Auteurs et autrices / Interview de Thierry Boulanger
Membre du collectif « fugues en bulles », amateur de comics et sosie de David Carradine, Thierry Boulanger s’est fait remarquer par un premier album prometteur. Rencontre avec un autodidacte plutôt doué.
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Je suis né en 1966 (ce qui fait déjà de moi un "jeune vieux auteur"...)
J'ai grandi, comme qui dirait, un crayon à la main, ce qui n'était pas du goût de tout le monde, vu que je les laissais toujours traîner partout.
Encouragé à faire des maths parce que " y'a que là-dedans qu'il y a des débouchés... " (je ne reproche rien à personne : à l'époque, tout le monde pensait la même chose), j'ai suivi une scolarité sans trop d'accrocs jusqu'à ce que je sature des maths, justement.
Suite à diverses expériences, j'ai suivi la formation d'éducateur spécialisé... Je le suis toujours...
Quelle formation as-tu suivie ?
Concernant le dessin ou la bande dessinée : aucune... J'ai le parcours typique du modeste autodidacte revenu à la BD sur le tard... En fait, ce sont des collègues et des copains qui m'ont incité à me remettre au dessin, il y a quelques années.
J'ai rencontré ensuite des dessinateurs avec qui nous sommes devenus très liés. Nous avons fondé un atelier puis une maison d'édition associative : "Fugues-en-Bulles". Ça décolle tout doucement et c'est très sympa. Le fait de réunir des personnalités et des styles différents est enrichissant et motivant. C'est une bonne expérience.
Quelle technique utilises-tu pour réaliser tes planches ?
Je crobarde assez peu. J'ai gardé ce défaut d'enfance qui veut que l'on désire obtenir le dessin finalisé rapidement... C'est un défaut (mes collègues de "Fugues-en-Bulles" sont en train d'hurler, en lisant ça...).
Par contre, j'essaie de soigner la mise en page et les ambiances. Fan de cinéma, j'essaie de produire un enchaînement des cases le plus fluide possible. C'est pour cela qu'il y a relativement peu d'ellipses dans mes récits (j'aime les unités de temps et de lieux assez restreintes).
J'utilise une méthode, on ne peut plus classique... Une fois les crayonnés achevés, je scanne, atténue les gris et j'encre directement. Je me mets tout juste à la colorisation via l'ordinateur...
Cela dit, je fais très peu de story-board. J’aime bien me laisser porter par le récit et réaliser les planches au fur et à mesure (tout en gardant le nombre de pages en tête). Ça aussi, beaucoup diront que c'est un défaut, et ils auront raison... Mais j'aime cette façon de procéder.
Ton atelier de création, c’est :
A) Une pièce isolée. Pas un bruit, pas un son. Interdiction formelle de déranger.
B) Le salon familial, avec les enfants qui courent autour de la table.
C) Musique à fond et café à gogo.
D) Le café du coin.
C'est plutôt la réponse B. Mes filles adorent me voir dessiner. Régulièrement, la plus petite vient s'asseoir sur mes genoux. C'est assez marrant...
La réponse C, c'est plus quand j'écris une histoire ou que je mets en place les bases d'un scénario.
Quant à la D, et bien ça arrive aussi, mais c'est plus rare.
Ton style semble se nourrir d’influences diverses mais parvient à avoir une réelle personnalité. Quels sont les dessinateurs qui t’ont inspiré ?
Mon frangin lisait beaucoup Astérix et Tintin ... J’avais horreur de ça !
Non, moi, ce que j'adorais, c'était les "nouveaux X-men"... Relancée par Len Wein puis Chris Claremont, la série paraissait tout les deux mois dans Spécial Strange. Et quand John Byrne a repris le dessin de la série, ça a vraiment été une révélation ! Pour la première fois, je ne voyais plus seulement l'histoire ou les personnages... non, je VOYAIS les dessins... J'admirais (et j'admire toujours...) la finesse du trait, les cadrages intelligents (ce qui n'était pas si courant que ça dans le monde du "comics"...).
Par la suite, j'ai apprécié d'autres dessinateurs, Franck Miller ou Les frères Kubert (l'un comme l'autre). Leur travail sur les "X-Men" ou "Wolverine" a été remarquable. C'est leur faute si je me suis remis aux comics avec la série X-Men : Apocalypse Age puis plus tard sur Wolverine Origins.
Mais, rien n'a jamais égalé, pour moi, les frissons que m'a occasionnés J. Byrne... Il reste et restera pour longtemps Ma référence...
Tu sembles laisser le soin de la colorisation à d’autres. Problème technique ou manque de motivation ?
C'est surtout un manque de technique, aussi bien à la colorisation classique que sur ordinateur. Mais je commence à pallier cet état de fait. Quelques copains dessinateurs (dont Etienne M. de "Fugues-en-Bulles") me forment sur "Toshop". Et pour la première fois, je trouve que la couleur apporte quelque chose à mon dessin. Même si je l'utilise, volontairement, avec parcimonie...
Le choix des teintes bleutées sur La Vibration du Monde vient de toi, ou il t’a été suggéré ?
C'est une idée à moi et j'en suis content car cela allait à l'encontre de l'avis de beaucoup de mes collègues et amis de "Fugues-en-Bulles" qui voulaient que je reste à un traitement en noir et blanc "pur". Je suis content du résultat. Ça montre aussi qu'il faut parfois aller au bout de son idée... même si avoir raison n'est pas si courant que ça...
Même lorsqu’il ne s’agit pas à proprement parler de doubles pages, tu sembles construire tes planches « par paires ». Le découpage est-il un passage jubilatoire pour toi, ou est-ce du pur masochisme ?
Non, j'adore ça !
J'aime l'étape du découpage... C'est essentiel dans la qualité d'un récit et ça me permet de grandes ampleurs dans les paysages. C'est pour cela que j'adore inclure des doubles-pages. Cela me permet de vraiment mettre le lecteur (et moi-même, par la même occasion...) en immersion avec le décor et par extension avec l'ambiance du récit.
De plus, comme vous l'aurez compris, j'aime soigner les décors, les atmosphères... C'est, comme vous le dites très justement, effectivement jubilatoire...
Tu as participé à plusieurs collectifs de l’association "Fugues-en-Bulles". Cela doit être une gageure pour quelqu’un dans ton genre, qui aime installer ses ambiances, de produire une histoire courte, non ?
Oui, c'est parfois compliqué pour moi, qui aime bien distiller les ambiances progressivement. Mais le type d'histoires que j'écris, à la fois amples et intimistes me permet de vivre de bons moments dans ce domaine.
Toutefois, il est vrai que supprimer ou choisir une séquence plutôt qu'une autre, parce qu'on n'a que sept ou neuf pages, est parfois douloureux... Mais bon, c'est un bon exercice...
Et c'est toujours sympa de bosser au sein d'un collectif : il se crée une émulation saine et les critiques m'aident à avancer et à dépasser les difficultés que me posent la mise en place d'un récit très court... Je finis même par adorer ça...
A côté de la bande dessinée, je suppose que tu travailles. Ce boulot a-t-il un lien avec tes talents de dessinateur ?
Je suis éducateur spécialisé au sein d'un foyer qui accueille des jeunes en grande difficulté. J'y anime régulièrement des ateliers BD. Je ne sais pas s’il y a un vrai rapport entre ce choix, ancien maintenant, et le fait de dessiner. Mais il est certain que ce choix professionnel n'est sans doute pas anodin. Il doit être un écho à la sensibilité que possèdent parfois les gens qui aiment "raconter des histoires..." Et des histoires, dans ce métier, on en voit et... on en vit aussi, pas mal.
Combien de temps consacres-tu par semaine à la bande dessinée ?
C'est assez difficile à chiffrer...
En moyenne, entre deux et quatre heures par jour.
Cela dépend...
Tu prépares un nouvel album qui se veut le prolongement de La Vibration du Monde. Peux-tu nous en dire un mot ?
Oui, c'est une histoire qui se déroule en deux temps : le temps de l'enfance et celui du proverbial âge mûr... Le tout se déroule à Central Park et Manhattan...
Il y est question de la rencontre entre un jeune (puis moins jeune) new-yorkais, et des tigres à dents de sabre, vivants dans Central Park. Le tout sur 120 pages. C'est un récit qui m'est très personnel et qui se nourrit de regrets, d'impressions, de nostalgies, liés à l'enfance... Et j'ai aimé cette idée d'une espèce éteinte, vivant dans une des villes les plus emblématiques du monde moderne. J'en attends beaucoup...
Ah, j'allais oublier : cela devrait s'intituler "Jardin de pierres" et l'album devrait sortir courant 2011 chez "Fugues-en-Bulles".
Certaines idées véhiculées par La Vibration du Monde sont proches des principes du respect de la Terre des indiens d’Amérique. Le prochain album se déroulera en Amérique, à New-York pour être précis. Pourquoi un tel attachement à ce continent ?
Oh, ce n'est pas dû à l'histoire contemporaine, loin s'en faut... Mais il est vrai que la culture amérindienne m'a toujours fasciné... Beaucoup des thèmes développés dans La Vibration du Monde partent de là. De plus, un ami qui élève des chevaux dans le Cantal m'a aidé à mieux comprendre ce lien qui unissait les hommes à la terre et qui a disparu depuis...
Après, concernant New-York, c'est une ville fascinante à dessiner. On ne peut pas se contenter de mettre un building par-ci, par-là. Beaucoup de gens, sans forcement y être allés, "connaissent" cette ville... (En festival, des gens m'ont fait remarquer qu'à la fin de La Vibration du Monde, l'Empire State Building n'est pas aussi près que ça du gratte-ciel de "Metlife"... Je fais gaffe, depuis. Il y a de vrais puristes). On est contraint à une certaine exactitude et à un certain "climat"... L'idée est de faire de la ville quasiment un personnage.
Ça aurait pu marcher avec Paris ou une autre ville caractéristique... mais j'avais besoin de ''Central Park''... Et c'est le pied à dessiner !
En éditant à compte d’auteur, l’objectif était, je suppose, de se faire remarquer d’une maison d’édition. Objectif atteint ?
Attention ! Il me parait important de préciser que chez "Fugues-en-Bulles", nous ne publions pas à compte d’auteur mais qu’il s’agit d’auto-édition ou d’édition associative. La différence est d’importance. Quand tu publies à compte d’auteur, tu paies une tierce personne ou une boîte (souvent fort cher) pour qu’elle te publie et, en règle générale, c’est elle aussi qui se charge de la distribution. Dans le cas d’édition associative, l’auteur participe à l’édition de son album (nous avons une charte graphique) et personne n’est rémunéré pour que mon album soit édité. De plus, tout le monde chez Fugues-en-Bulles, moi y compris, bien sûr, participe à la distribution de l’album. Ce procédé est plus économique, plus convivial et garantit, à mon avis, une meilleure distribution.
Ceci dit, l'objectif a été partiellement atteint.
Certains éditeurs me connaissent... un peu.
Sur un projet traitant de la guerre du Viêt-Nam, j'avais été remarqué par certains et mon élimination s'est faite au deuxième, voire troisième comité de lecture... J'avais reçu de chouettes lettres, manuscrites d'encouragements et de critiques constructives, ce qui, parait-il, n'est pas si courant que ça. Il faut être patient. Et rester modeste : je dois encore progresser, c'est sûr.
De plus, publier par le biais d'une édition associative offre une liberté intéressante... Celle de produire vraiment l'album que l'on souhaitait au départ. Même si le but, à terme, est bien sûr d'intégrer une maison d'édition.
Pourquoi une bande dessinée « en dur » à une époque où les livres numériques se sont imposés dans notre quotidien ? N’était-il pas plus facile et plus économique de passer par internet ?
On y pense, avec les collègues de "Fugues-en-Bulles"... Mais uniquement pour de petites histoires ou des extraits de la collection "Story" (albums collectifs).
Cela dit, je reste très attaché au livre en tant qu'objet... J’aurais du mal à passer au numérique... en tant que lecteur. J'aime vraiment ce contact avec le livre. Je me souviens, quand nos albums sont arrivés : sentir la couverture sous ses doigts, l'odeur du papier... Et ce plaisir simple de tourner les pages... Se dire que, voilà, c'est "MON" album. C'est une satisfaction, sûrement banale et enfantine, mais c'est une sensation incomparable...
Puisque tu es fan de Queensrÿche, à quand une adaptation d’Operation Mindcrime en bande dessinée ?
Whaooo ! Quel album ça ferait... Ce serait sûrement compliqué, mais jubilatoire à réaliser. C'est sympa de voir que certains se souviennent de ce disque. J’ai parfois l'impression qu’on n’est pas si nombreux que ça... Pour la petite histoire, j'aime bien dessiner ou poser les bases d'une histoire en écoutant "I don't believe in love" ou "Eyes of the stranger"...
Quel est le dernier album de bande dessinée que tu as acheté ?
Le troisième volume du Monde de Lucie de Kris et Guillaume Martinez. J'aime bien ce que proposent les éditions Futuropolis, en général.
Et le premier ?
Ah, je m'en rappelle très bien. J’étais en plein service militaire... J'avais acheté le premier tome de La Guerre Eternelle de Marvano et Haldeman ! (c'était de circonstance... on était à la veille de la première guerre du Golfe... ce qui donnait encore plus de relief à cette histoire extraordinaire.) C'est une merveille ! Je devenais fou en attendant les tomes deux et trois. Cela reste pour moi un ouvrage de référence. Je relis les trois tomes une fois par an, quand ce n'est pas plus... C'est vraiment du grand art...
Enfin, que dirais-tu à un amateur de bandes dessinées pour le convaincre d’acheter ton album ?
Ben, de lire vos critiques... :) Plus sérieusement, c'est compliqué de faire la promotion de son travail... La seule chose que je pourrais modestement en dire, c'est que j'ai tenté d'apporter un regard différent à un aspect de notre histoire, de notre mode de vie. Et ainsi, de produire un album, que j'espère original...
Merci pour tes réponses, et au plaisir de te relire dans un avenir que j’espère proche.
Merci à vous...
A voir aussi :
- Le blog de Thierry
- Le site de Fugues en Bulles
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