Auteurs et autrices / Interview de Serge Le Tendre

Serge Le Tendre est surtout connu pour être le co-créateur de la série culte La Quête de l'Oiseau du Temps. Mais ses univers se sont nettement déployés depuis, et tous valent le détour.

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Serge Le Tendre - photo : neuvieme-art.com Bonjour Serge, nous allons parler un peu de votre parcours… Vos parents souhaitaient que vous fassiez un métier « sérieux », c’est ainsi que vous vous êtes retrouvé aide-comptable à 16 ans… Pourtant vous réussissez à suivre des cours sur la bande dessinée à l’université de Vincennes. Comment vous est venue cette passion ?
Quand j’étais gamin, il y avait mon rendez-vous hebdomadaire du jeudi : celui du Journal de Mickey. Tout a commencé là. Ensuite, il y a eu le fils de mes voisins de palier, Serge Segret. Il faisait des illustrations de jeux pour le même illustré (à l’époque, on disait illustré). Je me suis dit : si lui le peut, pourquoi pas moi ? Ce qui a aussi amené ma première déception : malgré sa signature apposée partout, Walt Disney ne dessinait donc pas chaque page du journal ! Ensuite encore, l’émission de Pierre Tchernia, «L’Ami public numéro un». Moment magique pour un gosse de dix ans un poil solitaire. Enfin, le jour où je suis allé à la rédaction du Journal de Mickey du haut de mes 12 printemps, j’ai réalisé que c’était AUSSI un travail !

Vous côtoyez des gens comme Juillard et Loisel, à quel moment avez-vous décidé de faire des choses ensemble ?
C’est Giraud qui nous a mariés, Régis et moi. Je dessinais plutôt mal et Régis manquait d’une bonne histoire. On a fait connaissance. On a sympathisé plus tard. On n’a jamais couché.

A la même époque, au milieu des années 1970, vous travaillez déjà pour Pilote et Tousse-Bourin. Cette période a-t-elle été formatrice pour vous ?
En fait, ça partait dans tous les sens. On prenait tout ce qui se présentait : «Je bouquine», des audio visuels pour la pub, des couvertures de romans porno, des contes, des blagues pour Fluide Glacial. On apprenait. L’école de la vie quoi.

Accéder à la BD La Quête de l'Oiseau du Temps La Quête de l'Oiseau du Temps a démarré en 1975 dans le magazine Imagine, dirigé par Rodolphe. Quelle forme avait-elle à cette époque ?
Une forme lourde, confuse et un poil indigeste mais aussi bouillonnante, innocente et joyeuse.

Il semblerait que la série ait été interrompue, puis relancée en 1982 dans l’optique d’une parution en albums. Pourquoi ce hiatus ?
M’en souviens pas. Franchement. Peut-être tout simplement parce qu’aucun éditeur - même les Humanoîdes Associés - n’en voulait.

C’est Dargaud qui publiera finalement la série. Si c’était à refaire, iriez-vous vers un autre éditeur ?
Pourquoi ? Dargaud a plutôt bien fait son boulot. Au début, il a fallu un peu insister mais le succès aidant, les choses se sont mises en place naturellement. Pas sûr qu’un autre éditeur eut fait mieux.

La série a marqué –et marque toujours- ses lecteurs. Comment vous expliquez-vous ce succès ?
L’humain, avant tout. C’est notre crédo, notre exigence, à Régis et à moi. Peut-être aussi qu’on était là au bon moment, au bon endroit. Peut-être encore qu’on est des escrocs et qu’en fait ce n’est pas nous qui avons commis cette histoire mais d’obscurs tâcherons enfermés dans la cave.

Accéder à la BD Jérome K Jérome Bloche Quelles ont été vos influences dans l’écriture de cette magnifique série ?
Allez, je cite en vrac : Jack Vance, Shakespeare, Philip K. Dick, Rostand, Spielberg, mon voisin de palier, Krishnamurti, les Frères Grimm, Tex Avery, le Bilbo le Hobbit de Tolkien, Alexandre Dumas, Tati, etc

Si c’était à refaire, que changeriez-vous au premier cycle ?
Les couleurs et la pagination des deux premiers albums.

En 1985 vous créez chez Dupuis Jérome K Jérome Bloche, avec Alain Dodier. J’imagine que le nom du personnage rend hommage à l’écrivain anglais presque homonyme, mais surtout à l’humour un peu absurde qu’il déployait dans ses écrits ?
Bien vu. Mais aussi à un autre écrivain, Robert Bloch, auteur de «Psycho» entre autres.

Pourquoi avoir laissé le scénario au bout de deux albums ?
Je suis un contemplatif. Le bon Makyo bouillonnait d’idées toutes plus excellentes les unes que les autres. J’ai préféré continuer à ma petite vitesse sur d’autres projets.

Est-ce qu'il y aura encore une suite aux tomes parus pour Le Cycle de Taï Dor ?
Il y a une suite entièrement dessinée mais l’éditeur a sanctionné le retard du dessinateur en refusant d’éditer cet ultime épisode. L’édition BD est un monde cruel !

Accéder à la BD Les Errances de Julius Antoine Quelle était l'idée ayant mené à la création du personnage de Les Errances de Julius Antoine ? A la lecture du premier tome, on peut en effet craindre que ce dernier soit franchement louche, et même si les soupçons pesant contre lui sont levés dans les tomes suivants, il reste tout de même très particulier.
Je vous conseille très vivement de lire ma préface à l’intégrale des « Errances » : tout y est expliqué en long et en large.

A quand la suite de L'histoire de Siloë ?
Seul Stéphane Servain a la réponse. Il vient de terminer le 1er album d’un cycle scénarisé par Valérie Mangin. Peut-être aura-t-il un peu de temps libre avant de dessiner le second ? Franchement, j’en doute, bien que, depuis des années, les 3/4 de l’album soient dessinés. Je comprends bien sûr que les lecteurs se sentent frustrés de ne pas pouvoir lire cette histoire jusqu’à la fin, d’autant plus qu’elle représentait beaucoup pour moi.

Sans compter que cela me prive en plus de mes droits d’auteur ! Un monde cruel, je vous ai dit !

Accéder à la BD La Quête de l'Oiseau du Temps - Avant la Quête Pour La Quête de l'Oiseau du Temps - Avant la Quête, était-ce une envie profonde de votre part et de celle de Loisel, une attente des lecteurs ou une demande de l’éditeur ?
Avec Régis, nous n’aurions rien pu faire sans une motivation ludique. Elle se résumait à cette question : est-ce que nous sommes encore capables de travailler ensemble ? Si la réponse avait été non, il n’y aurait jamais eu de suite ou de préquel. Les pressions de l’éditeur et des lecteurs n’auraient rien pu y changer.

Il s’est encore passé presque une décennie entre le tome 1 et le tome 2 de cette « suite »… Le passage de relais entre Lidwine et Aouamri a été long…
Lidwine devait faire la suite du Le Dernier loup d'Oz en alternance avec « La Quête » mais comme ma soeur Anne ne voyait toujours rien venir, au bout d’un moment, il a bien fallu couper le cordon. Ensuite quid de la reprise ? Aouamri a heureusement été parfait. Il a très bien intégré le style de Lidwine au sien et nous a fait un superbe album... dans les mêmes délais qu’aurait pris Lidwine. Il a tout compris !

Fol de Dol Vincent Mallié travaille désormais sur la série, et semble bien avancer sur le prochain tome… Comment vous répartissez-vous l’écriture avec Régis ?
Quelques cessions de travail échelonnées suivant les disponibilités de chacun. Je suis allé trois ou quatre fois à Montréal et Régis profite parfois de ses séjours en France pour qu’on se rencontre. Sinon, concrètement, c’est une partie de ping-pong. Une idée en amène une autre. On essaie de s’étonner.

Si c’était à refaire, que changeriez-vous dans le premier cycle de la Quête ?
Je m’arrangerais juste pour que Bragon connaisse déjà le personnage de Fol de Dol. C’est une figure à laquelle je suis attaché mais qui ne peut pas apparaître dans le préquel.

Est-ce que le prochain tome de La Quête de l'Oiseau du Temps - Avant la Quête clôturera définitivement la série ? Si oui, est-ce une fin à regret ?
Le prochain, non. Pas le suivant, non plus. Mais certainement après. Pour les regrets, c’est comme un beau et long voyage : on n’en gardera que les meilleurs souvenirs et puis surtout restera le sentiment d’avoir créé et partagé un univers avec des lecteurs de toutes sortes. Donc, pas de regrets, de la nostalgie peut-être.

Accéder à la BD Chinaman En 1997 sort le premier « western bol de riz », comme vous l’avez vous-même défini un jour, Chinaman. Peu de bandes dessinées se sont penchées sur le sort des immigrés chinois aux Etats-Unis au XIXème siècle… L’idée vous est venue comment ?
C’est Olivier TaDuc et sa femme Chantal qui sont à l’origine de ce concept. Grâce à eux, j’ai découvert une partie de l’histoire des Etats-Unis et de la Chine que j’ignorais.

Alors que les albums sortent avec une régularité de métronome depuis le début, le dernier date d’il y a presque trois ans. TaDuc a voulu faire une pause ? La série est-elle terminée ?
TaDuc avait envie d’explorer en alternance un autre registre, celui de Mon pépé est un fantôme, avec Nicolas Barral. Sous la pression de l’éditeur, tous deux alignèrent les albums pour mieux s’assurer de leur lectorat. Du coup, Chinaman a été mis en veilleuse. Mais comme leur série ne s’est pas prolongée, avec Olivier nous pensions remettre Chinaman en selle vers de nouvelles aventures. Une partie de l’album était même écrite lorsque l’éditeur nous a avertis abruptement que "bin non, les gars, un 10ème album après tout ce temps d’absence, vous comprenez, ce n’est pas possible !" - entendez : pas rentable. On l’a eu mauvaise. Pour nous, pour le lecteur aussi. Avertis à temps, on aurait pu au moins faire un ultime album pour clore la série en beauté. Genre : Chinaman ouvre une blanchisserie à Washington et se fait élire candidat à l’investiture avant qu’un cinglé de Red Neck ne l’abatte ! Une belle fin, quoi. Monde cruel monde cruel.

Cliquez pour voir une image de Griffe Blanche, avec TaDuc (à paraître chez Dargaud) Aimeriez-vous revenir au monde antique avec Christian Rossi après La Gloire d'Héra et Tirésias ?
J’ai adoré cette collaboration. J’y retournerai sans problème.

Votre collaboration avec Pendanx et Rodolphe sur Labyrinthes a donné une chouette série, mais qui m’a laissé sur ma faim… Auriez-vous aimé développer plus cet univers ?
Heu... on parle pas de la même série, là. Ce n’était pas avec Rodolphe mais avec Dieter. Quant à développer cet univers, je n’en vois pas l’intérêt. D’autres font ça très bien.

Le Livre des Destins a connu une coupure entre le tome 1 et le 2 ; pourquoi ce hiatus ?
Entre les deux tomes, saviez-vous que Biancarelli a dessiné le dernier Galfalek ?

De même, vous revoilà en 2011 avec une nouvelle série après plus de deux ans d’absence. Un hasard ou une vraie pause ?
Un hasard.

Accéder à la BD Le Paradis sur Terre Le Paradis sur Terre est donc votre dernière série. Cette histoire de malédiction planétaire liée à un évènement spatial me semble déjà lue… Que nous réserve la suite de l’aventure ?
Vous le saurez en achetant le deuxième tome qui sort bientôt (il y en aura trois - voir extraits ici et ici).

Laurent Gnoni a un style qui s’apparente à celui de Christian Rossi, avec lequel vous avez beaucoup travaillé ; j’imagine que ce n’est pas un hasard…
Bien vu. C’est un petit peu comme une marque de fabrique.

Pourquoi avoir choisi 12bis pour sortir ce nouveau projet ?
Ils aiment l’histoire. Ils paient bien.

Cliquez pour voir une image de Griffe Blanche, avec TaDuc (à paraître chez Dargaud) Après plus de 30 ans de carrière et 60 albums environ, quel regard portez-vous sur votre œuvre ?
« Etonnant, non ? »

Quelles séries vous ont particulièrement marqué ces dernières années ?
« La petite maison dans la prairie », « Deadwood » et « Les nombrils ».

Avez-vous de nouveaux projets ?
"Golias", avec Jérome Lereculey (au Lombard), L’adaptation du roman "Les vestiges de l’aube"», de David Khara, un copain. "Griffe Blanche", avec TaDuc (chez Dargaud - voir les deux extraits ci-contre, à droite)

Serge, merci.
De rien.
Interview réalisée le 15/10/2011, par Spooky, avec la participation de Ro.