Auteurs et autrices / Interview de Bouss (Adrien Bousson)
Adrien Bousson, alias Bouss, est un jeune auteur touche-à-tout qui aime inventer des univers et laisser libre cours à ses rêveries dans ses créations. Découverte.
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Je suis un jeune auteur avec une toute petite bibliographie pour l’instant. J’ai travaillé sur deux récits complètement différents : une quête initiatique/métaphysique dans un univers fantastique intemporel (Ascensions - en tant qu’auteur complet) et un récit jeunesse (Supernain), dans un graphisme et un univers complètement différents (avec Tarek au scénario), très léger, dynamique et coloré. J’ai envie d’explorer le plus de registres possibles, avec des techniques différentes, d’expérimenter constamment, pour me surprendre. Les dossiers pour mes prochains projets vont dans ce sens.
Parle-nous de l’ENAAI, cette école de Chambéry… Que t’a-t-elle apporté ?
Beaucoup de choses. Avant, pour ce qui était de la bande dessinée par exemple, je fonctionnais toujours à l’improvisation totale. C’était des délires personnels qui partaient dans tous les sens, sans structure véritable, et avec peu de maîtrise technique. Avec l’ENAAI, j’ai appris la technique pure et dure : construire un personnage, maîtriser le mouvement, penser, écrire un scénario, travailler un story-board, rythmer sa narration, bosser sur la perspective, les décors, la mise en couleur sur ordinateur… Tout cela au contact de professionnels du monde de la BD. J’avais comme professeurs Vincent Bailly (Coupures irlandaises avec Kris chez Futuro, Angus Powderhill avec Luc Brunschwig chez les Humanoïdes Associés…) et Fabien Vehlmann (y a-t-il encore besoin de le présenter :) ?). Bref, j’ai appris un métier.
Puis en 2004, l’un de tes projets est pris par les Editions du Cycliste, et ça va devenir Ascensions… Comment as-tu mûri ce projet ?
En étalant la genèse de ce projet sur pas mal de temps. En doutant, galérant pas mal. C’était mon vrai premier grand scénario complet. Moi qui n’avais fait que des récits courts (les récits longs personnels étant des improvisations). L’univers de la Structure s’est donc affiné et précisé le temps passant, au fil de discussions avec d’autres personnes, de plusieurs versions/réécritures du scénario. Jusqu’à ce projet, mes récits étaient donc surtout des délires très, trop personnels. Je voulais continuer à raconter des choses très personnelles, mais en les rendant moins hermétiques, je devais penser aux lecteurs, trouver le juste milieu.
On y remarque un goût certain pour les architectures cyclopéennes… Ca fait référence à des lectures de SF non ?
Eh bien non, puisque je ne lis de livres que trop peu souvent, et pas de SF. Mon goût pour l’architecture ne vient pas de lectures, mais d’une envie. Pour la structure, je n’avais aucun mouvement architectural en tête, je voulais quelque chose basé sur l’immensité, la spontanéité. Quelque chose d’intemporel. La structure est une sorte de déclinaison du trait automatique (improvisation totale, sans idée de départ) en version architecture : à quoi ressemblerait une architecture basée sur la spontanéité de l’esprit et de son flot d’idées ? Ce n’est pas une architecture pensée en terme d’utilité. Par exemple, dans une architecture selon les normes de notre monde, on doit pouvoir être capable de justifier la présence de telle pièce, de telle arche, etc. qui est pensée en fonction de son utilité, et de son apport à un ensemble cohérent. Toute pièce d’un bâtiment a une raison d’être. La structure s’affranchit de ces règles, et est surtout l’apanage d’une architecture visuelle, où tout ne serait pas forcément utile, mais servirait aussi à la contemplation pure et dure. Où chaque salle, pont, tour serait surtout un endroit de plus à explorer, à contempler, un endroit pour rêver, flâner, déambuler.
Ou alors du jeu éponyme sorti sur Game Boy il y a plus de 15 ans…
Tu veux parler du pixel art que je me suis amusé à faire ? J’ai en effet essayé d’imaginer à quoi aurait ressemblé Ascensions si l’album avait été décliné sous forme de jeu de plate forme/RPG sur Game Boy. Et j’avais cité la boîte de production Oceans parce que si ça avait dû être le cas, j’aurais adoré que ça soit eux qui le fassent, tant j’adore ce qu’ils ont fait comme jeu sur les consoles 8 et 16 bits dans le début des années 90.
La série s’annonçait bien, et puis juste au moment où tu termines le tome 2, paf, tout s’enchaîne…
Oui, à peine terminé le tome 2, les éditions Le Cycliste m’annoncent qu’elles gèlent la sortie de leur futures publications pour une date indéterminé. C’était fin août 2007… Depuis, rien…
Tu as participé au collectif Alerte sur Ooxia ; qu’est-ce que c’est ?
Juste un simple travail de commande, pour un album collectif pédagogique. Mais avec du beau monde, ça fait plaisir d’être dans un même album que Pixel Vengeur, Marco, Loran ou Killoffer - le dessinateur qui a fait le plus beau des Donjon monsters (-les profondeurs- une splendeur visuelle incroyable, pour un album d’une noirceur abyssale).
On te perd de vue jusqu’en 2010, lorsque sort Supernain. Qu’as-tu fait pendant tout ce temps ?
J’ai travaillé sur des scénarios pour la série TV OVNI (voir un peu plus bas pour plus de précisions), quelques pochettes de disques, boulots de commandes, notamment d’autres courtes BD à but pédagogique.
"Aon Psy", kézako ?
C’est un projet psychico/psychédélico hystérique. Un récit improvisé en 2 parties, sur une vague trame de départ. C’est l’histoire d’un personnage travaillant et vivant dans une société totalitaire, qui est accro aux jeux vidéos, au point de se faire bannir de cette société. Un bannissement qui a pour conséquence de faire très rapidement plonger le personnage principal, Aon, dans la folie. Aon qui navigue entre de très nombreux niveaux de réalité, à un tel point qu’il n’est même plus question de problème de confusion réalité/rêve/jeu vidéo, mais de mise en image d’un chaos intérieur sans fin.
La première partie du récit partait donc dans énormément de directions. C’était dans l’idée de mise en abyme du principe de mise en abyme, de l’idée la mise en abyme poussée à son extrême, à un tel niveau que ça en devient absurde, du non-sens total. C’était le meilleur moyen de décrire la folie qui s’emparait du personnage, le lecteur devait être totalement désorienté, perdu. La deuxième partie du récit tentait de donner des réponses aux multiples pistes développées, en rendant les choses encore plus compliquées ! L’idée était de pousser le coté immersif le plus loin possible. Le récit devant être lu avec une musique bien spécifique, complètement hystérique et déstructurée, (avec des mélodies créées à partir de samples de jeux Atari des années 1980) qui soulignait encore plus le chaos intérieur d’AON, du récit. Le but étant de produire son petit effet sur le lecteur.
Tu fais aussi des choses très différentes, comme cette pochette pour le CD de The Berzerker…
J’ai même fait 2 pochettes pour eux, pour leur deux derniers albums, « Animosity » et « The Reawakening ». Pour la pochette d’ « Animosity », j’avais remporté un concours qu’ils avaient lancé avec leur label sur myspace. Comme ils étaient bien satisfaits du travail effectué, j’ai rempilé pour « The Reawakening ». C’était une excellente expérience, et bosser pour un groupe qui fait office d’OVNI, reconnu dans son milieu, et dont on est très fan, je suis preneur !
Comme je l’ai dit plus haut, on sent dans Ascensions ta fascination pour les architectures marmoréennes… Mais tu exprimes ça aussi dans des photomontages parfois très impressionnants (voir ici)… Le dessin ne te suffit pas ?
Non, en effet, ça ne me suffit pas. J’ai besoin d’expérimenter, d’explorer de nouveaux horizons, c’est pour ça que je fais du dessin traditionnel, du dessin sur ordinateur, du photomontage, de la musique, un peu d’animation… Je rêve de pouvoir avoir le temps de faire des courts métrages d’animation en pixel art. La technique du photomontage me permet elle d’aborder de nouvelles thématiques, qui en dessin, serait moins pertinentes, ne permettrait pas aussi bien d’exprimer ce que je cherche à faire ressentir, notamment au travers de mes photomontages organico-surréalistes.
Et ces photomontages sont en prise directe avec Ascensions…
Une partie de mon travail en photomontages fait en effet partie intégrante de l’univers d’Ascensions. Il s’agit d’imaginer à quoi ressemblerait ce monde s’il existait vraiment. Et pour cela j’ai besoin d’un traitement photo réaliste, rendu possible grâce à la technique du photomontage.
Le rendu réaliste laisse un peu moins de place à l’imagination d’un dessin (où l’on doit faire l’effort de retranscrire soi-même le dessin en quelque chose de réaliste) mais a un côté plus immersif, je trouve. Et ces photomontages, qui sont des improvisations (je ne pars pas de recherches crayonnées) me permettent aussi d’enrichir l’univers que j’ai mis en place avec la structure et tout ce qui gravite autour et à l’intérieur. Et me donnent de nouvelles idées.
Tu n’as pas abandonné l’idée de relancer Ascensions chez EP (la bande-annonce du tome 2 est téléchargeable ici). Peux-tu nous en dire plus sur cette éventuelle reprise/réédition ?
Je n’ai évidemment pas abandonné l’idée de relancer Ascensions. J’avais dû mettre cette relance en stand by à cause de l’album fait chez EP (Supernain) et des réalisations autres que j’ai dû faire entre-temps.
Les éditions EP sont en effet éventuellement intéressées pour reprendre la série, mais il n’y a absolument rien de concret pour l’instant. Le fait est que le tome 1 d’Ascensions a eu des ventes très modestes et n’est pas spécialement une série à gros potentiel commercial. Et un éditeur de moyenne taille, vu la situation du marché actuelle de la Bande Dessinée (cette fameuse surproduction principalement), peut difficilement mettre en chantier un projet risqué comme Ascensions.
En ce moment je suis en train de finaliser un gros dossier très complet pour ensuite aller le démarcher partout. Mais j’ai dû repenser l’ensemble. Le marché de la BD avec son cortège ultra saturé de nouvelles sorties ayant notamment pour conséquences l’arrêt prématuré de nombreuses séries fait que j’ai décidé de repenser Ascensions, pour que ce ne soit plus non une série en trois tomes, mais en un seul et gros volume. Du coup j’ai dû refaire les premières planches pour le dossier (pour quelles soit plus homogènes avec ce qui constituait les planches du tome 2. J’ai progressé entre le tome 1 et le tome 2, où j’ai affiné le graphisme des personnages. Pour être cohérent et homogène, j’ai repensé et redessiné les 10 premières planches du tome 1 pour le dossier. Et c’est nettement un cran au-dessus visuellement. Comme c’est le dossier de la dernière chance, je m’y investis à 200%
Il y a deux ans tu avais réalisé de chouettes couvertures de "Donjon"... Aimerais-tu être embarqué dans cette aventure ?
Ah ça c’est sûr que j’adorerais ! Mais je sais qu’il y a déjà une flopée d’auteurs connus bien plus balèzes que moi sur la liste d’attente. Donc ce n’est même pas la peine d’imaginer…
Mais dans l’absolu, c’est sûr que ça me botterait plus qu’énormément. C’est une des séries les plus excitantes, captivantes et originales de ces dernières années. Et il y a tout ce que j’aime dessiner dedans : des créatures, des monstres, des ruines, des tavernes, etc. !!
En participant à la scénarisation de la série OVNI (adaptée de la BD éponyme de Trondheim et Parme), tu réalises un peu ce rêve non ?
En partie oui. C’était gratifiant de travailler sur l’adaptation d’une bande dessinée de deux auteurs que l’on apprécie énormément. Et l’univers d’OVNI et son potentiel scénaristique me plaisaient beaucoup. Je me suis donc fait très plaisir à écrire ces scénarios dans cet univers ludique et trash. Et le résultat final est très classe, les storyboardeurs, les animateurs, bruiteurs, etc. on fait un formidable travail.
Bref, une super expérience. A refaire !
En 2010 te revoilà donc avec Supernain. Comment es-tu arrivé sur ce projet ?
J’avais croisé Tarek lors d’un festival, à l’époque où je participais à un fanzine. Il avait bien apprécié les couleurs de mes projets sur mon book. Du coup, j’avais été mis à l’essai pour faire les couleurs d’un de ses albums. Mais au final , j’avais dû abandonner, la faute à une tendinite carabinée. Mais on est resté en contact. Quelques années après on a monté ce projet, qui a fini par se faire chez EP éditions. Le but pour moi avec cet album était de faire quelques chose de radicalement éloigné de ce que j’avais fait avec Ascensions. Je me suis lâché à fond sur le mouvement, les expressions, les contrastes entre ce que disent les personnages et leur manière de l’exprimer. Je voulais aussi rester dans le détail, faire des pages assez chargées, avec pas mal de cases, pleine de petit détails et de références. Je suis assez frustré par les BD jeunesse, où il y a généralement entre 5 et 10 cases grand maximum par page, le tout sur 3 strips. Et les cases sont souvent super épurées, comme si les enfants n’étaient pas capables de lire des pages un peu chargées. Les histoires ont beau des fois être très bien, ça se lit trop vite. Alors j’essaie de faire en sorte qu’on passe un peu plus de temps sur chaque page, qu’on y revienne pour voir les petits détails cachés.
Tu n’as pas pu t’empêcher de truffer cet album de références de geeks, mais aussi d’allusions au fromage, au saucisson… Je suis déçu, ça ne parle pas de chocolat ! (voir liste des références ici)
J’ai en effet truffé les pages de petites références à des vieilles consoles, vieux jeux vidéos, à des réalisateurs célèbres, et j’ai donc aussi glissé de multiples références à ces aliments merveilleux que sont le fromage (désolé pour les fans de fromages de chèvre, c’est les fromages de vache qui ont eu le monopole niveau présence) et le saucisson. Parce qu’ils le valent bien. Merci à vous vaches et cochons. Je vous serai éternellement reconnaissant (parce que oui, on ne leur dira jamais assez).
Oui, c’est vrai, j’ai sous représenté le chocolat… Ce n’est pas bien, je dois l’avouer. Mais quand même, il y a quelques petites allusions. Supernain boit du chocolat au lait page 6 case 2, (avec son chocolat en poudre Chocostor) tout de même ! Les méchants ont devant eux page 18 case 2 une boite de Pims ™ (on a le droit de citer des marques :) ?) qui je le rappelle est un biscuit recouvert de chocolat ! Et à la dernière case de la même page, il y a des Ferrero Rocher ™, qui contiennent aussi du chocolat !! Donc, ça parle un peu de chocolaaaaat ! Ouf.
"En l’absence de mon corps"… Qu’est-ce que c’est ?
C’est un projet personnel improvisé sur le thème du rêve. Le but est d’essayer de me rapprocher le plus de l’atmosphère des rêves. C’est vraiment un récit atmosphérique, non narratif. C’est le côté immersif (hou je l’aime ce mot, ça ne fait je ne sais combien de fois que je le ressors celui-là !) qui compte. C’est dans un esprit voyage sensoriel. Pour transporter dans un ailleurs, régi par des règles différentes.
Parle-nous de la 3D isométrique…
Tu veux dire du pixel art en général ?
Je trouve qu’il y avait une magie pas possible dans le graphisme des jeux des consoles 8 et 16 bits. Un graphisme sans fioriture, qui allait à l’essentiel. Dans certains jeux des consoles 8 et 16 bits (Nes, Master System, Super Nintendo, Megadrive…) il y avait ces couleurs flashy, des ambiances, des textures quasi psychédéliques.
Ça avait des fois un côté art brut assez fascinant. Bref, il se passait quelque chose de puissant au niveau visuel. Du coup j’essaie d’aborder cet univers, je m’entraîne. Le but au final serait de faire de l’animation en pixel art, dans l’esprit des jeux Game Boy, Nes, Super Nintendo.
Et de "Founky Sguègue"…
C’est un projet qui a pour but de ne parler que de sexe, mais que de manière débilo/ludique. De faire quelque chose de faussement trash. Avec des personnages pareils, les gens s’attendent à quelques chose de vulgaire et crade. Alors que non, il n’y a aucune volonté de ce genre. C’est juste de l’humour hénaurme, débile, mais pas vulgaire. J’essaie même d’y incorporer un peu de poésie (le récit « Le concours », où l’on s’attend à quelque chose de trash, alors que pas du tout). J’essaie d’y brosser le portrait de personnage en-dehors des clichés habituels qui reviennent quand on met en scène des couples (genre le mec qui n’aime que le foot à la télé, et la fille qui elle veut voir une romance à l’eau de rose -cliché ô combien répandu en BD-). Founky est par exemple fan de vaisselle faite à la main, et adore écrire des poèmes à la gloire de sa femme. Tout un programme.
L’idée de dessiner des bites est vieille comme le monde. Tous les adolescents l’ont fait. Mais j’essaie d’aborder ça de manière personnelle et hors des sentiers battus. En matière de sexe en BD, il y a surtout des récits érotiques ou pornographiques. Ils peuvent être légers, sérieux ou décalés, peu exploitent le potentiel comique du sujet. Il y a eu Happy Sex de Zep récemment, mais c’est tout (et là c’est explicite). Avec le procédé que j’utilise, je ne peux pas faire de scène de sexe explicite, ça ne ressemblerait à rien. Et ce n’est pas le but, qui comme je l’ai écrit au-dessus, est de parler de sexe de manière autant légère, que débile, décalée, de faire qu’il n’y ait rien de choquant : des enfants pourraient tomber dessus, ils ne sortiraient absolument pas traumatisé de la lecture, et pourtant, certains récits vont loin, mais l’aspect « humour hénaurme » désamorce toute ambiguïté et permet de faire passer beaucoup d‘idées fortement farfelues sans que ça soit choquant.
Bouss, merci.
Merci à toi pour cet ensemble de questions bien complet, qui me permet aussi de parler de ce que je fais à côté de la Bande Dessinée !
A voir aussi : le blog de Bouss
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