir tellement aidé de fusiller "Wanted"... Je reconnais que Thierry y a vu son intérêt (de prestige et financier) mais pour moi un auteur qui abandonne sa création pour aller faire du sous-produit, et là du sous-produit de sous-produit (je déteste le western "spaghetti"), n'a plus le qualificatif d'auteur... C'est un exécutant lambda qui profite d'un succès qui n'est pas le sien. Je sais devant l'appât du gain, l'homme est prêt à toutes les bassesses. Il n'empêche, un Franquin qui pourtant a porté "Spirou et Fantasio" au delà de toute autre interprétation, en a été malade toute sa vie d'avoir dû illustrer ce personnage aux dépens de sa création propre... Un jour on m'a proposé de reprendre Mac Coy… J'aurais préféré des années de chômedu plutôt que de toucher à cette m....
Donc "Wanted" est mort. Désolé pour les lecteurs qui sont restés sur leur faim. Mais avec Soleil ils savaient à quoi s'attendre...


Je me suis toujours passionné pour les "Natives" américains, africains, polynésiens etc. S’il y a une constance dans ma "production" c'est la colonisation et la résistance que les "Natives" ont pu lui opposer, avec des éphémères victoires (Zoulous, Sioux, Ethiopiens, Aztèques, Gaulois) mais qui ont fait quelques dégâts chez les colonisateurs trop sûrs d'eux. Quand il a été question d'un projet historique chez Larousse, je me suis proposé pour la Conquête du Mexique... Hélas on m'a imposé une scénariste, écrivaine niçoise d'origine ibérique qui avait (a toujours) une vision totalement opposée à la mienne sur les "conquistadors", grands pourvoyeurs de religion et de civilisation chez des barbares demeurés qu'il valait mieux exterminer... Elle en allait jusqu'à travestir l'histoire, décrivant des assauts glorieux, là où il y avait eu traîtrise et pure canonnade de caciques pacifiques… Je me suis insurgé, ai réussi à rétablir pas mal, mais pas tout…
En plus de cela, le style de dessins demandés était une sorte de ligne claire et les textes étaient calligraphiés tous pareils sur la collection (la calligraphie est aussi importante à une BD que la parole à son auteur, elle fait partie intégrante d'un tout. Je déteste les textes tous pareils à l'ordinateur, ça manque de respiration, de vie). Il y avait un soi-disant conseiller historique qui n'en savait pas la moitié de ce que je connaissais du sujet... Enfin, expérience décevante, mais qui m'a permis de montrer que je savais dessiner des architectures, bien que depuis les "Ponts et Chaussées" je déteste ça. Et faire la connaissance des frères Chagnaud qui à cette époque faisaient de superbes couleurs…

J'avais été toutes ces années un dessinateur qui illustrait les scénarii des autres (bien que ne pouvant m'empêcher d'intervenir énormément, sauf avec François qui me présentait un vrai travail de pro, bien carré !). J'avais tâté plus ou moins de l'écriture et finalement sauté le pas avec Zoulouland. J'avais des tas d'idées en tête et qu'une main pour les dessiner... Soleil était demandeur de projets, j'avais carte blanche, j'ai donc commencé à écrire pour les autres... Comme nous étions alors peu nombreux chez Soleil et que je m'occupais des projets je ne voulais pas qu'il y ait du Ramaïoli à toutes les sauces, ni handicaper les autres dessinateurs par mon nom (connu que par le dessin) ni qu'on dise que j'accaparais tout le terrain (un peu comme un Arleston quand le succès est venu...) aussi je me suis caché derrière un pseudo. Simon Rocca... Mon troisième prénom et le nom de jeune fille de ma mère... Mon 2ème prénom ça faisait Michel Rocca, à l'époque Michel Rocard était premier ministre, ça n'allait pas trop. Mes deux prénoms Michel Simon, ça faisait rigoler (bien que maintenant plus personne ne sache qui était ce prodigieux comédien)... C’a été très amusant et j'espère que ça a aidé les dessinateurs avec qui je travaillais à les laisser eux, sous les projecteurs...
Des fois à côté de moi, j'entendais parler de Rocca... J'ai reçu des tas de lettres de fans (par le biais de l'édition) avec des tas de flatteries et de compliments. J'aurais pu en être ultra fier, seulement je recevais exactement les mêmes pour Ramaïoli... Toute une population qui réclame en retour des dédicaces, des dessins, systématiquement à tous les auteurs, sans doute pour les monnayer ensuite... tout flatteur vivant aux dépens de celui qui l'écoute... Une fois on s'était un peu frités avec Jean-Yves Mitton. Il m'avait dit "Je constate que sur Vae Victis tu tires la couverture à toi !"... J'ai dit "Attends, Jean-Yves ! Il y a marqué G. RAMAIOLI sur les albums ? Tu crois que c'est pour me mettre en avant que je me cache derrière un pseudo ?"... "Euh Oui ! Excuse moi, j'ai dit une c....!". Voilà ! Ca a servi à ça Rocca !!!! Sinon scénario, dessin, Rocca, Ramaïoli... C'est le même, je n'ai jamais fait de schizophrénie, ni de dédoublement de la personnalité... En ce qui concerne la répartition des titres, je crois que la proportion est moindre, je n’ai pas vraiment compté, mais ce doit être plus proche de 40 Rocca pour 60 Ramaïoli...

Non ! Erreur, ça a bien été écrit chez Soleil avec Rocca comme nom… Ce n'est qu'à la réeddition chez "Clair de Lune" qu'on a mis Ramaïoli... Rocca est mort avec l'arrêt de mes travaux chez Soleil...
Au départ, c'était une idée de polar, très peu futuriste, mais Serge Fino ne voulait pas dessiner de l'actuel... Je l'ai transposé dans l'espace et ça m'a donné des idées supplémentaires… Je ne suis pas contre la SF, et j'ai toujours des idées dessus, non abouties... Seulement je ne voulais pas tomber dans la crétinerie ambiante chez Soleil, les multiples sous-produits Héroïc-Fantasy de "Lanfeust de Troy"... J'ai fait des essais avec Biancarelli d'une guerre de l'espace qui transposait la WWII, mais ça n'a pas été concluant... "Starblood" s'est ramassé, "John Sorrow" pareil chez Clair de Lune... J'avais prévu des suites. Serge a préféré tenter d'autres pistes... Tant pis... Les avis sont très partagés… On me dit que c'était un bon scénario. D'autres trouvent que c’est le pire que j'ai écrit... ???

Site réalisé avec CodeIgniter, jQuery, Bootstrap, fancyBox, Open Iconic, typeahead.js, Google Charts, Google Maps, echo
Copyright © 2001 - 2025 BDTheque | Contact | Les cookies sur le site | Les stats du site