Auteurs et autrices / Interview de David Ratte
David Ratte a publié son premier album en 2006 chez Paquet. Toxic Planet est une suite de strips humoristiques assez noirs, où dans un futur probable, c’est la pollution qui deviendra notre quotidien, au point que tous les gens porteront des masques.
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Bon alors voilà, je m’appelle David Ratte.
Je précise que RATTE n’est pas un pseudo, mais mon vrai nom de famille (faudrait être idiot pour inventer un pseudo pareil !). Comme tu peux l’imaginer, à l’école j’ai pas mal chargé. Je ne compte plus le nombre de surnoms ridicules que j’ai dû trainer. Mais, bon, j’ai survécu. C’est marrant d’imaginer qu’aujourd’hui grâce à ce nom les lecteurs ne m’oublieront peut-être pas !
Je suis un grand lecteur de BD depuis mon enfance. Depuis l’âge de 10 ans je rêve d’en faire mon métier, mais le courage de présenter mes projets m’a toujours manqué. Alors je dessinais dans mon coin. J’ai fait pas mal d’illustrations pour la publicité. En 2001 je me décide enfin à tenter ma chance en participant au concours « jeunes auteurs » organisé par les éditions Delcourt. Je suis alors repéré et je commence à travailler avec cet éditeur sur 2 projets qui finalement ne verront pas le jour.
Un beau jour, je rencontre Christophe Arleston pendant un festival BD près de chez moi. Je lui montre mes travaux, et il me commande immédiatement des mini-récits pour Lanfeust-mag. Un an après, je crée Toxic planet, tu connais la suite …
Voilà comment à 36 ans, je réalise enfin mon rêve de gosse en devenant auteur de BD ! Ca m’aura juste pris 26 ans ! Comme quoi, il ne faut jamais désespérer !
Tu as passé UN jour aux Beaux-Arts ! Comment as-tu pu te lasser aussi vite ?
J’étais assez jeune (14 ou 15 ans). Je me souviens qu’à l’époque ce n’était pas facile de décrocher une inscription aux beaux arts. A force d’efforts, ma mère avait réussi à m’y faire entrer. Donc je m’y pointe un mercredi après-midi tout fier avec mon carton à dessin, prêt à apprendre plein de choses… et je me retrouve dans une salle immense remplie de gens tous bien plus vieux que moi, assis derrière des chevalets. Y’avait un professeur, genre Salvador Dali (allumé complet) et au milieu de la pièce, sur un tabouret… une pomme.
Et le gars nous demande de peindre ladite pomme sans nous donner la moindre indication sur la technique à utiliser. Par contre il nous dit de ressentir le modèle, d’en sortir la substantifique moëlle, etc… Je lui ai dessiné sa foutue pomme (il n’a même pas regardé ce que j’avais fait) et je suis rentré chez moi en disant que je n’y retournerais plus jamais.
Avec le recul, je me dis que ce gars avait certainement envie de nous ouvrir l’esprit sans brimer notre créativité… mais je suis toujours resté réfractaire à la masturbation intellectuelle qui consiste à transformer le moindre trait ou la moindre tache sur un bout de papier en œuvre artistique majeure.
J’ai eu le même problème quelques années après en école d’architecture. Dès le premier jour la prof de dessin (une vénérable femme qui devait avoir dans les 300 ans) nous a expliqué que dans la Grèce antique on disait que les artistes avaient un dieu dans le cœur. Que nous étions des artistes ! Le haut du panier ! Le ton était donné ! Résultat en quelques mois la plupart des élèves avaient tellement pris la grosse tête qu’ils avaient du mal à passer les portes. Ce qui est drôle c’est qu’à côté de ça, la plupart d’entre eux étaient incapables de faire un dessin correct.
Je me suis très vite senti étranger à ce milieu et là aussi j’ai vite jeté l’éponge. J’ai quand même tenu 2 ans sur les 5 prévus !
Du coup, j’ai pensé pendant longtemps que les artistes étaient forcément des excentriques imbuvables imbus d’eux-mêmes. Heureusement depuis que je suis dans le milieu de la BD j’ai pu constater que beaucoup d’auteurs sont des gens normaux et que parmi les plus grands certains sont d’une humilité désarmante. C’est rassurant.
Tu as donc publié des mini-récits dans Lanfeust Mag… Pas trop tenté de faire de la fantasy ?
Non, pour la simple et bonne raison que je ne suis pas vraiment un lecteur de Fantasy. Je sais que je ne vais pas me faire que des amis, mais je trouve que c’est un genre qui tourne en rond. Il y a quand même quelques BD de Fantasy qui m’ont passionné. Je pense particulièrement aux Aventures d’Alef Thau de Jodorowsky et Arno. Pour moi, on n’a pas fait mieux. Il y a aussi Le Grand Pouvoir du Chninkel, mais là on touche plus au récit biblique qu’à la Fantasy.
A côté de ça, la plupart des BD de Fantasy me laissent froid.
Ca ne veut pas forcément dire que je n’en ferai jamais. Après tout la Fantasy n’est qu’un cadre, un décor. Rien n’empêche de l’utiliser pour raconter quelque chose de vraiment original ou une véritable aventure humaine.
Ma collaboration avec Lanfeust Mag est plutôt le fruit d’une rencontre humaine. Christophe Arleston est quelqu’un de vraiment très sympa. Il m’a consacré du temps et de l’attention. Je lui dois beaucoup.
Pareillement, si je fais actuellement le lettrage sur le tome 5 du Chant d'Excalibur c’est parce qu’Eric Hübsch est un copain. On se montre nos planches 1 ou 2 fois par mois. On les critique. On les commente. Il a été le premier lecteur de Toxic planet alors que je ne pensais pas le présenter à un éditeur. Il m’y a encouragé… et il a bien eu raison, le bougre !
Ta première BD parle d’écologie. Es-tu un écolo militant ?
Ca c’est la grande question ! Je ne me considère pas comme un militant à proprement parler. D’autant plus que dans mon esprit, le militantisme est un peu trop lié à la politique. Par contre le sujet de l’écologie me tient à cœur. Puisque j’habite sur cette planète, je me sens très concerné par son avenir.
Je ne prétends pas non plus avoir une connaissance suffisante du sujet pour me permettre de donner des leçons à qui que ce soit.
Par contre, ce que je sais faire, c’est exprimer mes opinions par le dessin et la dérision. Donc, avec Toxic planet je raconte les choses telles que je les perçois et j’essaye de montrer à quel point notre vie moderne est incohérente et ridicule en raison de la direction du « tout industriel » que nous avons prise il y a 1 siècle.
J’essaye de dénoncer notre passivité face à l’inacceptable.
Je pense que l’humour n’est pas assez utilisé pour faire passer des messages de cette importance. En tout cas, moi j’y suis sensible, donc je me dis que d’autres le sont certainement aussi.
Le président que l’on voit dans Toxic Planet ressemble étrangement à un candidat à l’élection présidentielle… Est-ce voulu ?
Ca peut paraître étrange mais NON, c’était parfaitement inconscient. J’ai réalisé la ressemblance avec Sarko après la sortie de l’album, quand les premiers lecteurs m’en ont fait la réflexion. Dans mon esprit, mon président ressemblait plus à Georges Bush, du moins dans sa politique. Pour le physique j’aimais bien l’idée d’un type tout petit qui détient un grand pouvoir, Il y a eu beaucoup d’exemples dans l’histoire.
En tout cas, Toxic Planet n’est ni anti, ni pro-sarko.
Par contre, étant donné que je m’inspire de l’actualité, dans le tome 3 mon président sera peut-être remplacé par une présidente en tailleur rouge.
Ce premier album est dans une présentation particulière : la plupart des pages ne comportent qu’une moitié de strips, avec une histoire sans case qui court sur tout l’album en bas de page. Ce choix narratif a dérouté certains de tes lecteurs, et surpris la plupart, car cela oblige à une seconde lecture de l’album…
Je voulais absolument avoir une animation en noir et blanc dans l’album. C’est une technique de dessin que j’adore. C’était aussi un moyen de rendre hommage aux Idées Noires de Franquin et aux hauts de pages de Yann et Conrad qui paraissaient dans le journal de Spirou dans les années 70-80.
Si ce récit muet oblige le lecteur à relire l’album une 2e fois, je trouve ça plutôt bien. C’est tellement rare qu’on revienne sur un album déjà lu !
Par contre, cette particularité a posé pas mal de problèmes pour la mise en page. D’où ce format un peu particulier qui en a dérouté plus d’un.
Certains avaient l’impression de se faire arnaquer (bien qu’il y ait plus de pages que dans un album normal).
D’autres ont critiqué le gaspillage de papier, et je ne peux pas leur donner tort. Ca peut paraître idiot, mais voilà encore un truc auquel je n’avais pas pensé sur le moment. Mais c’est en se trompant qu’on apprend…
Enfin d’autres ont trouvé que cette mise en page était plutôt esthétique et mettait chaque gag en valeur.
Je crois que le débat est loin d’être clos.
Mais le tome 2 devrait mettre tout le monde d’accord.
Il y a encore des illustrations noir et blanc mais elles sont indépendantes les unes des autres. Chacune constitue un gag à elle seule ou permet la transition entre 2 strips couleur.
Résultat, on a une mise en page plus classique avec des pages toutes remplies soit avec 1 strip en page complète, soit avec 2 strips d’une demi-page, soit avec 1 strip + 1 illustration. L’ensemble est donc beaucoup plus dense tout en gardant une présentation originale que j’espère ludique.
Verdict des lecteurs à partir du 16 mars.
Tu profites du thème de l’écologie pour brasser quelques autres sujets d’actualité : la grippe aviaire avec les risques de contagion, les oiseaux englués dans les nappes de pétrole, la fonte de la banquise, le Clémenceau…
En effet, je considère Toxic planet avant tout comme une critique de notre société. Le sujet ne se limite donc pas uniquement à l’écologie, même si cela reste le thème central.
Dans le tome 2, voit-on le visage de Sam et de sa femme ?
Non ! Et pourtant ça a failli ! En effet (et là c’est un scoop !) j’ai dessiné un gag où l’on découvre le visage de Sam, de Daphné (c’est le prénom de sa femme. Encore un scoop !) et de quelques autres personnages. Mais j’ai renoncé à le mettre dans le tome 2. Il y a même des chances qu’il reste définitivement dans mon tiroir. Peut-être qu’un jour je vendrai l’original à un fan… mais pas pour moins d’un million d’euros ! Ah ! Ah ! Ah !
Tout ce que je peux te dire c’est que, sous son masque, Daphné est super mignonne !
Quels sont les auteurs qui t’inspirent ? Tes modèles ?
J’ai déjà mentionné Franquin et Arno dont j’admire le travail.
Je suis un grand fan de Quino, j’ai même une peluche Mafalda dans mon bureau !
J’ai été très marqué par le travail d’Hermann et pour moi Greg était le plus grand scénariste de tous les temps.
Plus récemment, j’ai été particulièrement enthousiasmé par les albums de Léo et les scénarios de Vehlmann.
Après, dans le désordre j’aime Larcenet, Frederik Peeters, Taniguchi, Emile Bravo, Alex Robinson. Tous ces auteurs ont la particularité de me faire rire ou de me provoquer des émotions.
Mais mes influences ne se limitent pas à la BD. J’adore des écrivains comme Robert Silverberg, Emile Zola ou Anne Rice (dans des styles très différents, je te l’accorde)
Côté cinéma, je suis fan de Miyazaki, Ridley Scott, David Fincher, Martin Scorcese, Claude Lelouch, Jean-Pierre Jeunet et Cédric Klapisch.
Tous ces gens-là me bluffent littéralement par leur façon très personnelle de raconter et de nous faire entrer dans leur univers.
Quels sont tes projets ?
Il y a quelques semaines j’ai terminé la réalisation du tome 2 de Toxic Planet et je commence à noter quelques idées pour le tome 3.
Je suis actuellement en train d’écrire et de dessiner le premier tome d’une histoire en 2 volumes intitulée Le voyage des pères. J’écris aussi un scénario pour Antonio Lapone (le dessinateur de A.D.A.).
J’ai également plusieurs projets en discussion avec Paquet et d’autres éditeurs.
Enfin, il y a quelques temps j’ai fait la connaissance de Dominique Lidwine et depuis on réfléchit à une collaboration sur 1 ou plusieurs albums.
Bref, j’ai de quoi m’occuper pour un petit moment. J’ai énormément d’idées dans des registres très différents, mais malheureusement pas assez de temps pour les réaliser. Heureusement je travaille assez vite, ce qui devrait me permettre de sortir 2 ou 3 albums par an… enfin si tout va bien.
David, merci.
Y’a pas de quoi !
Retrouvez Toxic Planet sur le site officiel : http://www.toxicplanet.info/
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