Auteurs et autrices / Interview de Joe Sacco
Joe Sacco est une grosse pointure de la BD américaine, et est l’auteur des chefs d’œuvres journalistiques que sont Palestine et Gorazde… il accepte de nous rencontrer à l’occasion de la parution de sa nouvelle BD : Gaza 1956, en marge de l'histoire. (Lire l'interview en VO ici)
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Je suis auteur de BD et j’habite aux Etats-Unis. J’ai écrit plusieurs livres… Mon premier livre connu fut sans doute Palestine. J’ai aussi écrit plusieurs livres sur la guerre en Bosnie, dont Gorazde. Et je viens de terminer Gaza 1956, en marge de l'histoire... Principalement de la BD journalistique donc.
Ton nouveau livre, Gaza 1956, en marge de l'histoire, est paru fin 2009 aux USA et vient de paraitre en France chez Futuropolis… parle-nous un peu de ce projet.
Ce livre se penche sur deux incidents qui se sont produit à Gaza en 1956. L’idée m’est venue en lisant un document de l’ONU qui traitait de façon très superficielle ces incidents qui se sont déroulés pendant la crise du canal de Suez, et au cours desquels un grand nombre de palestiniens furent tués. Selon le document de l’ONU, les israéliens prétendent avoir eu affaire à une résistance de la part des palestiniens… mais selon les palestiniens ce n’était pas le cas. Donc l’idée derrière mon livre est d’aller parler aux gens qui ont vraiment vécu ces incidents, pour connaitre leur version des faits…
Et mettre à jour la vérité ?
Je l’espère bien, mais comme souvent dans ce genre de cas, les preuves écrites donnent des versions contradictoires et ne permettent pas de trancher… alors comme de nombreux témoins sont toujours en vie et s’en rappellent, je me suis dit « pourquoi ne pas aller leur demander leur version des faits ? »
Cela fait presque 7 ans que tu travailles sur ce projet ! Comment l’as tu financé ? Tes livres se vendent-ils assez pour rendre ce genre de projet rentable ?
J’avais financé mon premier voyage en Palestine et mon voyage en Bosnie moi-même… J’étais fauché ! Heureusement pour moi, ces livres se sont bien vendus… donc pour mon nouveau bouquin, j’avais un éditeur qui m’a donné de l’argent pour payer mon voyage à Gaza et subvenir à mes besoins pendant mes recherches et pendant la réalisation de l’album… enfin pendant un certain temps : ça coûte cher de vivre pendant 7 ans, et j’ai fini par épuiser cette somme d’argent ! Heureusement j’ai la chance d’avoir un bon agent, qui a réussi à vendre les droits du livre avant qu’il ne soit terminé… à Futuropolis d’ailleurs ! Cela m’a permis de terminer l’écriture du livre.
T’a-t-on déjà accusé d’être trop partial dans tes bouquins ? On dirait que tu essayes d’être plus transparent dans Gaza 1956. Ton introduction ressemble presque à un « disclaimer » (« avis de Non Responsabilité » en français)
Je ne suis pas d’accord, je ne trouve pas que mon introduction soit un disclaimer. J’y explique juste que je suis comme un filtre… Quand on dessine, on ne peut éviter un certain niveau de déformation artistique…
Mais oui, on m’a déjà accusé d’être partial. En ce qui concerne mon nouveau livre, on m’accuse en particulier de taper sur Israël. Je n’avais pas ce genre de mauvaise presse pour mes premiers bouquins, parce que à l’époque personne ne s’intéressait vraiment à la BD… donc mes premières séries sont passées complètement inaperçues, personne n’y faisait vraiment attention. Avec « Gaza 1956 » par contre, je reçois beaucoup d’attention de la part des medias grand public, donc la réaction risque d’être un peu plus forte.
Donc oui, on m’accuse de partialité, mais tu sais, ce que j’essaye d’accomplir dans mes bouquins, c’est de donner la parole aux palestiniens, de leur permettre de s’exprimer et de parler à un public occidental. Je veux montrer le plus de choses possibles sur eux… qu’ils aient quelque chose de construit et intelligent à dire, ou qu’ils disent des choses qui ne plairont pas forcément aux occidentaux. Je ne veux pas embellir les palestiniens… mais je pense que mon livre est juste !
Tu es sans compromis, et n’hésites pas à montrer du doigt des gouvernements et individus de tous les « camps ». T’es tu déjà senti menacé ou mis sous pression, aux USA ou ailleurs ?
Non. Les gens que je critique ont souvent déjà été critiqués par d’autres… et puis tu sais, si certains se sentent visés par mon livre, ils ont tout intérêt à se faire discrets, parce que se défendre publiquement ne ferait qu’attirer l’attention des medias et servirait de publicité pour le livre… Ce qui n’est pas vraiment souhaitable en ce qui les concerne !
Pourquoi choisir le medium de la BD pour raconter tes aventures journalistiques ? Penses-tu que la narration y gagne ? Est-ce une simple préférence personnelle ? Considères-tu être un « vrai » journaliste ? Et quid de tes collègues ?
Ca fait beaucoup de questions d’un coup ! Je raconte mes histoires en BD parce que je suis auteur de BD… je pourrais peut-être le faire autrement, mais c’est ainsi que je me suis fait connaitre… j’en suis venu à marier le journalisme et la BD naturellement, presque par accident. Mais j’ai fait des études de journalisme, j’ai une licence en journalisme, donc je pense que je sais de quoi je parle.
Beaucoup de gens trouvent le choix de ce medium surprenant, c’est sûr, mais avec le temps… et puis j’ai sorti beaucoup de bouquins, les gens me font confiance, et me voient comme un bon journaliste. A de rare exceptions près, les autres journalistes ont toujours été très amicaux avec moi, et admirent mon travail. Ils sont même parfois envieux du temps que je peux consacrer à chaque détail de mes histoires. En effet la plupart d’entre eux doivent écrire un article par jour, ce qui les empêche de développer les choses en profondeur. Or ils savent probablement aussi bien que moi que la profondeur, c’est ce qui permet aux lecteurs de vraiment se faire une idée claire sur les faits. J’ai beaucoup d’amis journalistes, pas de problème de ce coté !
Je ne sais pas si j’ai répondu à toutes tes questions… au moins à deux ou trois ! (rires)
Alors, te considères-tu plutôt comme journaliste ou auteur de BD ?
Auteur de BD. J’ai fait des études de journalisme, pas de BD ou même d’art… mais je me considère comme un auteur de BD.
Je suis connu pour mes nombreux livres journalistiques, et je pense me comporter comme tel quand j’enquête sur certains faits, questionne des témoins et rapporte leurs dires avec précision. J’essaye de coller le plus possible à la réalité, je sais me documenter etc… donc oui, tout ça, ça compte, mais au bout du compte je me considère comme auteur de BD parce que… peut-être qu’un jour je voudrai écrire quelque chose de drôle, et que ce genre de chose est plutôt du domaine de la BD !
C’est vrai que presque tous tes bouquins sont des reportages sur la guerre. As-tu parfois envie d’écrire des histoires un peu plus légères, comme par exemple Le Rock et moi… peut-être même une fiction ?
Oui, carrément… plus que jamais, parce que j’ai passé tellement d’années à faire du journalisme. Ca me plait beaucoup, et je vais sans doute en refaire, mais je sens que j’ai besoin d’un changement au niveau créatif.
Tu as peut-être besoin de faire une pause ?
Oui, c’est vrai… mais j’ai aussi des idées qui ne collent pas avec le journalisme. Elles comportent peut-être des éléments de journalisme, mais je veux vraiment m’essayer à quelque chose de complètement différent.
Alors, quel sera le sujet de ton prochain projet ?
Bon, après tout ce que je viens de vous raconter… je viens de finir un articles de 48 pages pour un magazine, racontant la vie d’africains essayant d’émigrer vers l’Europe. Je suis allé à Malte pour cette histoire. Et dans quelques semaines je serai surement en Inde pour écrire une autre histoire…
Mais après ça, qui sait ? Je vais me donner un peu de temps pour y réfléchir. J’ai quelques idées, mais je dois les approfondir avant de pourvoir vous en parler.
Une question traditionnelle pour nos auteurs non-francophones : que sais-tu de notre industrie BD ?
Je connais pas mal de chose sur votre industrie BD… en fait j’en sais sans doute plus sur votre industrie et vos auteurs que sur n’importe quel autre pays. Simplement parce que aux USA, des auteurs comme Marjane Satrapi, David B. et Emmanuel Guibert ont la faveur des medias, et sont tenus en haute estime… comme beaucoup d’autres auteurs de BD français.
Je pense qu’il y a beaucoup d’atomes crochus entre les auteurs américains et français… il suffit de regarder les BD indé en noir et blanc par exemple. Je pense qu’à l’heure actuelle, on s’influence mutuellement. Des fois je pense que lorsqu’on parle de BD, le dialogue intervient surtout entre français et américains… d’autres nationalités participent aussi, mais je connais plus d’auteurs français que n’importe quelle autre nationalité. J’admire leur travail, et je fais sans arrêt des nouvelles découvertes ! Je suis vraiment surpris par la quantité de talents… les gens savent vraiment dessiner ici !
Tu es déjà allé à un festival de BD français ?
Je suis déjà allé à Angoulême deux fois… et peut-être d’autres festivals BD, mais je ne me souviens plus !
Merci beaucoup…
De rien, ce fut un plaisir.
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