Auteurs et autrices / Interview de André Houot
Ancien enseignant en Arts plastiques, André Houot en a gardé des valeurs de rigueur, d’exigence mais aussi une belle imagination. Son œuvre en est le reflet, faite d’ouvrages singuliers et surprenants.
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Bonjour ! Je voudrais me présenter comme un gars qui a fait un jour une « fixation » sur la BD parce qu’il avait envie d’être créatif et qu’il dessinait presque malgré lui sans trop savoir pourquoi jusque-là…
Vous êtes dessinateur de bandes dessinées, mais vous avez commencé votre carrière en tant qu’enseignant aux Beaux-Arts. Comment êtes-vous venu à la BD ?
J’ai été prof, c’est vrai ! … d’ailleurs je n’ai jamais cessé de l’être jusqu’à ma retraite… Bien qu’à temps partiel après cette fameuse décision de faire de la BD… Ca m’a donné une chance de plus qu’à tous les auteurs qui n’ont que cela pour vivre… Du coup j’ai traité les sujets que j’avais envie de traiter sans trop me soucier de ce qu’ils allaient rapporter financièrement… mais ça m’a aussi posé quelques problèmes… Comme par exemple de devoir faire double journée de travail… (de nuit le plus souvent pour la BD) et cela pendant des années pour pouvoir assurer les deux métiers… Il y a aussi le regard de mes collègues enseignants : c’est un milieu qui reste très critique lorsqu’un de ses membres cherche à sortir du sérail. Il est vite soupçonné de ne pas faire son boulot de prof correctement.
Ce changement est arrivé assez tardivement, en 1987. Vous débutez par une série que vous réalisez entièrement, « Chroniques de la nuit des temps ». Si vous deviez reprendre cette série, que changeriez-vous ?
Oui j’étais déjà un ancien jeune en 87… j’avais 40 ans. Pour ce qui est des "Chroniques de la Nuit des Temps", c’était un beau projet mais il était mal servi par un graphisme qui n’était pas prêt pour la BD. Il n’en reste pas moins que tous les archéologues de l’époque l’ont lue.
Elle a été publiée successivement chez Fleurus (1 tome), puis le Lombard (3 tomes) et enfin chez Glénat pour le tome conclusif. Pourquoi ces changements d’éditeur ?
Il a fallu trois éditeurs pour faire les 5 tomes de cette série ambitieuse (elle se voulait le contrepied de Rahan… On avait pour objectif de parler de la préhistoire de façon romanesque mais en restant proche des connaissances archéologiques du moment…). La BD se vendait suffisamment pour survivre mais n’a jamais touché le Grand Public BD.
Tout de suite après vous travaillez avec Simon Rocca, alias Georges Ramaïoli, que nous avons rencontré récemment. Comment collaboriez-vous ?
Ma rencontre avec Georges Ramaïoli s’est faite je crois à Sierre en Suisse. Il m’a proposé du boulot à un moment, justement, où je me lassais de devoir courir les éditeurs pour que ce projet puisse perdurer encore un peu… Et puis la rigueur scientifique de mes conseillers archéologiques commençait à me peser sérieusement… Je comprenais doucement que la BD c’était autre chose, et qu’une BD se doit avant tout de se trouver un public BD… En tout cas, ma collaboration avec Ramaïoli a été de très bonne qualité. Je peux dire, sans lui passer de pommade, que c’est un garçon respectueux des prérogatives de chacun… Il n’est pas du genre à vous faire une crise parce que vous avez pris des libertés pour traiter une séquence autrement que comme lui la voyait… Il n’y a pas mieux quand on se fait une haute opinion du rôle du dessinateur et de sa part de création pour la réalisation d’un album.
Le Khan est une série historique, qui s’attache au parcours de Temoujin, qui deviendra Gengis Khan. Etes-vous passionné par l’Histoire ?
Même pas !!! Je comprends que les cours d’Histoire puissent gonfler des générations d’élèves… Je fais partie des enseignants qui pensent qu’« on ne donne pas à boire à une âme qui n’a pas soif »… J’ai commencé à avoir soif d’histoire quand je me suis intéressé à certains thèmes : Préhistoire, histoire de l’Asie centrale, etc. Je serais bien en peine de replacer les rois de France dans le bon ordre, par exemple.
On a reproché à cette série de ne parler que d’une suite d’évènements forts, sans vraiment s’attacher à la psychologie des personnages… Qu’en pensez-vous ?
C’est faux ! Georges a donné corps et esprit à ses personnages. Il n’y a que le dernier tome qui soit trop dense en évènements historiques. Je ris doucement quand on me fait ce genre de réflexion au sujet de la « psychologie » des personnages. Parlons plus modestement d’ « étoffe » ou de « consistance », ça ne serait déjà pas si mal. Laissons donc la psychologie à ceux qui ont envie d’en faire… Il n’est pas dit d’ailleurs que ça passe bien en BD, la « psychologie »…
Par contre vous ne lésiniez pas sur les scènes-choc, comme les batailles ou un accouchement…
Le sujet s’y prêtait… Gengis n’était pas un tendre et le monde dans lequel il s’épanouissait non plus. La réalité était certainement bien pire que ce que j’ai dessiné si l’on en juge par certains poèmes insoutenables que j’ai eu l’occasion de lire et qui racontent le noble sort qu’on réservait à son ennemi, en lui coupant les jarrets et en lui crevant les yeux, avant de lui donner le coup de grâce après lui avoir demandé de bien vouloir revenir, dans une autre vie, combattre dans son propre camp.
Auriez-vous aimé réaliser plus d’albums sur ce personnage ?
Non ! Je trouve que c’est bien comme ça… J’étais pressé de lui faire la peau, à la fin, à ce tyran.
Deux ans plus tard, vous revenez –toujours chez Glénat- avec une série un peu étrange, Septentryon, cette fois comme auteur complet…
Eh oui ! Septentryon ! Celle-là, j’en suis fier parce qu’elle ne ressemble à rien d’autre dans le genre… et aussi parce que je l’avais dans la tête et que je l’ai découvert au fur et à mesure que je la racontais.
Quelles ont été vos influences pour construire ce récit et cette planète ?
J’aurais du mal à dire précisément ce qui m’a influencé dans cette affaire… Sûrement un peu le cinéma… Blade Runner ? Dune ? Moby Dick ? Ma vie et mes soucis de toujours… Je ne sais pas… Il faut quand même savoir que les auteurs sont comme les oiseaux de nuit qui se nourrissent de toute sorte de choses qu’ils « régurgitent » sous d’autres formes… En tout cas, personne d’autre que moi n’aurait pu raconter une histoire comme celle-là… Il faut avoir quelque chose à exorciser pour faire un truc comme ça ! Septentryon m’a aidé à faire ce travail-là.
Curieusement, beaucoup de lecteurs ont pensé aux "Eaux de Mortelune" en termes d’associations d’idées, de similitudes… Qu’en pensez-vous ?
Ceux qui vous ont dit qu’ils avaient pensé aux "Eaux de Mortelune" ne sont restés qu’à l’aspect superficiel de la chose… Je crois qu’il n’y a vraiment que le maquettage de la couverture (bien daté collection Caractère – Glénat fin des années 90…) qui pourrait faire penser à ça… Pour le reste : rien à voir ! Le seul amalgame qu’on peut faire entre "Les Eaux de Mortelune et Septentryon c’est justement que l’une comme l’autre, ces deux séries ne peuvent être copiées sans tomber dans le plagiat. Les bras m’en tombent toujours, quand je vois la manière dont les gens ont besoin de rattacher le travail que vous faites avec autre chose… de vous formater, de vous cataloguer, de vous étiqueter.
Les ambiances réalisées par Jocelyne Charrance sont réussies, complétant de manière très juste votre dessin fin et élégant. Comment collaborez-vous ?
Nous avons appris ensemble à trouver le « ton » pour Septentryon. Les premières pages ont été laborieuses quand nous sommes passés de la couleur sur « bleus » à la couleur sur ordinateur.
La fin de cette série, au quatrième tome, en a laissé plus d’un dubitatif… Pensez-vous y revenir un jour ?
Ca m’étonnerait que j’y revienne… Je suis sec sur le sujet bien que j’aie mis en place une fin ouverte qui laisse s’échapper vers l’espace une masse considérable de matériel cérébral et génétique susceptible d’aller conquérir de nouveaux mondes hospitaliers pour régénérer l’humanité ailleurs…
De même, le personnage de Chronover est atypique : il surgit de nulle part, se fait poursuivre sans que l’on sache réellement pourquoi, ni qui il est…
Pour tout dire il est aussi atypique que l’est ma carrière d’auteur BD (notez que je n’ai pas osé dire « que moi-même »… pour ne pas passer pour un prétentieux égocentrique)…
Chronover est un vieux héros qui a un vécu derrière lui… Il a vraisemblablement beaucoup reçu au moment où commence l’histoire… l’histoire d’une psychose, certainement ! Il y a de l’autobiographique là-dedans non ?!
J’espère bien qu’il est atypique Chronover (« hors du temps » en français dans le texte !) et que l’histoire l’est aussi… C’est un atout de longévité…
En 2006 vous enchaînez sur une série plus axée sur le fantastique, Le Mal, terminée en trois tomes cette année. Comment s’est faite votre rencontre avec Py, le mystérieux scénariste ?
Py, je le connais depuis toujours… C’est plus un aide technique qu’un scénariste mais on s’est partagé les rôles comme ça, c’était plus simple… J’ai scénarisé autant que lui, si ce n’est plus… Mais ses idées et sa culture historique sont bien là. Py et moi ne sommes pas toujours d’accord, mais il reste mon « symbiote » pour la création d’une histoire.
La BD traite du Mal, cette affection foudroyante qui a causé la mort de nombreuses personnes à la période médiévale. Le récit est contemporain, mais les habitants de cette petite bourgade semblent comme figés dans le temps…
Tant mieux que vous l’ayez ressenti comme ça, c’est ce que je voulais ! C’est un peu aussi le cas de ce village médiéval où se passe l’histoire, il a traversé au moins les trois derniers siècles sans présenter la plupart des stigmates que font subir les hommes à leur environnement.
Il y a un travail remarquable sur les monuments. Avez-vous travaillé avec beaucoup de documentation ?
La documentation je l’avais en permanence sous la main. Ca permet de coller avec le réel. Les habitants de ce village vous diront qu’ils y ont retrouvé leur univers dans une drôle d’affaire…
Votre style visuel a évolué entre les deux séries ; ici il est plus chaleureux, plus coloré. On trouve aussi quelques séquences un peu surréalistes, hallucinogènes. Py vous a-t-il emmené sur des chemins tortueux, vous a-t-il poussé dans vos retranchements ?
C’est peut-être ça, vous avez raison ! L’influence de Py sur mes propres choix, sur mes actes… En tout cas merci pour l’analyse que vous faites de mon modeste « univers graphique » comme on dit maintenant !
Peut-on en savoir plus sur ce scénariste ?
Mais que cache cette curiosité (presque) maladive ? Hum ?!
Le Mal à présent terminé, quels sont vos projets ?
Je commence un « ouânechote » qui parle d’une vieille et très belle légende allemande du XIIIème siècle… Elle est intemporelle, soulève le problème des choix générationnels, pas toujours honnêtes… Elle comporte une morale… Une morale que les parents auront du mal à dire à leur progéniture… « Méfiez-vous de vos aînés, plus expérimentés que vous aux questions de pouvoir, d’appât du gain, qui font qu’aujourd’hui encore, ils décident à votre place de ce que sera le monde qui vous reviendra… (dette… énergie… pollution…infrastructures… technologie, etc.). Ce s’ra pas du pipeau cette BD-là !
André, merci.
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