Auteurs et autrices / Interview de Séverine Gauthier
Rencontre avec une jeune et talentueuse scénariste dont les premiers albums destinés à la jeunesse se sont fait remarquer par leur grande qualité d’écriture et par la poésie qui s’en dégage.
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Bonjour. Séverine Gauthier, 33 ans, scénariste…
Quelle a été votre formation ? Vous destiniez-vous à ce métier de scénariste dès cet instant ?
J’ai un parcours plutôt classique, un bac littéraire et ensuite des études en fac d’anglais que j’ai en partie effectuées en Angleterre. Pas de formation d’écriture, ni d’études particulièrement littéraires.
J’ai toujours voulu raconter des histoires sans savoir si ça serait un jour possible. Petite, j’écrivais des poésies et des fables, je dessinais beaucoup aussi et je réalisais déjà des bandes dessinées. Un jour, j’ai osé présenter mon travail à un éditeur, et j’ai eu la chance qu’il aime mon projet.
Dès Aristide broie du noir, on constate dans votre écriture un travail impressionnant.
Merci.
Ne craigniez-vous pas, en optant pour ce texte en rimes et en vers, de décourager le jeune lecteur habitué à des textes plus immédiats, plus faciles d’accès ?
Franchement, je ne sais pas si ce genre de texte décourage les enfants ou pas. En tout cas, je ne me suis pas posé la question au moment de l’écrire. J’ai rencontré beaucoup de jeunes lecteurs d’Aristide broie du noir dans des écoles ou des salons. Certains ont adoré le livre, d’autres n’ont pas aimé du tout. Mais dans l’ensemble, quand ils n’aiment pas, ce n’est pas le texte qui les gêne, c’est plutôt l’histoire en elle-même qu’ils trouvent trop sombre ou qui leur fait peur. J’ai davantage l’impression que le texte effraie les parents. Les enfants ont en général moins d’a priori et on peut leur proposer beaucoup plus de choses qu’aux adultes, ils sont moins formatés et plus ouverts à des genres et à des expériences de lecture différents. Il n’y a qu’à regarder l’incroyable variété, aussi bien graphique que narrative, proposée aux enfants dans les livres jeunesse.
De mon côté, j’ai toujours aimé ce genre d’écriture et quand j’ai imaginé l’histoire d’Aristide, j’ai tout de suite eu envie d’essayer de l’écrire de cette façon. J’ai depuis toujours une passion pour les livres pour enfants et j’aime particulièrement la poésie pour enfants anglo-saxonne. Je me sens très influencée par le travail d’auteurs comme Roald Dahl et Shel Silverstein. Ce qui m’intéressait sur ce projet, c’était de créer un rythme différent grâce aux alexandrins.
Il y a un côté "Tim Burton" dans ce récit, je trouve. Est-ce intentionnel ?
Avec Jérémie, nous aimons beaucoup l’œuvre de Tim Burton, en particulier son court métrage Vincent, auquel nous avons pensé en créant Aristide broie du noir. Son univers et la mélancolie qui s’en dégage me parlent beaucoup. Au niveau de l’écriture, le travail de Shel Silverstein m’influence davantage.
Pourriez-vous nous dire un mot sur Jérémie Almanza, avec qui vous avez collaboré pour cet album ? Que devient-il ?
Jérémie est un artiste que j’ai découvert sur Internet, sur le site où il postait les illustrations qu’il réalisait en amateur. J’ai été vraiment touchée par la sensibilité qui se dégage de ses dessins et de sa mise en couleur. J’ai pensé que cette sensibilité collerait à un projet sur lequel j’avais commencé à travailler. Je l’ai donc contacté pour lui proposer Aristide broie du noir sans rien connaître d’autre de lui que son pseudonyme. Je ne savais pas quel âge il avait, ni s’il envisageait de dessiner professionnellement, encore moins s’il voudrait travailler avec moi. Après un premier échange d’emails, nous nous sommes rencontrés sur Paris et sommes très vite devenus amis. Nos univers sont proches l’un de l’autre et nous aimons travailler ensemble. Il a depuis publié le premier tome d’une série de livres illustrés intitulée Eco sur lesquels il collabore avec le scénariste Guillaume Bianco. Il termine actuellement le tome 2, et nous avons commencé à travailler sur un nouvel album jeunesse, "Cœur de pierre", à paraitre chez Delcourt.
Depuis lors, vous avez plusieurs fois collaboré avec Thomas Labourot. Cet artiste semble dessiner plus vite que son ombre. Pas trop compliqué de suivre son rythme ?
Thomas est quelqu’un qui travaille énormément. Avec Christian Lerolle (coloriste sur Mon arbre, Garance et Washita), nous travaillons au sein du même atelier à Reims (l’atelier 510ttc), ce qui facilite les choses.
Il se dégage de ces récits une sorte de poésie naturaliste. Ce lien avec la nature semble important pour vous. Question d’être dans l’air du temps, de préparer les générations futures ou simplement convictions personnelles ?
C’est une remarque qu’on me fait souvent et je n’en avais pas vraiment conscience. Je n’ai pas essayé de faire des histoires qui parlent de la nature, mais juste de raconter le parcours des personnages, leurs histoires.
S’il y a une qualité que j’admire dans vos récits, c’est que, s’ils s’adressent aux enfants, ils ne sont pas enfantins. Quelle est votre vision de l’enfance ? Comment parvenez-vous à vous adresser à un enfant avec un langage à la fois adulte et accessible par lui ?
Les livres que j’ai vraiment aimés étant enfant me touchent toujours autant aujourd’hui quand je les relis. Certains m’émeuvent toujours aux larmes, peut-être encore plus que la première fois que je les ai lus. Je pense que si on fait « simple » parce qu’on s’adresse à des enfants on se trompe, et ils n’aiment pas ça. Ils sont capables de beaucoup plus de réflexion, de questionnement et de recul que ce qu’on pourrait penser. Je ne réfléchis pas vraiment à ma façon de raconter l’histoire. En général, ça me parait évident au moment où je commence à écrire, j’y ai suffisamment pensé en amont. Le plus souvent en BD raconter une histoire est une collaboration, et j’aime que le dessinateur s’approprie l’histoire que je lui propose et qu’il se sente libre de proposer des idées, narratives ou autres, qui viennent enrichir le projet. Je travaille vraiment beaucoup mes textes et mes dialogues, même s’ils paraissent simples, j’essaie de faire en sorte qu’ils sonnent juste.
Avez-vous fait des recherches sur le shamanisme avant de vous lancer dans l’écriture de Washita ? D’où vous est venue cette idée d’animaux déifiés ?
J’ai fait énormément de recherches. En fait je suis maître de conférences en civilisation américaine. J’ai écrit une thèse après 7 ans de recherches auprès de la tribu indienne cherokee aux Etats-Unis. Toute l’histoire de Washita est basée sur ces recherches. Tout est basé sur les mythes et les croyances cherokees. Pour les Cherokees, les animaux sont organisés en tribus et tiennent conseil comme les hommes. Le personnage d’Awi-Usdi par exemple est bel et bien le chef de la tribu des daims et porte dans la BD son véritable nom cherokee. Les prières qui apparaissent en langue cherokee dans la BD sont authentiques elles aussi, comme le mode de vie d’Equani et des autres personnages, leurs réactions et leur peur de voir leur monde perdre son équilibre.
La série est-elle toujours bien prévue en 5 tomes ? Connaitra-t-elle une suite ?
Oui, c’est bien une histoire en 5 tomes. Le scénario est découpé sur 5 volumes depuis le début. L’histoire sera finie et n’appelle pas de suite.
Aristide broie du noir ou Mon arbre proposent des sujets universels. Les avez-vous abordés suite à une expérience personnelle ?
Pas vraiment non, juste l’envie de raconter une histoire.
Dans Garance, comme dans Mon arbre, vous laissez une grande part d’interprétation au lecteur. Pourquoi ? Dans quelle mesure cette démarche est-elle volontaire ?
Elle est plus volontaire dans Garance que dans Mon arbre. Même si dans Mon arbre, j’aimais l’idée que le lecteur puisse imaginer la vie que Laurine a vécue avant de revenir tenir sa promesse à la fin. Toute une vie a passé et elle a pu la vivre de mille façons différentes. Mais ce n’est pas ce qui m’intéressait dans cette histoire. Pour moi, l’important, c’est qu’après toutes ces années, son amour pour son ami est toujours le même, et qu’elle n’a pas oublié sa promesse. Dans Garance, ce n’est pas la même chose et dès le début, j’ai voulu essayer de raconter cette histoire de deux façons différentes en même temps. J’ai essayé de faire en sorte qu’un enfant et un adulte qui liraient cette histoire la comprennent différemment. J’ai travaillé sur le non-dit et les ellipses dans ce but.
Le format de 32 pages n’est-il pas un peu frustrant ? N’avez-vous pas parfois envie de dépasser ces limites ?
Ce n’est pas un format frustrant s’il convient aux histoires. Pour Mon arbre, Garance et Aristide broie du noir, je pense que ce format convenait parfaitement et je ne me suis pas sentie frustrée. Le choix du format se fait en fonction du projet, et au moment de l’écriture, on sait toujours de combien de pages on a besoin pour raconter telle ou telle histoire. On y réfléchit en amont, avec l’éditeur. Mon prochain album jeunesse, "Cœur de pierre", sera encore un one-shot de trente pages pour les éditions Delcourt. Par contre, j’ai d’autres projets pour lesquels j’aurai besoin de plus de place, ça dépend vraiment des histoires.
Pourquoi vous êtes vous spécialisée dans le récit « jeunesse » ? Et d’abord, est-ce une spécialisation ?
Je ne pense pas être spécialisée dans le récit jeunesse, je n’ai pas publié assez de livres pour ça. Mais c’est vrai que c’est un genre que j’affectionne particulièrement et qui me correspond.
Pensez-vous écrire un jour un récit destiné aux adultes ?
Il y a déjà Washita et puis d’autres projets en cours… Je pense aussi que les récits jeunesse s’adressent aussi bien aux adultes qu’aux enfants. J’en lis personnellement énormément, et je trouve des choses dans les albums et les BD jeunesse que je ne retrouve pas dans les autres livres dits « pour adultes ». Je pense que quand on aime les histoires et les livres, il ne faut se fermer à rien.
Travaillez-vous sur un nouveau projet ?
Je travaille sur plusieurs nouveaux projets.
Pouvez-vous nous en toucher un mot ?
Il y a "Cœur de pierre", un album jeunesse sur lequel je retrouve Jérémie Almanza, aux éditions Delcourt. L’histoire sera très différente d’Aristide broie du noir, mais nous travaillons ce projet de la même façon, une BD muette et un texte en alexandrins. Je travaille aussi sur une série jeunesse avec Minikim aux dessins. La série s’appelle "Couette" et les premiers tomes paraîtront courant 2012 aux éditions Dargaud. Et, avec Benoît Blary, sur Maroons, un projet « adultes » en 3 volumes chez Casterman, qui raconte le parcours d’un homme torturé sur fond de guerre de Sécession aux Etats-Unis. Plus divers projets jeunesses et adultes en cours de développement ou en recherche d’éditeurs.
Séverine, merci pour le temps que vous venez de nous consacrer et bonne continuation dans votre carrière.
Merci beaucoup.
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