Auteurs et autrices / Interview de Philippe Sternis
Mal connu du grand public, Philippe Sternis a cependant déjà collaboré avec des scénaristes aussi renommés que Patrick Cothias, Régis Loisel ou Claude Carré. Discret ces dernières années, il s’est rappelé à notre souvenir en 2010 grâce à un nouvel album très personnel, « le Corbeau et autres meurtres noirs » édité chez Fugues-en-Bulles.
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Bonjour. Pas facile de se présenter… Disons que je démarre ma 59e année de vie, que cela fait bientôt 37 ans que j’ai vu ma première bd publiée, dans la revue « Record », chez Bayard, que j’ai fait pas mal de musique aussi (et encore maintenant !!!), trois enfants, deux mariages (mais pas d’enterrements…), un peu de football, et que la vie d’un auteur de BD n’est certainement pas un long fleuve tranquille…
Qui vous a donné le virus de la bande dessinée ?
Un bouquin, trouvé par hasard dans une librairie du coin, devenu depuis LA référence en matière de Bande Dessinée : « Comment on devient créateur de bandes dessinées », Franquin et Gillain y répondaient aux questions de Philippe Vandooren, et le livre était paru chez Marabout en 1969 !!! Un monument !! Toujours d’actualité ! Après sa lecture, je me suis dit que c’était un bien beau métier que celui de créateur de BD … Et je me suis mis à penser que je pourrais peut-être m’y lancer, dans cette aventure !! Pourtant, à la fin du livre, on était prévenu de toutes les difficultés qu’on allait rencontrer ! Et c’était tellement vrai !
Quand avez-vous décidé de devenir dessinateur ?
Après la lecture du bouquin dont je viens de parler, j’ai appelé au téléphone Joseph Gillain en personne (son numéro était dans l’annuaire), et je lui ai parlé une bonne demi-heure… C’était incroyable, je pouvais discuter en direct avec LE dessinateur qui était dans le livre… Et il m’avait écouté patiemment lui parler de mon envie de faire de la BD, et de mon admiration pour son travail !! Je garde un souvenir ému de cette conversation… Il m’a demandé de lui envoyer mes premiers essais, ce que j’ai fait… et il m’a répondu par une lettre manuscrite (que je garde précieusement, et que je relis de temps à autres dans les moments de doute …), où il critiquait franchement mes dessins… Mais je ne me suis pas découragé, et je crois que c’est à cette époque que j’ai décidé de faire de la BD !
Votre premier album a été « 100.000 dollars pour un troupeau ». Pourriez-vous nous en dire un mot ?
Ce n’est pas vraiment mon premier album, puisqu’avant, j’ai réalisé quatre albums de commande pour l’Afrique, très mauvais et qu’il vaut mieux oublier bien vite ! (Ceci dit, on apprend aussi le métier comme ça…)
On peut dire que « 100.000 dollars pour un troupeau » (ce piètre titre que je n’ai pu faire changer par l’éditeur m’a longtemps désespéré… !), est mon premier véritable album de bd en tant qu’auteur. J’étais fan de Western à l’époque et, comme beaucoup de mes confrères, j’avais été vraiment impressionné par le diptyque Blueberry de Giraud, le fameux « la mine de l’allemand perdu » et « le spectre aux balles d’or » (voilà de chouettes titres !) extraordinaire et influencé par le cinéma de Sergio Leone… Une véritable claque graphique et narrative ! Un sommet ! D’ailleurs, beaucoup de copains auteurs débutants de l’époque essayaient tant bien que mal de « faire du Gir », et moi aussi, bien sûr !
Mais j’étais tout content d’avoir un vrai Western à dessiner… Sauf que c’était une BD avec une nette orientation pédagogique et un dossier sur la vie des cow-boys à la fin de l’album, dossier dessiné d’ailleurs par un autre illustrateur… Et pour couronner le tout, le bouquin a été complètement saccagé par l’impression, il est moche et je dois dire que j’ai été vachement déçu par le résultat, chose que l’on voit moins maintenant, même pour les débutants !
Mais il y a certains de mes lecteurs qui me l’apportent parfois à dédicacer dans les festivals, comme quoi, cette BD a peut-être un certain charme...
Avec cet album puis « la Guerre de Sécession », vous vous êtes essayé à la bande dessinée historique. Cette voie vous inspirait-elle ?
Non, pas vraiment. En fait, j’ai été flatté que Larousse me propose un album sur la Guerre de sécession, tout simplement parce que le sujet m’intéressait beaucoup et qu’on était proche du Western avec cette période sombre de l’histoire américaine. Mais là aussi, j’ai assez vite déchanté, car c’était encore une BD à vocation pédagogique (Larousse oblige…), visant plus un public de passionnés de batailles militaires, d’uniformes, etc…, que le public de Blueberry, Comanche et autres Buddy Longway… Je me suis donc astreint à un dessin méticuleux, au rotring, soutenu par une tonne de documentation …. A noter toutefois que les couleurs sont de Jean-Jacques Chagnaud, donc réussies !
Je n’ai pas réalisé mon rêve de dessiner un véritable Western... mais je n’ai pas renoncé à en faire un si je trouve un scénario qui m’inspire...
Sur le plan Bande Dessinée historique, j’avais en projet dans les années 1985 de faire une BD sur « Marion du Faouët », une héroïne réelle de la Bretagne en 1750, qui aurait fait une bien belle BD, mais j’avais entendu dire à ce moment là que Bourgeon planchait sur ce personnage... J’ai donc abandonné le projet, mais finalement, Bourgeon ne l’a pas fait !!! Mais j’étais passé à autre chose entretemps. Il y a eu un téléfilm sur « Marion » il y a quelques années... mais j’ai trouvé que ça manquait de souffle...
Et voilà tout pour mes envies de Bd historique...
Pour vous, les choses sérieuses débutent en 1982 avec Snark saga. Quel regard jetez-vous sur la série 28 ans plus tard ?
Un regard attendri, bien sûr, parce que beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis. Snark saga a été mon premier véritable album d’auteur de BD, c’est à dire que ce n’était plus un album de commande, mais un album d’envie !
En fait, j’avais enfin compris qu’en bande dessinée, vu le temps qu’il faut pour la réaliser, il vaut mieux plancher sur un sujet ou scénario qui nous motive un maximum sinon, c’est peine perdue et le public s’aperçoit assez vite que l’auteur s’ennuie (pour être poli !). Et pour être motivé, il fallait que je bosse avec quelqu’un de très motivé, voire ambitieux dans le bon sens du terme... Coup de bol, j’avais rencontré par hasard Patrick Cothias (et Régis Loisel d’ailleurs...) peu de temps auparavant, et Patrick m’avait dit avec son humour décalé que si je cherchais un jour un BON scénariste, je n’avais qu’à faire appel à lui !!
Je m’en suis souvenu. En plus, j’avais lu de bonnes critiques de son boulot sur Masquerouge avec Juillard, qui paraissait dans Pif ! Je l’ai donc contacté et il avait déjà Snark saga dans ses tiroirs (prévu en 4 tomes), série prise par Bayard pour Okapi... mais la dessinatrice pressentie par Okapi ne disait rien à Patrick alors, il m’a incité à faire des essais... Le scénario m’a emballé, et ça a marché !!! L’aventure a donc commencé ainsi et je bossais dur mais avec plaisir sur ma planche. J’étais aussi à la recherche d’un style. C’était une obsession, cette histoire de style... alors que bien souvent, on a déjà son propre style sans s’en rendre compte... mais j’y reviendrai...
Il faut noter que déjà à l’époque, Patrick avait pas mal de scénarios dans ses valises, dont beaucoup ont vu le jour par la suite sous la plume de différents dessineux, et dont certains ont été des best-sellers !
Comment se passaient les publications dans Okapi à l'époque ? Comment les auteurs étaient-ils contactés ? Quelle était l'ambiance ?
Je ne sais pas trop comment ils contactaient leurs auteurs à Okapi, puisque je suis entré chez eux par le biais de Patrick Cothias et de son histoire déjà acceptée ! Mais j’imagine que, comme ailleurs, ils avaient des projets éditoriaux, des envies, et cherchaient les auteurs correspondant le mieux à ces projets...
A l’époque, l’ambiance était vraiment bonne, enthousiaste même, car le secteur BD était mené par Xavier Séguin, qui était un vrai fan et connaisseur de BD, lui-même scénariste, et il voulait amener Okapi à sortir de son côté bien pensant, et à publier de la « vraie » BD, de vraies aventures, sans que les auteurs ne se sentent trop coincés, tout en restant bien sûr pour une revue ciblée en direction des ados. Il faut signaler qu’à l’époque, Xavier a quand même fait venir à Okapi des gens comme Wininger, Arno, Adamov, Jéronaton, Boilet, et j’en passe pas mal d’autres, qui sont devenus ensuite des grands, évidemment chez d’autres éditeurs.
Pour Snark saga, Okapi a demandé en cours de route à Patrick Cothias de réduire la voilure et nous avons conclu la série en seulement 2 albums au lieu des 4 initialement prévus ! Mais c’était peut-être mieux comme ça... et c’est aussi à cette époque-là que j’ai commencé à me rendre compte que je n’avais pas le tempérament ni l’endurance nécessaire pour travailler sur des séries de longue haleine !
Et je crois bien que le tome 1 de Snark saga, « l’oiseau bleu », est le premier album d’auteur publié de Patrick Cothias, il fallait le dire !
Après Snark saga, vous publiez, toujours chez Okapi et toujours avec Patrick Cothias, Trafic. Cet album, qui avait pourtant reçu un bon accueil de la part du milieu de la bande dessinée (Prix Alfred Enfant à Angoulême en 1985) ne connaîtra pas de suite. Pourquoi ?
Pour Trafic, il s’est produit deux choses.
D’abord, un peu comme pour Snark saga, Patrick avait prévu l’histoire en 2 tomes, mais Okapi lui a demandé de réduire à un seul, ce qui a eu pour effet de concentrer le scénario. Le bon côté est que cela nous a permis de conclure en un album une histoire dense, et cela nous a valu « l’Alfred Enfant » à Angoulême 1985 (Tardi Grand Prix cette année-là !), et c’est la première fois que Bayard recevait un prix dans un grand festival BD... Ce n’était pas rien !
La deuxième chose est que Xavier Seguin venait de partir à ce moment-là, et il a été remplacé à la rédaction en chef d’Okapi par... Jean-Claude Forest !!! J’ai beaucoup de respect pour l’œuvre de Forest et pour la personne mais il faut reconnaître qu’il n’a pas voulu aller dans la continuité. Et, au lieu de donner une suite à Trafic, comme beaucoup à Bayard le souhaitaient (grâce à la reconnaissance que nous avait donnée notre Prix tout neuf), il a voulu changer et amener SES auteurs. Patrick a pu rester un moment à Okapi sous la houlette de Forest, avec d’autres dessinateurs, mais moi, je me suis retrouvé « gros jean comme devant », sans rien, alors que le Prix m’avait donné une confiance toute neuve !!!
J’en profite pour ajouter qu’en bande dessinée, la réussite d’un auteur n’est pas seulement liée à son talent. Les bonnes rencontres sont très importantes, et les mauvaises assez terribles ! C’est à dire que la relation que vous avez avec votre « directeur de collection » est primordiale. Il faut que ça se passe bien humainement, que vous sentiez qu’il croit en vous et en votre travail, qu’il vous pousse à donner le meilleur de vous même, et surtout en confiance... C’est loin d’être toujours le cas, et ce qui m’est arrivé avec Forest à ce moment-là m’est resté en travers de la gorge… et j’ai connu d’autres déboires similaires mais j’y reviendrai un peu plus loin. En tout état de cause, Trafic en est resté là, et c’est bien dommage car c’était un univers qui me plaisait bien.
Puis vient Memory et ses insectes gloutons. C’est à ce jour votre dernière collaboration avec Patrick Cothias. Pourquoi ? Restez-vous encore en contact ?
Memory était un projet que Patrick et moi avions monté en même temps que Trafic. Il était en « attente » chez Glénat et, quand nous avons reçu ce prix à Angoulême, Henri Filippini de Glénat n’a pas traîné et nous a contactés aussitôt ! Et nous avons signé et commencé dans la foulée …
Et ça tombait très bien pour moi, car comme je l’ai expliqué plus haut, je me retrouvais au « chômage » avec mon prix d’Angoulême. Memory a connu 3 albums, qui se sont bien vendus au début. Puis les ventes ont baissé et, comme ça arrive souvent dans ces cas-là, l’éditeur a décidé d’arrêter. Il y avait 7 albums de prévus... mais Patrick aime bien le chiffre 7 et a réalisé, associé au talent d’André Juillard, le succès que l’on connaît avec Les 7 vies de l'épervier !!! Quand Memory s’est arrêté, Patrick avait dans ses tiroirs pas mal de scénars, dont Le Lièvre de Mars qui m’attirait bien. J’ai fait quelques recherches sur le personnage, et puis basta ! Patrick avait du succès, il bossait avec des dessinateurs de renom, il avait des séries qui « cartonnaient », et je me suis éloigné de moi-même... sans rancœur. On est restés un peu en contact, puis plus du tout.
Je constate avec plaisir qu’aujourd’hui, en 2010, il revient à la BD, avec de bien beaux projets, car Patrick Cothias est un grand scénariste, qui donne du souffle à ses histoires, dans la lignée des Charlier et autres grands noms du même acabit ! Bravo !!!
Bien ! Je reviens à mes moutons... A cette époque-là donc (1987), je commençais à être sérieusement titillé par l’envie de m’essayer au scénario, de faire un album entièrement à « moi » et, curieusement, c’est Jean-Claude Forest (encore lui...) qui m’en a donné l’occasion... C’est ce que nous allons voir maintenant...
Mouche est votre première série 100% personnelle. Gardez-vous une affection particulière pour ce personnage ?
J’ai bien sûr une affection particulière pour Mouche puisque c’est le premier personnage avec lequel je me suis essayé au scénario. Je suis donc devenu, avec Mouche, un auteur complet (ça fait pompeux, mais bon...), car j’assurais aussi les couleurs.
Forest était donc aux commandes d’Okapi depuis deux ans quand, suprise, il me téléphone... Je ne sais pas si Bayard l’avait poussé à me recontacter, ou s’il l’a fait de sa propre initiative... Je dois dire que Jean-Claude Forest était quelqu’un de très fin, très agréable et cultivé, et j’ai eu la chance d’aller chez lui et d’admirer un grand nombre de ses planches... Cela reste un chouette souvenir... Toujours est-il qu’il m’a invité au resto et proposé de travailler de nouveau pour Okapi, ce que j’ai accepté bien entendu, mais à mes conditions ! C’est à dire que je voulais de la liberté dans la création, et un tarif intéressant. Il n’y a pas eu de souci et j’en ai donc profité pour me lancer avec Mouche, personnage que j’avais en gestation depuis quelque temps.
J’ai toujours bien aimé dessiner les héroïnes. Il y en avait déjà une dans Snark saga, puis dans Trafic, et, pour Mouche, j’ai continué avec l’idée de mettre en scène un personnage féminin pour ados, mignonne mais pas bêbête... Un personnage avec du caractère, qui n’ait pas froid aux yeux etc. Mouche est une espèce de « garçon manqué » mais quand même assez féminine. Du moins, c’est que je souhaitais. Je ne sais pas si j’y suis arrivé...
Deux tomes étaient parus chez Bayard. Un seul a été réédité en 2005 chez « Des Ronds dans l'O ». Aurons-nous la chance de retrouver Mouche dans l’avenir au travers d’une réédition ou, rêvons un peu, de nouvelles aventures ?
A priori, je ne pense pas qu’il y aura d’autres rééditions ni de nouvelles aventures. En fait, en 1992 j’avais dans mes tiroirs un troisième scénario de « Mouche » , qui s’appelait « Les oiseaux de nuit », qui me plaisait beaucoup et que je n’ai même pas proposé à Bayard car j’estimais qu’ils ne faisaient pas correctement leur travail d’éditeur, ne donnant pas vraiment ses chances à une BD comme Mouche de se faire remarquer en album, du fait de leur peu de dynamisme éditorial. Bayard ne savait pas faire de l’édition de bande dessinée (et ne sait pas beaucoup mieux le faire aujourd’hui). Le vrai truc de Bayard, c’est la presse jeunesse, et là, ils sont forts, hyper rôdés, et ils occupent très bien le marché, malgré de nouveaux éditeurs qui pointent leur nez, et c’est tant mieux !
Donc, je me suis découragé face aux ventes moyennes de Mouche en album, et je me suis dit qu’il me fallait un « véritable » éditeur de BD mais dans l’idée de continuer Mouche ailleurs, car cette héroïne me tenait à cœur. Bayard a accepté que Mouche paraisse dans leur revue, Okapi, et soit édité chez un autre éditeur en album, c’était un énorme progrès ! J’avais négocié cela, et ouvert la voie à d’autres, comme Tito, dont Tendre banlieue paraît toujours dans Okapi, et est édité en album chez Casterman, ce qui lui vaut une diffusion tout à fait honorable.
J’ai donc commencé une tournée des grands éditeurs en leur proposant d’éditer Mouche et d’en faire une grande série pour ados. Glénat, chez qui j’avais fait Memory, a d’abord accepté puis s’est ravisé en augurant que la BD pour ados était en perte de vitesse... Jérome K Jérome Bloche est encore là de nos jours pour prouver le contraire. Pour la petite histoire, on avait d’ailleurs prévu avec Alain Dodier de faire se croiser nos deux héros au cours de l’une de leurs aventures respectives ! Dommage !!
Effectivement !
Bref, l’accueil des éditeurs n’a pas été favorable à Mouche mais, par contre, Dargaud s’est montré intéressé par mon travail et m’a ouvert les portes si je leur proposais un autre projet tout neuf ! J’ai donc remisé Mouche au fond d’un des nombreux tiroirs de mon atelier...
En 1994 sort Solo (Dargaud), issu d’une collaboration avec Claude Carré. Ce dernier a pris ses distances d’avec le monde de la bande dessinée. Est-ce la cause de l’abandon de la série ?
Non, c’est un autre problème, et je vais y revenir.
Comme je viens de le dire, Dargaud m’a ouvert ses portes en 1992, mais il me fallait un nouveau projet ! J’ai pensé qu’il valait mieux que je rebosse avec un scénariste tourné vers une forme de BD plus adulte. J’ai d’abord contacté Dieter, que je connaissais et dont j’appréciais le travail... mais il n’était pas disponible. Néanmoins, il m’a orienté vers Claude Carré, qui avait selon lui une belle plume de scénariste. Je cherchais un type qui sache écrire des histoires intimistes, un peu à la manière de Dieter dans Julien Boisvert. Je ne connaissais pas le boulot de Claude, je l’ai contacté et il m’a proposé rapidement plusieurs projets assez aboutis. Mais surtout un dernier synopsis de quelques lignes qui s’intitulait « Marcheur », et dont l’idée principale m’a plu immédiatement ! Un quadra bien installé, cadre supérieur, femme et enfant, qui disparaît du jour au lendemain... et que l’on retrouve randonnant sur les chemins de traverse... pourquoi ? En plus, le fait que le scénario n’était pas encore complètement figé m’intéressait beaucoup, car je sentais que je pouvais apporter quelques idées personnelles dans l’histoire de ce qui est devenu plus tard Solo.
Nous avons donc réalisé le 1er tome, « Lignes de fuite », avec lequel j’ai commencé à évoluer vraiment sur le plan du dessin, en cherchant à mieux composer mes images, à aller vers une simplicité et une efficacité graphique, et l’album a été remarqué aussitôt... Il y avait (et encore aujourd’hui) un grand public pour ces histoires intimistes originales, proches d’un certain cinéma d’auteur. J’ai commencé le 2ème tome dans la foulée... Malheureusement, des problèmes familiaux très lourds me tourmentaient et, petit à petit, j’ai pris un important retard... Dargaud a perdu patience et a finalement décidé d’arrêter Solo !
C’est très dommage, évidemment, d’autant que le pauvre Claude Carré, qui avait déjà terminé le scénario du 3ème tome, s’est retrouvé pris dans le naufrage... Mais c’est ainsi... Ce sont des choses qui arrivent parfois, même à des auteurs de grand renom. La bande dessinée est un merveilleux métier mais également un marathon créatif permanent qu’il faut assurer... contre vents et marées !! Par la suite, Claude s’est éloigné de la BD pour se consacrer à l’écriture jeunesse...
Je suis conscient que Solo avait son public. On m’en a souvent parlé en festival... Il y a quelques années, j’ai trouvé un très bon dessinateur capable de reprendre et de terminer cette série (qui devait comporter 4 tomes). Il s’agit de Jean-Luc Hiettre (Le Grand fleuve, chez Dupuis). Il a réalisé quelques belles planches d’essai mais, malheureusement, nos démarches pour intéresser un nouvel éditeur se sont révélées infructueuses... Et j’en suis resté là pour Solo... Mais en BD, rien n’est jamais totalement perdu alors, sait-on jamais ?
Comment s’est déroulée la collaboration avec Régis Loisel sur Pyrénée ?
Régis est un formidable auteur qui a fait école, mais c’est d’abord un ami. Nous nous connaissons depuis plus de 30 ans, c’est dire si la collaboration s’est passée de manière amicale et avec beaucoup de respect de part et d’autre...
Pyrénée est un projet qu’il avait dans ses cartons depuis fort longtemps, projet accepté chez Dupuis au moment même où Régis a commencé la publication de La Quête de l'Oiseau du Temps dans Charlie mensuel... et Pyrénée est resté endormie jusqu’au jour où j’en ai aperçu 3 pages en noir et blanc dans la superbe monographie que Michel Jans a consacré à Régis, chez Mosquito ! J’ai eu le coup de foudre en voyant ses 3 planches de Pyrénée, et je lui ai demandé s’il pensait en faire quelque chose ! Et c’est ainsi, grâce à lui, que je me suis retrouvé à travailler sur un univers qui m’était assez étranger à l’époque, à savoir les animaux, et à dessiner une petite gamine de 10 ans toute nue...
J’ai d’abord réalisé 10 pages dans un style assez proche de Solo, en utilisant du crayon et Régis m’a dit que c’était bien mais qu’il fallait tout recommencer ! ha ha !! « Si tu te sers du crayon, il faut qu’on voit que c’est du crayon... Vas-y à fond, fais des matières, lâche-toi, fonce... etc. », voilà en gros ce qu’il m’a dit, et il avait sacrément raison, le bougre !! J’utilisais le crayon en essayant que ça ne se voit pas, que ça ressemble à de l’encre... Je faisais fausse route, bien sûr, et c’est une chance d’avoir eu Régis comme « prof » ! Regardez en ce moment Magasin général... Jean-Louis Tripp s’éclate avec le crayon. Le résultat est vraiment très beau !
Pour en revenir à Pyrénée, Régis s’est occupé du scénario, j’y ai aussi apporté mon grain de sel de temps à autre... Au début, je faisais moi-même le story-board mais cela ne satisfaisait pas toujours Régis et, finalement, il a réalisé le story de la 2ème moitié de l’album lui-même ! Cela m’a permis d’aller plus vite, et de découvrir ce qu’est l’efficacité au niveau de la mise en scène d’une planche !! J’ai également fait toutes les couleurs de l’album, en utilisant des feutres (Régis avait ramené cette idée des feutres lors de son passage aux USA, aux studios américains Disney), ce qui m’a là aussi permis d’expérimenter une autre technique, plus rapide que les aquarelles ou autres gouaches... avec un rendu original !
Réaliser Pyrénée a été long, mais cela m’a fait beaucoup évoluer graphiquement, cela m’a fait connaître du grand public, et j’ai également compris qu’il fallait être audacieux en dessin, ne pas se frustrer... se « décoincer » au mieux !
Cet album, très agréable au regard, a souvent déçu les lecteurs du fait d’un scénario sans surprise ni réelle progression. Etait-ce un choix intentionnel, de mettre ainsi le dessin en avant ?
D’abord, je me permets de nuancer ce que vous dites... Je n’ai pas ressenti, au cours des très nombreuses dédicaces de Pyrénée que j’ai pu faire, de déception des lecteurs à la lecture du scénario. La plupart des gens ont vite compris qu’il s’agissait d’une fable, d’un conte dont le propos paraît simple, voire « simpliste » peut-être pour certains, mais comporte plusieurs niveaux de lecture.
Nous n’avons jamais prétendu, avec Régis, avoir écrit un scénario de haute volée, alambiqué et bourré de rebondissements comme savent le faire certains scénaristes, pour le bonheur d’un certain public... Il en faut pour tous les goûts, bien sûr... Nous avons fait comme Régis avait toujours conçu cette histoire, tout d’abord très poétique... Il fallait que ce soit beau graphiquement pour mettre en valeur cette fable et je me suis attaché à ce que le dessin et les couleurs transportent le lecteur par leur beauté simple. J’espère y être en partie parvenu...
Donc, l’intention n’était pas de mettre le dessin plus en avant que l’histoire. L’idée était que le public soit surpris par l’apparente simplicité de l’histoire et du dessin, et qu’il soit conquis par l’ensemble, ce qui a été plutôt réussi, il me semble ! Pyrénée a fait l’effet d’une bouffée d’air frais dans la production de l’époque (les années 2000). De grands scénaristes me l’ont dit, et les dessineux aussi. Mais il ne faut pas s’y tromper : faire « simple » est souvent plus difficile qu’il n’y paraît. C’est très tentant d’en faire des tonnes, dans les scénarios comme dans le dessin... et les couleurs... ! Je suis très heureux d’avoir pu faire cet album « différent », qui a été remarqué par sa poésie et sa douceur, et qui pourtant parle de choses essentielles.
Considérez-vous Robinson comme une fable écologique ?
Je n’ai pas cette prétention. Je n’ai jamais pensé à qualifier mon album d’une quelconque appellation... Mais il est vrai que Robinson peut s’apparenter, comme Pyrénée, à une fable, un conte ou quelque chose d’approchant en raison d’une certaine évocation de la nature et des animaux, et de la position de l’Homme (avec un grand « H » ) dans cet univers de fiction...
Le monde animal est très souvent présent dans vos albums. Est-ce un hasard, ou êtes-vous vous-même un « ami des bêtes » ?
Au risque de décevoir certains de mes lecteurs, je ne suis pas particulièrement un ami des bêtes. J’ai eu des animaux familiers chez moi. Ce n’était pas ma volonté mais plutôt celle de mes enfants. Normalement, je ne fais pas de mal aux animaux mais ils doivent me foutre la paix... Et le chat que j’avais à l’époque s’est pris quelques injustes coups de pied au derrière, simplement parce que j’avais raté un dessin... et qu’il passait par là ! Pauvre souffre douleur ! Je préfère nettement dessiner les animaux que d’en avoir avec moi ! C’est moins de contraintes... donc, je n’en ai plus à la maison. Dessiner les animaux, et surtout aimer cela est venu logiquement à la suite de Pyrénée, où je me suis vraiment régalé à dessiner l’ours, l’aigle et les autres bestioles... après en avoir bien bavé pour les avoir en « main » !! Plus qu’un hasard, c’est plutôt un goût qui m’est venu après Pyrénée...
Entre Robinson et Le Corbeau (et autres meurtres noirs) se sont passées près de dix années. Où étiez-vous ? Que faisiez-vous ? Le monde de la bande dessinée ne vous enchantait-il plus ?
A la demande de l’éditeur, j’ai commencé à dessiner une suite à Robinson, mais le scénario que j’avais écrit faisait un peu « fabriqué » et ne fonctionnait pas au mieux. Tout simplement parce que je n’avais pas prévu de suite au départ... Ce qui fait que je me suis épuisé et lassé sur cette suite, pour abandonner au bout du compte.
Il est vrai aussi que le monde de la BD me décevait un peu. On ne parlait plus que de chiffres de vente, avec déjà cette énorme production qui n’a fait que s’accroître depuis, des « objectifs » et des « résultats »... On fait ce métier d’abord par passion, parce qu’on a envie de raconter des histoires et de les mettre en images... Et tout cela a tendance à se dissoudre dans les exigences commerciales, qui sont, paraît-il, incontournables. D’accord, mais peut-être y aurait-il moyen de le faire d’une manière moins pesante pour les Auteurs (avec un grand « A »). Je me suis donc en effet éloigné provisoirement de la BD et je me suis retrouvé depuis plus de 6 ans à réaliser les illustrations de "Princesse Zélina" pour Bayard. Retour chez l’éditeur de mes débuts.
"Le Corbeau" est-il votre récit le plus personnel ? Est-ce le fait d’avoir travaillé avec le collectif d’auteur Fugues-en-Bulles qui vous a permis d’être aussi libre ?
"Le Corbeau" est sans aucun doute mon récit le plus personnel, vu qu’il est en grande partie autobiographique. C’est aussi le plus personnel sur le plan de la démarche graphique, et le choix du noir et blanc. Avoir travaillé avec « Fugues en Bulles » a été une grande chance, c’est sûr, car comme vous le dites, j’ai eu, pour la première fois dans ma vie d’auteur de BD, entière liberté pour un projet.
Au fait, une question que l’on a déjà dû vous poser souvent : comment êtes-vous arrivé chez Fugues-en-Bulles et pourquoi avoir décidé de publier votre album chez eux ?
Je suis arrivé chez « Fugues en Bulles » à la suite d’un concours de circonstances... "Le Corbeau" était prévu pour un autre éditeur, un label indépendant. Et, finalement, le projet ne s’est pas fait avec ce label... J’ai démarché d’autres éditeurs, petits, moyens et gros. Mais l’accueil n’a pas été au rendez-vous... J’ai compris aussi que chez les « petits » labels (ils vont hurler... !), les contrats ne sont pas du tout intéressants pour les auteurs ! Ce sont quasi les mêmes que chez les « gros », en ce qui concerne les droits d’auteur (c’est à dire au mieux 10 à 12%) mais, bien pire, il n’y a pas ou presque pas d’à-valoir, et il n’y a pas la grande diffusion d’un éditeur plus conséquent. Donc, où est l’intérêt pour l’auteur ? Bien sûr, certains font de beaux albums et cela peut être valorisant d’être édité chez X ou Y mais ça mérite quand même réflexion. Voyez ! Moi aussi, je parle de contrats, chose que je déplorais précédemment !!! ha ha !
J’ai regardé les coûts d’impression pour un petit tirage en noir et blanc et, franchement, même pour un auteur pas bien riche dans mon genre, c’est abordable...
Résultat : je connaissais bien Etienne Martin, principal fondateur de « Fugues en Bulles ». Je lui ai présenté le projet et il a été immédiatement enthousiaste ! « Fugues en Bulles » est un petit éditeur, certes, mais « associatif », c’est à dire « coopératif », proche de l’auto édition. « Fugues » soigne ses albums et fait des livres de qualité. Il n’y a qu’à voir à Angoulême le nombreux public qui se presse sur le stand !! Nous faisons les albums à nos frais pour le moment, mais nous récupérons une grosse partie de la mise en tant qu’auteur... Pour la distribution, c’est le système D, avec les festivals, les librairies etc. On prend son courage à deux mains, ses paquets d’albums, sa voiture, et on va au charbon... Pas toujours facile pour moi à 58 ans mais c’est intéressant !! Et je constate que d’autres auteurs le font...
Fort de cette expérience, j’ai acquis beaucoup de respect pour les auteurs auto édités... Et je sens une autre approche de la part du public. Le contact est différent. C’est un public qui recherche autre chose que d’avoir à tout prix sa dédicace et c’est assez reposant de ne pas avoir les « chasseurs » sur le poil...
Pas facile de parler de ce récit sans en dire de trop. Comment le présenteriez-vous à un lecteur potentiel ?
C’est un récit intimiste, en noir et blanc, de type « roman graphique » par le format et le nombre de pages... Ça ressemble à un polar, mais ce n’est pas un vrai polar... C’est plutôt un ensemble de trois nouvelles au ton décalé, qui utilise le mode polar pour raconter des petites choses de la vie, qui peuvent devenir graves !
Le livre a-t-il reçu un bon accueil ?
Oui, l’album a été bien perçu par le public. Je suis même un peu surpris de son succès car c’est un livre radicalement différent de mes précédentes BD ! J’ai fait un petit tirage de 500 exemplaires, tout a été vendu ! Et je viens d’en faire une réimpression de 500, que le public a pu découvrir à Angoulême... D’ailleurs, je constate qu’en général c’est un autre public que mes lecteurs habituels qui vient se procurer "Le Corbeau"... Et je trouve ça très intéressant et sympathique !
Vous y faites montre d’un humour très décalé et assez noir. Ne craignez-vous pas de rebuter certains lecteurs avec ce genre d’ambiance ?
C’est exactement cela ! C’est de l’humour noir décalé... Et très franchement, cet album marque mon « retour » à la BD, et surtout mon envie de continuer à avancer... Alors, honnêtement, je ne me suis pas posé une seule seconde la question de savoir si cela allait rebuter, gêner, ou décevoir les (mes ?) lecteurs... Il arrive un moment dans la vie où, lorsqu’on est un créateur, appelons les choses par leur nom, il ne faut surtout pas se poser la question du public... Ça peut paraître prétentieux, voire méprisant (et ce n’est pas le cas), mais c’est le seul moyen que je connaisse pour arriver à faire ce qu’on a envie de faire !! On prend le risque de déplaire éventuellement.
Mais, par contre, on s’offre aussi la possibilité de plaire tout en innovant !! Sans ce risque, il n’y a pas d’évolution dans l’Art en général, et dans la BD en particulier. Et nombreux sont les Auteurs qui ont fait avancer la Bande Dessinée, qui ont ouvert des voies, simplement parce qu’ils se sont risqués à « essayer » des nouvelles choses, graphiquement, narrativement etc. (un peu comme un alpiniste qui se risque à ouvrir une nouvelle voie sur la face d’une montagne, que d’autres pourront emprunter à sa suite...). Je ne pense pas qu’ils se soient demandé à ce moment de leur création si le public allait suivre... Et si les lecteurs aiment, et accrochent au nouveau style, tant mieux !!!
Le public, lui aussi, a beaucoup évolué et évolue encore très vite... Et ce public est prêt aujourd’hui à découvrir et aimer des BD qu’il n’aurait pu lire il y a seulement quelques années...
Je me trompe ou vous avez apporté un soin particulier à la structure du récit, qui combine des chapitres indépendants en apparence et une ligne directrice pourtant manifeste ?
"Le Corbeau a mijoté assez longtemps dans ma tête, et j’ai pris un maximum de notes que j’ai classées au fur et à mesure dans mes tiroirs... C’est un album qui a pris son temps pour mûrir... En effet, j’ai structuré le récit d’une manière assez originale, je pense, en articulant 3 histoires qui semblent indépendantes autour du personnage central, qui est le lien entre les 3 histoires, qui sont comme 3 nouvelles.
Oui, j’ai vraiment réfléchi et soigné la charpente du récit en faisant attention, car je n’avais jamais encore travaillé sur ce type de BD « roman graphique », qui offre beaucoup d’autres possibilités narratives que l’album formaté traditionnel. Mais n’allez pas penser pour autant que je n’aime pas le format classique ! Il a son intérêt pour un certain type d’histoire. Il y a de la place pour pas mal de sortes d’œuvres, et c’est tant mieux !
Pourquoi avoir opté pour le noir et blanc ?
J’ai choisi de faire du noir et blanc car c’est traditionnellement ce qu’on utilise en BD pour le polar, ou ce qui s’en rapproche, à l’instar du grand Tardi ! Et puis, c’était nouveau pour moi, donc attrayant de bosser en noir et blanc... Et, dans la foulée, je me suis décidé à réaliser les « nuances de gris » à l’ordinateur...
Par la suite, il s’est avéré, quand j’ai décidé d’éditer l’album à mes frais, que c’était nettement moins onéreux que la couleur... donc le noir et blanc a eu tous les avantages pour ce projet.
Quel est la part autobiographique du récit ?
La part autobiographique est vraiment très importante dans cet album... En fait, il m’est réellement arrivé l’histoire du « Corbeau » il y a quelques années... Et cela m’a pas mal perturbé, plus que je ne l’imaginais... Et quand l’envie de refaire de la BD est revenue, c’est assez naturellement que j’ai repensé à cette histoire que j’avais vécue, et cela s’est imposé comme scénario... Mais cela n’était pas suffisant pour faire tout un album, j’ai alors cherché dans ma mémoire et retrouvé pas mal d’anecdotes du type « Corbeau » qui m’étaient arrivées... J’ai fait le tri dans tout ça, et isolé les 3 nouvelles qui constituent le récit. Il n’y a que pour la dernière histoire que j’ai vraiment pris beaucoup de liberté avec la réalité !!
Le chien présenté dans l’album est, avouons-le, assez immonde. Est-il croqué selon nature ?
Non, ce chien n’est pas dessiné « sur le motif »... Ces chiens très impressionnants existent bien sûr, j’en ai croisé, de loin si possible... J’ai préféré inventer ce sale clebs, qui est un sacré rempart entre le « héros » et le modèle...
Et... le joli modèle ? Si c’est le cas, ça me donne vachement envie de me mettre au dessin !
Ha ha ! Les jolis modèles existent aussi, bien sûr... On peut avoir en tant que dessinateur parfois des propositions marrantes ou surprenantes de « jolies personnes féminines » qui souhaitent poser... pour la postérieurité... Dans le cas présent, je me suis débrouillé avec une certaine habitude de dessiner les femmes, et mes souvenirs personnels... rions un peu !!
Vous semblez être à l’aise avec les personnages féminins, souvent très séduisants (et ce n’est pas votre dernier album qui contredira cette impression). Vous imagineriez-vous réaliser une bande dessinée érotique ?
Non, très franchement, je ne me vois pas dessiner une BD érotique. J’en aurais assez vite marre !! Car les scènes des BD érotiques sont pensées et conçues essentiellement pour montrer du sexe... Rares sont les histoires érotiques dont le scénario possède une réelle épaisseur.
Cependant, il en existe quand même quelques-unes...
En revanche, j’aime bien que dans les histoires que je dessine, il y ait des personnages féminins emprunts de sensualité... et éventuellement des scènes un peu chaudes... A vrai dire, je n’imagine pas dessiner un album sans une jolie femme à y représenter...!
Vous avez travaillé dans des formats assez variés. En quoi le format influence-t-il la composition d’une planche ?
Il est évident que le format d’un album influence la composition, la mise en scène de la planche... Et à l’heure actuelle, les formats sont de plus en plus variés, ce qui donne un tas de livres différents, et c’est intéressant, ce large éventail... On sort du carcan traditionnel...
Pour "Le Corbeau", qui est d’un format plus petit que d’ordinaire, j’ai fait moins d’images par page, mais développé un plus grand nombre de pages que l’album classique... C’est le style « roman graphique », et cela induit une narration et une mise en scène différentes. Sur ces planches plus petites, je crois qu’on pense la composition d’une manière plus efficace, en allant à l’essentiel, enfin, en ce qui me concerne, bien sûr !
Vous semblez avoir encore beaucoup d’idées de scénario. Pour quelle raison éprouvez-vous autant de difficultés à les finaliser ?
Ha ha !! Vous en savez des choses sur mes soi-disant difficultés à finaliser, dites donc ! Bon, je l’ai déjà dit, la bande dessinée est un travail de longue haleine, un marathon créatif, qui demande à l’artiste d’avoir un mental d’acier ! Pour moi, c’est toujours avec une verve créatrice et un grand enthousiaste que je démarre un projet... Ensuite, il faut aller jusqu’au bout avec la même énergie, si possible ! C’est là que parfois, ça se complique... Il y a le spectre de la durée, de la lassitude... C’est d’ailleurs pour cette raison que je préfère travailler sur des projets relativement courts, type « one shot » ou « diptyque »...
Je ne suis pas le seul dans ce cas. Pour pas mal de confrères, c’est le fait de changer, d’essayer de nouvelles techniques qui leur permet d’avancer, d’échapper à cette éventuel « ennui »... Pour d’autres, au contraire, c’est de maîtriser parfaitement une technique, leur technique, qui les rassure et les fait avancer...
Les idées ne me manquent pas, c’est plutôt le temps qui semble s’accélérer avec les années... Ce qui m’aide vraiment à aller au bout, c’est en fait la qualité de l’histoire proposée, du scénario. Pyrénée, par exemple, m’a pris beaucoup de temps. C’était un grand changement de style graphique pour moi, sous la « conduite » amicale de Loisel, et c’était aussi un album de 64 pages, ce qui est assez long... Je crois que si j’ai réussi à maintenir le cap et l’envie intacts, c’est tout simplement parce que j’ai toujours aimé cette histoire, de bout en bout... Je ne m’en suis jamais lassé...
"Le Corbeau" est un one-shot, je le savais dès le départ, et c’est aussi parce qu’il y avait l’aspect autobiographique prononcé dans le scénario que je dessinais, que j’ai eu toujours envie de le terminer... Pour moi, la motivation essentielle vient de la qualité du scénario, qu’il soit d’un professionnel, ou de moi-même d’ailleurs...
Travaillez-vous sur un nouvel album ? Si c’est le cas, pouvez-vous nous en toucher un mot ?
J’avais depuis un certain temps un projet qui me tenait à cœur, et pour lequel, comme pour "Le Corbeau", je prenais des notes, j’amassais de la documentation, je faisais des croquis voire des repérages. Tout cela classé et en permanence dans mon esprit... Et puis, il y a peu, je me suis dit que le scénario avait besoin d’être étoffé, musclé... Et c’est justement sur ces entrefaites que Jean-Blaise Djian (que je pensais contacter) m’a téléphoné pour me proposer un scénario... J’ai préféré le « brancher » sur mon projet ! Il a été emballé, a pris notes, documentation etc. à bras le corps... et a écrit un scénario que je trouve formidable... De plus, Jean-Blaise est une personne remarquable, de la même génération que moi, ce qui était préférable pour le cadre de l’histoire, avec ses références culturelles et sportives... Il a aussi une grande écoute et une vraie gentillesse... ajoutés à son talent de narrateur, que demander de mieux ?
Ce sera un diptyque presque contemporain. Le découpage du 1er album est entièrement réalisé. Il me « reste » à faire les 3 pages qui nous serviront à démarcher notre projet. J’y crois beaucoup et je sais que c’est une histoire où je pourrai dessiner les choses que j’aime, les ambiances qui me plaisent, avec l’enthousiasme et l’émotion nécessaires... Me voilà donc au départ d’une nouvelle aventure... où je vais pouvoir me consacrer au dessin pur en noir et blanc, car les couleurs seront réalisées par mon fils Simon, qui est un jeune coloriste professionnel depuis deux ans et qui possède beaucoup des qualités indispensables à ce métier de la couleur, métier en pleine évolution avec l’avènement de l’ordinateur.
Pourriez-vous nous dire en quoi consiste l’atelier « Une case de vide » que vous avez fondé avec votre fils ?
L’atelier « Une case de vide » est virtuel... C’est presqu’un gag ! En fait, c’est le nom que j’avais trouvé il y a quelques années, au cas où je voudrais monter ma propre petite structure éditoriale... Mais je n’ai rien fait de ce nom pour le moment, et quand Simon est venu travailler avec moi, nous l’avons parfois utilisé comme signature de travaux communs, mais très rarement... Ceci étant, peut-être que l’atelier « Une case de vide » verra vraiment le jour... un de ces jours... Voilà le fin mot de l’histoire !
Philippe Sternis, un tout grand merci pour le temps que vous venez de nous consacrez. Parler avec vous a été un réel plaisir.
Moi de même.
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