Auteurs et autrices / Interview de Fabrice Gagos
Fabrice Gagos s’est fait connaître en tant que coloriste, tout en continuant à développer ses histoires dans son coin. En 2012 il prend enfin son envol en tant qu’auteur complet, avec des zombies.
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3 ans ! En 3 ans j’ai fumé 2 fois, bientôt 3. J’ai arrêté de déménager, je suis devenu président et on a changé de végétarien.
Ou l’inverse, je sais plus. Mais en tout cas 3 ans c’est long.
Pour "La lumière de l’ours" c’est moi qui ai décidé d’arrêter. En réalité, on n’a jamais réussi à se mettre d’accord sur le ton de l’histoire. La Boîte à bulles s’était fait une idée du projet qui n’était pas réellement celle que j’en avais, c’est un peu ma faute.
De plus ma façon de travailler sur mes projets perso fait qu’il est difficile de faire valider les étapes surtout quand les gens qui valident sont trop occupés pour le faire vite. Ca faisait partie du jeu, je ne leur fais aucun reproche, c’est juste que je n’arrive pas à travailler de cette manière.
Quand j’écris pour moi, j’arrive généralement assez facilement à me comprendre, je n’ai pas besoin d’écrire un roman pour décrire une scène. Une ligne à main levée sur un bout de papier, un croquis moche et c’est parti. Mais quand tu bosses avec un éditeur, surtout quand comme moi tu n’es pas encore quelqu’un de reconnu, il faut montrer patte blanche régulièrement pour le rassurer.
Je me retrouvais donc à devoir tout écrire juste pour faire comprendre, ça ne faisait pas vraiment avancer le projet. C’était soit ça soit faire un storyboard compréhensible par quelqu’un d’autre alors qu’à la base il ne sert qu’à moi. Rajoute à ça que je ne dessine pas forcément ce que j’ai écrit… Je suis parfois difficile à suivre.
C’était aussi un projet qui pour moi ne fonctionnait que sur un moment donné, si je me souviens bien à l’époque je le qualifiais d’ailleurs de projet « champignon », non pas qu’il avait été fait sous drogue, mais d’une manière spontanée. C’est un projet qui ne pouvait donc se faire que s’il se faisait rapidement car il correspondait au moment où je l’ai créé. Ca a un peu traîné, les choses ont évolué, ça m’a gonflé et surtout j’ai évolué, l’occasion est passée. Du coup le projet ne correspondait plus vraiment à grand-chose alors qu’il était à peine commencé. La motivation s’est essoufflée, remplacée par d’autres envies plus concrètes.
Mais ce n’est pas négatif, ça m’a permis de mieux me connaître. J’ai du coup réfléchi autrement pour le projet suivant, j’ai cherché quelque chose qui pouvait me correspondre sur le long terme et maintenant j’évite les champignons. Ca m’a aussi appris que j’étais clairement un control freak assez hermétique.
Le projet est-il vraiment enterré ?
Rien de ce qui est enterré ne le reste longtemps, tu devrais le savoir ! Et ce serait dommage : il y a quand même eu pas mal de choses de faites, de dessinées et d’écrites.
Mais je ne sais pas encore quelle forme le projet prendra. One shot comme prévu ? Récit court dans un collectif ? Webcomic ? Ni même ce qui restera du projet originel au final.
Peu importe à vrai dire, l’essentiel est de voir si je peux en sortir une histoire.
J’avais même imaginé faire un récit en « remontant » les pages déjà faites (une vingtaine environ), c'est-à-dire utiliser les cases et pages dessinées et les réarranger pour créer une nouvelle histoire que je posterai gratuitement sur mon site, j’avais commencé cet hiver et ça me semble pas impossible. Ce serait prendre le projet totalement à l’envers, ça peut être fun. Pourquoi pas. Je m’y pencherai quand j’en aurai le temps.
A l'époque, tu parlais de monter un petit atelier... Toujours envie ?
Ben… Finalement, je l’ai mon atelier. Je n’y avais même pas pensé. Alex avec qui je vis est aussi auteur. On bosse tous les jours sur nos projets respectifs et on passe notre temps à ne pas avoir le temps de mettre en place nos projets communs. Et crois-moi, on n’a pas besoin d’être plus nombreux.
Bon ceci dit, il y a aussi des projets qui se développent petit à petit avec d’autres potes et on va sûrement fonctionner par « session » de travail à la maison, vu que cela va être possible dès cet été puisqu’on quitte notre appartement de centre ville pour une petite maison à la campagne. Ca va être chouette, j’ai hâte de voir ce qui en sortira.
D’où vient le nom de Brutal corpse, le label que tu as créé ?
Je l’ai créé quand je développais GoN en tant que webcomic tout seul dans mon coin. Je voulais un truc qui sonne bien, j’avais en tête les logos de comics américain, Image, IDW, Dark Horse, ils ont tous des logos et des noms percutants (et ne portent pas le nom de leur fondateur…). En France il y a Akileos sur ce principe et quelques autres. Bref…
Un jour, alors que je cherchais l’inspiration en me baladant dans la montagne, une espèce de buisson en feu s’est adressé à moi et m’a dit :
" Quiconque ose défier la puissance de Zeus doit être puni !! Tu erreras désormais dans un monde inconnu. Jusqu'au Royaume d'Hadès, vos corps resteront inertes ..." Ou un truc du genre, moi je lui ai répondu « Putain ! Tu débloques buisson ! En plus t’es en feu » et j’ai continué mon chemin.
En flânant j’ai repensé à une phrase que j’utilise souvent en fin d’article sur mon blog : « Stay Brutal !». Ca n’a rien d’original, car à peu près tous les gars à cheveux longs disent ça mais ça sonne bien. Je cherchais aussi un truc en rapport avec les films d’horreur, et dans les films d’horreur… il y a des cadavres (Corpse en anglais pour ceux qui suivent pas).
Brutal Corpse, c’est rythmé, facilement identifiable, ça réunit tout ce que j’aime, ça fait penser à Cannibal Corpse, à Dark Horse, c’est délicat et subtil comme la rosée en hiver sur les bords du lac Titi Caca… Bref… Ca me semble parfait.
Bien sûr pour le logo, la tronçonneuse s’est imposée direct, ça pas besoin de dire pourquoi je pense.
Parle-nous à présent de "Ghouls of Nineveh". Et d'ailleurs d’où vient ce titre imprononçable ?
La dernière fois qu’on s’est vus je t’ai dit que j’avais un scénar pour « un film de zombies qui tache » et que j’avais bien l’intention de le faire.
Ben ce n’est pas du tout cette histoire ! Mais c’est un peu le même principe. En tout cas l’histoire est construite comme un film. Elle est entièrement écrite et je sais où je vais.
Adam est un gars sans histoire qui tient un magasin de DVD et a un petit groupe de Metal avec ses potes d’enfance. Bien que brouillé avec sa famille, il se rend à l’enterrement de son beau-père, cause de son « exil ». C’est sa petite sœur qui a insisté.
Une fois dans l'église où se déroule la cérémonie, les reliques saintes, dotées d'un étrange pouvoir, vont réveiller les morts du cimetière.
Du coup, forcément, ça va être un peu la merde.
Quant au titre… Je sais plus comment c’est venu exactement, mais ce qui est sûr c’est que j’y ai pensé assez tôt. En gros je n’avais pas toute l’histoire mais je cherchais un titre de travail et je ne voulais pas du « dead » dedans. J’avais déjà du zombie et du mythe mésopotamien (je faisais des recherches dessus pour un autre projet), j’ai pensé au groupe Melechesh, un groupe de metal dont les textes tournent principalement autour de la mythologie mésopotamienne.
Ghouls of Nineveh est le titre de la première chanson de leur dernier album en date (ça va tu suis ?), de la goule, du Nineveh, ça collait parfaitement (Npqtlmc : Nineveh a été une capitale de la Mésopotamie, maintenant c’est Mossoul en Irak).
Du coup cela a influencé mon récit et le design de Sayid le pote d’Adam qui est inspiré d’Ashmedi et Moloch deux membres du groupe.
Ca m’a aussi donné l’occasion d’échanger un peu avec eux, notamment pour avoir l’autorisation d’utiliser le titre, ils sont vraiment cool, ce qui a renforcé l’envie de garder ce titre, même s’il est vrai, il n’est pas des plus pratiques.
J’adore ce genre d’échanges, c’est pour ça que je fais ce boulot je crois.
J'ai trouvé l'ambiance à l'enterrement de Charles bien tournée... Y a-t-il une part de vécu dans ces relations familiales... compliquées ?
Oui et non. Je n’ai jamais mis les pieds à un enterrement, je ne sais donc pas vraiment comment cela se passe.
Par contre je connais des gens aussi ouverts d’esprit que la famille de Charles. Plein. Trop.
C’est donc un vrai plaisir de les foutre dans la merde…et c’n’est pas fini, crois moi.
Il y a pas mal de références un peu geek dans ton album. Cependant la présence de la sentence "Klaatu, Verata, Nekto" m'a surpris, car elle vient d'un univers un peu différent, celui du cinéma de SF des années 50...
2 choses :
D’abord, qu'y a-t-il de plus « geek » qu’un film de SF des années 50 ?
Ensuite, c’est un peu plus pervers que ça, car à la base, pour moi « Klaatu, Verata, Nekto » est une citation du livre des morts dans la cultissime série Evil Dead. A ma grande honte ce n’est que récemment que j’ai découvert que c’était déjà un clin d’œil à "The day the earth stood still", le film de Robert Wise.
C’est un lecteur de la version anglaise sur le net qui m’a fait la réflexion.
J’ai depuis acheté le DVD pour corriger ça, ça n’a pas suffi. Il faut que je le regarde maintenant.
"Charles Guéant". Tiens, ça me dit quelque chose ce nom de famille...
Je ne vois pas du tout de quoi tu parles.
Tes zombies sont particulièrement soignés, plus peut-être que tes humains... On a l'impression que tu t'amuses mieux avec des monstres, je me trompe ?
Alors d’abord, merci. Et ensuite : carrément ! Ca m’amuse beaucoup plus de dessiner des monstres en général. Je fais d’ailleurs une série d’illustrations sur ce thème dont j’espère tirer une exposition dans pas longtemps. Je ne saurai pas trop dire pourquoi mais je trouve ça beau. Petit déjà, j’adorais Arthur, le squelette de la salle de bio… Bref.
Les zombies ont aussi un côté pratique quand tu n’aimes pas te prendre la tête avec l’anatomie. ^^
Tu aimes les monstres, les films d'épouvante, dessiner des zombies,... Il y a des hommes en blanc là, derrière toi... Tu es sûr que ça va ? Pourquoi cette fascination pour le macabre ?
Si je fais des histoires d’horreur, c’est simplement parce que c’est ce que j’aime, c’est tout.
Je trouve en plus que c’est un moyen très intéressant et divertissant pour raconter des histoires et qui permet pas mal de métaphores. Mais là on devient philosophique et c’est chiant.
Pour la petite histoire, adolescent il m’est arrivé de consulter un psy (oui ça commence mal hein ?) qui évidemment m’a demandé de dessiner quelque chose afin de sonder mon âme, j’imagine. Sachant que si je dessinais un crâne ou un monstre cela aurait sûrement entraîné une discussion inutilement interminable, j’ai dessiné un bel éléphant, tout mignon, tout ce qui a de plus normal, ça m’a demandé beaucoup de maîtrise pour ne pas remplacer sa trompe par une b… Bref… La conclusion pour le psy a été que je dessinais bien les éléphants et que tout allait bien.
Mais il me semble surtout que la moralité de l’histoire est simple : méfiez-vous plus de ceux qui dessinent des éléphants mignons que de ceux qui dessinent des monstres cannibales, ils vous cachent des choses !
Mon dieu, si ça se trouve, tu as un tatouage sur le pénis et tu rotes à table !
Et alors ? C’est mieux dehors que dedans ! Et je ne parle pas de mes tatouages à table.
On passe son temps à essayer de sembler normal plutôt que d’être soi-même. Je ne suis pas sûr que ça aide à être sain d’esprit.
Y a un gars en pyjamas qui a dit : « Ce n’est pas un signe de bonne santé que d’être bien adapté à une société malade » cela me semble très à propos, et ça fait toujours classe de mettre des citations dans les interviews.
Ton style s'est vraiment éloigné de la ressemblance avec celui de Sandoval, dont on parlait il y a trois ans...
Je te le disais il y a 3 ans : étant 100% autodidacte, mes profs sont mes lectures.
Tony n’a pas fait assez de bouquins en 3 ans pour que je ne lise que ses productions, j’ai donc été un peu plus curieux ! Aussi étonnant que cela puisse paraître, je n’aime pas particulièrement dessiner, je déteste dessiner pour rien, je ne fais quasiment jamais de croquis, ça me fait chier. Je dessine donc peu d’une manière générale.
Avec le projet pour la Boîte à bulle et ce premier tome de Ghouls of Nineveh, j’ai beaucoup plus dessiné en 3 ans qu’en 30. Mon trait a donc fortement évolué et devrait être encore un peu différent dans le tome 2. J’espère pour le mieux.
Je cherche avant tout à faire des BD que j’aimerais lire. Donc forcément mon dessin est influencé par mes goûts et évolue au fil de mes rencontres graphiques. Je ne suis donc pas affranchi de toutes influences, et je ne cherche pas forcément à le faire, je les assume totalement.
Ton héros tient un video-club. Ca me rappelle quelque chose...
Le tien aussi ?
Les video-clubs, c'est has been...
C’est pas vraiment un vidéo-club (et c’est pas vraiment important en fait), c’est plutôt une sorte de magasin d’occasion, comme on en trouve pas mal en ville. J’adore passer du temps à fouiller dans ce genre de magasins, on trouve des perles insoupçonnées (et des bouses innommables) pour des sommes ridicules. Il y a aussi moyen d’instaurer un système de troc qui me plaît. Bref j’adore ça, la plupart des DVD que j’ai à la maison viennent de ce style de magasins. Ca a donc été une évidence quand j’ai cherché un job à mon personnage principal.
La grand-mère a un drôle de sourire à la fin du tome...
C’est pas vraiment une grand-mère (et c’est pas vraiment important en fait)… ha… Non pardon. Oui, c’est possible qu’elle ait mauvaise haleine aussi.
Quelque chose me dit que tu as beaucoup aimé mettre certaines paroles dans la bouche d'Adam face aux occupants de l'église...
La réponse facile ce serait de dire que je fais dire à Adam ce que je n’ose pas dire dans la réalité. Ca me ferait passer pour quelqu’un de poli tout en laissant subtilement deviner que je suis athée comme lui. Mais ce serait mentir et à cause de ça, j’irai en enfer.
Je suis déçu, il n'y a pas de tentacules dans cette BD...
Mais y a des nichons ! Un peu fripés certes, mais faut leur laisser le temps de… s’hydrater. Et t’inquiètes des tentacules y en aura bien assez vite dans d’autres projets.
Sympas les fan-arts de tes potes en fin d'album... C'est une idée à toi ?
C’est surtout super pas original ! Mais ouais, je tenais à avoir quelques « guest », malheureusement je n’ai pas pu, pour des raisons de place et de temps, avoir tous ceux que j’aurais aimé inviter. Mais normalement je devrais me rattraper sur le second tome.
Parlons de la « forme ». Comment travailles-tu avec Sombrebizarre ? Et en combien de tomes prévois-tu "Ghouls of Nineveh" ? Tu es aussi coloriste par ailleurs, tu as travaillé entre autres avec Aurélien Morinière... Par contre ta BD est en noir et blanc. Choix esthétique ? Economique ? Ou autre ?
Wow…Pour répondre à ça, il va falloir faire un petit historique du projet.
En gros au début j’ai commencé de manière assez classique, quelques pages, un synopsis et 2-3 gribouillis pour présenter le tout aux éditeurs. Enfin… à des éditeurs, je n’ai pas présenté le dossier à tout le monde, faut pas déconner.
Evidemment comme tu t’en doutes, je n’ai eu que des refus, le dessin, la crise, le sujet, la crise, les lignes éditoriales et la crise. Bon faut dire que je n’avais pas particulièrement soigné le dossier, c’était juste après l’arrêt du projet Eléonore, et avec ce qui s’était passé alors même que je m’entends bien avec la Boîte à bulles, je n’avais pas particulièrement envie de réitérer l’expérience avec un autre éditeur. Je voulais être encore plus libre.
Bref me voilà avec un projet refusé, sûrement pour de bonnes raisons, soyons honnêtes, je suis pas l’auteur le plus sexy qui soit sur le papier. Sauf que voilà, l’envie est toujours là, je ne construis pas un projet en pensant aux éditeurs, mais à une histoire… Je n’ai aucune prétention, aucune certitude quant à la valeur de celui-ci, mais je fais partie de ceux qui pensent que tout projet qui tient un tant soit peu à cœur à son auteur doit être mené à bien. Je n’attends donc pas la bénédiction d’un tout puissant éditeur pour continuer à développer mon histoire.
J’ai donc décidé de continuer et de voir vers où cela irait. (ndSpooky : Fabrice a d’ailleurs fait un long article sur cette décision : http://svart.over-blog.com/article-vers-l-auto-prod-72122610.html )
Evidemment j’ai eu quelques réactions rigolotes d’inconnus qui ont du temps à perdre genre « tu te prends pour qui ? Il faudrait p’tet être un peu plus humble et se remettre en question nanani nanana ». J’avoue, ça m’épatera toujours toute cette énergie dépensée sur le net pour baver sur ceux qui prennent des initiatives. J’ai beau être habitué, c’est toujours surprenant.
Plus important, j’ai également eu pas mal d’encouragements de potes auteurs. Bref ça a été le début de Ghouls of Nineveh sur le net. A ce moment le projet était évidemment en couleur puisque c’est une des choses que je fais le mieux il paraît.
Je faisais ça quand je pouvais, mais j’ai réussi à tenir le cap. J’aimais retrouver mes personnages le soir avant d’aller dormir mais je le jure : c’était seulement platonique.
Le projet a été coup de cœur sur Manolosanctis, et « repéré » sur Délitoon qui m’a également contacté pour faire un projet Ulule, mais ce n’était pas mon but. En tout cas, cela prouvait quand même que cela valait le coup de continuer malgré les sceptiques.
Arrivé à une trentaine de planches, j’ai créé une sorte de lecteur sur mon site, un truc bricolé comme j’ai pu avec toutes les pages dispo et lisible gratuitement avec une possibilité pour les lecteurs de faire des dons via paypal.
Un jour, je ne sais plus trop comment en discutant avec Slo de Sombrebizarre, avec qui j’avais fait un p’tit bout de chemin sur MetalManiax, il me dit que mon projet l’intéresserait mais qu’il n’a pas les moyens de le faire en quadrichromie.
Par curiosité, j’ai fait un test en noir et blanc à partir des planches déjà faites et j’ai trouvé que cela fonctionnait plutôt pas mal. Ca donnait un cachet et une ambiance qui collaient bien au récit, un petit côté comics indés qui me plaisait bien. Et pis je trouvais ça fun pour un coloriste de faire son premier album perso en noir et blanc, ça permettait de bien marquer la transition. Et puis le noir est blanc est beaucoup moins impopulaire depuis quelque temps avec les mangas, les comics comme Walking dead, Echo, Battle pope, Empowered etc. De son côté Sombrebizarre était d’accord pour faire un contrat un peu différent de ce qui se fait d’habitude. Un truc basé sur le creator owned américain, où en gros l’éditeur n’a d’intérêt que sur l’objet qu’il publie et non pas sur l’œuvre (NDSpooky : Fabrice a écrit un article sur le sujet : svart.over-blog.com/article-creator-owned-et-tout-le-toutim-106428752.html). Il est aussi d’accord pour que je garde le label Brutal Corpse créé pour l’occasion. Alors je ne voyais pas pourquoi ne pas tenter l’expérience.
La seule concession qui m’a été demandée était de faire un bouquin de 68 pages, pour des raisons de cohérence avec ses autres livres. Prévu a la base pour une grosse centaine (115/120) de pages. Je décide donc de couper GoN en 2, vu que c’est possible sur ce format, au pire, il y aura plein de bonus (d’où également la présence d’illustrations et des 3 pages avec Sayid à la fin, qui font comme la scène bonus d’après générique d’un film). Au début, j’avoue, ça me faisait un peu chier quand même. Mais à bien y réfléchir, j’avais déjà dépensé beaucoup d’énergie sur le projet, et la perspective de rapidement avoir une première échéance et d’aller à la rencontre du public, me plaisait bien.
Voilà donc comment on se retrouve avec 2 tomes et en noir & blanc.
Le seul problème qui s’est posé suite à cette décision était de savoir quoi faire des planches couleurs mises sur mon site et ailleurs sur le net. Publier un bouquin, cela représente beaucoup de travail, de temps et d’argent. Donc forcément il faut pouvoir le vendre. Est-ce que le fait d'avoir une grande partie des planches gratuitement sur le site n’allait pas poser un problème ? En plus les pages sur le site sont en couleur alors que le bouquin sera en noir et blanc. Mon dieu ! Les lecteurs allaient crier au scandale !
Mais j’ai décidé de les laisser en l’état, elles existent, elles ont permis au projet d’exister, des gens l’ont soutenu, bref… Cela n’aurait pas été correct et un peu stupide de les enlever. J’espère juste que les gens prendront ça comme un bonus sympa ou une preview « de luxe » au livre.
Faut croire d’ailleurs que cela a plu car pour financer l’impression j’ai créé un système de pré-commande sur mon site (en plus de celui disponible sur le site de Sombrebizarre) qui m’a permis de financer une bonne partie de la fabrication. Car oui, vu comme je suis chiant, j’ai décidé de co-produire le livre. Si je ne m’engageais pas financièrement, toutes mes demandes ne seraient que des caprices et cela n’aurait pas vraiment de sens.
Au final, c’est un premier livre, il y a beaucoup de petits détails qui s’ils étaient à refaire, seraient faits différemment mais globalement, c’est vraiment une chouette aventure. Et ça ne fait que commencer.
Pendant que tu dessines tes petits mickeys les tripes à l'air, tu continues à faire des coloriages sur les dessins de tes petits camarades ?
Oui. Je ne te cache pas que ce n’est pas mon activité préférée. Quand ce que tu aimes, c’est raconter des histoires, c’est assez frustrant d’être coloriste.
Pis faut avouer que c’est assez éprouvant tellement certains problèmes sont « what the fuck ». Pas le temps de t’habituer, on t’en sort toujours une nouvelle, des délais aberrants à cause d’un accord pris sans te consulter, des changements de pagination en cours de route, des bouts de dessins à modifier parce que « pour toi c’est facile »… Bref. Comme dirait Arthur, « C'est systématiquement débile mais c'est toujours inattendu » ; et au final c’est épuisant. La BD est parfois vraiment très amateur.
Récemment, sur un projet qui avait tout pour bien se passer, le scénariste a décidé à une date proche du bouclage que mes couleurs « manquaient de profondeur », c’est un truc à la mode de dire ça, il a dû l’entendre dire dans un festival et s’est senti frustré de pas y avoir pensé. Putain, je veux dire, son scénar est pourri, mais je me permets pas de lui dire « ha non mon gars, tu ne mérites pas mes couleurs, ton scénario est trop mal fait, il manque de profondeur, les personnages sont insipides et l’originalité est partie en vacances chez les papous, refais. ». Bref, chacun son métier, d’autant plus qu’il a très mauvais goût. Le projet est parti, il y a eu des pages test, on s’y tient, d’autant plus que le dessinateur et l’éditeur eux, trouvent mon boulot correct. C’est irrespectueux et anti professionnel au possible.
Là encore, je n’ai aucune prétention quant à la qualité de mon boulot, mais ce qui m’énerve dans ce boulot c’est que si la sœur daltonienne de la cousine du dessinateur voit une planche, son avis sera à prendre en compte et pourra remettre en question le travail d’un coloriste professionnel sur tout un album, parce que « tu comprends, j’ai confiance en ses goûts ».
Moi je n’emmerde pas les autres une fois que le contrat est signé… Bien souvent, j’aurais pourtant pas mal de choses à dire. Mais je respecte leur travail, et leurs connaissances, envies etc. Bref.
Les gens oublient un peu souvent que si ce n’est pas le coloriste dont on retient le nom, ce sont les couleurs qu’on voit en premier. Le coloriste est aussi important que le reste et certains scénaristes feraient bien de laisser ça aux professionnels.
Rien de bien nouveau sous le soleil. Ce qui est donc sûr c’est que je vais essayer de faire en sorte de faire le moins de couleurs possible, parce que ça me gonfle.
C’est aussi un métier où il faut beaucoup fermer sa gueule et ça je sais pas faire, c’est physique, au bout d’un moment il faut que ça sorte.
Les zombies sont vraiment à la mode ces temps-ci. Selon toi, quelles qualités font sortir Ghouls of Nineveh du lot ?
Etant donné que je suis beaucoup plus intelligent que la moyenne, je pense que le sous-texte philosophique dépasse de loin celui de tout ce qui a été fait. De plus, l’histoire de GoN est le résultat de 8 années de recherche archéologiques, dermatologiques et coloscopiques sur des Homo Sapiens Sapiens majeurs et consentants.
Bon le risque est que ce sous-texte soit finalement un peu inaccessible au public, par définition « moyen », mais pour ça je compte sur les journalistes BD et aux autres chroniqueurs pour les accompagner dans ce voyage métaphysique.
Nan sérieusement, ce n’est pas vraiment à moi de dire ça… La seule chose que je peux dire c’est que j’ai essayé de faire en sorte que cela se tienne, que j’aime mes personnages et que je prends un super pied à raconter mon histoire en semant des clins d’oeil par-ci et des p’tites réflexions par-là.
J’espère que ce plaisir se voit et qu’il sera partagé, c’est mon seul but.
As-tu entendu parler d’Apocalypse sur Carson City ? Le thème de cette série est assez proche de GoN…
Alors… oui j’en ai entendu parler, plein de fois. Mais je ne les ai jamais lus. Je me suis laissé dépasser et il y a quoi maintenant 4 tomes ? C’est ça ? Faudra que je m’y mette, j’avais beaucoup aimé Billy Wild, mais en fait je pense que ce qui m’a freiné sur Carson City, c’est tout simplement son grand format cartonné.
Par contre de ce que j’en connais je ne vois pas trop le rapport, de ce que j’ai pu voir ca me faisait plus penser à une sorte de film de Tarantino/Rodriguez, genre série B, road movie et bastos à tout va ? Mais je dis p’têt une grosse connerie.
En tout cas, faut que je me les prenne, c’est prévu !
Quel est ton top des films d’horreur ?
Plein de trucs en Dead et en « or », ça sonne super ridicule, attention :
La série des Evil Dead, mon préféré étant le deuxième, m’a vraiment marqué, c’est un pote de lycée qui m’a fait découvrir ça et depuis je suis un fan absolu de Sam Raimi (ses Spiderman sont vraiment chouettes, ses collaborations avec les frères Cohen sont assez souvent géniales, bref c’est clairement un de mes réalisateurs préférés) et Bruce Campbell (Bubba Ho-Tep est une perle, My Name is Bruce est parfaitement naze comme je l’attendais, bref un délice.).
Bad Taste et Dead Alive de Peter Jackson, une des bobines les plus déjantées que j’ai pu voir, ça n’arrête pas une seconde, c’est très cartoon, et plein d’idées assez géniales (d’ailleurs le médaillon qu’on voit dans GoN est très inspiré par celui de la grand-mère).
Re-Animator aussi… Adapté de Lovecraft même si je le cherche encore derrière ce gros délire.
Et plus récemment des films comme Shaun Of the Dead, Dead Snow, Planet Terror (ouais j’avais prévenu hein) et pour faire original, Piranha 3D. Le film de Joe Dante m’avait bien marqué ado, et celui d’Alexandre Aja, est juste parfait. Et plein d’autres !
La série des Vendredi 13, les films de Rob Zombie, les Freddy.
Dog soldiers de Neil Marshall aussi !!
J’en oublie sûrement plein, mais tu vois l’idée.
Dans un registre plus « sérieux », j’aime beaucoup le travail de Guillermo del Toro notamment Chronos et Le Labyrinthe de Pan et évidemment la série des morts vivants de Romero.
Sinon ça peut paraître étonnant, mais la série de Doctor Who (à ne regarder qu’en anglais, la version française est une catastrophe) me procure un peu le même genre de sensation et est vachement inspirante alors même qu’elle n’est pas particulièrement qualifiée de série d’horreur, il y a quelques épisodes qui sentent bon le conte d’horreur, de vrais bonbons !
Et évidemment puisque je parle de série : la Quatrième Dimension et Au-delà du réel.
Pourquoi ne plus utiliser ton pseudonyme de Svart pour utiliser ta véritable identité ?
Parce qu’il était temps de faire mon Coming Out !
Quels sont tes projets dans un futur proche ?
En parallèle du tome 2 de GoN que je vais commencer à dessiner cet été après le comic con, je vais pas mal écrire pour d’autres personnes. Il y a des projets en suspens depuis longtemps, je pense qu’il est temps de les lancer.
La plupart seront des récits courts, forcément ancrés dans des univers fantastiques. On verra quelle forme ils prendront, papier, webcomics ou autres, l’important c’est de les mener à terme.
D’un point de vue perso je pense réaliser assez rapidement un autre one-shot, type « Slasher » cette fois, où l’on suit la cliente du tout début de Ghouls of Nineveh après qu’elle ait retrouvé sa copine pour sa soirée DVD.
Je compte également développer le label Brutal Corpse, soit en tant que label chez Sombrebizarre, soit en édition indépendante, soit, pourquoi pas, les deux. Bref… on verra bien.
Je vais aussi traduire GoN pour lui donner sa chance à l’étranger, et développer un peu mon travail d’illustration, ça me détend et ça semble plaire, il y aura d’ailleurs peut-être une exposition bientôt. Et… tout ce que j’oublie.
Bref je n’aurai pas vraiment le temps de m’ennuyer dans les mois à venir !
Un jour je prendrai des vacances.
Fabrice, merci !
Merci à toi, c’est toujours un plaisir.
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