Auteurs et autrices / Interview de David Vandermeulen et Daniel Casanave
A l’occasion de la sortie du second tome de Shelley, BDthèque vous propose de rencontrer les deux auteurs responsables de cette étonnante double biographie.
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David : Daniel est avant tout un ami, avec lequel je partage beaucoup d’affinités culturelles. Nous avons également un regard identique sur notre métier. Une façon de vivre au présent ce que nous entreprenons, sans trop de projections dans le futur ni de regards dans le rétroviseur. Contrairement à moi, Daniel est un véritable dessinateur, c’est pour lui un état de fait naturel, cela fait partie de son essence-même.
Daniel : Oui, je n’ai rien à rajouter, je dirais exactement la même chose de David, si ce n’est qu’il place lui l’écriture avant le dessin.
Shelley n’est pas votre première collaboration. Comment s’est formé votre duo ?
Daniel : Nous nous sommes connus il y a une dizaine d’années, sur les stands de l’éditeur 6 Pieds sous terre. C’est notre curiosité commune pour la littérature et l’histoire qui nous a donné envie de travailler ensemble.
David : Je pense que c’est moi qui suis venu vers Daniel avec une proposition de projet, mais je n’en suis même pas certain. Le fait de travailler ensemble était une chose absolument naturelle pour nous, cela s’est fait sans réelle réflexion.
Comment s’est déroulé le processus de création ? Les rôles étaient-ils clairement définis ou chacun pouvait-il mettre son grain de sel dans le travail de l’autre ?
David : La chose la plus compliquée dans notre collaboration est probablement le choix des thématiques. Nous apprécions tellement de choses en commun qu’il nous est parfois difficile de devoir faire un choix. Je pense que nous pourrions nous pencher sur une centaine de sujets sans que jamais nous ne nous lassions l’un de l’autre. Une fois le choix du sujet passé, tout se passe très facilement. Je remets à Daniel un scénario qui s’approche d’une certaine façon d’un texte théâtral, c’est-à-dire principalement construit sur des dialogues et agrémenté de didascalies sobres et précises.
Daniel : C’est moi qui m’occupe du rythme et du découpage. En me léguant ainsi son travail, David me laisse m’en emparer afin que je puisse me l’approprier pleinement.
David : Personnellement, je n’aime rien d’autre que de voir mes textes vampirisés. Lorsque la bande dessinée est terminée et que je n’y retrouve plus mon propre travail, c’est à ce moment que je sens que notre collaboration a été efficace. Pour moi, être scénariste de bande dessinée, c’est avant tout écrire pour l’autre, pour que l’autre m’apporte sa vision poétique du monde. Cela ne fonctionne que si les collaborateurs se portent un réel respect mutuel, bien sûr.
Pourquoi avoir choisi un ton léger et humoristique, alors que les écrits du couple Shelley, eux, ne l’étaient pas spécialement ?
David : Mais très simplement parce que si nous avions voulu traiter cette histoire avec un ton fidèle à l’intellectualisme de l’époque, nous n’aurions jamais rencontré d’éditeur assez inconscient pour nous faire confiance. Rester fidèle à la complexité des idées, en bande dessinée, je m’y essaie sur d’autres titres, avec Ambre, par exemple. La réception est sans commune mesure, le lectorat de ce type de projet est bien loin d’être majoritaire et la frilosité éditoriale pour ce type de récit est malheureusement encore une réalité.
Daniel : Avec Shelley, David et moi avons délibérément fait le pari d’être lu et apprécié par le plus grand nombre. Nous nous adressons à des lecteurs qui envisagent la lecture avant tout comme un divertissement mais aussi à un public qui apprécie des sujets qu’il ne maîtrise pas forcément.
David : Je rajouterai toutefois que si nous avons pris le choix de la comédie légère pour raconter qui étaient Percy et Mary Shelley, cela n’a certainement pas été un calcul. Daniel comme moi avons une bibliographie qui s’est depuis très longtemps construite sur une approche légère de la littérature. C’est quelque chose que nous avons tous les deux en nous.
Daniel : Nous pensons que pour faire aimer la littérature, on est en droit de la malmener, de s’en amuser, de se moquer gentiment d’auteurs illustres.
David : C’est en partie comme cela que nous lisons : je peux pour ma part éclater de rire avec un texte d’un grand auteur du XIXe siècle qui ne rencontre pas mes idées. Il faut s’autoriser un rapport léger et ludique avec les grands textes, une chose que l’école ne se permet que trop rarement.
A mes yeux, la grosse trouvaille, c’est d’avoir consacré un tome à Percy. Comment en êtes-vous arrivé à ce choix ?
David : On le découvrira dans la seconde et dernière partie de notre histoire qui paraît ce 25 mai : l’idée de départ fut avant tout une adaptation du Dernier homme, un roman de Mary Shelley. Il s’agit d’un livre formidable qui a été éclipsé par le succès de Frankenstein, mais dont je ne suis pas loin de penser qu’il est en réalité bien meilleur encore. Le Dernier Homme est un roman à clefs, qui met en scène Mary et ses propres amis dans une histoire fictive. C’est en me penchant sur les biographies de Percy et Mary que je me suis réellement rendu compte des similitudes. Le projet s’est donc mué en une biographie du couple, mais, comme on le verra, le roman de Mary Shelley viendra s’inviter dans le récit. Cela correspond à quoi j’ai toujours été sensible : raconter la vie de grands auteurs tout en les mélangeant avec l’une de leur œuvre les plus personnelles.
Daniel : Nous allons d’ailleurs rééditer ce genre d’approche en mélangeant encore d’autres vies d’auteurs avec l’une de leurs œuvres. Essayer de saisir l’esprit d’un auteur dans un récit d’un abord très simple, voilà en résumé ce à quoi nous aimons nous confronter.
Mary sera au centre de l’attention du second tome. L’idée de la mort et un romantisme exacerbé aussi, par conséquent ?
David : Bien entendu. Car au-delà des simples faits qui ont construit sa vie, c’est son esprit et sa vision du monde que nous voulons surtout raconter.
Daniel : Notre réelle passion, c’est la lecture. Nous aimons faire des bandes dessinées sur des auteurs que nous apprécions. Mais lorsque je dessine Flaubert, Verlaine ou Rimbaud, ce n’est pas forcément leur vie que je raconte, c’est une certaine idée que je me fais de leur esprit. Finalement, la finalité de nos livres, c’est de donner envie aux gens d’aller lire les originaux.
Daniel, lorsqu’on aborde un sujet historique comme ce genre de biographie, la documentation devient-elle plus importante ? Comment l’as-tu gérée sans perdre ta propre créativité ?
Daniel : Oui, elle est plus importante, mais elle ne doit pas freiner le travail graphique. Je m’intéresse surtout aux peintres d’époque et j’essaie de m’en imprégner tout en leur tordant le cou. La fidélité historique n’est pas ma tasse de thé et c’est plutôt un climat que je cherche à faire passer par mon dessin. Le nombre de boutons de culottes et autres détails n’offrent pas tant au lecteur le voyage dans le temps et l’histoire qu’une simple évocation.
David, dans quelle mesure les aventures contées dans ces albums sont-elles véridiques ? Quelle fût ta part de liberté et de création ?
David : Je n’ai pratiquement rien inventé, tous les faits racontés sont réels, ils ont été puisés dans les biographies des Shelley ou dans les romans de Mary. Mais par contre, tout a été déformé par le ton de la comédie. Il y a donc une structure du récit basée sur beaucoup de rigueur historique, mais celle-ci a été développée sur un mode léger qui s’autorise des dialogues amusés. J’avais déjà travaillé un récit en ce sens avec Morvandiau il y a quelques années : Avec Le Cid 6.0, nous avions adapté le Cid de Corneille de façon totalement burlesque, mais l’intrigue et les jeux psychologiques avaient été scrupuleusement respectés.
La série est sortie dans un format plus petit que ce que propose habituellement Le Lombard. Cette décision vient-elle de vous ou de votre éditeur ?
Daniel : C’est notre éditrice Nathalie Van Campenhoudt qui a eu l’audacieuse idée de réduire mon dessin. Jamais mon dessin n’avait été réduit de façon aussi importante et je pense que cela a apporté une nouvelle lisibilité à mes pages.
David : Pour ma part, j’ai l’impression que cela rend le dessin de Daniel plus accessible encore.
Travailler dans un format réduit entraine certaines contraintes tant scénaristiques que graphiques. Comment avez-vous abordé cette problématique ? Vous étiez-vous fixé un nombre limite de cases par planche ? Avez-vous dû épurer les dialogues, pour que ceux-ci n’envahissent tout l’espace ?
David : En tant que scénariste, tomber sur une pagination juste avec mes récits est un vrai calvaire. J’avoue vraiment travailler au radar sur ce point.
Daniel : C’est principalement moi qui arrive à faire entrer une histoire dans le nombre de pages prévues. Mais il est vrai aussi qu’à chaque nouveau projet, il nous est arrivé d’appeler notre éditeur pour renégocier le nombre de pages.
David, Daniel, un grand merci à vous deux pour le temps que vous venez de nous consacrer. Songez-vous déjà à collaborer sur d’autres projets ?
David : Bien sûr, nous en avons même trop ! Dans un premier temps, nous avons pour projet de continuer à explorer ensemble le romantisme européen. Merci à vous et bonne lecture !
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