Auteurs et autrices / Interview de Pierre Boisserie
Pierre Boisserie est un touche-à-tout qui commence à accumuler les succès. Sa série Voyageur l’a placé également parmi les scénaristes aux multiples collaborateurs. Rencontre.
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Un rêveur né en 1964 dans une famille formidable qui, 46 ans plus tard fait partager ses rêves, ou ses cauchemars, à ses lecteurs.
Tu viens à la BD, en tant qu’auteur, un peu sur le tard, en tous les cas plus tard que beaucoup d’autres. Qu’as-tu fait auparavant ?
J’ai été kiné pendant une petite vingtaine d’années jusqu’à ma rencontre avec Eric Stalner en 1995 et le début de notre collaboration avec le premier tome de La Croix de Cazenac sorti en 1999. J’ai continué à exercer tout en écrivant jusqu’en 2004, date à laquelle j’ai définitivement abandonné la kinésithérapie pour me consacrer à temps plein au scénario.
Dans La Croix de Cazenac, le choix d'orienter l'histoire d’Etienne Cazenac vers le shamanisme m’a étonné... Pourquoi ce choix, alors que les premiers volumes semblaient prendre exclusivement la direction d'un récit historique ? As-tu des affinités avec le sujet, ou des références ?
En fait l’orientation vers le shamanisme était voulue dès le départ, ainsi que son apparition progressive au fil des tomes et ce dès le tome 2. Eric et moi avions des affinités avec le sujet de par nos lectures et nos parcours personnels.
Cela a dérouté plus d’un lecteur…
J’espère bien.
La série est-elle bien bouclée au 10ème tome ou va-t-elle connaître un épilogue ?
Ça ne dépend pas de nous. En tout cas pas de moi. Je ne demande qu’à remettre le couvert. Nous avions même dans l’idée de raconter des histoires parallèles de Victor ou Henri, voire même des descendants d’Etienne et de Victorien.
Referais-tu un conte dans la lignée du Chant des Malpas ?
Bien volontiers (voir les questions suivantes).
Comment as-tu découvert Bara, qui débutait alors sur cet album ?
C’est encore une fois Eric Stalner qui l’a repéré à Angoulême et me l’a présenté.
J’ai cru lire quelque part qu’une nouvelle collaboration avec lui était en cours… Est-ce toujours d’actualité ?
Excellente question. Bara avait passé 4 ans à faire le Chant des Malpas. Une fois l’album sorti, nous nous sommes dit qu’il faudrait remettre ça et nous avons démarré un nouveau projet dans le même type d’univers en plus fantastique. Mais après la moitié de l’album, Bara a arrêté de produire et le projet est au point mort depuis deux ans. À ma très grande tristesse…
Avec Nova Genesis puis Libera tu bascules vers le fantastique et la SF. Quelles sont tes références ?
Van Vogt, Asimov, Philip José Farmer, Robert Silverberg, l’incroyagle Dan Simmons et plus récemment Peter Hamilton. « Le monde du A » et « à la poursuite de Slans » restent des références absolues.
Aurais-tu aimé aller au bout de Libera ?
Bien sûr, mais là aussi, ce n’était pas gérable…
Pourquoi ? Peux-tu en dire plus ?
Silvio est un très grand dessinateur, un très grand illustrateur, mais il manque certainement de structure pour se livrer à l’exercice difficile de raconter une histoire en 46 pages. Il fourmille d’idées qu’il ne peut canaliser pour les mettre en ordre et en tirer un récit cohérent. L’histoire de Libera était pourtant riche, peut-être trop…
Voyageur fait partie de ces séries à dessinateurs multiples. Quelle a été la genèse de cette histoire ?
En 2004, j’ai soumis mon idée à Didier Convard, qui avait encore à cette époque des responsabilités éditoriales chez Glénat. Il a tout de suite accroché au concept. Nous nous sommes mis à développer les idées de base avec Eric Stalner. Le projet les a séduits et nous nous sommes lancés dans la grande aventure.
Pourquoi avoir choisi ces auteurs-là ?
Nous avons proposé d’abord aux copains avec qui nous avions des affinités naturelles et bien sûr, une envie de travailler. Après la répartition sur les différentes époques s’est faite assez naturellement.
"Voyageur" est une sorte de Juif errant moderne. Eugène Sue a-t-il fait partie de tes inspirations ?
Toute la littérature feuilletonnesque de cette époque est une de mes influences majeures que ce soient Eugène Sue, Dumas, bien sûr, Zévaco, Paul Féval, etc.
Le style rétrofuturiste mis en images par Stalner sur le segment futur était-il voulu, ou est-ce juste le choix du dessinateur ?
C’était le choix d’Eric, mais nous étions d’accord sur l’angle d’un futur pas très propre et déliquescent. D’ailleurs quand on voit la situation de certains Etats dont les dettes sont en passe d’être rachetées par des établissements privés, on se dit que nous ne sommes pas très loin d’un futur probable…
Pourquoi Siro et Rollin se partagent-ils le dessin du cycle Passé ?
En fait, il y aura quatre dessinateurs sur le cycle Passé, chacun illustrant une époque différente : Rollin pour le Moyen-Âge ; Siro pour l’Occupation ; Lambert pour le 17ème et enfin Liberge pour l’Antiquité.
La série s’arrêtera-t-elle à 13 tomes, comme initialement prévu ?
Bien sûr. Liberge a déjà fait la moitié du tome 12 et nous avons commencé à travailler sur le 13ème et dernier tome avec Guarnido le mois dernier.
Le tome 3 du Temps des cités est sorti récemment, bouclant le triptyque. Tu dis tenir beaucoup à cette série, pourquoi ?
Je me suis trouvé immédiatement en osmose parfaite avec les personnages dont j’ai suivi le parcours en me laissant mener par eux. Nous nous sommes inspirés de la vie et la mort de vrais caïds des banlieues et toutes ces histoires ont quelque chose d’à la fois tragique et de terriblement humain. Nous aurions bien continué plus avant, mais le sujet difficile des banlieues n’a pas mobilisé les foules… Une intégrale en petit format est prévue pour cet été pour donner une deuxième chance à Momo et ses potes.
Dantès s’inscrit dans une longue mode de thrillers financiers. Selon toi, qu’est-ce qui en fait l’originalité ?
Son ancrage prémonitoire dans la réalité, merci Jérôme. Et le travail sur les personnages que nous avons voulus le plus humains possible. La finance est un milieu qui peut donner lieu à tous les fantasmes, mais il n’est en fait qu’un catalyseur qui démultiplie les travers humains.
L’un de tes derniers albums, La Droite !, est une sorte d’historique de la droite française au travers de la personne de Charles Pasqua. Pourquoi ne pas avoir fait comme tout le monde et avoir fait un bouquin sur Sarkozy ?
La réponse est dans la question. Et, même si Sarko est un des personnages du livre nous ne souhaitions pas lui donner plus d’importance qu’il n’en mérite.
Sur cet album tu as collaboré avec Frédéric Ploquin, déjà ton complice sur le Temps des Cités. Comment vous êtes-vous réparti le travail ?
Frédéric s’occupe principalement du travail de recherche et de documentation. Nous élaborons la trame de l’histoire ensemble, puis je fais tout le travail de découpage et de dialogue de mon côté.
Quelles ont été vos sources d’information ? L’album est franchement réussi !
Merci. C’est bien mon avis aussi, même s’il est effectivement moins tape à l’œil que d’autres. Frédéric a fait un gros travail de recherche dans les différentes biographies des personnages concernés et dans la presse des différentes époques traitées.
Tes dernières séries sont toutes sorties chez 12bis… Qu’as-tu trouvé chez cet éditeur ?
De l’amour ! Sans déconner, c’est une structure à taille humaine où le travail d’éditeur prend tout son sens. Je m’y sens parfaitement à l’aise. J’espère que cette belle aventure va aboutir sur quelque chose de durable avec la reconnaissance des lecteurs.
Tu t’es attaqué à Robin des Bois, un personnage déjà largement traité en BD (notre thème sur bdtheque comporte une dizaine de titres) ; qu’as-tu eu envie de raconter ?
J’ai eu envie, là aussi, de rendre Robin et ses compagnons plus humains, donnant à chacun des motivations et une histoire cohérente fédérant toutes les versions connues. Avec dans la mesure du possible des petites astuces narratives détournant les côtés les plus connus et rebattus de la légende.
C’est donc une version romancée, ou fantasmée de l’histoire. C’est intéressant de voir comme ce personnage inspire les auteurs. Sa dimension archétypale, peut-être ?
Certainement. Il n’existe pas d’histoire fondatrice du mythe de Robin des Bois. Son histoire est un agrégat de gestes, de légendes, de romans, de pièces de théâtre et de films. À partir de là, chacun porte sa propre vision du personnage qui symbolise la lutte contre le pouvoir et le désir d’égalité.
Tu as fait plus de 10 albums avec Eric Stalner… Qu’a-t-il de plus ? Avez-vous d’autres projets communs ?
Écrire une histoire avec une autre personne implique d’avoir une histoire personnelle avec cette personne. Avec Eric, ce sont les liens invisibles d’une amitié que je serais bien incapable d’expliquer, et c’est ce qui la rend si belle. Après Voyageur, nous n’aurons plus de projet ensemble. Cela fait dix ans que nous collaborons non-stop sur des projets qui se sont enchaînés les uns aux autres sans avoir vraiment contrôlé le rythme. Cette fois-ci, nous voulons prendre notre temps pour préparer notre prochain projet tranquillement.
Vous avez développé ensemble Flor de Luna, mais Stalner laisse finalement la place à Lambert…
Oui, c’est une conséquence du manque de contrôle du rythme. Nous avions trop de choses sur le feu en même temps. Eric va retravailler avec son frère et moi je continue Flor avec Eric Lambert.
Après 10 séries et 40 albums, quel regard portes-tu sur ta carrière d’auteur ?
C’est assez délicat de répondre à cette question. Je ne suis pas le mieux placé. De grandes satisfactions, bien sûr. Le bonheur d’exercer un métier formidable avec une très grande liberté. Et en même temps, des questions plus sur l’avenir que sur le passé. Le secteur est en crise, comme tous les secteurs me direz-vous, et il faut constamment se remettre en question et ne pas céder à la facilité
Quels sont tes autres projets ?
Chez Glénat, Voyageur sera bouclé en mai l’année prochaine après presque 7 ans de travail. Un nouveau cycle de Flor de Luna est prévu pour début 2012.
Et nous commençons une nouvelle série médiévale, mais pas que, avec Lucien Rollin en avril 2011 qui s’appellera Nakara.
Chez Dargaud, le tome 5 de Dantès est déjà bien avancé. Je sais que beaucoup de lecteurs se demandent bien ce qu’on va pouvoir raconter après le tome 4. Franchement, je pense qu’ils ne seront pas déçus par la surprise… La série de base est prévue en six tomes et après, on verra. L’actualité financière est si riche et imprévue…
Philippe Guillaume et moi travaillons d’ailleurs pour Dargaud sur un autre scénario autour de la finance, mais sous un tout autre angle, plus historique cette fois-ci.
Et je commence à travailler avec Georges Abolin sur une histoire dans les milieux du surf qui se situerait quelque part entre Point Break et Into the Wild.
Le héros plaque donc tout pour aller au milieu de l’océan et vivre pleinement son histoire d’amour avec sa planche de surf ?
En quelque sorte. À la suite d’un conflit familial, Patxi, notre héros, part sur les traces de son père, d’un spot de surf à l’autre, tout autour du monde, où il sera confronté à chaque fois à des enjeux écologiques, économiques, sociaux, politiques, policiers ou même sentimentaux.
Chez 12bis, nous avons commencé le troisième tome du triptyque Robin prévu pour l’année prochaine.
Comme nous sommes plutôt bien latéralisés, et pour équilibrer les choses, La Gauche est déjà en chantier avec mes compères Ploquin et Gros.
Et deux nouvelles séries sont prévues au programme.
La première avec Frédéric Ploquin et Siro au dessin sur le Mossad où l’on parlera du passé et du présent plus ou moins glorieux du plus fascinant des services d’espionnage.
Et, dans un tout autre genre, avec Malo Kerfriden, nous travaillons sur une histoire de virus qui a infecté tous les enfants de la planète, les transformant en machine à tuer les adultes. Nous suivrons le parcours d’une femme prête à tout pour sauver son enfant dans une France en état de guerre civile.
Pierre, merci.
Des planches de projets en cours de Pierre Boisserie :
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