Auteurs et autrices / Interview de Olivier Berlion

Olivier Berlion est un auteur à part, aussi à l’aise dans le polar que dans le récit jeunesse, et malgré son jeune âge il a déjà une longue carrière derrière lui. Rencontre.

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Olivier Berlion Bonjour Olivier. Comment es-tu devenu auteur de BD ?
J’étais fan de Bd. Tout petit. Je me suis gavé de milliers de pages, le journal Spirou, Tintin, etc. Puis j’ai commencé à acheter mes premiers albums avec mon premier argent de poche. J’ai recopié mes idoles, écrit des tas de récits, durant toute mon enfance, c’était mon évasion, mon île secrète… Et puis au grand dam de mes parents j’ai pas lâché l’affaire et fini par les convaincre après le bac de me présenter à l’école E.Cohl à Lyon, école de dessin qui avait la particularité de s’intéresser en plus des bases classiques, à l’image animée : Dessin animé et BD. J’ai appris là-bas à dessiner à peu près correctement mais la BD restait mon objectif unique. J’ai trouvé quelques petits boulots dans des magazines, des gags, des jeux à illustrer, des couleurs… Et puis un jour à Angoulême où je me rendais chaque année mon carton est tombé sur les genoux de Corbeyran.

Tu as beaucoup travaillé avec Eric, et ça semble ne pas s’arrêter… une histoire d’amitié au-delà de la collaboration artistique ?
Corbeyran était encore presque débutant à l’époque (3/4 albums à son actif). Nous avons grandi ensemble dans ce milieu, connu les joies des premiers succès et les échecs aussi. On s’est toujours respecté en tant que partenaires, une relation franche, belle et équilibrée. Désormais nous accomplissons nos parcours respectifs car j’ai toujours souhaité être auteur à part entière, même si j’aime à le retrouver et partager une histoire ensemble, un truc que l’on ne ferait pas l’un sans l’autre, un truc à nous.
Accéder à la BD Le Cadet des Soupetard
Pour Le Cadet des Soupetard, t’es-tu inspiré de sa propre enfance pour l'ambiance, certains personnages, des décors ou d'autres souvenirs, ou pas du tout ?
C’est un mix de nos souvenirs d’enfance, de celle qu’on a rêvée aussi et des souvenirs de nos parents. Une petite madeleine qui, nous le pensons, est très universelle. Certains décors sont une part de mes souvenirs, d’autres viennent de l’univers d’Eric, d’autres sont imaginaires.

Le Cadet des Soupetard, c’est vraiment fini ?
Je ne sais pas… On aimerait encore retrouver notre petit bonhomme, mais le temps et des projets plus nouveaux nous attirent souvent ailleurs. Il faut qu’on prenne un jour le temps d’y revenir pour le plaisir. Dargaud n’a pas fermé encore la porte car notre éditeur aime vraiment cette série, même si elle ne lui pas rapporté les millions espérés.

Accéder à la BD Sales mioches ! J’ai toujours vu Sales mioches ! comme une sorte de grand frère à Soupetard, alors que les séries n’ont pas grand-chose en commun…
C’était en effet la version urbaine de ce qu’on développait dans Soupetard avec un ton plus pour ados, plus feuilletonesque et aventureux. Une transition vers le dessin pour adulte pour ma part. On a connu un chouette succès avec cette série dont pourtant personne ne parlait. Elle plaisait beaucoup aux gamins. On s’est beaucoup amusés et elle m’a permis de rendre un bel hommage à ma ville natale : Lyon.

Pourquoi avoir laissé le dessin à ton ami Skiav ?
D’abord parce que deux séries pour enfants cela faisait beaucoup et m’empêchait d’aller vers d’autres projets persos comme Tony Corso et le choix s’est fait quand l’éditeur Casterman a été racheté. L’équipe avait totalement changé, elle ne s’est pas trop préoccupée au début de la série et les ventes ont chuté. La motivation pour ma part s’est donc essoufflée. Quand ils m’ont demandé de poursuivre, je leur ai proposé de confier le dessin à Skiav, tandis que je me chargeais du Story et des couleurs pour garder l’unité graphique.

Accéder à la BD Lie-de-vin La série semble en stand-by actuellement…
La série a été arrêtée par Casterman. On n’inverse pas une courbe descendante dans le marché actuel de la BD. Ils ont réagi trop tard. Le tome 1 s’est vendu à 30 000 Ex, le 8 tournait autour des 5 000. Un beau gâchis…

En 1999 tu surprends ton monde en passant à un récit plus adulte avec Lie-de-vin. C’était une envie personnelle ou t’es-tu adapté à un projet d’Eric Corbeyran ?
Eric a écrit un récit basé sur un texte de 2 pages dans lequel je lui présentais des envies, un lieu, un personnage (il n’avait pas encore sa tache de vin), une ambiance surtout. Je lui ai envoyé ce texte quelques mois après notre rencontre. Il a écrit ce magnifique scénar petit à petit tandis que je cherchais de mon côté le style adulte qui me convenait. On a maturé le projet durant 5 ans. Ce fut une formidable aventure et le succès critique et public qui a suivi nous a comblés.

Accéder à la BD Histoires d'en ville L’année d’après tu signes toi-même le scénario du polar Histoires d'en ville. Tu sembles aimer le polar…
J’adore ça. C’est mon univers narratif préféré. Il permet d’aborder les sentiments et les situations les plus extrêmes tout en conservant un point de vue très précis, très juste sur le monde dans lequel nous vivons. Le polar permet de transcender le quotidien de tous et de pousser les personnages vers leur vérité profonde, celle qui intéresse tout le monde.

Ce n’est pas pour rien que c’est un genre totalement universel contrairement au western ou la SF, en littérature, en BD ou au cinéma. Tous les pays, les cultures du monde abordent le polar.

Cette série est-elle terminée ?
Histoires d'en ville n’était pas une série, mais un gros one-shot découpé en trois parties. C’est le boulot dont je suis le plus fier même si le succès n’a pas été au rendez-vous. La sortie de l’intégrale a permis de la refaire découvrir à des personnes qui étaient passées à côté et surtout de pouvoir lire l’histoire d’un seul trait, lui donnant ainsi toute sa valeur.

Accéder à la BD Coeur Tam-Tam
Coeur Tam-Tam, qui est une collaboration avec Benacquista, a dû te faire un sacré changement… On n’est plus dans les décors urbains que tu croques si souvent !
Une bonne bouffée d’oxygène en effet. Encore un nouveau style graphique, semi-réaliste pour une histoire totalement originale, rocambolesque et touchante à la fois. C’est aussi la rencontre avec un Grand monsieur de la littérature, d’une grande exigence, une rigueur exemplaire, etc. J’ai beaucoup appris au contact de Tonino et il m’a vraiment redonné confiance en moi.

On a un peu l’impression que cette histoire aurait été mieux adaptée en deux tomes… ton avis ?
Je pense au contraire qu’elle aurait gagné à être plus courte. On devait faire un « long courrier » et il fallait un minimum de pages, d’où les grandes images parfois. Mais c’était aussi intéressant de pouvoir prendre de l’espace pour les images. C’était le souhait de Tonino également qui voulait donner du souffle aux paysages africains.

Accéder à la BD Rosangella Rosangella est une histoire que tu as écrite en premier, avant de demander à Corbeyran de peaufiner… Une histoire qui te tient à cœur j’imagine. Une histoire qui vient de ton entourage ?
Tout est dit dans le dossier qui accompagne l’album. Une tante à moi qui a eu une vie difficile, femme battue avec 4 gosses à charge dont un qu’un connard lui avait laissé et qui n’était pas d’elle. Elle s’est battue toute sa vie, ses enfants l’entouraient et avaient réussi leur vie et tous portaient la joie de vivre. La vie l’a fauchée dès qu’elle a commencé à trouver le bonheur et la paix auprès d’un homme bon et généreux... Petit j’ai trouvé ça injuste et c’était une manière de lui rendre à la fois un hommage et un peu de justice.

Corbeyran s’est emparé du sujet à la seule condition que cela se termine bien pour Rosangella. Ca a été aussi pour nous l’occasion de faire un portrait d’une femme, un hommage à ce qui nous touche chez elles en général…

Qu'en est-il de la série Tony Corso ? Va-t-elle s’arrêter après 5 tomes ? Continuer chez Dargaud ? Chez un autre éditeur ?
Pour l’instant j’ai un peu levé le pied à cause de problèmes familiaux qui m’ont un peu sapé ma joie de vivre. Je n’avais pas le jus pour retrouver l’esprit de Tony et j’ai préféré le laisser sur le côté pour mieux le retrouver très bientôt. De plus nous travaillons avec mon éditeur à le développer pour l’audiovisuel, car son univers s’y prête vraiment.
Accéder à la BD Tony Corso
Quelles sont les références qui ont présidé au personnage et à la série Tony Corso ?
Holà ! vaste question. Une sorte de compilation entre des envies multiples et le souhait de créer un héros, un vrai ! Avec ses codes, son univers, ses manies, son style. J’ai toujours souhaité faire vivre un héros hors du commun, j’entends par là : éloigné du quotidien habituel. D’où son job de détective pour nantis de tout poil dans un univers de paillettes hostile et surfait. J’aime ce personnage incorruptible, ambivalent, marqué par un passé lourd qui surnage dans cet univers de crapules et leur met la nique régulièrement tout en gardant une liberté de ton et d’action totale.

Tony c’est aussi et surtout un homme libre dans un univers capitaliste et cynique pourri jusqu’à la moëlle qui me débecte. Un mec de notre époque qui fait du pognon mais refuse d’adhérer ou jouer le jeu du système. C’est aussi un hommage aux séries des années 70-80, avec leurs héros récurrents qu’on prenait plaisir à retrouver régulièrement quelle que soit l’intrigue dans laquelle ils se trouvaient plongés : Amicalement vôtre, Magnum, Colombo, mais aussi Bernard Prince, Gil Jourdan, Jérémiah ou Indiana Jones…

Accéder à la BD Le Kid de l'Oklahoma C’est étonnant de te voir sur Le Kid de l'Oklahoma, qui est un western… Comment t’est venue cette idée de travailler sur un roman d’Elmore Leonard ? Ou bien est-ce une demande spécifique de Casterman ?
J’ai apprécié la collection Rivages/Casterman et leur première parution. C’était aussi pour moi l’occasion de revenir faire un tour chez l’éditeur des Sales Mioches. Je souhaitais adapter un roman d’Elmore Léonard : « Maximum Bob ». Un polar contemporain très truculent et noir. Cependant l’auteur ne voulait pas pour des raisons que j’ignore. Son avocat nous a fait savoir qu’en revanche pour le « Kid de l’Oklahoma », Elmore Leonard serait OK. Un peu énervé j’ai attaqué la lecture du roman avec dans l’idée de ne pas le faire. Et puis je me suis attaché à Carl Webster, le héros, son parcours, le ton du récit. Je me suis dit que finalement ce serait l’occasion de passer à un autre univers, de relever un autre défi et au bout du compte j’y ai pris un énorme plaisir.

Tu as aussi participé aux véritables légendes urbaines, sur le tome 3, mais aussi à Paroles de sourds. Comment travaille-t-on sur un récit court au sein d’un collectif ?
On fait son job. On reçoit un scénario et on fait de son mieux pour rentrer dans l’esprit du collectif.

Tu as participé à la série-projet de Frank Giroud, Destins, dont le tome 9 est sorti en janvier. L’occasion pour toi de travailler avec Denis Lapière. Comment cela s’est-il passé ?
Idem.

Accéder à la BD La Commedia des Ratés En ce début d’année tu adaptes à nouveau du Benacquista pour La Commedia des Ratés. Encore un polar, bien sombre celui-là. Benacquista est un auteur que tu lis beaucoup ?
Ce roman : « La commedia des ratés » est celui qui m’a amené vers sa littérature. De plus l’ambiance et les péripéties du roman se prêtent vraiment à la mise en image. Beaucoup de personnages truculents avec des décors comme je les aime, de l’espace, des vieilles pierres, des paysages, Paris…

A ce propos je tiens à préciser, car la remarque m’a souvent été faite depuis la sortie, que le coin d’Italie où se passe une partie du roman ne ressemble en rien à un morceau de Sardaigne, de Sicile ou de Corse. Je suis allé sur place et j’ai fait mes repérages. L’endroit est très vert, entouré de montagnes, cela ressemble plus à un paysage d’Ardèche du nord qu’à l’image d’Epinal que l’on se fait de l’Italie des Corleone. J’ai respecté ce que j’ai vu. Et les gens du coin, j’en connais quelques uns, ont vraiment reconnu leur bout de terre.

Pourquoi cet album est-il sorti chez Dargaud, et pas plutôt dans la collection Rivages/Casterman ?
Tout simplement parce que Tonino et moi travaillons beaucoup avec Dargaud. Parce qu’ils ont toujours eu envie du projet et qu’ils étaient très enthousiastes. Quand j’ai songé à faire l’adaptation de ce roman, je n’étais pas encore chez Rivages d’ailleurs, et c’est naturellement que je me suis tourné vers Dargaud.

Tu dois déjà travailler sur le second tome du diptyque. Que nous réserves-tu ?
Je viens de terminer le tome 2. Il sortira fin août/ début septembre. Une grande aventure qui se termine (146 Pages) et vraiment la joie d’avoir fait ce que je souhaitais. Antonio va voir débarquer toute une clique de personnages peu recommandables autour de ce bout de vigne dont il a hérité. On comprend très vite le trésor potentiel de cet étrange héritage et surtout les emmerdes qu’il peut attirer. Je me suis amusé comme un petit fou avec toutes ces scènes surréalistes imaginées par Benacquista et qui donnent au roman ce côté inattendu et jouissif. C’est rare de parvenir au plus près de ce que l’on s’imagine au départ d’un projet. Je suis super content.

Accéder à la BD Garrigue Malgré ton jeune âge tu as déjà une longue carrière de dessinateur BD derrière toi, une vingtaine d’albums en presque autant d’années. Quand tu regardes derrière toi, que penses-tu de cette carrière ?
35 albums en fait. Je suis content, un peu fatigué parfois de dessiner. J’ai envie d’écrire maintenant en dessinant davantage avec du temps, mais ce n’est pas évident car beaucoup de choses m’attirent et j’ai du mal à dire non.

Ma carrière est spéciale, un peu touche à tout, j’ai exploré pas mal de styles et de genres, du commercial, du récit d’auteur et intimiste, de la BD pour enfant, du tout public et des adaptations. Mais mon fil conducteur est toujours le même : un récit a son univers propre et le dessin, le découpage, les dialogues, les couleurs sont au service de ce récit et non l’inverse. Je n’ai jamais voulu m’interdire quelque chose sous prétexte que mon style ne conviendrait pas pleinement au récit qui me porte.

Après des séries au long cours, tu sembles privilégier aujourd'hui les one-shot. Est-ce un choix personnel ou une évolution dictée par le marché ?
Rien à voir avec le marché, au contraire. Alors que l’on me demande de plus en plus de one shots, j’aurais tendance à vouloir revenir aux séries en ce moment. Retrouver et développer des univers sur plusieurs tomes, comme Tony Corso.

Est-il envisageable de te voir dessiner des histoires dans des genres radicalement différents de ce que tu as l'habitude de faire (Fantastique, SF...) ?
Dessiner, je ne pense pas, ou peut-être du western. Le fantastique ne m’intéresse pas vraiment, ni la SF. J’aime inscrire mes récits dans du réel, réinventer le monde que je connais. Et puis je pense que je vais davantage écrire à l’avenir plutôt que dessiner.

Cliquez pour voir un croquis de Kid de l'Oklahoma Reviendras-tu un jour à la bd jeunesse ?
J’y pense très sérieusement, avec un style plus actuel, plus jeté que je conserve dans mes cartons depuis un moment. Mais ça ne saurait tarder…

Tu colorises la plupart de tes albums, pourrais-tu nous parler un peu en détails de tes méthodes et techniques ? C’est de la couleur directe, sur copie noir ou directement sur le dessin encré ou pas ?
Cela dépend des récits, de l’ambiance que je veux obtenir. Je fais très attention aussi au choix du papier. Chaque papier donne des rendus différents. Je fais des essais jusqu’à ce que j’obtienne ce que je souhaite. Parfois je travaille à l’acrylique, d’autre fois avec des encres ou à la gouache.

Quels sont tes prochains projets ?
Pleins… Développer des scénars pour d’autres dessinateurs, poursuivre Tony Corso, continuer des adaptations de romans, écrire des scénars à plusieurs, peut-être créer une autre série… On verra, je ne projette jamais trop loin car j’adore saisir les choses qui se présentent à moi.

Olivier, merci.
Interview réalisée le 11/05/2011, par Spooky, avec la participation de Mac Arthur, pol et Superjé.