Auteurs et autrices / Interview de Renaud Dillies
Renaud Dillies a frappé fort dès son premier album, Betty Blues (Editions Paquet). Petit bijou nostalgique bercé par une musique jazz lancinante, il a placé sur l'orbite des auteurs à suivre.
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Bonjour Yannick, euh je m'appelle Renaud Dillies, je fais de la BD, un peu de musique... mais à part ça je n'ai pas de vrai boulot...
Tu es français, mais vis en Belgique depuis pas mal d'années. La vie est belle à Tournai ?
Quand il fait beau, oui et quand il fait moche aussi (mais moins)... Plus sérieusement j'y suis resté depuis mes études. J'aime la Belgique je m'y sens bien.
Parlons un peu musique. Tu pratiques quel instrument ? En amateur, ou tu fais partie d'un band ?
La guitare, j'en joue quotidiennement seul ou avec quelques amis. J'ai fait partie de quelques formations amateurs dans différents styles par le passé, mais maintenant je préfère travailler chez moi mes petites gammes, en écoutant beaucoup de disques, j'essaye de percer quelques mystères dans ce vaste monde qu'est le jazz... Et même si ce n'est pas facile j'y trouve un plaisir grandissant... C'est curieux mais je me rends compte que ce que j'y apprends le plus c'est la rigueur... Du coup cela m'apporte énormément dans les réflexions qui touchent à mon travail en BD...
Quelle est ta formation de dessinateur ?
J'ai fais deux ans de graphisme et deux ans d'arts décoratifs à St Luc et ensuite quatre ans en BD et illustrations au Beaux-arts...
En 1998 tu fais tes débuts en tant qu'auteur. As-tu toujours Envie de fraises quand tu fais des Nuits blanches aux p'tits oignons ?
Ca alors ! Bravo pour le travail de journalisme ! Je croyais que personne ne connaissait ce collectif (Envie de fraises) qui est né du travail d'Antonio Cossu (chef d'atelier de la section BD des Beaux-arts de Tournai) et des élèves de l'époque... Et même si ma petite histoire d'ogres "Nuits blanches aux p'tits oignons" avait ses maladresses de jeunesse, il y a des choses dedans que je reprendrais volontiers dans un avenir proche...
Et en 2003, Betty Blues sort, dans un style déjà très maîtrisé. Le succès critique et public est immédiat. Tu as même obtenu le prix du meilleur premier album à Angoulême en 2004. Un petit retour sur ce premier album ?
Oui c'est une belle aventure ce "BB"... D'autant plus que je pensais abandonner la perspective d'être auteur de BD à l'époque. J'ai réalisé cet album en deux mois entièrement chez moi d'une certaine manière en réaction à quelques mésaventures dans l'édition...
C'est évident que sortir un premier album c'est un peu un calvaire, je n'arrivais pas à concilier mes envies avec celles des éditeurs... En fait je me trompais et c'est ce que j'ai compris en réalisant Betty Blues... Il faut faire les choses comme on les sent, pas comme on croit qu'on les attend...
On relève deux éléments moteurs dans tes albums : les histoires d'amour malheureuses ou impossibles, et la musique, en particulier le jazz. Tu penses avoir exploré toutes les voies du genre ?
A vrai dire je ne sais pas. Ce que je peux dire c'est un peu comme dans le jazz on y retrouve toujours les mêmes éléments et l'attrait vient de sa déclinaison d'idées plutôt que de son éventuelle originalité. Comme d'autres je crois qu'on à déjà tout raconté et qu'être original n'est pas dans le sujet abordé mais dans la manière de raconter les histoires.
Pour mes histoires, je prends des lieux communs qui me parlent et puis je développe à ma manière, en ancrant bien le sujet ; ensuite j'improvise autour mais comme en musique ; improviser n'est pas synonyme de faire n'importe quoi...
D'où vient le choix de ne faire tes histoires que dans un style animalier humanisé ?
Avant Betty Blues, je n'avais jamais vraiment réalisé une bd animalière. C'est arrivé comme ça, un jour en me disant "Ca peut être drôle..." Et puis en fait je me suis amusé comme un p'tit fou... Ce qui me plaît le plus, c'est le coté "Jean de la Fontaine". Bon moi je ne suis pas franchement un critique et ne suis pas sous le joug de la censure, mais la représentation animalière permet des écarts amusants... On est d'office toujours dans la métaphore.
Tu n'hésites pas, dans tes pages, à aérer au maximum tes cases, quitte à faire des dessins pleine page. Là encore, c'est délibéré ?
Si le scénario le demande... On parle très souvent du dessin et puis c'est ce que l'on voit en premier bien sûr, mais c'est l'histoire qui est le véritable chef d'orchestre. Donc s’il faut faire de la pleine page parce qu'à mon sens c'est le plus efficace alors je n'hésite pas.
Revenons au contenu. La musique occupe une place omniprésente dans tes albums. Sur certaines planches, on croit même entendre le son.
Si c'est vraiment le cas c'est chouette et tant mieux et puis surtout merci ! En fait c'est la musique qui me dicte des images alors si les images ensuite peuvent dicter des sons alors c'est formidable... Comme dans tout, "pourvu que ça vibre !"...
En début 2006, sort Mister Plumb, une histoire scénarisée par Régis Hautière. C'était la première fois que tu ne scénarisais pas ton album. Comment s'est passée la collaboration avec Hautière ?
Super ! J'ai adoré ! Le truc c'est qu'a la base Régis n'avait pas vraiment (à ma connaissance) fait d'album orienté essentiellement humour. Le connaissant depuis quelques temps je trouvais ça dommage, d'autant plus qu'il est d'un naturel "pince sans rire", ce qui m'amuse beaucoup...
Et un jour je lui ai proposé l'idée complètement absurde d'imaginer les aventures d'un plombier se levant un beau matin en petit lapin blanc... Alors il a ri puis il m'a renvoyé quelques pages découpées, j'ai ri, alors je les ai renvoyé, il a ri puis... Enfin bref, on travaille sérieusement sans jamais se prendre au sérieux...
Ton dernier album, Mélodie au crépuscule, est un hommage à Django Reinhardt, musicien que tu adores. On sent une ambiance onirique dans cet album. Peux-tu nous parler de sa genèse ?
L'idée m'est venue en écoutant sa musique... Ca peut paraître "bateau" comme ça, mais le jeu de guitare de Django me touche énormément... Il y a tellement d'émotions et de spontanéité qui s'en dégagent... Ce gars-là me fait réellement voyager ! Et c'est ce voyage que j'ai tenté d'exprimer dans Mélodie au Crépuscule...
Puisque sa musique était issue de différentes cultures, je me suis amusé à reprendre les grandes lignes de ce voyage en reprenant les influences de musique de quelques pays. Evidemment, n'ayant pas le son, je me suis plongé dans la recherche de divers illustrateurs par pays... Par exemple l'oiseau de feu, que je dessine un moment dans l'histoire, est inspiré d'illustrations du russe Luda Bilibine... Pour l'influence des pays de l'Est (tzigane) mais aussi de la musique classique que Django aimait particulièrement...
Au final, les scènes les plus "illuminées" ont été en réalité pour moi au contraire un travail rigoureux... Un autre exemple (parce qu'un dessin vaut mieux qu'un long discours...) pour la page 69 de Mélodie, l'enluminure dont je me suis inspiré est espagnole et date du Moyen-âge (voir ci-dessous). Elle relate des chants religieux (cantigas)... On peut dire aussi que le "gaufrier" existait déjà dans les livres... Je m'en suis servi pour les influences espagnoles (gitanes), bref... Mélodie au crépuscule est un bouquin dans lequel on trouve des bd en gaufrier qui parle de musique… Tiens, ça me rappelle quelque chose...
De même, dans cet album, tu utilises le gaufrier classique, ce qui tranche presque violemment avec le débordement formel de tes précédents albums. Serais-tu devenu sage ?
Ben... Dans Betty Blues c'était un gaufrier aussi... Mais sage, moi ?... Mon grand-père disait souvent « sois sage comme une image »... C'est marrant que maintenant, à notre époque, on n’oserait plus trop dire ça... Depuis on en a appris beaucoup pour savoir qu'une image peut être tout sauf sage... Si je raconte ça c'est parce que c'est l'essence même de mon travail, faire des images, c'est avant tout se servir d'un vocabulaire narratif, comme les mots pour faire des phrases, et de leur donner un sens et non pas juste pour faire "joli"...
Quels sont les auteurs qui t'inspirent, que tu admires ?
R. Crumb, G. Herriman, Art Spiegelman, Chris Ware, Winsor Mc Cay, H. Pratt, Calvo... Bah oui, ce n'est pas très original mais quand c'est si bon !...
Quels sont tes projets ?
Une bonne douche après ça puis au... Non, là suis en train de faire une histoire s'intitulant Frère Joyeux qui sera réalisée en couleur directe (aquarelles) ; ça fait longtemps que ça me démange... Ce sera mon premier bouquin où je réaliserai tout moi-même (enfin pas l'éditer, ça c'est Pierre Paquet qui s'en charge)... Chouette aventure pour moi, même si c'est plus de boulot... Mais quand on aime...
Renaud, merci.
Merci Yannick !
Bibliographie :
Betty Blues, 2003.
Sumato, 2004
Mister Plumb, 2006 (scénario : Régis Hautière).
Mélodie au crépuscule, 2006.
Tous aux Editions Paquet.
Voir :
Une planche de Nuit blanche aux p’tits oignons, la toute première production de Renaud.
Un exemple d’enluminure qui a inspiré Renaud, et la planche qu’elle lui a inspirée…
Merci à Pierig pour son aide.
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