Auteurs et autrices / Interview de Philippe Tome
Philippe Tome a marqué, avec son ami Janry, l’histoire de la BD franco-belge avec leur passage sur la série Spirou et Fantasio. L’auteur est à présent rare, profitons-en.
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J'ai pensé à mes mémoires: Tome 1, Tome 2, Tome 10, etc. ;-)
Il paraît que ta première rencontre avec la bande dessinée fut une lecture du Sceptre d’Ottokar et de Corentin après qu’une opération aux yeux t’ait laissé temporairement aveugle… As-tu encore des souvenirs de cette expérience ?
Très peu. On m'avait également lu le Poignard Magique. Il me semble que Corentin était copain avec un gorille, un tigre et une jolie princesse indienne.
Plus grand, tu t’es lancé dans des études de communication et de journalisme. Une question bête (là encore) : pourquoi, alors que la BD était déjà ta grande passion ?
Par conformisme, je suppose. J'ai dû interrompre. Déjà trop de travail en BD. En journalisme, nous étions 250 candidats en 1ère année. Nous savions que 50 seulement sortiraient. Et 5 auraient un emploi. Un moment, il a fallu choisir ! ;-) Comme la bande dessinée me passionnait plus que tout le reste, j'ai remis les études à plus tard...
Le premier souvenir que j'ai de toi remonte aux J.O. de Los Angeles (si je ne m'abuse). Quel souvenir gardes-tu de cette collaboration avec la RTBF ? Serais-tu partant pour une nouvelle aventure dans cet univers ?
Ce n'était pas vraiment le sport qui m'attirait mais l'événement. Le dessin de presse m'a toujours fasciné. Le seul sans doute pour lequel mes aptitudes graphiques suffiraient encore aujourd'hui, parce que le trait peut s'effacer devant la pertinence du propos. Et la frustration d'avoir abandonné le journalisme, je suppose. Je suis fan de Pat Oliphant.
Tu as assisté Dupa, puis Turk et de Groot, j’imagine respectivement sur Cubitus et Léonard en particulier… Qu’as-tu appris à cette époque ?
La véritable prouesse des artistes de BD est dans la répétition de détails pas forcément valorisants, mais exécutés avec la même exigence. En définitive, ça m'a amené au scénario ;-) où j'ai essayé de reporter les bénéfices de cette leçon d'humilité.
Peux-tu revenir sur la façon dont ton compère Janry et toi avez été désignés comme auteurs de Spirou et Fantasio, en 1981 (trente ans déjà !) ?
Ami, pas "compère"! ;-)
À l'occasion de la recherche de successeurs à Fournier chez Dupuis, dont nous ignorions les arcanes, car nous venions du Lombard, nous avons été invités par Alain De Kuysche à faire un essai de quelques pages. Jamais nous n'avions réalisé de pages BD en tant que pros (seulement des "jeux"). Sans y croire, mais avec une bonne dose de naïveté, nous sommes allés trouver Franquin que nous admirions. C'était pour nous l'occasion idéale pour obtenir de le rencontrer en prétextant le besoin de conseils sur Spirou. Il nous a reçus. Il travaillait sur le gag de Gaston "manif pacifiste et bombe en balsa". Il a accepté que nous visitions son "bureau". Pour nous, l'objectif était atteint, on avait serré la pince à Dieu.
Puis, De Kuysche a appelé en exigeant que nous fournissions des noms d'auteurs et une couverture, car les pages allaient être publiées. Nous avons découvert par la suite qu'André avait mentionné nos noms auprès de Charles Dupuis. Nous avons décidé que si nous poursuivions dans cette voie, ce serait en tentant d'être fidèles à l'esprit du créateur de Gaston.
Quelle marge de manœuvre aviez-vous tous les deux en termes de récit et de dessin ?
Large. Il y avait cependant une clause dans nos contrats interdisant de parler de racisme, de politique, de religion et de sexe. Il a fallu attendre Le Petit Spirou et des changements de mentalité (ou de responsables…) pour finir de convaincre des vertus de la transgression.
Tu fais beaucoup voyager le duo, toi-même étant un grand globe-trotter. As-tu visité toutes les contrées dans lesquelles ils évoluent ?
Presque toutes celles qui sont réelles (USA, URSS), parfois après les avoir mises en scène ! (Australie)
En 1987 tu lances une très belle série, Soda, avec Luc Warnant. Cette série tient-elle une place particulière dans ton parcours ?
Ma fascination pour NY, l'idée de pouvoir raconter ce qui était hors cadre dans Spirou et Fantasio, l'impact sur mon imagination de Gil Jourdan, la rencontre avec Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Pourquoi Luc Warnant a-t-il abandonné après le tome 2 ?
De son propre aveu : trop perfectionniste, trop de temps passé à ne jamais être satisfait, une famille déjà importante à nourrir, le désir de passer à l'animation 3D.
Comment as-tu rencontré cet excellent dessinateur qu’est Bruno Gazzotti ?
Il a été envoyé par la rédaction pour nous aider sur Spirou et le Petit Spirou. Je lui ai proposé la reprise de Soda quand Luc a arrêté.
Pourrait-on revoir des personnages auxquels Soda a déjà eu affaire, car certains sont particulièrement attachants ?
Bien sûr. Chaque fois qu'ils auront une utilité dans le récit.
Pourquoi Soda ne rencontre-t-il (presque) jamais des collègues ayant le même profil, les autres flics restent souvent peu enclins à l'action ? (je passe l'épisode du ripou)
Je n'en sais rien. Peut-être que 44 pages c'est une trop courte distance pour distribuer plus équitablement les actions.
Bruno Gazzotti est fort pris pour le moment. Y a t il malgré tout une chance de voir un nouveau Soda sortir prochainement (ou avec un autre dessinateur) ?
Fort occupé en effet, Bruno n'a pas souhaité travailler sur les 2 prochains épisodes. Un autre dessinateur travaille en ce moment sur la suite. Il est possible de voir des images sur ma page FB.
En 1990 tu t’attaches à la jeunesse de Spirou, déjà entrevue dans la série « mère », en créant Le Petit Spirou, qui a connu un succès phénoménal. Comment expliques-tu cet engouement ?
Le soutien de Dupuis, le graphisme de Janry, l'évocation de tabous jusque-là inexistants dans la BD dite familiale. La renaissance du gag en une page très dévoreuse d'idées et tombée en désuétude au profit de récits de plusieurs pages. La chance surtout.
Acceptes-tu de parler de l’arrêt de votre collaboration sur Spirou et Fantasio ?
Non. Mais il n'y a pas d'amertume, tout va bien ! ;-)
À près de 15 tomes et probablement plus de 600 gags, la lassitude n’est pas présente ?
J'ai toujours souffert sur le scénario. Ça reste vrai aujourd'hui et je n'ai pas rajeuni ;-) La série reste mon univers de prédilection. Et celui pour lequel le public s'est montré de loin le plus enthousiaste. Chaque page de Janry est un éblouissement malgré la distance. Je suis parfois lassé de mes difficultés, jamais de la création.
Pourquoi Dupuis a-t-il démultiplié la série en recueils thématiques (sur le prof de sport, par exemple) ? N’est-ce pas une concession de plus au marketing ?
"De plus"? On ne peut pas dire que nous nous soyons noyés dans les compromissions ;-). Les compilations sont dans l'air du temps, elles permettent un échantillonnage auprès du public qui ne connait pas la série, créer un événement entre deux nouveautés.
En 1991 tu surprends beaucoup de monde avec le récit plus adulte Sur la route de Selma. L’envie de ne plus être catalogué comme auteur de séries pour enfants et adolescents ?
Je revenais d'Afrique du Sud, avec l'intention d'écrire un Spirou sur le racisme et la ségrégation. J'en suis revenu déprimé : il me paraissait impossible de plaisanter sur le sujet et il me semblait plus pertinent de s'intéresser à ce qui se passait chez nous. Philippe Berthet a été touché par mes soucis, ;-) et Dupuis a voulu que cela se fasse dans Aire Libre qui se lançait. Philippe souhaitait un récit situé en Amérique, j'ai trouvé plus tard l'occasion d'évoquer le sujet de façon plus légère dans Spirou et Fantasio avec "Le Rayon Noir"
Aimerais-tu retravailler avec Philippe Berthet ?
Je suis à chaque fois flatté que des auteurs soucieux de qualité me prêtent leur talent. C'est vrai aujourd'hui comme hier.
Tu as aussi repris un temps le scénario du Gang Mazda, racontant les déboires amoureux et professionnels des auteurs qui travaillent dans le même atelier que toi… Pourquoi avoir mis un point final à la série en 1996 ?
La série ne vendait pas assez. Elle a été arrêtée chez Dupuis.
J’aimais bien la série des Minoukinis… Dommage qu’elle n’ait connu que deux tomes…
Merci.
Berceuse assassine a fait à l'époque une sortie remarquée et reste un album de référence dans le genre. Le duo avec Ralph Meyer fonctionne très bien... Est il envisageable de vous voir à nouveau réunis ?
Ralph Meyer est un artiste prodigieux. Assoiffé d'expériences nouvelles et de liberté. Si nos chemins se recroisent, j'essayerai de lui proposer quelque chose à la hauteur de son talent et de notre amitié.
Pourquoi avoir fait d’un chauffeur de taxi ton héros ?
C'est Gérard GOFFAUX, un autre auteur et ami qui a eu l'idée, il me semble. Initialement, le premier opus de ce qui est devenu "Berceuse" lui était destiné.
As-tu d’autres thrillers dans tes cartons ?
Des projets sont en cours. J'essaye de n'en parler que quand les livres sont en route pour les librairies. Je suis superstitieux.
Quelle est la raison de l'abandon de la série "Feux" avec Marc Hardy ? Volonté de l'éditeur ? Raisons propres aux auteurs ? ...
L'éditeur a arrêté le développement de la collection Cosmo. Feux n'est pas arrêté pour nous, juste suspendu. 80 pages non publiées attendent toujours.
Titeuf, Cédric et bien d'autres ont eu droit à leur dessin animé. À quand le tour du petit Spirou ? L'aventure vous tenterait-elle ?
C'est en cours de développement.
J’ai lu quelque part qu’une option avait été mise sur Soda… Rien de neuf de ce côté-là ?
C'est pareil.
On te sent moins présent en bandes dessinées ces derniers temps… Tu prépares beaucoup de projets en parallèle ? Ou tu es passé un peu à autre chose ? Et si oui, quoi ?
J'aime l'écriture, j'aime la vie, et ma famille. Je n'ai pas l'intention d'abandonner l'une ou l'autre dans un proche avenir.
Qu’en est-il du projet "Rages", qui était prévu chez Dargaud ?
La collection a été arrêtée. 80 pages réalisées et non publiées également. Ce serait dommage que cette création reste sans être proposée à la lecture…
Philippe, merci.
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