Auteurs et autrices / Interview de Baru
Son Grand prix à Angoulême cette année vient récompenser une carrière remarquable, une place à part dans le champ des possibles de la BD. Rencontre avec un grand Monsieur du 9ème Art, qui vient de sortir un polar drôlatique chez Futuropolis.
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Pour une raison toute bête. Je suis lorrain, et dans mon coin, quand on était gamins, on ne s’appelait jamais par nos prénoms, sauf les filles. On s’appelait par nos noms, mais comme c’étaient des noms italiens et en plus à rallonge, on raccourcissait les noms jusqu’à deux syllabes. Je m’appelle Barulea, et c’est devenu Baru, tout simplement.
Vous avez débuté chez Pilote au début des années 1980… Que retenez-vous de cette époque ?
Surtout la déconcertante facilité avec laquelle on pouvait être édité, ce qui a disparu aujourd’hui, hélas pour ceux qui débutent dans le métier. On pouvait frapper à la porte des éditeurs, il y avait toujours quelqu’un qui vous recevait, qui regardait votre boulot, et vous disait en deux minutes si ça lui plaisait ou pas. A l’époque j’avais aussi démarché Casterman et Charlie Mensuel, dont Willem était le rédacteur en chef je crois. Je démarchais avec mon carton et une partie de mes 140 pages en couleurs sous le bras. J’ai donc proposé Quéquette Blues chez Casterman et la revue (A suivre), qui était pour moi la revue de référence et celle pour laquelle j’avais réalisé cette BD, et je me suis fait rembarrer. J’arrivais avec 140 pages en couleurs chez un magazine qui ne faisait pas de couleurs, on m’a dit que j’étais gonflé. Ils voulaient me prendre mon histoire, mais en noir et blanc ; c’est un copain qui avait fait les couleurs, et je ne voulais pas perdre son boulot. J’ai donc dit tant pis. On pouvait dire ça en tant qu’auteur à l’époque. A l’époque Dargaud ne m’avait pas vraiment répondu, et Willem accepte de me prendre. Deux mois plus tard je reçois une lettre de Willem –que j’ai toujours d’ailleurs- me disant qu’il était désolé mais que Charlie Mensuel s’arrêtait. Ça a d’ailleurs été racheté par Dargaud. Je suis donc retourné les voir, il y avait Guy Vidal et un nouveau rédacteur en chef, Jean-Marc Thévenet, qui s’occupait de Pilote et de Charlie ; ils étaient d’accord pour me prendre, et c’est comme ça que j’ai été publié.
Dès Quéquette blues, en 1985, vous vous faites remarquer et gagnez l’Alfred du meilleur premier album à Angoulême. Cela vous a-t-il aidé à continuer ?
Pas personnellement. Cela a plutôt incité les éditeurs à éditer plus d’œuvres comme les miennes, empreintes de vulgarité – pas de la vulgarité pornographique, de la vulgarité sociale, si j’ose dire. Parler du monde ouvrier à l’époque, c’était quasiment obscène. Chez Dargaud ça les a rassurés, et les deux autres parties de Quéquette Blues ont pu sortir en album, ainsi que d’autres récits du même genre. Ça faisait du bien, ça voulait dire que mon éditeur me faisait confiance. Je n’étais pas sûr du tout que ce que je faisais était bien, je savais à peine dessiner, entre guillemets. Par contre j’étais convaincu que l’histoire que je racontais était une perspective intéressante dans le champ de la bande dessinée. C’est une conviction que j’ai toujours eue, mais je ne savais pas si cela allait être entendu ou reçu. Il y a eu assez de public pour que je sois encore là aujourd’hui.
Pourquoi L'Autoroute du soleil est-il paru simultanément au Japon ?
Il s’est passé du temps depuis Quéquette Blues. Entre temps j’avais fait un bouquin chez Futuropolis, Cours camarade chez Albin Michel, Le Chemin de l’Amérique, qui a eu le prix du meilleur album à Angoulême, et seulement ensuite j’ai fait l’Autoroute du soleil. Mais en fait, ce n’est pas une sortie simultanée, c’est un travail de commande de l’éditeur japonais Kodansha, et c’est seulement après que les droits pour l’étranger ont été cédés à Casterman pour l’exploitation française. Cette démarche de l’éditeur japonais était surprenante, mais je n’étais pas seul dans cette situation, nous étions une dizaine ; il y avait Edmond Baudoin, Alex Varenne, des Américains, des italiens, des Espagnols… Le but était d’ouvrir un petit peu les fenêtres dans l’industrie du manga, de façon à ce que les Japonais voient qu’il existe autre chose que le manga. Cette démarche, qui n’était pas philanthropique, dénotait une certaine curiosité et je trouve ça plutôt élégant. Vous savez qu’au Japon, un manga qui marche bien se vend à deux millions d’exemplaires. Et bien sûr, chez tous les concurrents un manga similaire apparaît. Ils ont une certaine capacité à pomper ce qui marche pour que ça fonctionne aussi chez eux. A l’époque leur industrie commençait à tourner en rond, et ils ont senti venir la mort de celle-ci. Ils sont venus chercher du sang neuf chez nous… Mais ça n’a pas marché. Par contre l’inverse fonctionne bien, les mangas se sont bien implantés ici.
La séries Les Années Spoutnik, en partie autobiographique, est-elle vraiment arrêtée ou pensez-vous y revenir un jour ?
Elle est autobiographique à ma manière, à celle d’Etienne Davodeau ou de Jean-Claude Denis… En fait c’est un yaourt avec des morceaux d’autobiographie dedans. Le reste c’est de l’invention ; on est des menteurs professionnels. A partir du moment où tu te fabriques une image que tu veux bien montrer aux autres, tu mens un peu, tu composes. Il y a une mode autobiographique actuelle, mais à mon avis elle est sur la fin. Pour revenir à la question, j’aime beaucoup les personnages des Années Spoutnik, et peut-être qu’un jour je les reprendrai pour faire quelque chose dans la même veine, pour approfondir. Les Années Spoutnik, c’est quatre albums, mais ç’aurait pu n’en faire qu’un seul ; il y a cependant, à mon avis, une complétude, deux niveaux de lecture dans ce cycle qui fait que je ne ressens pas l’envie d’y revenir. Si j’y reviens, ce serait par pur plaisir, car c’est une série que j’aime beaucoup, plus par exemple que l’Autoroute du soleil. Entre le monde des adultes, celui de l’enfance, une métaphore sur la marche du monde, sur la question de l’avenir quand on est gamin, sur le déplacement social, tout cela est présent dans les Années Spoutnik. Pour moi c’est un bon concentré des questions que je me pose et de mon travail d’auteur, si je puis avoir cette prétention de penser que j’en suis un.
Bonne année, qui verse un peu dans la SF, a dérouté un certain nombre de lecteurs… si c’était à refaire, placeriez-vous cette histoire dans le même cadre ?
Ah oui complètement. J’ai fait ça dans la foulée de l’Autoroute du soleil, dont il est quasiment un complément, et je suis parti en fait d’une hypothèse un peu farfelue qui est « et si Le Pen parvenait au pouvoir, qu’est-ce que ça donnerait ? ». C’était dans l’air du temps à l’époque, en 1998, et il y avait une montée assez forte du Front national. Et ça a donné 2002 après. Je ne veux pas dire que j’avais prévu ce qui allait se passer, je n’ai pas cette prétention, mais je voulais montrer un possible, ça avait l’air d’une blague, mais cette éventualité n’était pas si folle…
Un petit mot sur "Tooloose", ce collectif réalisé en 2007 pour Casterman ?
C’est typiquement un travail de commande pour des gens sympathiques. Donc ça ne se refuse pas, et quand on s’apprécie, on peut faire un bout de route ensemble. On m’a alors associé à Jean-Bernard Pouy, un écrivain que j’adore, et avec lequel j’avais déjà travaillé pour illustrer une de ses nouvelles auparavant.
Pauvres zhéros est, à ma connaissance, le premier album dont vous n’avez pas écrit l’histoire originale. Qu’est-ce qui vous a motivé à le faire ?
Je n’ai pas écrit l’histoire, mais j’ai fait le scénario. C’est la condition sine qua non pour que je collabore, c’est que j’adapte et que j’aie toute la liberté pour le faire. Je ne veux pas avoir l’auteur sur le dos pour me dire « ça je ne veux pas, ça je veux», etc. Là ça s’est bien passé, je connaissais Pelot, et la part de son œuvre que j’admire le plus c’est ses romans noirs. Celui-ci en faisait partie, et représente pour moi en quelque sorte la quintessence de la noiritude -pour parodier une certaine candidate à l’élection présidentielle-, et j’ai vraiment été en adéquation totale avec ce livre-là. Et je trouve que le résultat est très respectueux de l’esprit de l’ouvrage de départ, j’étais assez content de l’adaptation. Le résultat graphique, ce n’est pas à moi d’en juger, je laisse ça au public. Pour moi le roman noir c’est vraiment de la littérature contemporaine, c’est celle qui parle le mieux de la marche du monde, en tous les cas la plus adaptée pour en parler. En plus avec Pelot, on part du même endroit, non seulement géographique puisqu’il est de la région aussi, mais aussi intellectuel, pour parler de la marche du monde. En plus on est quasiment de la même génération.
L’année dernière Casterman a réédité Bonne année sous le titre Noir, avec deux récits courts inédits. Comment se fait le choix de telles rééditions ?
C’est la couleur qui a présidé ce choix (rires). D’où le titre en clin d’œil. Généralement les titres c’est moi qui les choisis. Là le point commun c’est qu’ils sont tous les trois en noir et blanc. Outre Bonne année, il y a une nouvelle qu’avait écrite Rodolphe, qui s’appelle Ballade irlandaise, avec un élément de bizarre ; le troisième récit est en fait le « brouillon » de Bonne année, une histoire courte qui avait été commandée par les Editions Autrement, une sorte de collectif qui s’appelait « avoir 20 ans en l’an 2000 ». Ce qui explique que cette petite histoire ait l’air de raconter la même chose que Bonne année. Du coup la ballade irlandaise fait un peu cheveu sur la soupe, mais comme c’était un récit inédit en France, j’y ai vu l’occasion de l’éditer.
Avez-vous d’autres récits restés inédits ?
Non, absolument rien.
Une bonne majorité de vos récits ont été publiés chez Casterman. Pourtant en 2010 vous passez chez Futuropolis. Quels sont vos critères pour proposer vos projets aux éditeurs ?
Je suis aussi passé chez Dargaud, Dupuis, Albin Michel. En 2004 j’ai fait l’Enragé chez Dupuis, où j’ai travaillé avec Claude Gendrot, qui lui est venu à Futuro. Et comme je l’aime bien, j’ai eu envie de retravailler avec lui, car je ne travaille qu’avec des gens que j’aime bien. Et puis le catalogue de cette maison est remarquable, et je suis très fier d’en être, d’autant plus que beaucoup de mes amis dans le milieu travaillent chez Futuropolis.
Fais péter les basses, Bruno ! est donc votre dernier album. Vous dites l’avoir largement improvisé, et le décrivez comme une « récréation » au sein de votre production. Pourquoi ?
C’était en effet une récréation, mais je savais tout à fait où j’allais. Quand je fais un livre, il est d’abord entièrement écrit. Maintenant il est même entièrement tapé à l’ordinateur, comme ça je le donne à lire à mon éditeur au préalable, mais je bétonne d’abord mon histoire, même si parfois au moment de dessiner je modifie des choses. Les deux bandes rivales, ce que j’appelle le nain jaune, c'est-à-dire le personnage qui se retrouve au milieu, tout ça était prévu dès le départ.
Avec un titre pareil, on aurait pu s’attendre à ce que le sujet soit la musique, or il n’en est rien, et le titre vient simplement d’une réplique qui semble anodine… Comment avez-vous choisi le titre ?
L’album est d’abord un hommage au cinéma de Georges Lautner et aux dialogues d’Audiard. Il y a d’ailleurs un titre qui m’avait marqué, qui était Le Cri du cormoran le soir au-dessus des jonques (1971), avec entre parenthèses « garanti sans jonque et sans cormoran ». Je voulais rester dans cet esprit, et donner un titre qui n’a quasiment rien à voir avec l’histoire, mis à part le fait que c’est une simple réplique. Mais ceci dit lorsque vous rentrez dans l’histoire vous vous rendez compte que ce choix n’est pas dû au hasard, car c’est un peu ce qui la caractérise ; ça pète dans tous les coins, ça flingue beaucoup, etc.
La boxe semble occuper une place privilégiée dans votre coeur. Avez-vous pratiqué le noble art vous-même ?
Je n’ai pas vraiment pratiqué la boxe. Je suis un ancien prof de gym, j’en ai fait un peu dans le cadre de l’apprentissage de ce métier, mais je n’aime pas du tout ça. Je déteste prendre des coups de poing dans la gueule, j’aime bien en donner, car ça y allait dans les bals quand j’étais jeune. Avec un copain on a voulu essayer, je lui ai donné deux coups, il m’en a rendu un, j’ai jeté les gants par terre, et j’ai quitté le ring pour ne jamais y remettre les pieds.
Par contre c’est pour moi une métaphore très puissante de la rage de vivre de certaines personnes pour s’arracher aux conditions du déterminisme social qui vous impose d’être là où vous êtes. Certaines personnes n’ont que ce moyen-là, leur corps et leur capacité à souffrir pour s’élever au-dessus de leur condition. J’aurais pu prendre le vélo pour représenter cela, mais j’ai horreur de dessiner des vélos. La boxe est beaucoup plus chorégraphique que la bicyclette. Ne dites pas ça à Lax, il m’en voudrait beaucoup (rires). Ils sont deux à traiter ce sujet via le vélo, Max Cabanes et lui.
Pouvez-vous imaginer quel album vous auriez sorti si vous aviez été issu d’une vieille famille aisée du Sud de la France ?
Il est très probable que je n’aurais jamais fait de bande dessinée. Je serais peut-être devenu arrogant et drogué. Non j’exagère bien sûr, mais je ne me suis pas mis à faire de la bande dessinée parce que j’aimais bien Tintin. J’avais le besoin, la nécessité d’exprimer quelque chose. Je n’ai pas fait de la Bd pour faire de la BD. J’avais des choses à dire, je voulais ramener ma gueule dans le champ public, et la bande dessinée m’apparaissait comme le medium le plus évident pour moi.
Seriez-vous prêt à collaborer avec un autre auteur, que ce soit au dessin ou au scénario ?
Comme je l’ai dit, tant que je peux m’approprier le texte original, pas de problème. Par contre écrire pour quelqu’un d’autre, je viens de le faire pour la première fois. Chez Casterman, j’ai écrit un scénario pour un jeune auteur qui s’appelle Pierre Place, on va voir ce que ça va donner.
Le besoin de faire des albums de bd n'est-il pas chez vous plus un besoin de VOUS raconter qu'un besoin de raconter des histoires ?
C’est possible. Je ne suis pas quelqu’un de modeste, je ne suis pas non plus bouffi d’orgueil, je suis orgueilleux normalement, du moins je l’espère. Je ne considère pas que ma vie intéresse quelqu’un d’autre que moi. Les éléments autobiographiques que j’insère dans mes histoires sont entretenus dans un flou, mais celui-ci participe à la bonne marche des histoires. En fait ce qui m’intéresse c’est de donner un point de vue sur le monde et la manière dont il va. Je ne raconte pas MA vie, je raconte LA vie. Avec un point de vue qui je l’espère rend les choses de la vie un peu plus compréhensibles, un peu plus perceptibles.
En 2010 vous voilà à nouveau récompensé à Angoulême avec le Grand Prix de la ville. Quel a été votre sentiment à l’énoncé du palmarès ?
Maintenant c’est à froid, mais sur le coup j’étais très content. Mais pour moi, c’était une vraie récompense, car pendant longtemps je pensais que je n’étais pas très légitime au sein du paysage de la bande dessinée. Maintenant, avec ce prix, et aussi ceux que j’ai eus précédemment, je sais que j’ai une vraie place dans la bande dessinée, après presque 30 ans de carrière… Vous savez la bande dessinée c’est un champ des possibles, et j’espère qu’on me reconnaîtra d’avoir un peu élargi ce champ des possibles. Ce n’est pas modeste ce que je viens de dire, c’est même limite prétentieux, mais c’est ce que j’espère.
En quoi consiste le « travail » d’un futur Président du festival ?
Le président fait l’affiche, préside des jurys pour distinguer certains bouquins, il a une exposition sur son travail, il va inviter des gens, et il peut donner une couleur à la manifestation, même si le gros de la manifestation est assuré par les professionnels. Je vais donc axer Angoulême 2011 sur ce qui fait l’essence de mon travail, sur les gens de peu, le monde ouvrier, et un truc supplémentaire, parce que je trouve que c’est complémentaire à la bande dessinée, c’est la musique. Donc il va y avoir un concert de dessins avec un groupe, la cérémonie de clôture sera également accompagnée de musique. Je suis aussi en train de monter un projet avec Bruno Théol, de BDJazz, un coffret de deux CD qui va s’appeler Rock n’roll antédiluvien, avec des morceaux composés avant les années 1950, et 31 auteurs qui vont illustrer chaque année, avec une exposition à la clé. C’est un boulot monstrueux, 30 auteurs à contacter, il va falloir que je m’y mette vraiment.
Quels sont vos projets ?
Pour l’heure aller à Angoulême, faire en sorte que ce festival soit plutôt plaisant, et enchaîner des festivals, des séances de dédicaces jusqu’en septembre prochain. Après je me remettrai au travail.
Baru, merci.
Merci à vous.
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