Auteurs et autrices / Interview de Michel-Yves Schmitt
Récent vainqueur du prix des Ecoles d’Angoulême avec sa série jeunesse « Où es-tu, Léopold ? », Michel-Yves Schmitt s’est aussi fait remarqué grâce à deux récits intimistes édités chez la Boîte à Bulles. Rencontre avec un auteur aussi simple que talentueux.
Voir toutes les séries de : Michel-Yves Schmitt
Cette version 2012 a été formidable, car Vincent Caut et moi y avons reçu le prix des Écoles pour notre série jeunesse Où es-tu Léopold ? chez Dupuis. Nous sommes très fiers d’avoir su toucher et captiver les enfants lecteurs. Plus que le prix lui-même, leurs rires est la plus importante des récompenses.
Même si je suis resté très peu de jours sur le festival, c’est toujours un plaisir d’y croiser les autres auteurs que l’on voit peu le restant de l’année. Je suis ravi que Jean-Claude Denis soit le prochain président étant un fidèle lecteur de ses albums intimistes. Il est juste dommage que Marion Montaigne, une copine, n’ait pas reçu un Fauve pour son excellent album chez Ankama (note : Tu mourras moins bête).
Sur le site de Dupuis, l’article consacré au prix des Écoles renseigne un lien vers … Eric-Emmanuel Schmitt. Pas trop pénible de devoir vivre avec ce genre de confusion ? Ou alors vous êtes une seule et même personne (quel scoop !)
Ne vous moquez pas, c’est mon oncle ! Non, je plaisante ^^ Mais c’est généralement ce que je dis lorsqu’on me pose cette question de parenté. Non, c’est plutôt amusant. Bon Dupuis a fait une bourde pas bien grave, il faudra que je leur signale que je n’ai pas autant de cheveux blancs que lui !
Je serai bientôt au Salon du Livre de Paris, j’irai le voir pour lui faire la remarque ^^.
Remporter le Prix des Écoles ne peut être qu’un motif de satisfaction. Comment s’est déroulé le vote ? Est-ce le choix des enseignants ou des élèves ?
La sélection des albums en compétition a été, je suppose, du ressort des enseignants. Ensuite ce sont les enfants qui ont fait leur choix, merci à eux. C’est une réelle motivation pour continuer à les amuser. Ils ont adoré le concept d’invisibilité du personnage, et les farces qui découlent de ce pouvoir extravagant. Beaucoup nous disent d’ailleurs qu’ils adoreraient avoir ce don pour tricher, taper sur les copains, chaparder dans le frigo, toutes ces choses interdites et typiquement enfantines. Vincent et moi ne perdons donc jamais de vue cette intention très « spontanée » du personnage.
En termes de retombées, ce genre de prix a-t-il des conséquences sur le niveau des ventes ?
C’est encore un peu tôt pour en juger, mais je pense que oui. Un prix apporte toujours une exposition plus large de son travail. Les autres éditeurs qui aiment Léopold viennent également nous confier leur enthousiasme, et désirent travailler avec nous. Nous savons déjà que le tome 1 s’est bien vendu et est actuellement en réimpression. C’est très encourageant.
Qui a choisi le format ? 32 planches, c’est bien trop court selon plusieurs lecteurs !
Je sais, on a souvent eu cette remarque, venant essentiellement d’adultes. Nous avons avec l’éditeur choisi ce format court (comme anciennement dans la collection Punaise et Puceron) pour permettre aux très jeunes enfants de s’approprier le personnage en une seule lecture. Souvent les enfants arrêtent de lire un album avant la fin, ces formats trop longs sont moins adaptés aux jeunes lecteurs. Nous voulions qu’ils soient contents de lire l’album en entier et seuls (ou avec l’aide de leurs parents pour les plus petits) avant d’aller se coucher par exemple.
Mais revenons un peu à toi. Peux-tu te présenter en quelques mots ? Quel a été ta formation ? Vis-tu de ton art ? Es-tu marié ? As-tu des enfants ?
Je dessine depuis l’enfance, comme la plupart des auteurs je présume. La BD est une vraie passion qui m’a motivé à suivre des études de dessin (école d’Arts appliqués et Beaux-arts). Puis je suis devenu graphiste tout en continuant à placer des illustrations dans des journaux et magazines. J’ai touché au fanzinat puis au collectif comme Patate Douce, où j’ai commencé à développer l’auto-fiction Dérives, qui a été publiée par la suite chez la Boîte à Bulles.
Je fais maintenant essentiellement de l’illustration en indépendant, de la BD et intervient sur des séries animées comme Geronimo Stilton qui passe actuellement à la TV. J’aime bien varier et le dessin animé me sort de mon atelier pour travailler en équipe.
Je vis en couple, je remercie ma compagne de supporter la vie pas toujours calme d’un auteur, et nous avons un petit garçon qui n’a pas encore l’âge de lire des BD, mais qui j’espère aimera bientôt Léopold ^^.
Ton premier album, si mes renseignements sont exacts, fût Dérives. Un roman graphique pur jus. Peux-tu nous en toucher un mot ?
En effet, c’est le premier. Dérives est une auto-fiction racontant le douloureux passage à l’âge adulte d’un jeune homme cynique et mal dans sa peau. Un peu rebelle, purement égoïste, fonctionnant aux conflits pour trouver sa place entre un père manipulateur, une belle-mère timbrée et des petites amies irritables. Il s’en veut surtout de ne pas avoir été présent au décès de sa mère. Ça le mine et le rend acerbe.
Quel a été la part de toi-même que tu as mise dans le personnage principal, Luc ?
On va dire 75% ! Je ne suis pas Luc, du moins dans son cynisme ultra prononcé. Mais à l’époque j’avais une affection pour le personnage de Jean-Pierre Bacri dans ses films. J’ai juste poussé le caractère de Luc sur ce même ton. Sinon, oui, la fuite à NY, le décès d’un parent, le conflit avec le parent restant, tout ça fait partie de moi, en effet.
Mais je tiens à rassurer, je suis franchement plus agréable à vivre et à côtoyer que Luc ^^.
Le cynisme comme système de défense, c’est assez symptomatique de notre époque, non ?
Par provocation sans doute. C’est une manière assez facile de se cacher derrière un masque, d’offenser autrui dans ses opinions. Luc est perdu, c’est le moyen qu’il a trouvé pour ne pas montrer ses failles et sa fragilité. On est dans un monde où il faut montrer une image de soi toujours positive, ça engendre alors ce genre de débordements, par pure nécessité de démolir l’autre avant qu’il ne vous démolisse.
Tu reviens au roman graphique avec Ainsi danse, un récit qui mêle différentes histoires d’amour. Les problèmes de communication dans le couple y sont mis en avant. Pourquoi un tel choix ?
J’avais envie d’un récit choral avant tout, mais ne savais pas trop comment l’aborder. Traiter 7 personnages à égalité, c’est assez casse-gueule. Mais dès que j’ai trouvé le thème : les conflits (encore^^) et les soucis de communication dans le couple, j’ai utilisé plusieurs facettes pour l’exprimer. Plusieurs caractères, plusieurs âges, plusieurs anecdotes. Le thème de l’intime me touche beaucoup, j’aime observer les gens autour de moi et m’en servir. Il y a peu de moi dans cet album, sauf les réactions qui sont fatalement les miennes au fil du récit, mais les situations sont toutes imaginaires et travaillées.
Au niveau graphique, outre une plus grande maîtrise des personnages et des décors, le changement notable est la disparition de la couleur. Choix économique ou choix artistique ?
Choix artistique et aussi gain de temps. De plus, j’avais aimé les bichros des auteurs américains comme Clowes ou Seth. Du pur intime comme j’aime. Donc pourquoi ne pas essayer. Et la bichro renforce énormément la lisibilité de lecture sur mon trait devenu plus détaillé et plus réaliste. Peut-être qu’un jour j’apporterai une suite, je ne sais pas trop encore, pas dans l’immédiat en tous les cas. Beaucoup de lecteurs me demandent de réutiliser ces personnages auxquels ils se sont attachés.
Ces deux récits ont été publiés chez La Boîte à Bulles. Comment se passe ta collaboration avec cet éditeur ? De quelle marge de liberté disposes-tu ?
Ça se passe très bien avec lui. Il connaît ma façon de travailler, et les thèmes que j’aborde lui plaisent souvent. Il me laisse donc une énorme liberté. Je prends d’ailleurs en compte certaines de ses remarques, qui me permettent d’approfondir telle ou telle situation. J’ai sa confiance, et le dialogue entre nous est sincère.
Une série jeunesse qui mêle humour et fantastique, deux romans graphiques et puis … un western aux accents mystiques : La Poire en deux. Peux-tu nous parler de cet album et de ta collaboration avec le dessinateur, Cédric Kernel ?
On se connaît avec Cédric depuis longtemps, depuis le fanzine Beurk en fait, et on a toujours souhaité faire un album ensemble. Ça s’est donc trouvé à ce moment-là, avec son envie de faire un western et mon désir de me pencher sur un récit humoristique et frappadingue. J’ai adoré l’écrire, premièrement pour m’évader de l’intimiste et m’aérer la tête, deuxièmement parce que Cédric et moi avons des goûts et des lectures similaires. On s’est entendu à merveille sur cette histoire renouant la grande aventure, l’absurde et le fantastique proche des Mystères de l’Ouest de notre enfance. La liberté était totale, nous avons juste concocté l’intrigue pour être précis sur ce que nous voulions raconter, j’ai ensuite scénarisé et dialogué les 75 pages. J’ai pris un plaisir fou à faire parler ces personnages tous aussi caricaturaux les uns que les autres. On est dans du pur genre, c’est ça qui est jouissif par rapport à ma cuisine intimiste habituelle.
Dans tous tes albums, on retrouve un dénominateur commun : l’humour. Parfois mis en avant, parfois discret, mais toujours présent. Il n’y a pas de bon récit sans une note d’humour, selon toi ?
J’adore l’humour. Mais beaucoup de personnes diront que Dérives et Ainsi danse ne sont pas des albums où l’on rigole vraiment ^^. C’est agréable que certains lecteurs aient su trouver des pointes d’humour dans ces 2 albums. Les passages légers, voire comiques, renforcent certaines scènes plus dramatiques et désamorcent une tension trop longue. La vie est faite des deux pendants, soyons réalistes, acceptons donc de la transcrire ainsi.
Et puis un livre uniquement tragique sans une once d’humour, c’est à se flinguer. On peut traiter de sujets dramatiques et douloureux sans oublier de passer par des scènes plus drôles. Pilules bleues, qui est un de mes albums préférés, en est le parfait exemple.
Et pour l’avenir, quels sont tes projets ?
En avril sort "Ma Vie d’Adulte", chez la Boîte à Bulles. C’est un album couleur réalisé avec la scénariste Isabelle Bauthian (Effleurés chez Dargaud, Havre chez Ankama). Retour à l’intimiste, avec une femme pour héroïne. J’ai eu envie d’aborder la vie d’une femme, Isabelle m’a donné l’occasion avec ce scénario enjoué de partager ses aspirations.
J’attaque un projet personnel de nouveau chez la Boîte à Bulles sur un couple et un enfant, puis un polar canadien avec le scénariste Djian (Titre : Le grand frère - voir recherches de personnages ici et ici), ainsi qu’un album intimiste, un huis clos avec Séverine Lambour au scénario (Titre : Recherche - voir planche crayonnée ici). Bien sûr, avec le dessinateur de Léopold (tome 3 en préparation), nous sommes en train d’écrire un album comique jeunesse sur un monde totalitaire rempli de robots. Mais je ne peux en dire plus, certains n’ont pas encore d’éditeur ^^.
Michel-Yves, un grand merci pour le temps que tu viens de nous consacrer, et bonne continuation dans ta carrière.
Merci à vous !
Site réalisé avec CodeIgniter, jQuery, Bootstrap, fancyBox, Open Iconic, typeahead.js, Google Charts, Google Maps, echo
Copyright © 2001 - 2024 BDTheque | Contact | Les cookies sur le site | Les stats du site