Auteurs et autrices / Interview de Florent Maudoux
Pour vous "Freaks' Squeele" c'est l'oeuvre d'un geek ? Attendez de faire la connaissance de l'auteur...
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J'en dessine depuis que j'ai 13 ans. Je les faisais lire à mes potes au collège.
C'est une passion qui ne m'a jamais quitté, à un moment j'ai fait l'erreur de croire que la BD était le parent pauvre de l'animation mais en replongeant dedans j'ai découvert certains trésors que le 9ème art cache. Du coup je me suis permis de tenter ma chance chez les pros.
Ton passé de designer de figurines chez Rackham t’a-t-il aidé ?
Certainement, en fait lorsqu'on fait de la BD, toute expérience personnelle est précieuse. Car en l'injectant dans l'oeuvre on lui donne de l'épaisseur.
S'il faut comparer avec mes autres expériences, difficile de dire laquelle m'est le plus utile.
Aurais-tu aimé continuer chez Disney à Montreuil avant que ces studios ne soient fermés ?
Pour un temps pourquoi pas ? Mais certainement pas plus longtemps que ce que j'ai passé dans l'animation de jeu vidéo (2 ans). Avec la pratique je me suis rendu compte que le poste d'animateur ne me satisfaisait pas à long terme.
Comment l’idée de faire Freaks’ Squeele t’est-elle venue ?
J'avais envie d'écrire une histoire d'école de héros, mais j'ai remarqué que le thème était déjà traité dans pas mal d'oeuvres. Puis je me suis dit : pourquoi pas une école de méchants ? Mais impossible de trouver le ton, je voulais que les personnages soient cohérents, quel être à peu près sain d'esprit irait s'inscrire dans une école de méchants ? Puis c'est en me souvenant de ce que j'attendais de l'école et de ce qu'elle m'a donné que j'ai finalement choisi de faire Freaks’ Squeele. C'est un sujet que je peux traiter en connaissance de cause et en toute honnêteté.
Les séries sur des écoles de super-héros ou de monstres commencent à fleurir (je pense à Sentaï School, Rosario + Vampire par exemple…). Selon toi, en quoi Freaks' Squeele se démarque-t-elle ?
Elles ne commencent pas à fleurir, c'est un thème pas si récent que ça : L'école du Professeur Xavier des X-men, Harry Potter et son avatar japonais Naruto pour ne citer que les plus connues. Pour les oeuvres auxquelles tu fais référence, je ne les ai découvertes qu'après avoir écrit Freaks’ Squeele.
Par acquis de conscience j'ai lu Sentaï School et j'ai été agréablement surpris. Ca ne pète pas plus haut que son derrière, c'est drôle. Malheureusement ça reste de la parodie : une oeuvre qui dépend d'autres oeuvres pour exister. J'ai eu l'occasion de féliciter Philippe pour son travail sur Magical JanKenPon, un titre qui cette fois s'affranchit de la parodie, même s'il est fortement référencé. J'espère avoir une approche similaire de la culture populaire.
C'est vrai aussi que je partage avec Rosario + Vampire un univers qui joue avec les codes des films du genre épouvante. Pourtant je pense sincèrement que Rosario + Vampire n'est que du vomi en tetrapak, un pur produit de ce que les japonais savent faire de plus commercial : l'application bête et méchante de concepts qui font vendre (j'espère que cette phrase ne sera jamais décontextualisée).
Les japonais produisent aussi des trucs formidables, mais avec Rosario + Vampire c'est non : un étalage de fantasmes ado dessiné avec technique mais sans aucun amour ni inventivité. Et le pire c'est que si tu laisses traîner un volume de ce truc sur la table du salon tu peux être sûr que je vais perdre 20 minutes de ma vie à lire cette bouse, d'ailleurs c'est pour ça que je peux en parler.
Bref je m'égare.
Pourquoi Freaks’ Squeele se démarquerait de Rosario + Vampire et plus généralement d'une BD purement commerciale ? J'ai simplement envie de dire que j'ai fait suffisamment de sacrifices pour prouver que j'avais vraiment envie de faire cette BD, que je voulais faire rêver les gens et qu'ils aient des étoiles dans la tête en refermant le bouquin. Mais l'enfer est pavé de bonnes intentions, une oeuvre doit trouver ses racines dans des choses vraies et pour ça il faut savoir mettre ses couilles sur la table même lorsqu'on écrit pour divertir. J'espère être suffisamment burné pour me démarquer de ces tristes sires qui vendent de la BD comme on vend du PQ marque distributeur.
D’emblée, ce format inhabituel (150 pages par tome) s’est-il imposé pour la série, ou t’a-t-il fallu en discuter ferme avec Run, ton directeur de collection ?
C'est venu naturellement. J'avais envie de raconter beaucoup d'histoire, avec peu de temps à attendre entre chaque tome. J'ai évalué en combien de temps je pouvais réaliser un tome et si ça collait avec le scénario.
J'ai eu toute liberté pour écrire et réaliser Freaks’ Squeele, Run a eu avant moi les mêmes problèmes pour réaliser son Mutafukaz dont le format plaisait peu aux éditeurs. La politique de la boîte a toujours été de laisser la liberté aux auteurs sur la forme.
Quel regard pose-t-il sur la série ? Intervient-il beaucoup ?
Parfois il intervient lorsqu'une case est particulièrement ratée. Mais heureusement ça n'arrive presque jamais.
On a la chance d'apprécier mutuellement nos bébés, et en tant que directeur de collection il fonde beaucoup d'espoirs dans Freaks’ Squeele.
C'est très gratifiant d'être épaulé à ce point !
La série fait preuve d’un bel équilibre entre loufoque et sérieux. N’as-tu pas envie parfois de basculer définitivement d’un côté ou de l’autre ?
Si parfois, certains personnages se prêtent plus à des situations dramatiques.
D'ailleurs pour éviter une rupture de ton qui pourrait être prise pour une trahison, je préfère me lancer dans des spin' off.
Cette ambivalence pourrait faire penser à la série Buffy contre les vampires, qui a un peu lancé la mode… Qu’en penses-tu ?
J'apprécie beaucoup ces ruptures dans Buffy. C'est d'ailleurs l'une des séries qui m'a encouragé à écrire. J'ai vu à quel point on pouvait donner des émotions et faire vivre des personnages avec une écriture assez modeste mais beaucoup de passion. J'ai aussi vu qu'on pouvait faire passer un message exécrable avec des actions en apparence innocentes.
Entre Buffy et moi c'est une histoire compliquée d'amour et de haine.
D’autres parlent bien sûr de Harry Potter, avec ce trio de héros fréquentant une école leur permettant de contrôler leurs pouvoirs…
C'est bien pour ça que j'ai situé Freaks’ Squeele à l'université. Je voulais traiter d'enjeux qui n'avaient pas encore été abordés dans le genre « école de héros ». C'est aussi pour ça que les héros n'apprennent pas à contrôler leurs pouvoirs mais à communiquer dessus.
Le monde devient de plus en plus complexe au fur à mesure que l'on s'approche de l'âge adulte et il me semblait plus pertinent de raconter ce lent passage avec ses rites de passage et ses combats.
Loin de moi l’idée de te traiter de plagieur, au contraire, mais tu as l’air d’avoir une sacrée culture du cinéma bis. Alors Maudoux, es-tu le futur Tarantino de la BD ?
Sur l'échelle du fétichisme du pied, je n'ai pas encore mangé le pied de Salma Hayek ni dans la réalité ni dans aucun film, ni même accompagné de Whisky. Je suis donc bien en dessous de Tarantino.
Sont-ce les références qui "créent" l'histoire, ou le scénario qui induit les références (ou les 2 ^^) ?
Si par référence tu penses aux films de genre, alors oui il y a une interaction évidente entre l'écriture et les références. Pour des personnages comme Ombre, Funérailles, Chance et même Halifax, il s'agit de référencer les hypostases d'une figure mythologique plus importante : la bête, la mort, le diable et le golem. Ce qui est très amusant c'est de trouver le pourquoi du comment de cette figure pour mieux la détourner. Puis au final la laisser vivre, car ce qui est génial c'est qu'à un moment donné le personnage s'affranchit de mon autorité, c'est quand je ne suis plus Dieu-le-Père dans ma propre oeuvre qu'elle devient vivante.
T'exposes-tu à des revendications d'ayant-droits avec ses nombreux clins d'oeil à des personnages de dessins animés, films, émissions télévisées et compagnie ?
C'est possible, avec Makoto Nagano le seul, l'unique Ninja Warrior...
Tant que la citation restera une exploitation non commerciale d'une oeuvre préexistante il n'y a aucune raison que j'ai des problèmes avec des ayants droits.
Parfois la construction du récit fait penser à de l’improvisation ; est-ce le cas ou tout est-il précisément écrit lorsque tu attaques les crayonnés ?
Ca dépend à quel tome tu penses...
Dans le tome 1 je réécrivais tous les dialogues que j'avais notés dans le scénario. Dans le tome 2 j'ai fait la grosse erreur de ne pas écrire ceux-ci à l'avance... Du coup grosse impro et gros coups de stress. Pour le tome 3 j'ai tout écrit, tout découpé comme un bon petit soldat et tout a été plus simple. Depuis je ne bosse plus que comme ça.
En ce qui concerne l'ensemble de la série je sais ce que je veux raconter, mais je laisse toujours une part d'improvisation pour ne pas tuer la spontanéité des personnages. Si la série ne me surprend pas il n'y a pas de raison que le lecteur le soit à son tour.
Dans le premier tome, l’insertion d’un chapitre couleur en a déstabilisé plus d’un, et a plu à pas mal d’autres. Quel était le but ?
Je voulais proposer un gros bonus substantiel, en plus certaines choses ne peuvent s'exprimer qu'en couleur.
D'un point de vue purement technique c'est aussi très intéressant de pratiquer la couleur, lui trouver une fonction autre que purement descriptive afin qu'elle contribue à la narration et ne plombe pas la lecture.
Pourquoi un Bisounours géant dans le tome 3 et pas un Gizmo géant, ton totem ?
Le bisounours est un clin d'oeil au mouvement Furry que j'ai découvert peu de temps après avoir écrit le premier tome. Ombre ne pouvait se déguiser en autre chose qu'un bisounours un peu malsain.
La fin du tome 3 nous laisse avec un suspense terrible. Que nous réserves-tu pour la suite ?
Peut-être une prépublication des premières planches du tome 4 sur internet. J'ai tout un tas de projets pour internet...
Sur bdtheque la série fait partie du thème « manfra ou franga », regroupant ces séries ouvertement influencées par les productions nipponnes. Récuses-tu ce classement ? D’une manière générale, que penses-tu de la « production française de mangas » ?
Ca ne me dérange pas d'être classé dans « Manfra », c'est peut-être la seule étiquette qui colle à peu près à Freaks’ Squeele, plus que l'étiquette fantasy, même si après vérification Freaks’ Squeele n'est pas du fantastique mais bien de la fantasy urbaine.
Pour ce qui est de la production française de mangas, il convient déjà de définir le manga. Pour moi le manga ce n'est pas tant un style de dessin avec des grands yeux qu'une narration très typée et nerveuse, jouant énormément avec les codes graphiques. Du coup exit les grands formats avec peu de pages, ça réduit considérablement le champ d'exploration. Ce que j'en pense c'est que c'est encore jeune mais qu'on déniche çà et là des auteurs qui trouvent des solutions ingénieuses pour raconter leurs histoires. Là où il y a du génie il y a de l'amour et moi j'aime l'amour.
Ton dessin est assez typé manga (rien de péjoratif, d'autant plus qu'il n'est pas cloné comme beaucoup de productions coréennes). Comment selon toi sont vécues ces influences par le public et par les auteurs plus 'classiques' et par la critique ?
La critique jusqu'ici n'a jamais « mal pris » mon dessin parfois japonisant, saluant plutôt le fait que l'influence semblait digérée. J'imagine que certaines personnes sont rebutées par le noir et blanc et les a priori entourant le manga. Tout ce que je peux faire contre ça c'est de m'efforcer de faire du bon boulot pour faire mentir les idées reçues.
Et sinon, question classique : combien de tomes pour Freaks’ Squeele ?
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Un spin off est-il toujours prévu (comme il en était question à un moment) ? Une série d'animation prévue pour la télé ou en vidéo ? Justement Freaks’ Squeele en animation, ça sort quand ?
Rien de définitif pour l'anime, on a rapatrié le projet à Lille car ça s'est avéré difficile de bosser sur une adaptation avec la distance et le fossé culturel entre le Japon et la France.
Pour l'actualité en BD, il y a tout un paquet de projets autour de l'univers de Freaks’ Squeele. Certains sont en bonne voie, d'autre encore à l'état larvaire. Mais ça va énormément bouger cette année pour moi, vous en verrez les effets l'année prochaine si tout se passe bien.
Vu le joli succès critique (sur bdtheque du moins) de cette série, est-ce que les ventes de la série sont aussi bonnes ?
Jusqu'à son tome 5, Titeuf vendait 5000 exemplaires par tome. Je fais mieux pour l'instant. Mais tu seras d'accord avec moi : ça ne veut rien dire.
Hormis le défi de faire une oeuvre dont on est fier, le véritable combat c'est celui d'arriver à être correctement représenté en librairie.
Lorsque la série sera bouclée, y aura-t-il une sorte de character guide, de guide des références (pas forcément sur papier) comme pour certaines séries manga ultra-référencées ou à l’univers très touffu ?
C'est possible, j'y pense sérieusement pour les bonus du dernier tome.
As-tu pratiqué la danse et/ou les arts martiaux pour "créer" le flamendo ? J'ai 6 ans d'arts martiaux dans les pattes et pas mal de bouquins sur le sujet. J'ai un niveau plutôt faible, notamment à cause du fait que j'ai pas mal changé de clubs, mais ça m'a permis de comprendre certaines choses qui se retrouvent dans Freaks’ Squeele.
Est-ce que tu vends tes planches ? Si oui... Où, quand, combien ?
Bonne question parce qu'on me la pose souvent.
Non je ne vends rien parce que je n'ai rien à vendre... Je fais tout sur ordinateur, y compris l'encrage. Le seul objet qui reste de la production ce sont les planches de storyboard qui sont des crayonnés honteux.
Préfères-tu dessiner en noir et blanc ou en couleur ?
Ca dépend, pour une BD je préfère lire et dessiner en noir et blanc. Le fil de lecture est plus simple à tracer et l'information est plus claire.
Pour une illustration, la couleur ouvre un champ de liberté incroyable, je peux me lâcher au niveau des matières.
Les deux ont leur charme et leur utilité.
Est-ce que tu as un projet totalement dingue en tête ? Du genre irréalisable mais que tu feras quand même...
Un jeu de plateau avec une armée de bonshommes de pain d'épice à réaliser soi-même !
Et le pire c'est que le projet est en route, j'en ai déjà écrit les règles. On est en pleine phase de test avec mes bonshommes warhammer. Le système tourne plutôt bien, j'essaye de le rendre fun, simple et fidèle à l'esprit de ma BD.
Peux-tu nous en dire plus sur Masiko ?
C'est la mère d'un des personnages principaux de Freaks’ Squeele.
Quand Run m'a demandé de participer à un recueil de BD dont le thème serait la série B j'ai rapidement pensé à un détournement du concept de Lone Wolf & Cub, mais avec une jeune maman cette fois. Les choses se mettant en place toutes seules, le lien avec Freaks’ Squeele s'est fait naturellement, même si le ton est différent, par sa violence notamment.
Lorsqu’on regarde ton profil sur ton blog (http://saignecrapaud.blogspot.com/), on s’aperçoit que tu aimes beaucoup la fantasy anglo-saxonne. N’aurais-tu pas envie de développer quelque chose dans ce genre ?
Il va y avoir un spin'off sur Funérailles et l'atmosphère se rapprochera de cette fantasy. Je cherche encore un rendu graphique plus torturé que pour Freaks’ Squeele.
Tu bosses chez Ankama, qui a développé Dofus et Wakfu ; ils n’ont pas essayé de te débaucher pour des one shots sur ces univers ?
Non il y a déjà assez de monde pour faire de beaux projets. Puis j'ai toujours eu peur de me lancer dans la mythologie Dofus qui commence à être sacrément fournie. Je crois que ça m'absorberait pour trop longtemps si je devais faire une seule histoire.
D’autres projets en vue ?
Rien qui n'ait un rapport avec Freaks’ Squeele...
Florent, merci.
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