Auteurs et autrices / Interview de Nicolas Delestret
Rencontre avec un jeune auteur du Nord. Déjà remarqué pour son travail en tant que dessinateur sur « l’Homme qui rit », Nicolas Delestret récidive comme co-scénariste pour les enquêtes d’Andrew Barrymore.
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J'aime la musique, la bonne bouffe et les voyages. Je n'aime pas trop le soleil et les gens qui râlent. J'aime le froid du Nord et la pluie glaciale qui frappe mon visage en hiver. Je déteste le pollen qui me pollue les bronches les 3/4 de l'année. Je joue à temps (très) partiel de la clarinette et n'arrive pas à m'endormir si je n'ai pas un bon livre à me mettre sous la dent avant. Voilà, voilà, voilà …
Quelle est la première bande dessinée que tu as lue et dont tu te souviennes ?
Sylvain et Sylvette je pense. Mais impossible pour moi de le certifier, il y a toujours eu des bd chez mes parents, ça remonte trop loin pour m'en souvenir exactement.
Le premier personnage que tu as inventé ressemblait à quoi (j’ai cru entendre parler d’un bonhomme en fil de fer) ?
Ah oui ! En fait, ce bonhomme en fil de fer fut pour moi un bon moyen de passer mon temps en classe. Avec un ami, nous dessinions chacun notre tour une case (comme dans un cadavre exquis). Ne sachant pas dessiner, nous avons opté, en guise de héros, pour un bonhomme en fil de fer. C'était un jeu entre nous, faire intervenir dans la case quelque chose qui allait embêter l'autre pour la suite de l'histoire. Le bonhomme en fil de fer mourait souvent écrasé par un bus ou une voiture ...
C'est surtout, pour moi, le premier contact avec la narration et ça m'a donné goût à la bd : je me suis rendu compte que pour raconter une histoire il ne fallait pas forcément savoir « bien dessiner ». Sinon mes premiers vrais héros de bd ressemblaient à un mélange de Spirou et Fantasio et de Johan et Pirlouit.
C’est en Belgique que tu fais des études plus orientées vers la bande dessinée, notamment sous la direction d’Antonio Cossu. De ses talents de conteur ou de ceux de dessinateur, quel aspect de sa personnalité t’a le plus marqué ?
J'ai appris pas mal de choses là-bas grâce à Antonio Cossu (et aussi grâce à Thierry Umbreit, l'autre prof de l'atelier bd à l'époque). Antonio axe vraiment son cours sur l'importance primordiale de la narration : la bd est avant tout une histoire que l'on raconte avant d'être un « recueil » de jolis dessins. Il m'a aussi permis de m'ouvrir graphiquement a énormément de styles. Le contact avec les autres élèves fut aussi important de ce point de vue. Peu de gens connaissent maintenant les livres d'Antonio Cossu, pourtant un livre comme Histoires alarmantes, par exemple, vaut vraiment le détour tant pour le dessin que pour les scénarios.
As-tu gardé des contacts avec tes condisciples de l’époque ?
Oui. Rodéric Valembois (avec qui je travaille sur la série "Andrew Barrymore") est l'un d'eux. Je vois encore régulièrement Vanyda, François Duprat ou Gregory Charlet... Je pense que nos années d'études nous ont pas mal soudés.
Travailles-tu encore dans l’atelier de la Malterie ? Quels sont les différences entre le fait de travailler avec des collègues ou seul et bien au calme dans ton coin ?
J'ai travaillé quelques années à la Malterie mais je suis moins présent maintenant. Le travail en atelier permet d'échanger ou de confronter des idées et c'est plus pratique pour déconner et blaguer que seul à la maison. Mais, depuis quelques temps, je travaille plus souvent chez moi. Je passe de temps en temps faire un coucou à l'atelier et y réalise principalement mes crayonnés. Le fait de faire plus de scénarios joue sans doute beaucoup. Impossible pour moi d'écrire une ligne si je ne suis pas seul !
Tu es à la fois dessinateur et scénariste. Mais si tu ne devais choisir qu’un seul de ces des deux domaines, vers lequel ton cœur balancerait-il ?
Dur de répondre ! Ça dépend des jours. J'adore le scénario car l'écriture de l'histoire se fait plus rapidement que le dessin. Quand on est scénariste, on est « dans » l'histoire.
Le dessin prenant plus de temps, on s'éloigne parfois de ce que l'on raconte. Mais j'adore aussi mettre en scène les histoires et faire jouer les personnages : rechercher la mimique juste c'est génial. Je n'aime pas passer une journée sans griffonner. Bon, si je dois vraiment choisir, mon cœur pencherait peut-être pour le scénario accompagné du storyboard.
Ta première « apparition publique » s’effectue grâce à une illustration de "Nävis" pour un album hors série de Sillage. Comment es-tu arrivé sur ce projet ?
Je connaissais déjà Jean-David à l'époque. Nous étions en train de monter un premier projet du nom de « Dragon » ou peut-être étions nous déjà sur « l'homme qui rit » ... Bref… Il m'a proposé de faire une illustration pour Sillage et j'ai sauté sur l'occasion ! Ce fut ma première parution et aussi mon premier dessin colorisé à l'ordinateur !
Avec Jean-David Morvan, tu réalises ensuite L'Homme qui rit. Pourquoi après un seul tome en avoir changé le titre original (qui était "Lord Clancharlie") ?
Ça vient de décisions éditoriales. Lors de la réalisation du premier album, nous voulions, Jean-David et moi, le titre original du roman de Hugo (« l'Homme qui rit ») mais celui-ci nous fut refusé à l'époque car il existait déjà une adaptation bd qui portait ce nom (de Felipe chez Glénat). Nous avons donc dû trouver autre chose et ça devint : « Lord Clancharlie ».
Vint la sortie du bouquin et, malheureusement, le « Lord Clancharlie » avait subit quelques problèmes techniques : couleurs mal imprimées, hors-cases mal cadrés et disparitions d'onomatopées.
Entretemps, j'ai changé de technique de mise en couleurs sur le tome 2. Le rendu a tellement plu qu'on m'a proposé de refaire les couleurs du premier et de ressortir l'album avec le titre original du roman.
Cela devait redonner une chance à la série qui était un petit flop commercial.
As-tu eu ton mot à dire dans l’élaboration du scénario ?
Pas trop. Nous avons discuté de certaines scènes sur le tome 1 car nous ne les voyions pas de la même manière. Ensuite Jean-David a commencé à avoir beaucoup plus de travail et plus vraiment le temps de discuter. Mais je pense qu'il s'adapte au maximum à ses dessinateurs. Je lui avais dit que j'adorais particulièrement les dialogues de Hugo et je pense qu'il en a tenu compte.
Il laisse aussi une très grande liberté à la mise en scène. Certaines idées de découpage viennent entièrement de moi (par exemple, la scène des lords qui rigolent dans le tome 4).
Où en est le quatrième tome ? Une date de sortie est-elle déjà prévue ?
Je finis les couleurs. La sortie est normalement programmée entre avril et juin. Logiquement avril. Pour info, ce tome clôturera la série.
A côté de cette série, tu réalises des petites histoires complètes pour « Science et Vie junior ». Quelles sont les contraintes de ce genre de travail, Quel est ton espace de liberté ?
J'ai appris pas mal de choses en bossant pour eux et je n'ai eu aucune contrainte graphique si ce n'est de respecter les détails historiques. La seule vraie contrainte c'est le temps ! Il faut réaliser les pages très, très vite.
Outre l’aspect financier (et un abonnement gratuit à Science et Vie), que t’apporte la réalisation de ce genre de bande dessinée ?
C'est une excellente école, ça m'a obligé à aérer mon dessin et à avoir plus confiance en moi. Ici, pas question de mettre une multitude de détails pour donner l'impression que la case est superbe. J'ai testé différentes techniques que je m'interdisais en album. Sur ces formats courts, j'ai pu expérimenter.
Dernièrement est paru le premier tome des Enquêtes d'Andrew Barrymore. Les prémices de cette aventure datent déjà de début 2008. Peux-tu nous en dire plus sur les origines du projet ?
A l'époque Rodéric et moi arrivions très tôt le matin à l'atelier (entre 6h et 7h du mat’). Ça nous a laissé du temps pour travailler à deux sur Andrew Barrymore. Nous voulions, tous les deux, faire une histoire policière (le côté technique de l'écriture de ce type de scénario nous intéressait). Par contre, nous voulions placer cette histoire à une époque différente des classiques de la littérature. La fin du 19ème siècle aux États-Unis était idéale pour planter notre histoire. En plus, Rod rêvait de dessiner un western !
Est ce que c'est un hasard si le nom de votre personnage est le quasi homonyme de l'ex petite copine d'ET (je veux bien sûr parler de Drew Barrymore) ?
Oui et non, nous avions choisi le prénom Andrew mais pas encore son nom de famille et, en plaisantant, on a sorti ce jeu de mot ( Drew Barrymore - Andrew Barrymore ). Ça nous a fait rire et finalement on s'est dit que ça sonnait bien. On l'a donc gardé. Mais l'anecdote ne s'arrête pas là. J'ai découvert récemment que le vrai prénom de Drew Barrymore est, en fait, Andrew ! Nous avons donc réellement et sans le vouloir emprunté le véritable nom de l'actrice.
Tiens !? A nouveau, le titre a changé (mais cette fois avant même la parution). Décision des auteurs ou décision éditoriale ?
Nous pensions d'abord faire un « one-shot » d'où ce premier titre « un éléphant dans un magasin de porcelaine ». Finalement, Christel Hoolans (directrice éditoriale de Dargaud Benelux) nous a proposé d'en faire plutôt une série, si nous avions assez d'idées et surtout l'envie de le faire. Les idées débordaient et l'envie ne manquait pas ! C'est donc devenu une série pour laquelle le titre « un éléphant ... » ne correspondait plus. Nous ne pouvions pas non plus utiliser comme titre du premier album car il prenait dès lors trop de place avec « les enquêtes d'Andrew Barrymore ».
Il s’agit donc d’un choix d'auteurs dicté par la nécessité éditoriale.
Comment se passe la collaboration avec Rodéric Valambois pour l’élaboration des scénarios ? Vous répartissez-vous le travail ou tout se fait-il conjointement ?
On co-scénarise l'histoire ensemble et Rodéric se charge de toute la partie dessin.
Tout commence par des discussions sur l'histoire. Une fois que l'on commence à cerner notre sujet, on écrit plusieurs jets à deux mains, que l'on retouche l'un et l'autre jusqu'à ce que nous soyons satisfaits de l'histoire. Arrive l'étape du découpage écrit, dont je me charge.
Rodéric s'occupe ensuite du storyboard. On en discute à nouveau une fois ce storyboard fini, pour voir si l’on peut encore améliorer la fluidité, les dialogues ou les cadrages.
Un deuxième tome est prévu. As-tu déjà une idée de la date de sortie ? Et de son titre ?
Sortie en avril. Le titre sera normalement « Secrets de Famille ».
Comme tu es toi-même dessinateur, cela ne te démange pas de donner ta propre version graphique du personnage ? Tiens, d’ailleurs, d’où vient que c’est Rodéric Valambois et non toi qui dessine la série ?
C'est tout simple : il n'a jamais était question que je dessine cet album. Dès le début, on a écrit l'histoire pour Rodéric. En plus je suis complètement fan de son dessin ! On est souvent sur la même longueur d'onde, je n'ai donc jamais envie de gribouiller à sa place.
Pour moi c'est parfait, je peux faire mes premières armes (professionnellement parlant) au scénario sans devoir aussi m'inquiéter du dessin.
Une question que tu trouveras sans doute bizarre : as-tu une explication rationnelle à nous apporter au fait que tant de héros de bande dessinée sont roux ?
Euh, essayons...: C'est une couleur de cheveux qui ressort facilement dans n'importe quel décor et ça donne donc une certaine présence au héros ?
Ton éditeur s’attendait-il à un si bon accueil ? Les critiques sont en effet positives dans l’ensemble. La série a même trôné un bon bout de temps dans le top nouveautés de bdthèque !
Hé bien je n'en sais rien. Ce qui est sûr c'est que tous le monde (ou presque) était content du boulot qu'on avait effectué. On a de bonnes critiques, reste à voir si les ventes suivent.
Que répondrais-tu aux lecteurs qui reprochent à Barrymore son côté « moisi » (entends par là « bande dessinée d’une autre époque ») ?
Qu'effectivement la série est dans cet esprit, une bd avec une histoire par album, avec des ellipses et une narration plus classiques qui se concentre plus sur l'action que sur la psychologie. C'était voulu de notre part d'autant plus pour ce premier album qui est un hommage aux classiques de la bd et aux classiques de la littérature policière. Par contre, la série va évoluer, les personnages ont de l'importance et nous allons les approfondir. De même, toutes les enquêtes ne seront pas traitées à la manière d'un Hercule Poirot. Nous comptons bien surprendre notre lectorat tout en gardant cette ambiance à l'ancienne. Un mélange de modernité et de tradition, un peu comme le duo Jim-Andrew.
La composition de planches de « l’Homme qui rit » est très variée et moderne. Celle de « Barrymore » est, au contraire, très classique. Comment expliques-tu pareille différence ?
Narrativement les deux séries sont très différentes. L'homme qui rit a une narration plus cinématographique ou « expérimentale » pour certaines pages car ça sert mieux l'histoire ainsi. Pour Andrew Barrymore nous voulions quelques choses de facile d'accès et proche des bd que nous lisions enfants. Pas d'effets de manche superflus, pas de plongées/contre-plongées inutiles. L'histoire ne le nécessite pas.
La narration de l'homme qui rit est rythmée différemment avec des scènes d'ambiance muettes, des scènes d'action ou des monologues. Le premier album est plus cinématographique au niveau des cadrages car l'histoire est composée d'actions et de grands passages d'ambiance. A la différence, dans le tome 4 l'action est quasi inexistante, c'est quasi du monologue, on est dans la tête de Gwynplaine. Là, pour rendre la narration plus attrayante, j'ai expérimenté des mises en scène particulières plus « illustratives ». La mise en scène doit servir le propos et la narration, les choix se font en fonction de cela et pas pour des choix esthétiques.
As-tu encore d’autres projets dans tes cartons ? J’ai lu que tu songeais à un récit en petit format et à grosse pagination.
Plusieurs projets. Je finis « l'Homme qui rit » et une histoire courte pour un collectif avec J.-C. Derrien. Ensuite, je vais m'atteler à la mise au propre de nombreux scénarios qui trainent dans mes cartons. Tous très différents. « Dépendance », le projet petit format grosse pagination, est encore en gestation. Je dois trouver une technique efficace et rapide pour tenir la route dessus sans finir épuisé. C'est un huis-clos surréaliste qui se passe de nos jours.
Merci Nicolas pour ta disponibilité et bonne continuation dans ta carrière !
Merci à vous !
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