Auteurs et autrices / Interview de Christian Durieux
Christian Durieux tient une place à part dans la bande dessinée actuelle. Ses œuvres hésitent entre plusieurs genres, et ses ouvrages contiennent parfois des niveaux de lecture insoupçonnés… Rencontre avec Œil de Bille.
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Tout naturellement par passion, une très ancienne passion comme la plupart de mes camarades. Pour l'assouvir, j'ai suivi des cours en académie, à Bruxelles. D'abord chez un homme charmant et très pédagogue, Guy Brasseur, qui avait fait partie du studio Greg sans avoir jamais eu la popularité de ses condisciples (Hermann, Dany, Dupa etc.). Il avait initié juste avant moi Tome et Janry.
Ensuite, j'ai suivi les cours d'Eddy Paape, un sacré professionnel, très classique mais très astucieux qui avait été le premier enseignant de l'Ecole St-Luc, première et grande école de bande dessinée. Ecole dans laquelle je suis passé plus tard, sans en terminer le cursus : j'avais fait des études de lettres entretemps et il me tardait de me frotter à la vraie vie de dessinateur (j'écris « dessinateur » car à l'époque je ne connaissais encore rien de mes envies réelles de raconter des histoires en bande dessinée, je ne savais que mon plaisir de dessiner).
En 1991 paraît votre première série, Avel, sur un scénario de Jean Dufaux. Comment avez-vous rencontré ce grand scénariste ?
A une émission de radio consacrée à la musique et à la bande dessinée. Je n'avais publié qu'une ou deux histoires courtes dans Tintin Magazine et je participais à cette émission comme représentant de la « future génération », encore balbutiante. Parmi les invités, il y avait Jean, c'était lui, c'était moi, nous avons parlé de nos goûts communs, une idée a germé dans sa tête et nous avons tiré le fil de cette idée pendant quatre ans, le temps de faire quatre albums, mon apprentissage et un véritable investissement.
Avel terminé, vous entamez la réalisation de "Foudre" avec votre ami Luc Dellisse. Celui-ci a d’ailleurs disparu du monde de la Bd depuis près de 10 ans. Vous avez enchaîné les 5 tomes en moins de 3 ans. Pourriez-vous travailler aussi vite aujourd’hui ?
Je travaille plus vite aujourd'hui parce que mes projets se multiplient et que mon appétit a grandi. J'ai une chance : plus j'avance, même par accidents, plus j'éprouve de l'appétit. Mon activité s'est multipliée par le fait d'écrire et d'écrire pour d'autres.
Cela dit, la vitesse ne m'intéresse pas en soi, il y a juste des moments de grande énergie liées à cet appétit dont je vous parlais. J'aime faire les choses dans la fièvre mais je ne désespère pas de trouver le repos.
En 1999 vous sortez l’une de vos œuvres plus légères, Benito Mambo, chez Tohu Bohu. On remarque d’ailleurs chez vous une étrange faculté à changer radicalement de style, entre le réaliste (parfois sombre dans le ton) et des récits destinés à la jeunesse. Comment passez-vous de l’un à l’autre ?
Je comprends que vous qualifiiez Benito Mambo de léger, pourtant méfiez-vous des apparences : grattons la surface, il y a parfois plus à prendre que dans ce qui paraît directement « profond ». Je pense la même chose de ce que j'ai pu faire pour les enfants : il y a souvent plus de boulot pour être juste et dense en s'adressant à la jeunesse.
Cela dit, c'est vrai que ce fut parfois une gymnastique de passer d'un univers à un autre mais, voilà, je me sens multiple, aussi riche de désirs que de goûts, j'aime faire comme j'aime lire, sans barrières d'âges, de genres. Je me suis posé longtemps la question du style, j'avais l'impression d'être « la bonne à tout faire », assez habile pour faire des choses hétéroclites mais sans âme avec juste du métier, du savoir-faire. Toutes ces questions s'estompent maintenant, j'apprends à me laisser aller simplement à mes humeurs aussi variées soient-elles, et puis, vraiment, je suis toujours en recherche et le chemin est long.
Central Park tient une place à part dans votre production, non ?
Oui, ce fut le tournant où j'eus l'impression pour la première fois de rassembler des choses apprises, des morceaux de « styles » qui finirent par donner... un style. Et puis, Jean-Luc Cornette, le scénariste, est mon frère choisi, ça créait une intimité, du sens.
Le Pont est votre seconde réalisation personnelle (après Benito Mambo). C’est un vieux projet ? Pourquoi l’avoir publié chez Futuropolis ?
Par envie et par fidélité. Sébastien Gnaëdig qui dirige Futuropolis est plus qu'un éditeur pour moi, il est un ami et un ami suffisamment aveugle pour me suivre (ou c'est moi qui le suis) : il a travaillé jadis aux Humanoïdes associés et c'est lui qui y publia mon premier livre solo, Benito Mambo. Passé chez Dupuis, il publia Central Park. Deux livres très importants pour moi. Il est naturel que le troisième « plus important pour moi » ce soit lui qui le publie ; on ne coupe pas une chaîne pareille. Je continuerai autant que je pourrai à travailler avec Sébastien.
Sincèrement, je suis ému par sa confiance. Le Pont n'était pas une histoire facile mais je la sais sincère, ambitieuse, et Sébastien a laissé et cette sincérité et cette ambition exister.
Dans Les Gens honnêtes on retrouve l’un de vos tics de dessinateur, les yeux en bille des personnages. Si cela se justifiait dans Le Pont avec le regard très intense de Salpatrès, cela me semble moins important dans cette série.
Eh bien, si vous parlez de tic, c'est que c'est incontrôlable, alors tant pis ! Non, sincèrement, il me semble être attentif aux regards et c'est vrai que je vais de plus en plus vers une simplification, une stylisation. C'est une chose que j'ai découverte dans la synthétisation de mon style plus « humoristique ».Mais peut-être y a-t-il des manies qui m'échappent... Désormais, on m'appellera « oeil de bille ».
Comment s’est passée votre rencontre et votre collaboration avec Jean-Pierre Gibrat ?
C'est le délicieux Claude Gendrot, grand chef éditeur de Dupuis qui nous a fait nous rencontrer : Jean-Pierre avait cette envie en tête depuis longtemps et n'avait pas de dessinateur. Claude lui a montré des copies de Central Park que j'étais en train de dessiner et Jean-Pierre a vraisemblablement été séduit. La rencontre a été formidable, directement très complice, au point qu'avec le temps nous avons pris l'habitude de créer l'histoire ensemble : nous ne travaillons qu'en nous voyant, dialoguant, parlant des personnages comme d'amis communs, construisant l'histoire au gré de nos rencontres et c'est très stimulant. A vrai dire, quelle que soit la gravité du propos, nous rions beaucoup en l'écrivant et je vous avoue que je ris aussi beaucoup en le dessinant : souvent, on peut me voir tremblant de rire en dessinant les premières pages du tome 2 (les mauvais esprits diront que ça se voit que je tremble !).
Deux de vos projets viennent de sortir chez Futuro : Appelle-moi Ferdinand et La Maison d'Éther. Pouvez-vous nous en parler ?
Les bébés ont paru et je les crois très beaux, pardon pour le manque d'humilité. Tous deux me tiennent à coeur pour des raisons différentes. Ils sont surtout le fruit de complicités.
La Maison d'Éther est une histoire que j'ai écrite à partir de l'expérience de Denis Larue, le dessinateur et ami : Denis a vécu à Tetouan deux ans et cette histoire est le fruit de ce qu'il m'en a raconté. A partir de ses émotions, j'ai inventé une trame romanesque qui doit beaucoup à ses récits, à sa documentation, à son vécu. Son travail sur la couleur, les ambiances est formidable ; c'est un livre qui a la mélancolie des road movies avec les épices et la lumière du Maroc.
Appelle-moi Ferdinand, sur scénario d'Hervé Bourhis et Christophe Conty, est un sujet dur : Oscar, le personnage principal, n'a plus que quelques mois à vivre. Qu'en fait-il ? Vieille question. Mais je crois que nous y avons apporté une réponse assez riche de sentiments, d'inventivité, voire même d'énergie même si le fond est terrible. En tout cas, c'est comme ça que j'ai reçu le scénario, moi qui en fus le premier lecteur : une grande richesse de sentiments, des trouvailles romanesques très riches, un personnage attachant ; après, j'ai fait ce que j'ai pu, en transformant une fois de plus ma palette : en travaillant en couleur directe.
Quels sont vos autres projets ?
J'essaye d'enfin vivre au jour le jour sans trop vouloir tout trop vite : je me contente de dessiner la suite des Gens honnêtes. Ce n'est pas vrai : j'ai fini le scénario d'un livre formidable, je vous jure, qui va s'appeler Félix ou le Grand Non chez Quadrants en janvier, dessiné par Bruno Wesel ; c’est une fable politique: si les élections présidentielles basculaient à cause de la mauvaise humeur d'un papi dans son village... Et puis, pour ce qui est de l'enfance, je suis en train d'écrire le quatrième tome des aventures de Gusgus chez Dupuis, ce petit môme pas comme les autres mi-humain, mi-fantôme.
Christian, merci.
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